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De  très  nombreux  livres  ont  été  publiés  sur  René  Lévesque,  mais voici la seule véritable biographie de ce premier ministre entré vivant dans la légende. 

En  relatant  les  événements  souvent  palpitants  qui  ont  marqué  la  vie de René Lévesque, depuis l’enfance en Gaspésie jusqu’à sa mort, évoquant  tour  à  tour  le  journaliste,  le  correspondant  de  guerre,  le ministre rebelle de Jean Lesage, le fondateur du Parti québécois, l’adversaire  irréductible de Pierre Elliott Trudeau, c’est  le parcours du Québec, de ses espoirs, de ses réalisations et de ses déchirements que Pierre Godin raconte.

Pierre Godin n’était pas un familier de René Lévesque, ce qui le met à l’abri des biais et des partis pris bien naturels pour qui a connu de près ou fréquenté le grand homme. Il a donc la distance néces-saire pour tracer de son modèle un portrait nuancé qui fait ressortir les qualités exceptionnelles de l’homme d’État, tout en ne passant pas sous silence les zones d’ombre de la personnalité charismatique mais  controversée  de  ce  grand  leader  populaire.  Ni  apologie  ni condamnation, ce livre met en lumière toute l’humanité du person-nage. Le fait que Godin ait été également un témoin privilégié de la vie politique québécoise donne une vie et une couleur inimitables à son récit.

Grâce à ce livre, le lecteur pourra donc parcourir d’un trait la vie de René Lévesque, ce Québécois essentiel dont Robert Bourassa disait qu’il n’y avait pas beaucoup, dans une génération, d’hommes comme lui.

PIERRE GODIN

UN HOMME ET SON RÊVE

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Après ses études de maîtrise en sciences politiques à l’Université de Montréal, Pierre Godin a choisi le journalisme et l’écriture. Il a été responsable des pages politiques à La Presse, chef de l’information au Jour, et directeur de l’information adjoint et chroniqueur politique au Devoir. Il nous offre aujourd’hui un condensé de la vie et de la carrière de René Lévesque qui reprend l’essentiel de sa biographie en quatre volets. René Lévesque, un enfant du siècle (1922-1960), René Lévesque, héros malgré lui  (1960-1976), René Lévesque,  l’espoir  et  le  chagrin  (1976-1980) et René Lévesque, l’homme brisé (1980-1987).

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Les Éditions du Boréal, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) HJ L

www.editionsboreal.qc.ca

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René Lévesqueun homme et son rêve

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DU MÊME AUTEUR

La Poudrière linguistique — La Révolution tranquille, vol. , Éditions duBoréal, .

La Fin de la grande noirceur — La Révolution tranquille, vol. (nouvelle édi-tion de Daniel Johnson, tome ), Éditions du Boréal, .

La Difficile Recherche de l’égalité — La Révolution tranquille, vol. (nouvelleédition de Daniel Johnson, tome ), Éditions du Boréal, .

La Révolte des traîneux de pieds. Histoire du syndicat des employé(e)s de maga-sins et de bureaux de la SAQ, Éditions du Boréal, .

René Lévesque, un enfant du siècle (-), Éditions du Boréal, .

René Lévesque, héros malgré lui (-), Éditions du Boréal, .

René Lévesque, l’espoir et le chagrin (-), Éditions du Boréal, .

René Lévesque, l’homme brisé (-), Éditions du Boréal, .

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Pierre Godin

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Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec.

Photo de la couverture : Presse canadienne/La Presse

© Les Éditions du Boréal

Dépôt légal : e trimestre

Bibliothèque et archives nationales du Québec

Diffusion au Canada : DimediaDiffusion et distribution en Europe : Volumen

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives CanadaGodin, Pierre

René Lévesque, un homme et son rêveComprend des réf. bibliogr.

ISBN ----

.Lévesque, René, -. .Québec (Province) – Politique et gouvernement –-. . Québec (Province) – Politique et gouvernement – -. .Québec(Province) – Histoire – Autonomie et mouvements indépendantistes. . Premiersministres – Québec (Province) – Biographies. I. Titre.

