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Q U I D ?

J Radiol 2000; 81 : 545-547

© Editions françaises de radiologie, Paris, 2000

QUID ?

L Catel, L Debelle, F Lefèvre, V Laurent et D Régent

CAS CLINIQUE

Un homme de 40 ans, sans antécé-dent, présente un tableau de tuméfac-tion sous-mandibulaire avec crachatspurulents et fièvre à 40

°

C. Sous trai-tement antibiotique (Augmentin

®

etTiberal

®

), le tableau clinique s’aggraveavec apparition d’une dysphagie abso-lue et d’une dyspnée motivant l’hospi-

talisation. L’examen ORL, en dehorsde la tuméfaction, révèle une crépita-tion latérocervicale droite transitoire.Il n’existe pas d’anomalie oro ou hy-popharyngée. L’œsogastroscopie estsans particularité et la fibroscopiebronchique montre des sécrétionspurulentes. L’échographie cervicaleconfirme l’existence d’une hyper-trophie sous-maxillaire droite. Les exa-mens biologiques mettent en évidence

un syndrome inflammatoire avec uneVS à 53/97 et une polynucléose neu-trophile à 10 000 leucocytes/ mm

3

. Lecliché pulmonaire pratiqué à l’admis-sion et une coupe tomodensitométri-que au niveau de la branche droite del’artère pulmonaire montrent les as-pects suivants

(fig. 1 et 2)

.

Quel est votre diagnostic ?

Fig. 1 : Cliché thoracique de face.Élargissement médiastinal, pneumomédiastin supé-rieur latéralisé à droite, épanchement pleural droit.

Fig. 1 : Frontal chest radiography.Mediastinal widening, gas in the right lateral part of themediastinum, and right pleural effusion.

Fig. 2 : Coupe TDM avec injection passant au niveau dela branche droite de l’artère pulmonaire.Collection médiastinale mixte hydroaérique antérieure (flè-che blanche) et postérieure (flèche noire), associée à unépanchement pleural droit (étoile).

Fig. 2 : Contrast-enhanced CT at the supra aortic level.Mediastinum anterior collection with gas (white arrow), me-diastinum posterior collection (black arrow), and right pleu-ral effusion (star).

Service de Radiologie Hôpital d’Adultes, CHUNancy-Brabois, Rue du Morvan, 54511 VandœuvreCedex.

Correspondance : L Catel

© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 12/07/2011 par Centre Alexis Vautrin - (16126)

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L Catel et al. : Quid ?

J Radiol 2000; 81

RÉPONSE

Médiastinite purulente à point de départ cervical, sous-maxillaire.

Le cliché thoracique objective un élar-gissement médiastinal avec pneumo-médiastin supérieur droit, associé à unépanchement pleural droit sans foyer decondensation parenchymateux

(fig. 1)

.L’examen TDM met en évidence : — à l’étage thoracique, une collectionmédiastinale antérieure et postérieureavec présence de bulles d’air, associéeà un épanchement pleural droit adjacent

(fig. 2)

;— à l’étage cervical, une infiltration de laloge sous-maxillaire droite

(fig. 3)

, seprolongeant dans l’espace viscéralcervical avec présence d’une collectionpérithyroïdienne et de bulles d’air rétro-trachéales et péri-œsophagiennes

(fig. 4)

.La ponction pleurale a permis l’identifi-cation d’un streptocoque du groupe F etintermédiaire. Le diagnostic de médias-tinite porté devant la concordance desexamens cliniques, radiologiques et

bactériologiques a motivé la prise encharge chirurgicale, associant une cer-vicotomie exploratrice complétée parune thoracotomie avec drainage de lacollection. Après quelques jours de réa-nimation, les signes cliniques et radiolo-giques se sont amendés.

DISCUSSION

Les médiastinites aiguës descendantespurulentes sont rares et graves. Ellesconstituent une urgence vitale et se pré-sentent sous différentes formes : ta-bleau fruste d’aggravation progressive,tableau d’emblée aigu. À ce polymor-phisme clinique s’associe un polymor-phisme bactériologique (1) qui rend letraitement d’autant plus difficile. Le dia-gnostic doit donc être posé rapidementafin d’assurer une prise en chargemédico-chirurgicale efficace.Une origine dentaire est retrouvée dans58 % des cas (2). Les abcès rétropharyn-gés ou amygdaliens, les parotidites ou lestraumatismes cervicaux (3) font partie

Fig. 1 : Cliché thoraci-que de face.Élargissement médiasti-nal, pneumomédiastin su-périeur latéralisé à droite,épanchement pleural droit.

