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Page 1: Recit d'un voyage à Brantôme

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Les châteaux de Bourdeilles

Ce 9 juin 2012, je suis de nouveau et de bon matin au bord de l'avenue de Madran à attendre un bus qui me sortira de chez moi et me fera découvrir quelque trésor de la région. Le programme de cette excursion élaborée par le Comité du quartier du Monteil doit permettre aux Pessacais inscrits de vi-siter le château de Bourdeilles et la petite ville de Brantôme. C'est un voyage que j'ai déjà fait il y a quelques années mais dont les souvenirs s'estom-pent dans la brume du temps. Y revenir devrait faire émerger d'anciennes images. Le ciel n'est pas très bleu, ce matin vers sept heures ; disons même cou-vert : voyage sans soleil…

Après trois heures de route et d'autoroute, nous sommes devant le château de Bourdeilles, soi-gneusement enfermé dans son rempart, au centre du village. Que la visite commence ! Un grand gingko biloba ombrage l'avant-cour et le chemin d'accès à la porte du château : puis passage obligé par l'espace de vente.

En réalité, ce n'est pas un château mais deux qui s'élèvent sur les terres de Bourdeilles, l'un datant du Moyen-Âge, l'autre de la Renaissance. C'est ce dernier qui est aménagé pour les visites, le plus ancien n'offrant que son haut donjon aux visi-teurs. Sur le parvis des châteaux, notre guide tente de nous initier à cette histoire ancienne que l'on nomme Moyen-Âge et qui reste aujourd'hui d'une grande confusion. Dès le X e siècle, quatre baronnies sont constituées dans le Périgord, dont celle de Bourdeilles appelée alors probablement Burgus. Le lieu est âprement disputé car sur cet éperon qui domine la Dronne par une belle falaise, une pre-mière forteresse dont il ne subsiste rien est cons-truite. Sur ses ruines, Géraud de Maulmont qui re-çoit le site en fief fait construire un château en 1283 dont le donjon octogonal de 35 m de haut est au-jourd'hui l'élément le plus emblématique. Entre 1283 et 1299 sont construites les écuries et la salle des gardes puis de 1300 à 1307, la cour médiévale, les murs de défense ; le donjon est achevé. Les Bourdeille qui avaient perdu leur bien le rachètent pour 4 000 écus d'or ; ils l'occuperont par intermit-tence et le conserveront jusqu'en 1947. La guerre de Cent Ans n'épargnera pas le château fort ; en 1360, le Périgord devient anglais et les baronnies aussi. C'est en 1481 que le baron François de Bourdeille

rachète au comte de Périgord Alain d'Albret la part comtale du castrum de Bourdeilles : la baronnie re-prend la tête des deux parties réunies du domaine. De cette haute époque datent aussi un moulin sei-gneurial et le pont à bec sur la Dronne.

Suite à une période de prospérité, vers 1589, Jacquette de Montbron, veuve du baron André de Bourdeille et dame ordinaire de la reine Catherine de Médicis, conçoit une nouvelle demeure qui tire partie des inventions architecturales du milieu du XVI e siècle. De style Renaissance, elle est construite entre le donjon et la falaise dominant la rivière mais l'édifice reste inachevé à la mort de la baronne en 1598 : il en manque une aile…

En 1699, la branche aînée des Bourdeille s'éteint et les châteaux sont donnés au comte de Ju-millac, maîtres de forges. C'est l'époque où la fonte du Périgord permet de fabriquer les canons pour l'arsenal de Rochefort.

