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  • Universit de Lige

    Facult de Philosophie et Lettres Dpartement des Arts et Sciences de la Communication

    PISSER BLEU

    Les pratiques de communication managriale chez Dcathlon,

    une source dadhsion des travailleurs lorganisation.

    Mmoire prsent par Pirard Alexandra

    en vue de lobtention du grade de Master en Information et Communication

    Anne Acadmique 2011/ 2012

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    Remerciements

    Ce mmoire, concernant un sujet qui maffecte particulirement, a reprsent une

    relle aventure personnelle. Sa prparation et sa rdaction ont ncessit un cheminement

    comportant des moments de difficult tant intellectuelle qumotionnelle. Sans laide de

    quelques personnes, il maurait t difficile den venir bout.

    Je voudrais ainsi remercier mes parents qui m'ont toujours soutenue, tant lors de larrt

    partiel de ma scolarit que lors de mon dpart chaque matin pendant un an pour Dcathlon et,

    enfin, lors de la reprise de mes tudes.

    Merci ma promotrice, Madame Christine Servais, pour l'attention qu'elle a porte

    mon travail, ses bons conseils et ses encouragements.

    Enfin, je voudrais remercier chaleureusement mes anciens collgues du Dcathlon

    Alleur, pour le temps prcieux quils mont consacr et pour la confiance quils mont

    accorde. Si je suis parvenue achever ce travail, cest grce eux.

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    INTRODUCTION

    Le 24 dcembre 2010 peu avant 18 h00, dans le magasin Dcathlon dAlleur en

    priphrie ligeoise, une cliente se retrouve perplexe face un rayon croulant sous de

    nombreux modles de bottines de randonne. Mission dlicate : elle cherche une paire de

    chaussures poser sous le sapin pour son mari. Quelques minutes et conseils plus tard, cette

    dame remercie chaleureusement la vendeuse qui la aide faire son choix. En sloignant

    vers lalle des caisses, elle ajoute : Vous avez de la chance dtre l un soir comme

    aujourdhui, avec les autres jeunes vendeurs. Vous semblez tre une grande famille, cest

    sympa. La vendeuse lui souhaite un bon rveillon et sen retourne lacer les chaussures sur le

    prsentoir. Quelque peu interloque : comment quelquun pouvait-il penser que lendroit

    idal pour passer le dbut de soire de rveillon de Nol se trouvait l, au boulot, ranger des

    chaussures de randonne ?

    Ceci relve du registre de lanecdote, et elle nest quune parmi de nombreuses autres

    qui piqua le questionnement de cette vendeuse, notre questionnement. Quest-ce qui avait pu

    donner cette cliente particulire, la clientle en gnral et, principalement, certains

    collgues vendeurs avec qui nous discutions, ce sentiment dappartenance une communaut

    et mme plus, une famille ? Cette anecdote nous donna lenvie de comprendre et donc de

    raliser cette recherche. Une intuition fonde sur une priode assez longue dobservation nous

    soufflait loreille que cette impression dappartenance pouvait tre suscite par une puissante

    culture dentreprise et donc par la communication interne de lenseigne. Lobjet de ce

    mmoire porte donc sur la communication interne dans la multinationale darticles de sport,

    Dcathlon.

    Cependant ce concept de communication interne, souvent usit, pose en lui-mme

    quelques problmes. Comme la soulign Bernard Floris, ce terme suppose une nette

    sparation entre une communication interne destine aux salaris dune entreprise et une

    communication externe destine aux personnes extrieures lentreprise, soit dans le cas qui

    nous concerne : les consommateurs. Or dans les faits, la distinction savre plus complexe. Ce

    concept spare artificiellement deux types de personnes qui peuvent tre lies. Un mme

    individu peut la fois tre interne et externe : le salari peut effectivement aussi tre un

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    consommateur. Dautres ne sont ni dehors ni dedans, cest le cas des actionnaires, des

    fournisseurs ou encore des sous-traitants, qui possdent pourtant des intrts communs

    concernant la bonne sant conomique de lentreprise. En outre, les fondements idologiques

    employs doivent tre cohrents et tre donc sensiblement les mmes, tant en interne quen

    externe1. Effectivement la communication interne, comme nous le dcrirons, ainsi que la

    communication externe, travers notamment la publicit, ont pour objectif de donner une

    image jeune, dynamique et sportive de Dcathlon. Le travailleur reprsente en quelque sorte

    une vitrine pour lextrieur. Ainsi, selon une citation de Philippe Schwebig, la qualit de la

    communication interne reprsente la condition premire de la qualit de la communication

    externe. 2 Sans poursuivre plus longuement ce dbat terminologique, nous admettons que ce

    terme usuel de communication interne ne nous satisfait pas. Nous lui prfrons celui de

    communication managriale . Nous nommons communication managriale lensemble des

    techniques de communication labores par la gestion des ressources humaines et les chargs

    de communication destines aux salaris dune entreprise.

    L'adhsion volontaire active des travailleurs vaut plus pour l'organisation que la

    soumission docile. 3 Partant de cette citation de la sociologue franaise Hlne Weber, qui

    analysait la culture dentreprise au sein de la multinationale amricaine de restauration rapide,

    McDonald's, nous tenterons de dcouvrir si cette rflexion vaut galement pour Dcathlon.

    Nous essayerons de savoir si lentreprise tente consciemment de faire adhrer les travailleurs

    son systme organisationnel. Notre hypothse de dpart tant que la communication

    managriale chez Dcathlon na pas pour unique vocation dorganiser la vente, mais quelle

    joue un rle primordial dans lengagement subjectif des travailleurs. Par cette tude, nous

    chercherons donc dterminer si cette hypothse peut tre considre comme correcte. Pour

    ce faire, la premire partie de ce mmoire sera consacre la contextualisation de notre

    problmatique. Nous relaterons brivement lhistoire de lentreprise Dcathlon. Nous

    1 Bernard Floris, La communication managriale : la modernisation symbolique des entreprises, Grenoble, PUG, 1996, pp. 182-187. 2 Philippe Schwebig, Les communications de lentreprise, Paris, Mac Graw-Hill, 1986.

    3 Hlne Weber, Du Ketchup dans les veines : pratiques managriales et illusions. Le cas Mc Donalds, Toulouse, rs, 2011, p. 32.

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    exposerons la chronologie des rapports que nous, chercheur, avons entretenus avec elle. Et

    nous conclurons cette premire partie par lvolution historique du management afin de bien

    cerner en quoi celui pratiqu chez Dcathlon relve du management participatif. La seconde

    partie de ce travail sattachera expliquer et justifier la mthodologie utilise lors de nos

    recherches. Cette mthode mle, nous le verrons, entretiens qualitatifs et analyse de

    documents internes lentreprise. Enfin, la troisime et majeure partie de ce mmoire

    exposera et analysera par quelles stratgies et outils communicationnels, les responsables de la

    gestion des ressources humaines tentent de susciter cette adhsion active auprs des

    travailleurs. Comment sefforcent-ils de crer un individu conforme l'idologie de

    l'entreprise, le Dcathlonien ? Enfin, quelles sont les forces dune telle organisation ?

    Prcisons-le d'emble, l'adhsion effective des travailleurs ne sera pas tudie. Le

    salari peut, en effet, se sentir plus ou moins en adquation avec les normes et les valeurs dun

    groupe, ici de lentreprise. Il peut y adhrer totalement ou partiellement, ou, au contraire, se

    trouver totalement en dsaccord par rapport au cadre de rfrence de lorganisation. Quel que

    soit leur degr dimplication organisationnelle, certains travailleurs jouent le jeu qu'ils pensent

    que l'organisation dsire les voir jouer. Cela tant prcis, il ne sera ainsi pas question de

    savoir si oui ou non, les travailleurs de Dcathlon adhrent lentreprise qui les emploie, de

    dterminer leur degr dimplication organisationnelle rel, mais d'tudier ce qui est mis en

    place pour susciter leur engagement.

    Ds les prmices de cette recherche et la lecture de notre hypothse de dpart

    concernant ladhsion des travailleurs lentreprise, certains pourraient objecter quune telle

    position relve dun parti pris idologique du chercheur. Pour leur rpondre, nous citerons le

    sociologue Max Weber : Sans la ressource dun point de vue engageant des valeurs,

    comment serait-il seulement possible de slectionner, dans le flux embrouill de ce qui

    advient, ce qui mrite dtre relev, analys, dcrit. 4 Ainsi, bien quelle naisse dun point de

    vue, dun questionnement, certes, idologiquement engag, la recherche, elle, est fonde sur

    4Max Weber reformul par Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, ditions

    Gallimard, 1999, p. 31.

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    une mthode rigoureuse base sur une forte implication de terrain que nous expliquerons ci-

    aprs.

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    PREMIERE PARTIE : Contextualisation

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    1.1 Prsentation de lentreprise Dcathlon

    Si lenseigne bleue et, peut-tre plus encore, le slogan A fond la forme sont

    gnralement bien connus du public, sportif ou non, lhistoire de Dcathlon en tant

    quentreprise lest lgitimement beaucoup moins. En guise de prambule, un petit retour sur la

    cration de lorganisation, sur quelques dates importantes et sur le haut de son organigramme

    pourrait donc savrer ncessaire. Ensuite, nous ferons rapidement de mme pour le magasin

    Dcathlon situ Alleur, puisque nous avons bas notre recherche au sein de ce site

    particulier.

    A l'origine, Dcathlon est une entreprise franaise vendant des articles de sport. Le

    premier magasin Dcathlon a t cr en 1976 prs de Lille par Michel Leclercq5. Un nom qui

    nchappera pas au fru dconomie, puisquil est le cousin germain de Grard Mulliez, le

    fondateur du groupe de supermarchs Auchan. La famille Mulliez, famille trs catholique,

    originaire du nord de la France, a fait fortune dbut du XXe sicle dans lindustrie du textile6.

    Dans les annes 50, une association familiale est cre regroupant 525 cousins, dont Michel

    Leclercq. Cette association familiale Mulliez (AFM) est actionnaire majoritaire, entre autres

    de Flunch, Leroy Merlin, Midas, Auto5, Pimkie et 3suisses. Parmi les particularits de lAFM,

    signalons que les membres sont lis par un pacte dont un des articles interdit de vendre ses

    parts un tiers ne descendant pas en ligne directe de Louis Mulliez-Lestienne7. Avec un

    chiffre daffaires de plus de 70 milliards, lassociation reprsente le numro 12 mondial de la

    distribution. A lui seul, Grard Mulliez se classe actuellement 2me

    plus grande fortune de

    France, juste derrire Bernard Arnault.

