Transcript
Page 1: Olivier Demazet Silhouettes

Olivier DEMAZET

SILHOUETTES

(Poèmes et Thèmes)

1984

Page 2: Olivier Demazet Silhouettes

2

SILHOUETTES

Page 3: Olivier Demazet Silhouettes

3

Olivier DEMAZET

SILHOUETTES

POÈMES ET THÈMES

1984

Page 4: Olivier Demazet Silhouettes

4

Page 5: Olivier Demazet Silhouettes

5

Du même auteur :

Foi d’Animal (Paris 1978)

Histoire de dire (Bordeaux 1982)

Pages anthologiques (Paris, Brest, Chambéry, Tours,

Saint-Jean-de-Luz, Ariège, Toulouse, 1963-1983)

« Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux »

(Alphonse Allais).

N.B. : Tous ces textes sont purement imaginaires.

Page 6: Olivier Demazet Silhouettes

6

PRÉFACE

Se sont tus les grandes orgues épiques et les violons

lyriques du siècle dernier. S’éteignent à leur tour les trompettes

du Surréalisme transformées par certains en borborygmes. Et,

dans l’indifférence générale, les bredouillements hermétiques des

esthètes purs retournent à leur néant originel d’où les avaient

fait sortir pour un temps le parisianisme et le voyeurisme d’une

époque déboussolée.

La place est nette. Dès lors, peut apparaître une poésie

autre, originale quant à la forme et quant au fond.

Une poésie qui, n’hésitant pas à décevoir les fanatiques de

la rime (qui en ont vu bien d’autres !), les amants inconditionnels

de la symétrie, du bon ordre, du « bien dire » et du « dire bien »,

rejette le carcan d’un classicisme désuet, pour s’imposer ses

propres règles, souvent plus difficiles à respecter qu’une diérèse

artificielle ou un S impératif à la fin d’un vers.

Une poésie qui ne privilégie plus ni les sanglots à la lune,

ni le stoïcisme farouche, ni le marbre froid de l’Art pour l’Art,

mais se veut au contraire à la fois de son époque et de tous les

temps, et qui prétend trouver dans le quotidien de l’homme

d’aujourd’hui ce qui fait à la fois la grandeur et la faiblesse de

l’Homme de toujours.

De cette poésie à fleur de terre, à fleur à fleur, à fleur

d’Homme, Olivier Demazet est l’un des meilleurs représentants.

Avec un matériau le plus souvent peu fertile en éléments

purement poétique (« les poux », « Actes notariés »,

Polyclinique », « L’Avocate » »), il sait trouver la poésie là où on

ne s’attendrait pas à la voir apparaître et parvient, d’une

boutade ou d’un mot apparemment jeté en l’air, à nous émouvoir.

Page 7: Olivier Demazet Silhouettes

7

Sa virtuosité (mais je sais qu’il n’aimerai pas ce terme)

consiste à jouer avec les mots pour leur faire rendre leur

« substantifique moelle », tout en sachant s’arrêter à temps.

Enseignant, Olivier Demazet connaît la valeur des mots, il joue

avec eux, mais sans « se jouer » d’eux car, si bon manipulateur

de notre langue soit-on, ceux-ci finissent toujours par avoir ... le

dernier mot. Et notre poète sait éviter l’écueil. Les meilleurs de

ses textes supportent la comparaison avec ceux de ses illustres

devanciers Raymond Queneau ou Jean Tardieu.

Mais il ne s’agit pas là d’un jeu gratuit. On trouve souvent

sous cette apparente jonglerie une profondeur et un

« engagement » que ne désavoueraient pas des auteurs réputés

« sérieux ». En témoignant « Le drapeau », « Alerte », « Nature

morte », Un crétin » .

Remplacer le cri par un clin d’oeil, l’invective par un

haussement d’épaules, la diatribe par la dérision ; ajouter une

bonne dose de tendresse (« Le fou »), un brin de gauloiserie

(« Actes notariés »), une poignée d’images imprévues ; faire

mijoter le tout dans un bain de désinvolture et de fantaisie. Et

agiter d’une cadence tantôt émotive, tantôt légère, mais toujours

prenante. Telle est la « recette » qu’Olivier Demazet a eu le

bonheur de mettre au point, pour son propre plaisir et pour celui

de ses lecteurs.

Les voix (et les voies) de la poésie sont multiples et

variées. Et il es est bien ainsi. Aucune ne peut prétendre faire

l’unanimité. Mais, croyez-moi, celles que vous allez découvrir

dans ces « Silhouettes » sont le produit d’une inspiration

généreuse et d’une forme cachant, sous une feinte facilité, le

métier consommé d’un amoureux de notre langue, qui a résolu

pour le mieux le double problème de faire sourire tout en

donnant à penser, tout en demeurant clair.

Gilbert PATOUT,

Psychologue, Poète - Nîmes.

Page 8: Olivier Demazet Silhouettes

8

A Emmanuel Marteau (post mortem)

LE PEINTRE

Du fond du cœur de son pinceau,

plongé dans son âme en couleurs

un peintre peignait et repeignait

la ville de Paris

en promenade sur les rives de la Seine

Un clochard en chapeau hirsute

et godillant de la savate,

vint jeter son pavé

dans les ondes du peintre.

Tu n’aurais pas, dis ...

une cigarette ...

et puis ... une allumette ?

Et repartant,

ainsi qu’un tortillard,

il se remit jusqu'à six fois

sur cette même voie.

Tu consumes beaucoup,

dit le peintre.

Tu n’as donc pas d’amis ?

dit le clochard.

« Il n’y a que de petits sujets pour de petites âmes »

(Balzac)

Page 9: Olivier Demazet Silhouettes

9

LE FOU

Enfin, Quel est ce grand fou, monsieur ?

direz-vous. Non ! il est amoureux !

Font ses yeux resplendir le soleil,

sonnent, des étoiles, le réveil,

Et grandes ouvertes ses oreilles

sont à l’affût des chansons du ciel.

Sa vois résonne sur cette terre

et fait taire tous les cris du fer.

Sous chaque pas, doucement s’effacent

le sang, les pleurs qui pleuvaient des traces.

Il est, direz-vous, fous à lier, fou !

Non ! Amoureux, amoureux de tout !

LE MONTE EN L’AIR

A moi tout l’air,

à moi la mer,

à moi la terre

et l’univers !

Je suis le monte en l’air

qui vous a entr’ouvert

le coffret des bijoux

au salon des fous doux ...

N.B. : J’aime ces petites folies pas si folles.

Page 10: Olivier Demazet Silhouettes

10

Façon de parler ...

MONSIEUR MI

C’est Monsieur Mi qui chante en mi,

en mi mineur, car il n’est pas majeur.

Il parle à mi-voix et s’arrête à mi-chemin.

Il travaille à mi-temps

et reste toujours mi-figue, mi-raisin,

mi-fugue, mi raison.

