Séance 4 L’acquisition de la qualité d’assuré social
CONTROVERSE Fallait-il supprimer le RSI ?
Bibliographie indicative
L. Arbelet, « Faut-il supprimer le RSI ? »,
Dalloz actualité, 2 mars 2017.
L. Bedja, « Le RSI : contre vents et marées »,
Lexbase Hebdo - Edition Sociale, 03/12/2015,
n°635.
B. Delran, (vice-président du RSI), « Faut-il
supprimer le RSI ? », entretien sur le projet de
réforme du RSI, D.O Actualité, n°40, 2017.
P. Forestier et L. Couasnon, « Le régime social
des indépendants RSI », Droit social, 2011, p.
1109.
T. Tauran, « Haro sur le régime social des
indépendants : vive le régime général ! », RDSS,
2017, p. 993.
COMMENTAIRE D’ARRET Doc. 1: Cass. Soc., 13 nov. 1996, Droit Social, 1996 p. 1067 note J.-J. Dupeyroux, JCP E
1997, p.21, note J. Barthélémy, RJS 1996 n°1316. Attendu qu'à la suite d'un contrôle
l'URSSAF a réintégré dans l'assiette des cotisations dues
par la Société générale pour les années 1984 et 1985,
d'une part, les sommes versées au personnel à titre de "
gratification hold up " et de complément de retraite,
d'autre part, celles versées à titre d'honoraires à des
conférenciers extérieurs à l'entreprise ;
[…]
Mais sur le moyen relevé d'office après que les parties ont
été invitées à présenter leurs observations ;
Vu l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale,
ensemble les articles L. 121-1 du Code du travail et 620,
alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu, selon le premier de ces textes, que, pour le calcul
des cotisations des assurances sociales, des accidents du
travail et des allocations familiales, sont considérées
comme rémunérations toutes les sommes versées aux
travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail
accompli dans un lien de subordination ; que le lien de
subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail
sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner
des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et
de sanctionner les manquements de son subordonné ; que
le travail au sein d'un service organisé peut constituer un
indice du lien de subordination lorsque l'employeur
détermine unilatéralement les conditions d'exécution du
travail ;
Attendu que, pour décider que les honoraires versés aux
conférenciers et intervenants extérieurs étaient soumis
aux cotisations du régime général de la sécurité sociale,
l'arrêt retient que leurs prestations s'effectuaient dans le
cadre d'un service organisé ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le thème
de l'intervention des conférenciers et leur rémunération
n'étaient pas déterminés unilatéralement par la Société
générale, mais convenus avec les intéressés, et que ceux-
ci n'étaient soumis par ailleurs à aucun ordre, à aucune
directive, ni à aucun contrôle dans l'exécution de leur
prestation, ce dont il résultait que les conférenciers et
intervenants n'étaient pas placés dans un lien de
subordination à l'égard de la Société générale, la cour
d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses
propres constatations, a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le
premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a
décidé que les honoraires des conférenciers et
intervenants extérieurs devaient être réintégrés dans
l'assiette des cotisations sociales, l'arrêt rendu le 1er
février 1994, entre les parties, par la cour d'appel de
Bordeaux ;
Exercice: rédigez l’introduction du commentaire de l’arrêt ci-dessus reproduit et un plan détaillé.
Pistes de réflexion:
- Quelle est la nature de cet arrêt ? S’agit-il d’un arrêt de rejet ou de cassation ?
- S’agit-il d’un arrêt de principe ?
- Qu’est ce qu’un moyen relevé d’office ?
- Recherchez le contenu des articles figurant au visa de l’arrêt.
- Retranscrivez (au choix) les moyens du pourvoi / les motifs de la cour d’appel.
- Qu’est ce que l’affiliation à un régime ? Quel est le régime en cause dans l’arrêt reproduit ? Quel
est le critère légal d’assujettissement à ce régime ?
- Qu’est ce qu’un service organisé ? Dans quel arrêt de la Cour de cassation la formule
« d'intégration à un service organisé » a t-elle fait son apparition ? S’agit-il d’un critère du
contrat de travail ou d’un indice du lien de subordination ?
- Est-il question de lien de subordination ou de contrat de travail à l’article L. 242-1 du Code de
la Sécurité sociale ? Comment le lien de subordination est il défini dans cet arrêt ?
- Pourquoi le recours massif au critère du service organisé était-il critiqué avant 1996 ? Pourquoi
la Cour de cassation y avait-elle recours ? Quelles raisons expliquent selon vous ce revirement
de jurisprudence ?
- Quelles sont les juridictions qui connaissent du contentieux de la détermination du régime de
sécurité sociale de rattachement des personnes ? L’URSSAF est elle compétente pour procéder
à l'affiliation des assurés sociaux relevant du régime général ?
- Analysez cet arrêt au regard de l’article L. 200-1 CSS modifié par la loi n°2017-1836 du 30
décembre 2017 - art. 15 (V) (Le régime général de sécurité sociale couvre : 1° D'une part, pour
le versement des prestations en espèces mentionnées à l'article L. 311-1, les personnes salariées
ou assimilées mentionnées aux articles L. 311-2, L. 311-3, L. 311-6, L. 381-1, L. 382-1 et L. 382-
31 et, d'autre part, pour le versement des prestations en espèces au titre des assurances maladie,
maternité, paternité et vieillesse, les personnes non salariées mentionnées respectivement aux
articles L. 611-1 et L. 631-1 ;).
ETUDE DOCUMENTAIRE
La protection sociale des travailleurs des plateformes numériques
❖ Doc. 2 : IGAS, Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale, rapport de N. Amar et
L.-C. Viossat, mai 2016.
A la différence d’autres pays, les travailleurs non-salariés bénéficient en France d’une couverture sociale
largement convergente avec celle des travailleurs salariés, hors assurance chômage :
La prise en charge des prestations en nature du risque maladie (frais médicaux) est alignée,
conformément au principe de solidarité nationale ;
La couverture du risque famille est par définition universelle ;
La couverture de certains risques est obligatoire, mais est de type assurantiel avec une assise
professionnelle forte, et se traduit par la subsistance de différences avec les travailleurs salariés. D’une part, la
vieillesse, d’autre part, les revenus de remplacement (maternité, invalidité) sont indemnisés selon des modalités
et des règles différentes mais de plus en plus convergentes ;
Certains risques ne sont pas assurés ou sur une base facultative : les accidents du travail et les maladies
professionnelles (qui relèvent de règles d’indemnisation différentes selon les statuts), la perte d’activité et les
couvertures complémentaires santé et prévoyance.
La principale différence – pour les bas revenus – réside dans l’accès à l’assurance chômage et une contribution
plus importante des travailleurs non salariés aux risques famille et maladie (…).
Recommandation n°33 : Autoriser les plateformes à contribuer sur une base volontaire à la protection sociale de
base AT-MP, complémentaire et supplémentaire des travailleurs collaboratifs indépendants qui exercent une
activité par leur intermédiaire.
❖ Doc. 3 : « L’URSSAF poursuit Uber pour faire requalifier ses chauffeurs en salariés », Semaine Sociale
Lamy, nº 1725, 30 mai 2016.
Existe-t-il un lien de subordination entre un chauffeur VTC et la plateforme collaborative de services Uber qui
le met en relation avec sa clientèle ? La question vient de nouveau d’être posée, cette fois devant le Tribunal des
affaires sociales (TASS). L’Acoss a en effet annoncé, le 13 mai, à l’AFP, que l’URSSAF d’Île-de-France avait
engagé, en 2015, deux procédures pour faire requalifier les chauffeurs Uber, aujourd’hui considérés comme des
indépendants, en salariés faisant valoir l’existence d’un « lien de subordination » entre eux et la plateforme.
