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La défense de la frontière des Alpes

La construction de la place forte résulte du contexte guerrier du règne de Louis XIV. En 1690, le duc de Savoie Victor-Amédée II, jusque-là allié de la France, entre dans la ligue d’Augsbourg, coalition regroupant de nom-breux pays européens opposés à Louis XIV et sa politique expansionniste. L’aspect religieux a également un rôle primordial. Depuis la ré-vocation de l’Edit de Nantes en 1685, nombre de puissances, protestantes mais également ca-tholiques, s’opposent à l’intolérance religieuse française.

Pendant l’été 1692, alors que Catinat, qui di-rige les troupes royales en Dauphiné, se concen-tre sur la défense de Pignerol (aujourd’hui en Italie), Victor-Amédée II attaque le Dauphiné par les cols de Larche puis de Vars. Après avoir ravagé Guillestre, Embrun, puis Gap, ses trou-pes, affaiblies par une épidémie de dysenterie, sont arrêtées par Catinat sur la route de Gre-noble, vers Corps. Craignant l’arrivée de l’hiver qui rendrait impossible son retour en Savoie, le duc décide alors de battre en retraite et repasse le col de Vars à la fin du mois de septembre 1692.

Louis XIV envoie aussitôt sur place son com-missaire général des fortifications, Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707), qui se trouvait pourtant à Namur, à des centaines de kilomètres de là. Celui-ci a pour mission la consolidation de « la frontière des Alpes » dont la vulnérabilité vient d’être démontrée par le duc de Savoie. Arrivé à Grenoble, il parcourt toutes les places militaires existantes et élabore de nombreux projets de perfectionnement et de modernisation. Il visite ainsi Fort-Barraux (Isère), Montmélian, Exilles (alors dans le royaume de France), Briançon, ou encore Em-brun. Fixé dans cette ville, il rédige également un projet pour Château-Queyras, dont la dé-fense médiévale (XIVe siècle) ne peut faire face aux évolutions considérables de l’armement. Il engage aussi la fortification d’un plateau in-hospitalier, sec et venté, appelé à l’époque le plateau des Millaures (aure signifiant vent en occitan alpin), qu’il rebaptise Mont-Dauphin, « nom qui conviendrait fort à Monseigneur et à la province dont il porte le nom »1.

Il décide d’y créer une place forte, ensemble défensif dont l’originalité est d’allier éléments militaires (fortifications, arsenal, poudrière, ca-sernes…) et civils (village). Cette particularité permet d’ailleurs de distinguer une place forte d’un fort, composé uniquement d’éléments mi-litaires, ainsi que d’une citadelle, qui n’est autre

Mont-Dauphin (Hautes-Alpes)De la place forte royale au monument historique

Le 22 octobre 2005, l’E.S.SO.R. visitait la place forte de Mont-Dauphin, construite sous le contrôle et sur les instructions de Vauban à partir de 1693. Pour tous les participants, mais aussi pour les absents, cet article a pour objectif premier d’étudier l’évolution de cet ensemble fortifié, de sa construction à nos jours. Édifié sous le règne de Louis XIV, il permet également d’aborder un type de commande royale particulier, directement lié à la protection du royaume.

1 Vincennes, Service Historique de l’Ar-mée de Terre, Section 8, article 1, Mont-Dauphin, carton 1, pièce 2, Vauban,

Description d’une montagne escarpée sur le confluent de la Durance et du Guil très propre

à bâtir une place, décembre 1692 ou janvier 1693.

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qu’un fort défendant une ville, comme par exemple la citadelle de Lille. Neuf des nom-breuses places fortes construites par Vauban ont été créées ex nihilo. Il s’agit de Mont-Dau-phin, Mont-Louis, Sarrelouis (Allemagne), Huningue, Longwy, Phalsbourg et Neuf-Bri-sach. Montroyal (Allemagne) et Fort-Louis (Bas-Rhin) ont été entièrement rasées.