En 1720, le château est racheté par Jean de Bertin, contrôleur général des finances de Louis XV, ministre de l'agriculture. Son descendant fuit en 1791 en Allemagne pour échapper à la Révolution mais revient en 1797 : il récupère son château et tente la culture des vers à soie, expérience qui échoue. En 1842, le château revient au marquis de Bourdeille, lointain descendant de la famille origi-nelle. En 1919, il est classé "monument historique". En 1947, le château quitte définitivement la famille Bourdeille, éteinte. En 1962, il est donné au dépar-

1. Ancien accès au château 2. Avant-cour3. Forteresse médiévale (XIII e siècle)4. Château Renaissance (XVI e - XVII e siècles)5. Jardin labyrinthe

Plan des châteaux de Bourdeilles

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tement de la Dordogne qui y fait quelques travaux. En 1967, un couple de mécènes le meuble avec une très belle collection de mobiliers anciens. Cinq ans plus tard, retour au département avec la collection. C'est cet ensemble que nous nous préparons à visi-ter en entrant dans "la demeure italienne".

Le château Renaissance élève ses trois ni-veaux au-dessus de la terrasse qui domine la rivière. Dès l'origine, chaque niveau est divisé par un large couloir ; côté sud, deux appartements symétriques comprenant une chambre éclairée par une croisée et dotée d'une cheminée (chaque chambre communi-que avec un cabinet, une garde-robe et une latrine carrée) ; côté nord, une vaste salle de réception qui sert de salle à manger ou de salon. Des transforma-tions faites au cours des siècles ont divisé certaines de ces pièces dont l'usage était choisi en fonction de leur orientation.

La première pièce dans laquelle nous en-trons ne ressemble plus à ce qu'elle était à son ori-gine. Ancienne chambre pour recevoir et rencontrer les invités, elle est devenue cuisine – l'évier est en-core là, sous la fenêtre – puis chapelle ; dans la che-

minée a été placée par le couple de mécènes des an-nées soixante une mise au tombeau en pierre cal-caire provenant du prieuré de Montgé, en Seine-et-Marne, détruit à la Révolution. En réalité, le monu-ment funéraire est composé de deux parties : le Tombeau de Jean de Chabannes et la mise au tom-beau du Christ. L'œuvre date du deuxième quart du XVI e siècle : notre guide nous en fait une descrip-tion pointue que nous suivons avec attention, satis-faits de ne pas être considérés comme des ignorants devant une œuvre inconnue.

Sur le tombeau, Jean de Chabannes, comte de Dammartin (1462 - 1503), chambellan du roi de France Charles VIII, est représenté en gisant. Il prie, les mains jointes. Ses vêtements sont ceux du com-battant : cotte de mailles, jambières, genouillères et cuissardes damasquinées. Mais c'est la mise au tombeau qui retient notre attention : derrière le Christ mort, se trouvent Marie, l'apôtre Jean et les saintes femmes qui inclinent la tête vers le défunt. Aux deux extrémités, l'un à la tête et l'autre aux pieds du Christ, Nicodème et Joseph d'Arimathie,

disciples de Jésus, tiennent le suaire. Le guide nous détaille la sculpture qui orne le flanc de cette œuvre : un Christ y tient une balance mais le guide insiste sur un détail, le bateau qui fait naufrage, sorte de caravelle au mât brisé. Juste au devant de la proue du navire, la tour de Ninive, tel un minaret dans la forêt. Au bord du tableau de pierre, une baleine re-jette Jonas en Syrie : elle a la tête d'un monstre et ressemble davantage à un lion qu'à une baleine ; dents pointues et longues oreilles. Il faut y lire une allégorie du Christ ressuscité trois jours après sa crucifixion…

De l'autre côté du grand couloir voûté du rez-de-chaussée dont on nous dit qu'il s'inspire de celui de Chenonceaux, nous découvrons la grande salle qui était autrefois une salle de réception ou salle à manger décorée au XVI e siècle. Elle a perdu

