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Rapport du Bâtonnier sur la justice février 2010

Avoir affaire à la justice aujourd’hui est sans conteste une erreur stratégique je ne conseille à

personne de s’y aventurer dans les temps qui courent.

Hanefi et les autres auraient mieux fait de venir plus tôt (en dépit de nos critiques nous

constatons, avec le recul, que notre système judiciaire n’était pas si mal que ça ces dernières

années) ou plus tard lorsque nos magistrats seront comme les magistrats sénégalais regroupés

dans un syndicat fort qui les protègent, non soumis à la pression, à l’arme des frais de justice

criminelle et au spectre de l’affectation.

Ce dernier trimestre s’est caractérisé par un recul au niveau de la justice, la tendance

visiblement est toujours vers la baisse.

1/La place de l’avocat

Elle connaît un recul dans le système judiciaire actuel de plus en plus injuste de plus en plus

inéquitable et surtout basé sur l’arbitraire.

Le rôle de l’avocat est pourtant reconnu comme un des piliers du système judiciaire. L’avocat

est désormais reconnu comme un auxiliaire de justice au sens plein, l’auxiliaire est celui qui

aide, qui apporte son concours, l’avocat participe ainsi pleinement au processus judiciaire qui

doit conduire, en principe au rétablissement d’une situation plus harmonieuse à l’issue d’un

procès qui répond au sentiment de justice exprimé par les citoyens, l’avocat participe

également au bon fonctionnement du service public de la justice.

Il y’a quelque jours le président du tribunal a déchiré en pleine audience la lettre de

constitution d’un avocat sous prétexte qu’elle n’a pas été faite sur papier entête alors que la loi

ne prescrit aucune forme particulière et la personne en question empêchée, sous ce prétexte,

de son avocat a été jugée et condamnée à trois ans fermes.

Il y’a quelques jours également le président du tribunal a demandé à un avocat en robe et en

pleine audience de lui présenter sa carte professionnelle en présence de certains membres du

conseil de l’ordre.

Des avocats ont été empêchés d’accéder au palais de justice, le courrier de l’ordre est toujours

interdit au secrétariat du parquet général au mépris des règles les plus élémentaires du

fonctionnement du service public de la justice.

Malgré les dispositions claires du code de procédure pénale les avocats qui ont réclamé tout

dernièrement, par écrit, de visiter leurs clients en garde à vue n’ont même pas mérité de

réponse de la part du Procureur de la République. Les droits de la défense ne font plus partie

de notre jargon

L’équilibre est aujourd’hui plus que jamais rompu entre la défense et l’accusation.

Qui croit qu’on est encore à l’époque où les avocats, par leurs talents, plaidaient et

changeaient le court des choses ?

Qui croit encore à l’époque où le ministère public n’était qu’une partie au procès, perdant ici

gagnant là, faisant valoir ses arguments au même titre que les autres parties soumis à la même

rigueur du procès pénal ?il est clair que contrairement à toute logique et en violation de tous

les textes c’est le parquet qui gère le procès pénal.

2/ Pression sur les juges et instrumentalisation de la justice.

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Il convient d’abord de partir du postulat que chaque pouvoir a la tentation naturelle et

permanente d’étendre ses propres compétences, au détriment de celles des autres pouvoirs,

législatif et judiciaire.

Garantir cet équilibre requiert une vigilance constante.

Rendre la justice c’est exercer un pouvoir, les magistrats ne doivent pas se laisser influencer

dans leurs décisions, par des critères étrangers à la juste application de la loi, en effet dans un

Etat de droit les juges ont pour fonction essentielle, sinon exclusive d’appliquer des règles

générales à des situations particulières. Cette fonction est capitale et inaliénable. Y porter

atteinte constitue ainsi une ingérence inadmissible dans l’indépendance de la fonction

judiciaire.

Cette ingérence est malheureusement le quotidien de nos juges aujourd’hui.

Le juge d’instruction a été convoqué à minuit pour décerner un mandat de dépôt, il l’a

décerné.

Le président de la chambre d’accusation a été convoqué à 20h pour transformer un mandat de

dépôt en contrôle judiciaire, il y a procédé.

La chambre pénale de la cour suprême a été saisie pour siéger d’urgence dans l’affaire Hanefi

et elle s’est exécutée spontanément en violant les formes requises par la loi en matière de

procédure et ce en statuant avant que la défense, encore dans les délais, ne produise son

mémoire.