Naissance de la place forte

Pourquoi Vauban décide-t-il de faire de ce plateau inhospitalier une clé du système défensif de la frontière ? Dans son premier rapport au roi, à la fin de l’année 1692, il expose plusieurs arguments. Le premier est évidemment lié à la position stratégique du plateau, au confluent du Guil et de la Durance, et au carrefour des vallées du Queyras, de Vars, de l’Embrunais et du Briançonnais, « dans lesquelles tombent toutes les autres, et généralement tous les che-mins petits et grands »2. De plus, le plateau est entouré de falaises aux trois quarts. L’ennemi ne peut donc attaquer que par le nord, face au village d’Eygliers, ce qui représente une écono-mie défensive considérable. Vauban explique aussi qu’il dispose de nombreux matériaux sur place, comme le bois et la pierre (calcaire griotte notamment - appelé localement « marbre rose » - mais aussi galets du Guil et de la Durance), ainsi que d’importants moyens de subsistance.

Le roi, comme chacun sait particulièrement intéressé par ces questions, passe de nombreu-ses heures à se faire lire les projets que lui envoie Vauban. Il approuve celui de Mont-Dauphin, et les crédits sont débloqués en mars 1693. Les travaux peuvent alors commencer. Plusieurs in-termédiaires sont nécessaires à leur bon déroule-ment. Richerand, directeur des fortifications du Dauphiné et de la Provence, contrôle les travaux et charge l’ingénieur Antoine de Robert de leur direction effective. Ces derniers sont en contact direct avec Vauban et Michel Le Peletier, direc-teur général des fortifications. On note aussi la présence de deux « entrepreneurs généraux des fortifications de Mont-Dauphin », Pierre Renc-

kens (ou Rankin) et Louis Anglart. A la suite d’une adjudication dont on ne connaît pas les clauses exactes, ils s’occupent de la réalisation de tous les travaux prévus en embauchant des sous-traitants expérimentés. Le travail de ces derniers est très réglementé. Le montant de leur paiement est fixé par-devant notaire, et ils s’en-gagent à utiliser des matériaux de qualité et à respecter les délais prévus. Notons que les deux tiers de ces maîtres d’œuvre viennent du Fau-ciny, une région où l’émigration des maçons est ancienne et courante. Selon André Golaz, ces ouvriers ont certainement participé à d’autres chantiers de ce type en France. Ils représentent une main d’œuvre qualifiée indispensable et peu nombreuse en Haut-Dauphiné.

Le front Nord (ou front d’Eygliers) étant, comme nous le savons, le plus exposé, sa réalisa-tion est prioritaire. En 1700, à l’occasion d’une deuxième et dernière visite à Mont-Dauphin, Vauban nous décrit précisément l’avancée des travaux3. Les éléments nécessaires à la défense de ce front sont alors presque tous en place. Plusieurs lignes se protègent mutuellement et retardent l’avancée de l’assiégeant. C’est l’éche-lonnement de la défense, un des grands princi-pes de Vauban. La ligne la plus proche du village est composée d’un bastion central (Royal noté 2) relié à deux demi-bastions (Dauphin noté 1 et Bourgogne noté 3) par des murs de cour-tine. Des canons balayant les fossés sont placés dans les flancs des bastions (A). Ainsi, chaque élément défend son voisin et réciproquement. Deux demi-lunes forment la deuxième ligne défensive (notées 42 et 43). Contrairement aux bastions, c’est l’artillerie légère qui intervient ici, grâce aux banquettes de tir bordant chaque demi-lune. Enfin, un chemin-couvert parsemé de traverses (B), protégeant les soldats des tirs de canon en enfilade, surveille le glacis, pente douce sans végétation. L’ennemi va avancer sur ce terrain, balayé par les tirs de la défense, caché dans des tranchées d’attaque qu’il doit creuser en zig-zag pour éviter là aussi les tirs en enfilade.

Ce type de système défensif, développé et généralisé par Vauban, est l’aboutissement de

2 Ibid.3 Vincennes, Service Historique de l’Ar-mée de Terre, Section 8, article 1, Mont-

Dauphin, carton 1, pièce 161, Vauban, Addition au projet de Mont-Dauphin, 9 septembre 1700.

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nombreuses réflexions d’ingénieurs italiens, hollandais, allemands et français depuis le mi-lieu du XVe siècle. L’apparition du boulet mé-tallique marque alors une évolution majeure de l’armement et remet en cause les principes de la défense médiévale. Les murs des châteaux forts ne peuvent résister à la puissance des canons.