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Pour Micheline, Marie-Josée et Bruno.Ils sont toute ma vie.

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Ne pas avoir de cause, c’est ne pas avoir de pays.Ne pas avoir de cause, c’est ne pas avoir de raison d’être.

NADINE GORDIMER, Un caprice de la nature

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CHAP ITRE I

Né pour être premier

En 1817, l’Anglais de Rivière-Ouelle, Charles Pearson,mutin de la marine britannique, se marie à MargueritePastournel. La Canadienne lui donnera 17 enfants dont

une fille, Marcelline, sera l’arrière-grand-mère paternelle de René Lévesque. En effet, en 1845, trois ans avant la mort de Charles Pearson, devenu entre-temps premier meunier du moulin seigneurial de Rivière-Ouelle, sa fille Marcellineépousera Dominique Lévesque, de la sixième génération desLévesque en Amérique.

Le premier Lévesque à débarquer en Nouvelle-France s’appelait Robert. C’était un charpentier originaire de Hautôt-Saint-Sulpice, commune normande du diocèse de Rouen situéesur le plateau agricole du pays de Caux, à une centaine de kilo-mètres du Havre. À son arrivée en 1662, Robert Lévesque s’étaitfait octroyer des terres près de la rivière Ouelle où il s’était établiavec sa femme, la Dieppoise Jeanne Chevalier.

Aujourd’hui, la vieille mairie de Hautôt-Saint-Sulpice affichefièrement une plaque à la mémoire de Robert Lévesque. Apposéesur l’une des deux colonnes de briques fauves érigées à l’entrée dela mairie, l’inscription rappelle : «Mr René Lévesque 1er Ministre

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du Québec a dévoilé cette plaque le 30 juin 1983 en souvenir deson ancêtre Robert Lévesque né dans cette paroisse le 3 sep-tembre 1642. »

René Lévesque a donc pour ancêtre un vrai Normand. Mais,grâce à l’ancien rebelle Charles Pearson, du sang très britishirrigue aussi ses veines.

Avec un tel arbre généalogique, il a tout pour devenir l’enfantterrible de la politique québécoise. D’autant qu’y figure aussi uninsurgé canadien-français passé du côté des Américains, quandceux-ci ont envahi le Canada en 1775.

Ce second rebelle se nomme Germain Dionne et il est l’an-cêtre direct de Diane Dionne, mère de René Lévesque. Il a vingt-huit ans quand, en 1759, les troupes de Montcalm s’effondrentdevant celles de Wolfe sur les plaines d’Abraham. Il n’accepterajamais la défaite de la Nouvelle-France.

Quinze ans plus tard, quand les Américains soulevés contreLondres se présentent devant Québec, Germain Dionne estdevenu un riche paysan de La Pocatière à qui un tempéramentd’acier assure une grande autorité sur ses semblables. Il se rangesous l’étendard américain.

L’ancêtre de René Lévesque traverse la frontière et rejoint lecélèbre régiment de Hazen, formé de 250 volontaires canadiens quicombattront les Habits rouges sur le sol américain durant près dehuit ans. À la bataille d’octobre 1781, à Yorktown, où l’arméeanglaise capitule, le régiment de Hazen se distingue aux côtés dugénéral Lafayette, qui fait l’éloge de sa bravoure et de son héroïsme.

Après la ratification de l’indépendance américaine, le « capi-taine Dionne » songe à s’établir outre-frontière sur les terres quela nouvelle république lui a octroyées dans la région du lac Cham-plain. Mais sa mauvaise santé l’incite plutôt à rentrer à Québec.

Les générations se suivent mais ne se ressemblent pas. Les filsépousent rarement les querelles de leurs pères. Aussi les succes-seurs du rebelle Germain Dionne obliquent-ils vers un combatmoins menaçant mais plus profitable : le commerce. L’un de sespetits-fils, Charles-François, prospère commerçant de la côte dela Montagne, à Québec, accède même à la noblesse en épousantHenriette Noël, fille du seigneur de Saint-Antoine-de-Tilly.

