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Le remplissage vasculaire au cours deshypovolémies absolues ou relatives afait l'objet, en 1989 d'un consensus (1)qui, sur des critères d'efficacité, detolérance et de coût,préconisait l'usagedes cristalloïdes et des gélatines ensolution sodée, la non utilisation deplasma frais congelé et la limitation del'albumine à quelques situations trèsspécifiques.

Des Recommandations pour la Pratique Clinique (2),en 1997,ont confirmé ces dispositions et la limitation de l'albumineaux seules situations de contre-indication des colloïdes desynthèse et/ou d'hypoprotidémie inférieure à 35 g/l, nonliée à une dilution des protéines plasmatiques. Colloïdes desynthèse et cristalloïdes isotoniques, à volumes plus impor-tants, y sont considérés d'efficacité équivalente, et, parmiles premiers, les hydroxyéthylamidons (HEA) sont plusrecommandés que les gélatines en raison d'effets secondairesprésumés moins fréquents.Quatre revues de la littérature,méthodologiquement correctes,ont, depuis, permis d'analyser les résultats de l'utilisation del'albumine dans le remplissage vasculaire (3,4) et de comparerl'utilisation des cristalloïdes et des colloïdes (5, 6).

L'ÉTUDE SAFE

Les conclusions différentes des 2 premières méta-analysesportant sur l'intérêt de l'administration d'albumine dansle remplissage vasculaire en réanimation, avec, pour lapremière (3), une aggravation du risque de mortalité chezles patients hypovolémiques, hypoalbuminémiques etbrûlés et, pour la seconde (4), une absence d'influence del'albumine sur le risque de mortalité, sont peut-être dues àdes différences méthodologiques entre les études prises encompte.L'étude SAFE (5) s'est donc attachée à comparer l'albumineà 4 % et le sérum physiologique dans le remplissage vasculaireen réanimation,en prenant pour critère objectif principal, lamortalité des patients. Elle a randomisé, en double aveugle,dans 16 services de réanimation d'Australie et de Nouvelle-Zélande, 6997 patients, totalement comparables par leurs

données démographiques (âge,sexe),cliniques (score APACHE,défaillances d'organes) et étiologiques (chirurgie, urgences),dont 3473 ayant reçu de l'albumine et 3460 du sérum saléisotonique, ont pu être analysés. Le remplissage vasculaire,dans cette étude, était laissé à la discrétion des praticiensqui acceptaient l’équivalence entre albumine 4 % et sérumphysiologique. Étaient inclus dans l’étude, les patients deréanimation présentant au moins un signe d’hypovolémie etnécessitant un remplissage vasculaire. Étaient exclus, essen-tiellement, les patients de post-chirurgie cardiaque, lestransplantés et les brûlés, ainsi que les patients en état demort cérébrale ou risquant de décéder dans les 24 heures.Au total,726 patients du premier groupe, soit 20,9 %,étaientdécédés à J 28 et 729 (21,1 %) (p = 0,87 ; RR = 0,99) dansle second groupe, ce qui permet de conclure à l'innocuité del'albumine (figure 1) (7) ; son équivalence avec le sérum saléisotonique,en matière de durée de séjour en réanimation ouà l'hôpital, de durée de ventilation mécanique, d'épurationextra-rénale et/ou de défaillance d'organes sous traitement, a,par ailleurs, été établie.Une analyse de sous-groupes, dans cette étude, suggèrecependant un bénéfice plus important de l'albumine dans lesepsis (décès : 30,7 versus 35,3 %, p = 0,09 ; RR = 0,87) etdu sérum salé dans les traumatismes (décès : 13,6 versus10,0, p = 0,06 ; RR = 1,36).Les conclusions générales de cette étude sont donc quel’innocuité de l'albumine à 4 % est équivalente au sérumsalé isotonique, pour le remplissage vasculaire de patientsde réanimation hypovolémiques, à l’exclusion des situationsde post-chirurgie cardiaque,de transplantation et de brûlures.Elles viennent donc conforter les Recommandations dePratique Clinique de la SRLF et de la SFAR qui ne préconisentpas l'utilisation de l'albumine en première ligne mais seulementdans le cadre des hypovolémies avec hypoalbuminémie sévère,ainsi que chez les brûlés et les transplantés hépatiques.