    Le succs de lenseigne Dcathlon fut rapidement au rendez-vous, si bien quen

    quelques annes, plusieurs structures se sont ouvertes ci et l dans lhexagone. En 1986,

    plusieurs magasins voient le jour dans diffrents pays europens. Cette mme anne,

    lentreprise Dcathlon ne soccupe plus uniquement de la distribution. Elle prend galement

    5 Les informations historiques et chiffres que nous prsentons ici proviennent du site internet du groupe www.oxylane.fr

    6Olivier Devillard et Dominique Rey, Culture d'entreprise : un actif stratgique, Efficacit et performance

    collective, Paris, Dunod, 2008, p. 14.

    7 Ibid.

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    en charge la production des produits quelle met en vente, de la conceptualisation la

    ralisation. Crant ainsi depuis lAsie ses marques maison, les marques passions *8, qui

    cohabitent dans les magasins de lenseigne au ct des grandes marques internationales.

    Aujourdhui une vingtaine de ces marques passions ont vu le jour: Quechua pour la

    randonne, Tribord pour les sports deau et Domyos pour le fitness tant les plus connues.

    En 2008, le nom du groupe Dcathlon est abandonn pour Oxylane. Une contraction

    entre les mots oxygne et lane, sentier en anglais. Cette nouvelle dnomination est choisie

    dabord pour favoriser une ouverture dans les marchs des pays anglo-saxons, ensuite parce

    que le groupe, stant lanc dans dautres activits, ne se rsume plus uniquement aux

    magasins Dcathlon. Le groupe Oxylane comprend galement, en effet, parmi les plus

    connus : Ataos, pour la vente de matriel sportif doccasion, Koodza, pour la distribution des

    marques passions prix rduits et Dcapro pour la vente de matriel aux professionnels. Cette

    mme anne, Yves Claude devient le directeur gnral du groupe. Michel Leclercq conserve,

    lui, sa position de prsident jusquen 2009, date laquelle son fils, Olivier Leclercq, lui

    succde. Le 22 juin 2012, Mathieu Leclercq remplace son frre la tte de la socit.

    Sur la page daccueil de son site internet destin aux collaborateurs et aux entreprises

    partenaires, le groupe Oxylane se prsente comme suit.

    Dans les entreprises du rseau Oxylane, nous avons plac dlibrment l'Homme au cur, que ce soit :

    - Le collaborateur, premire richesse de nos entreprises

    - L'utilisateur de nos produits ou le client de nos formes de vente

    - Le partenaire externe, fournisseur, collectivit ...

    - L'actionnaire

    Notre promesse : que chacun soit satisfait et gagnant sur le long terme.

    Outre les diffrents points de vente et de conception darticles de sport que nous

    venons de passer en revue, depuis 2005, Dcathlon a galement cr sa propre fondation, qui

    porte son nom. Sa finalit, duquer et intgrer par le sport, dans diffrents pays o vivent et

    travaillent les collaborateurs de lentreprise .

    Aujourdhui, Oxylane emploie plus de 50.000 collaborateurs dans le monde, pour la

    conception, la production et la vente confondues de leurs produits. Pour 2011, avec une

    totalit de 700 magasins, son chiffre daffaires slevait 5.978 milliards deuros. Le capital

    8 Tout au long de ce mmoire, les termes suivis dun astrisque seront dfinis dans le glossaire figurant en fin douvrage.

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    du groupe est dtenu 43% par la famille Leclercq et 45% par la famille Mulliez. Depuis

    1985, le capital de Dcathlon, comme celui des autres grandes entreprises appartenant

    lassociation familiale Mulliez, est aussi ouvert aux salaris de lentreprise. Cette participation

    lactionnariat par les travailleurs de Dcathlon se fait via le fond Oxyval. Selon les comptes

    publis par lentreprise en 2011, les salaris sont actionnaires de 12% de lentreprise.

    Dans ce march de la distribution darticles de sport, deux groupes peuvent tre

    considrs comme les principaux concurrents de Dcathlon : Intersport et Gosport. Cependant,

    en Europe, Dcathlon demeure sur la plus haute marche du podium. En terme de stratgie

    marketing, Dcathlon se diffrencie de ses concurrents en misant sur des produits bon march

    et innovants9. Il dtient ainsi diffrents centres de recherche pour dvelopper ses propres

    marques de composantes. A elles seules, les marques maison du groupe reprsentent 80% du

    chiffre daffaires.

    1.2 Le site dAlleur

    Pour cette tude, nous nous sommes particulirement intresse lun des 14 magasins

    prsents en Belgique : celui dAlleur. Ce magasin situ dans la priphrie ligeoise, dans un

    zoning industriel et commercial comme la plupart des magasins de lenseigne, est le plus

    important de Wallonie tant en terme de superficie que de chiffre daffaires. Ouvert en 1997, il

    compte aujourdhui 120 travailleurs engags sous contrat dure indtermine (CDI).

    Cependant, l'effectif complet se compose gnralement de 170 280 personnes, selon les

    priodes de lanne. Depuis 2010, le directeur du magasin est Raphal Mathonet.

    9 Cette stratgie marketing est donne dans le documentaire de Jean-Christophe Portes, Magasin de sport fond la concurrence !, Dreamway Production, 2012.

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    1.3 Dcathlon et moi

    Comme cela a t voqu dans lintroduction, nous avons eu loccasion de frquenter

    lentreprise Dcathlon de trs prs. De lintrieur. Avant desquisser cette exprience, prenons

    quelques accords syntaxiques pralables : afin de diffrencier plus aisment le Moi

    chercheur qui ralise cette recherche et le Moi dcathlonien , ayant travaill pour

    lentreprise durant une anne, le passage concernant le second sera crit la premire

    personne du singulier. Lusage du Nous de modestie sera remploy par la suite, lorsque

    nous reprendrons la position de chercheur.

    Lhistoire commence en octobre 2009. Aprs quelques semaines passes sur les bancs

    de luniversit, en premire anne de master, je dcide de mettre fin mon parcours scolaire,

    avec pour objectif de me lancer dfinitivement dans la vie active. Dans ce but, les journes

    suivantes sont consacres la mise en conformit administrative : remplir des documents pour

    lUniversit, le Forem ou encore la Maison de lemploi. Sur ma lance administrative, je

    dcide de minscrire dans une agence intrim, Lem. Ds le lendemain, lagence me contacte

    pour une mission , selon lexpression consacre au sein de lagence. Il sagit de distribuer

    aux clients des coupons de rduction durant 9 heures lentre de la grande surface Carrefour.

    Comme la mission se droule sans encombre, je suis reprise pour cette mme tche le

    lendemain. Cela ne reprsente videmment pas le boulot rv : htesse, debout toute la

    journe, entre deux portes, dans les courants dair froid doctobre. Cette mission signifie ainsi

    une entre plutt difficile dans le monde du travail.

    Le soir, en revenant de cette journe somme toute assez pnible, je reois le coup de fil

    dune opratrice de chez Lem. Elle mapprend que lagence intrim coopre rgulirement

    avec le magasin Dcathlon. Elle mexplique qu condition de lui envoyer assez rapidement

    mon CV, elle peut leur proposer ma candidature pour un poste de vendeur. Enfin, si je suis

    intresse, bien entendu. Comment aurais-je pu ne pas ltre ? En tant que cliente, je ctoyais

    rgulirement lenseigne. Javais dj eu loccasion dtre conseille par des vendeurs sur lun

    ou lautre produit et javais pu constater quen plus dtre sportifs, les travailleurs semblaient

    relativement jeunes. Afin de mettre toutes les chances de mon ct, le soir mme mon CV

    frachement mis jour est envoy. Lopratrice me rappelle ds le lendemain : je commence

    ma mission de deux jours chez Dcathlon, Alleur, le lundi matin.

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    Nous sommes deux intrimaires envoyes par lagence pour cette mission : il sagit de

    remplacer les racks* de chaque rayon. Dun mtal gris clair, ils doivent passer un gris fonc.

    Pas de gilet gris et bleu pour nous, puisque le client ne doit pas nous confondre avec lquipe

    de vendeurs sportifs. Durant deux journes entires, nous enlevons donc la marchandise

    prsente en rayon, dcrochons et empilons les anciens racks afin daccrocher les nouveaux aux

    grilles prvues cet effet. Une tche qui peut sembler pnible, puisque rptitive et trs

    physique, mais elle ne lest pas pour nous. Depuis deux ans, lautre intrimaire, ma collgue,

    peinait trouver un boulot mme en intrim. Quant moi, ma courte exprience

    professionnelle dcrite plus haut ntait pas des plus rjouissantes. Apparemment notre

    motivation est remarque. Avant notre dpart dfinitif , aprs les deux jours de mission, le

    responsable dun rayon, lunivers* chaussures de randonne, vient nous parler. Il manque de

    personnel pour lhiver, la grosse saison du rayon. Une place est pourvoir. Une seule. Nous

    devons le rencontrer en face face le lendemain dans laprs-midi.

    Je suis dtermine obtenir ce poste, ma collgue aussi. Malgr les liens qui

    commencent stablir entre deux personnes travaillant deux journes compltes cte cte,

    et qui, ntant pas intgres avec les travailleurs en gilet , ont tendance rester ensemble

    pendant lheure de table ou les pauses, nos parcours respectifs persistent dans un coin de nos

    ttes. Lors de lentretien dembauche, lorsque le responsable univers (RU*) me demande

    pourquoi moi plutt que lautre je mets en avant mon dynamisme et ma passion pour le sport.

    A lissue de lentretien, je suis slectionne et engage, toujours en tant quintrimaire, au sein

    de lquipe de chaussures de randonne.

    Ma tche se rsume principalement conserver un rayon bien rang, un facing*

    irrprochable , remettre des attaches aux paires de chaussures qui en sont dpourvues et

    dcharger le camion de marchandises. Les conseils clients sont rservs mes collgues,

    nayant, vu mon statut dintrimaire, reu aucune formation concernant les produits dispenss.