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Il l’aime tellement, son Henriette, qu’il lui fait construire unsomptueux manoir, qui existe toujours. À la mort d’Henriette,Charles-François hérite du titre de seigneur de Tilly, qu’il conser-vera jusqu’à son décès. Son fils, Charles-Alphonse, nous intéresseplus particulièrement. Il aura trois fils dont l’un, Joseph-Médéric,sera le père de Diane Dionne, mère de René Lévesque.

Né le 16 mars 1870 au manoir de Tilly, Jos-Médéric ne vivrapas assez longtemps pour connaître son petit-fils René. En mai1895, quand il épouse Alice Hamel, mère de Diane, il n’en a pluspour longtemps à vivre. Aussitôt marié, Jos-Médéric, qui estmédecin, s’établit à Victoriaville. Mais il meurt inopinémentquatre ans plus tard.

Alice Hamel se retrouve, à vingt-six ans, veuve et mère de troisenfants en bas âge dont Diane, l’aînée, mère de René Lévesque. Uneannée entière s’est maintenant écoulée depuis la mort de Jos-Médéric. Et il n’est pas dit qu’Alice se morfondra encore longtemps.Sa sœur, Isabelle Hamel, vient à son secours. Fraîchement mariée àmaître Pascal Taché, avocat en vue de Kamouraska, Isabelle imploreAlice de venir la rejoindre à Fraserville (Rivière-du-Loup aujour-d’hui), où elle habite une grande maison confortable.

Rivière-du-Loup est en ce début de siècle une ville coquette,d’allure un peu coloniale. Et elle est attirante pour une jeuneveuve, les bons partis ne manquant pas. Chaque printemps, dèsque l’air se réchauffe, on voit arriver la bonne société anglophoneet francophone de la capitale à laquelle viennent se greffer deriches Américains et le personnel des consulats étrangers. Tout cebeau monde vient couler doucement l’été à Fraserville, dans deluxueuses résidences aménagées sur la côte escarpée du fleuve.

La ville porte le nom de Fraserville en l’honneur du seigneurFraser, à qui elle doit son essor industriel. C’est dans ce milieuprovincial cultivant les vertus petites-bourgeoises que grandira lamère de René Lévesque. À la pension Deslauriers, où Diane logeavec sa mère Alice, s’attriste un veuf en mal d’amour. Il s’appelleElzéar Pineau, a belle allure et, comme Alice, vient de perdre satendre moitié qui lui a laissé une seule fille, Yvonne. Avec ses quarante ans révolus, le veuf n’est cependant plus tout jeune auxyeux d’Alice, qui n’en a même pas vingt-huit.

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Toutefois, la bonne situation d’Elzéar, riche propriétaire d’unmagasin général qui occupe trois étages, compense amplement,selon elle, la différence d’âge. Sans compter que le veuf sait parleraux femmes.

C’est ainsi que le 27 mai 1901, loin des oreilles et des yeux dela bonne société de Fraserville (une veuve et un veuf à peine sor-tis de leur veuvage doivent rester discrets à cette époque), lagrand-mère de René Lévesque prend pour second époux ElzéarPineau au cours d’une modeste cérémonie en l’église Saint-Rochde Québec. Après le mariage, Elzéar achète une maison princièretoute blanche, au toit mansardé, qui impressionne par ses dimensions. Elle s’élève au 27 de la rue Fraser, à l’angle de la rueLafontaine, et restera à jamais pour René Lévesque la maison desgrands-parents.

Les années passent au gré des doux étés de Fraserville, faceaux côtes lointaines de Tadoussac. À seize ans, Diane est plutôtpetite, mais bien tournée. Tout indique que l’adolescente devien-dra une jolie femme avec sa chevelure épaisse et très noire quiattire déjà le regard des hommes. Mais Diane est surtout brillanteet avide de connaissances. Elle fait figure d’intellectuelle. Sa cul-ture en impose même au curé de la paroisse. À tel point qu’il lanomme censeure de la bibliothèque paroissiale.

À dix-huit ans, Diane ne manque pas de prétendants dans labonne société de Rivière-du-Loup. La nature l’a choyée et elle nepasse jamais inaperçue. C’est une grande romantique aussi, nour-rie de lectures qui la font rêver au prince charmant.