L’antenne francilienne des URSSAF avait procédé à cette requalification au titre de la Sécurité sociale et
réclamait à l’entreprise « les cotisations correspondantes », a indiqué le directeur de la Réglementation, du
recouvrement et du service à l’Acoss, J.-M. Guerra. Celle-ci ayant refusé de payer, une procédure a donc été
engagée devant le TASS. Un procès-verbal de travail dissimulé a par ailleurs été transmis au procureur de la
République de Paris, sur le fondement du « principe du détournement de statut ». Il revient désormais au parquet
d’ouvrir une enquête préliminaire. Les deux procédures ne devraient pas aboutir avant « cinq ou six ans » a par
ailleurs indiqué l’Acoss, qui s’attend à ce qu’Uber aille jusqu’en cassation. Selon J.-M. Guerra à l’AFP, l’enjeu
dépasse le cas d’Uber. « Aujourd’hui, des plateformes collaboratives de service, il y en a des centaines » et « cela
devient un enjeu pour le financement de notre protection sociale, aujourd’hui construit essentiellement sur les
salaires ».
❖ Doc. 4 : F. Taquet, « Les démêlés d’Uber avec l’Urssaf... : Uber 1/Urssaf 0 », note ss. TASS Paris, 14
déc. 2016, RG n° 16-03915, Jurisprudence Sociale Lamy, nº 433, 12 juin 2017.
L’absence de communication des procès-verbaux d’audition, au stade des échanges organisés par l’article R. 133-
8 du Code de la sécurité sociale, a privé la société de la possibilité de vérifier si les chauffeurs étaient des
partenaires, et si l’analyse retenue par l’Urssaf de l’activité individuelle du dirigeant des sociétés partenaires était
conforme à la réalité.
Les faits
Les faits ayant déclenché le contentieux peuvent sembler pour le moins classiques : au début de l’année 2014, les
services de police avaient contrôlé un chauffeur VTC exerçant en tant qu’auto entrepreneur pour le compte
d’Uber France. Les renseignements communiqués à l’Urssaf avaient permis à cette dernière de s’apercevoir que
l’intéressé ne déclarait aucun revenu. Des actions menées ensuite dans le cadre du comité opérationnel
départemental antifraude (Codaf) des Hauts-de-Seine avaient permis de relever des cas similaires. Dès lors, fin
2014, l’Urssaf avait organisé des auditions de chauffeurs et mené un contrôle inopiné au siège d’Uber France
(sans avis de contrôle en avril 2015, et avec un avis de contrôle en juin 2015), le personnel administratif étant
entendu. À la suite de ces investigations, l’Urssaf avait requalifié les contrats de « partenariat » en contrat de
travail, dressé un procès-verbal du 10 septembre 2015 relevant le travail dissimulé et transmis au parquet et,
enfin, adressé une lettre d’observations le 17 septembre 2015 pour un montant total de redressement de plus de
4 millions d’euros. Après échanges contradictoires, saisine de la commission de recours amiable, l’affaire est
arrivée fin 2016 devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris pour aborder les irrégularités de
procédure de contrôle invoquées par la société Uber France.
Les demandes et argumentations
La société Uber France invoquait la nullité du redressement en relevant que la lettre d’observations aurait dû être
signée par le directeur de l’Urssaf conformément aux dispositions de l’article R. 133-8 du Code de la sécurité
sociale et qu’en outre, les droits de la défense n’avaient pas
été respectés au cours de la vérification puisque ni le nombre, ni l’identité ni le compte rendu des auditions des
chauffeurs par les agents de l’Urssaf n’avaient été communiqués à la société. Sur ces deux points soulevés, le
TASS de Paris donne gain de cause à Uber en constatant que le principe du contradictoire n’avait pas été respecté
par l’organisme de recouvrement. Signalons toutefois que la décision a été frappée d’appel.
❖ Doc. 5 : Articles L. 7342-1 et L. 7342-2 CT (issus de la loi du 8 août 2016).
« Art. L. 7342-1.-Lorsque la plateforme détermine
les caractéristiques de la prestation de service
fournie ou du bien vendu et fixe son prix, elle a, à
l'égard des travailleurs concernés, une responsabilité
sociale qui s'exerce dans les conditions prévues au
présent chapitre.
« Art. L. 7342-2.-Lorsque le travailleur souscrit une
assurance couvrant le risque d'accidents du travail ou
adhère à l'assurance volontaire en matière
d'accidents du travail mentionnée à l'article L. 743-1
du code de la sécurité sociale, la plateforme prend en
charge sa cotisation, dans la limite d'un plafond fixé
par décret. Ce plafond ne peut être supérieur à la
cotisation prévue au même article L. 743-1.
« Le premier alinéa du présent article n'est pas
applicable lorsque le travailleur adhère à un contrat
collectif souscrit par la plateforme et comportant des
garanties au moins équivalentes à l'assurance
volontaire en matière d'accidents du travail
mentionnée au premier alinéa, et que la cotisation à
ce contrat est prise en charge par la plateforme.
Pour un exemple de mise en œuvre : https://www.uber.com/fr/newsroom/uber-et-axa-france-lancent-une-
protection-sociale-destination-des-chauffeurs-independants/
❖ Doc. 6 : Article L. 611-1 CSS (modifié par loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 - art. 50 (V))
Sous réserve des dispositions de l'article L. 661-1, le
présent livre (dispositions applicables aux
travailleurs indépendants) s'applique aux personnes
suivantes (…)
8° Les personnes, autres que celles mentionnées au
7° du présent article, exerçant une activité de
location de locaux d'habitation meublés dont les
recettes sont supérieures au seuil mentionné au 2° du
2 du IV de l'article 155 du code général des impôts,
lorsque ces locaux sont loués à une clientèle y
effectuant un séjour à la journée, à la semaine ou au
mois et n'y élisant pas domicile, sauf option contraire
de ces personnes lors de l'affiliation pour relever du
régime général dans les conditions prévues au 35° de
l'article L. 311-3 du présent code, ou lorsque ces
personnes remplissent les conditions mentionnées au
1° du 2 du IV de l'article 155 du code général des
impôts
9° Les personnes exerçant une activité de location de
biens meubles mentionnée au 4° de l'article L. 110-
1 du code de commerce et dont les recettes annuelles
tirées de cette activité sont supérieures à 20 % du
montant annuel du plafond mentionné à l'article L.
241-3 du présent code, sauf option contraire de ces
personnes lors de l'affiliation pour relever du régime
général dans les conditions prévues au 35° de
l'article L. 311-3.
❖ Doc. 7 : Article L. 133-6-7-3 CSS (créé par loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 - art. 18 (V))
Les travailleurs indépendants exerçant leur activité par
l'intermédiaire d'une personne dont l'activité consiste à
mettre en relation par voie électronique plusieurs parties
en vue de la vente d'un bien ou de la fourniture d'un
service peuvent autoriser par mandat cette personne à
réaliser par voie dématérialisée les démarches
déclaratives de début d'activité auprès du centre de
formalités des entreprises compétent conformément aux
dispositions du code de commerce.
Lorsqu'ils relèvent de l'article L. 133-6-8 ou du 35° de
l'article L. 311-3, les travailleurs indépendants ainsi que
les personnes affiliées au régime général en application
du même 35° peuvent autoriser par mandat la personne
mentionnée au premier alinéa du présent article à
procéder à la déclaration du chiffre d'affaires ou de
recettes réalisés au titre de cette activité par son
intermédiaire ainsi qu'au paiement des cotisations et
contributions de sécurité sociale dues à compter de leur
affiliation, au titre des périodes correspondant à
l'exercice de cette activité, auprès des organismes de
recouvrement concernés.
Dans ce cas, les cotisations et contributions de sécurité
sociale dues sont prélevées par la personne mentionnée
au même premier alinéa sur le montant des transactions
effectuées par son intermédiaire. Ce paiement vaut acquit
des cotisations et contributions de sécurité sociale par ces
personnes.
Questions :
1. Expliquez brièvement les enjeux de l’ubérisation du travail en matière de protection sociale.
2. Les travailleurs collaboratifs indépendants bénéficient-ils de la même protection sociale que les travailleurs
salariés ?