C’est Monsieur Mi qui chante en mi,

en mi mineur, car il n’est pas majeur.

TORDU

Si tu as attendu pour être mordu,

tu n’as pas attendu pour être tordu.

En ce monde vendu, tout est distordu.

M’aurais-tu entend, sordide détendu ?

Tu t’es bien répandu, mais te voici tordu.

« Comme on lui avait dit que sa tête était son meilleur

capital, il alla la déposer en banque »

(Jacques Sternberg)

Page 11: Olivier Demazet Silhouettes

11

Aux fatigués, mais heureux

BLONDE

Il adora une égérie blonde

Il fantasma sur la clameur blonde

Il s’anima sur la marée blonde

Il écréma la secrète blonde

Il s’anima dans l’écume blonde

Il s’abîma dans la splendeur blonde

Il s’exclama O tempête blonde

Il sublima dans les senteurs blondes

VENDANGES

J’agrippe les grappes,

j’attrape la grippe.

La grippe m’étrique,

les grappes me traquent.

La saison déraisonne,

ma raison pamoisonne.

« Le chemin est si doux du plaisir au bonheur

(Musset)

Page 12: Olivier Demazet Silhouettes

12

Si tu ne veux pas la guerre,

prépare la paix

ASSOURDIS

Assourdis par les bruits

de bottes fières,

assourdis par les bruits

de guerre sotte,

écoutons,

les chants d’amour

des troubadours.

Nous, les ennemis,

nous, tous les amis !

UN OCCITAN

Un Occitan m’a dit :

L’Occitanie, dis,

sans la France, dis,

c’est les vacances, dis,

Mais la France, dis,

plus l’Occitanie, dis

c’est le Paradis.

PAR L’ÉPÉE

Sadate est mort à la hâte.

La paix s’endort par l’épée.

Page 13: Olivier Demazet Silhouettes

13

Cherchez dans le dictionnaire

L’EXPLICATION

Vous avez du malheur, des ennuis, des échecs.

On ne vous aime pas. On ne vous comprend pas

Vous avez vos raisons et des torts, à coup sûr.

Mais moi, je sais pourquoi. Voici l’explication.

Ou vous manquez d’argent, ou vous manquez d’appuis.

Ou vous manquez de chance, ou vous manquez de chien.

Ou vous manquez d’idées, ou vous manquez d’étoffe.

Ou vous manquez de tact, ou vous manquez de cœur.

FAINÉANT

Tire-ligne, Tire-lire.

Tire-bouchon. Tir au pigeon.

Tire au flanc. Fainéant

Prends ton dictionnaire.

« La vérité, fut-elle douloureuse, ne peut blesser que

pour guérir » (André Gide)

Page 14: Olivier Demazet Silhouettes

14

Aux Obscurs

ON VOUS TIRE

On vous tire à vue de nez ?

Debout les derniers nés !

On vous tire à bout portant ?

Debout les bien portants !

On vous tire comme des lapins ?

Debout comme des sapins !

On vous tire en plein cœur ?

Debout les vainqueurs !

La mort se tire sous votre tire-nez,

et sous vos tirs de pieds-de-nez.

QUI ?

Qui est-il ? Un poète ?

Un joueur de mots ? Un joueur d’idées ?

Un marchand de phrases ?

Un marchand de périphrases ?

Un écrivain ? Un homme vain ?

Un homme de lettre ?

Il est l’homme de l’être, de tous son être,

à l’esprit, à la lettre !

Page 15: Olivier Demazet Silhouettes

15

Malgré mon respect ...

LA PUCELLE LA NUIT

Un fêtard arpentant

la place d’Orléans

observa un moment

un noble monument :

la Pucelle à cheval,

statue sur piédestal.

L’ivrogne appareilla :

Il paraît qu’elle est belle !

Mais où dont est-elle ?

La jument ou la fille ?

O Pucelle O broutille !

LE CHEF DE TRAIN

Garde à vous !

hurla le chef de train

au corps de garde.

Gare à vous !

hurla le chef de gare

au corps du train

Page 16: Olivier Demazet Silhouettes

16

A Amnesty International

NOËL ! ...

NOËL ! Encore NOËL ! Toujours NOËL !

Vous n’y croyez plus ?

Vous ne vivez plus ?

Vous, mes amis,

sans foyer, ni amis,

sans âge, ni but,

sans nom, sans visage !

Vous, mes amis,

affamés, assoiffés,

embarbelés, enchaînés,

psychiatrisés, vitrifiés,

torturés, électrifiés,

assommés, étranglés,

embrigadés, fanatisés,

embastillés, fusillés,

pendus, meurtris !

Page 17: Olivier Demazet Silhouettes

17

Vous, mes amis,

qui souffrez d’une éternité sans éternité !

Vous, les vivants ! Vous, les jamais morts !

Croyez ! Vivez !

C’est NOËL ! Encore NOËL ! Enfin NOËL !

La force jaillie de l’Amour,

la joie surgie de l’Espérance !

NOËL renaît de votre souffle,

de votre encore et toujours vie.

Vous mes amis,

qui dominez la carcéralité

en respirant la liberté

au nom de l’humanité :

l’Univers vous comprend,

l’Univers vous accueille,

vous embrasse,

vous remercie.

EN UN PRINTEMPS

D’AMITIÉ ET DE LUCIDITÉ,

NOËL ENFIN NE TOMBERA PLUS

EN HIVER.

« La pyramide des martyrs obsède la terre » (René Char).

Page 18: Olivier Demazet Silhouettes

18

Aux victimes de l’idiotie

UNE QUÊTE

Pauvre bougnoule

sans nom ni renom,

pris dans la foule

du délire sans sourire.

On a fait ta conquête peu policée.

On a fait une enquête peu policière,

On a fait des requêtes peu judiciaires.

On a fait une quête un peu forcée

le jour de tes obsèques

pauvre métèque, sans amis, mon ami.

LES MOTS

Il joue avec les mots pour se jouer des sots

et lance des mottes aux sottes.

Il écrit des mottises pour bannir la bêtise.

Il se dit que les crocs dont se servent les sots

sont plutôt de la crotte pur dévotes.

« Vous les Occidentaux, vous avez beaucoup de

richesses, qu’en faites-vous ? » (Lech Walesa)

Page 19: Olivier Demazet Silhouettes

19

UNE ÉTOILE

Tu es aspirant, tu seras lieutenant,

capitaine ou commandant,

colonel ou général,

à deux, trois, quatre ou cinq étoiles,

Mais lui, ton camarade, vois-tu,

ne voyagera qu’en deuxième classe

dans le wagon des auxiliaires

restant au dépôt des réserves.

S’il s’était mis, me diras-tu,

à aspirer le feu des étoiles,

sans doute aurait-il fait des étincelles

à décrocher la belle étoile,

Il aurait scintillé, évidemment,

de toutes ses étoiles,

pour briller, certes, sur le monde,

et obscurcir, peut-être, le ciel d’autrui.