Extrait d'un témoignage de mai 1852 :"On voit à Bourdeille deux châteaux bien conservés ; une forteresse du XIV e siècle et une villa italienne des derniers temps de la Renaissance. La forteresse, de forme très origi-nale, se compose principalement d'un grand corps de logis long de 33 mètres et large de 9 mètres à l'intérieur. Deux salles se partageaient chaque étage. Il n'y avait donc en tout que quatre pièces, dont les quatre immenses cheminées, les fenê-tres et les bancs de pierre existent encore. Les murs de refend et les planchers ont disparu. Une toiture passablement entrete-nue protège l'édifice contre les intempéries, mais elle n'est pas d'origine. Au sud et à l'ouest, du côté de la rivière et du bourg ce corps de logis affleure le bord d'un rocher qui se creuse à sa base de la manière la plus pittoresque. À l'ouest, seul point où il fut possible d'aborder de plain-pied l'emplacement du châ-teau, une grosse tour à huit pans fortifiait l'angle le plus expo-sé et protégeait la porte d'entrée. C'est un véritable donjon bien conservé..."

Château Renaissance de Bourdeilles Décor du tombeau de Jean de Chabannes

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sa taille originelle car elle fut partagée en deux au XVII e siècle et habillée de boiseries peintes dont il subsistent deux panneaux d'origine de chaque côté de la cheminée. Son sol est encore en marbre coloré. L'évier que l'on aperçoit dans l'embrasure d'une fe-nêtre confirme que cette pièce fut une salle à man-ger : on y dressait la table. Aujourd'hui, elle est ap-pelée salle d'armes car elle a été meublée avec quel-ques armes hétéroclites. On peut y admirer des jeux d'épées ainsi qu'une hallebarde, arme à triple usage que notre guide nous explique : le crochet terminal servait à désarçonner le cavalier, la hache permettait de couper les jarrets des chevaux et avec la pointe, on tuait le malheureux cavalier… Autres armes ex-posées : un fusil arabe à silex daté du XVIII e siècle, damasquiné, et un casque perse du XVII e. Près de la porte, un coffre à gargousses du XVI e siècle, blindé. Il permettait de ranger les sacs de poudre embar-qués sur les navires et destinés aux canons des sa-bords : un clin d'œil à l'arsenal de Rochefort ? En tout cas, le premier que je voyais…

Un grand escalier droit avec palier dessert les trois niveaux du château. Il loge dans une ex-croissance du bâtiment accolée sur sa façade orien-tale. La salle dorée occupe le côté nord ; c'est une autre salle de réception couverte d'un plafond à la française : les poutres et solives sont entièrement peintes et ornées de capuchons dorés. Ces peintures ont été réalisées entre 1641 et 1644. Soixante-six pe-tits tableaux ornent le bas des boiseries et illustrent quelques paysages appréciés des propriétaires de l'époque, quelques châteaux des environs ainsi que quelques vues de leurs domaines. Deux cheminées dorées sont décorées de tableaux.

Malgré la beauté de cette vaste pièce et de son ameublement, l'œuvre principale est une tapis-serie datée de 1600 - 1620 représentant le roi Fran-çois I er chassant. Le roi sur son cheval blanc et le fauconnier qui l'accompagnent sont représentés si grands que leurs têtes sortent du cadre ; ils occupent le tiers droit de la tapisserie. Au centre, un valet

maîtrisant les chiens les regarde alors que sur la gauche, les deux gentilshommes tournent le dos aux spectateurs. La bordure de la tapisserie est ornée de figures moresques, de cartouches à paysages et de symboles des quatre éléments. Cette tenture com-mencée sous la régence de Marie de Médicis a sans doute été commandée dans un but politique par la reine elle-même afin de montrer la continuité du pouvoir royal qui est passé des Valois aux Bourbons après l'avènement difficile d'Henri IV.

Cette pièce magnifique est donc l'une des trois salles de réception du château. C'est ici qu'étaient reçues les ambassades ou qu'étaient don-nés bals et banquets. Ces espaces d'apparat étaient l'occasion de déployer de grandes compositions dé-coratives. Les murs étaient recouverts de boiseries car elles avaient la capacité de mieux conserver la chaleur dans les pièces ; elles offraient également de vastes surfaces qui pouvaient être peintes ou recou-vertes par des tentures. Sur le manteau de l'une des cheminées de cette très belle salle est encore accro-ché un grand tableau à huile sur toile représentant Flore comme une allégorie du printemps alors que sur l'autre cheminée, Pomone ou l'Abondance, en-tourée de fruits, représente l'automne. Impossible de tout regarder tant, du plancher au plafond, cet ensemble contient de jolis meubles et de fort belles peintures réalisées au milieu du XVII e siècle.