3. Dans le contentieux l’opposant à l’URSSAF, la société UBER a-t-elle obtenu gain de cause ? Sur quelle base ?
4. Pourquoi les plateformes collaboratives présentent des risques spécifiques de fraude aux cotisations ?
Comment les pouvoirs publics entendent y remédier ?
Séance 5 L’assurance maladie
CONTROVERSE Faut-il dérembourser les petits « risques » ?
Bibliographie indicative
P. Batifoulier, Capital santé: Quand le patient
devient client, La découverte, 2014.
M. Hirsch et D. Tabuteau, « Créons une
assurance maladie universelle », Le Monde, 14
janvier 2017.
B. Petit, « Généralisation des complémentaires-
santé : une approche davantage « sociale » que «
sociétale » ? », La Semaine Juridique Social, n°
30, 29 Juillet 2013, 1309.
S. Nora et J.-C. Naouri, Note sur le
financement des dépenses de santé, Inspection
générale des finances, 1979.
D. Tabuteau, « Éléments pour une analyse des
mécanismes de maîtrise de l'évolution des
dépenses de santé », Droit social, 1992, p. 410.
CAS PRATIQUE I. Sur les prestations en espèces
1. Guy, féru de course à pied, est salarié depuis 15 ans d’une société de développement
informatique située à Auxerre. Travaillant à temps complet, il perçoit une rémunération
mensuelle brute de 2 623€, à laquelle s’ajoute une prime mensuelle de prospection de
clientèle de 200€.
Au 1er janvier 2016, il s’est lancé un défi : participer au marathon de New-York. Pour réaliser ce rêve, il a
multiplié les entrainements. Depuis six mois, il souffre de douleurs au genou gauche. La répercussion des
chocs a usé prématurément ses cartilages. Afin de pouvoir continuer à se mouvoir sans douleur, il a dû se
faire opérer le 4 février dernier.
➡ Guy pourra-t-il bénéficier d’un maintien de salaire pendant la période d’immobilisation d’une
durée de dix jours prescrite son médecin traitant ?
2. Le médecin traitant de Guy lui a interdit de reprendre le travail avant le 15 février. Le jour de son opération,
de violentes chutes de neige se sont abattues sur le département icaunais. Ne voulant pas prendre le risque de
glisser, Guy n’ose sortir de chez lui que le 9 février : son réfrigérateur est vide. De plus, il doit de toute
urgence poster son arrêt de travail. Voulant éviter d’attendre trop longtemps debout, il décide d’y aller vers
11h00. Mise à part une poignée de retraitées, La Poste devrait être peu fréquentée à cette heure.
Quelques jours plus tard, il reçoit une lettre recommandée avec accusé de réception du directeur de la CPAM
de l’Yonne. En raison de son absence à son domicile le 9 février à 11h20, lui est notifiée la restitution des
indemnités journalières perçues à compter du 9 février. Un malheur n’arrivant jamais seul, son employeur
refuse le versement de ses indemnités complémentaires.
➡ La demande de restitution de la CPAM est-elle fondée ? Qu’en est-il de l'octroi des indemnités
journalières complémentaires ?
I. Sur les prestations en nature
Juliette, 28 ans, travaille comme vendeuse en parfumerie depuis 5 ans. Elle souffre de douleurs à l’oreille
droite depuis quelques jours. Elle décide donc de prendre rendez-vous chez son généraliste, médecin traitant,
qui l’oriente vers l’un de ses confrères oto-rhino-laryngologiste (ORL). La consultation lui coûte 23€. A
peine sortie du cabinet, Juliette appelle le spécialiste. Rendez-vous est pris pour dans deux semaines. Dans
la salle d’attente de l’ORL, une affiche indique qeu le médecin est conventionné secteur II et que la
consultation simple coûte 70€.
A l’instar du généraliste, le spécialiste ne détecte aucune pathologie particulière. Inquiète de la persistance
des douleurs, Juliette décide quinze jours plus tard de consulter un second ORL. Elle prend rendez-vous dans
le nouveau cabinet médical vient d’ouvrir à quinze minutes à pied de chez elle. Le second spécialiste est
formel : elle souffre une « légère otite ». La consultation chez ce deuxième spécialiste lui est facturée 80 €.
➡ Juliette vous demande de lui indiquer le montant des remboursements de ces frais par la Sécurité
sociale auxquels elle peut prétendre.
Pierre, le conjoint de Juliette, ne travaille pas, ayant hérité de la fortune de son père. Depuis plusieurs mois,
il éprouve de plus en plus de difficultés à lire ses partitions. N’ayant jamais porté de lunettes, il prend rendez-
vous chez l’ophtalmologue de Juliette, conventionné secteur II. Sa consultation lui coute 65 euros. Etant
fortuné, il pense ne pouvoir prétendre à aucune prise en charge par la sécurité sociale.
➡ Peut-il, selon vous, prétendre à un remboursement ? Si oui, sur quel fondement et pour quel
montant ?
Lire les articles suivants :
- art. L. 321-1 et s. CSS
- art. R. 313-1 et R. 313-3 CSS ;
- art. L. 321-2, R. 321-2 et D. 323-2 CSS ;
- art. R. 323-1 à R. 323-12 CSS ;
- art. D. 323-1 à D. 323-5 CSS.
- art. L. 160-8 CSS.
- art. L. 162-5-3 CSS.
❖ Doc. 1 : Montants des remboursements des consultations (extraits du site ameli.fr).
Les consultations dans le cadre du parcours de soins coordonnés
Lorsque vous consultez un médecin dans le cadre du parcours de soins coordonnés, vous bénéficiez d'un taux de remboursement de
70 % du tarif conventionnel.
Selon votre situation (par exemple : si vous êtes enceinte de plus de 6 mois ou si vous bénéficiez de la CMU complémentaire), vos
consultations peuvent être prises en charge à 100 %.
Vous consultez votre médecin traitant, ou son remplaçant, ou un autre médecin (en cas d'éloignement de votre résidence
habituelle ou en cas d'urgence)
Tarifs de consultations du médecin traitant (tarifs applicables au 1er janvier 2018)
Médecin
consulté Tarif*
Base du
remboursement
Taux de
remboursement
Montant
remboursé**
Généraliste
secteur 1 25,00 € 25,00 € 70 % 16,50 €
Généraliste
adhérant à l’option de pratique tarifaire
maîtrisée
honoraires avec dépassement
maîtrisé 25,00 € 70 % 16,50 €
Généraliste
secteur 2
honoraires
libres 23,00 € 70 % 15,10 €
Spécialiste
secteur 1 25,00 € 25,00 € 70 % 16,50 €
Spécialiste
adhérant à l’option de pratique tarifaire
maîtrisée
honoraires avec dépassement
maîtrisé 25,00 € 70 % 16,50 €
Spécialiste
secteur 2
honoraires
libres 23,00 € 70 % 15,10 €
Psychiatre Neuropsychiatre Neurologue
secteur 1 41,70 € 41,70 € 70 % 28,19 €
Psychiatre Neuropsychiatre Neurologue
adhérant à l’option de pratique tarifaire
maîtrisée
honoraires avec dépassement
maîtrisé 41,70 € 70 % 28,19 €
Psychiatre Neuropsychiatre Neurologue
secteur 2
honoraires
libres 39,00 € 70 % 26,30 €
* Le tarif prend en compte la consultation et les éventuelles majorations appliquées par le médecin.
** Les montants remboursés indiqués tiennent compte de la participation forfaitaire de 1 € retenue sur chaque consultation ou acte
réalisé par un médecin, sauf pour les personnes de moins de 18 ans, les femmes enceintes à partir du 6e mois de grossesse jusqu'à 12
jours après l'accouchement, les bénéficiaires de la CMU complémentaire, de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) ou
de l'aide médicale de l'État (AME).