    Enthousiaste malgr tout, je mattelle cette tche durant 3 mois et demi temps plein (36

    heures par semaine), jusqu la fin des soldes de janvier. A partir de cette priode, le rayon

    ntant plus considr en grosse saison, plus aucun avenant concernant un supplment d'heures

    de travail ne peut tre accord. Les employs contrat dure indtermine (CDI) et dure

    dtermine (CDD) redescendent la base minimale pour laquelle ils ont t engags

  • 13

    contractuellement, principalement 9 ou 18 heures. Et forcment, il ne persiste aucune place

    disponible pour les intrimaires. Je quitte donc Alleur, un peu due, pour prendre un boulot

    de remplaante technicienne de surface dans une maison de repos.

    Deux semaines plus tard, je reois un appel tlphonique dune autre responsable de

    chez Dcathlon, celle de lunivers bain. Elle recherche un candidat pour un CDD de 36 heures

    par semaine pour effectuer la grosse saison au sein de son quipe. Aprs un nouvel entretien,

    je suis donc rembauche fin fvrier pour un contrat de 4 mois qui sera renouvel par la suite.

    Je vis avec beaucoup de fiert mon retour chez Dcathlon. Ds le dpt de mes effets

    personnels dans le vestiaire, je saisis que je fais prsent bel et bien partie de la communaut

    des Dcathloniens. Jai droit un casier avec mon nom/prnom et fonction. A cet gard, une

    collgue me conseille dacheter un cadenas dans le rayon pche, certains intrimaires

    profitant des pauses pour voler dans les vestiaires . Je nen fais rien, mais souris : je suis

    enfin introduite.

    Le rayon bain proposant des articles distincts de celui par lequel jtais passe

    prcdemment, les tches sont galement diffrentes, bien quaussi rptitives. Il sagit de

    dballer la marchandise et de cintrer les maillots et les bikinis. Cependant, je mpanouis dans

    cette tche. Principalement parce quayant reu une formation sur les produits, je peux

    prsent enfin conseiller les clients potentiels. Les nombreuses intrimaires, prsentes dans le

    rayon pour les semaines de grande affluence, me posent des questions, ce qui est, il faut

    lavouer, assez valorisant.

    Par ces quelques lignes, le lecteur aura pu se rendre compte que, dans mon entre au

    sein de l'entreprise Dcathlon, il ny avait aucune dmarche mthodologique lie une tude.

    Aucune volont dobserver mes semblables comme la fait Renaud de Sainsaulieu 10 en se

    faisant engager comme OS, ouvrier spcialis, dans une usine, ou comme Robert Linhart 11

    qui travailla la chane chez Citron. Malgr tout le respect et ladmiration que jai lgard

    de leur travail, mon intention ntait pas den faire autant, toutes proportions gardes. Il ne faut

    y voir aucune dmarche autre que celle dune jeune personne qui tente de gagner sa vie.

    Jusquen juillet, en tout cas. A partir de ce moment, le renouvellement de mon contrat

    10

    Renaud de Sainsaulieu, Lidentit au travail, Paris, Rfrences Acadmiques, Presse de Sciences po, 1988. 11

    Robert Linhart, Ltabli, Paris, Minuit, 1978.

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    approchant, je dois prendre une dcision : soit rester au moins 4 mois de plus, soit reprendre

    mes tudes l o je les avais laisses? Aprs mre rflexion et en dpit des conseils de mes

    collgues et responsables qui me soufflent quaprs mon troisime CDD suivra plus que

    certainement le Graal, le CDI, je choisis de reprendre mes tudes ds lanne acadmique

    suivante.

    A partir de ce moment, je dcide de mettre profit ma position particulire, la fois de

    Dcathlonienne et dtudiante en communication, pour mintresser la culture de

    lentreprise. Jouvre les yeux sur les diverses pratiques quotidiennes, sur ce qui y est dit,

    montr, suggr. Mais galement, et mon intrt principal est l, jobserve directement leffet

    que tous ces discours peuvent avoir sur mes collgues. A partir de ce moment, jadopte une

    position dobservation participante et ce durant mes 3 derniers mois de travail au sein de

    l'entreprise, jusqu la reprise des cours en octobre 2010. Cette mthode immanquablement

    riche sera dcrite dans la deuxime partie de ce mmoire concernant la mthodologie. Mais

    prcisons demble que cette approche radicalement diffrente ne s'est pas produite du jour au

    lendemain. J'ai connu, en effet, un parcours de maturation qui m'a amene adopter cette

    dmarche de chercheur.

    Durant ce parcours de maturation, un pisode particulier mrite dtre soulign. Bien

    quanecdotique, il suscite en moi pas mal dinterrogations et constituera, par la suite, une des

    principales motivations de ma recherche. Dans le courant du mois de mai, japprends, de la

    bouche de la principale intresse, que la dlgue syndicale FGTB du site se prpare quitter

    le groupe. Elle ne supporte plus lattitude de la direction son gard qui la dnigre par des

    mails envoys lensemble du personnel, ou encore, qui met en cause la dlgation du

    syndicat socialiste12

    par un affichage aux valves. Cette attitude ngative envers la dlgue a

    des consquences directes sur son quotidien dans lentreprise. Certains vendeurs sportifs

    regrettent quelle empoisonne le systme alors queux-mmes ne lui demandent rien. Cette

    dlgue minterroge sur mon envie de reprendre le flambeau (lorsque le dlgu syndical

    12 Je pense ici un cas prcis o la FGTB a revendiqu que les travailleurs soient rmunrs 200%, et non plus

    150%, lors des dmnagements des rayons effectus durant la nuit. La direction refuse cette hausse de

    salaire. Dans la foule, elle impose aux travailleurs de reprendre leur jour de rcupration dans la semaine

    suivant le dmnagement. Alors quauparavant, ce jour pouvait tre repris par le travailleur au moment de

    lanne qui lui convenait. La direction justifie cette dcision par lintervention hargneuse du syndicat.

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    dune entreprise quitte son emploi, on nattend pas les lections sociales suivantes sans

    dlgu. Celui ou celle qui le dsire peut reprendre cette place, en tant quintrimaire).

    Ayant une relle foi dans la pertinence du syndicat au sein dune entreprise, cette proposition

    me plat. Nanmoins comme expliqu plus haut, je quitte lentreprise quelques mois plus tard.

    Comme personne ne souhaite reprendre cette fonction, on fait appel en renfort la dlgue

    syndicale CGSLB du magasin de Lige centre-ville, qui depuis passe un jour par semaine sur

    le site dAlleur13.

    On voudrait spontanment se mettre au-dessus de la mle. Se persuader au regard

    dune situation quelconque de la vie, professionnelle ou non, que dans pareil cas, on aurait

    ragi d'une autre manire. On se convainc que notre personne nest pas catgorisable, ne

    pourrait entrer dans un moule. Cest en renonant cette volont spontane que jai abord les

    travailleurs de Dcathlon lors des entretiens. Cette position de vendeur sportif, je lai occupe :

    la personne qui cherchait un emploi, qui a tent de dmontrer quelle tait meilleure quune

    autre travailleuse pour tre reprise. Jai t satisfaite et reconnaissante envers lentreprise

    davoir t choisie, fire davoir un boulot dans une multinationale dynamique comme

    Dcathlon. Mais galement, fire de moi tenant des discours teints de bien sr, il y a du

    chmage, mais quand on le veut vraiment Je me suis surpasse dans les tches qui

    mtaient demandes, pour tenter dobtenir le contrat dure indtermine, au dtriment

    dautres collgues. Ai-je adhr et eu foi dans le systme Dcathlon ? Oui, dans une certaine

    mesure.

    Je lai voqu prcdemment, jai connu un parcours de maturation ponctu dpisodes

    qui mont permis de prendre un certain recul sur mon moi Dcathlonien , sur les valeurs

    auxquelles jai cru et sur lattitude que jai adopte pendant prs dun an. Boltanski,

    Ehrenberg et de Gaulejac, mes premires lectures thoriques concernant la prparation de ce

    mmoire, ont constitu, plus que quelques pas en arrire, lenlvement dfinitif de mon gilet

    symbolique. Ils mont permis de comprendre lorganisation, et par la suite, de dculpabiliser :

    javais t exactement celle que lorganisation souhaitait que je sois.

    13

    Malgr les lections sociales de mai 2012, faute de candidat, cette situation est reste inchange.

  • 16

    1.4 Bref historique du management

    Dans ce dernier chapitre de notre premire partie consacre, rappelons-le, la

    contextualisation de la problmatique, nous reviendrons rapidement sur les origines et

    lvolution du management, concernant particulirement la place attribue lhomme au sein

    de lorganisation, pour en arriver au management participatif. Puisque le management pratiqu

    au sein de Dcathlon relve de ce courant.

    Daprs la dfinition de Raymond-Alain Thitart, le management, cest laction ou

    lart ou la manire de conduire une organisation, de la diriger, de planifier son dveloppement,

    de la contrler. 14

    Dans toute entreprise, quimporte sa taille, son ge ou sa nationalit, pour

    parvenir aux objectifs, trois types de ressources sont mobiliss : les ressources financires, les

    ressources techniques et enfin les ressources humaines. Une simple recherche sur internet nous

    permet dapercevoir la nbulosit qui entoure le terme de management, parfois utilis

    indiffremment de celui de gestion. Gnralement, cependant, lorsque le terme de

    management est usit, il concerne la troisime ressource dont dispose lentreprise, les

    ressources humaines. Soulignons-le, cest dans ce sens que nous utiliserons le terme tout au

    long de ce mmoire.

    Le management nest pas une discipline qui observe et dcrit ce quelle voit au sein

    des organisations. Elle dicte des comportements pour tenter de parvenir des rsultats

    prdfinis. Il sagit donc bel et bien dune discipline normative et prescriptive, et non dune

    discipline constatative15

    . Par consquent, il existe une relation claire entre le discours prsent

    dans la littrature managriale et la pratique du management dans les organisations. De cette

    constatation rsulte la difficult de raliser une recherche sur une question concernant la

    communication managriale, sans retracer brivement lhistoire mme de la discipline et les

    courants qui lont traverse, afin de dduire de quels courants a pu sinspirer Dcathlon,

    lorganisation qui nous occupe.

    Nous nous inspirons, ici, de lhistorique que ralise Thitart16 dans le QSJ concernant

    le management. Communment, dans toute histoire du management, on saccorde dire que la

    14 Raymond-Alain Thitart, Le Management, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , 2003, p. 7. 15 Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, pp. 94-95. 16 Raymond-Alain Thitart, Le Management, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , 2003, pp. 10-24.