Plusieurs solutions apparaissent au fil du temps. Nous n’évoquerons ici que les évolutions principales4. Tout d’abord, la terre devient un élément essentiel car elle permet d’amortir l’im-pact des boulets. On façonne donc d’énormes talus derrière les maçonneries. Ces dernières ne font que soutenir la terre. De même, la hau-teur de l’ensemble est abaissée : on enterre les éléments pour mieux les protéger. L’échelon-nement de la défense est également, on l’a vu, capital. Il faut épuiser l’ennemi, retarder l’heure où ses canons feront face à la dernière ligne de défense qui seule ne résistera que peu de temps à l’attaque. On remarque enfin l’apparition de nouveaux éléments, tels que les bastions. Le principe est simple : « la distance entre chaque ouvrage est calculée en fonction de la portée des canons, afin de permettre des tirs croisés ne laissant subsister aucun angle mort en avant des ouvrages »5.

En 1700 toujours, les principaux bâtiments militaires sont construits, ou commencés. Au nord-ouest sont installés parallèlement au rempart deux lieux de stockage essentiels : un

arsenal pour les armes (détruit en 1940 par un bombardement italien), et une poudrière (voir plan général en fin d’article). L’arsenal était un bâtiment massif de plan rectangulaire à deux niveaux. Logiquement, on entrepose l’artillerie lourde au rez-de-chaussée et les armes plus légè-res (fusils, munitions...) à l’étage. La poudrière est également composée de deux niveaux, per-mettant une capacité de stockage plus impor-tante. Elle est à demi enterrée et entourée de fossés. Ce dispositif devait limiter la puissance d’une éventuelle explosion. Grâce au fossé, le souffle serait alors plus vertical qu’horizontal, et donc moins destructeur. Pour éviter le moin-dre incident, le fer, métal conducteur qui peut provoquer une étincelle, est banni. Toutes les parties métalliques sont en bronze et les soldats doivent quitter leurs souliers ferrés à l’entrée pour chausser des sabots de bois. L’aération est aussi très importante, car l’humidité peut ren-dre la poudre inutilisable. Des ouvertures sont donc aménagées pour la circulation de l’air et au niveau inférieur elles sont montées en chica-ne pour éviter l’entrée d’un projectile. Ultime protection, l’édifice est relié à une citerne dont l’eau doit inonder la salle basse en cas d’atta-que, empêchant ainsi l’ennemi de récupérer les réserves de poudre.

Pour le logement de la troupe, deux caser-nes (aujourd’hui nommées Campana et Binot) sont construites proches du rempart, et donc

4 Pour plus de détails, voir : FAUCHER-RE Nicolas, Places fortes bastion du pouvoir, REMPART/Desclée de Brower, Paris, 1991 réed.

5 FAUCHERRE Nicolas, Places fortes bastion du pouvoir, REMPART/Desclée de Brower, Paris, 1991 réed., p. 19.

Front défensif Nord, état 1700

1 : Bastion Dauphin2 : Bastion Royal3 : Bastion Bourgogne

42 : Demi-lune de Berry43 : Demi-lune d’Anjou

A : Embrasures à canons, flanc du bastion B : Traverses

Schéma Lucas MONSAINGEON, février 2006.

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des postes de défense. En cette époque de nor-malisation, elles sont réalisées, comme l’arsenal et la poudrière, d’après un plan-type. Chaque bâtiment est composé de plusieurs cellules (sept pour Campana et cinq pour Binot) de quatre chambrées desservies par un escalier central6. Pour s’adapter au terrain en pente, les cellules de la caserne Binot ont été décalées verticalement. Le nombre de niveaux, comme celui des cellules, est variable. Ici, on en compte deux pour Cam-pana et trois pour Binot. En considérant qu’une chambrée accueille une douzaine d’hommes, la capacité de logement de chaque bâtiment est d’environ sept cents soldats7. Notons que d’après la théorie de Vauban, chaque caserne est liée à la défense d’un bastion. Ce principe est ici respecté, puisqu’on a deux casernes pour un bastion et deux demi-bastions.

L’état-ma-jor est logé à l’entrée Nord de la place. Un pavillon des Officiers et le logement du gouverneur, là encore de plan-type, sont en cours d’achève-ment en 1700.