Il n’est pas né, hélas, sous la bonne étoile.

Sa vie n’aura été qu’une étoile filante.

Il reste, cependant, ton fidèle lieutenant

de première classe.

Page 20: Olivier Demazet Silhouettes

20

A une espèce rare

QUELQU’UN

Je connais bien quelqu’un

qui n’a rien et qui n’a

pas de tête pas de vue

pas de bouche pas de dents

pas de langue pas de lèvres

pas d’oreilles pas de nez

pas de bras pas de mains

pas de dos pas de taille

pas de panse pas de ventre

pas de jambes pas de pieds

pas de corps pas de cœur

pas d’amis pas de vie

Page 21: Olivier Demazet Silhouettes

21

L’effort paie

LE FANTÔME

C’est un scandale,

dit le fantôme

fort automne

et en sandales.

Je travaille à la chaîne :

Ce n’est plus la peine !

On m’a rayé,

je dois payer

de ma peau

un impôt

sur le revenu.

J’en suis revenu

des beaux esprits,

des partis pris,

des tables, rondes,

des sacrées sondes.

L’AIGLE FIN

Un aigle fin qui avait le nez fin

avait pris sur le fait

un aigre fin qui avait le bec fin

en train de voler du vinaigre de vin

au faîte

d’un nid d’aigle fin.

Page 22: Olivier Demazet Silhouettes

22

A tous les Prix Nobel anciens, actuels et futurs.

LE PRIX NOËL

Une nuit de Noël, un poète rêve qu’il est prophète.

A ce titre, on lui décerne tous les Prix Noël :

Pris Noël de Littérature

tout le reste n’est plus littérature.

Prix Noël de Physique

pour le triomphe de la culture physique.

Prix Noël d’Alchimie

pour combattre la guerre biochimique.

Prix Noël de Biologie

Fini, le règne des infiniment grands.

Prix Noël de Médecine

pour la découverte du remède miracle.

Prix Noël de Morale

pour l’amélioration de la race humaine

Prix Noël de la Paix,

Morte, la guerre aux hommes de mauvaise volonté,

Notre poète, qui s’est fait prophète, ne touche pas, certes,

un chèque croix de bois, mais un chèque auréoles

qu’il distribue tous les Noëls ...

Notre Prix Noël va nous faire croire au Père Noël.

« Demain est moins à découvrir qu’à inventer ».

(Gaston Berger).

Page 23: Olivier Demazet Silhouettes

23

Les chercheurs de petites bêtes, qu’ils se grattent !

LE SONDEUR-SOUDEUR

Un sondeur d’opinion se fit sonder,

histoire de se faire une opinion

par un soudeur sondé sans opinion.

Puis il donna son opinion :

« Je suis sondeur-soudé. C’est mon opinion.

Je la partage. Mais ce n’est pas l’opinion générale ».

Il se fit alors soudeur d’opinion

pour généraliser l’opinion sur le sondage

et la soudure.

FORMES

Des personnes bien en forme et uniformes

se garantissent l’honneur

et se vissent l’humeur.

Elles cotillonnent, picaillonnent.

Elles tatillonnent, tortillonnent,

sur les plages à visages

et à formes multiformes

sur les plages d’été de la mer endettée.

Page 24: Olivier Demazet Silhouettes

24

Bannir l’ennui « qui naquit un jour de l’uniformité »

L’AVOCATE

Un jour un gars visite un avocat pur son cas.

L’avocat est absent ... le jurisprudent !

L’épouse en douce attaqua le gars.

Mais attends ! Prends ton temps. Viens par ici !

Mais sapristi !

A mon avis, ils sont au lit ...

Une avocate si délicate fait attendre, sais comprendre

sait détendre et se défendre ...

Les clients sont friands.

YOGA

Oui, pratique mon gars, le yoga !

C’est pratique, raide garçon

pour la réflexion en colimaçon.

CHAPEAU

Quel beau château ! Coup de chapeau !

Mais pas de chapeau ? Coup de soleil !

Page 25: Olivier Demazet Silhouettes

25

Prophètes en leur pays

LA PALETTE

Le peintre se tarit comme une source.

L’huile se cancérigènise,

l’eau se pollue,

la gouache se bétonne,

l’aquarelle s’écoule en marée noire,

le couteau se nucléarise,

la brosse se vitrifie,

le modèle s’électrise.

Le peintre n’est plus à prendre avec des pinceaux.

Il circule en palette, la nuit,

pris de folie.

RÉPONSE

Un prêtre en aube blanche

sur le monde tut noir,

c’est plutôt gai à voir,

surtout par beau dimanche.

« Tous suspects, c’est le bon commencement » (Camus)

Page 26: Olivier Demazet Silhouettes

26

Aux modestes morts

SI UN JOUR

Si un jour nous partions,

nous n’irions pas étouffer dans les tentacules

des villes mouchetées d’H.L.M.

Nous aimerions fuir le luxe pierres belles,

marbres scintillants, granits granulants,

monuments imposants, écrasants

Nous aimerions fuir la lèpre grise et enfumée des murs.

quelle impression d’être condamnés à perpétuité,

plongés dans les concessions, dans les obsessions !

Nous choisirions la vie simple, la bohème

du village ancestral si accueillant et familial.

Une seule pièce avec une marche autour,

un jardin fleuri, une pelouse

un petit pied à terre à l’abri des indiscrets.

On viendrait parfois nous rendre visite,

on parlerait un bout, on parlerait de nous,

Nous pourrions recevoir des nouvelles toutes fraîches

du village et de toute la Terre.

Les jeunes chiens risqueraient la promenade.

Les chats se livreraient à leurs amours nocturnes

Les oiseaux des ifs siffleraient des romances.

Nous serions au soleil, au grand air,

sous la neige, la pluie, le vent.

La lune et les étoiles nous souriraient dans la pénombre.

Il en serait ainsi de toute notre vie

de repos sans éternité, - Ce serait un début,

une attente. Par suite, nous pourrions voir plus haut.

Page 27: Olivier Demazet Silhouettes

27

CARNET SCOLAIRE

Ne fait rien,

a tout à faire,

ne s’en fait pas,

ne sait rien faire,

refuse de faire face,

a peur de faire effort.

Aura beau faire,

n’a plus rien à faire ici.

Pourrait mieux faire,

mais pour quoi faire ?

MON BEAUJOLAIS

Mon Congolais est gris, il rit.

Mon Beaujolais, il l’a bu, tout son cru.

Page 28: Olivier Demazet Silhouettes

28

A Clément Benoît (1906-1980)

LE BRICOLEUR

Il bricole à toute heure, fignole avec ardeur.

Jours de fêtes, dimanches, il retrousse ses manches.

Tournevis et crayons, pinces, limes, marteaux :

Tout ustensile est bon, il n’est jamais trop tôt

pour découvrir la tâche, serrer le frein qui lâche,

voir la chaîne qui frotte, les roulements qui rotent.