Les consultations hors du parcours de soins coordonnés
Vous êtes hors du parcours de soins coordonnés si vous n'avez pas déclaré de médecin traitant ou si vous consultez directement un
autre médecin que votre médecin traitant sans être orienté au préalable par celui-ci. Vous serez alors moins remboursé.
Vous n'avez pas de médecin traitant ou vous consultez un médecin spécialiste sans être orienté au préalable par votre médecin
traitant
Tarifs de consultations des médecins hors parcours de soins coordonnés (tarifs applicables au 1er janvier 2018)
Médecin
consulté Tarif*
Base du
remboursement
Taux du
remboursement
Montant
remboursé**
Généraliste
secteur 1 25,00 € 25,00 € 30 % 6,50 €
Généraliste
adhérant à l’option de pratique
tarifaire maîtrisée
honoraires avec
dépassements maîtrisés 25,00 € 30 % 6,50 €
Généraliste
secteur 2 honoraires libres 23,00 € 30 % 5,90 €
Spécialiste
secteur 1
35,00 €
(maximum) 25,00 € 30 % 6,50 €
Spécialiste
adhérant à l’option de pratique
tarifaire maîtrisée
honoraires avec
dépassements maîtrisés 25,00 € 30 % 6,50 €
Spécialiste
secteur 2 honoraires libres 23,00 € 30 % 5,90 €
Psychiatre
Neuropsychiatre
Neurologue
secteur 1
55,00 €
(maximum) 41,70 € 30 % 11,51 €
Psychiatre
Neuropsychiatre
Neurologue
adhérant à l’option de pratique
tarifaire maîtrisée
honoraires avec
dépassements maîtrisés 41,70 € 30 % 11,51 €
Psychiatre
Neuropsychiatre
Neurologue
secteur 2
honoraires libres 39,00 € 30 % 14,90 €
Cardiologue
secteur 1
60,00 €
(maximum) 47,73 € 30 % 13,32 €
* Le tarif prend en compte la consultation et les éventuelles majorations appliquées par le médecin.
** Les montants remboursés indiqués tiennent compte de la participation forfaitaire de 1€ retenue sur chaque consultation ou acte
réalisé par un médecin, sauf pour les personnes de moins de 18 ans, les femmes enceintes à partir du 6e mois de grossesse jusqu'à 12
jours après l'accouchement, les bénéficiaires de la CMU complémentaire, de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) ou
de l'aide médicale de l'État (AME).
Les consultations en accès direct spécifique
Dans le cadre du parcours de soins coordonnés, vous pouvez consulter directement, sans être orienté au préalable par votre médecin
traitant, les médecins spécialistes suivants :
un gynécologue, pour les examens cliniques gynécologiques périodiques, y compris les actes de dépistage, la prescription et
le suivi d'une contraception, le suivi d'une grossesse, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse ;
un ophtalmologue, pour la prescription et le renouvellement de lunettes, les actes de dépistage et de suivi du glaucome ;
un psychiatre ou un neuropsychiatre, si vous avez entre 16 et 25 ans ;
un stomatologue sauf pour les actes chirurgicaux lourds Dans ces situations, vous bénéficiez d'un taux de remboursement de 70 % du tarif conventionnel. Selon le cas (par exemple, si vous
bénéficiez de la CMU complémentaire), vos consultations peuvent être prises en charge à 100 %.
En dehors de ces situations, c'est votre médecin traitant qui doit vous orienter au préalable vers le médecin spécialiste.
Vous avez déclaré un médecin traitant et consultez un spécialiste dans le cadre de l'accès direct spécifique
Vous avez déclaré votre médecin traitant et vous consultez directement un gynécologue, un ophtalmologue, un psychiatre ou un
neuropsychiatre dans le cadre de l'accès direct spécifique.
Tarifs de consultations des médecins spécialistes en accès direct spécifique si vous avez déclaré votre médecin traitant (tarifs
applicables au 1er janvier 2018)
Médecin
consulté Tarif*
Base du
remboursement
Taux de
remboursement
Montant
remboursé**
Gynécologue
Ophtalmologue
secteur 1
(consultation dans le cadre de l'accès
direct spécifique)
30,00 € 30,00 € 70 % 20,00 €
Gynécologue
Ophtalmologue
adhérant à l’option de pratique tarifaire
maîtrisée
(consultation dans le cadre de l'accès
direct spécifique)
honoraires avec dépassements
maîtrisés 30,00 € 70 % 20,00 €
Gynécologue
Ophtalmologue
secteur 2
(consultation dans le cadre de l'accès
direct spécifique)
honoraires libres 23,00 € 70 % 15,10 €
Psychiatre Neuropsychiatre
secteur 1
(pour les patients de moins de 25 ans)
46,70 € 46,70 € 70 % 31,69 €
Psychiatre Neuropsychiatre
adhérant à l’option de pratique tarifaire
maîtrisée
(pour les patients de moins de 25 ans)
honoraires avec dépassements
maîtrisés 46,70 € 70 % 31,69 €
Psychiatre Neuropsychiatre
secteur 2
(pour les patients de moins de 25 ans)
honoraires libres 39,00 € 70 % 26,30 €
* Le tarif prend en compte la consultation et les éventuelles majorations appliquées par le médecin.
** Les montants remboursés indiqués tiennent compte de la participation forfaitaire de 1 € retenue sur chaque consultation ou acte
réalisé par un médecin, sauf pour les personnes de moins de 18 ans, les femmes enceintes à partir du 6e mois de grossesse jusqu'à 12
Cardiologue
adhérant à l’option de pratique
tarifaire maîtrisée
honoraires avec
dépassements maîtrisés 47,73 € 30 % 13,32 €
Cardiologue
secteur 2 honoraires libres 47,73 € 30 % 13,32 €
jours après l'accouchement, les bénéficiaires de la CMU complémentaire, de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) ou
de l'aide médicale de l'État (AME).
Vous n'avez pas déclaré de médecin traitant et vous consultez un gynécologue, un ophtalmologue, un psychiatre ou un
neuropsychiatre
Dans cette situation, que la consultation soit ou pas dans le cadre de l'accès direct spécifique, vous êtes considéré comme étant hors du
parcours de soins coordonnés. Vous êtes moins bien remboursé.
Tarifs de consultations des médecins spécialistes en accès direct spécifique si vous n’avez pas déclaré de médecin traitant (tarifs applicables au 1er janvier 2018)
Médecin consulté Tarif* Base du
remboursement
Taux du
remboursement
Montant
remboursé**
Gynécologue
Ophtalmologue secteur 1 35,00 € (maximum) 25,00 € 30 % 6,50 €
Gynécologue
Ophtalmologue
adhérant à l’option de pratique
tarifaire maîtrisée
honoraires avec
dépassements maîtrisés 25,00 € 30 % 6,50 €
Gynécologue
Ophtalmologue
secteur 2
honoraires libres 23,00 € 30 % 5,90 €
Psychiatre
Neuropsychiatre
secteur 1
55,00 € (maximum) 41,70 € 30 % 11,51 €
Psychiatre
Neuropsychiatre
adhérant à l’option de pratique
tarifaire maîtrisée
honoraires avec
dépassements maîtrisés 41,70 € 30 % 11,51 €
Psychiatre
Neuropsychiatre
secteur 2
honoraires libres 39,00 € 30 % 14,90 €
* Le tarif prend en compte la consultation et les éventuelles majorations appliquées par le médecin.
** Les montants remboursés indiqués tiennent compte de la participation forfaitaire de 1 euro retenue sur chaque consultation ou acte
réalisé par un médecin, sauf pour les personnes de moins de 18 ans, les femmes enceintes à partir du 6e mois de grossesse jusqu'à 12
jours après l'accouchement, les bénéficiaires de la CMU complémentaire, de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) ou
de l'aide médicale de l'État (AME).