Le village, i n d i s s o c i a -ble des éléments militaires, est également en construction. Vauban note qu’« il y a 20 ou 25 maisons de bourgeois de bâties ou qui se bâtissent »8. L’intérêt principal de la présence de civils est simple : empêcher la désertion ! La population est essentiellement composée de militaires et de leurs familles mais quelques ouvriers se sont installés, au grand bonheur des bourgeois des environs fiers de marier leur fille à un maître tailleur de pierre ou autre artisan reconnu. Petit à petit, d’autres corps de métiers se fixent à Mont-Dauphin, notamment des com-merçants. L’arrivée de la population nécessite la

mise en place de nouvelles infrastructures. L’ap-provisionnement en eau est une des priorités. Une source est captée dans la montagne voisine dominant Eygliers et acheminée vers la place par conduites souterraines. A la citerne reliée à la poudrière s’ajoute vers 1730 une deuxième citerne de plus grande capacité, construite à côté de la caserne Binot. Enfin, un aqueduc enjambant le fossé du bastion Royal vient com-pléter le dispositif vers 1760. Pour ce qui est des vivres, seuls les terrains reliant le plateau à Eygliers sont fertiles. Le commerce est donc un élément essentiel à la subsistance de la place. Remarquons aussi que des moulins, dont il ne reste plus de trace aujourd’hui, fonctionnaient au pied du roc, sur le front de la Durance.

En juillet 1700, la première pierre de l’égli-se, édifice indispensable à la garnison et aux civils, est bénie par l’aumônier et le cimetière est créé l’année suivante. L’église imaginée par Vauban est prévue grandiose, à la gloire de Louis XIV et de la foi catholique qui doit s’imposer fermement dans une région sensible au protestantisme. Les vallées du Queyras, de Dormillouse ou Freissinière, vallées vaudoises encore célèbres aujourd’hui, ne sont pas loin. Cependant, l’église ne sera jamais achevée et après la construction de l’abside et des murs

6 Cette disposition intérieure générale a été conservée pour la caserne Campana, devenue centre artisanal depuis 1980.

7 672 pour la caserne Campana et 720 pour Binot. 8 Vincennes, Service Historique de l’Ar-mée de Terre, Section 8, article 1, Mont-

Dauphin, carton 1, pièce 161, Vauban, Addition au projet de Mont-Dauphin, 9 septembre 1700.

La lunette d’Arçon : réduit de sûreté dans la gorge et banquettes de tirs au pourtour (décembre 2004),

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de la nef, elle est même démontée en partie au XIXe siècle pour construire des soutes à mu-nitions. Il ne reste aujourd’hui que le chœur, ce qui rend la visite de l’intérieur surprenante. L’édifice est plus large que long et plus haut que large. Le mobilier baroque en partie conservé est peu présenté mais l’autel en « marbre rose » (calcaire griotte) du début du XVIIIe siècle est en place et a été classé monument historique en 1969.

Les raisons du non-achèvement de l’église sont avant tout financières, liées à la crise économique de la fin du règne de Louis XIV. Toutefois, on peut également avancer une cause militaire. En 1713, le traité d’Utrecht met fin à la guerre de Succession d’Espagne. Le roi de France cède alors le Piémont en échange de la vallée de Barcelonnette. Le col de Vars cesse donc d’être une frontière, plaçant Mont-Dau-phin en deuxième ligne. Au même moment, Briançon devient une place majeure, toute pro-che de la nouvelle frontière du Montgenèvre. On se concentre donc sur la défense de Brian-çon et Mont-Dauphin devient un camp de repli et d’entraînement, relais de la première ligne.

1713-1870 : nouvelles fonctions, nouveaux aménagements

Bien que les crédits soient réduits, de nou-veaux aménagements voient le jour. La place doit pouvoir faire face à une attaque.

Les efforts se portent d’abord sur le per-fectionnement du front Nord. Dans les années 1710, on façonne la terre du glacis pour former un avant-chemin-couvert, nouvelle ceinture défensive. Cette solution n’est pourtant que provisoire. En 1700, Vauban prévoyait déjà la construction d’éléments maçonnés formant une réelle ligne de défense à l’avant. Une « lunette », demi-lune effilée, est réalisée en 1728, en pro-longement de la capitale (pointe) du bastion Royal. Le principe de défense reste identique à celui d’une demi-lune habituelle : des banquet-tes de tirs protègent les abords. En 1791, cette lunette est perfectionnée d’après les plans du général Le Michaud d’Arçon. Un réduit de sû-reté circulaire permettant des tirs à 360 degrés est construit dans la gorge de la demi-lune. Des casemates à feu de revers protègent le fossé à l’avant et une communication souterraine relie l’ensemble au front bastionné. Pour compléter la défense de ce front avancé, divers éléments sont construits sur les côtés (fronts du Guil et de la Durance) dans la première moitié du XIXe siècle (voir plan général).