Dès que le jour se lève, dès que la chambre crève,

réparons pour dimanche, dévissons-nous les hanches.

La porte à vérifier, le poste à vivifier,

le buffet à caler, une vitre à coller :

il s’agit là de son ordinaire, il n’en fait point mystère,

Regardez-le plutôt épanouir sa passion : vous verrez

un champion

Son piège à rats pour lui n’a rien d’une fiction !

La mort sans rémission !

C’est l’entrée, c’est l’appât, c’est un coup comme un joli

mot doux.

Quant à son dérailleur, on n’en voit pas ailleurs.

De nos jours, il travaille en douceur à un certain labeur ...

Mais, chut ! C’est un secret ! Il lime, il scie, il trace des

traits,

Toujours il cherche et crée son axiome à la craie.

Oh ! Ennuies perpétuels ! Mécanique infidèle !

Bah ! Jamais il n’enrage, toujours paisible et sage !

Posez-lui des questions sur ses occupations,

une réponse nette découvre l’homme honnête :

« Moi ? Me faire connaître ? J’ai assez de bien-être !

Je n’ai pas de commerce, simplement je m’exerce.

Je veux rester modeste et le temps fait le reste. »

Page 29: Olivier Demazet Silhouettes

29

Où est le pain ?

CHÔMAGE

Un chômeur en quête de travail,

consulte l’Agence Nationale pour l’Emploi.

Sur la porte d’entrée, porte de bois,

une pancarte l’avertit et l’assaille :

« personnel en chômage »

Dès lors, ce chômeur travaille en quêtant

devant l’Agence Nationale sans Emploi,

avec cette pancarte pour charte :

« s’adresser au quêteur ».

SCULPTEUR

Les sculpteurs sur bois,

les sculpteurs sur fer,

se privent de pain

au nom de la loi.

L’usine sur fer

leur a pris leur pain.

Page 30: Olivier Demazet Silhouettes

30

« Qui trop embrasse, mal étreint ».

LES FRICHES

Les riches fichent la paix aux chiches

quand les chiches se fichent du fric

des riches et se nichent dans les friches.

LE CHEF

Le chef de gare est cocu, mais mordu

pour une jolie garce.

Le voici chef de gare menant grand

train de vie.

Qu’il se garde, ce chef de gare, de

manquer le bon train.

FANTASQUE

Pars en repos de guerre.

Jette ton casque,

fantasque !

Attaque mes basques !

Mais tu es flasque !

Pas dispos au vivrier !

Page 31: Olivier Demazet Silhouettes

31

« Struggle for life »

TORTURES

Le torturé torture

la tortue qui torture

le tortionnaire

qui meurt en torsions

et contorsions du torse

et d’entorses.

C’est la torture

qui a tort.

GRIFFES ET CROCS

On n’en meurt pas de vivre entre chiens et chats.

Il reste toujours une petite place entre crocs et griffes,

pour défendre sa vie à coups de lame et de lime,

sur griffes et crocs.

Page 32: Olivier Demazet Silhouettes

32

Contre les sceptiques

LES ARCHIS

L’architecte archimillionnaire

dit à l’archiprêtre archiprêt :

Voici un projet archirévolutionnaire.

Nous allons construire un archiduc en archi-teck,

solide sur ses archiarches,

entre les îles de l’archpiel

des Archichapelles archipelées.

Nous y ferons transiter un train archicomble,

d’architocs, d’archimecs, d’archétypes,

d’archicrocs, d’archiarrivés, d’archiarrimés,

d’archiarythmés, d’archidiacres sans archet.

Le convoi irait s’archiabîmer dans les abysses.

Il ne remonterait pas à l’archiface,

suivant l’archisaint principe d’Archimède,

Il séjournerait dans l’archicosme

des Océans Antiarchaïque et Pacifique.

Nous aurions découvert, sans démarches,

l’archiremède archivisionnaire

nous permettant de vivre dans un monde

monarchique d’archifrères et d’archinoëls.

Page 33: Olivier Demazet Silhouettes

33

La bombe, il n’y a que ça de vrai.

LES POUX

Mon cousin Casse-Cou

vit dans un sac de poux.

Il a un de ces poux

surdoué parmi les poux,

fait pour chercher des poux

dans les fèves

et la sève.

Au prix où sont les poux,

ce poux gagne des sous

pour mon cousin Casse-Cou.

RÉSIGNATION

Bredouille !

Minable

tableau de chasse !

De la citrouille

à table !

Que voulez-vous que j’y fasse ?

Page 34: Olivier Demazet Silhouettes

34

Pourtant, « vieillir, c’est entreprendre quelque chose

de nouveau » (Joubert)

UN PIED DANS LA TOMBE

Il a un pied dans la tombe.

Où a-t-il mis l’autre pied ?

Il a boité sa vie durant.

Qu’a-t-il fait de ses mains ?

Ses mains sont tachées de sang.

Qu’a-t-il fait de ses doigts ?

Il n’en fit aucune œuvre.

Qu’a-t-il fait de son corps ?

Il a mangé la poule aux œufs d’or.

Qu’a-t-il fait de sa tête ?

Il a vécu sans tête.

Qu’a-t-il fait de sa bouche ?

Sa bouche a craché des injures.

Qu’a-t-il fait de son cœur ?

Son cœur n’a battu qu’un quart d’heure.

Qu’a-t-il fait de son âme ?

Il dit qu’il n’a pas d’âme.

Qu’a-t-il fait de sa vie ?

Il s’en est assouvi.

Qu’a-t-il fait de sa mort ?

Il en a fait de l’or.

Il avait pied dans la tombe.

Page 35: Olivier Demazet Silhouettes

35

Être seul plutôt seul que mal accompagné.

ILS S’OCCUPENT

De temps en temps,

un docteur médecin

part en tournée,

en visite.

Il s’occupe

des accouchements,

des auscultations.

Pendant ce temps,

son épouse a des seins

pas mal tournés

qui invitent.

Elle s’occupe

des attouchements,

des manutentions.

LES HABITANTS

Pourquoi les habitants

de la nouvelle ville dans la ville

ont-ils meilleure mine

que les autres Parisiens ?

C’est que les Parisiens

de leur ancienne ville dans la ville

font plutôt grise mine

de voir d’autres habitants.

Page 36: Olivier Demazet Silhouettes

36

A ceux qui cherchent

ENGAGEMENT

Il y a un cheminot qui s’engage

à toujours faire le beau,

à faire tout comme il faut.

Dans la Loterie Nationale, a-t-il tiré le bon numéro ?

Dans la Marine Nationale, sera-t-il lieutenant de

vaisseau ?

Dans la Gendarmerie Nationale, sera-t-il chef de bureau ?

Dans la Météo Nationale, repartira-t-il de zéro ?

Dans l’Éducation Nationale, tiendra-t-il un plumeau ?