ETUDE DOCUMENTAIRE
La responsabilisation de l’assuré social
❖ Doc. 2 : P. Batifoulier, « Mutation du patient et construction d’un marché de la santé. L’expérience
française », Revue française de socio-économie, 2008/1, p.27 à 46 (extraits)
[…] 1.2.1 - La régulation par la demande et le durcissement du ticket modérateur
L’un des aspects majeurs de la réforme de l’assurance maladie est de développer les mécanismes de coassurance
qui sont assis sur la notion de risque moral ex post. Ils finalisent l’objectif majeur assigné à la politique économique
en matière de santé : maîtriser la dépense. L’un des moyens privilégiés est d’imposer aux assurés sociaux de payer
une partie croissante du prix de leurs soins.
L’évolution de la politique économique française en matière de santé est caractérisée par l’existence de mécanismes
de partage des coûts, appelés tickets modérateurs (TM) en hausse tendancielle. Les frais de santé non remboursés
sont laissés à la charge du patient et/ou de sa complémentaire santé. Le TM mesure donc le degré de désocialisation
de l’assurance maladie. Compte tenu de sa définition, la notion de TM n’intègre pas les dépassements d’honoraires
qui interviennent au-delà du tarif d’autorité. Cependant, ces honoraires libres ont le même effet qu’un TM sur les
ressources du patient. Leur addition forme le reste à charge. Les tickets modérateurs sont élevés en médecine
ambulatoire où ils représentent en moyenne 40 % du coût des soins (beaucoup plus pour certains soins comme
l’optique et la dentisterie). Ils sont plus faibles à l’hôpital sans être inexistants (forfait journalier et forfait sur
certains soins).
Comme ces TM sont autorisés à réassurance, ils sont considérés comme sans effet sur la consommation médicale.
L’efficacité (en termes de réduction des dépenses de santé) de cette lutte contre les comportements d’aléa moral
est douteuse pour ceux qui disposent d’une complémentaire couvrante. C’est pourquoi, les réformes récentes
introduisent un TM d’ordre public comme le forfait de 1 €, non rachetable par l’assuré, qui correspond à un coût
fixe d’entrée. Les sanctions financières en cas de non-respect du parcours de soins et les vagues récentes de
déremboursement de médicaments, non pris en charge par les complémentaires, ainsi que les franchises introduites
en 2008 peuvent également être lues dans ces termes en accroissant le reste à charge pour le patient.
Cette évolution vise à une désocialisation de la dépense de santé et non à une réduction de la consommation
médicale. Celle-ci peut continuer à augmenter. L’objectif n’est en effet pas de réduire la dépense de santé mais
uniquement la prise en charge publique. La consommation, sous forme d’automédication de médicaments
récemment déremboursés ou encore le non-respect du parcours de soins ne sont pas prohibés. Ils sont autorisés si
le patient est à prêt à supporter la dépense. Le patient est donc mis en position de choisir sa propre consommation
au-delà du panier de soins remboursables et de l’assumer financièrement. Il se transforme en assuré-gestionnaire
de son capital santé.
La réforme de l’assurance maladie organise donc le décalage entre la dépense de santé et la dépense socialisée.
Pour autant, la désocialisation est peu visible dans les statistiques. Ainsi, la mise en place de la réforme dite du
parcours de soins coordonnés s’est traduite par une légère croissance du reste à charge des ménages de 8,56 % en
2006 à 8,48 % de la consommation de soins et biens médicaux (CSBM) en 2005. Cette évolution résulte
essentiellement de la modulation des taux de remboursement qui passent de 70 % (dans le cadre du parcours de
soins) à 60 % (hors parcours). L’économie de 150 millions d’euros réalisée par la CNAMTS (Caisse nationale
d’assurance maladie des travailleurs salariés) s’est reportée en grande partie sur les ménages dans la mesure où les
organismes complémentaires d’assurance maladie (Ocam) ont été fiscalement incités à ne pas prendre en charge
ces déremboursements [Fénina, Geffroy, 2007]. C’est dans le domaine des soins ambulatoires que le reste à charge
des ménages progresse le plus rapidement (12,2 % en 2006 contre 11 % en 2004).
Si la dépense de santé privée ou privatisée s’accroît, la dépense socialisée n’est pas forcément en recul. Elle reste
relativement stable autour de 76 % du total. Cependant, en ayant perdu 4 points depuis 1980, la désocialisation est
bien réelle. Elle est d’autant plus saillante si l’on prête attention au fait qu’un nombre croissant de personnes sont
exonérées du paiement du ticket modérateur : les malades en Affection de longue durée (ALD) et plus récemment
les plus pauvres avec la Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC). Dans ce contexte d’activation
de l’assuré et de durcissement de la politique de TM, certains patients bénéficient d’un traitement différent en étant
exonéré du TM. Cette exonération est loin d’être marginale puisqu’elle touche 12,2 millions de personnes, soit près
de 25 % des 47,1 millions de personnes relevant du Régime général. Ainsi, la désocialisation, si elle reste faible à
un niveau agrégé, est forte pour le patient individuel, non ciblé par la solidarité collective. […]
❖ Doc. 2 : G. HUTEAU, « Vers quel pacte de responsabilité pour l’assuré social », Gaz. Pal. 2014, n° 235,
p. 21 (extraits).
1. L’appel à la responsabilité de l’assuré social est
devenu omniprésent à partir des années 2000 dans le
discours public sur la Sécurité sociale, plus précisément
dans celui sur l’assurance maladie. Ainsi, le 14 janvier
dernier, le Président de la République a lui-même
souligné la nécessité de « lutter contre les excès et
contre les abus » en matière de consommation de soins,
à l’occasion – plus générale – de l’annonce du Pacte de
responsabilité, rebaptisé par la suite Pacte de
responsabilité et de solidarité.
2. Sans doute cette référence récurrente à la
responsabilité de l’assuré social peut-elle susciter la
perplexité du juriste. La socialisation des risques à
laquelle procède l’assurance maladie semble en effet
entrer en contradiction avec le principe classique de la
responsabilité, tel qu’il est posé par les articles 1382 et
1383 du Code civil. Lorsqu’une personne acquiert la
qualité d’assuré social par le biais de l’affiliation à un
régime de sécurité sociale, ce n’est pas en vue de
répondre de dommages. Bien au contraire, il s’agit
d’être garanti pécuniairement, sur le fondement de la
solidarité nationale, contre les risques susceptibles
d’affecter sa santé. Dans ce contexte, non seulement
l’indemnisation due au titre de l’assurance maladie
n’est pas conditionnée à la mise en jeu de la
responsabilité d’un tiers, mais il est également
indifférent que l’assuré social ait pu contribuer, d’une
façon ou d’une autre, à la survenance ou à l’aggravation
des dommages donnant lieu à réparation1. Sous réserve
d’en remplir les conditions d’attribution, il peut
toujours prétendre au bénéfice des prestations de
l’assurance maladie, sachant que celles-ci ne
permettent qu’une indemnisation forfaitaire en
contrepartie de leur automaticité. L’objectif n’est plus
de compenser intégralement un préjudice
conformément à la finalité de la responsabilité civile,
mais plutôt d’assurer solidairement une sécurité
économique suffisante aux individus. On passe ainsi de
la logique de la responsabilité à la logique du risque
social, dont la charge se trouve répartie sur tous les
ressortissants du régime d’assurance maladie concerné.
Comme le souligne Cédric Riot à propos du risque
social, « il s’agit, dans tous les cas, d’une prise en
charge de l’éventualité, c’est-à-dire du risque ou de
l’événement défini comme étant socialement
inacceptable »2. Cette caractéristique originale prend
bien sûr sa pleine signification au regard de la nature
du risque de maladie, celui-ci étant le plus souvent le
fruit d’un malheureux hasard vis-à-vis duquel la
collectivité entend protéger ses membres.
3. Au regard de ce constat liminaire, faut-il pour autant
considérer que toute démarche volontariste en vue de
promouvoir la responsabilité de l’assuré social dans
l’assurance maladie serait vouée à connaître l’échec ?
[…].
