Présenté par la Rapporteure Spéciale sur les Droits de la Femme en Afrique, la Commissaire Soyata MaigaLors de la 4ième session du Forum sur les questions relatives aux minorités,
à Genève les 29 et 30 novembre 2011
I. IntroductionII. Aperçu du cadre régional de protection des droits des
femmes en AfriqueA. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte africaine)B. Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme (Protocole de Maputo)
III. Les défis spécifiques que rencontrent les femmes appartenant à des minorités, quant à la reconnaissance, l'exercice et la jouissance de leurs droits
IV. Les réponses du système africain des droits de l'homme
Malgré la ratification par les États Africains de tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et de l’engagement pris par par les Chefs d’États et de Gouvernements dans la Déclaration Solennelle des Chefs d’États sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique adoptée en 2004 d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la femme en Afrique continue d’être l’objet de discrimination et de pratiques néfastes
Celles issues des communautés autochtones ou appartenant à des minorités subissent quant à elles, une double discrimination et une marginalisation y compris à l’intérieur de leurs communautés, dont les conséquences interpellent la Communauté Internationale.
À titre d’information: la Convention sur l’Élimination de toutes les Formes de Discrimination à l’égard
des Femmes (CEDEF): ratifiée par tous les États Africains sauf le Soudan et la Somalie Protocole facultatif à la CEDEF ratifié par 22 États Africains et signé par 9
autres Convention sur les Droits de l’Enfant: seule la Somalie ne l’a pas ratifiée La Déclaration des Nations Unies des droits des personnes appartenant à des
minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques Adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 47/135 du 18
décembre 1992
A. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (La Charte africaine) Entrée en vigueur en octobre 1986 Tous les pays africains l’ont ratifiée Elle prend en compte le principe de l’universalité des droits de
l’homme et présente des spécificités qui renvoient à des particularités du Continent Africain (traditions et valeurs positives)
Elle réaffirme l’attachement des États Africains aux libertés et aux droits de l’homme contenus dans les déclarations, conventions et autres instruments adoptés dans le cadre de l’OUA et de l’ONU
ARTICLE 2: de la non-discrimination Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d'ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
ARTICLE 3: de l’égalité de tous devant la loi Toutes les personnes bénéficient d'une totale égalité devant la loi �
et ont droit à une égale protection de la loi. �
ARTICLE 18: de la protection de la femme et de la famille
L’État a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales
B. Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de le femme (Protocole de Maputo) Entré en vigueur en nov.2005 À ce jour, 30 pays l’ont ratifié et 20 pays l’ont signé Il garantit l’ensemble des droits fondamentaux des femmes et tente
d’apporter des réponses aux problèmes et aux questions spécifiques aux femmes africaines
Élimination de la discrimination à l’égard des femmes (art.2) Les États s’engagent à interdire et réprimer toutes les formes de discrimination
et de pratiques néfastes qui compromettent la santé et le bien-être général des femmes
Violences faites aux femmes (art.4) Ils s’engagent à promouvoir activement l'éducation à la paix à travers des
programmes d'enseignement et de communication sociale en vue de l'éradication des éléments contenus dans les croyances et les attitudes traditionnelles et culturelles
Élimination des pratiques néfastes (art.5) Ils s’engagent à: interdire et sanctionner toutes formes de mutilation génitale
féminine; apporter le soutien nécessaire aux victimes des pratiques néfastes (services de santé, assistance juridique et judiciaire); protéger les femmes et les filles qui courent le risque de subir des pratiques ou toute forme de violence, d’abus et d’intolérance
Mariage, séparation de corps (art.6, 7) L’âge minimum de mariage pour la fille est de 18 ans; la femme mariée a les
mêmes droits que l’homme en ce qui concerne la tutelle et la nationalité de leurs enfants et en cas de séparation de corps, divorce et annulation de mariage
Accès à la justice et égale protection devant la loi (art.8) Les États doivent assurer l’accès effectif des femmes à l’assistance et aux
services juridiques et judiciaires; veiller à la formation des organes chargés de l’application de la loi à tous les niveaux pour qu’ils puissent interpréter et appliquer effectivement l’égalité des droits entre les hommes et les femmes; la réforme des lois et pratiques discriminatoires
Participation au processus politique et à la prise de décision (art.9) Ils entreprennent des actions positives spécifiques pour promouvoir la
gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays
Droit à l’éducation et à la formation (art.12) Ils doivent garantir l'égalité des chances et d'accès en matière d'éducation et
de formation Droits économiques et protection sociale (art.13)
Ils s’engagent à promouvoir et soutenir les métiers et activités économiques des femmes, en particulier dans le secteur informel
Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction (art.14) Ils prennent toutes les mesures appropriées pour assurer l'accès des femmes
aux services de santé adéquats, à des coûts abordables et à des distances raisonnables, y compris les programmes d'information, d'éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural; protéger les droits reproductifs des femmes particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé
Droit à la sécurité alimentaire (art.15) Ils assurent aux femmes le droit d’accès à une alimentation saine et adéquate,
l’accès à l’eau potable, aux sources d’énergie domestique, à la terre et aux moyens de production alimentaire
Mesures spécifiques en faveur des veuves, des femmes âgées, handicapées et des femmes en situation de détresse (art. 20 à 24) Ils doivent assurer la protection des femmes pauvres, des femmes chefs de
famille, des femmes issues des populations marginales et leur garantir un cadre adapté à leur condition et en rapport avec leurs besoins physiques, économiques et sociaux
Minorités/Autochtones
L’utilisation interchangeable des termes « Pygmée », « autochtone » et «minorité » est commune à la plupart des pays de l’Afrique centrale dans leurs politiques et leurs discours. Les législations nationales utilisent plus les termes «Pygmée» et «minorité». Le concept « autochtone» n’est pas accepté par la plupart des États, même s’ils ont largement adhéré à la Déclaration des Nations Unies sur droits des Peuples Autochtones
Un certain nombre de constitutions africaines assurent la protection spécifique des minorités, et certaines prévoient la représentation des groupes ethniques spécifiques dans les instances nationales électives Le Burundi réserve aux groupes ethniques (dont les Batwa) des quotas à l’Assemblée
nationale et au Sénat. Aucune constitution africaine, exceptée celle du Cameroun, ne reconnaît de façon
spécifique le concept de « peuples autochtones» Amazigh en Algérie sont reconnus comme minorité Batwa au Rwanda sont reconnus comme minorité La Constitution éthiopienne ne «reconnaît pas explicitement la minorité nationale,
ethnique, religieuse et linguistique ni le statut d’autochtone » Au Nigéria, la plupart des populations autochtones s’identifient comme minorités
pour pallier à leur non-reconnaissance officielle et à l’absence d’un débat national sur leur identification comme peuple autochtone.
Accès à l’éducation, alphabétisation, emploi : non-accès et accès limité à l’éducation et à l’alphabétisation; déperdition scolaire très élevée chez les jeunes filles à cause des mariages et des grossesses précoces; insuffisance de l’implication/sensibilisation des communautés; non-prise en compte dans les politiques éducatives de la culture et du mode de vie des minorités; pauvreté des communautés; accès à la formation professionnelle limité ou inexistent
Santé : faible accès aux structures sanitaires; insuffisance et éloignement des centres de santé; non-prise en compte dans les programmes de santé de l’élément culturel; manque de formation des matronnes traditionnelles; non-accès aux services de planification familiale Conséquences: persistance de l’excision et d’autres pratiques néfastes à la santé
de la femme; index synthétique de fécondité très élevé; taux de prévalence contraceptive très limité; taux de mortalité maternelle élevé
Participation à la vie politique et droit d’association: faiblesses organisationnelles et de plaidoyer des associations féminines; très peu ou pas de représentation féminine dans l’administration et les postes électifs; pesanteurs socioculturelles, surcharge des travaux domestiques qui limitent l’accès des femmes à la vie politique; insuffisance des programmes d’éducation politique et civile;
Accès à la terre : accès à la terre et à la propriété limité; absence de réformes foncières intégrant le genre et les besoins spécifiques des femmes appartenant à des minorités; persistance de coutumes discriminatoires en matière foncière; accès aux intrants et aux équipements agricoles limité; pauvreté
Accès à l’épargne et au crédit : méconnaissance par les femmes des conditions et critères d’accès aux institutions financières en particulier par les femmes rurales et celles du secteur informel; faiblesse des programmes de formation et d’information sur les possibilités de financement; accès aux banques et aux institutions financières limité pour les femmes rurales et celles du secteur informel
Accès à la justice : analphabétisme; méconnaissance des droits; peur de l’administration de la justice; complexité des procédures; éloignement des tribunaux; pauvreté des femmes; coexistence de la justice moderne avec les mécanismes traditionnels de règlement de conflits qui font perdurer les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes au sein de la famille, quant à la tutelle des enfants, en matière d’héritage et en particulier quant à l’accès à la terre; lois sur l’assistance judiciaire inefficientes
Mariage et successions: suprématie du droit traditionnel sur le droit moderne d’où la persistance de pratiques traditionnelles discriminatoires à l’égard des femmes mariées et des veuves (mariages précoces, spoliation des biens appartenant aux veuves)
Établissement en 1987 de la CADHP des droits de l’homme et des peuples (CADHP) en tant que mesure de sauvegarde des droits garantis dans la Charte africaine, à Banjul, en Gambie
Double mission de la CADHP Promotion et protection des droits de l’homme et des peuples
Dans ses missions, la CADHP doit entre autres: formuler et élaborer des principes et des règles qui permettent de
résoudre les problèmes juridiques relatifs à la jouissance des droits de l’homme et des peuples et des libertés fondamentales (art. 45 Charte)
Communications /plaintes La CADHP reçoit et examine des plaintes venant des individus et des
ONG sur les violations de leurs droits garantis par la Charte et le Protocole (art. 56 Charte)
À ce jour, la Commission a traité au total 259 communications/plaintes à l’encontre de 44 États parties.
