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Page 1: Radiofréquence et traitement du cancer : réalités et limites

J Radiol 2007;88:1127-8© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007

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Radiofréquence et traitement du cancer :réalités et limites

T de Baere

a radiofréquence, dont le principe est connu depuis l’aprèsguerre, a été utilisée dans le traitement du cancer relative-ment récemment, alors qu’elle est utilisée en médecine

pour le traitement par ponction directe de certaines affections de-puis de nombreuses années comme par exemple la rhizolyse ou lathermocoagulation du ganglion de Gasser. L’arrivée de la ra-diofréquence dans l’arsenal thérapeutique anticancéreux coïnci-de avec des améliorations techniques à même d’augmenter le vo-lume de destruction tissulaire qui peut être obtenue avec unesimple électrode, même si quelques articles médicaux furent ini-tialement publiés avec de simples aiguilles utilisées comme élec-trodes (1), matériel maintenant obsolète. On peut donc dire quela radiofréquence dans le traitement du cancer a environ 10 anset que ses possibilités et limites ne sont pas encore totalement dé-finies. Une limite assez vite décrite sur des modèles expérimen-taux a été celle de ne pas pouvoir coaguler les vaisseaux de largecalibre. Cette limite a été décrite comme le « heat sink effect » parles Anglo-Saxons (2, 3). Il s’agit en fait d’une déperdition thermi-que due à la convection1 engendrée par la circulation du sang à latempérature du corps humain dans les vaisseaux. La chaleur dutraitement par radiofréquence est produite par friction ioniquedans les quelques millimètres les plus proches de l’électrode, maisplus à distance c’est un phénomène de diffusion thermique quipermet d’échauffer les tissus, et la convection des vaisseaux estsupérieure à la diffusion de la chaleur au sein des tissus. Ce « heatsink effect » peut être interprété comme un avantage ou un incon-vénient de la destruction par radiofréquence : avantage en limi-tant les thromboses ou perforations vasculaires, ou inconvénientcomme démontré dans l’article de Seror et coll. (4) dans ce numé-ro en limitant les possibilités de destruction tumorale au contactdes gros vaisseaux.Pour éviter les échecs de traitement au contact des gros vaisseaux,une première attitude est d’éliminer les tumeurs au contact de cesgros vaisseaux des indications de radiofréquence. Il faut alorsconnaître la taille des vaisseaux limitant l’efficacité et on peutconsidérer de par la littérature qu’un diamètre supérieur à 3 ou4 mm induit un refroidissement par convection (5, 6). Unedeuxième attitude, dont le bénéfice n’est pas démontré, est deconcentrer l’énergie radiofréquence proche des vaisseaux en ypositionnant préférentiellement l’électrode. Une troisième atti-tude est de lutter contre cette convection thermique par diversartifices techniques qui ont l’objectif commun de diminuer oud’interrompre le flux à l’intérieur des vaisseaux. Certains ont

proposé l’hypotension qui, en limitant le débit cardiaque, dimi-nue la convection proportionnelle au débit sanguin du vaisseau.L’occlusion du vaisseau est le plus souvent possible par voie per-cutanée qu’il s’agisse d’une veine sus-hépatique ou d’une brancheportale comme nous l’avons rapporté il y a quelques années (7).Des résultats en cours de publication confirment la réduction desrécidives lorsque de telles occlusions au ballonnet sont réalisées.Chez les patients cirrhotiques, il faudra être prudent et savoir nepas proposer d’occlusion portale en raison du fort risque de com-plications majeures lorsqu’une manœuvre de Pringle (clampagedu pédicule hépatique et des veines sus-hépatiques) est réaliséelors de radiofréquence (8). Les effets de la vascularisation sur le traitement par radiofré-quence ne se limitent pas uniquement au « heat sink effect » géné-ré par les vaisseaux de calibre significatif car la microcirculation,aussi bien dans les tumeurs que dans le tissu hépatique sain avoi-sinant, influe sur les volumes de destruction tissulaire obtenuspar radiofréquence. Peu de travaux se sont intéressés à ces phéno-mènes plus complexes à étudier, cependant une communicationnée d’une collaboration franco-américaine, a montré que des ani-maux recevant un anti-angiogénique (Sorafenib) ont une crois-sance moins rapide des tumeurs mais surtout une zone de des-truction par radiofréquence significativement plus étendue(11,1 ± 0,3 mm vs 6.7 ± 0,7 mm) (9). L’augmentation du volumede destruction par radiofréquence est corrélée à une diminutionde la vascularisation sur les coupes anatomopathologiques. Lesmêmes équipes démontrent dans une étude chez l’homme qu’ilexistait une relation entre le type de tumeur traitée et la taille del’ablation obtenue par radiofréquence, et ceci indépendammentde la vascularisation tumorale (10).Dans d’autres organes, tels que le rein, il a déjà été démontré queles modifications de vascularisation obtenues par embolisationdistale ou occlusion vasculaire tronculaire modifiaient le volumede la destruction par radiofréquence (11). Par ailleurs une équipejaponaise a montré que l’occlusion bronchique permettait d’aug-menter le volume de destruction par radiofréquence dans le pou-mon suggérant le rôle de la déperdition thermique engendréepar la convection de l’air dans les bronches lors de la respiration(12). L’article de Seror et coll. (4) nous permet donc de mieux appré-hender l’impact de la vascularisation sur l’efficacité de la ra-diofréquence et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pouraméliorer les résultats de cette technique dont les indications ac-tuelles encore non parfaitement codifiées s’étendent très rapide-ment. Actuellement, les organes traités communément sont lefoie, le rein, l’os et les parties molles, le sein, les poumons, les sur-rénales et les indications plus rares concernent les ganglions, lathyroïde et la rate. Le nombre d’organe, la spécificité de chacund’entre eux comme des tumeurs qui s’y développent fournissentau radiologue interventionnel des champs d’investigations nom-breux et des possibilités multiples de développement futur de cet-te technique encore jeune qu’est la radiofréquence.

L

1. Convection : transfert de chaleur qui s’accompagne de mouvements de molécules dans unfluide.Conduction : transfert de chaleur provoqué par une différence de température entre deuxrégions d’un même milieu ou entre deux milieux en contact sans déplacement appréciablede matière.

Département d’Imagerie médicale, Institut de cancérologie Gustave Roussy, 39, rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif.Correspondance : T de Baere,E-mail : [email protected]

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