Dans l’Agence Nationale fera-t-il des cadeaux ?

Dans la Télévision Nationale, comprendra-t-il les bons

mots ?

Dans le Théâtre national, y fera-t-il le beau ?

Et pourtant il s’engage

a toujours faire le beau,

à faire tout comme il faut.

LA RECRUE

Tant des crues ! L’eusses-tu cru ?

se dit tout cru, la vieille recrue soi-disante

Ma décrue ? Pas encore vue ?

Ma vie accrue ? Tu l’aurais su !

se dit tout cru, la vieille recrue bien pensante.

« Il avait acquis une si grande célérité que tous ces

rêves étaient retransmis en direct à la télévision »

(Jacques Sternberg)

Page 37: Olivier Demazet Silhouettes

37

Le feu désinfecte soi-disant les idées

TÊTES DE FER

Jeanne à son procès

fut prise d’accès

de christianité

devant quantités

de juges mort-nés

qui la questionnaient :

Croyez-vous en Dieu ?

Irez-vous aux Cieux ?

Vous brûlez, dit-elle,

mon âme à des ailes !

Êtes-vous sorcière ?

Ange de gouttière ?

S’inquiétèrent-ils

O prêtres futiles !

Le feu qui enflamme

la loi d’une femme

détruira l’enfer

des têtes de fer !

Page 38: Olivier Demazet Silhouettes

38

Aux non-reconnus : « Il n’y a pas de sot métiers,

il n’y a que de sottes gens ».

GAGNE-PAIN

Pour gagner son pain, un musicien

dut s’exercer à tous les métiers :

champion de luth, garde du cor de chasse gardée,

tambour-major à plumes sergent-major,

trompette de la renommée, sonneur de mâtines,

joueur de piston qui fait marcher la machine,

scieur de hautbois qui touche du bois,

joueur d’orgues de barbarie,

lanceur d’orgues chez Staline ...

Puis ce fut les grandes orgues, silences et syncopes.

On lui refusa du piston.

La boîte à musique n’embaucha plus et se tut.

Notre musicien vola alors une grosse caisse,

pour finir au violon où il fut battu sur mesure.

Les archers l’avaient arrêté en pleine fugue,

pour vagabondage et chômage.

ACCIDENT

Accident. Attroupement ...

Un facteur renversé : p eu important.

L’ordre des facteurs étant renversé,

aucun changement ne survient dans l’ordre

des facteurs, des médecins, des avocats.

Dans l’ordre moral - La morale est sauve.

Page 39: Olivier Demazet Silhouettes

39

Aux hypertrophiés.

POLYCLINIQUE

Il est sorti de Polyclinique,

bête à concours, être à recours,

roue de secours, montre à discours,

tout nanti de polyculture, de polyvalences,

de politesse polymorphe, polychrome

de polyèdres polygamiques polycopiés,

de polygones polyglottes et polyphasés.

Il a même fait le polichinelle

avec ses polytics polyphoniques.

Il vient de sortir de polyclinique.

L’HYPER

Il sortit hypertendu de l’hypermarché.

Il rentra chez lui en voiture hippomobile.

Alors il changea d’hypothèse hypothéquée.

« Je plains les gens qui n’ont que des idées claires »

(Pasteur)

Page 40: Olivier Demazet Silhouettes

40

Le geste auguste des marcheurs

LE VIEUX LOUP DE MER

Grandes marées de juin sur Paris ...

Navigue, chaloupe le vieux loup de mer

à contre-courant de la foule

et pourfendant la houle.

Il y a du vent dans les voiles.

Hardi le gars ! Va qui pourra !

Le vieux loup de mer est fauché :

plus rien à boire, plus rien à croire.

Il tend une main effrontée, assoiffée ...

Un marin d’eau douce vint à passer,

à la bouche un bonbon,

à la poche les gauloises vierges.

Interdiction de fumer, oui,

et en vertu de la loi conjugale.

Le marin d’eau douce déposa,

au passage, à l’abordage,

le paquet bleu casqué

dans la main statufiée

du vieux loup de mer indigné

qui crie qu’il n’a jamais fumé.

Page 41: Olivier Demazet Silhouettes

41

Plus jamais ...

LES PENDUS

Si vous habitiez quelque part sur la terre,

mais pourquoi dire la terre,

Si vous viviez parmi les hommes,

mais pourquoi dire les hommes,

Votre vie ne tiendrait plus qu’à un fil.

On vous prendrait en horreur

On vous interrogerait, vous culpabiliserait.

On vous jugerait, vous déjugerait.

Rien ne dépendrait plus de vous.

On vous pendrait sur la place

parmi la foule en délire.

Il se pourrait, qu’une fois pendu,

on vous rende les honneurs.

Vous auriez payé votre dette

à une société qui vous devait beaucoup

et à qui vous ne deviez rien.

Mais rien ne dépendrait plus de vous.

Il y aurait encore des pendus, comme vous, après vous.

« Rien n’est plus dangereux qu’une idée quand on

n’a qu’une idée ». (Alain). L’idée de tuer.

Page 42: Olivier Demazet Silhouettes

42

« Pour qui sont ces serpents ... ? »

QUE RESTE-T-IL ?

Le rouleur roulé, le voleur volé,

le violeur violé,

que reste-t-il à crouler,

en ces heurts et malheurs laids ?

L’enrôleur enrôlé ? L’enjôleur enjôlé ?

L’avaleur avalé ?

L’amuseur amusé ?

Ou alors, tout est usé.

PRESSION

Le bouton-pression

le mouton pression

la bière-pression

aurait-on l’impression

de vivre sous pression ?

Page 43: Olivier Demazet Silhouettes

43

Compter, c’est la santé

LES HOMMES-CHIFFRES

Je suis un homme d’affaires et m’occupe de chiffres

d’affaires.

Vos affaires ne m’intéressent pas. Vous êtes mon homme.

Mais c’est une affaire d’homme ! Je m’occupe d’affaires

de chiffres.

Vos chiffres m’intéressent. Vous êtes mon homme- chiffre.

VIRILITÉ

Par surtension pectorale,

en campagne électorale,

tous sortirent

amenuisés,

tout épuisés ...

Mais ils prirent

des tisanes

de banane.

Ils reprirent force,

bombèrent le torse

et exprimèrent

sur tous les airs

leur nouvelle devise

pour chasser la crise :

Vive la santé,

la virilité !

Page 44: Olivier Demazet Silhouettes

44

« Chassez la nature, elle revient au galop »

UNE HISTOIRE

Un pet de nonne et un croque-monsieur

se bagarrent pour une histoire

de portemillefeuilles.

Grâce à la crêpe de Georgette,

ils finissent par boire la menthe honorable

chez ce salaud de thé.

VOILES

Durant les messes

elle se voile la face.

Devant les masses

elle dévoile ses fesses.