I – Les limites d’une responsabilisation de l’assuré
social de nature principalement financière 9. Au fil des dernières décennies, la législation
d’assurance maladie a connu un renforcement
substantiel des mécanismes de responsabilisation
financière des assurés sociaux ; à telle enseigne que leur
superposition a pu compromettre l’égal accès des
assurés sociaux au système de soins, sans qu’ils aient
pour autant un impact vertueux sur les comportements
individuels (A). Afin de pallier cette insuffisance, la
réforme issue de la loi n° 2004-810 du 13 août 20046
est venue introduire une différenciation de la
participation financière de l’assuré social en fonction
de son cheminement dans le parcours de soins, mais
l’ambition poursuivie s’est trouvée en partie confrontée
à un problème de mise en œuvre (B).
A – Le caractère inadéquat d’une responsabilisation
de l’assuré social reposant sur sa seule participation
financière
10. Traditionnellement, cette démarche s’appuie
principalement sur le dispositif du ticket modérateur7,
lequel principe législatif consiste en une fraction de
dépenses laissée à la charge de l’assuré social. Cette
participation financière est fixée dans une proportion
variable en fonction de la nature des soins et biens de
santé remboursés (de 0 % pour les actes médicaux les
plus lourds à 85 % pour les médicaments à faible
service médical rendu). Seules quelques catégories
d’assurés sociaux sont exonérées du ticket modérateur,
tels les accidentés du travail, les femmes en état de
maternité, les personnes reconnues en affection de
longue durée pour la consommation médicale
correspondante… Dans certaines éventualités
particulières, en vue d’en corriger certains effets trop
pénalisants pour l’assuré social, le ticket modérateur est
articulé au forfait hospitalier et à la participation
forfaitaire de 18 € sur les actes dits « lourds », étant
précisé que ces deux contributions viennent s’y
imputer, ce qui atténue d’autant le reste à charge de
l’assuré social.
11. Il s’est de surcroît ajouté au ticket modérateur, à
partir du milieu des années 2000, deux nouvelles
catégories de participation financière qui ont en
commun, au-delà de leur différence de dénomination,
de reposer sur le principe de la franchise : au lieu de
laisser à la charge de l’assuré social un pourcentage de
ses dépenses de santé, la législation d’assurance
maladie impose à l’intéressé une contribution
financière fixe. Ainsi, la loi du 13 août 2004 susvisée a
institué un forfait d’un euro pour chaque acte médical
dans la limite d’un plafond de 50 € par an. Par la suite,
la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 a
créé une franchise de 0,50 € par acte d’auxiliaire
médical et par boîte de médicaments, ainsi qu’une
franchise de 2 € pour chaque transport sanitaire. Ce
sont des mesures de portée plus restreinte que le ticket
modérateur, qui visent surtout les recours fréquents au
système de soins susceptibles de correspondre à des
usages abusifs.
12. L’impact de ces mécanismes de responsabilisation
financière suscite une critique récurrente dans la
mesure où cette forme de responsabilisation
traditionnelle ne s’avère à elle seule ni véritablement
efficace quant à la régulation des comportements des
assurés sociaux, ni conforme à l’exigence de justice
sociale8. Il importe en effet de préciser que le reste à
charge de l’assuré social est le plus souvent neutralisé
par l’assurance maladie complémentaire à laquelle il
adhère. Toutefois, les relèvements successifs du ticket
modérateur se sont généralement accompagnés d’une
hausse significative des cotisations correspondantes.
Afin d’éviter que le ticket modérateur ne se transforme,
pour les personnes les plus défavorisées, en ticket
d’exclusion de l’accès aux soins, la loi n° 99-641 du 27
juillet 1999 a institué la couverture maladie
complémentaire (CMU-C), laquelle permet également
d’être exonéré des franchises et participations
forfaitaires mises en place à partir de 2004. C’est
pourquoi les assurés sociaux les plus touchés par le
ticket modérateur sont ceux dont les ressources
dépassent le seuil d’admission à la CMU-C, ce qui a
conduit à l’institution, par la loi n° 2004-810 du 13 août
2004, de l’aide financière à l’acquisition d’une
complémentaire santé en vue de lisser l’effet de seuil
de la CMU-C. Pour autant, le ticket modérateur
contraint encore certaines personnes à revenus
modestes à différer l’accès à des soins et biens
médicaux qui leur sont nécessaires, voire même à y
renoncer, avec le danger de laisser s’aggraver des
pathologies et, à terme, d’accroître leur souffrance et
d’occasionner des coûts supplémentaires pour
l’assurance maladie. De leur côté, les franchises et
forfaits n’entraînent pas de changements notables dans
les comportements individuels des assurés sociaux,
bien qu’ils ne puissent être pris en charge, en vertu de
loi précitée, dans le cadre des « contrats responsables »
de l’assurance maladie complémentaire, sachant que ce
type de contrat est devenu la formule quasi-exclusive
dans ce domaine.
13. Aussi la règle de droit ne peut se limiter à
envisager la responsabilisation de l’assuré social sous
sa seule dimension financière. Selon cette approche,
l’assuré social apparaît en grande partie comme un
sujet passif dans la chaîne de soins, d’autant qu’il n’a
guère de prise sur les prescriptions, même s’il peut être
tenté de les influencer à la faveur de la liberté dont il
dispose dans l’accès au système de santé ; il s’ensuit
dès lors une représentation négative du processus de
responsabilisation, qui peut même devenir synonyme,
sinon de culpabilisation de l’assuré social, tout au
moins de transfert de charge financière vers les
organismes complémentaires d’assurance maladie.
C’est pourquoi l’ambition majeure de la loi du 13 août
2004 est de conférer à l’assuré social un rôle actif en
matière d’accès aux soins et à la prévention. La finalité
poursuivie est d’inciter l’assuré social à s’inscrire dans
un parcours de soins coordonné, à la faveur d’une
différenciation du taux de prise en charge de
l’assurance maladie en fonction de son respect ou non
par l’intéressé. Cependant, le succès de cette réforme
s’est rapidement heurté à des obstacles opérationnels
qui en ont contrarié, en partie, la mise en œuvre.
B – L’échec partiel d’une responsabilisation
financière de l’assuré social corrélée au suivi d’un
parcours de soins
14. Dans cette perspective ambitieuse, la réforme de
2004 sur l’assurance maladie a fait évoluer
l’organisation de l’accès aux soins en recherchant une
meilleure coordination entre les acteurs du système de
santé.
15. En premier lieu, la loi du 13 août 2004 a institué
le parcours de soins coordonné dont la pierre angulaire
est le médecin traitant9. Accessible à tout assuré social
ou ayant droit âgé de seize ans ou plus, ce dispositif
vise certes à dissuader les comportements de «
nomadisme médical », quoique l’assuré social conserve
toujours la possibilité de changer de médecin comme il
le souhaite, sous réserve, bien sûr, d’obtenir l’accord
d’un autre praticien. Mais cette réforme structurelle
vise plus fondamentalement à promouvoir un usage
plus rationnel du système de soins curatifs et préventifs.
Bien qu’ils demeurent libres d’adhérer ou non au
parcours de soins coordonné, voire d’en respecter ou
non les règles par la suite, les assurés sociaux sont
néanmoins incités à s’inscrire dans cette voie afin de ne
pas avoir à supporter une majoration de 40 % du ticket
modérateur sur les honoraires médicaux. De surcroît,
afin de garantir l’effectivité de ce dispositif, les «
contrats responsables » de l’assurance maladie
complémentaire ne sont pas autorisés par la loi n° 2004-
810 du 13 août 2004 à en couvrir la charge financière.
16. Aujourd’hui, la presque totalité des assurés
sociaux a adhéré au dispositif du médecin traitant, qui
est presque toujours un médecin généraliste. Cet
indéniable succès a sans aucun doute permis de
conforter le rôle du médecin dans la responsabilisation
de l’assuré social face aux risques de santé, notamment
pour l’amener à accomplir la démarche de prévention
la mieux adaptée à ses besoins de santé. L’action du
médecin traitant dans ce domaine est d’ailleurs
valorisée par les conventions médicales signées en
2005 et 2011 entre les syndicats de médecins libéraux
et l’Union nationale des Caisses d’assurance maladie
(UNCAM).