Un jour qu’elle promène sa filleule Marcelle, elle voit l’avocatDominique Lévesque se diriger vers elle.

« J’ai une belle filleule, non? lui dit-elle.— Moi, j’aimerais mieux la marraine », ose l’avocat en

accompagnant son compliment d’un sourire.Né le 26 février 1889, à Saint-Pacôme-de-Kamouraska,

Dominique Lévesque porte le prénom de son grand-père, celui-là même qui avait pris pour femme Marcelline Pearson, fille dumarin anglais réfugié à Rivière-Ouelle.

À trente et un ans, il fait déjà figure d’avocat prometteur àcause non seulement de ses dons de plaideur mais aussi de son

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association avec le grand Ernest Lapointe, patron du cabinetd’avocats Lapointe & Stein, de Rivière-du-Loup, et lieutenantquébécois du premier ministre fédéral Mackenzie King.

Pour tout dire, il ne manque plus qu’une chose à Dominiquepour être tout à fait heureux : épouser cette Diane Dionne dont letempérament d’intellectuelle curieuse et vive l’attire tout autantque son charme physique.

Le 4 octobre 1920, la mère de René Lévesque lie sa vie à celledu brillant avocat de Saint-Pacôme au cours d’une sobre céré -monie en l’église Saint-Patrice de Rivière-du-Loup.

Pendant qu’il lui faisait la cour, Dominique avait annoncé àDiane son désir de quitter le bureau d’Ernest Lapointe, où iln’était que le dernier tâcheron. Il avait omis de lui dire, cependant,que les conditions de vie à New Carlisle, pays de colonisation oùil comptait l’emmener, étaient des plus misérables.

Ce n’est pas que l’idée d’abandonner la vie douillette deRivière-du-Loup pour cette Gaspésie inconnue lui plaise. Maisqui prend mari prend pays ! Il s’agit en l’occurrence d’un hameaude la côte sud de la Gaspésie, en face du Nouveau-Brunswick, oùil n’y a ni électricité ni radio et où la plupart des maisons sont privées d’eau courante. Le Moyen Âge, comparativement àRivière-du-Loup.

Diane doit pomper l’eau comme à l’étable. La grande rési-dence bourgeoise de la rue Fraser où elle a grandi lui manque terriblement. Elle déprime dans l’inconfort de sa nouvelle maison.C’est dans ce milieu pénible que se terminera la première grossesse de Diane Dionne-Lévesque.

« Vous voyez, il ne vivra pas, dit l’infirmière à Diane en luimontrant son bébé. Il ne se tient pas… »

Le médecin qui l’accouche à la maison est ivre. Il tire trop fortavec les forceps. L’enfant a le cou cassé. Diane Dionne décide que saprochaine grossesse s’achèvera à l’hôpital de Campbellton, de l’autrecôté de la baie des Chaleurs. C’est ainsi que le 24 août 1922, RenéLévesque, le plus québécois des premiers ministres québécois,pousse ses premiers cris dans un hôpital du Nouveau-Brunswick.

Dans ses mémoires, René Lévesque dira de sa naissance :« Selon mes parents, je fus un beau bébé… » Son premier cadeau

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d’importance lui vient de son parrain, John Hall Kelly, l’associé deson père. C’est un joli landau en rotin pour le promener. Il s’agiten fait du seul et unique cadeau que le filleul recevra jamais dumillionnaire. Chez les Lévesque, le parrainage de Kelly relèverabien vite de la farce, l’Irlandais ne voulant jamais vraiment établirde rapports avec son filleul.

René Lévesque se montrera toujours dur envers ce faux par-rain, comme pour venger une humiliation ou un mépris ressentidurant l’enfance. « Un gros homme d’affaires regardant les gensdu haut de son affreux petit château baroque à l’entrée du village. »

John Hall Kelly est l’une des figures dominantes du puissantet sélect family compact qui s’est peu à peu mis en place après l’arrivée en Gaspésie des United Empire Loyalists fuyant la révo -lution américaine.