Page 45: Olivier Demazet Silhouettes

45

« Toute peine mérite salaire »

UN CRÉTIN

On ne fait plus de détails en cette vie de rails ...

Tel ce peintre en bâtiment, en veine de sentiments

qui trouvait l’univers fort laid. A grands coups de

pistolet,

il abattit tous les purs pour que sa vue se fît mûr.

Mais cet engin de malheur perdit toutes ses couleurs.

Il en périt vitrifié, sous le béton pétrifié.

Ce fut la peinture, en bombes qui lui refusa la tombe.

UN ARTISTE

Un artiste un jour fit

son autoportrait et son autocritique

sur l’autoroute de l’Est.

Il en devint automate rouge comme une tomate.

Page 46: Olivier Demazet Silhouettes

46

Beaucoup de bruit ...

LE PUBLIHOMME

Connais-tu

ce craque, ce craque

orthographie photographié

à la française pour les Français

qui sans cesse qui sans cesse

vaque traque

qui sans cesse qui sans cesse

raque ? claque ?

C’est le publihomme.

SANTÉ

Il était trop sentimental.

On le mit en santé mentale.

Quelle sentimentalité

dans les services de santé !

Page 47: Olivier Demazet Silhouettes

47

Mieux vaut en rire

LA TROIS-CHEVAUX

La trois-chevaux grise auto, debout sur le trottoir,

fit une fugue de nuit de Touraine en Versailles.

Avec son air emprunté, cette non-encartée

revint à son bercail, gendarmée, sans apprêt,

bosselée, l’aile brisée.

Plaie d’antivol gênante, mais non mortelle, sans doute

Propriétaire dixit !

L’intelligence à ce jour, fleurit les carrefours.

AU MOIS D’AOÛT

Au mois d’août en Arcachon,

temps de cochon, plus de nichons.

C’est folichon en Arcachon,

se dit le dragon un peu bougon.

Page 48: Olivier Demazet Silhouettes

48

Pourquoi pas des actes aromatisés ?

ACTES NOTARIÉS

Maître le Notaire

avec ses grands airs

adore faire signer

des actes

sous seing privé.

Maîtresse la Notaire

avec son petit air

adore se faire soigner

par des actes

sous les seins

en privé.

UN RHUMATISANT

Un rhumatisant, partisan du capitalisme,

du socialisme, du christianisme,

passe tout son temps à ruminer un rhume tenace

à grand coups de rhum sans passer par Rome

Page 49: Olivier Demazet Silhouettes

49

Tout espoir est permis : « l’humanité ne commence dans

l’homme qu’avec le désintéressement » (Amiel).

BRAVES GENS DU MONDE

Braves gens du monde qui toujours souffrez

du cancer caporalisé, du mal torturigène

infligé par des fauves idéocratiques :

Courage ! Vous guérirez !

Espoir ! Vous survivre !

La fièvre autocratique tombera,

le sadisme paranoïaque crèvera,

la mort ploutocratique surviendra.

Un jour sonnera l’heure

de l’armistice international,

de l’amnistie internationale,

de la paix transnationale.

Vos malheurs mourront de l’amitié multinationale.

MA VÉRITÉ

Vous jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité ?

Je vous jure de dire toute ma vérité, rien que ma vérité

Page 50: Olivier Demazet Silhouettes

50

Les abonnés et les dominés ...

LA PEINE

Une femme à genoux,

Les mains sur son visage,

Qui se cache et qui pleure

Sa peine sur la plage.

Une montagne mauve

Qui courbe son échine,

De souris qui gémit

Sous un ciel impassible.

Une montagne brune

Qui s’étire et qui bâille

Tire la longue oblongue

A la mer bleue qui bave,

Une baie étonnée

Qui donne une caresse

Si douce et ronde et blonde

A la plage sauvage,

Brûlante aveugle sourde,

Deux grands pins squelettiques

sans aiguilles ni larmes,

Une souche de pin ...

Une femme à genoux,

Les mains sur son visage

Qui se cache et qui pleure

Sa peine sur la plage.

Page 51: Olivier Demazet Silhouettes

51

S’expriment trop : à surveiller.

LE DIVAN

Un psychanalyste en autorecyclage

avala des ortolans surgelés, sur canapé.

Et il se raconta des histoires

à dormir debout et de bout en bout.

C’est divin, ce divan, clama-t-il.

TROUBLES

Il tirait des huit

car il voyait double.

Il se mit à larmoyer

et dût être renvoyé

des lotos-écoles

du département,

pour cause de trouble

et de la conduite,

et du comportement ...

Pour cette gaudriole !

Page 52: Olivier Demazet Silhouettes

52

« Wer will, der kann »

SE TAIRE

Un jour l’Âne Martin se prit pour Saint-Martin.

Il voulut partager ses idées. Il faut bien s’entraider.

Sans longtemps méditer, il se fit éditer

à mécompte d’auteur, sans trouver de lecteurs.

Ah ! Comme il coûte cher de ne savoir se taire !

UN VRAI SAINT

Un médecin,

un vrai saint,

peint toutes ses ordonnances

au pistolet d’ordonnance

pour rendre ses clients

malsains, mais très friands

de patience

sans souffrance

Page 53: Olivier Demazet Silhouettes

53

« Il ne pouvait rien faire comme tout le monde »

LE PÈRE MATHU Le père Mathu attire sur lui une attention tout à tour

ironique, gênée ou attendrie par l’originalité plutôt drôle de sa mise et de son allure.

De grande taille et de forte corpulence, on le voit

arpenter les rues du vieux village médiéval quasi-abandonné. Il tient serrés sous son bras, sa miche de pain et son journal plié : il balance son petit cabas.

Toujours vêtu des mêmes oripeaux : il semble fier de

ses bottes vertes caoutchoutées, de son pantalon flottant issu d’un bleu de travail, de sa veste militaire au kaki délavé et de son béret basque noir-roussi partant en pointe sur un front large.

Le Père Mathu marche sur mesure, d’un pas

légèrement cadencé, le dos un peu courbé, les bras-ballants ou raidis, la tête penchée sur un chemin obstiné, comme s’il regardait déjà avec amour cette terre qui l’embrassera un jour.

Son visage, tragiquement comique affiche des oreilles

de platane, un nez de navet, des joues de tomate, des yeux de braise.

Mathu déplace un fardeau de bonheur résigné, et

souffre, hélas, d'un tic permanent. Lorsqu'il parle, de sa voix grave et rocailleuse, sans cesse il touche son béret en gestes saccadés, ascendants, descendants. Il s’enferme dans un dialogue de sourd imaginaire entre ciel et terre entrecoupé de « plaît-il ? », de « n’est-ce pas », de « permettez ». On dirait une marionnette animée du désir de trouver un auditoire amical.

Page 54: Olivier Demazet Silhouettes

54

Accroché à une soixante-dizaine imperceptible, le brave bonhomme, doux solitaire, célibataire volontaire, militaire retraité, habite en pleins bois une maisonnette délabrée, isolée. Le plus souvent, son passage dans une rue humaine côtoie le silence ou un rare salut.