17. Le parcours de soins coordonné supposait, à
l’origine, que le médecin traitant assume la tenue du
dossier médical de son patient afin de favoriser les
échanges d’informations entre les professions de santé
concernées, notamment les médecins correspondants,
qui sont en réalité le plus souvent des médecins
spécialistes. Il était même prévu de soumettre l’assuré
social refusant de présenter ce document à une
pénalisation financière. Or, les incertitudes juridiques
auxquelles le dossier médical personnel s’est trouvé
confronté sur le plan des libertés individuelles, ainsi
que les importantes difficultés techniques rencontrées,
ont conduit à en différer la mise en place à une
échéance encore à venir.
18. Par ailleurs, le médecin traitant reste investi d’un
rôle déterminant dans la coordination des soins à
travers la mise en œuvre du protocole des affections de
longue durée (ALD)10. Il s’agit du document médico-
administratif institué par la loi n° 2004-810 du 13 août
2004 et dont la transmission à la caisse d’assurance
maladie permet aux personnes atteintes de certaines
pathologies graves (cancer, diabète, maladie de
Parkinson…) d’être exonérées de ticket modérateur
pour les seuls soins et biens de santé en rapport avec
celles-ci. Plus précisément, le médecin traitant se voit
confier le soin d’établir, conjointement avec le
médecin-conseil de l’assurance maladie, le protocole
de soins applicable aux patients en respectant les
référentiels élaborés par la Haute Autorité de Santé
(HAS). Ce protocole mentionne les actes et traitements
nécessaires et formalise les engagements des patients
vis-à-vis de leur médecin. Chaque assuré social doit y
apposer sa signature, ce qui manifeste sa volonté d’y
souscrire, et ainsi, en renforce de manière symbolique
la responsabilité. Le protocole devient dès lors
opposable à l’assuré, lequel a l’obligation de le
présenter à tout médecin consulté, afin de pouvoir
bénéficier de l’exonération du ticket modérateur.
19. Force est néanmoins de constater que ce type de
protocole n’a pas complètement satisfait aux ambitions
placées en lui, notamment pour optimiser la prise en
charge médicale. Il convient d’en rechercher
l’explication dans le manque de réalisme du dispositif
mis en place. Ainsi, contrairement à ce que prévoit la
loi n° 2004-810 du 13 août 2004, ni le médecin traitant
ni le médecin-conseil n’ont généralement le temps
nécessaire pour se livrer au travail conjoint ou aux
consultations pourtant prévus à cet effet. De même, la
révision régulière du protocole ALD en fonction de
l’évolution de l’état de santé de l’assuré social ou en
cas d’apparition d’une nouvelle pathologie est rarement
effectuée, pour le même motif. En réalité, le
remplissage du document se résume ordinairement en
la simple reprise des recommandations de la Haute
Autorité de Santé, ce qui confère à l’exercice un
caractère surtout bureaucratique, destiné à permettre à
l’assuré social de bénéficier de l’exonération du ticket
modérateur.
20. Bien qu’elles apparaissent encore trop limitées à
l’épreuve des faits, les avancées conceptuelles de la loi
n° 2004-810 du 13 août 2004 révèlent néanmoins que,
renversé en opportunité plus qu’exprimé seulement en
contrainte, le processus de responsabilisation de
l’assuré social est susceptible de revêtir une nouvelle
dimension. Il n’est plus pensé « par défaut » à travers
le seul mécanisme du reste à charge financier, mais
invite à envisager plus avant la place de l’individu dans
l’organisation plus globale du système de santé et
d’assurance maladie. C’est précisément dans cette
perspective nouvelle que se dessine l’opportunité de
promouvoir une responsabilité-participation de l’assuré
social en tant que patient. […].
Notes de bas de page : 1. Hormis les cas très spécifiques de la faute intentionnelle (CCC, art. L.
375-1) et de la faute inexcusable (CSS, art. L. 453-1).
2. C. Riot, Le risque social, éd. Faculté de droit de Montpellier, coll.
Thèses, 2002.
6. L. n° 2004-810 du 13 août 2004 sur l’assurance maladie : JO 17 août
2004.
7. CSS, art. L. 322-2 et L. 322-3.
8. M. Elbaum, « Participation financière des parties et équilibre de
l’assurance maladie », Lettre de l’OFCE, n° 301, sept. 2008.
9. CSS, art. L. 162-5-3.
10. CSS, art. L. 324-1.
❖ Doc. 3 : Le déploiement du tiers payant : La Croix, n°. 40687 mardi 3 janvier 2017, p. 9, Le tiers payant
sera-t-il généralisé en 2017 ?
Depuis le 1er janvier, les femmes enceintes et les
patients souffrant d'affections de longue durée n'ont
plus à faire l'avance de frais chez les médecins. En
principe, cela sera le cas de tous les assurés en
novembre. Mais la mesure, fortement critiquée par les
syndicats médicaux, pourrait être supprimée en cas de
victoire de François Fillon à la présidentielle.
L'année 2017 sera-t-elle celle de la généralisation du
tiers payant pour tous les patients? Marisol Touraine
veut y croire. « Cette mesure, que j'ai fermement
défendue, représente une avancée sociale majeure » ,
affirme la ministre de la santé. Depuis le 1er janvier,
le tiers payant est devenu un droit pour les femmes
enceintes et tous les patients soignés pour une
affection de longue durée (ALD). Soit 11 millions de
personnes qui, depuis ce dimanche, sont dispensées de
l'avance des frais chez leur médecin. Et, en principe, à
partir du 1er novembre prochain ce droit deviendra
effectif pour tous les assurés sociaux. Sauf en cas de
victoire de la droite à la présidentielle.
En effet, si François Fillon a récemment opéré un
sérieux retour en arrière sur ses projets de réforme de
la Sécu, il semble toujours décidé à supprimer la
généralisation du tiers payant. « Nous ne faisons pas
de politique. Mais nous avons bien noté que cette
mesure figure noir sur blanc dans le programme santé
de M. Fillon... », souligne le docteur Jean-Paul Ortiz,
président de la CSMF, le principal syndicat de
médecins libéraux.
Le tiers payant est déjà une réalité pour environ 35 %
des actes médicaux. Il fonctionne pour les personnes
démunies (CMU-C ou AME). Mais pas seulement.
Les patients quels qu'ils soient n'ont pas non plus à
faire d'avance de frais pour les actes de plus de 120 €
ou quand ils vont chez un radiologue, dans un
laboratoire d'analyses ou dans une pharmacie. En
2014, Marisol Touraine a annoncé sa volonté de
généraliser le tiers payant de manière intégrale, à la
fois pour la partie remboursée par l'assurance-maladie
et pour celle prise en charge par les complémentaires
santé. Mais, en janvier 2016, le Conseil constitutionnel
lui a infligé un revers en estimant que le tiers payant
ne pourrait s'appliquer de manière obligatoire que pour
la partie remboursée par l'assurance-maladie.
Pour le reste, c'est-à-dire la part remboursée par les
mutuelles, c'est le médecin qui pourra décider ou non
d'appliquer le tiers payant. Ce qui n'est pas gagné. Les
syndicats médicaux restent en effet hostiles à la
réforme. Le syndicat MG-France vient ainsi d'appeler
les praticiens à boycotter le tiers payant pour la partie
prise en charge par les complémentaires. « Nous
n'avons pas suffisamment de garanties pour être
remboursés dans de bonnes conditions », souligne le
docteur Jacques Battistoni, vice-président de ce
syndicat.