  • 17

    discipline trouve ses racines au dbut du XXe, avec Henri Fayol en France, Frederik Taylor et

    Henri Ford aux tats-Unis. Selon Fayol, les tches doivent tre spcialises afin quune

    expertise se dveloppe dans leur excution. Les oprations doivent tre standardises et

    demeurer sous la direction dun seul, unique responsable de la prise de dcision. Un acronyme

    rsume sa conception du management : PODC (Planifier-Organiser-Diriger-Contrler).

    Pour Taylor, et cela fut mis en pratique dans les usines Ford, la dcomposition et

    loptimisation des tches entranent un gain de temps non ngligeable. Le Fordisme introduit,

    lui, le travail la chane et lautomatisation du travail ouvrier. Louvrier devient une machine

    dont on attend rapidit et rendement grce des gestes trs rptitifs. Dans ces trois

    conceptions du management, on laisse peu de place louvrier en tant quhumain, sa

    subjectivit tant renvoye la sphre prive. La principale motivation du travailleur vient du

    salaire puisque, dans le cas du Fordisme et du Taylorisme, la rtribution dpend du rendement

    de lindividu. La hirarchie est fortement marque, chaque position dans lentreprise a un rle

    dfini qui lui est associ : la direction conoit et planifie des stratgies, les ouvriers les

    excutent.

    Quelques thoriciens, dans les annes 40, remettent en question cette faon de relguer

    lhumain au second plan dans lorganisation. Il sagit de lcole des relations humaines, porte

    ses dbuts principalement par Elton Mayo. A la suite dune srie dexpriences, il dmontre

    que le facteur humain doit tre prpondrant dans la recherche de productivit de lentreprise.

    Durant les dcennies 60-70, Henri Mintzberg mise, lui, sur une culture

    organisationnelle forte, sur un ensemble de valeurs, de reprsentations partages par les

    membres, ou, du moins, acceptables pour chacun deux. 17 Ces valeurs doivent dterminer un

    certain nombre dattitudes et de comportements des membres de lorganisation. Au final, cette

    culture organisationnelle lie les membres de lorganisation entre eux puisque ceux-ci partagent

    le mme socle de valeurs. Une implication personnelle des travailleurs est attendue, la

    subjectivit de la ressource humaine fait donc irruption dans le monde de lentreprise.

    Dans les annes 90, pour impliquer encore un peu plus le personnel dans son

    entreprise, il faut tenter de le motiver. Pour y parvenir, on va lui dmontrer que concernant son

    17

    Henri Mintzberg, The effective organization. Force and Form, pp. 19-36. Cit par Annie Cornet, Analyse

    conomique et sociale de lentreprise, Les ditions de lUniversit de Lige, 2011, p. 62.

  • 18

    travail, il a voix au chapitre. Cest la vocation du management participatif. Dans ce courant, le

    management se veut clairement antihirarchique afin de mettre en avant lgalit et les liberts

    individuelles. Il ne sagit plus de faire travailler louvrier en le menaant de sanction mais de

    mettre en place des lments qui lui inculqueront lenvie de raliser son travail. Les anciens

    chefs sont dsormais des animateurs qui essayent de faire adhrer leurs quipes aux objectifs

    des leaders. Afin de responsabiliser, on se concentre sur les rsultats individuels de chaque

    travailleur. Dans cette optique, tre engag dans lentreprise possde une dimension trs

    sduisante. Dune part, pour le dveloppement personnel, puisque de lautonomie est accorde

    au salari, il nest plus un simple excutant. Dautre part, parce que, grce son emploi, le

    travailleur sinvestit pour une ambition plus large : le projet de son entreprise. Ce qui peut

    constituer une relle motivation. Les matres mots des responsables dune entreprise se

    revendiquant du management participatif sont AMRD : animer et grer son groupe, le

    motiver, responsabiliser son personnel, tout en dlguant les responsabilits18

    .

    Si aujourdhui, en 2012, la littrature concernant la pratique quotidienne du

    management participatif est abondante, ses dbuts, deux livres ont particulirement favoris

    ce nouveau courant managrial : Lentreprise du troisime type et Le Prix de lexcellence. Le

    second, rdig par deux anciens collaborateurs de chez Mc Kinsey, Tom Peeters et Robert

    Waterman, fut un best-seller et est toujours considr comme une bible du management

    participatif. Dans ce livre, les auteurs font part de leurs observations au sein de 64 entreprises :

    les entreprises qui marchent ont recours aux mmes trucs pour sassurer que tous leurs

    employs adhrent leur systme de valeurs, leur culture ou sen vont. 19 Ils dgagent

    diffrentes techniques pour obtenir un service de qualit en exigeant une performance de

    lhomme moyen, une productivit par le personnel. 20

    Il nous faut constater, conscutivement ce bref historique du management, que la

    conception de la place accorder lhomme au sein de lentreprise, a radicalement chang.

    18 Grard Ouimet et Yves Dufour, Vivre et grer le changement ensemble ?, Revue Franaise de gestion n113, 1997.

    19 Thomas Peters et Robert Waterman, Le prix de lexcellence : les secrets des meilleures entreprises, Paris, Inter

    ditions, 1983, p. 18.

    20 Ibid.

  • 19

    Dun ouvrier dont son patron attendait autrefois quil excute les dcisions stratgiques

    manant de ses suprieurs, avec pour seule motivation le salaire de fin de mois, on attend

    prsent quil sengage pleinement dans son travail, et cela passe, notamment, par sa

    participation la prise de dcision. On attend de lui quil adhre la culture de lentreprise

    dans laquelle il va tre intgr. Ce changement de conception porte galement des

    consquences sur le type de rmunration : dun salaire fixe calcul sur base de barmes lis

    au statut, lge et lanciennet, on passe une rmunration plus individualise en fonction

    des rsultats, avec une forte tendance la distribution de primes individualises21

    . Ainsi, on

    passe un systme plus individualisant o seuls les meilleurs seront rcompenss. Un extrait

    tir de lintroduction du Prix de lexcellence nous semblait bien illustrer cette nouvelle

    conception de lhumain.

    Pour comprendre comment les meilleures entreprises russissent si bien susciter lenvie de sengager et dinnover rgulirement chez des dizaines, mme des centaines dindividus, il est indispensable de tenir compte de leur manire de traiter ces contradictions inhrentes la

    nature humaine.

    - Nous sommes tous des gocentriques lafft du moindre compliment et nous aimons gnralement nous considrer comme des gagnants.

    - Nous sommes ce que lenvironnement fait de nous, nous sommes sensibles aux rcompenses et aux punitions extrieures

    - Nous sommes aussi mens par lintrieur, auto-motiv. - Nous avons besoin de donner un sens notre vie et nous sommes prts faire beaucoup de

    sacrifices pour les institutions qui nous y aident. En mme temps nous avons besoin

    dindpendance, besoin davoir limpression que nous sommes matres de notre destine et de pouvoir nous distinguer.

    22

    A bien des gards, tant dans les trucs et astuces que les auteurs donnent pour motiver et

    impliquer les salaris, que dans la conception gnrale quils ont de lhomme, et donc du

    travailleur, il semble que Dcathlon se soit particulirement inspir du Prix de lexcellence et

    relve du courant quil a initi, le management participatif. Nous y reviendrons longuement

    par la suite dans la troisime partie de ce travail consacre lanalyse des pratiques de

    communication managriale dans lenseigne.

    21

    Annie Cornet, Analyse conomique et sociale de lentreprise, Les ditions de lUniversit de Lige, 2011, p. 94.

    22Thomas Peters et Robert Waterman, Le prix de lexcellence : les secrets des meilleures entreprises, Paris, Inter

    ditions, 1983, p. 75.

  • 20

    DEUXIEME PARTIE : Mthodologie

  • 21

    2.1 Introduction

    Cette seconde partie sera consacre lexposition et la justification des diffrentes

    mthodes utilises dans le cadre de cette recherche.

    Cette prsente analyse est ainsi consacre la communication managriale pratique

    chez Dcathlon. Cependant, le groupe possdant plus de 700 magasins travers le monde, il

    nous fallait dlimiter le terrain de notre recherche. Pour le choix du terrain dinvestigation,

    nous avons dcid dopter pour le site dAlleur puisque, comme nous y avions travaill, tant

    certaines de ses pratiques que ses diffrents acteurs commenaient nous tre familiers. Notre

    collecte de donnes empiriques sappuient sur de lobservation participante, des entretiens de

    travailleurs du site dAlleur et de lanalyse de diffrents documents internes de ce magasin. Si

    certains de ces documents sont communs lentiret du groupe Oxylane, dautres sont

    propres aux Dcathlons belges, dautres encore sont spcifiques Alleur. En toute rigueur

    scientifique, nous circonscrivons nos conclusions ce site particulier. Cela nquivaut

    cependant pas dire que notre analyse ne serait pas valable pour un autre Dcathlon. Il doit

    assurment exister une cohrence concernant la culture dentreprise entre Dcathlon France et

    Dcathlon Allemagne, par exemple. Certainement aussi entre celle du Dcathlon implant

    dans le centre de Moscou et celui de la priphrie de Shanga. Une cohrence, certes, mais

    comme nous le montre la littrature scientifique sur la gestion interculturelle en entreprise, la

    culture dentreprise dune mme socit va sadapter au pays ou la rgion dans laquelle elle

    dsire simplanter23. Notre recherche porte ainsi sur la communication managriale au sein du

    Dcathlon Alleur.

    Diffrents outils communicationnels composent notre objet danalyse. Des plus

    traditionnels comme le journal de lentreprise, La Moquette, et le journal du groupe Oxylane,

    Passion, aux autres publications que sont les newsletters ou les affiches, par exemple. Le

    projet de lentreprise, les formations, les consultations internes et les enqutes auprs des

    collaborateurs ont galement t analyss. La communication de recrutement, bien quelle soit

    cheval entre la communication interne et externe, a t aussi soumise examen. Tout comme

    23

    Le lecteur pourra consulter sur ce thme Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis, Jean-Franois Chanlat, Gestion

    en contexte interculturel. Approches, problmatiques, pratiques et plonges. Montral, Les presses de

    lUniversit Laval, 2008.

  • 22

    les divers vnements, ftes, assembles, challenges, auxquels sont convis les travailleurs.