Si le front Nord fait l’objet de nombreux projets, le reste de la place forte n’est pas oublié, notamment à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. En 1747, la bataille de l’Assietta en Piémont met en effervescence la frontière. De nombreux soldats viennent s’entraîner à Mont-Dauphin et beaucoup de blessés y sont soignés. La place assure alors pleinement ses nouvelles fonctions. L’ennemi ne parvenant pas à franchir la frontière, le danger s’éloigne assez rapidement. Pourtant, ces affrontements

9 Photographie reproduite dans : GOLAZ André et Odette, Notice his-

torique et descriptive sur Mont-Dauphin (Hautes-Alpes), Gap, Société d’Etudes des Hautes-Alpes, 1966.

L’église vers 1873, cliché anonyme9 et aujourd’hui (août 2005)

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ont montré la nécessité de créer de nouveaux équipements et de mettre la place « en état de défense ». Dès 1747, les ambitieux projets de l’ingénieur Heuriance prévoient la construc-tion de nombreux bâtiments, comme un nouvel arsenal, un hôpital ou de nouveaux logements pour officiers et soldats. L’arsenal est le premier réalisé. De 1751 à 1757, on construit perpendi-culairement à l’ancien arsenal un nouveau bâ-timent, aux proportions légèrement inférieures mais d’organisation générale identique. Notons toutefois que le plancher séparant les deux ni-veaux est ici remplacé par d’imposantes voûtes en anse de panier.

La construction d’un hôpital paraît égale-ment urgente. En 1747, c’est à la caserne Binot que l’on soigne les blessés. Les équipements sont alors très rudimentaires. Cependant, ce n’est que dans les années 1780 qu’un hôpital est construit, au bas de la rue principale.

Les projets de casernes d’Heuriance ne sont pas suivis d’effets mais l’idée d’accroître la capacité de logement de la troupe n’est pas pour autant abandonnée. Elle est intégrée à une autre préoccupation ma-jeure du XVIIIe siècle : le per-fectionnement du front Sud, ou front d’Embrun.

En effet, les falaises sont moins escarpées de ce côté-ci et dès 1700 on comprend la né-cessité de fortifier plus solide-

ment cette partie. Par ailleurs, la réalisation d’un second accès à la place, possible sur ce front, est essentielle. Outre l’intérêt stratégique évident, Vauban montre bien dans son rapport de 1700 comment une deuxième porte pourrait faciliter le commerce, ressource essentielle comme nous l’avons vu. La réalisation de ce front Sud est lente et reste inachevée aujourd’hui. A partir de 1750, une demi-lune est construite. Celle-ci devait être reliée à la nouvelle porte, achevée plus de vingt ans plus tard, mais le projet est abandonné, ce qui produit un curieux effet aujourd’hui. En effet, la route ne traverse pas la demi-lune comme pour le front Nord, mais la contourne. La réalisation majeure est sans dou-te la construction de la caserne Rochambeau, à partir des années 1765. L’édifice fait plus de 260 mètres de long et est intégré au rempart, ce qui explique sa forme complexe (voir plan général). Pour mieux résister à l’attaque, chaque cham-brée est voûtée. Le bâtiment ainsi consolidé de-vient « à l’épreuve ». Dans les années 1820, un étage de combles est créé et remplace les terras-ses couvrant à l’origine la caserne. Le capitaine Massillon opte pour l’emploi d’une charpente démontable dite « à la Philibert de l’Orme » qui a plusieurs avantages. Avant tout, elle permet de libérer l’espace et multiplie les fonctions pos-sibles des lieux qui ont pu être écuries, champ de manœuvres couvert ou simple entrepôt. Par ailleurs, les pièces de bois de faible longueur utilisées ici sont faciles à transporter et moins coûteuses que les matériaux habituels.

Voûtes en anse de panier, salle basse de l’arsenal (août 2005), cliché de l’auteur. Sculptures de Gérard Ducret.

La caserne Rochambeau. Charpente à la Philibert de l’Orme (octobre 2005), cliché Xavier de Jauréguiberry.