Avant de quitter cet étage, incursion rapide dans l'une des deux chambres qui se partagent le côté sud. La chambre, pièce polyvalente où l'on re-çoit, où l'on prend les repas et où l'on dort dans une proximité partagée avec les domestiques, se diver-sifie au milieu du XVI e siècle par l'adjonction de pièces annexes. La garde-robe et le cabinet servent

Détail des peintures sur l'une des poutres

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Tapisserie "Arrivée en forêt". 1620.

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de lieux de rangement et de chambre pour la do-mesticité et les enfants. Ces espaces qui communi-quent entre eux forment, au XVII e siècle, un appar-tement. La cheminée assurait un chauffage mini-mum et la seule fenêtre, un peu de lumière. Cette spécialisation progressive des espaces caractérise l'art de se loger à la française. La montée au deuxième étage révèle l'uniformité du plan de ce château Renaissance dont les trois niveaux se res-semblent.

C'est au troisième niveau que nous décou-vrons la chambre dite de Charles Quint, ainsi nom-mée en raison du mobilier espagnol qui y a été ras-semblé par Robert Santiard, généreux mécène pas-sionné par l'art espagnol. Le meuble principal est un lit espagnol du XIX e siècle, qui n'a donc rien à voir avec l'empereur de l'empire sur lequel jamais le so-leil ne se couchait. Abus de langage, donc… Mais ce lit est superbe, bois sombre et décor doré. La tête du lit est ornée d'un ensemble en cuir doré français fort prisé dans toute l'Europe depuis le XVI e siècle et jusqu'à la fin du XVIII e siècle. Une feuille d'argent était collée sur le cuir puis recouverte d'un vernis jaune, à base de résines végétales et d'huile de lin, qui prenait ainsi un aspect doré. Les motifs géomé-triques étaient estampés. Le guide nous explique que ce lit n'est en réalité qu'un assemblage de divers éléments provenant de lieux et d'époques différen-tes ; un lit puzzle, en quelque sorte.

Quatre grosses poutres et solives visibles, tapis sur le plancher, portes (ou fausses portes) do-rées sur un mur recouvert de superbe papier peint :

cette pièce superbe recèle de nombreux coffres es-pagnols appelés bargueños, ancêtres des secrétaires. Sans doute fabriqués à l'origine près de Tolède, dans la localité de Bargas, ils auraient été inspirés par les coffres andalous utilisés à Grenade ou Cordoue. Ils servaient à transporter bijoux ou documents impor-tants. Ces petits meubles en noyer étaient parfois dorés à la feuille ; les façades somptueuses, ornées de colonnes torsadées en os et en ivoire présentaient de multiples tiroirs dont certains, sécurisés, étaient cachés. Posés sur une table, ils devenaient secrétai-res très utiles car contenant tout le nécessaire à l'écriture. L'un de ces coffres exposés ici est consti-tué de douze tiroirs… Le guide nous explique que la diversification et la multiplicité des formes de meu-bles a été possible à la fin du XV e siècle grâce aux innovations techniques, en particulier d'assemblage, et à l'emploi de bois moins épais. Parmi les autres objets espagnols exposés, deux braséros circulaires.