Fig. 1 : Frontal chest ra -diography.Mediastinal widening, gasin the right lateral part ofthe mediastinum, and ri-ght pleural effusion.

Fig. 2 : Coupe TDMavec injection passantau niveau de la branchedroite de l’artère pulmo-naire.Collection médiastinalemixte hydroaérique anté-rieure (flèche blanche) etpostérieure (flèche noire),associées à un épanche-ment pleural droit (étoile).

Fig. 2 : Contrast-en -hanced CT at the supr aaortic level.Mediastinum anterior col-lection with gas (white ar-row), mediastinum poste-rior collection (black arrow),and right pleural effusion(star).

des étiologies moins fréquentes. Danscette observation, l’origine de la médias-tinite est une sous-maxillite infectieuse(4), l’absence de capsule autour de laglande expliquant la diffusion du proces-sus infectieux vers les espaces cervicaux.Sur le plan bactériologique, la richessede la flore buccopharyngée en germesaéro-anaérobies (5) explique la possibi-lité de telles affections. Parmi les germesanaérobies, on distingue les germessporulés très virulents tels les bacillesGram positifs du genre Clostridium (per-fringens…) producteurs d’une exotoxine

Fig. 3 : Coupe TDM avec injectionpassant par l’oropharynx.Infiltration et collection de la logesous-maxillaire droite (flèche).

Fig. 3 : Contrast-enhanced CT atthe oropharynx level.Infiltration and collection of the rightsubmandibular gland (arrow).

Fig. 4 : Coupe TDM avec injectionpassant par la thyroïde.Collection périthyroïdienne (flècheblanche) limitée par la gaine viscé-rale, avec bulles d’air péri-œsopha-giennes (flèche noire).

Fig. 4 : Contrast-enhanced CT atthe thyroïde gland level.Collection arround the thyroid (whitearrow), with gas arround the eso-phagus (black arrow).

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nécrosante et hémolytique, et les ger-mes non sporulés moins virulents, dontl’agressivité est liée à la productiond’enzymes (protéinase, hyaluronidaseentraînant un clivage des tissus de sou-tien), ou de facteurs antiphagocytaires.

La présence fréquente de germes aéro-bies (Gram positifs, staphylocoque oustreptocoque, ou Gram négatifs, Hae-mophillus) favorise la multiplication desbactéries anaérobies par diminution dupotentiel d’oxydoréduction local. Commedans notre observation, l’agent patho-gène est rarement identifié compte tenu,d’une part, de sa fragilité et, d’autre part,de l’administration préalable d’un traite-ment antibiotique.Certains facteurs favorisants comme lediabète, l’athérome, un corps étranger,une intervention chirurgicale, l’alcoo-lisme, la dénutrition, ou un état d’immuno-dépression facilitent la propagation de tel-les infections. Notre patient, indemne detous ces facteurs de risque, a pourtantdéveloppé l’infection, fait rare mais déjàobservé (6).La propagation de ces infections s’expli-que par les voies de communicationsanatomiques entre le cou et le médiastin(7)

(fig. 5 et 6)

.Les éléments viscéraux du cou (thy-roïde, trachée, œsophage) sont entou-rés par une gaine cellulo-fibreuse qui lessolidarise. La loge viscérale se prolongeen bas autour de la trachée et l’œso-phage thoracique. L’absence de cloi-sonnement explique que la plupart desinfections cervicales à extension mé-diastinale emprunte ce compartiment.Par ailleurs, 3 aponévroses musculairesorganisent grossièrement l’espace cer-vical dans un plan frontal. L’aponévrosecervicale superficielle engaine le sterno-cleido-mastoïdien et se fixe en avant dela fourchette sternale.L’aponévrose cervicale moyenne se dé-double en 2 feuillets. Le feuillet profondadhère à la capsule thyroïdienne et sepoursuit vers le bas par la lame thyro-pé-ricardique, constituant la limite postérieurde la loge thymique. Le feuillet superficiels’insère à la face postérieure du manu-brium sternal et délimite en avant l’es-pace sus-sternal. Les infections siégeantdans l’espace cervical antérieur restenthabituellement confinées dans ce com-partiment, borgne à son extrémité infé-rieure. Ce n’est que si le feuilletsuperficiel de l’aponévrose cervicalemoyenne se rompt sous l’action lytiquede la flore bactérienne que l’infectionpeut diffuser à l’espace médiastinal an-térieur sous-jacent (loge thymique).L’aponévrose cervicale profonde est si-tuée, quant à elle, en avant des musclesprévertébraux, et en arrière de la loge vis-cérale (médialement), et des axes vas-culo-nerveux (latéralement). Elle limite enavant l’espace prévertébral, qui peut éga-lement être une voie de dissémination in-fectieuse cervico-médiastinale.Dans notre observation, la TDM, àl’étage cervical, met en évidence unecollection liquidienne périthyroïdiennecirconscrite par la gaine viscérale ainsi