Pourtant, le Père Mathu possède la discrétion du

poète et du sculpteur sur bois talentueux. Personnage ignoré, artiste méconnu, être sans amis, il résiste ... Dieu et les hommes reconnaîtront-ils les lueurs en puisant dans les richesses de la marginalité ?

Page 55: Olivier Demazet Silhouettes

55

Tout feu, tout flamme.

LE CHEF D’ORCHESTRE

En mesure, s’il vous plaît !

Donnez-moi le sol.

Ce n’est pas juste.

Donnez-moi la sole

Donnez-moi le parasol

Donnez-moi l’entresol

Donnez-moi le sous-sol

Ce n’est pas juste.

Donnez-moi le sol

le sol des pieds sur terre, sur mesure

A L’ABORDAGE

L’employé du gaz s’est drôlement

allumé, enflammé, éméché.

Il regagne le foyer conjugal et fatal.

Il pense dans sa tête défaite :

Ca va chauffer à l’abordage. Quelle surchauffe !

Page 56: Olivier Demazet Silhouettes

56

C’est ainsi ...

AMOR

Je suis la mort

amor amor

qui t’adore

amor amor

Qui a repris

amor amor

tout esprit

amor amor

Qui a ravi

amor amor

toute vie

amor amor

Je suis l’amie

amor amor

qui détruit

amor amor

Alors gravis

amor amor

cette vie

amor amor

C’est bien plus fort

amor amor

que la mort

amor amor

Page 57: Olivier Demazet Silhouettes

57

Alors ça, alors !

MINCE

Silhouettez-vous avant la plage

au centre le plus proche si facile à atteindre.

Vous serez plus mince ! Remodelez votre ligne !

Figurez-vous, je suis à la plage.

Mon centre le plus proche est difficile à atteindre.

Je ne suis plus mince, même à la pêche à la ligne

LE DRAPEAU

Après la cérémonie, un porte-drapeau,

drapé dans son drapeau, porta son drapeau

au porte-manteau. Il prit un porte-voix

et se fit le porte-parole auprès des sans drapeau,

des sans-manteau, des sans-voix

des sans-cœur, des sans-bonheur.

Mais, par cents, tous le mirent à la porte

tant il portait à faux.

Le drapeau fut mis en berne à l’abri des gibernes.

Page 58: Olivier Demazet Silhouettes

58

A la joie des dieux des stades.

LES SPORTIFS

Sportifs, cassez les vitres

sur les vaillants arbitres !

Supporters, télévisez les sports

et battez des fauteuils de records ! ...

Le journal du matin,

à renfort de gros titres,

cite compétitions serrées sur les gradins,

listes battues de titres.

Les musclés du confort

ne risquent pied dehors

pour éviter le rhume

aux champions de la Une.

Ils apprécient, critiquent

et se posent des quand, des comment et des qui

sur les pistes de ski,

les prouesses gymniques ...

Ils se figurent, les doux mâtins,

parcourir les terres du rugby,

s’imaginent les danseuses du Galibier,

les héros, vainqueurs de Paris-Strasbourg à pied,

les gagnants aux tiercés de tous les acabits

pour tenir la forme ... des pantins.

Page 59: Olivier Demazet Silhouettes

59

« Sur son alliance il avait fait graver la date future

de son divorce » (Jacques Sternberg)

ABUS

A quinze ans, château branlant,

il usait, furtif,

de préservatifs.

Il en usa, en fut usé,

puis en fut fort désabusé.

A trente ans,

pharmacien de talent,

il écrivit, craintif,

sur les préservatifs :

« Attention ! Bras croisés !

Ne pas en abuser ! »

HAUT ET BAS

L’un regarde de haut,

l’autre salue bien bas.

Qui a pris de trop haut

le coup parti trop bas ?

Page 60: Olivier Demazet Silhouettes

60

Est-ce la peine ?... « Les évènements projettent leur

ombre devant eux » (Euripide).

NATURE MORTE

Sujet brillant, objet d’admiration,

le fort en thème obtint son bac avec mention,

et prépara les grandes écoles,

d’où il sortit tambour-major.

Il choisit la grande industrie

où il figura noblement dans les cadres,

où tout le monde voulut l’encadrer.

Il se prit, dès lors, pour une huile ...

Hélas ! La guerre survint ...

Officier de génie, il reçut bien des décorations,

qui firent de lui une nature morte.

DÉGUSTATION

J’ai dégusté une tarte aux raisins de Corinthe.

J’ai dégusté une farce aux raisons qui m’éreintent.

Page 61: Olivier Demazet Silhouettes

61

A votre service ...

PIÈCES DE MUSÉE

A tout Saigneur tout honneur.

Vous pourrez jeter en toute simplicité

un petit clin d’œil discret

sur ce vieux musée-dépôt de mes oripeaux

toujours pleins d’attraits :

mes asiatiques et mes afriques,

mes amériques, mes pacifiques,

mes soporifiques, mes anesthésiques.

Excusez-moi de ces honneurs mon Saigneur.

Juste une petite obole

pour participer aux frais

de clôture des travaux.

Un tour de gondole

pour un coup d’épée dans l’eau ?

Ah ? On vous effraie ?

DANS LES NORMES

Je suis au service des ventes.

Ce n’est pas qu’il me tente,

mais je suis en avant :

Je vends au service des vents

les formes de vices

les normes de vis

sans vice de forme

dans les normes.

Page 62: Olivier Demazet Silhouettes

62

Psy ! Psy ! Psy !

UNE PSYCHOLOGUE

Une psychologue

d’une vague vogue,

vêtue de cachemire

au miroir se mire,

assise au psyché,

se dit : « je cherchais ...

Oh ! Mon mal de test

provient de mes gestes !

Devant ce miroir,

ma vue vit de noir.

Ma cervelle, fille,

fourmille, grésille !

Ma gauche est à droite

j’en ai la main moite !

Ma droite est à gauche :

ma raison se fauche ! »

Et la psychologue

dégusta un grog,

se rougit la crête,

se fit tête nette ...

Page 63: Olivier Demazet Silhouettes

63

A cœur joie

LE MAITRE-CHANTEUR

Un maître-chanteur

faisait du contre-chant

à contre cœur,

à travers champ.

Soudain il prit peur

quand il vit dans son champ

tout un chœur

vocalisant.

Haut les mains, farceur !

Tu n’es plus dans le vent !

Et son cœur

battit ! Bon sang !

LE RANG

Dis, tu sors du rang ?

C’est la fête ?

Mais le rang

te monte à la tête !

Page 64: Olivier Demazet Silhouettes

64

Profitons-en.

L’ULTIME FOI

A l’aube d’un grand jour,

un petit vieux se dit :

si je faisais l’amour ?