    Pour cette recherche, nous dsirions tudier ces diverses techniques de communication et leur

    inscription dans une dmarche symbolique, idologique. Notre hypothse tant que cette

    communication joue un rle considrable pour faire adhrer le travailleur lentreprise, il nous

    fallait laborer une mthode qui permette de saisir la fois lapplication quotidienne de la

    communication, la dmarche identifier derrire celle-ci, mais galement lapproche du vcu

    des diffrents acteurs de notre terrain par rapport cette communication. Ces diffrentes

    approches se devaient donc dtre complmentaires.

    2.2 Lobservation participante

    Pour apprhender notre problmatique, plusieurs mthodes de travail ont t labores.

    Comme nous lavons voqu prcdemment, notre hypothse de dpart provient dune

    observation participante. Elle a t la premire mthode de rcolte dinformations. Cest donc

    le terrain qui a suscit notre questionnement, attis notre curiosit de chercheur. Sans pour

    autant avoir ralis une grille dobservation en tant que telle, instinctivement une srie de

    thmes nous ont intresss et ont attirs chaque jour notre attention durant ces trois mois.

    Principalement : lorganisation du travail (la division du travail, les formations, les entretiens

    et les valuations des travailleurs), les techniques de gestion des ressources humaines (GRH)

    (le type de contrat propos, le systme de rmunration qui lui est allou mais aussi, par

    exemple, les qualits des personnes embauches) et videmment la culture de lentreprise (les

    valeurs mises en avant, les rgles qui en dcoulent).

    Durant cette premire phase dexploration, plusieurs entretiens informels ont t

    raliss, sapparentant des discussions entre collgues. Quils aient lieu en salle de pause, le

    matin avant louverture des portes par le gardien de nuit ou aprs une formation, ces changes

    concernaient lorganisation des tches au quotidien, les manifestations festives de lentreprise

    ou encore les incidents du type avertissement de la direction ou licenciement qui pouvaient

    survenir. Si ces entretiens nont que peu de valeur pour la recherche scientifique, ils furent

    empreints dune grande richesse et sont en partie linitiative de cette recherche. videmment,

    durant ces trois mois dobservation participante, de par notre position de salarie de

    lentreprise, nous navions pas accs la prise de dcisions stratgiques, mais uniquement

  • 23

    leurs implications et leurs consquences sur la base, les vendeurs sportifs et les htesses de

    caisse. Cest partir de cette phase de terrain que se sont forges notre question de dpart et

    des pistes dexploration sur le sujet. Notre premire interrogation consiste se demander si la

    communication interne naurait pas pour unique vocation de rendre possible la vente darticles

    de sport, mais jouerait un rle prpondrant dans une politique dimplication et dadhsion des

    travailleurs aux valeurs de lentreprise. Ensuite, dautres questionnements sont venus

    complter notre rflexion : les travailleurs engags le sont-ils parce quils correspondent aux

    valeurs prnes par lentreprise ou celles-ci leurs sont-elles inculques par la suite ? Ou encore

    quelles sont les consquences dune culture dentreprise aussi puissante sur laction

    collective ?

    Lobservation participante constitua ainsi le point de dpart de ce mmoire. Le terrain

    ne fut pas par consquent, et contrairement la tendance gnrale des mmoires, un moyen de

    vrifier une problmatique dj bien tablie, mais linverse le commencement de notre

    rflexion, exploration et questionnement.

    2.3 Entretiens

    Une fois les premires questions de dpart souleves, le choix demployer une

    mthode qualitative sest assez rapidement impos. Il fallait, en effet, cerner la fois la

    communication interne formelle mais aussi informelle, et, surtout, saisir la dynamique

    complexe qui rgule linteraction entre le travailleur et lentreprise. Un tel sujet concernant la

    culture dune entreprise, les valeurs et surtout leffet produit sur les travailleurs, tait, semble-

    t-il, difficilement perceptible par une mthode statistique24

    ou une analyse de contenu seule.

    La premire, la mthode statistique permet de classer en fonction de catgories, mais quelles

    auraient t des catgories intressantes et non rductrices dans le cas de cette recherche

    concernant lengagement ?25 Nous dsirions saisir la culture de lentreprise comme un

    systme, avec diffrentes imbrications. La seconde, lanalyse de contenu des documents aurait

    24

    Notons toutefois que certains auteurs ont us de cette mthode statistique pour saisir la culture dentreprise voir par exemple, Geert Hofstede, Les diffrences culturelles dans le management, Paris, ditions dOrganisation, 1987.

    25 Michel de Certeau, Linvention du quotidien 1. Arts de faire, Introduction, Paris, Gallimard (1980) 1990, XXXV-

    LIII.

  • 24

    t, semble-t-il, incomplte. Effectivement, quelques affiches et articles de journaux mis

    part, nous navions ici que peu de donnes de base tablies. Cette mthode se concentrant sur

    les documents naurait, de plus, pu cerner lusage quen font les travailleurs qui ils sont

    destins. La finalit de la mthode qualitative pour laquelle nous avons opt tait dobtenir des

    informations plus fines et nuances concernant limplication des travailleurs, bien quelle ne

    puisse prtendre obtenir des rsultats gnralisables dautres contextes.

    Trois acteurs cls concerns par la communication managriale chez Dcathlon ont

    rapidement t identifis. En premier, le responsable de la communication et de la GRH qui

    traduit les objectifs de la direction en matire de culture dentreprise et de valeurs en

    dveloppant une stratgie et des outils managriaux. Dans un second temps, un responsable de

    rayon qui use concrtement des applications de management mises sa disposition. Pour

    approcher ces deux premiers acteurs nous avons choisi une mthode assez classique

    dentretiens semi-directifs. Principalement parce que la dure de lentretien tait fixe par ces

    responsables, de 20 30 minutes et que le choix de leur lieu de travail nous tait impos. En

    disposant de si peu de temps, dans un lieu qui, de prime abord, peut mal se prter la

    discussion, il sagissait donc daller directement lessentiel en pointant les sujets et les

    thmes prvus.

    Enfin, nous avons choisi daborder un dernier acteur : la base de lentreprise, tant les

    vendeurs sportifs que les htesses de caisse. Les travailleurs directement viss et touchs

    chaque jour par ces techniques de management. Pour ces derniers entretiens, nous avons choisi

    dutiliser la mthode dentretien comprhensif de Jean-Claude Kauffman26. Il sagit dune

    mthode dentretien non-directif qui sapparente une discussion o lenquteur laisse

    sexprimer librement lenqut. Si linterviewer pose, cependant, parfois des questions de fait,

    de sentiment, dopinion sur des problmes qui lintressent, il le fait en sefforant de ne pas

    rompre le discours spontan de linterview. Lessentiel de la mthode tant de provoquer une

    discussion riche, permettant daller plus en profondeur. Ces discours spontans possdent la

    particularit de dissimuler lessentiel dans les dtours et les biais de la conversation, dans les

    rats de la parole claire, dans les digressions incomprhensibles et les dngations troubles. 27

    26 Jean-Claude Kaufmann, Lentretien comprhensif, Paris, Armand Colin, 2007. 27 Op. cit. p. 20. De ce fait, nous avons, pour chacun des extraits prsents dans la partie suivante, conserv le langage oral.

  • 25

    Pratiquement, lentretien se droulait dans un lieu choisi par linterview hors de

    Dcathlon et durait entre soixante et nonante minutes. Aprs un bref dialogue d'introduction

    avec linterview, nous lui expliquions trs succinctement le thme de la recherche la

    communication managriale chez Dcathlon. Dans ce type dentretien, la premire question

    est particulirement importante puisquelle dtermine la suite de lentretien. Elle a pour

    objectif de mettre linterview en confiance. Dans notre cas, aprs avoir demand quel nom

    demprunt il souhaitait porter dans notre travail, ce qui le faisait sourire, tout en lui certifiant

    son anonymat, la premire question tait toujours similaire, pouvez-vous mexpliquer

    comment tes-vous arriv(e) chez Dcathlon ? Une demande assez simple afin de dtendre

    latmosphre, rassurer sur la difficult des questions, sans brusquer linterview. La suite de

    lentretien se rsume difficilement puisque chacun est particulier : lordre des thmes

    aborder ntait pas systmatiquement identique, les questions elles-mmes ne ltaient pas

    toujours. Tout se dcidait au gr de la conversation et au hasard des digressions. Nous

    disposions cependant bien dune grille dentretien constitue de thmes (le parcours

    professionnel, le mtier, les espoirs de carrire, les formations, lorganisation, les valeurs, les

    sentiments par rapport la firme, la convivialit, les rapports entre collgues et enfin

    limplication) qui servait de canevas afin de vrifier si tous les thmes prvus avaient bien t

    abords. Gnralement, dautres thmes intressants qui navaient pas t envisags

    surgissaient au fil de la discussion.

    Pour cette recherche, nous avons interview un chantillon de huit personnes

    travaillant dans lentreprise, bien que pour lentretien comprhensif le terme dinformateurs

    soit prfr celui dchantillon28. Dans une telle dmarche qualitative, lchantillon ne peut

    jamais prtendre tre reprsentatif, les rponses dpendant des personnes interviewes et du

    contexte dans lequel a eu lieu la discussion. Cependant, nous avons veill ce que cet

    chantillon ne prsente pas de dsquilibre manifeste, entre les sexes notamment. Ces

    travailleurs interviews nont pas t choisis au hasard. Demble nous avons mis de ct les

    travailleurs sous-traitants de lentreprise : quil sagisse du personnel dentretien, de

    gardiennage ou de livraison. Nous pensons que cette sous-traitance induit des consquences

    sur lorganisation de lentreprise et sur le sentiment dappartenance mais nous ne nous

    28Vous pouvez retrouver la retranscription intgrale de chacun des entretiens raliss, en annexe.

  • 26

    sommes intresse quaux travailleurs engags directement par Dcathlon. Ceci pour une

    raison simple, ces quipes de travailleurs sous-traitants, bien que prsents sur place temps

    plein, nont ni accs aux activits ni aux formations. De mme parmi les travailleurs de chez

    Dcathlon, nous avons nglig les intrimaires, pourtant nombreux au sein de lentreprise,

    simplement parce que lentreprise ne prend pas en charge leur formation, quils ne sont pas

    convis aux activits, et ne ralisent pas dentretiens individuels, etc. puisquils ne sont en

    principe pas l pour une priode durable. Nous navons pas non plus rencontr de travailleurs

    CDD travaillant dans lentreprise depuis moins de six mois, parce que ceux-ci ne sont pas

    convis aux activits comme le bilan de fin danne ou la participation aux valeurs Oxyval, la

    prise daction dans la socit.