que des bulles d’air péri-œsophagien-nes, signant la propagation infectieusepar la loge viscérale. À l’étage thoraci-que, l’infection, fusant initialement dansle médiastin postérieur a gagné secon-dairement le médiastin antérieur encontournant la trachée par la droite pours’organiser en une collection mixte hy-droaérique.L’échographie a confirmé l’existence dela sous-maxillite, mais n’a pas retrouvéle trajet de diffusion. La TDM est restéel’examen essentiel au diagnostic, puis-que outre les informations apportéespar l’échographie, elle a permis d’éva-luer le siège des lésions, le mode depropagation de la médiastinite, sonétendue et de guider la thérapeutique.Par son accessibilité, la TDM est lemeilleur examen pour suivre l’évolutionultérieure de la pathologie (8).

CONCLUSION

La médiastinite aiguë est une patholo-gie grave avec des taux de mortalitécompris entre 22 et 50 %. Elle compli-que les infections oro-pharyngées oudentaires à germes pyogènes et cor-respond à une infection descendante àcaractère nécrosant des espaces cel-luleux cervico-médiastinaux. Un dia-gnostic précoce conditionne une priseen charge médico-chirurgicale rapide ;il impose donc la réalisation d’uneTDM avec exploration des étages cer-vical et médiastinal au moindre doutediagnostique.

Références

1. Becker M, Zbären P, Hermans R et al.Necrotizing fasciitis of the head andneck: Role of CT in diagnosis and ma-nagement. Radiology1997; 202: 471-6.

2. Wheatley MJ, Stirling MC, Kirsh MM etal. Descending necrotizing mediastini-tis: transervical drainage is not enough.Ann Thorac Surg 1990;49:780-4.

3. Moncada R, Warpeha R, Pickleman J etal. Mediastinitis from odontogenic anddeep cervical infection. Chest 1978;73:497-500.

4. Oliphant MW, Wiot JF, Whalen JP. Thecervicothoracic continuum. Radiology1976;120:257-62.

5. Levine TM, Wurster CF, Krespi YP. Me-diastinitis occuring as a complication ofodontogenic infections.Laryngoscope1986;96:747-50.

6. Bisno AL, Stevens DL. Streptococcalinfections of skin and soft tissues: cur-rent concepts. N Engl J Med 1996;334:240-5.

7. Kiernan PD, Hernandez A, Byrne WD etal. Descending cervical mediastinitis.Ann Thorac Surg 1998;65:1483-8.

8. Lefriant G, Verdalle P, Sarrazin JL et al.TDM et cellulites cervico-mediastinales :4 cas. J Radiol 1998;10:1240.

Fig. 5 : Coupe schématique axialepassant par la thyroïde.1. Aponévrose cervicale superficielle ;2. Aponévrose cervicale moyenne ;3. Aponévrose cervicale profonde ;4. Gaine viscérale ; 5. Loge vascu-laire ; 6. Thyroïde ; 7. Sterno-cleïdo-mastoïdien ; 8. Trachée et œsophage.

Fig. 5 : Schematic axial drawingsection at the thyroid level.1. Superficial fascia; 2. Visceral fascia;3. Prevertebral fascia; 4. Visceralspace; 5. Vascular space; 6. Thyroid; 7.Sternocleidomastoid; 8. Trachea andesophagus.

Fig. 6 : Coupe schématique sagit-tale médiane du cou et du thorax.1. Aponévrose cervicale superficielle ;2. Aponévrose cervicale moyenne(2a. Feuillet superficiel ; 2b. Feuilletprofond) ; 3. Espace suprasternal ;4. Loge thymique ; 5. Isthme thyroï-dien ; 6. Veine brachiocéphalique ;7. Œsophage ; 8. Trachée ; 9. Troncartériel brachiocéphalique.

Fig. 6 : Schematic sagittal medialsection at neck and thoracic level.1. Superficial fascia; 2. Visceral fascia;2a. Superficial part; 2b. Deep layer;3. Supra sternal space; 4. Thymicspace; 5. Thyroid isthmus; 6. Brachio-cephalic vein; 7. Esophagus; 8. Tra-chea; 9. Brachiocephalic artery.

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