L’amour, ma vieille au moins,

aura vécu la dernière fois

en cet astre de haine.

A l’aube d’un beau jour,

sa chambrière a dit :

Allons ! Faisons l’amour

sur les bottes de foin !

Aime explore une dernière fois

l’astre de mes deux aines.

A l’aube d’un lait jour,

le vieillard se raidit

et partit pour toujours.

Mais il avait pris soin

d’écrire en amour l’ultime foi

qui coulait dans ses veines

Page 65: Olivier Demazet Silhouettes

65

Les Américains nous ont tout de même sauvés deux fois.

LE QUÉBÉCOIS

Le Québécois laissa coi

l’Américain de Nankin,

Varsovie ou Segovie,

de Bologne ou de Sologne,

de Dakar ou Trafalgar.

- Parlerais-tu donc français ?

Il te faut prendre l’anglais :

c’est ma langue et puis ta langue !

lui dit ce pékin d’Américain.

- Tire ta langue d’Amérique,

que je vois si elle parle fric,

réplique le Québécois,

avec un je ne sais quoi

de pudique et d’ironique.

Sur une langue, le fric

est un signe net clinique

renchérit le Canadien

au sequin qui ne se sent pas bien

CERTAINS

Certains jours,

dans certains salons de certain pays,

certains parlent de certains héros :

- Un sacré coup de fourchette !

- Un sacré coup de mitraillette !

Page 66: Olivier Demazet Silhouettes

66

LE MAGICIEN

Un coup de baguette magique,

chapeau, étiquettes :

démocratie chrétienne, démocratie libérale,

démocratie sociale, démocratie socialiste,

démocratie moderne, démocratie avancée,

démocratie,

sans coup de baguette magique,

ni chapeau, ni étiquettes

L’HOMME SANS FRONTIÈRES

L’homme sans frontières

court à l’américaine, prend ses charentaises,

boit à la russe, joue une polonaise,

danse une arlésienne, fume une gitane,

souffre d’une brûlure indienne, se baigne à la turque,

divorce à l’italienne, se décide à la normande,

reprend sa canadienne et file à l’anglaise

en se débrouillant à la française.

Page 67: Olivier Demazet Silhouettes

67

« Je préfère les chats aux chiens

car il n’y a pas de chats policiers » (J. Cocteau)

LE POÈTE ENCHIENNE

Sur un sentier du Causse

bordé de pierres sèches

toute moussues de lierre d’hiver,

sous un chêne magistral,

témoin dépouillé d’un carnage sans procès,

est étendu un homme

ensommeillé de sang

pour qui vient de sonner

le glas de la trentaine.

Il gît,

la gorge béante

d’où s’écoulent des filets de vie,

les yeux glauques

plongés en plein ciel de grisaille,

les bras croisés sur la poitrine déchirée,

silencieuse ...

Entre les lèvres violettes

fleurit encore une violette ...

Un berger nazi

lancé à la poursuite

d’un gibier en promenade

sans défense ni attaque,

un berger nazi

rôdait, flairait

Page 68: Olivier Demazet Silhouettes

68

la transcendance arborescente ...

Et puis, il égorgea,

il dégorgea

le poète au mains nues

qui naturalisait, lisait, lisait le poétique

en pleine pâleur ensoleillée

de silence défeuillu ...

On entendait les chênes écueuillir encore.

La nuit rossignolée

bientôt allait bleuir le paysage vermeil

d’une chienne de vie,

tranchée pour crime d’écriture,

immortalisée par les crocs.

Page 69: Olivier Demazet Silhouettes

69

En hommage aux gueules noires

LES MINEURS

Une journée de France du Nord :

des mineurs de bonne mine

descendirent dans la mine

pour arracher la houille

à la terre de l’effort

au mystère du grisou.

Une journée de France du Nord :

des mineurs de rage mine

remontèrent de la mine,

les mineurs que la fouille

sacrifie à la mort

par tonnerre du grisou.

RENDEZ-VOUS

Il a pris rendez-vous, s’est mis au garde-à-vous

On lui dit gare à vous. Alors il passa le garde-fou.

Page 70: Olivier Demazet Silhouettes

70

Attention aux nourritures terrestres

LES HUILES

Avec les huiles, ça tourne toujours au vinaigre.

Elles sont d’abord tout sucre tout miel

et nous font faire le poireau

en nous prenant pour des cornichons ou des poires.

Elles nous arrangent aux petits oignons.

Il nous reste le goût de la carotte ou du bâton.

La note est plutôt salée, mes petits choux.

Le premier pain blanc est mangé.

La vie n’est plus du gâteau.

Cela nous en bouche un coing

Ail !

Il faut les surveiller comme le lait sur le feu

Page 71: Olivier Demazet Silhouettes

71

Une bonne question

MISSION COSMÉTIQUE

Un ex-champion

du monde

de pédalo

se méprenait

et se prenait

pour Apollo.

Il se demandait si la Terre

était bien ronde.

Pour l’excursion astronautique,

il se colla du cosmétique,

sur les cheveux,

se trouva beau

selon ses voeux.

Il prit vaisseau,

s’éteignit dans les Asters,

passa la lune,

découvrit cratères et dunes.

Il voulut admirer Vénus

et la séduire.

Mais il n’en est pas revenu

d’après les dires.

Pilote trotte,

hasard barbote.

Page 72: Olivier Demazet Silhouettes

72

Aux joueurs de chef-volant

LE VOLEUR VOLANT

Un voleur volant

avec lourd butin

surpris en plein vol !

Il court, il accourt.

Mais quel lourd fardeau

sur ses épaules antivols !

Il court, il accourt

avec un beau tour de reins,

mais la police aux trousses.

Il court, il accourt,

sans grand cœur au ventre,

suivi par la police de l’air.

Si je pouvais voler ! se dit-il.

Plus de surprise en plein vol

en train de fouiller le ciel ...

Page 73: Olivier Demazet Silhouettes

73

Aux personnes en danger

ALERTE

Je suis,

affamée, assoiffée,

opprimée abandonnée.

Je voudrais un messager

pour vous donner l’alerte

gémit la Cambodgienne

Je suis

malaimée, décoiffée,

déprimée, désordonnée.

Je voudrais un messager

pour être plus alerte

gémit l’Américaine.

ON

On mitraille d’hélicoptères.

On massacre sur l’héliport

Les hélicons éliminent

comme des coléoptères

tout ce qui s’appelle

Abdel ou Elie.

« Où sont vos raisons de vivre ? Où est votre joie ?

(Lech Walesa)

Page 74: Olivier Demazet Silhouettes

74

En souvenir d’André Chénier (toute proportion gardée)

GOURGANDINE

Elle est têtue, gogo,

ta jeune gourgandine.

Elle t’a mordu, gogo,

ta jeune gourgandine.

Elle t’a fourbu, gogo,

ta jeune gourgandine.

Elle t’a vaincu, bedeau

de jeunes gourgandines.