    Il nous faut prciser que nous ne connaissions pas personnellement les interviews. Si

    certains avaient travaill durant la mme priode que nous, nous n'avions jamais sympathis

    avec la plupart d'entre eux. De plus, le turn-over, la rotation des travailleurs au sein de

    lentreprise se rvle tre assez important. Certains enquts sont ainsi arrivs alors que nous

    avions dj quitt lentreprise. Tous taient cependant prvenus que nous avions travaill pour

    leur employeur actuel. Cette prcision annonce pralablement nous permettait de ne pas

    systmatiquement interrompre la parole spontane de linterview qui aurait voulu donner des

    prcisions sur des termes plus techniques ou des expressions propres l'entreprise. Lenqut

    savait pertinemment quil sadressait un initi (do notre dcision, aprs avoir ralis les

    retranscriptions des divers entretiens, dinsrer un glossaire de termes utiliss chez Dcathlon).

    Afin dviter dventuelles rticences suite des pressions et menaces, relles ou

    supposes, de la direction, la prise de contact et les entretiens se droulaient dans un lieu

    extrieur au magasin. Dans cette mme optique, nous avons garanti lanonymat tous nos

    informateurs. Ainsi, pratiquement, les noms de chacun deux ont t modifis afin de garantir

    un maximum de discrtion.

  • 27

    Code29

    Genre Fonction Contrat

    RCFP Homme Responsable recrutement et

    frais de personnel. Adjoint du

    directeur. Responsable quipe

    caisse.

    CDI 36 heures

    GPCI Femme Responsable service client,

    gestion du personnel et

    communication interne

    CDI 30 heures

    Louise Femme Vendeuse sportive/ htesse de

    caisse

    CDI 12 heures

    Rose Femme Vendeuse sportive/ htesse de

    caisse

    CDI 36 heures

    Hugo Homme Vendeur sportif CDI 20 heures

    Emeline Femme Vendeuse sportive CDI 20 heures

    Guillaume Homme Vendeur sportif CDI 18 heures

    Isabelle Femme Vendeuse sportif/ htesse de

    caisse

    CDI 30 heures

    Nathan Homme Vendeur sportif CDI 30 heures

    Theresa Femme Vendeuse sportive CDD 12 heures

    2.4 Analyse des documents internes

    Avec pour objectif de complter nos propos et grce, tant notre observation

    participante qu ces entretiens, les documents de communication managriale dune demi-

    anne furent rcolts. Passion, le journal trimestriel interne de Dcathlon, La Moquette, le

    journal interne du site dAlleur et enfin les Newsletters envoyes par courrier aux salaris. Ces

    divers documents nous ont t fournis par les diffrents travailleurs enquts. Nous avons

    galement reu des documents plus confidentiels destins aux responsables de rayon,

    concernant notamment le recrutement.

    Dans cette optique, nous avons aussi analys certains discours provenant du site

    internet dOxylane, des publicits destines aux candidats potentiels au recrutement ainsi que

    le contenu des formations.

    29

    Chaque vendeur sportif a choisi son nom demprunt lors du dbut de lentretien.

  • 28

    2.5 Conclusion

    La principale difficult de ce mmoire fut sans conteste dlaborer une mthodologie

    approprie notre problmatique. Il nous fallait laborer une mthode pour saisir la

    communication managriale applique sur le site du Dcathlon Alleur et son inscription dans

    une dmarche symbolique. Pour ce faire, nous avons coupl deux mthodes : lanalyse des

    diffrents documents mis par les responsables de la communication du site et la ralisation

    dentretiens de diffrents acteurs. Cette investigation double nous permettait danalyser le

    discours, de recueillir le tmoignage des responsables de la communication qui les laborent,

    de ceux qui veillent son application et, enfin, de ceux qui y sont confronts quotidiennement.

    Cette approche qualitative nous a permis dobtenir des informations significatives afin

    dtudier limpact en matire de ressenti, dintriorisation et/ou de rappropriation par les

    travailleurs de la stratgie de communication de lentreprise.

  • 29

    TROISIEME PARTIE : Analyse

  • 30

    3.1 Introduction

    Cette troisime et dernire partie sera consacre lanalyse de la communication

    managriale pratique sur le site du Dcathlon Alleur. Afin de vrifier la vracit de

    lhypothse de ce mmoire, quatre points de vue seront confronts. Tout dabord,

    immanquablement, celui du chercheur, puisque nous observons partir des questions de

    dpart qui sont les ntres et que les analyses sont le fruit de notre interprtation, bien quelles

    soient argumentes et relies au terrain. Ensuite, le second point de vue sera celui de la

    communication managriale, par lintermdiaire des documents mis par les responsables de

    la gestion des ressources humaines, ainsi que des discours de ces mmes responsables rcolts

    lors des entretiens. En troisime lieu, celui des travailleurs de chez Dcathlon, par le biais de

    fragments dentretien.

    Prcdemment, nous disions que les techniques de management pratiques par

    Dcathlon provenaient dun courant appel le management participatif. Le livre Le Prix de

    lexcellence, abondamment cit par les auteurs de nouvelles techniques de gestion des

    ressources humaines, fait figure de bible du management participatif. Nous voquerons donc,

    ici, les ides dfendues par les partisans de ce courant et ce livre en sera la voix. Il constituera

    notre 4me

    point de vue.

    Nous procderons en faisant se rpondre les diffrents points de vue sur un mme

    thme la suite de quoi ils seront clairs par des outils tirs de nos lectures thoriques sur le

    sujet, et ce, afin de pouvoir donner sens nos dcouvertes laide de diffrents concepts

    analytiques. Pour donner plus de cohrence la confrontation des diffrents points de vue,

    nous crerons un personnage hypothtique, lambda. Il incarnera le cas gnral dun individu

    engag chez Dcathlon en tant que vendeur sportif. Ainsi nous le suivrons dans ses diverses

    rencontres successives avec lentreprise : de son entretien dembauche son intgration au

    sein dun rayon en passant par les formations quil sera amen suivre ou les challenges

    auxquels il participera. Soulignons-le, comme nous lavons vu dans lintroduction gnrale de

    ce mmoire, le propos nest pas ici que tous les salaris adhrent avec force Dcathlon.

    Lambda ne pourra ainsi tre considr comme la synthse de ce que pensent et sont tous les

    travailleurs de lenseigne. Il reprsentera davantage lidal-type dun individu se rvlant

    croire lorganisation.

  • 31

    3.2 Recrutement et slection

    Condition sine qua non dune intgration dans lentreprise, il faut y tre embauch. En

    termes de recrutement, Dcathlon utilise diffrents supports et canaux communicationnels.

    Des affiches dans le sas dentre des magasins invitent les personnes la recherche dun

    emploi dposer leur CV laccueil. Des journes danimation sont organises dans les

    hautes coles de commerce. Le job day HEC-ULg en constitue un bon exemple. Des

    cartes de visite sont distribues dans les salles de sport. Le rseau social Facebook est

    galement investi dannonces de lenseigne. Depuis le dbut de lanne 2011, Dcathlon

    Belgique a mis sur pied une prime de cooptation de 500 euros pour le travailleur qui conseille

    une personne de sa connaissance de postuler chez Dcathlon en tant que responsable

    logistique30

    . On entrevoit que le groupe possde deux stratgies de recrutement : la premire

    organise au niveau national destine la main duvre stratgique (manager, responsable

    logistique, etc.) et la seconde organise par les diffrents magasins pour les travailleurs de

    base de lenseigne (vendeur et htesse de caisse). Mais tant les ressources humaines de

    Dcathlon Belgique que le Dcathlon Alleur investissent diffrents canaux.

    Alleur, si le choix du type de profil recherch en fonction du rayon, de la saison et

    du budget disponible est laiss au responsable du recrutement et des frais de personnel du

    magasin, chaque responsable univers (RU*) prend la communication de son recrutement en

    main.

    Afin de recruter les meilleurs candidats, la communication de recrutement doit faire

    valoir une image motivante de lentreprise. Sur les consignes de recrutement (en plusieurs

    points) reues par chaque RU de chez Dcathlon, il est dailleurs stipul dans les points 6 et 7,

    Je rends Dcathlon dsirable en tant quemployeur, dans ma ville, mon pays, mon

    environnement. Je suis lambassadeur de Dcathlon pour attirer les meilleurs candidats, en

    commenant par les tudiants. 31

    Une journe de recrutement intitule Viens en short pour

    une embauche ! 32

    et le Sport, My Job tour 33

    sont exemplaires de cette image jeune

    30

    Annexe 1.

    31 Vous pouvez retrouver lentiret de ce document en annexe 2.

    32 Annexe 3.

    33 Annexe 4.

  • 32

    lambiance dcontracte que veut se donner lentreprise auprs des candidats potentiels.

    Malgr ces diverses dmarches de recrutement, aujourdhui au sein du magasin

    dAlleur, la majorit des embauches se fait partir de lespace recrutement du site internet de

    Dcathlon Entreprise34. Lambda, la recherche dun emploi, a surf sur cette page internet et

    y a trouv lannonce de recrutement pour lunivers cycle et le descriptif du profil du vendeur

    sportif : Vous tes sportif et passionn par le sport du rayon pour lequel vous postulez, vous

    aimez le contact client, vous avez le sens du service et l'esprit d'quipe : ce mtier est fait pour

    vous ! 35

    Dans cette mme optique de rendre lentreprise sduisante pour le candidat

    plusieurs tmoignages de travailleurs36

    , crits ou vidos, sont consultables sur le site.

    Sidentifiant au profil recherch, lambda a pu, par le biais de ce canal, faire parvenir son CV

    au responsable univers (RU) qui a publi lannonce.

    Parmi les CV quil a reus, le responsable de lunivers cycle a d faire un norme tri.

    Le CV de lambda a attir son attention, peut-tre grce ses centres dintrts37 et il la

    convoqu pour un entretien. Bien que le RU soit seul matre de la dcision finale concernant

    lembauche du candidat, ce dernier rencontrera galement le patron direct du RU qui dsire

    lembaucher. Cest ce quon appelle une validation n+1 .