René Lévesque dira plus tard : « Les Canadiens français àNew Carlisle, nous étions des colonisés. Dans ce village, uneminorité d’Anglais contrôlait tout, le CN, la banque, le magasingénéral… Nous étions leurs indigènes. Ils n’étaient pas méchants.Ils nous traitaient comme les Rhodésiens blancs traitent leursNoirs. Ils ne leur font pas de mal mais ils ont tout l’argent, doncles belles villas et les bonnes écoles. »

L’impression dominante aujourd’hui : à New Carlisle, on voittoujours René Lévesque comme un trouble maker, voire commel’antéchrist de la Confédération canadienne qu’il a voulu détruire.La maison familiale du grand homme est érigée au 16 de la rueMount Sorel, sur une butte tapissée de verdure et dominant labaie des Chaleurs.

C’est une maison de bois blanc que l’on qualifiait durant lesannées 20 de bourgeoise. Mais vue avec les yeux d’aujourd’hui, elleparaît bien ordinaire avec son portique rudimentaire orné d’un lustreen fer forgé plutôt banal, ses bay-windows qui en rompent l’harmo-nie ancienne et un solarium que les années ont peu à peu mutilé.

Rien de commun avec les magnifiques « châteaux » desgrandes familles anglophones, les Kelly ou les Caldwell, que l’œilaiguisé de l’adolescent René Lévesque remarquera pour les gra-ver au plus profond de sa mémoire à titre de symboles provocantsde l’inégalité criante entre les Wasps et les Français de son enfance.

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Le petit René n’a pas dormi très longtemps dans le fameuxlandau de rotin de son parrain. À dix mois, il est déjà un enfanttrès actif qui ne reste pas en place cinq minutes. Il est attachant,certes, mais à sa façon, qui est endiablée, et il donne déjà tous lessignes d’une précocité remarquable.

À deux ans, l’enfant est déjà un phénomène qui fait la fiertéde sa grand-mère et de sa jeune tante Marcelle qui l’exhibecomme un petit animal savant. Dans la rue, les gens multiplientles cajoleries tout en lui demandant son nom, son âge et ce quefait son père. Le marmot finit par en devenir excédé. Il se fabriqueune réponse qu’il débite avant même qu’on l’interroge : « RenéLévesque, deux ans, 24 août, avocat, avocat… » De là date sansdoute le dédain qu’il manifestera toute sa vie pour les avocats !

Parfois, sa tante Marcelle le trouve détestable quand vient letemps de faire des courses en automobile. C’est toute une histoireque de le faire monter dans l’engin. Le petit monstre piaffe decolère en répétant : « René veut pas l’aller… René veut pas l’aller… » On finit par le faire monter de force.

L’arrivée de Fernand, en 1924, a un peu rabaissé le caquet àl’aîné. Car aussitôt la parenté consacre à l’unanimité le frère cadetcomme un enfant d’une beauté rare. À Rivière-du-Loup ou àNew Carlisle, les tantes s’entendent dire quand elles le promè-nent : « Comme vous avez un bel enfant ! » Les extases qu’a provoquées René ont rarement eu à voir avec sa joliesse de chérubin. Il ravit plutôt la galerie par un tempérament fort et unesprit éveillé.

L’enfant triste

René Lévesque n’oubliera jamais la petite école de rangbilingue où il a usé son fond de culotte durant six années. Il laréduit à « une misérable cabane à plus d’un kilomètre de la maison, de celles qu’on nommait one-room schoolhouse ».

Sa réputation d’enfant triste (parmi les francophones) et detrouble maker (parmi les anglophones) lui vient de ses premièresannées d’école. Il n’est pas grand pour son âge, le fils de

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Dominique Lévesque, mais il est dur et ne craint aucun élève,même plus costaud que lui.

« À l’école, il n’y avait personne pour l’accoter », se souviendraGérard Poirier, membre de cette joyeuse et grouillante bande degars et de filles descendant d’Irlandais, d’Acadiens et de Français,tous catholiques mais parlant deux langues, qui apprenaient àfaire connaissance en se tapant dessus et en se traitant de craw fishet de french frog !