Depuis les croisées de cet étage, la vue plonge sur la Dronne et son petit barrage associé au moulin et au vieux pont roman. Nous redescendons le bel escalier et quittons cette demeure Renaissance magnifiquement meublée. Cependant, il faut garder en mémoire que jusqu'à la fin du XVI e siècle, ces châteaux n'étaient bien souvent que des lieux de passage que l'on habitait peu. Aussi, le mobilier était-il apporté à chaque visite par une cohorte de domestiques. Ce n'est qu'à partir du XVII e siècle que se dessine progressivement la sédentarisation de la cour royale et que naît l'art de se loger à la française…

Après la Renaissance, le Moyen-Âge. Lon-gue est la montée à la terrasse du donjon mais belle la récompense car depuis ses trente-cinq mètres

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1. Couloir 2. Salle de réception 3. Chambre 4. Cabinet5. Garde-robe 6. Latrine 7. Escalier 8. Cheminée

Plan de l'un des niveaux du château Renaissance

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Bargueños : décor en os et en ivoire

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d'altitude, elle offre un vaste panorama sur le vil-lage, sur le château Renaissance et son jardin laby-rinthique et sur la Dronne aménagée par les hom-mes pour leur donner son énergie. Les diverses sal-les de cette tour sont couvertes de croisées d'ogives ; dans les petites embrasures percées dans l'épaisseur des murs, des pigeons ramiers couvent et sur-veillent leurs œufs.

Dernier coup d'œil au cè-dre planté il y a 240 ans : à midi, le bus nous attend en haut du village.

Brantôme

Je quitte donc Bourdeilles sans avoir rien reconnu de ma précédente visite : il était donc utile de j'y revienne… Route jusqu'à Brantôme, l'étape suivante. Le restaurant choisi est des plus minuscu-les : la pluie qui mouille les pavés nous empêche de déjeuner dehors ; il faut se contorsionner pour at-teindre sa chaise… Heureusement, le repas est ou-vert par un vin de noix servi en guise d'apéritif, sui-vi par un délicieux tartare de tomate accompagnant trois gambas et des morceaux de fruits. Dommage que les côtelettes aient été servies froides et bien du-res… Trois fromages et une salade de fruits rouges à la crème chantilly achèvent le repas. Café et alcool de poire, pour la route !

Quelques déambulations dans les rues ani-mées et très touristiques de cette cité périgourdine nous amènent jusqu'à l'embarcadère où nous attend le bateau à fond plat pour une escapade sur le canal et la rivière. Le canal qui sépare l'abbaye de la ville a été creusé par les moines dans un but défensif : d'un côté, la falaise boisée, de l'autre le canal et sur l'es-pace étroit restant, les bâtiments de l'abbaye. Ce ca-nal transforme la cité en une île qu'il est de bon ton

d'appeler "Venise du Périgord" même si elle n'a guère à voir avec la Venise de référence. Il faut bien appâter le visiteur… Au rythme lent du bateau élec-trique, défilent donc quelques-uns des principaux monuments : la tour de garde du XV e siècle (ou ce qu'il en reste) et dont les canards squattent les bou-ches de canon ; le campanile daté de l'an mil, consi-déré comme le plus ancien de France, se compose de quatre étages en retrait et se trouve édifié sur le rocher, au pied de la falaise et non sur l'église (Il se-rait un précurseur du style roman limousin.) ; le mur de fortification et sa tour ronde. Le bateau glisse sous le pont roman construit sur l'antique voie romaine reliant Sainte à Périgueux puis passe devant l'ancien hôpital devenu maison de retraite : calme assuré pour les pensionnaires… Comme la plupart des villes du sud-ouest, Brantôme se veut aussi située sur le chemin menant vers le champ des étoiles, au fin fond de la Galice : les coquilles le rap-pellent aux pèlerins. Puis le canal rejoint la Dronne au petit barrage qui détourne une partie des eaux de la rivière dans le bras artificiel. Le courant est plus fort, les îles plus nombreuses, le parcours com-pliqué ; la végétation se referme sur la rivière et le bateau s'enfonce sous la forêt-galerie : frênes, aul-nes, saules, tilleuls, trembles, érables, noisetiers se mirent sur l'onde sombre. Périgord vert… Les col-verts nous accompagnent car ils savent que le pilote a emporté avec lui quelques quignons de pain. Dans cette végétation redevenue sauvage, c'est avec peine que je distingue les arcades brisées de l'aqueduc in-diqué par le guide ainsi que l'ancien moulin des moines construit sous et dans les falaises dissimu-lées par les rideaux d'arbres. Le bateau fait demi-tout à hauteur du camping car il ne peut franchir les petits rapides de la Dronne. Une partie du retour se fait à la gaffe, moteur électrique coupé : navigation silencieuse qui mériterait d'être plus longue car si agréable. Les nénuphars jaunes ploient à notre pas-sage ; les colverts se battent pour le pain et la pau-vre poule d'eau est bien incapable de leur faire con-currence… J'apprécie la propreté de l'eau mais re-grette le temps pluvieux qui assombrit davantage le couvert végétal qui protège le cours d'eau. Le pilote doit jouer avec la tente déployée au-dessus de nos têtes pour passer sous les ponts. Déjà nous revenons devant les maisons qui baignent leurs pieds dans le canal : au bout de la venelle Hugo, une porte forti-fiée et quelques pierres autrefois posées dans le ca-nal qui permettaient de franchir l'eau à pied. Après une petite heure de navigation, nous revenons à no-tre point de départ trop tôt à mon goût.

Les châteaux de Bourdeilles

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Quartier libre à Brantôme en attendant le retour au bus. C'est l'occasion de visiter les bâti-ments de l'abbaye qui occupent la rive droite du ca-nal, entre falaise et bras d'eau. En ce lieu exception-nel de par sa situation, une première abbaye dédiée à Saint Pierre et Saint Sicaire aurait été édifiée sous

le règne de Charlemagne au VIII e siècle mais dé-truite par les Vikings au IX e siècle. Reconstruite au cours des siècles suivants, elle fut victime de toutes les guerres qui ravagèrent la région et le pays. Grâce à l'intelligence de son abbé de l'époque, Pierre de Bourdeille, elle fut épargnée par les guerres de reli-gion. Plusieurs fois remaniée et rebâtie, en particu-lier au XV e siècle puis radicalement restaurée au XIX e siècle par Paul Abadie, élève de Viollet-le-Duc ; c'est dire qu'elle ne ressemble plus du tout à ce qu'elle fut à ses origines. Sans doute les premiers moines se sont-ils installés dans les grottes de la fa-laise avant d'utiliser la pierre pour construire le premier édifice. Aujourd'hui subsistent le campanile du XI e, l'église des XI e et XIII e siècles, une partie du cloître du XIV e et les bâtiments conventuels du XVII e dans lesquels se trouve la mairie de la cité.

Après une visite rapide à l'intérieur de l'église, je monte l'escalier dit escalier Vauban qui dessert les étages du bâtiment conventuel. Cet esca-lier à encorbellement, sans colonne de soutien, re-pose sur des demi-cintres ; ses voûtes sont presque horizontales.

L'autre édifice original de ce site est le pont coudé construit dans la première moitié du XVI e siècle pour franchir la rivière et le canal. Rive droite, il débouche sur le pavillon Renaissance flanqué d'une tour ronde, l'ensemble constituant la défense sud de l'abbaye et de son château.

Il ne nous reste plus qu'à revenir chez nous, non sans admirer le couple de mariés qui a choisi Brantôme et son joli décor pour faire les photos de ce jour différent : souffrent-ils, eux aussi, de l'ab-sence du soleil ?

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1. Église 2. Cloître 3. Campanile 4. Grotte 5. Jardin6. Bâtiment conventuel 7. Tour de garde

Plan de l'abbaye de Brantôme naguère

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Le pont coudé et l'abbaye (gravure ancienne)

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L'escalier Vauban et le campanile à gâbles

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Brantôme, les pieds dans le canal

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L'île de Brantôme, entre Dronne et canal

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L'usage est d'écrire Bourdeille pour les membres de la famille et Bourdeilles pour le village.


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