    Quimporte le profil38 de vendeur parmi les quatre dfinis par la direction, quel est le

    type de personnes que recherche lentreprise ? A la lecture de lannonce, il semblerait que le

    sport soit un critre de recrutement chez Dcathlon, ce qui parat cohrent avec le

    34

    Interview GPCI, le 2avril 2012.

    35 Annexe 5.

    36 Annexe 6 et pour la vido www.recrutement.decathlon.fr/pages/vendeur-sportif.php

    37

    - -

    38 Interview RCFP (22 fvrier 2012).Quatre types de profils sont dtermins : Les potentiels court terme qui

    pourront un jour devenir responsables et en manifestent directement lenvie. Les potentiels long terme qui aprs avoir mri au sein de la socit pourront un jour devenir responsables. Les performers , personnes ne souhaitant pas ncessairement devenir RU mais en possdent toutes les qualits. Les stables , ceux qui viennent travailler par habitude, qui nont pas de relles ambitions de projet au sein de la socit et la socit nen a pas rellement pour eux non plus.

  • 33

    positionnement de lentreprise. Comme nous le montrent nos entretiens, lge est galement

    un des critres. Dailleurs, dans le cas du site que nous tudions, la moyenne dge des

    travailleurs est de 27 ans39. Pour la plupart des travailleurs de lenseigne, il sagit de leur

    entre dans la vie active, quils demeurent tudiants ou soient frachement sortis des tudes. La

    jeunesse serait un critre de slection pour les recruteurs de lenseigne afin de maintenir une

    image jeune et dynamique de lenseigne.

    Soyons honntes, on ne recrute que des jeunes Les plus de 30 ans cest rare. Car cest un groupe jeune et dynamique. Puis cest aussi un cercle sans fin, comme nos responsables sont jeunes, ce serait difficile pour eux danimer des plus de 40 ans. Cest plus facile quand cest le premier boulot dune personne et quils ont tout apprendre. Dailleurs un personne de plus de 30 ans aura peut-tre dj plus de mal couter les ordres dune personne plus jeune quelle, pourtant il le faut, cest son responsable. 40

    Il transparat galement de cet extrait dinterview, quune personne jeune postulant

    pour son premier emploi devrait adhrer plus facilement un systme parce quelle a

    gnralement moins de recul, daspiration ou de responsabilits prives ou familiales. Outre le

    critre de lge qui nest videmment pas mis publiquement en exergue, le site internet du

    groupe consacr au recrutement avance un autre argument dans larticle intitul une

    politique RH pleine de vitalit : Nos collaborateurs partagent le mme tat d'esprit o

    passion du sport, sens du service, vitalit, responsabilit et got du concret sont les valeurs

    essentielles. 41

    Effectivement, ds lentre sur la page de recrutement du groupe, une

    illustration montre un terrain de sport dessin gros traits, reliant les mots : vitalit,

    gnrosit, sincrit, responsabilit42

    . Plus loin, une page entire est consacre une

    description assez prcise de ces valeurs et qualits humaines recherches par le groupe. Elle

    explique plus en dtail leurs applications concrtes dans le quotidien du mtier.

    Nos valeurs. Vitalit : tre positif et dborder d'nergie. Comme les grands sportifs,

    toujours chercher progresser et faire voluer les choses. Aimer la cration et l'innovation

    est donc indispensable. Sincrit : tre transparent autant entre nous qu'avec nos

    fournisseurs et nos clients. C'est la base d'une entreprise cohrente. Responsabilit et

    Gnrosit : Chez Dcathlon, l'un ne va pas sans l'autre. tre gnreux dans nos actions

    39

    Interview de GPCI du site dAlleur, 2 avril 2012.

    40Interview dRCFP, le 22 fvrier 2012.

    41 Annexe 8.

    42 Annexe 9.

  • 34

    ncessite une attitude responsable. 43

    Ces valeurs prtablies conduisent slectionner des personnes dont les valeurs

    individuelles ne paraissent pas, au dpart, trop loignes de celles de lentreprise. Lorsque

    nous voquons cette facette du recrutement auprs de la RH, cette slection savre pleinement

    assume par la structure du groupe responsable de la gestion du personnel.

    On essaie clairement de les [les collaborateurs] faire adhrer notre esprit dentreprise et nos valeurs, a cest sr. Jai une personne que jai engage dernirement qui venait de chez Carrefour, donc licenciement suite une restructuration, machin, etc. Et une de mes hsitations

    sur le recrutement ctait est-ce quelle va russir se redonner une socit, parce quelle avait tout investi dans Carrefour, ctait sa vie. Et euh ben, jai constat quelle se relance dans les trucs. Elle adhre. Alors aprs on accroche ou on naccroche pas, parce que finalement a va avec nos valeurs ou pas.

    44

    On cherche clairement des gens qui pourront rentrer dans le moule Dcathlon. Sociables,

    souriants, dynamiques, vital, flexibles et sportifs [] Le rle des valeurs est de tracer une ligne de conduite. a permet au collaborateur dtre dirig dans son quotidien. 45

    Ici, les propos des responsables de recrutement du site rejoignent pleinement lide

    dveloppe par Bernard Floris : Le recrutement nest pas limit ladaptation technique

    dun profil un poste. Il recherche en mme temps le type dindividu qui sidentifiera le

    mieux la communaut et qui sera le moins source de conflits et de contestations. 46

    Lors de

    lentretien dembauche, le recruteur propose ainsi une batterie de situations hypothtiques au

    postulant, afin de dceler le candidat qui adhrera ces valeurs prnes par lentreprise. Plus

    que dadhrer, nous voyons dans lextrait dinterview ci-dessus que la responsable de la

    gestion du personnel attend du travailleur quil se donne lentreprise.

    Par le biais des discussions que nous avons entretenues avec les travailleurs, nous

    pouvons affirmer que la majeure partie des interviews connat les valeurs prnes par son

    entreprise. Certains identifient mme clairement ces valeurs comme tant, au quotidien,

    reprsentatives de la socit pour laquelle ils travaillent.

    43

    Annexe 10.

    44Interview de GPCI, le 2 avril 2012. Prcisons que pour chacun des extraits, il sagit dune retranscription fidle.

    Nous avons volontairement conserv le langage oral.

    45Interview dRCFP, le 22 fvrier 2012.

    46 Bernard Floris, La communication managriale : la modernisation symbolique des entreprises, Grenoble, PUG,

    1996, p. 106.

  • 35

    Mais conseiller sur des choses qui leur sont utiles, sinon je ne vends pas. Cest a qui est bien chez Dcathlon, cest quon est honnte. 47

    Une autre enqute remet, cependant, en question cette valeur de sincrit prne par

    son employeur, en dclarant, deux reprises lors de lentretien, quau point de vue du

    recrutement, de la rotation des travailleurs, cette valeur revendique tait quelque peu mise

    mal. Mais lorsque, suite cette affirmation, nous lui demandons do provient selon elle ce

    manque de sincrit, elle voque des pommes pourries 48

    , entendez des personnes haut

    places dans lentreprise qui dgradent le systme. Elle rejette ainsi la responsabilit sur une

    personne en particulier, voire plusieurs, mais en ne remettant pas en cause le systme lui-

    mme (de recrutement notamment). Nous reviendrons sur cet extrait par la suite, lorsque nous

    voquerons les forces du systme, et les lments qui, plus que le maintenir, le renforcent.

    Ainsi en guise de conclusion concernant le recrutement, nous retenons que Dcathlon

    tente dattirer les candidats potentiels en valorisant limage de lentreprise. Elle slectionne

    ensuite des individus jeunes, sportifs et partageant les valeurs de lentreprise. Les comptences

    techniques seules ne suffisent plus pour tre embauch. Dcathlon attend que lambda possde

    certaines qualits comportementales. Cest par cette internalisation des valeurs de

    lentreprise, cette intriorisation profonde des valeurs morales quelle [lentreprise] met en

    avant quest produite ladhsion au systme. 49

    3.3 Les formations

    Nous lavons vu, lors de lembauche, Dcathlon mise plutt sur un jeune sportif

    correspondant certaines valeurs, non sur son exprience dans la distribution, sur des savoir-

    tre, plus que sur des savoir-faire 50

    , comme la GRH aime le rpter, que ce soit sur leur

    site internet ou lors des entretiens que nous avons effectus. Une fois lambda recrut,

    lentreprise mise alors beaucoup sur les formations quil devra suivre dans les quelques

    47

    Interview de Louise, vendeuse sportive, le 22 dcembre 2011

    48 Interview de Rose, vendeuse sportive, le 28 dcembre 2011.

    49 Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, Le cot de lexcellence, Paris, ditions du Seuil, 2007, p. 120.

    50 Cette expression se retrouve notamment dans linterview de GPCI mais galement dans le texte de laffiche

    Viens en short pour un entretien dembauche (Annexe 3) que nous avons cit prcdemment.

  • 36

    premiers mois de son arrive afin dacqurir ce savoir-faire quil ne possde pas forcment

    lors son entre dans lentreprise.

    Si, en Belgique, il nexiste pas comme pour Dcathlon France, une priode de

    formation de plusieurs semaines dans un campus (ndlr : Villeneuve-dAscq) avant la prise de

    fonction, la filiale belge mise galement sur ses formations maison. Chaque nouveau

    collaborateur dispose dun plan dintgration o la formation nos mtiers prend une place

    majeure. Ce dveloppement des comptences se poursuit tout au long de votre carrire afin de

    sadapter vos souhaits. 51 peut-on lire sur une affiche dite par les ressources humaines.

    Chez Dcathlon, les plans de formations sont conus en 4 parties : la prise de fonction,

    lintgration, lapprentissage, les formations complmentaires. Ces formations prennent des

    aspects multiples. Lune concerne la scurit : le vendeur doit tre capable de faire face une

    vacuation rapide de la clientle ou un braquage, par exemple. Une autre formation concerne

    le linaire* : elle aide bien comprendre limplantation des produits dans le rayon. Une autre

    encore permet de connatre la gamme des articles proposs la vente dans son univers. Ces

    formations peuvent soit tre dispenses oralement par un des collaborateurs du site form pour

    loccasion, soit prendre la forme dun e-learning, cest--dire une formation suivie

    individuellement par lapprenti face un ordinateur. Une autre formation vise amliorer

    lefficacit relationnelle dans labord du client, afin de mieux apprhender ses besoins et ses

    requtes. Dautres formations sont encore dlivres au vendeur afin quil puisse renforcer le

    personnel de caisse en cas de grande affluence imprvue.

    Un document distribu aux travailleurs lors de chaque formation met en exergue les

    bienfaits des formations pour les clients, les collaborateurs et lentreprise. Ainsi, ces

    formations ont pour finalit, entre autres, pour le collaborateur de dvelopper sa confiance,

    de renforcer sa motivation, de dcupler son efficacit au travail et de dvelopper ses savoir-

    faire. 52

    Elles permettent ainsi Dcathlon de contribuer la performance de lentreprise

    par le dveloppement de ses collaborateurs, daccompagner linternationalisation et la

    croissance du groupe et de porter le sens et les valeurs du groupe. 53

    Lobjectif de ces

    51

    Annexe 11.

    52 Annexe 12.

    53 Ibid.

  • 37

    formations serait ainsi de mettre le vendeur plus laise dans son mtier au quotidien, afin

    quil samliore dans son mtier de vendeur, augmentant ainsi les chances de profit du

    magasin.

    Le sociologue Michel De Coster souligne un autre aspect de ces formations. Selon lui,

    puisque les qualifications des travailleurs sont relativement faibles lors du recrutement, de

    telles formations donnes par lorganisation rendent le travailleur dpendant de son

    entreprise54

    . Effectivement, les comptences que le travailleur acquiert par les formations

    fournies par Dcathlon seront difficilement valorisables dans un autre emploi, mme de

    grande distribution. Nous ajouterons que ces formations, notamment la formation dhtesse de

    caisse, permettent une plus grande rotation entre les divers postes de lentreprise. Elles

    assurent ainsi une mobilit interne plus importante et permettent de faire face lengorgement

    des caisses.

    Parmi le panel de formations dispenses, arrtons-nous plus longuement sur la

    dnomme Valeurs et volonts du magasin . Celle-ci est propose durant une demi-journe

    lors des trois premiers mois au sein de lentreprise, tous les CDD vendeurs et htesses de

    caisses. Une formation acclre de deux heures est aussi dlivre aux tudiants.

    Contrairement aux autres formations donnes par des collaborateurs du site, forms cet effet,

    cette dernire est exclusivement assume par les directeurs (directeur du magasin, directeur

    Belgique, voire directeur Benelux, selon les disponibilits). Comme son nom lvoque, elle a

    pour finalit de prsenter la vision et les objectifs du groupe. Regardons son contenu, en

    analysant pour cela, la vido montre pour loccasion tous les collaborateurs55.

    Celle-ci permet dabord de rappeler les valeurs, cites ci-dessus, de chez Dcathlon.

    Les apprenants ont dailleurs le devoir de descendre en magasin et dinterviewer des

    collaborateurs chevronns sur les trois valeurs prnes par le magasin. Cette dmarche agace

    bon nombre de collaborateurs, questionns ou interrogs qui se sentent valus. Cette mthode

    conduit reverbaliser les valeurs de la socit. Pour le collaborateur chevronn, il ne sagit pas

    seulement dune valuation mais aussi dune occasion o il est pouss par la pression sociale

    de lentreprise devoir montrer lexemple aux no-arrivants. En raffirmant ces valeurs, il

    54

    Michel De Coster, Sociologie du travail et gestion du personnel, Bruxelles, ditions Labor, 1987, p. 227. 55

    Annexe 13.

  • 38

    atteste son appartenance la communaut des Dcathloniens. Cette valuation devrait

    permettre de renforcer la mmorisation de ces valeurs, tant chez le vendeur chevronn que

    chez le nouveau collaborateur. Pour ce dernier, cela lui donne une occasion de les entendre

    nouveau, ce qui instille une ambiance de communaut autour des valeurs de lentreprise. Lun

    dans lautre, cela provoque un renforcement de lintriorisation de ces valeurs.

    Mais, durant cette formation, les directeurs/formateurs ont galement loccasion de

    prsenter les objectifs dexpansion de lenseigne, un an, trois ans et cinq ans. Ainsi par cette

    formation, lambda sera mis au parfum du nouveau projet long terme de Dcathlon, de cinq

    dix ans : le Dcathlove. Un projet labor par les diffrents dirigeants de Dcathlon

    europens.

    Les grandes lignes du Dcathlove, c'est qu'on voudrait pouvoir crer une marque laquelle le client peut s'identifier. Alors ce nest pas un projet un an, c'est beaucoup plus ambitieux. On demandait aux collaborateurs une des marques passions, une marque qui t'atteint dans ton

    quotidien. Alors certains sortaient Nike sils se rfraient du sport. D'autres disaient aussi moi c'est Nutella, parce que quand j'tais petit je faisais mes tartines avec du Nutella. Nutella c'est vraiment une marque que j'aime bien depuis toujours. Pourquoi ? Parce que a te rappelle l'enfance, parce que a a une histoire, parce que a te raccroche quelque chose etc. A une

    personne si on pense Apple. A des sensations, un vcu. Et donc on voudrait devenir une

    marque de rfrence et Dcathlove c'est un peu a. Et c'est se dire voil on voudrait devenir une

    marque rfrente, ce qu'on appelle une lovebrand et travers diffrents moyens qu'on va mettre

    en place, travers les collaborateurs pour que eux sachent o on va. Et le but, c'est que nos

    clients adhrent a, pareil, sans s'en rendre compte, mais grce ce qu'on a mis en place. 56

    Les responsables de la communication interne de la multinationale semblent avoir

    parfaitement intgr lenseignement de la citation de Philippe Schewbig que nous reprenions

    dans lintroduction de ce mmoire, selon laquelle la qualit de la communication interne

    reprsente la condition premire de la qualit de la communication externe. 57

    Le

    collaborateur doit avoir intgr le projet, le Dcathlove, pour que lide se transmette auprs

    des nombreux clients du magasin. En survolant nos interviews, il se dgage un sentiment

    prgnant de rptition de la communication interne, lorsque le sujet Dcathlove a t abord58

    .

    Le but, cest que Dcathlon devienne une marque de rfrence, une marque prfre comme

    56

    Interview de GPCI, le 2 avril 2012.

    57 Philippe Schwebig, Les communications de lentreprise, Paris, Mac Graw-Hill, 1986.

    58Le projet Dcathlove nayant t communiqu quen janvier 2012, certains de nos entretiens avaient dj t

    raliss avant lannonce et lexplication du projet dlivres aux collaborateurs.

  • 39

    Coca ou Apple. Pour y parvenir, il faut que Dcathlon raconte une histoire au client. 59

    Le dfi cest que Dcathlon devienne une marque de rfrence comme Apple ou Coca. Et donc on doit tout faire chaque niveau de la socit pour que a russisse.

    60

    Il faut que Dcathlon touche le cur des gens. Quil fasse partie du quotidien. Que ce ne soit pas une socit pour faire du chiffre, mais une socit proche du client, qui simpose dans son quotidien. Que Dcathlon devienne un nom commun comme Apple. Enfin une marque de

    rfrence. Et pour toucher ce grand public, cest videmment nous les vendeurs qui devons le faire passer, puisque cest nous qui reprsentons le magasin pour les clients qui viennent. 61

    Dans ces trois courts extraits dinterview, nous trouvons un discours trs tudi, rpt

    et finalement intgr par les travailleurs interviews. Lobjectif Dcathlove a t

    pralablement dfini, et toutes les actions quotidiennes des travailleurs de lentreprise seront

    guides par cet objectif. Les travailleurs sont ainsi associs aux grands projets et objectifs

    long terme de lentreprise. Engager le travailleur collaborer personnellement la

    ralisation des objectifs de son organisation, cest lui faire quitter lanonymat de sa modestie

    pour lassocier la grande aventure entrepreneuriale, cest le dsaliner dune part, en

    finalisant son travail par un ajustement aux objectifs gnraux et, dautre part, en sintressant

    la progression de ses efforts et la qualit de ses ralisations.62

    La communication

    managriale du groupe insiste : les vendeurs et htesses de caisse sont les seuls pouvoir

    mettre cet objectif en place. Elle valorise ainsi ces deux mtiers de base. Les tches effectuer

    ne changent pas, mais limportance prte la fonction est motivante et enthousiasmante pour

    le personnel.

    Comme nous lavons vu, les formations dispenses chez Dcathlon ont pour objectif,

    dune part, daugmenter le profit de lentreprise, notamment en inculquant aux travailleurs des

    techniques de vente. Dautre part, ces formations internes vont permettre dasseoir lentreprise

    et ses valeurs en associant le travailleur aux diffrents objectifs fixs. [La formation interne

    vise] surtout unifier les mentalits de base des employs de lentreprise, afin de renforcer

    le processus dadhsion de chacun et de tous lorganisation, ses valeurs, sa mission, ses

    59

    Interview dRCFP, le 22 fvrier 2012.

    60 Interview dEmeline, vendeuse sportive, le 18 janvier 2012.

    61 Interview dIsabelle, vendeuse sportive, le 5 fvrier 2012.

    62 Michel De Coster, Sociologie du travail et gestion du personnel, Bruxelles, ditions Labor, 1987, p. 260.

  • 40

    objectifs. 63

    Dans le cas du dernier objectif mis en place, le projet Dcathlove, le management de la

    multinationale mise sur le storytelling64

    : la socit doit, pour conqurir le cur des

    collaborateurs et du public, raconter une histoire, son histoire. Nous lavons vu dans la

    premire partie de cette tude, lorsque nous nous sommes intresse lhistorique de

    lentreprise : dans les faits, Michel Leclercq cre le premier magasin Dcathlon en 1976 dans

    le nord de la France. Mais voyons, prsent, lhistoire que le groupe souhaite raconter.

    3.4 Michel Leclercq, la figure du leader

    Ce qu'il y a, c'est que Dcathlon a une histoire relativement jeune. Puisque le premier

    Dcathlon a t fond en 1976, donc c'est quand mme relativement jeune. Et a a t cr par

    quelquun vraiment qui y croyait, qui avait la passion, qui est toujours Michel Leclercq et qui est toujours quelquun d'actif mme sil a pris sa retraite [] Parce quil estime que c'est important qu'il fasse passer le voil pourquoi il a cr Dcathlon. Voil ce en quoi je croyais qui restent les valeurs de Dcathlon et les diffrentes manires de les mettre en place. Puis aprs se sont cres d'autres formes de vente, forcment on a volu avec le temps mais c'est lui

    qui continue donner la base. [] Cest une histoire enc


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