René Lévesque conservera des souvenirs ensoleillés de cettepériode : « C’était très folklorique. Je n’en ai gardé aucun ressen -timent vis-à-vis des gens de langue anglaise… »

Plus René vieillit, plus certains symboles d’une inégalitécriante en matière d’éducation donnée aux anglophones et auxfrancophones distillent en lui le poison de la révolte. Un exemple :cette New Carlisle Academy, moderne high school jaune etblanche devant laquelle il passe tous les jours pour se rendre à saminable école de rang bilingue. Les petits francophones commelui ne vont nulle part avec leur ridicule école primaire Numéro 1,à moins d’avoir des parents assez riches pour leur payer le coursclassique à Gaspé ou à Québec.

Mais ne nous y trompons pas. Malgré son côté voyou de courd’école, René Lévesque est un enfant heureux. Il connaît le bonheur associé à cette étape insouciante de la vie qu’est la préadolescence.

Dans ce New Carlisle du speak white, young René, l’anglais estle passeport obligé pour circuler dans la ville et se faire com-prendre. Aussi René Lévesque ne tarde-t-il pas à devenir bilingue.Atout dont il tirera profit toute sa vie.

Ce sentiment d’être « colonisé », comme il le dira lui-mêmeplus tard en évoquant son enfance à New Carlisle, se trouve heureusement tamisé par la présence de la mer, bleue ou verte,infinie, apaisante.

Il n’y a pas une seule ruelle ni venelle de New Carlisle que lejeune René n’ait visitées, ni aucune rue qu’il n’ait arpentée seul ouavec ses copains, les Poirier, les Days, les Dorais ou les Dallain. Aucours des années 20 et 30, New Carlisle est un gros village trèsactif qui joue aussi le rôle de chef-lieu administratif et judiciaire.

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Lorsque René marche dans New Carlisle pour se rendre àl’école ou plus tard pour faire les quatre cents coups avec sa bandede copains, il passe d’abord devant le magasin général, où règnel’imperturbable Tom Caldwell qui exhibe sur sa poitrine une scintillante montre en or.

En faisant le circuit des belles villas anglaises, René nemanque pas de s’arrêter un instant devant le bureau de son père,coincé entre deux temples de bois blanc, l’un de l’Église unie etl’autre de l’Église presbytérienne, assortis chacun d’un cimetièreaux stèles toutes britanniques.

De là, René traverse la rue de terre battue pour admirer lechâteau excentrique de son parrain avec ses jets d’eau et, à côté,l’élégante résidence des Kemffer enfouie sous les arbres et lesfleurs que ces descendants de loyalistes aiment tant.

René et ses amis peuvent jeter un coup d’œil sur la superberésidence des Hamilton — ouverte aux touristes aujourd’hui. C’estimmanquable : Gavin Francis Hamilton, patriarche à la longuebarbe toute blanche, finit par en sortir avec son chapeau melon, sacanne et ses lunettes attachées à une rutilante chaînette en or.

René s’attarde encore devant le palais de justice, où plaide sonpère. Le corps principal du bâtiment est en bois, mais la maisondu geôlier, la prison et la haute muraille tout autour sont enpierres des champs.Tout à côté, il y a le Town Hall, moins redou-table, où monsieur le maire Gilker règne depuis 1921.

Mais le clou de la promenade reste la gare, tout en bas de larue Oriental, d’où l’on aperçoit le grand banc de Paspébiac et seshautes falaises qui rougeoient au soleil. La gare et son brouhahacaptivent certes l’enfant, mais son véritable royaume reste la mer.Avec sa bande d’amis, il fréquente la plage du quai, de l’autre côtéde la voie ferrée, à l’entrée est de la ville, où les navires viennentcharger du bois à papier.

L’été, cette petite plage devient le refuge de René. Il nage,plonge et bronze, respirant l’air du large. Il trimballe aussi sa jeu-nesse d’enfant du siècle jusqu’à Paspébiac, où l’eau du barachoischauffée par le soleil devient tropicale au baissant.

Un jour, René manque de se noyer. L’enfant téméraire a nagéloin et le courant plus musclé que lui l’emporte vers le large.