Ceci est d’autant plus grave que le juge est tenu en vertu des dispositions du préambule du

code de procédure pénale de faire respecter le principe du contradictoire.

La juridiction de renvoi s’inscrit dans la logique du parquet c’est sans doute sur cette base

qu’elle a été constituée.

Nous n’avons pas enregistré ces derniers temps une seule décision de justice qui va à

l’encontre des réquisitions du parquet. De telles coïncidences répétées portent à croire que la

loi n’a plus de sens, les textes n’ont plus de portée et le juge sans autorité.

De plus en plus on assiste à l’installation de l’ultime instruction au juge à la place de l’intime

conviction du juge.

De multiples exemples nous font dire que dorénavant on peut considérer finie l’époque où les

décisions devenues définitives et ayant autorité de la chose jugées étaient exécutées

spontanément, la décision de justice s’exécute aujourd’hui si et seulement si le parquet en

décide ainsi, dans ce cas la justice est là pour mettre les formes, régulariser les décisions

prises en dehors de la justice.

Tout porte à croire que les décisions se passent en dehors de la justice aussi bien celle de

poursuivre que celles de libérer le cas échéant, des mécanismes extrajudiciaires voient de plus

en plus le jour en parallèle où plutôt en substitution à la procédure judiciaire.

Ceci est inquiétant.

3/ Le tout répressif

De multiples exemples ces dernières semaines confirment la politique du tout répressif, pour

ne citer qu’un exemple parmi des dizaines, à Nouadhibou un pauvre Monsieur a été condamné

à deux ans fermes pour un vieux téléphone Nokia d’une valeur de 9000 ouguiya.

Bien évidemment l’époque où l’on accordait la liberté provisoire lorsque ses conditions sont

réunies et on libérait une fois cette liberté accordée appartient au passé ainsi que l’époque où

les condamnés qui ont purgé leur peine sont élargis comme le veut la loi.

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On a cessé d’accorder depuis quelques mois les libérations conditionnelles parce que la

libération tout court ne fait plus partie de notre vocabulaire.

La présomption d’innocence et les droits de la défense n’ont plus de sens dans notre système

de plus en plus injuste de plus en plus inéquitable, cela au moment où les droits de la défense

sont aujourd’hui reconnus comme étant un des éléments de l’Etat de droit.

4/ La prison

Je ne vois pas encore d’amélioration remarquable depuis mon dernier rapport sur la prison de

Dar Naim où retentissent paradoxalement les bruits mais aussi le silence et surtout l’oubli

particulièrement au fond, du coté des personnes que j’ai visitées tout dernièrement ceux qui

attendent un juge qui ne les rappellera jamais, qui attendent un dossier perdu, un appel sur

lequel on ne statuera jamais une détention préventive prolongées de 3,4,6 ans ou condamnées

à la hâte sans défense ou tout simplement ces personnes qui ont purgé leur peine.

5/ Les dysfonctionnements du service public de la justice

Il y’a un point mort que personne n’arrive à comprendre, les magistrats n’avancent plus au 31

décembre, le ministre n’a plus d’autorité sur le parquet, le président de la cour suprême ne

préside qu’une partie de celle-ci l’inspection générale est clouée au sol, contrainte à la retraite

anticipée, le disfonctionnement est tel qu’aucune justice ne peut être rendue dans le contexte.

L’ordre des avocats qui peut constituer un contre poids est considéré comme un fauteur de

troubles. Il est exigeant et réclame la gouvernance judiciaire, il est indiscipliné, pour utiliser

une expression que j’ai entendue tout dernièrement.

Pourtant l’ordre des avocats s’est juste limité à dénoncer cet arbitraire qui s’installe peu à peu

de façon confortable dans notre système judiciaire et qui fera que le rôle du juge et du coup

celui de l’avocat se réduiront, dans la procédure judiciaire, à un rôle de figurant, un rôle de

second plan.

Nous avons tout essayé, la diplomatie, la main tendue, le tact, la souplesse, la fermeté,

l’affrontement, rien à faire l’arbitraire prend le devant et le dessus or sur ce plan nous avons

été clair pas de concessions à envisager de notre part, sur tout le reste on est flexibles.

Je livre mon témoignage en guise de conclusion la justice recule à des proportions

inquiétantes, le procès pénal est géré par le parquet général qui représente le pouvoir exécutif

ce qui rend évidente la conclusion à l’instrumentalisation de la justice et l’absence de

véritable séparation des pouvoirs en Mauritanie.


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