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Il est intéressant de noter que parallèlement à ce perfectionnement constant, le projet civil est un échec. Les vingt à vingt-cinq maisons mentionnées par Vauban en 1700 représentent la moitié du nombre actuel. Un pic de popula-tion est atteint au XIXe siècle avec près de trois cents habitants alors que Vauban imaginait en installer plus du triple, les maisons devant oc-cuper tout l’espace libre intérieur de la place. Aujourd’hui seuls cinq pâtés de maisons sont construits. Quatre cents ormes sont plantés au début du XIXe siècle pour combler les terrains du bas de la place, entre village et front Sud. Cette plantation devait aussi assainir l’air et créer un espace abrité du vent. Elle est égale-

ment une des principales curiosités de la place et vantée par les guides touristiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Mais avec la maladie de l’orme dans les années 1970 et surtout la sté-rilité du plateau, aucun arbre d’origine ne sub-siste et la diversification des essences (tilleuls et frênes notamment) ne suffit pas à pérenniser la plantation, qui requiert un entretien intensif permanent.

De la Défense à la Culture

Les années 1860-1870 sont un tournant majeur avec l’apparition de l’artillerie rayée.

Légende sommaire

1 : bastion Dauphin2 : bastion Royal3 : bastion Bourgogne42 : demi-lune de Berry43 : demi-lune d’Anjou64 : lunette d’Arçon

A : égliseD : pavillon de l’Horloge(logement du gouverneur)E : pavillon des OfficiersG : caserne des gardes Mobiles(ancien hôpital)H : caserne CampanaK : caserne Rochambeau

M : caserne BinotP : poudrièreQ : arsenalV : petite citerne reliée à la poudrièreX : grande citerne

II : rue Catinat

GOLAZ André et Odette, Notice historique et descrip-tive sur Mont-Dauphin (Hautes-Alpes), Gap, Société d’Etudes des Hautes-Alpes, 1966.

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La rayure hélicoïdale du canon imprime une rotation rapide au projectile et stabilise sa tra-jectoire. La portée et la précision des tirs en sont fortement améliorées. A Mont-Dauphin, l’ennemi peut maintenant attaquer la place des hauteurs voisines, ce qui était impensable jus-que-là. Plusieurs solutions sont apportées par les ingénieurs. Tout d’abord, la place s’équipe en artillerie rayée. Plusieurs batteries de canon sont réalisées, ainsi que les fameuses soutes à munitions construites avec les pierres de l’église démontée. En 1882, on recouvre la poudrière de plusieurs mètres de terre pour mieux la pro-téger, lui donnant son aspect actuel.

Malgré ces tentatives d’adaptation, la place forte devient obsolète. Pourtant, le départ des troupes est progressif. En 1938, une caserne des Gardes Mobiles est même construite au bas de la rue Catinat, à l’emplacement de l’ancien hô-pital tombant en ruine, mais la Seconde Guerre mondiale remet en cause l’installation des trou-pes. Après l’accueil ponctuel de militaires, no-tamment de rapatriés, il n’y a plus de garnison à partir des années 1950. Bien que les soldats ne soient plus hébergés sur place, Mont-Dauphin est resté un site d’entraînement militaire relati-vement important après cette date et ce jusque dans les années 1990 (stand de tir, saut en para-chutes, stages commandos etc.).

Parallèlement à cette démilitarisation, la place entre dans la sphère patrimoniale. A par-tir des années 1865, les premiers guides tou-ristiques recommandent la visite du site pour ses points de vue pittoresques ou sa plantation d’ormes. Certains édifices intéressent aussi les auteurs, comme l’église, la caserne Rocham-beau et sa charpente ou la lunette d’Arçon. Ces bâtiments sont d’ailleurs les premiers à devenir officiellement monuments historiques. Grâce à l’action du Syndicat d’Initiative du Queyras, première association de ce type dans le dépar-tement des Hautes-Alpes, l’église est classée en 1920. Suivent les inscriptions à l’Inventaire Supplémentaire de la caserne Rochambeau et de la lunette en 1929.

C’est en 1943 qu’est proposé pour la pre-mière fois le classement de l’ensemble au titre des monuments historiques. Mais le projet, trop ambitieux, n’aboutit qu’à l’inscription du

village et du rocher au titre des sites. Le dossier est relancé en 1958 par la Société d’Etudes des Hautes-Alpes, sans grand succès avant la pu-blication d’un « cri d’alarme » dans le Dauphiné Libéré du 28 juillet 1963. L’Armée accepte alors le déclassement militaire de la place - ce qu’elle avait refusé en 1958 -, officiel le 3 décembre 1965. Parallèlement, la procédure de classe-ment aboutit à un arrêté ministériel daté du 18 octobre 1966.