Dans la réalité, malgré les violations massives des droits des femmes, à ce jour la CADHP n’a été saisie que d’une seule communication /plainte émanant d’une ONG (Association des Juristes d’Éthiopie) au nom d’une jeune fille dont les droits seraient violés
Communication 341/07-Equality Now v Ethiopia (mariage précoce) communication en cours de traitement
La CADHP a adopté plusieurs résolutions sur les droits des femmes dont certaines s’adressent aussi aux femmes appartenant à des minorités Résolution sur la situation des femmes et des enfants en Afrique (2004) Résolution sur la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones
(2007) Résolution sur la mortalité maternelle en Afrique (2008) Résolution sur la protection des droits des femmes autochtones en Afrique
(2011)
Création de mécanismes subsidiaires au sein de la CADHP: Rapporteurs spéciaux et groupes de travail dont deux travaillent sur la
thématique des femmes appartenant à des minorités Rapporteure Spéciale sur les droits de la femme en Afrique Groupe de travail sur les populations/communautés autochtones
La Rapporteure Spéciale des Droits de la Femme en AfriqueMandat Assister les gouvernements africains dans le développement et la mise en
application de politiques et programmes en faveur de la promotion et de la protection des droits de la Femme
Faire le suivi de la mise en oeuvre du Protocole de Maputo Collaborer avec les acteurs impliqués dans la protection des droits de la femme à
tous les niveaux Formuler des recommandations pour une meilleure protection des droits de la
Femme à l’intention des États parties au Protocole de Maputo et à la CADHP
Travail réalisé (exemples) Élaboration de directives pour la présentation du rapport d’État aux termes du
Protocole de Maputo Collaboration étroite avec des ONGs dont Forest Peoples Program qui a
développé un Toolkit sur les droits des femmes autochtones et le système africain
Communiqués de presse, notes verbales, conférences et ateliers sur la promotion et la protection des droits de la femme et plaidoyer auprès des États pour la ratification du Protocole de Maputo
À ce jour: 19 visites pays: Algérie, Angola, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Congo, Djibouti, Éthiopie, Liberia, Libye, Niger, Nigeria, Mauritanie, RDC, Sao Tome &Principe, Soudan, Tchad, Tunisie
Le groupe de travail sur les populations/communautés autochtones Création en 2000 Mandat
Rassembler, demander, recevoir et échanger des informations et des communications de toutes les sources pertinentes, y compris les gouvernements, les populations autochtones et leurs communautés et organisations, sur les violations de leurs droits humains et libertés fondamentales;
Effectuer des visites dans les pays pour examiner la situation des droits humains des populations /communautés autochtones ;
Formuler des recommandations et des propositions sur les mesures et les activités propres à prévenir et à redresser les violations des droits humains et des libertés fondamentales des populations/communautés autochtones
Adoption d’un Rapport en 2003 sur la problématique des droits des populations autochtones en Afrique (concept, caractéristiques, catégorisation)
Avis consultatif sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (mai 2007)
Adoption d’un document intitulé: Rapport sur la protection constitutionnelle et législative des droits des peuples autochtones dans 24 pays africains en 2009 (en collaboration avec l’OIT)
À ce jour: visites d’information et recherches dans 14 États parties dans lesquels vivent des communautés autochtones et élaboration de recommandations à l’endroit des États et autres acteurs concernés 3 séminaires régionaux de sensibilisation sur les droits des
populations/communautés autochtones
Mécanisme de suivi de la mise en œuvre du Protocole de Maputo Les Etats ont l’obligation d’incorporer dans leurs rapports périodiques
qu’ils présentent à la CADHP (art.62 Charte et 26 Protocole) des indications sur les mesures législatives et autres qu’ils auront prises pour donner effet aux droits reconnus et garantis en faveur des femmes.
Les Etats s'engagent à adopter toutes les mesures nécessaires et à allouer les ressources budgétaires adéquates et autres pour la mise en oeuvre effective des droits reconnus dans le présent Protocole.
Dans la réalité, peu d’Etats parties respectent cette obligation de soumission de rapports périodiques auprès de la CADHP
Les États ayant ratifié le Protocole de Maputo et qui soumettent des rapports ne disent rien sur l’application des droits garantis par ce texte, ce qui a amené la CADHP à élaborer les Lignes directrices quant à la présentation des rapports sous le Protocole de Maputo
Les défis sont immenses et la protection des droits des femmes appartenant à des minorités reste encore insuffisamment assurée à cause de plusieurs facteurs et en particulier la non-implémentation des conventions internationales et régionales des droits de l’homme
Cette situation risque de perdurer et de connaître une aggravation en raison des conflits qui déchirent certains pays et de la crise alimentaire qui frappe de plein fouet les États Africains et qui s’est traduite par la grave famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique