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Quelques éléments sur la construction navale dans la Vallée de Seine et dans

les ports de la côte de Haute Normandie, plus particulièrement aux XVIIe et

XVIIIe siècles.

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Ce fascicule ainsi que les panneaux exposés sont le fruit d'une année de travail commencée par la création d'un article pour l'I.R.E.M. (Institut de Recherche sur l'Enseignement des Mathématiques) sur les conditions géométriques de stabilité d'un navire avec M. Luc Sinègre.

Lorsque Mme Elisabeth Hébert, présidente de l'A.S.S.P. (Association Science en Seine et Patrimoine) m'a demandé d'exposer ce travail les 10 et 11 juin lors d'un colloque intitulé Navigation sur la Seine, il m'a paru naturel d'appliquer notre première recherche au patrimoine local. C'est pour ces raisons que le résultat de cette recherche s'intitule désormais Quelques éléments sur la construction navale dans la Vallée de Seine et dans les ports de la côte de Haute Normandie, plus particulièrement aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Dans le cadre du quadricentenaire de la naissance de Pierre Corneille et à l'occasion des portes ouvertes du lycée le 20 mai 2006, j'ai souhaité contribuer à comprendre les conditions de vie de l'époque de l'auteur en créant les affiches accompagnant ce travail écrit. M. Joseph Dion, proviseur du lycée Pierre Corneille de Rouen, a permis la réalisation de cette exposition.

Ce travail personnel, rassemblant de nombreux documents d'archives, sera remis aux quatre musées du département qui ont contribué à constituer ce travail : Le musée Maritime, Fluvial et Portuaire de Rouen, le musée de la Marine de Seine de Caudebec-en-Caux, l'ESTRAN, la cité de la mer à Dieppe, le musée des Terre-Neuvas et de la Pêche de Fécamp.

Frédéric Vivien, professeur de mathématiques au lycée Pierre Corneille de Rouen, membre de l'I.R.E.M. de Rouen.

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Des constructeurs de navires en Vallée de Seine Un premier témoignage de cette construction navale en Vallée de Seine est un acte de donation faite en 1040 à l'Abbaye de Jumièges par Guillaume, conte de Talou et d'Arques. Riche et puissant, retenu dans son comté d’Arques par ses intrigues politiques, Guillaume d’Arques fait don de terres et privilèges aux abbayes de Jumièges et de St Wandrille. qui précise que celles-ci pourraient disposer des bois de la forêt de Brotonne pour le chauffage et la réparation de ses navires. Il semble à cette époque que 60 navires de Guillaume le Conquérant auraient été fournis par le seigneur de Ponty-Audemer; 60 navires au milieu de 1500 pour la conquête de l'Angleterre en 1066.

Détail de la Tapisserie de Bayeux

On trouve ensuite dans le rôle de l'Echiquier, en 1184, une dispense de 8 livres 1 sol pour la réparation des navires du Roi à Quillebeuf, preuve de l'existence de chantiers.

Le port de Quillebeuf

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Au XIIe siècle, les vassaux d'Heurteauville, entre autres corvées, étaient tenus de tirer au sec les barques de l'Abbaye de Jumièges et de les mettre sur accores ou sur béquilles lorsqu'elles avaient besoin de réparations. Au Moyen-Age, Harfleur était le plus important port de l'estuaire. Celui-ci recevait des vaisseaux qui venaient s'alléger avant la remontée sur Rouen. Les chantiers de constructions navale furent créés au XIIe siècle avant ceux de Rouen et participèrent comme ceux-ci à la création d'une flotte pour un éventuel débarquement en Angleterre.

Harfleur, gravure de Guillemard, XVe siècle.

Il y avait, à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, sur la rive gauche, au lieu-dit Richebourg, et sur la rive droite dans la paroisse Eloi, des petites cales et des ateliers privés de construction navale d'où étaient lancés les bateaux naviguant sur la Seine entre la mer et Paris. C'est à Richebourg que le Clos aux Galées a été creusé et aménagé d'après les plans de l'ingénieur gênois Marchese, de 1284 à 1294 sous l'impulsion de Philippe IV le Bel et dans le but éphémère de donner au royaume une flotte de guerre.

Le quai de la ville et le Clos aux galées de Rouen

Livre des Fontaines, planche 15, Bibliothèque municipale de Rouen

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L'histoire de Honfleur reste obscure jusqu'à la fin du XVe siècle. Du moins voit-on que les Honfleurais prirent une part active aux opérations navales dès le début des guerres franco-anglaises. Ils armèrent également au cabotage et avaient des chantiers de construction. Quelques uns des grands vaisseaux de guerre de Louis XI (Le Coulon, La Louise, de 790 tonneaux) en sont sortis. Les chantiers de construction navale subsisteront tant que durera la marine en bois.

Le port de Honfleur par Nicolas-Marie Ozanne en 1819

En 1664, Colbert fit réaliser un inventaire sans précédent des navires présents dans tous les ports. Il créa au Havre l'une des quatre premières écoles de construction navale. Malgré ses efforts, les charpentiers construisirent toujours sans plan jusqu'au début du XVIIIe siècle.

Construction et entretien des navires dans le port du Havre

Source : Extraits de La Seine : mémoire d'un fleuve, Parc Naturel Régional de Brotonne, SER, 1994

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Quelques éléments pour une histoire de la construction navale en France La création dans les années 1660 d'une marine royale de renom sous l'impulsion de Colbert va faire évoluer les pratiques de la construction navale, essentiellement militaire. En 1661, un constat est établi sur le triste état de la flotte de France. Colbert rappelle Chabert de Malte, constructeur de renom et fait revenir de l'étranger d'autres maîtres charpentiers. Des missions d'officiers, de charpentiers ou d'intendants ne cessent de parcourir les ports de l'étranger pour y acheter des vaisseaux. En 1669, Colbert envoie Etienne Hubac en Hollande pour voir "s'il y a quelque différence du gabarit des Hollandois au nostre et les raisons pourquoy". Après comparaison avec la marine anglaise, maître Guichard convint que nos navires étaient trop "coupés"(remarques faites par le sieur Arnoul sur la marine d'Hollande et d'Angleterre). "L'opinion commune en France, c'est qu'un bâtiment ne peut bien aller à la voile qu'il ne soit extrêmement taillé n'ayant en long que quatre fois leur largeur", Colbert. Observant que "les vaisseaux anglais, plus longs et plus ras que les nostres, les surpassent en vitesse", Colbert donne en conséquence l'ordre de s'en inspirer. On voit ici par ces remarques l'état des connaissances théoriques de l'époque. Les première directives à partir de 1671, par règlement royal, autorisent un "Conseil de Construction" à Brest, Toulon, Rochefort à exercer une tutelle sur les maîtres charpentiers. Les Conseils les obligent à dresser des "devis" avant la construction d'un navire mais celui-ci ne contient que quelques dimensions. En 1674, un règlement impose la nomination d'un premier maître charpentier dans chaque port. En 1679, le chevalier Renau d'Eiliçagaray rédige un manuscrit sur la théorie des Vaisseaux avec une méthode pour en conduire les façons.

Extrait du manuscrit intitulé Fragment of Ancient English Shipwrighty de Matthew Baker vers 1586.

Le chevalier Renau d'Eliçagaray est chargé d'enseigner cette méthode dans les ports, 1680 à Rochefort puis le Havre et Brest jusqu'en 1682 (ordonnance du 11 juin 1680, création de cette école). Ce seront ensuite aux fils des maîtres charpentiers de poursuivre cet enseignement essentiellement destiné à l'instruction des officiers. Au programme de cette école : connaissance de la manière de construire les vaisseaux et de déterminer les proportions de chacune des pièces qui le compose.

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Intérieur de l'Ecole de Construction Navale, dessin Ozanne

Mais dans l'ensemble, cet enseignement n'est pas effectué et les charpentiers/constructeurs gardent leurs secrets. Les ouvrages de cette époque sont chers et ne sont pas destinés à des maîtres charpentiers qui sont pour la plupart des hommes manuels et d'origine modeste : - l'hydrographie de Fournier (Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, 1643) - L'architecture navale de Dassié (1695) - Théorie de la manœuvre des vaisseaux du Chevalier Renau - la théorie de la construction des vaisseaux (1697) du père Hoste. C'est une autre ordonnance en 1683 qui impose aux maîtres charpentiers avant la mise en construction des vaisseaux d'en effectuer un modèle en carton et un profil. Cette pratique se développa et la multiplication de ceux-ci permet aux constructeurs de corriger leurs défauts.

Gabarit de canot, musée de l'Estran, Dieppe

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Mais la construction reste très éloignée des anglais qui dessinent leurs vaisseaux selon des méthodes graphiques et mathématiques strictes. Alors que les calculs sur les considérations physiques et mécaniques existent (volume de la carène, poids et stabilité du navire), les constructeurs sont restés à l'élégance des formes. Lors de la mise à l'eau et surtout de l'armement, les mauvaises surprises ne sont pas exceptionnelles. Le plan de la frégate de 400 tonneaux ci-dessous est celui de Benjamin Chaillé, maître charpentier pour le roi au Havre de 1675 à 1677. Il dirigea en autres les constructions de la Chaloupe canal de Versailles, l'Adroit, le Palmier, la Jolie.

Plan de la Frégate de 400 tonneaux signé Chaille, 1687

Cette autre frégate a été dessinée par Philippe le Cochois père, maître charpentier entretenu vers 1692 et concepteur de la Martiale, l'Aurore, le Juste, le Saint Louis.

Plan de la Frégate de 18 canons signé Cochois, 1697

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Cette chaloupe a été tracée par Georges Poirier, Maître charpentier entretenu puis maître constructeur et enfin constructeur.

Profil d'une chaloupe signé Poirier, 1734

Ce dernier exemple est celui de Ginoux (1723-1785), élève en 1741, sous-constructeur à Brest en 1747, sous-constructeur au Havre en 1752, constructeur au Havre en 1757, Ingénieur constructeur ordinaire au Havre en 1765 mais malade à partir de 1782.

Plan d'une gabarre de 350 tonneaux signé Ginoux, 1776

Il faut attendre 1746 le "Traité des navires" de Pierre Bouguer (Croisic 10.02.1698 - Paris 15.08.1758) mit à la disposition des constructeurs les moyens du calcul de la stabilité. Pierre Bouguer succéda à son père Jean comme professeur d'hydrographie au Croisic en 1714, bien qu'il n'eût encore que quinze ans, tant ses examens passés à Vannes où il avait commencé ses études, avaient été brillants. En 1730, il fut nommé hydrographe royal au Havre et succède à Pierre Louis Maupertuis comme géomètre associé à l'Académie des Sciences. Bouguer n'est pas tendre pour les charpentiers de marine dont le silence dans leurs pratiques, qu'il qualifie de "nuisible". Il leur reproche leur manque d'innovation qui serait réputée par eux "téméraire et dangereuse". Mais il leur trouve quand même quelques excuses, car, explique-t-il, le nombre de paramètres dont dépend un navire est si grand que l'expérience seule ne permet pas de déterminer l'influence propre de chacun d'entre eux.

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Parallèlement, une école destinée à la formation des constructeurs royaux se crée en 1741 à Paris, initiative revenant à Duhamel du Monceau. L'enseignement est sous l'autorité du mathématicien Bezout. Le tâtonnement ou l'empirisme des maîtres charpentiers disparaît. La fin du XVII apporte de nombreux écrits scientifiques (Hydrodynamisme de Daniel Bernoulli 1765, Architectura Navalis Mercatoria de Chapman 1768, Scientia Navalis d'Euler en 1749, …). Le nom d'ingénieur constructeur est alors accordé aux maîtres constructeurs en 1765.

Illustration dans l'ouvrage de Duhamel du Monceau,

Elémens de l'Architecture navale, ou traité pratique de la construction des vaisseaux, Paris Ch.-A. Jombert, 1752 sources : - Deux siècles de constructions et chantiers navals, éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques (milieu XVIIème-milieu XIXème siècle), Paris, 2002. - Navalis, Cinq Siècles de Construction Navale au Havre - http://perso.wanadoo.fr/vieillemarine/index.htm - La marine à voile de 1650 à 1890, Autour de Claude-Joseph Vernet, Musée des beaux-Arts de Rouen, Editions Anthèse, 1999. - Les grands voiliers du XVe au XXe siècle, sous la direction de Joseph Jobé, Editions Lausanne,1967. - Histoire de la marine Française, Charles de la Roncière, 6 tomes, Paris, 1934.

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La géométrie au service des corps flottants. Historique. Archimède est le premier scientifique à s'être occupé de la théorie des corps flottants. Le mathématicien ne se contente pas de poser la célèbre loi qui régit l'équilibre: il détermine, pour des corps sphériques, cylindriques ou paraboliques, dans quel cas l'équilibre doit être stable ou instable. Mais comme le remarque Lazare Carnot rapporteur en 1814, pour l'Institut, avec Poinsot et Sané du mémoire de Dupin (Applications de Géométrie et de Mécanique, à la Marine, aux Ponts et Chaussées, etc ... pour faire suite aux Développements de Géométrie, Paris, Bachelier, 1822), la principale difficulté provient davantage des mathématiques que de l'hydrostatique.

En admirant la force d'esprit qu'exigeaient ces premiers résultats d'une science alors dans l'enfance, on ne peut s'empêcher d'avouer qu'une méthode qui doit, à chaque corps nouveau dont on s'occupe, recourir à de nouveaux moyens de solution, ne soit d'une étude et d'une application extrêmement pénibles.

Deux géomètres reprirent les recherches du savant de Syracuse, au dix-huitième siècle, c'est-à-dire presque deux mille ans plus tard. Pierre Bouguer, réussit d'abord, pendant les loisirs que lui laissa le voyage qui lui permit de mesurer un arc de méridien, à rédiger le Traité du navire (Traité du navire, et de ses mouvements, Paris, Jombert, 1746). Le texte reste fidèle à Archimède, Bouguer adopte un point de vue géométrique et barycentrique qui évite le calcul intégral et lui permet donc d'être compris par les maîtres constructeurs. Euler qui reste fidèle à sa méthode au dire de Carnot, a choisi la géométrie analytique. Dans les deux cas, on considère que le corps flottant admet un plan de symétrie, ce qui n'est pas une bien grande restriction pour décrire des vaisseaux de guerre ou de commerce! Dupin

au lieu de se tenir toujours infiniment près de chaque position d'équilibre,… , considère à la fois toutes les positions qu'un corps peut prendre.

Certes Bouguer avait déjà cherché au chapitre cinq de son Traité à dépasser le cas trop particulier de l'équilibre et remarquant notamment que

Certains navires conservent bien leur situation horizontale tant qu'ils sont au port: mais aussitôt que quelque puissance un peu forte, comme l'impulsion du vent sur les voiles, les fait pencher d'une quantité un peu grande, ils ne se relèvent que très difficilement; et ce qui est le comble de malheur, puisqu'il faut périr, ils continuent quelquefois à s'incliner, quoique la cause qui a fait commencer leur inclinaison, cesse d'agir. au lieu de se tenir toujours infiniment près de chaque position d'équilibre, · , considère à la fois toutes les positions qu'un corps peut prendre.

Il donne alors les dessins de deux courbes métacentriques produisant deux situations opposées, mais c'est à Dupin que revient l'idée de déduire les propriétés géométriques de la surface métacentrique de celle de la surface des centres de carènes, dont elle est la développée. Le métacentre défini à l'origine comme point limite d'une condition d'équilibre doit donc être pensé comme le point caractéristique d'une surface. Le problème passe donc du terrain de la Mécanique à celui de la Géométrie Pure, et les développements apportés par Monge et ses élèves (courbe indicatrice, directions conjuguées...) vont permettre d'exposer plus simplement et d'enrichir ce que Bouguer et Euler avait déjà posé.

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Autour de l'équilibre. Le plan de flottaison est le plan de la surface libre du liquide. Ce plan sépare le corps flottant en deux parties. La partie la plus intéressante est la carène, c'est-à-dire le volume du corps immergé. La trace de ce

plan sur la figure est la droite (AB). Le poids du corps flottant induit une force verticale P →

appliquée au

centre de gravité G. Ce poids s'équilibre avec la poussée F →

qui s'exerce au centre de gravité Q de la

carène. La loi d'Archimède permet d'affirmer que, si le corps flottant est en équilibre, F →

+ P →

= 0 →

.

Coupe du corps flottant perpendiculaire au plan de symétrie.

Comme le poids du corps immergé est constant, la poussée doit correspondre à un volume de liquide déplacé constant, on dit que la flottaison est isocarène. Cette force, dite de poussée s'exerce au centre de poussée, le centre de gravité de la carène. Ce point n'est pas le point d'application de la poussée comme l'indique l'exemple d'un flotteur sphérique. Comme la poussée d'Archimède est constante, l'aire de la partie immergée est constante, pour toute position d'équilibre du navire. Bouguer, Euler et Dupin représentent le mouvement avec un référentiel attaché au bateau. Comme le montre la figure précédente, cette convention demande au lecteur un temps de réflexion, car la rotation induite sur la représentation est opposée au tangage réel du bateau. Ceci posé pour un déplacement ce qui

correspond pour un déplacement infinitésimal d'angle �

BOB' les onglets AOA' et BOB' doivent avoir le même volume.

G .

Q .

A B A' B' A B

B'

A'

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Comme ces deux volumes sont tous deux égaux à θ fois la surface, O est le centre de gravité de la surface de flottaison [AB]. On déduit les énoncés suivants : - Pour des déplacements isocarènes petits, la flottaison passe par un point fixe qui est le centre de gravité de la flottaison initiale. On appelle ce point le centre de flottaison. - Toutes les flottaisons isocarènes enveloppent une surface, la surface de flottaison, qui est en même temps le lieu du centre de gravité des flottaisons. Si, toujours dans le cadre d'un tout petit déplacement θ on appelle a et b les centres de gravités des onglets AOA' et BOB' précédents. Notons également Q le centre de gravité de la partie commune OA'EB. Le centre de poussée dans le premier cas est α le barycentre des points a et Q affectés des coefficients vA et V , volumes respectifs de l'onglet et de la partie commune. Dans le second, β le barycentre des points b et Q affectés des mêmes coefficients. La droite (αβ) reste donc toujours parallèle à la droite (ab). En faisant tendre θ vers 0, la droite (αβ) tend vers une tangente à la surface de poussée, alors que (ab) tend, elle vers la flottaison. • Le plan tangent en chaque point de la surface des poussées est parallèle à la flottaison correspondante. • La poussée restant perpendiculaire au plan de flottaison est donc la normale à la surface des poussées passant par le centre de poussée.

Le métacentre et la courbe de GZ .

Examinons la situation autour d'une situation d'équilibre. Pour simplifier nous ne considérons qu'un déplacement autour d'un axe longitudinal (roulis). S'exercent au centre de gravité du navire G et au centre de poussée Q deux forces égales en intensité et opposées qui forment donc un couple. La normale (QG) pivote autour du centre de courbure de la courbe de poussée que nous appellerons le métacentre M à l'équilibre. L'équilibre est donc stable si et seulement si le point M se trouve à l'extérieur du segment [QG] donc si et seulement si le rayon de courbure r en Q de la courbe de poussée est supérieur à la distance QG = d.

Comme pour un bâton que l'on tenterait de poser verticalement sur l'eau, si le centre de gravité est "trop haut", le moindre déséquilibre provoque la chute du bâton. Le couple agissant sur le navire est égal au produit du poids du navire par la distance entre les deux axes d'application des deux forces (le poids et la poussée). On appelle bras de redressement, et l'on

A B

Q A'

B' O

a b

α β

.

. G

Q

Z

M

θ

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note généralement GZ

, la distance séparant le centre de gravité et la verticale contenant le centre de

carène. On a, en considérant des orientations bien choisies, GZ

= GM

. sin(θ) :

- Si GZ

> 0, c'est-à-dire si le moment tend à redresser le navire alors GM

> 0 et le point M est donc au-dessus de G.

- Si GZ

< 0 c'est-à-dire si le moment tend à retourner le navire alors GM

< 0 et le point M est donc au-dessous de G. Ceci confirme que le centre de gravité G doit être au-dessous du métacentre M pour qu'il y ait stabilité. "Méta" ici, comme l'a voulu Bouguer, signifie la plus haute hauteur possible du centre de gravité du navire.

Extrait d'une planche tirée de Elémens de l'Architecture navale ou traité pratique

de la construction des vaisseaux par Duhamel du Monceau, Paris, 1763.

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Extraits d'un article publié dans BRYC, revue du Bruxelles Royal Yacht Club : Il y est donné pour plusieurs angles de gîtes θ la position du centre de gravité du navire (le point G), le centre de poussée P. Sur la figure on voit que plus le bateau s'incline, plus Q s'écarte de la verticale de G.

La tangente à la courbe au point d'origine est une représentation de la stabilité initiale du bateau : plus la pente est raide, plus le bateau est stable en position droite.

Sur cet exemple, la distance GZ

est maximale pour un angle de gîte aux environs de 70° qui est l'angle de stabilité maximale. Si la force qui incline le bateau est plus grande que le moment redressant à ce point, le bateau se rapproche du point de chavirement. Bien souvent toutefois, cette force est celle du vent dans les voiles et elle diminue au fur et à mesure que le bateau se couche.