Dès le déclassement militaire, de nombreux projets de réutilisation voient le jour, le premier étant celui de l’installation d’un campus uni-versitaire sur l’ensemble du site. Cependant, l’Armée contrôle ces projets et en refuse la plu-part, comme celui de l’implantation d’une usine d’additifs antipolluants pour hydrocarbures. Elle ne se contente pas de recevoir les projets, elle en propose aussi. Ainsi, en 1974, le ministre de la Défense décide de céder la caserne Ro-chambeau au ministère de la Culture. C’est le début de longues négociations qui vont finale-ment concerner l’ensemble du site. Le ministère de la Culture hésite, se rétracte, puis finalement accepte le transfert d’une partie seulement de la place forte (fortifications, bâtiments militaires hormis les casernes Campana, Binot et des Gar-des Mobiles conservées par le service social de l’Armée), le reste revenant à la commune (pla-ces, rues, église) qui s’était quant à elle montrée très vite intéressée. Si le ministère de la Culture est propriétaire des principaux édifices de la place, ce sont les collectivités locales qui assu-rent leur gestion par la signature de plusieurs conventions. La commune de Mont-Dauphin et le Syndicat Intercommunal à Vocation Mixte (SIVOM) de Guillestre prennent également en charge l’animation des lieux, moyennant une aide financière de la Caisse Nationale des Mo-numents Historiques et des Sites (convention Ville d’Art et d’Histoire). De nombreux festi-vals et expositions sont organisés et le premier office de tourisme de Mont-Dauphin est créé. Cependant, les faibles ressources financières des collectivités locales et l’échec d’un impor-tant projet de Centre Européen d’Education à l’Environnement (CEEE), entraînent peu à peu la rupture des conventions signées. Le ministère de la Culture décide alors en 1994, en accord avec la Direction Régionale des Affaires Cultu-

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relles, de confier la gestion et l’animation de ses biens à la Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites, devenue le Centre des Monuments Nationaux en 2000. Après des débuts difficiles, la commune et le Centre des Monuments Nationaux travaillent aujourd’hui ensemble au projet de candidature au Patri-moine mondial de l’UNESCO, et surtout à la préparation du tricentenaire de la mort de Vau-ban en 2007. De nombreuses animations seront proposées à cette occasion et le musée Vauban installé dans l’arsenal entièrement réaménagé, où est notamment exposée la copie du plan-re-lief de Mont-Dauphin.

La naissance et l’évolution de la place forte de Mont-Dauphin, bâtie d’après les plans de Vauban pour Louis XIV à partir de 1693, ne peuvent être dissociées de la construction de la frontière des Alpes. Avant 1713 et le traité d’Utrecht, elle est une des principales clés du système défensif français, et doit être capable de faire face à une nouvelle invasion savoyarde par le col de Vars. A cette époque, elle est aussi une importante force de dissuasion. Elle devient ensuite un camp de repli et d’entraînement pour Briançon passée en première ligne, ce qui n’em-pêche pas un perfectionnement constant de sa défense. A l’intérieur des fortifications, le villa-ge ne s’est pas développé. Plusieurs arguments peuvent être avancés, comme le climat difficile du plateau, le peu de ressources qu’il apporte ou enfin la peur de l’attaque. La population vit presque exclusivement par et pour la garnison. Quand les dernières troupes quittent les lieux, le nombre d’habitants chute. Beaucoup se sou-viennent encore de l’ « hiver terrible », sans que

l’on sache vraiment s’il s’agit de l’hiver 1979-1980 ou 1980-1981. Cet hiver-là, vingt person-nes habitent en permanence à Mont-Dauphin. La patrimonialisation de la place forte dans les années 1980 tourne le site vers le tourisme culturel. Les Mont-dauphinois qui travaillent sur place sont toujours en grande majorité des commerçants, mais ce sont les touristes et non plus les soldats qui les font vivre. Les boulange-ries, boucheries, et autres commerces de village ont laissé place aux ateliers d’artisanat, bars et restaurants. Une centaine de personnes habi-tent aujourd’hui Mont-Dauphin à l’année, sans compter les nombreux résidents secondaires.

Anne-Gabrielle COURT

L’arsenal

Pavillon de l’Horloge

Rue Catinat


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