NÉ POUR ÊTRE PREMIER 19

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Luttant désespérément pour regagner le rivage tout en avalantune grande quantité d’eau, il perd connaissance. Mais, ô miracle,se noyer n’est nullement désagréable. « Et quel réveil, écrira plustard le mémorialiste. Penchée sur moi, c’était la déesse de la plage,flamboyante rousse aux longues jambes, qui m’avait sauvé… »

Et pour l’homme qui additionnera toute sa vie les conquêtesamoureuses, la baigneuse rousse aux cuisses fuselées restera lapremière femme qui aura su, bien malgré elle, il est vrai, dé -clencher en lui un sentiment amoureux.

Ses prouesses d’enfant terrible sont assez remarquables. Sescamarades notent chez lui un côté « brute intelligente » qui enimpose aux autres. Tenant rarement en place plus de dix secondeset bagarreur comme un Irlandais, il adore cogner sur les petitsAnglais et se sauver ensuite, quand il n’est pas le plus fort.

Son père n’hésite pas à le corriger sévèrement quand Renédépasse les bornes. Comme la fois où il vient de lui donner encadeau un marteau de bois. Le petit chenapan — qui doit avoircinq ans alors — ne trouve rien de mieux à faire que de casserméthodiquement les 16 carreaux de la grange d’à côté.

Mais le casseur de vitre a une grande qualité : il ne mentjamais, même pour se sortir du pétrin. Devant le massacre,Dominique Lévesque demande : « Qui a fait ça ? » René répondsans hésiter : « C’est moi, papa. »

Le petit Napoléon

Aujourd’hui, on ne dirait pas d’un enfant comme René qu’ilest un vaurien, mais plutôt un hyperactif. C’est un gamin agité,certes, mais qui émerveille les copains par son intelligence et safacilité à dire les choses les plus graves ou les plus sérieuses. Il litnettement plus que la moyenne.

À huit ans, il peut déjà lancer aux amis : « Si ça arrive, je sauraià quoi m’en tenir… » Il est rare, en 1930, qu’un enfant de cet âges’exprime ainsi.

À neuf ans, il est déjà leader. Une photographie de lui prise àRivière-Nouvelle, où la famille va se baigner, montre un petit

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TABLESDES MATIÈRES

Chapitre INé pour être premier

Chapitre IIDans l’enfer de Dachau

Chapitre IIIProfession : grand reporter

Chapitre IVÉlu par la peau des dents

Chapitre VSecond début

Chapitre VILe ministre électrique

Chapitre VIILa légende du petit chef blanc

Chapitre VIIILe grand agitateur

Chapitre IXJe ne me suis jamais senti canadien

Chapitre XUne défaite qui a l’air d’une victoire

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Chapitre XILa terreur

Chapitre XIIL’envie de tout lâcher

Chapitre XIIICe soir, nous danserons dans les rues

Chapitre XIVMonsieur le premier ministre

Chapitre XVLes grands chantiers de la souveraineté

Chapitre XVITourbillon parisien

Chapitre XVIIJ’ai mieux à faire

Chapitre XVIIIParler en son propre nom

Chapitre XIXL’argent avant la patrie

Chapitre XXÀ la prochaine fois...

Chapitre XXIIl faut sauver le homeland

Chapitre XXII« Vous verrez, après avoir dit non, ils diront oui »

Chapitre XXIIIUn coup de poignard au milieu de la nuit

Chapitre XXIVHistoire d’espion : la suite

Chapitre XXVLe bateau ivre

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Chapitre XXVI« Je m’en souviendrai... »

Chapitre XXVIIDans l’honneur et l’enthousiasme

Chapitre XXVIIIKangourous et caribous

Chapitre XXIXBurnout aux tropiques

Chapitre XXXQue sont mes amis devenus...

Chapitre XXXIAdieu René

Remerciements

Principales sources documentaires

Personnes interviewées

Index

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Imprimé sur du papier % postconsommation, traité sans chlore, certifié Éco-Logo

et fabriqué dans une usine fonctionnant au biogaz.

MISE EN PAGES ET TYPOGRAPHIE :

CHRISTIAN CAMPANA

ACHEVÉ D'IMPRIMER EN OCTOBRE 2007

SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE GAGNÉ

À LOUISEVILLE (QUÉBEC).

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