Plus on incline le bateau au-delà de 70°, plus la distance GZ

diminue jusqu'à un angle où Q est de nouveau exactement aligné avec G à 120°. Dans ce cas le bateau est en équilibre instable ; le moindre mouvement peut soit amorcer un redressement, soit causer un chavirement complet. En effet, après 120° ,

Q est passé de l'autre côté de G, soit GZ

< 0 et le moment entre les deux forces contribue maintenant au chavirement. A 180°, le bateau est stable à l'envers. Sans entrer dans les détails théoriques, quels sont les points à considérer ? - Le point de chavirement doit être le plus loin possible. - Le bras redressant à l'angle de stabilité maximale doit être le plus grand possible. - La surface sous la courbe doit être la plus grande possible, en stabilité positive et la plus petite possible en stabilité négative. En effet la surface sous la courbe est l'intégrale du moment redressant, c'est-à-dire le travail nécessaire pour incliner le navire jusqu'au point de chavirement. Autant ce travail doit être grand pour le bateau droit, autant il est utile qu'il soit le plus petit possible pour le bateau chaviré. Il faudra en effet une vague assez forte pour fournir ce travail et ainsi redresser le bateau.

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A. Catamaran : Dès que la coque au vent quitte l'eau, le centre de carène est dans la coque sous le vent

et bouge relativement peu, le moment est alors déjà au maximum. Plus le bateau se lève, plus le moment diminue, et il devient négatif avant que le pont soit vertical à cause du poids du mât. L'angle de chavirement est donc inférieur à9O°

B. ULDB : Ces bateaux très larges et de carène peu profonde ont une grande stabilité initiale de forme. Leur point de stabilité maximale est toutefois souvent assez bas et ils ne doivent un point de chavirement acceptable qu'au poids de leur bulbe et à la longueur de leur quille. Malheureusement, une fois chavirés, leur grande largeur les rend assez stables également. On voit que la courbe descend beaucoup plus bas que celle des trois autres quillards.

C. Half tonner. Beaucoup de voiliers de course des années 1960 à 1980 ont été dessinés en fonction d'une jauge qui favorisait des formes extrêmes. Les architectes ont créé des bateaux qui manquent de certaines qualités. Dans l'exemple présent, on voit une bonne stabilité initiale et un bon bras de stabilité maximum, mais celui ci est à un faible angle de gîte (environ 40°). On voit un point de chavirement inférieur à 120°et une assez grande aire de stabilité inversée.'

D. Croiseur 1970. On voit que ce bateau à tous les avantages sur le half tonner, à l'exception de sa stabilité initiale. Il gîtera donc plus vite sous l'influence d'un vent relativement faible, mais il faudra un vent beaucoup plus fort pour le coucher, une vague beaucoup plus forte pour le chavirer et une autre beaucoup plus faible pour le redresser. Bien sur tout cela se fait au prix d'une vitesse de coque plus faible accompagnée d'un déplacement et d'une inertie plus grande à taille égale. La meilleure jauge pour la sécurité en mer est celle qui favorise ce type de construction, mais cela freine la recherche technologique et l'innovation

E. Croiseur 1920. On voit ici le même raisonnement poussé à l'extrême. Très faible stabilité initiale donnant des bateaux extrêmement gîtards que le vent n'a aucune peine à amener presque mât dans l'eau. A ce point toutefois, ce bateau est à son couple maximum et il faudra encore fournir un travail considérable pour le retourner Une fois retourné, le moindre clapot suffit à le redresser tant il est instable. Cela est du à des caractéristiques généralement indésirables pour un croiseur moderne : faible largeur, faible franc-bord, quille très profonde et rapport de ballast proche de 50%.

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La courbe métacentrique. Si le navire présente un plan de symétrie longitudinale, la surface des poussées a la même symétrie. Le métacentre M, qui, comme nous l'avons déjà vu, est le point caractéristique de la développée de cette surface décrit dans une coupe transversale une courbe qu'on appelle courbe métacentrique. En un point d'équilibre Q, la courbe de poussée correspondant à la coupe transversale, présente une tangente horizontale. Lui correspond sur la courbe métacentrique un point de rebroussement de première espèce.

Extrait du traité de Bouguer. Le théorème de Bouguer.

Quand la flottaison passe de (AB) à (A'B') la poussée passe de F →

à

F' →

. Si nous appelons f →

la poussée de

l'onglet AOA', la poussée de la partie OA'B est donc F →

− f →

. Il

suffit d'ajouter à cette dernière la poussée f ' →

de l'onglet B'OB pour

obtenir F ' →

= F →

− f →

+ f ' →

ou encore F' →

− F →

= f ' →

− f →

.

Comme les onglets ont le même volume, f ' →

− f →

constitue un couple dont le moment par rapport à l'axe de roulis passant par O peut se calculer en intégrant le moment d'une tranche élémentaire de base dS, de hauteur θ située à x de O, qui vaut θx2dSρ.

Ox

θ

dS

M

γ'

r θ

γ

F'→

F→

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Le symbole ρ désigne la masse volumique du liquide. On a donc le moment du couple en O qui vaut Γ = ��

S ρθx2 dS

où l'on reconnaît dans I le moment d'inertie de la surface de flottaison I = ��S

x2 dS.

On calcule le moment de F' →

− F →

en γ centre de poussée de la première situation qui vaut F' →

multiplié par le déplacement γγ' sur la courbe de poussée. Or F' = ρV (V le volume de la carène), soit encore Γ = ρVr θ. On retrouve donc la loi1 de Bouguer

I = rV. On a donc intérêt pour augmenter le rayon r et donc faciliter la condition de stabilité r > a à augmenter l'inertie de la surface de flottaison (flotteurs, balanciers, etc.)

Cette dernière figure montre comment Euler (dans Scientia Navalis, Oeuvres complètes série 2, oeuvres de mécanique et d’astronomie, vol 18, 19, Truesdell, Baltimore, 1967) a procédé pour trouver la condition

1 Cette démonstration reste très proche de celle de Dupin dans Applications de Géométrie et de Mécanique, à la Marine, aux Ponts et Chaussées, etc. pour faire suite aux Développements de Géométrie, Paris, Bachelier, 1822 qui écrit Nous allons démontrer dans un instant que les moments simples des deux onglets FAF'B divisé par la tangente de AMBm et par le volume de la carène, sont égaux en somme au rayon de l'arc 0 que parcourt le centre de carène, lorsque le plan de flottaison cesse d'être FAA'F', et devient FBB'F'. Donc le rayon de γγ' est simplement égal au moment d'inertie de l'aire totale αFAF' (moment pris par rapport à l'axe FF') divisé par le volume de la carène.

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Haute-Normandie 19

d'équilibre. Les moments des deux onglets boB et aoA sont tous les deux proportionnels aux quantités

po − GV et qo + GV , le moment résultat sera lui proportionnel à po + qo = 2AB

3 ce qui permet d'obtenir

une condition où n'interviennent que des points de la position initiale. Notons enfin que trouver la distance entre le centre de gravité et le centre de poussée supérieure au cube du segment de flottaison

divisé par 12 fois le volume de la carène (GO > AB3

12v ) est conforme avec ce qui précède puisque dans le

cas d'un raisonnement plan la quantité AB3

12 représente bien l'inertie de la flottaison.

Figure du traité de P. Bouguer, Traité du navire, de sa construction et de ses mouvements, Paris, 1746

source : La géométrie au service des corps flottants, Luc Sinègre, Frédéric Vivien, IREM de Rouen, Actes du colloque de Liège - Enseigner la géométrie dans le secondaire, IREM de Reims Reims, 2003

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Quelques éléments permettant de comprendre la construction d'un navire sans l'aide d'un plan : utilisation du maître-gabarit, de la tablette et du trébuchet.

Maître-gabarit, tablettes et trébuchet selon La Madeleine," Tablettes de Marie", 1712 (Paris, bibliothèque de la Marine)

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Haute-Normandie 21

Les proportions à donner au navire sont connues comme, par exemple, par le plan longitudinal donné par Fournier2 et son tableau des proportions. Ils élevaient tout d'abord dans le plan vertical l'étrave et l'étambot sur la quille.

Tableau des proportions A l'époque de Fournier, très rares sont les navires de plus de 500 tonneaux. Un recensement de 1664 nous dit même que sur un total de 2.400 navires français de plus de 10 tonneaux, seulement 19 dépassent les 300 tonneaux, la moyenne étant de 55 tonneaux. le vaisseau la "Couronne", mis en chantier en 1629 et lancé en 1638 qui faisait 1.800 tonneaux ainsi que le "Royal Louis" ne doivent pas faire illusion, il s'agissait de navires d'exception. Ce ne fut qu'à partir de 1660 que le tonnage moyen de nos navires augmenta sensiblement. Dans le tableau ci-dessous, la jauge est exprimée en tonneaux de poids de 2.000 livres (979 Kg) et indique le poids maximum que peut transporter le navire (port en lourd). Les mesures de longueur sont indiquées en pieds et dixièmes et centièmes de pieds.

Tonneaux (tonnes)

L = Quille en pieds (en mètres)

l = Maître bau en pieds (en mètres)

C = Creux en pieds (en mètres)

Rapport L/l

Rapport l /C

Prix en livres

50 (49) 42,00 (13,64) 15,00 (4,87) 6,00 (1,95) 2,8 2,5 100 (98) 52,25 (16,97) 18,66 (6,06) 7,50 (2,44) 2,8 2,5 9.000 200 (196) 66,00 (21,44) 24,00 (7,80) 9,50 (3,09) 2,7 2,5 23.000 300 (294) 76,00 (24,69) 27,33 (8,88) 10,50 (3,41) 2,8 2,6 28.000 400 (392) 84,00 (27,29) 30,00 (9,75) 12,00 (3,90) 2,8 2,5 40.000 500 (490) 92,00 (29,89) 33,00 (10,72) 13,00 (4,22) 2,8 2,5 50.500 600 (587) 98,00 (31,83) 35,00 (11,37) 14,25 (4,63) 2,8 2,5 700 (685) 102,00 (33,13) 36,25 (11,78) 14,50 (4,71) 2,8 2,5 800 (783) 104,00 (33,78) 37,33 (12,13) 15,00 (4,87) 2,8 2,5 900 (881) 107,50 (34,92) 38,50 (12,51) 15,25 (4,95) 2,8 2,5 1.000 (979) 109,00 (35,40) 39,20 (12,73) 15,33 (4,98) 2,8 2,6 1.100 (1.077) 110,00 (35,73) 40,00 (12,99) 15,50 (5,04) 2,8 2,6 1.400 (1.370) 120,00 (38,98) 44,00 (14,29) 16,00 (5,20) 2,7 2,7 1.600 (1.566) 132,00 (42,88) 48,00 (15,59) 16,00 (5,20) 2,8 3,0

Pour les navires qui doivent être rapides, le rapport

Ll =

longueur de la quillelongueur du maître bau � 6 et ceux, plus lents et plus larges, 2,4 �

Ll � 4.

Sur les mers à marées, on a tendance à donner plus de plats aux varangues pour réduire les tirants d'eau et permettre de reposer sans risque sur le fond en cas d'échouement (se reporter à la partie concernant les caïques de nos côtes).

2 Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, Georges Fournier, Edition originale parue à Paris, Michel Soly, 1643

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La construction du triangle rectangle, outil pour expliquer les instruments du maître charpentier : Le constructeur créé un triangle rectangle et isocèle en A et choisit une graduation augmentant en progression arithmétique de A vers B. En effet, à partir de l'espacement noté A1, l'espacement 12 est deux fois plus grand, 23 3 fois plus grand, etc …

Il faut tout d'abord tracer le maître-couple C'est à partir de ce maître couple que le charpentier constructeur va en déduire les dimensions et les formes des couples secondaires. Fournier, dans son Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, en 1643, énonce deux méthodes de construction, celle jusqu'au XVIème siècle puis une "nouvelle" méthode.

ancienne méthode nouvelle méthode

Si l'on veut tracer le maître couple d'un navire de 300 tonneaux selon l'ancienne méthode comme cela a été fait dans la figure ci dessus, on procède comme suit: - Tracer la largeur BC = l = longueur du maître bau = 27,33 pieds qui correspond à la largeur du franc tillac. (La poutre qui relie les deux côtés du navire au niveau du maître couple se nomme le maître bau. Il repose sur les genoux et soutient le pont principal ou franc tillac qui est toujours le pont le plus large par opposition au premier, second ou troisième tillac et au pont (ou tillac d'en haut, exposé aux intempéries) qui sont situés à des niveaux supérieurs et qui sont soutenus par leurs propres baux. Le maître bau indique donc la plus grande largeur du navire et c'est par rapport à lui que l'on proportionne tous les autres baux secondaires.) - Tracer le creux AE = AD = 10,5 pieds. (creux : Le creux d'un navire doit s'entendre comme étant la distance entre le franc tillac et la carlingue. En Italie où le franc tillac est presque toujours au niveau le plus large du navire (à Marseille, depuis le début du XVIIe siècle, on a tendance à surélever le franc tillac pour augmenter la capacité des cales), on adopte un creux égal à la moitié du maître bau. En France, on utilise plutôt un rapport de 2 à 5 entre la longueur du maître bau et le creux, suivant l'importance que l'on veut donner aux plats des varangues. Généralement, la hauteur d'un navire est égale au double du creux. En Italie, un navire marchand est donc aussi haut que large.) - Sur le segment BC, porter les points L et K tel que BL = CK = le creux AE. - Avec un compas, depuis les points L et K, tracer les arcs de cercles de rayon LB = KC. On obtient les points H et I dont l'espacement donne le plat de la varangue. Ici, le plat HI = LK = l - 2 x creux. - Sur le segment BC, tracer les points M et N tel que BM = MA = AN = NC = l / 4. - Avec un compas, à partir des points M et N, tracer les arcs de cercles de rayon MC et NB = 3 l /4. A l'intersection de ces arcs de cercles et de l'horizontale menée en D, on obtient les points O et P (vibord). Si l'on veut un pont un peu plus ouvert, on porte les points O' et P' avec un compas placé en B et C avec une ouverture égale à BC = l (largeur du maître bau). - A mi hauteur le franc tillac et le vibord (environ 5 pieds), on place le premier tillac QR. Ces constructions suivant l'ancienne méthode avaient le désavantage de produire des navires presque ronds et, par conséquent, très sensible au roulis. Cette forme créé également un plat de varangue assez court ce qui limite le volume de charge et augment e le tirant d'eau. Les ports à faible hauteur d'eau ne pouvait pas accueillir tous les navires.

- Tracer la largeur BC = l au maître bau. - Porter les points D et E tel que AD = AE = creux = C - A partir de A, tracer un cercle BLICGF de diamètre égal au maître bau l. - Porter les points O et Q tel que OE = l / 4, ce qui donne un plat de varangue OQ égal à l / 2. - A partir de O et Q, lever deux perpendiculaires sur lesquelles on place les points P et R pris à une distance arbitraire de la ligne de quille, selon la forme que l'on veut donner aux genoux du couple. Dans la figure ci-dessus on a pris OP = QR = creux / 2. - Tracer une horizontale passant par H tel que AH = creux / 2 - A partir des points M (AM = l / 4), on trace les arcs de cercles BK et CK. - Porter les points N tel que LN = IN = AM = l / 4 et à partir de N, tracer les arcs de cercles KL et LI. La position des points N étant également prise arbitrairement, selon l'importance que l'on veut donner à l'ouverture du pont.

détail du triomphe de la rivière à Rouen, 1550

o

C

B E v

L a

A B 1 2 3 4 5 6 7

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R R

o

v

3 g

H L A

Le maître-gabarit Le contour du maître-couple étant tracé, on formera dessus un gabarit de planche (ou de carton pour une miniature). Ce gabarit reproduit exactement le demi maître-couple et contient des séries de graduations :

Sur la partie de la longueur du plat de varangue, les valeurs AL servent à déterminer la réduction

de la longueur des plats de varangue. La diminution entre le plat de varangue du maître-couple et les couples extrêmes (couples de balancement ou des façons) est connue par les proportions

du navire (2/5 de la longueur totale du plat de la maîtresse-varangue selon La Madeleine). Cette longueur est reportée sur le triangle rectangle. Le faisceau de segments créé

initialement permet de connaître les différentes valeurs à construire en AL sur le gabarit. Les valeurs gH, régulières, servent à définir le contour du talon des varangues comme nous le verrons plus loin. Les graduations Ro et Rv également régulières servent à déterminer l'augmentation de la hauteur des allonges localisées respectivement en avant et en arrière du maître-couple jusqu'aux couples de balancement.

La tablette d'acculement, c'est-à-dire de la hauteur réalisée entre la face supérieure de la quille et la ligne du plat de la varangue. AB donne l'acculement de la maîtresse varangue ce qui est propre au constructeur. La ligne EF correspond à l'acculement de la première varangue (couple de balancement arrière, valeur également donnée par les proportions à respecter pour le navire). Les valeurs intermédiaires seront de nouveau données par le triangle isocèle. On reporte [BE] sur le triangle pour en déduire les valeurs intermédiaires à respecter. Il faut faire de même avec les varangues de l'avant mais avec une amplitude moindre.

Le trébuchet

La différence entre l'ouverture du maître-couple et celle du couple de balancement avant est connue par les proportions du navire. Pour connaître les variations d'ouverture intermédiaires, le constructeur utilise un autre artifice que le triangle. Il construit un cercle de rayon cette différence d'ouverture. Les deux arcs AB et BC sont subdivisés en parties de longueurs égales. Les segments rejoignant les deux subdivisions repèrent sur EB les différentes

graduations à reporter sur le trébuchet. Chacun de ces trébuchements correspondra au trébuchement d'un des couples (de la plus faible au maître couple à la plus forte pour le couple de balancement avant ou couple de lof). Le trébuchement est, selon La Madeleine, identique entre l'avant du maître couple et l'arrière (mais cela peut dépendre des proportions à donner au navire).

Dans la réalité, il y a souvent approximation. En relation avec la progression des valeurs observées sur le grand arc de cercle, il n'y a que très peu de variation de trébuchement entre les 4 premiers couples. Tout le trébuchement se réparti entre le 4ème couple et le maître-couple.

E F

B D

A C

K

1 2 3 4

C A

o v

Z

A

B

C

E

1

8

X

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Pratique du maître-gabarit, de la tablette et du trébuchet. Pour le maître couple Pour un autre couple (le 4ème par exemple)

Z G

x a

Z G

x a

Z G

x a x' a'

Z G

Z G

Z G

Z G

Z G

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Haute-Normandie 25

1) Construction des lignes de base et installation du maître gabarit sur le plat de varangue de façon à ce que l'extrémité commence sur l'axe de symétrie du navire. 2) Utilisation du trébuchet (pas sur le maître-couple) pour relever cette marque de la graduation associée sur le trébuchet. On marque l'acculement sous le plat de varangue. 3) Le constructeur prend le maître-gabarit, le renverse, marque la graduation gH associée au bord supérieur gauche ici de la quille. Il trace alors le couple en ayant ajusté le gabarit tangentiellement à la partie supérieure. 4) Le constructeur peut alors tracer le contour inférieur du couple. Il reste à pratiquer une dernière opération, celle de l'augmentation de la hauteur de l'allonge pour les autres couples que le maître-couple. Le constructeur prend sur le maître gabarit l'augmentation correspondant à la 4ème marque de la graduation Ro et la reporte sur le sommet du couple.

gabarit des madriers, des estamentaires et des fourcats d'une galère de 26 bancs.

Chaque gabarit porte les marques servant à réaliser la modification de la figure du maître-couple. Figures du Traité de la construction des galères, vincennes, cliché Musée de la Marine.

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Tracé et étude d'un vaisseau de 115' de quille (d'après L'architecture navale du Sr Dassié -1677-)

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Vue de profil

Vue de dessus

Vue de l'avant

Vue 3/4 avant tribord

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Vue 3/4 arrière bâbord

Navire

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Une autre méthode de conception repose sur le maître-couple, les couples de balancement et les lisses. C'est P. Bouguer qui évoque cette méthode de construction. Il faut placer aux bons endroits sur la quille, (noter la non symétrie entre l'avant et l'arrière sur la figure ci-dessous) le maître couple, les deux couples de balancement

Figure du traité de P. Bouguer, Traité du navire, de sa construction et de ses mouvements, Paris, 1746

"On ne fait plus ensuite que tendre de longues tringles ou règles de bois flexibles d'une couple à l'autre, et on apprend par les contours qu'elles prennent les dimensions ou les diverses longueurs qu'il faut donner aux couples intermédiaires". On pouvait en tendant plus ou moins ces lisses donner plus ou moins de convexité au navire. Les deux quarts de cercles permettent de construire les rétrécissements des couples concernés. sources : - Le maître-gabarit, la tablette et le trébuchet, essai sur la conception non-graphique des carènes du Moyen-Age au XXe siècle, Eric Rieth, Editions du cths, 1996. - reproduction des ouvrages de Georges Fournier, l'Hydrographie, 1643 et L'architecture navale du Sr Dassié,1677, disponibles sur http://perso.wanadoo.fr/vieillemarine/index.htm

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Rouen et la navigation sur la Seine Durant tout le XIII siècle, Rouen est à l'apogée de sa puissance ; son port se place au premier rang de tous les ports maritimes de l'Europe occidentale et septentrionale. Il importe laines et teintures, raisins et oranges du Portugal, de Castille et d'Aragon ; cuirs de Séville et de Cordoue, peaux et fourrures, harengs caqués salés et saurs viennent d'Irlande, du Danemark, minerais et charbons d'Angleterre. Les nefs rouennaises sillonnent les mers : la Manche, la Mer du Nord, la Baltique, l'Océan Atlantique. Par Gibraltar et la Méditerranée, elles conduisent les premiers pèlerins en Terre-Sainte. Les nefs rouennaises sont des navires de charges aux formes arrondies munis d'un seul mât, se parent de "châteaux" dès le début du XIIème jaugeant de 36 à 80 tonneaux pour les plus petits, de 90 à 140 tonneaux pour les plus grands, leur équipage varie de 100 à 150 hommes.

Le quai de la ville et le Clos aux galées de Rouen

Livre des Fontaines, planche 15, Bibliothèque municipale de Rouen

La bataille navale de l'Écluse (juin 1340)

Apprenant qu'une armée allait être expédiée d'Angleterre, Philippe VI dépêcha sa flotte en mer du Nord. Concentrés dans les ports de la Haute-Normandie et de la Picardie, il y eut, dès le mois de mai, quelque 200 navires prêts à cingler vers le détroit. N'importe quelle nef de transport fait donc, plus ou moins bien, l'affaire pour la guerre. Au besoin, on prend aussi des bateaux de pêche. De même que dans tous les ports d'Angleterre, on arme dans tous les ports de Normandie et de Picardie. Sur les 200 navires français présents à l'Écluse en juin, il y aura des patrons de 25 ports, depuis Cherbourg et La Hougue jusqu'à Berck et Boulogne. Il en viendra 31 de Leure - Le Havre - et 21 de Dieppe. Les produits de l'artisanat naval de Duclair et de Caudebec rejoignent ici, aux ordres des amiraux de France, les barges sorties de l'atelier d'Abbeville. Pour les gros navires, cependant, et pour ceux que l'on construit spécialement aux fins de la guerre, le Clos des galées jouit d'un monopole de fait. Ce Clos, ce "tersenal ", francisation de l'arabe Dar sanaa, "maison de l'œuvre ", c'est une création de Philippe le Bel. Sur la rive gauche de la Seine, en aval du pont de Rouen, il occupe un vaste terrain que défend une fortification sommaire. Les forêts de Brotonne, de Rouvray, … l'approvisionnent

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en bois de chêne et surtout de hêtre pour la construction et la réparation des navires comme pour la fabrication des armes. De même que le chanvre pour la toile et pour les cordages, le fer est tout proche: c'est celui de Breteuil, de Verneuil... Cette bataille fait chez les français plus de quinze mille victimes. Elle s'inscrit dans un projet de débarquement en Angleterre, bâti durant l'hivers 1340. Si la première étape, qui était de couler les navires anglais qui trafiquaient soit à Guérande (pour le sel) soit à Bordeaux (pour le vin bien sûr), se déroulait bien, la bataille de l'Écluse met fin aux ambitions françaises. La flotte française est anéantie. Les nefs

La partie gauche du dessin montre la moitié arrière de cette nef catalane du XVe siècle, la partie droite sa moitié avant. Les formes la rendaient très lente et sa grande hauteur au dessus de la flottaison nécessitait de la lester de façon importante.

La moitié supérieure montre la moitié bâbord. On y voit à l'extrême arrière la plate-forme qui

deviendra plus tard la dunette ; à l'avant, ce qui sera le gaillard d'avant. La moitié inférieure représente les coupes horizontales des formes. Celles de l'arrière ne sont pas assez fuyantes pour que le navire avance bien mais cela facilite la construction.

Nef armée du XVIe siècle, gravée sur le mur du Trésor à Saint-Jacques-de-Dieppe

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Navire de la verrière de l'église de Neuville-les-Dieppe, de la fin du XVIe siècle

La révélation de la flotte marchande du XVIe est la caravelle. Rapide, de faible tirant d'eau, elle s'inscrit aisément dans le lit du fleuve et s'accommode de quais précaires comme ceux qui équipent alors le port de Rouen.

Caravelle du XVIe, longueur 23 mètres, largeur 7,60 mètres, tirant d'eau 1,80 mètre,

port en lourd 65 tonneaux, équipage de 35 hommes. C'est à partir de la seconde moitié du XVe siècle que ce navire marchand fut équipé d'un gréement unique comprenant 3 mâts traditionnels : - le mât d'artimon à l'arrière - le grand mât au centre - le mât de misaine à l'avant Puis une autre voile fut installée sous le mât de beaupré, ce dernier étant incliné sur le gaillard d'avant.

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"… Rouen avait connu aux XVe et XVIe siècles une richesse considérable apportée par les légères caravelles dessinées par J. le Lieur sur le Livre des Fontaines", P. Chirol, Rouen,1939, Paris, Arthaud, 1946.

Le Livre des Fontaines de Jacques le Lieur, 1525

vue du faubourg d'Emendreville (Saint-Sever) Les progrès réalisés dans l'architecture navale au cours du premier quart du XVIe siècle apparaissent comme le résultat des expériences d'une navigation devenue océanique par suite des grandes découvertes. Ainsi apparaît un nouveau type de construction navale qui ne correspond plus aux normes traditionnelles du XVe siècle. On rencontre en rivière un bateau rond de l'avant et de l'arrière, plat de fond, jaugeant de 50 à 300 tonneaux : la galiote ; tandis que circule sur les mers un navire plus important, armé de canons, mieux équipé pour le long cours : le galion.

L'armement nécessité par les combats aux Indes Orientales a transformé ces derniers, ci-contre le galion Trindade (dans Roteiro de Malaca, Lisbonne), en véritables barriques, renforcées par des "serres" longitudinales, pourvues de châteaux qui sont des donjons ; ces navires sont fort peu manœuvrant.

Claude de Jongh, Vue de Rouen, vers 1620, Huile sur toile, Rouen, musée des beaux-Arts

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Dès la fin du XVIème, Brigantins et Bélandres remplacent la nef et la caravelle. Le bateau qui circule sur le fleuve charge de 80 à 200 tonneaux. Les trois mats font leur apparition mais la Seine ne peut recevoir que ceux dont le tirant d'eau n'excède pas 3 mètres. Au XVIIIème les mâts se rehaussent, la voilure s'agrandit. L'arrière, richement décoré, reflète l'opulence des armateurs. Les navires sont souvent armés de canons, non seulement pour se défendre contre les pirates qui fréquentent les océans mais aussi pour souligner la volonté de faire du commerce partout où il conviendrait de prendre pied.

Quai de Rouen et porte du Bac au XVIIe siècle, eau forte, Israël Silvestre

Allèges, heux et gribanes assurent la communication entre les petits ports et embarcadères répartis sur le fleuve depuis le havre jusqu'à Rouen (cabotage). Ceux-ci, Caudebec, Duclair, la Bouille, Moulineaux, Couronne, Quevilly, … ont besoin de Rouen pour subsister. Rouen les prend sous sa tutelle. Honfleur, siège de l'Amirauté, partiellement ensablé, reste néanmoins un port relativement actif ; tandis qu'Harfleur, pris par les vases, doit s'effacer devant le Havre.

L'encyclopédie méthodique de Panckouke. Marine. Paris, 1786, présente ainsi le Heu : "Sorte de petit bâtiment hollandois, servant surtout à porter des passagers et à faire des petites traversées ; ils sont ordinairement gréés comme celui représenté en la figure, avec un grand mât porte une voile à livarde, un petit artimon et plusieurs focs ; on y met quelques fois un hunier volant par dessus la grande voile"

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Au XVIIIe siècle, les chantiers importants de construction navale se trouvent dans l'estuaire, au Havre notamment. On ne trouve en rivière que des chantiers artisanaux à Villequier, Vatteville-la-Rue et à la Mailleraye. A Rouen, la construction navale est installée notamment dans l'Ile Lacroix, à Croisset, au Val-de-la-Haye ainsi que dans une petite anse située à proximité de la Barbacane.

Chargement des bateaux dans le port de la Mailleraye au XVIIe siècle, gravure sur bois, Nodier

On rencontre également aux XVIIe et XVIIIe siècles sur la Seine la flûte Hollandaise. C'est un navire de charge plus rapide, plus grands et permettant de répondre aux besoins croissants du commerce. "Quatre fois aussi longue que large" d'après D. Veliers, chroniqueur de la ville hollandaise de Hoorn en 1604. Son succès était du à sa forte capacité de chargement, à son faible tirant d'eau et à sa bonne tenue en mer. De construction plutôt légère, son prix de revient était bas, nécessitait un équipage réduit. Son exploitation était des plus économique.

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Ci dessous, le plan de formes de profil et ci-dessous, le plan de formes d'arrière et de face.

Il s'agit encore d'un vaisseau rond. L'arrière est très arrondi et relevé ; la dunette ressemble à la plate-forme de la nef médiévale. sources : La navigation en Seine au fil de l'Histoire, connaître Rouen - V, Marcel Françoise, 1985 Les grands voiliers du XVe au XXe siècle, sous la direction de Joseph Jobé, 1967, edita Lausanne. Commerce, industrie et navigation à Rouen et au Havre au XVIIIe siècle, Pierre Dardel, Rouen, 1966 http://enguerrand.gourong.free.fr/

Vitrail "à la nef", église de Neuville-les-Dieppe.

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Le port du Havre La découverte de l'Amérique par les Européens et la force grandissante des bases navales anglaises comme Portsmouth, nécessitait à la France d'avoir un grand port sur la Manche. Il s'agissait de procurer des chantiers et un abri pour les navires de guerre qui ne pouvaient plus arriver dans les havres de Bretagne ou dans ceux de Honfleur et d'Harfleur par suite de l'augmentation du tonnage des bâtiments. Mais aussi, Harfleur est menacé depuis plus de deux siècles par l'accumulation des alluvions et des galets; Honfleur n'est guère mieux et Saint-Denis-Chef-de-Caux a disparu suite à un raz de marée ou un éboulement de falaise vers 1374. Le 7 février 1517, le roi François Ier décidait de fonder le port du Havre, sur le lieu de Grasse, au pied de la colline d'Ingouville : "pour tenir en sûreté les navires et vaisseaux de nous et nos sujets naviguant sur la mer océane." Il désirait l'appeler Franciscopolis et devait suppléer également au "clos des galées" de Rouen. Les premiers navires construits furent la Loyse nef royale de 790 tonneaux3 dès 1518, la Françoise, l'Hermine (pour son armement), L'un ne devait pas naviguer, la Nef Françoise, qui avait été bâtie sur des proportions inusitées. Pour le premier navire, la Loyse, l'exploit est de taille, 790 tonneaux alors que seuls des navires de 180 tonneaux pouvaient remonter la Seine jusqu'à Rouen. Dans son ouvrage Ango4 le Dieppois en 1885, Ernest Capendu prête à Ango d'avoir contribué comme Lespagne et Jérôme Fer à la construction de cette Nef.

Jean Ango et François Ier, gravure coll. Musée Rochefort

3 Le tonneau est une unité de volume de la cale d'un navire de charge. C'est une unité internationale de jauge maritime qui vaut 100 pieds cubes ou exactement 2,831 684 659 2 mètres cubes. Le nom de cette unité de mesure provient du type de conteneur en bois (un tonneau ou une barrique) qui était utilisé dans la marine à voile. 4 Jéhan Ango est fils d'officier de marine, riche armateur de la ville de Dieppe, chef de corsaires, mais après une terrible tempête détruisant les deux tiers de sa flotte et des dettes impayées, cet ami de François Ier mourut presque ruiné en 1551.

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"La coque de ce navire jaugeait 2000 tonneaux et elle portait trois rangs de sabords. Dans son intérieur on avait établi une chapelle assez vaste pour contenir plus de trois cents fidèles. Il y avait pour distraction des jeux de toutes sortes et même un grand jeu de paume. A l'avant du navire, dans l'entrepont, on avait établi une grande forge. A la naissance du beaupré se dressait un moulin à vent, et sur le tillac, à l'arrière, une grande maison en bois, fort habitable et construite avec un art infini."

Illustration dans Ango le Dieppois par Ernest Capendu

"… on fit sortir la Grande Nef Françoise du bassin de l'Eure, où elle avait été mise sur chantier. Il fallut deux marées pour l'amener jusqu'au bout de la jetée, qui existait alors là où se dressait la tour de François Ier. Mais, comme les jours suivants les marées ne furent pas assez fortes pour permettre à l'énorme navire d'appareiller et de prendre le large …On fut contraint de le garder en bassin …Mais, pendant le nuit de Saint-Clément, une horrible tempête éclata sur le Havre … La Nef, tournée et accotée sur un de ses flancs, fut tellement immergée qu'on ne put la redresser. … On dut se résigner à la démolir, et on batit, avec ses débris, la plupart des maisons de ce quartier des Barres."

Rapidement, le port su profiter du commerce de marchandises. Elles y étaient déchargées (au début du XVIème siècle cargaisons de sucre, mélasse en provenance du Portugal, …) puis rechargées sur des allèges pour rejoindre Rouen.

Pendant la première moitié du XVIIème siècle, la condition du port du Havre déclina sous les effets de l'envahissement de la vase et des galets. En 1664, l'amiral Abraham du Quesne écrivait : "il n'y a pas d'endroit où une barque de 50 tonneaux puisse à marée basse demeurer à flots". Le port du Havre restait un bon port comme ceux d'Harfleur et de Honfleur. Les navires entrent et sortent à marée haute et s'échouaient à marée basse.

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Les portes du bassin du Roy, construites en 1635, permettent la création du premier bassin à flot (plan de la ville et du port en 1673). De 1667 à 1670, on améliora le port du Havre, on draguait le bassin du roi, on reconstruisait les quais de ce bassin. Enfin, on établissait un canal avec écluse de chasse pour nettoyer l'avant-port sans cesse envahi par les flots. Il deviendra ainsi le premier bassin à flot et pouvait recevoir des vaisseaux de 1000 à 2000 tonneaux.

Vue du Perrey en 1677. Cette gravure, reproduite dans Le Havre d'Autrefois est due à l'Abbé Vincent Hantier. Outre l'intérêt qu'elle présente par la figuration de l'entrée du port en 1677, d'un des moulins du Perrey et d'un chantier de construction navale, elle rappelait aux Havrais, en mettant au premier plan la Sainte-Famille dans une barque, que Notre-Dame était leur ancienne patronne. (Coll. Ph. Manneville).

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Le Havre affirme sa vocation maritime et internationale au cours du XVIIe siècle : la compagnie des Indes s’y installe dès 1642. Les guerres de Louis XIV et de Louis XV interrompent momentanément l’essor du Havre : Le 25 juillet 1694, la ville subit un bombardement par la marine anglaise : 300 maisons sont détruites… Le 4 juillet 1759, le port et la ville sont à nouveau bombardés par la flotte anglaise. 93 maisons sont à nouveau détruites…

Bombardement du Havre en 1694

A côté de ces maîtres du gros œuvre de l'art naval de la fin du XVIIème siècle, il faut citer des artistes sculpteurs et dessinateurs qui ont joui d'une certaine notoriété. C'est à l'un d'eux que l'on doit la décoration de la porte principale de l'Arsenal mais aussi chargé de tous les dessins de sculpture des vaisseaux de sa majesté :

sculpture des vaisseaux de sa majesté en 1690 : le Brillant construit par Salicon sur les plans de Jean Berrain

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On peut également évoquer le radoubage, la mise en carène d'un navire, c'est-à-dire qu'on le couchait alternativement sur un côté puis sur l'autre, sur un gril de carénage qui existait dans chaque port.

Carénage d'un navire dans le bassin du Havre

L'Arsenal et le bassin de la Marine en 1727 (gravure d'après un dessin de Milcent, extraite de Lemale)

On procédait au flambage soit pour ouvrir les fentes s'il s'agissait d'un navire neuf, soit pour détruire les vers (tarets) entrés dans le bois s'il s'agissait d'un navire venant des mers. C'est alors que le calfatage proprement dit se faisait : on poussait l'étoupe (filasse de chanvre) dans les coutures pour les rendre étanches. Il restait ensuite à passer le brai (matière résineuse extraite des pins et sapins, mélée de goudrons et de suif). Un radoub en cale sèche ne sera construit au Havre qu'en 1864 (inauguration le 28 janvier 1864). Durant l'absence de formes sèches au Havre, on dut se résoudre à utiliser la méthode américaine du dock flottant et ce dès 1844.

Exercice d'embarquement de troupes dans le bassin du Havre en juillet 1756. C'est l'époque du camp de Frileuse où furent regroupées les troupes pour protéger le Havre d'éventuelles descentes des Anglais. Deux vaisseaux sont en construction sur les cales. On remarquera le mur entourant le bassin et celui des fortifications, délimitant un passage pour la circulation (gravure du Gaucherel, extraite de Lemale).

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L'importation et la réexportation des produits coloniaux (sucre, coton, tabac, café, et divers épices) ainsi que la traite des Noirs enrichit les négociants havrais au XVIIIe siècle. En 1763, 63 navires quittent le Havre pour le trafic colonial vers l'Amérique ou le golfe de Guinée ; en 1758 ils sont 138. Les chantiers de construction navale du Havre sont particulièrement actifs, lançant entre 1731 et 1789 124 navires de commerce, 34 brigantins, 37 galiotes, 6 goélettes, 14 heux, 24 senaux, 22 sloops.

Au XIXe siècle, le Havre vit sa consécration de place de commerce grâce à la prospérité de son trafic à destination des colonies.

Vue du bassin du Roy et de l'Arsenal de la Marine vers 1820.

Gravure rehaussée de gouache de Luttringhausen et Fielding Thales C'est à gauche de l'entrée de ce bassin que furent bâties les premières maisons du havre. La ville, dans les commencements, s'étendaient beaucoup vers l'est à partir de ce point ; on l'appelait cette partie le quartier des barres, parce que le terrain en était coupé par quantité de criques et de cavités profondes que la mer remplissait quand elle était haute. On avait pratiqué sur toutes les criques des ponts pour les traverser. Ce nom de Barre désigne dans le pays un canal entre deux terres, où, si l'on veut, l'on peut retenir l'eau pour la lâcher ensuite de marée basse, afin de nettoyer l'espace qui est en avant et que la mer a abandonné.

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Le Havre vue en ballon, vers 1850

sources : - Alphonse Martin, La marine militaire au Havren XVIe et XVIIe siècle, Fécamp, 1899, Imprimeries réunies M.-L. Durand. - Ango le Dieppois, Ernest Capendu, 1885, Paris, Librairie Charles Delagrave. - Navalis, Cinq Siècles de Construction Navale au Havre.

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Les différentes étapes de la construction d'un navire Les bois de marine La construction des vaisseaux de haut bord nécessite l'abattage de trois mille à quatre mille chênes centenaires pour chacun des plus grands bâtiments. Le renouvellement de la flotte suppose donc une gestion soignée des forêts.

Illustration dans l'ouvrage de Duhamel de Monceau

Elémens d'Architecture… En général la coque est en chêne. Ce bois est en effet plus dur et plus résistant aux intempéries. Le bois de hêtre est très dur mais se fend rapidement. Il fournit de grandes pièces mais ne peut être employé pour les parties courbes des vaisseaux. Quand les navires sont chevillés en fer, la sève très corrosive du hêtre a tendance à manger les clous. Le sapin, par sa légèreté, sert principalement à la mature. On en fait également des planches de ponts, des aménagements et des bordages au dessus des sabords. La résine permet aussi d'enduire l'étoupe qu'on utilise pour calfater. Le tilleul est utilisé par les sculpteurs pour les figures de proues.

sculpture des vaisseaux de sa majesté en 1690, le Brillant construit par Salicon sur les plans de Jean Berrain

D'après la réglementation, il est défendu d'abattre les arbres pendant qu'ils sont en sève. L'ordonnance de 1669 et le cahier des charges fixent le temps de l'abattage dans les forêts du 1er octobre au 15 avril. En effet, en dehors de cette période, les bois des arbres abattus provoque une fermentation des pièces de construction.

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Extrait d'un tableau par espèce de la configuration, Emploi, Dénomination et dimensions que doivent avoir les pièces de construction, d'après les proportions établies au tarif de Brest, …, conformément au

tableau, extrait des Bureaux de la Marine, le 15 thermidor an 7 (2 août 1799).

L'échelle pour les pièces sur pied et sur le chantier est de 1 pour 1000.

La forêt de Brotonne, comme dans une moindre mesure celles du Trait, de Gravenchon et de Roumare, procuraient le bois nécessaire à la construction de navires fluviaux et marins. Villequier et la Mailleraye, suffisamment éloignés de la concurrence rouennaise concentraient les plus grands chantiers permanents.

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La figure des arbres est sa grosseur, sa hauteur, sa courbure, le trait du tronc et des branches qui annoncent les pièces de construction qu'on pourra en tirer, soit droits, soit courbes.

Le bois de marine (Traité général des Eaux et Forêts, chasse et pêche. Atlas des modèles d'états, des formules et des planches concernant les forêts - Paris, Arthur Bertrand d'après Mme Huzard, 1825. Inspiré du Traité général des Eaux et Forêts de M. Baudrillart. DR - KID, G. Kervella)

La construction de la coque La durée moyenne de construction d'un vaisseau est de quinze à dix-huit mois entre la pose de la quille et le lancement. La première opération consiste à préparer le chantier. Celui-ci se compose d'un certain nombre de pièces de bois servant à porter la quille. L'ensemble doit être incliné pour faciliter la coulée du navire vers la mer, lorsqu'il sera construit. A partir des plans établis par les ingénieurs-constructeurs, il revient aux maîtres charpentiers de déterminer en vraie grandeur le tracé des gabarits, les contours des pièces de charpente. Commence ensuite la construction proprement dite du navire, c'est-à-dire l'assemblage de ces pièces façonnées une à une aux abords du chantier. On pose ensuite la quille, l'étrave puis l'étambot. La coque prend son volume au fur et à mesure de la mise en place de pièces appelées couples. Les couples sont façonnés et assemblés par terre, puis on les élève sur la quille et la contre-quille. Ils sont ensuite reliés les uns aux autres. La coque est complétée par les bordés, habillage intérieur et extérieur de la coque. Pour bien épouser la forme de la coque, ces bordés sont auparavant passés à l'étuve.

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Calfatage, radoub et carénage Pour une meilleure étanchéité et protection de la carène, la coque est calfatée. Les maîtres calfats posent de l'étoupe, une sorte de cordage, entre les bordés. Ces cordons sont insérés entre les bordés avec des fers frappés à coup de maillet. La coque est ensuite chauffée pour détruire les coquillages et tarets, et pour sécher les bois. On pose enfin un mélange à base de goudron. Le radoub est l’entretien et la réparation de la coque. Tout navire destiné à un armement doit passer en carène pour débarrasser sa coque des salissures, des algues et des coquillages qui s’y accrochent, vérifier l’état de ses bordages et les changer si nécessaire, et enfin s’assurer de son étanchéité en refaisant le calfatage.

L'abattage en carène consiste à coucher un bâtiment sur le côté et à la maintenir en cette position, afin de ramener au-dessus de l'eau les parties submergées qui aurait besoin de réparation. Cette opération s'appelle le carénage.

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La mâture Le grand mât d'un vaisseau de ligne du XVIII°S pouvait atteindre 57 m de haut de la quille à la pomme du mât. à 71 m pour le Montebello vaisseau de ligne de 120 canons (1812). Or les sapins les plus exceptionnels et les plus haut que l'on puisse trouver en France atteignent bien 60m de hauteur totale jusqu'à la dernière pousse, mais elle est trop souple évidemment pour porter des voiles. Les plus grand mâts ont donc toujours été fractionnés en plusieurs tronçons reliés les uns aux autres pour atteindre la hauteur voulue. Chacun des mâts d'un trois mâts est constitués de 4 pièces qui se superposent (et parfois même d'une 5° pièce). Un système astucieux de cordages et de poulies permet de faire monter ces mâts par glissement, " le Guindage ". La manœuvre consistait dans certaines circonstances - approche de tempête, hivernage en rade - à abaisser les mâts supérieurs. L'un des avantages second de ces mâts en plusieurs tronçons était qu'en cas d'avarie, de tempête, de "fortune" de mer, seul l'un des tronçons se rompait et les autres restaient intacts. Les réparations étaient donc plus aisées et dans ses cales, le vaisseau disposait de mâts de rechange ou de "fortune" qui étaient chargés pas un sabord avant.

Si les arbres n'étaient pas assez long pour pouvoir constituer un grand mât d'une seule pièce, ils n'étaient pas non plus assez gros pour constituer le bas mât, c'est à dire le tronçon inférieur du mât.

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Sur un grand vaisseau du XVIIIe siècle, le diamètre du bas mât était de 1,05m. A cette époque et bien que les techniques se soient beaucoup perfectionnées depuis, on était déjà capable de réaliser des mâts par " assemblage ". Cet mâts d'assemblage étaient utilisés uniquement pour les bas mâts du grand mât et du mât de misaine et pour le beaupré. Le bas mât d'un grand mât par exemple était constitué à la base par 7 arbres ou quelquefois même, 11 arbres, assemblés pour les mâts très longs (40m), Autour d'un arbre central préparé mortaisé et enduit de goudron, appelé la " mèche d'assemblage ", et qui était monté à l'envers c'est à dire qu'il avait le gros bout en haut, venaient s'encastrer 6 autres arbres en sens inverse en pied de mât. Les 6 autres arbres avaient donc, eux, les gros bout en bas c'est à dire dans le sens normal. Pour que le bas mât soit bien rigide puisqu'il fallait qu'il puisse supporter tout le reste de la mâture, les bois étaient tenus entre eux par des mortaises, des entures et le mât était cerclé à chaud par des cordes métalliques (billardées par 20 forçats). Il faut noter l'importance, pour la Normandie, de la proximité des grandes forêts de la côte qui permet l'emploi des chênes pour la coque et des pins pour la mâture.

Le cordage Matière première des cordages, le chanvre est récolté au mois d'août, séché, battu, peigné, puis filé. Le fil obtenu est appelé fil de carret. Plusieurs fils de carret sont réunis à deux ou plusieurs en les tortillant ensemble. Cette opération s'appelle le commettage. Le cordage simple est appelé aussière et plusieurs aussières composent les grelins, les plus gros cordages à bord. Ces derniers sont utilisés pour la manœuvre des ancres. Leur enroulement nécessite l'utilisation du cabestan, sur lequel agissent simultanément soixante-dix à cent quarante hommes.

planches dans Description de l'art de la mâture par M. Romme, 1778

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Goudronnage, Etuve pour les câbles et cordages

dans L'Encyclopédie Diderot et D'Alembert, Marine La voilure A partir du XVe siècle, adoption de la voile latine en Normandie. La voile carrée romaine permettait seulement la navigation avec le vent, alors que la voile latine aurique (apparue dès le XIe siècle en méditerranée) permettait de naviguer au plus près du vent debout, c'est-à-dire contre le vent ou avec lui. Il faut noter, pour la Normandie, l'importance de la fabrication sur place des toiles pour la voilure. Chaque voile à son utilité, de par sa forme et sa taille, et donne son maximum sous un certain type de vent. Il n'est pas rare alors de voir sur les navires différentes voiles gréées, pour un rendement optimal. La voile latine La voile latine, largement utilisée en Méditerranée, est de forme triangulaire, enverguée sur une longue antenne hissée par son milieu d'un côté du mat. Si le vent vient du bord opposé, la voile se gonfle parfaitement sans appuyer sur le mât. Ce qui n'est pas le cas dans le cas contraire, elle sera alors "à mauvaise main".

caravelle

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La voile au tiers Cette voile est à l'origine assez semblable à la voile carrée. La différence vient du fait que la vergue n'est plus articulée au mât par son milieu mais par un point de drisse située au tiers de sa longueur. Avec une voile ainsi décalée, le bateau est moins bien équilibré au vent arrière; en revanche, il remonte beaucoup mieux contre le vent, car il fait un meilleur cap et se manœuvre plus facilement lors des virements de bord.

Vaquelotte dans le chenal de Dieppe

La voile carrée La voile carée est à la fois la plus ancienne et la plus simple, du moins dans sa forme originelle. C'est aussi celle qui a composé l'essentiel de la voilure des grands trois et quatre mâts, et ceci jusqu'à nos jours. Montée en phare carrée à cinq voiles, elles sont redoutables à toutes allures, sauf la plus serrée. Mais elle n'est pas à son aise pour remonter le vent, situation ou prédominent les voiles triangulaires et auriques.

Clinquart de Saint-Valéry

On peut enfin parler du foc cette voile triangulaire à la proue du bateau, gréée entre le petit mat et le beaupré. Outre ses fonctions de propulsion, il sert à stabiliser le navire. Sur les navires de plus grands tonnage, on peut trouver un foc doublé, voir triplé (on parle alors de grand foc, de faux foc et de petit foc).

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Quelques navires de la Seine

Directions prise par rapport au vent Par rapport à un vent de face, les directions à bâbord se donnent comme ceci.

sources : - musée de la mer, l'Estran, à Dieppe - http://www.musee-marine.fr - http://www.onf.fr - http://www.darse.org/v1/charpentemaritime/artisans.html - description des arts et métiers : MARINE, Bibliothèque de l'image, Paris, 2002 - la Normandie et la mer, Michel Mollat, 1977, CRDP de Rouen.

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La gribane de Seine Utilisée dès le Moyen-Age, la gribane était le bateau utilisé pour le bornage c'est-à-dire pour la navigation en Seine, de petit port en petit port. Elle était adaptée aux conditions locales de navigation. 20 mètres de long sur 6 mètres de large, la gribane avait un faible tirant d'eau : seulement 90 cm, lui permettant ainsi d'accoster très près des berges. Le dictionnaire de Willaumez (1825) en donne la définition suivante : "nom d'une petite barque qui navigue près des côtes de la Manche, et sur les rivières de Somme et de Seine ; elles sont moins grandes et en plus petites quantités qu'autrefois : elles ont deux mâts très courts et un beaupré. Lorsqu'elles gréent un hunier au grand mât, elles ont, à cet effet, un mât de hune volant. Le port d'une gribane va depuis 40 jusqu'à 60 tonneaux."

Plans au 1/20e de la Joble, gribane du musée de la Marine de Caudebec en Caux

Le chargement des marchandises se faisait en ponté (c'est-à-dire sur le pont plat) et non dans la cale. Il fallait ainsi un assemblage robuste pour supporter le chargement.

A droite, la gribane Enfant de France, transportant une pontée de bois quitte le port de Caudebec-en-Caux

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Les gribanes connurent leurs heures de gloire au milieu du XIX ème siècle. Elles étaient au nombre de 150 sur la Seine. Elles permettaient l'approvisionnement des agglomérations en bois de chauffage, de charpente, en matériaux de construction ainsi que le transport de produits de l'activité rurale. De ce fait, son utilisation devint systématique pour l'endiguement de la Seine : le transport des pierres des carrières de Biessard, Dieppedalle et de Caumont se faisait donc sur le pont. Les opérations de chargement et déchargement étaient ainsi moins coûteuse.

Quand le vent manquait, les gribanes étaient halées grâce à un filin amarré en haut du mât ou propulsées au moyen de longs avirons.

halage d'un bateau fluvial (foncet) devant l'abbaye de Notre-Dame-de-bon-Port,

gravure du musée de la Marine, Caudebec-en-Caux.

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La plupart des gribanes ont été construites dans les chantiers de Dieppedalle et de la Mailleraye. Les voiles étaient taillées à Duclair et Yainville ou récupérée sur d'anciens navires de haute-mer.

Constructeurs d'une gribane au début du siècle,

cliché pris au musée de la Marine de Caudebec-en-Caux. Les étapes de la construction

maquette du musée de la Marine de Caudebec en Caux

De gauche à droite (texte du musée) : 1) Sur la quille, on pose les varangues. Partant de l'étrave (avant), ils s'élargissent puis se rétrécissent jusqu'à l'étambot (arrière). 2) Par dessus la quille, on a posé la carlingue puis on a cloué le bordé de fond. Aux extrémités de chaque varangue, on fixe alors les allonges. 3) Le tableau arrière est posé ; les lisses ont servi à donner la forme de la coque. Depuis la carlingue partent les étais verticaux qui soutiennent les élongis de la longueur du navire et les barrots perpendiculaires. 4) Le bordé et le pont sont pratiquement terminés.

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Voici la dernière gribane de Seine, rebaptisée Joble, nom d'un petit village près d'Honfleur (caractéristiques : 20,40 m x 7,15 m x 0,85 m - tirant d'eau, jauge brute 78,24 tonneaux, charge maximum 75 tonnes).

Lancée en 1886 sous le nom d'Enfant de France, elle navigue à voile pour ravitailler en bois les boulangers de Rouen. En 1922, on lui adapte un moteur de camion. D'après les recherches de M. R. Poirier, le plus ancien propriétaire en serait M. Duchemin qui l'utilisait entre les deux guerres pour faire le service du bois de boulangerie entre la forêt de Brotonne et le Havre par le canal de Tancarville, du charbon de bois, du charbon de terre depuis le Havre. En juin 1940, son propriétaire la retrouve coulée, il est contraint d'en faire abandon aux Ponts-et-Chaussées qui la renflouent et la remettent en état en 1943. C'est à ce moment qu'elle est rebaptisée Joble. Elle est récupérée, à quai, dans la région parisienne par le Parc Naturel de Brotonne en 1981, rénovée et déposée au musée en juin 1985.

Ce tableau du musée est un ex-voto que l'on pouvait voir avant dans la petite Chapelle de Barre-Y-Va. La gribane de Jean Galay fait naufrage devant Caudebec, le 3 août 1783, pour une raison inconnue car le temps ne semble pas à la tempête. Grâce à l'intervention divine (remarquez la Vierge, en haut, à droite), le patron sera sauvé et le marin que l'on distingue dans l'eau, appelant à l'aide, le sera peut-être, lui aussi, sauvé par le passeur arrivant à son secours. Cette œuvre naïve est un remerciement. Sources : - Musée de la Marine de Caudebec-en-Caux et le guide de ce musée. - Musée Maritime de Rouen, bulletin de liaison n°1, été 1992.

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Les caïques de nos côtes (Yport, Etretat, …) Du Havre à Saint-Valéry, on utilise depuis des siècles un même type de coques et bordées à clins ; toutes les dimensions ont été représentées, depuis le simple camin (canot) de plage de Sainte-Adresse jusqu'au grand Houry de Fécamp. En effet, hormis Fécamp, on ne trouve pas sur ces côtes d'abris en eau profonde. Les valleuses le long des côtes n'aboutissent qu'à des grèves de galets en forte pente ; c'est dans ce milieu que c'est développée la tradition nautique des caïques cauchoises.

On trouve à droite de cette photographie (Collection Boucher, Musée des terre-neuvas et de la pêche de Fécamp) la caïque Notre-Dame de Bonsecours sur la plage d'Yport. Cette embarcation se trouve au centre du musée.

Sur le plan technique, la caractéristique principale de ces bateaux de plage réside dans leur mode de construction. Lancés et hissés à terre quotidiennement dans les brisants, ils doivent posséder une structure très résistante et légère à la fois. La construction à clins est d'origine nordique avec comme exemple principal les Drakkars.

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Les caïques, barques d'échouage et par la même ne nécessitant pas de port à quai, y étaient en effet régulièrement échouées et virées au cabestan à même le galet de la plage. Une autre constante de nos côtes est l'utilisation de caloges, vieilles barques servant à conserver le matériel de pêche et de lancement à proximité immédiate (à droite sur la photo ci-dessous). Les dernières caïques ont disparu d'Yport vers 1970.

Etretat vers 1900

Ci-dessus, maquette d'un drakkar offert par la ville d'Oslo en 1911 et présente dans le musée.

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La carène est construite à clins en orme, avec un faible tirant d'eau et une quille en chêne légèrement courbe afin de faciliter le halage.

Jusqu'au début du XXe siècle, les constructeurs n'utilisent en général pas de plans ni de demi-coques pour les caïques. On travaille avec des gabarits modifiés à la demande et découpés dans des planches de 1 cm. Ils sont placés sur la quille tous les 80 cm environ ; une planche au milieu allant de l'étambot à l'étrave et clouée sur les traversins des gabarits permet de les régler. Contrairement à ce qui se passe en construction classique, le bordage va commencer immédiatement alors qu'il n'y a encore ni membrure, ni varangue. Lorsque tous les bordés sont posés, on retire les gabarits, la coque n'est alors soutenue que par des arcs-boutants. On procède alors à l'ajustage des membrures. Les varangues sont découpées d'après les gabarits et relevés à même les bordés puis on procède au "tirage des clins" de façon à ce que la varangue suive parfaitement leur contour. Dans les dernières années des caïques, le procédé de construction va évoluer. Au lieu de border sur des gabarits, on place d'abord les membrures découpées, qui sont ragréées et entaillées au fur et à mesure de la progression du bordage. Celui-ci peut donc être cloué tout de suite ; la construction est réputée prendre moins de temps.

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La série de quatre caïques construites par les chantiers Jouen-Fiquet de Fécamp juste après la guerre pour Eugène EBRAN d'Yport. La première fut le " Vive Jésus " (F1051) en 1947, puis le " Dieu Protégez-Nous " (F1065) en 1948, enfin la " Notre-Dame de Bonsecours " (F1079) et la " Vierge de Lourdes " (F1089) en 1949. Ces quatre unités appartenaient à la famille Ebran, surnommée par les Yportais : " Gros péqueux ". Immatriculées à Fécamp, leur port d'attache était bien la plage d'Yport. La caïque Notre-Dame de Bonsecours avait un équipage de 7 hommes dont un mousse. Sa longueur totale est de 9,48 mètres et de plus grande largeur 3,88 mètres. Sa jauge nette est de 2,58 tonneaux, soit environ 7,3 m3.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette série de quatre navires n'était pas constituée de barques identiques. Jean Clément, charpentier de navire, a travaillé à la construction de ses unités explique : " traditionnellement on construisait sans plans, on se servait de vieux gabarits et on les modifiaient suivant ce que les gens voulaient. Mais pendant la guerre, les Allemands ont fait sauter les chantiers et on a été obligé de refaire les gabarits en prenant les cotes d'une vieille caïque échouée dans l'avant-port et puis on les a affinées et je crois qu'il y a eu un plan de fait, mais après la construction. Le " Vive Jésus " avait des formes plus rondes, d'ailleurs, elle était surnommée " la grosse ". Celle du musée [des Terre-Neuvas, c'est à dire la Notre Dame de Bonsecours] avait une tonture très légère, par contre, la Vierge avait une tonture très prononcée. C'était la Vierge qui était certainement la plus réussie avec une tonture bien appuyée et l'avant un peu plus pincé, c'était celle qui marchait le mieux. "

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Pour lancer la caïque, l'équipage pousse l'embarcation, en la tenant par ses clins, la forme de la caïque facilitant sa descente sur les galets. Des pans de bois peuvent aussi se placer autour de la quille pour aider au mouvement. Pour remonter la caïque et avant qu'elle ne s'échoue, l'équipage descend le mât, retire le gouvernail. La caïque est ensuite reliée au cabestan. Les femmes aidées des matelots présents sur la plage remontent alors la caïque.

"Le soir tombait et les pêcheurs s'en venaient par groupes au perret, marchant lourdement avec leurs grandes bottes marines, le cou enveloppé de laine, un litre d'eau-de-vie d'une main, la lanterne de bateau de l'autre. Longtemps ils tournèrent autour des embarcation inclinées ; ils mettaient à bord, avec la lenteur normande, leurs filets, leurs bouées, un gros pain, un pot de beurre et la bouteille de trois-six. Puis ils poussaient vers l'eau la barque redressée qui dévalait à grand bruit sur le galet, fendait l'écume, montait sur la vague, se balançait quelques instants, ouvrait ses ailes brunes et disparaissait dans la nuit avec son petit feu au bout du mât."

Guy de Maupassant, Une vie.

sources : musée des Terre-Neuvas de Fécamp et articles du Chasse-Marée

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Les Doris de Dieppe et Fécamp embarqués à bord des Terre-Neuvas

Un Terre-Neuva avec ses doris empilées sur le pont

Au début du XIXe siècle, les morutiers qui pêchaient à Terre-Neuve aux "harouelles" ou lignes dormantes utilisaient des chaloupes pour tendre ou relever leur tentis (lignes de fonds tendues).

Un Terre-Neuva avec deux doris sur les tangons Ces chaloupes très lourdes et incommodes à manipuler n'étaient pas non plus bien adaptées aux conditions de la pêche sur les bancs. Le doris commence à être utilisé par les armements français après la guerre de 1870 ; il était employé depuis un certain temps par les américains sur les goélettes du Massachusetts et de Nouvelle-Écosse qui pratiquaient le même genre de pêche.

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vues de profil, dessus et longitudinale d'un doris

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Cette embarcation à fond plat et à maître-couple trapézoïdal a une excellent tenue à la mer, ses formes très porteuses la rendent tout à fait apte à la pêche à la morue, sa légèreté permet de la hisser aisément à bord du terre-Neuva par son mat de misaine ; enfin, ses bancs amovibles permettent l'empilage, ce qui dégage le pont.

gabarits, vues de face d'un doris

Les doris étaient toujours peints en brun rouge sauf le liston, le plat bord et le sommier peints en vert. Vers 1905 les règlements imposèrent de faire peindre sur chaque doris le nom du navire, l'indication du port d'attache, le numéro du doris. Le peintre prenait alors un supplément de un sou par lettre, ce n'était pas négligeable car le doris valait à l'époque 100 francs. Chaque doris ne devait pas faire plus de deux campagnes. Au désarmement, on ramenait au chantier tous les doris ; ceux qui n'avaient qu'une campagne et qui étaient réparables pour moins de 30 francs étaient remis en état, les autres étaient vendus avec ceux terminant leur seconde campagne et ils étaient encore longtemps utilisés par les pêcheurs de la côte.

Sur les bancs, doris rentrant de relever les lignes avec le patron de doris et son matelot d'avant

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On remarque les doris empilées Sources : Relevés en 1965 par Jean Le Bot d'après les gabarits du chantier Lemarchand Pour en savoir plus : http://egancel.club.fr/index.htm


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