L'ÉTUDE CRISTAL

Les mêmes différences de conclusions dans la comparaisondes cristalloïdes et des colloïdes apparaissent dans 2 autresméta-analyses (6, 8).La première (6) portant sur 40 essais thérapeutiques

Revue des études récentesÉtudes interventionnellesD'après la communication du Pr D. Annane, Hôpital de Garches.

TA B L E R O N D E : L E R E M P L I S S A G E VA S C U L A I R E E N R É A N I M AT I O N

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2005, 9, cahier 2, n°42S14

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randomisés conclut à une augmentation du risque absolude décès imputable aux colloïdes chez les patients deréanimation,quelle que soit la population traitée (chirurgie,traumatisme, brûlure…). La seconde (8), portant sur 17 essaisthérapeutiques,ne retrouve pas de différences entre cristalloïdeset colloïdes en termes de mortalité, de complications de typeœdème pulmonaire ou de durée de séjour en réanimation ouà l'hôpital.Cependant,si l'on ne retient que les études de qualitéméthodologique indiscutable et/ou les patients traumatisés,cette dernière méta-analyse penche en faveur des cristalloïdes.Il faut signaler que la différence du nombre des études prisesen compte dans ces 2 méta-analyses tient au fait que celle dugroupe Cochrane (3) a inclus, outre les essais portant sur lescristalloïdes isotoniques, ceux portant sur les cristalloïdeshypertoniques.Les conclusions de ces 2 études ne permettent donc pas detrancher définitivement en faveur des cristalloïdes ou descolloïdes, dans le remplissage vasculaire en réanimation,même si les volumes nécessaires, avec les colloïdes, les HEAnotamment, sont nettement inférieurs, ce qui présente desavantages en termes de risque d'œdèmes.L’objectif de l’étude CRISTAL (9) est de comparer l'efficacitéet la tolérance des cristalloïdes et des colloïdes dans leremplissage vasculaire en réanimation.Cette étude multinationale, randomisée,contrôlée,en groupesparallèles et 3 strates de patients (trauma, sepsis et autres)s'est donnée pour critère principal de jugement la mortalitéà J 28.Les traitements comparés sont, pour les colloïdes, lesHEA, les gélatines et l'albumine (4 %, 5 % ou 20 %) et, pourles cristalloïdes : le sérum salé isotonique ou hypertoniqueet les Ringer lactates.

Sept cents patients ont jusqu'à maintenant été inclus sur les3008 nécessaires (1504 par bras) pour obtenir une différenceabsolue de mortalité de 5 %. ■

RÉFÉRENCES

1. 4ème Conférence de Consensus en Réanimation et Médecine d'Urgence :choix des produits de remplissage vasculaire pour le traitement des hypo-volémies chez l'adulte. Réan Soins Intens Med Urg 1989;5:295-304.

2. Recommandations pour la Pratique Clinique : remplissage vasculaire aucours des hypovolémies relatives ou absolues. Réan Urg 1997;6:335-41.

3. Human albumin administration in critically ill patients: systematic reviewof randomised controlled trials. Cochrane Injuries Group Albumin Reviewers.BMJ 1998;317:235-40.

4. Wilkes MM, Navickis RJ. Patient survival after human albumin administration.A meta-analysis of randomized controlled trials. Ann Intern Med2001;135:149-64.

5. The SAFE study investigators. A comparison of albumin and saline for fluidresuscitation in the intensive care unit. N Engl J Med 2004;350:2247-56.

6. Schierhout G, Roberts I. Fluid resuscitation with colloid or crystalloid solu-tions in critically ill patients: a systematic review of randomised trials. BMJ1998;316:961-4.

7. Finfer S, Bellomo R, Boyce N et al. A comparison of albumin and saline forfluid resuscitation in the intensive care unit. N Engl J Med. 2004;350:2247-56.

8. Choi PT, Yip G, Quinonez LG, Cook DJ. Crystalloids versus colloids in fluidresuscitation : a systematic review. Crit Care Med 1999;27:200-10.

9. Cook DJ. Is albumin safe ? N Engl J Med 2004;350:2294-6.

Figure 1. Étude SAFE (d'après réf. 7)

1,0

0,9

0,8

0,7

0,6

0,00 4 8 12 16 20 24 28

Pro

bal

ilité

de

surv

ie %

Jours

Albumine

Sérum salé