Avec le tiers payant, le médecin n'est plus rémunéré
directement par le patient. Il l'est après coup par la
Sécurité sociale, puis par la mutuelle. Beaucoup de
praticiens craignent que le système ne fonctionne
comme une « usine à gaz » et que, au bout du compte,
ils ne perdent beaucoup de temps à vérifier qu'ils sont
bien à jour de paiements. En octobre, les
complémentaires ont bien présenté un dispositif
garantissant à chaque médecin la « certitude » qu'il
sera payé. « Mais cela ne fonctionne pas bien. Et les
médecins sont là pour soigner leurs patients. Pas pour
passer leur vie à contrôler tous les remboursements » ,
affirme le docteur Ortiz.
Une autre critique faite au tiers payant serait son
caractère « inflationniste » et déresponsabilisant. C'est
notamment l'avis de François Fillon. Dans son
programme, il écrit que la généralisation de cette
mesure « donne le sentiment au patient que la
médecine est gratuite et conduit à des abus » . Dans
une étude menée en 2000, le Credes, centre d'études
sur la santé (devenu aujourd'hui l'Irdes), constatait que,
certes, le tiers payant augmente la dépense de santé,
mais seulement pour un temps, en permettant aux
personnes à bas revenus de rattraper le niveau de
dépenses des plus aisés. « Plutôt qu'un effet
inflationniste, le tiers payant a donc un réel effet de
justice sociale, limitant le renoncement aux soins pour
des raisons financières », notaient alors les chercheurs
du Credes.
Un constat partagé par Marc Morel, directeur du
Collectif inter-associatif sur la santé. « Les gens ne
vont pas chez le médecin par plaisir. Le tiers payant
existe depuis des années pour les laboratoires
d'analyses. Et personne ne va faire des prises de sang
toutes les semaines, juste parce que c'est gratuit.
Questions :
1. Qu’entend-on par désocialisation de la dépense de santé ?
2. Pourquoi les politiques de responsabilisation financière de l’assuré sont considérées comme inefficaces ?
3. Qu’est-ce que le tiers payant ? Quels sont les arguments avancés en faveur et en défaveur de son
instauration ?
Séance 6 L’assurance vieillesse
CONTROVERSE Faut-il instaurer les comptes notionnels en droit français ?
Bibliographie indicative COR, Retraites : annuités, points ou comptes
notionnels ? Options et modalités techniques,
2010.
M. Elbaum, « Quelles suites prochaines pour la
réforme des retraites ? », RDSS, 2012, p. 355
Sénat, Réformer la protection sociale : les
leçons du modèle suédois, mars 2007 (Rapport
d'information n° 377 (2006-2007) de MM. A.
Vasselle et B. Cazeau
P.-Y. Verkindt, « Un chantier à hauts risques
politiques : la réforme du système des retraites »,
RDSS, 2017, p. 1028.
ETUDE DOCUMENTAIRE
Réformer les retraites. Comment ? Pourquoi ?
❖ Doc. 1 : L’architecture du système français des reatraites
❖ Doc. 2: La réforme des retraites de 2003, exposé des motifs, Liaisons sociales 8 juin 2003, n°41/2003,
(extraits)
EXPOSE DES MOTIFS
Pour que la France puisse préserver son modèle social, au
cœur du pacte républicain, des réformes structurelles sont
nécessaires. Parmi ces réformes, trop longtemps différées,
celle de l’avenir du système de retraite tient une place
essentielle. Le principe de la répartition caractérise notre
système. Ce principe relève d’un choix de société, fondé sur
la solidarité entre les Français et entre les générations. Ce
choix de société, le Président de la République et le
Gouvernement se sont engagés, par la réforme, à en assurer
la permanence.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement portant
réforme des régimes de retraite s’inscrit dans cette
perspective : il permet de rééquilibrer le système d’ici 2020.
Il est une première étape, majeure, pour franchir l’obstacle
de plus long terme que représente l’échéance de 2040.
(É) Sans réforme, nos régimes connaîtraient un déficit de
l’ordre de 43 milliards d’euros, à l’horizon 2020. Sans
réforme, ce seraient les cotisations qu’il faudrait
systématiquement et mécaniquement augmenter, menaçant
ainsi de mettre en péril la compétitivité de notre économie,
c’est-à-dire l’emploi. Sans réforme, ce seraient les retraites
qu’il faudrait alors se résoudre à diminuer, dans des
conditions drastiques et injustes au regard de l’équité et de
la solidarité entre les générations.
Quatre orientations résument le projet de loi présenté par
le Gouvernement :
- assurer un haut niveau de retraite, par
l’allongement de la durée d’activité et de la durée
d’assurance ;
- préserver l’équité et l’esprit de justice sociale de
nos régimes de retraite ;
- permettre à chacun de construire sa retraite, en
donnant davantage de souplesse et de liberté de choix ;
- garantir le financement des retraites d’ici 2020.
❖ Doc. 3 : Loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites
EXPOSE DES MOTIFS
Le présent projet de loi vise à rééquilibrer et pérenniser le
modèle français de retraites par répartition fondé sur la
solidarité. Cette solidarité est au cœur de notre pacte
républicain et elle s'exprime aussi bien entre actifs et
retraités qu'entre personnes d'une même génération, pour
tenir compte des aléas de la vie.
Seules des mesures ambitieuses, adaptées à l'évolution de
notre société et à l'allongement de l'espérance de vie des
Français, sont susceptibles de financer durablement les
retraites des générations actuelles et futures. La sauvegarde
du système par répartition implique de trouver les moyens
d'équilibrer les régimes dès que possible : le maintien
durable d'un déficit est contradictoire avec la notion même
de régime de retraites par répartition.
Face à l'allongement de l'espérance de vie et au départ à la
retraite des générations nombreuses d'après guerre, notre
système de retraite est aujourd'hui menacé. Alors qu'on
compte aujourd'hui 1,7 cotisant pour un retraité, ce ratio
atteindra 1,5 dès 2020. Dès aujourd'hui, nous ne sommes
NB : l’accord collectif signé par l’employeur peut être remplacé par un projet de l’employeur approuvé par référendum
par les salariés, ou par une décision unilatérale de l’employeur.
Source du schéma : Source: CFDT, Guide du négociateur, 2014.
http://www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2014-02/guide_ps_23_01_2014_.pdf
plus capables d'assurer le paiement des pensions des 15,5
millions de retraités sans recourir à l'emprunt.
Sous l'effet de la crise économique, la branche vieillesse
de la sécurité sociale a été confrontée plus rapidement que
prévu aux déficits évalués par le Conseil d'orientation des
retraites (COR) en 2007. Le besoin de financement annuel
de l'ensemble des régimes de retraites atteindra ainsi 42,3
milliards d'euros en 2018 selon le COR. Cette situation
impose aujourd'hui de prendre de nouvelles mesures pour
atteindre l'équilibre et cesser de faire peser les charges de
cet endettement sur les générations futures.
Pour rééquilibrer les régimes de retraite, le Gouvernement
a résolument exclu toute baisse des pensions pour ne pas
remettre en cause le rôle protecteur de la retraite.
La réponse à cette situation doit être en premier lieu
d'ordre démographique. L'espérance de vie a augmenté de
6,3 ans depuis 1982. Confrontés à la même situation, de
nombreux pays ont relevé l'âge de départ à la retraite. En
Allemagne, au Danemark, en Espagne ou encore aux Pays-
Bas, il s'élève à soixante-cinq ans et il sera bientôt fixé à
soixante-sept ans au terme d'une augmentation progressive.
Si nous refusons de diminuer le niveau des retraites, nous
devons, à notre tour, emprunter la voie suivie par tous les
grands pays européens et allonger la durée d'activité des
Français.
Dans cette optique, le Gouvernement propose une réforme
responsable et juste, construite autour de quatre orientations
:
- augmenter la durée d'activité de manière progressive et
juste ;
- renforcer l'équité du système de retraites ;
- améliorer les mécanismes de solidarité ;
- renforcer la compréhension par les Français des règles de
la retraite.
❖ Doc. 4 : Retraites : flottement autour du calendrier de la réforme, LE MONDE, R. Besse Desmoulières,
B. Bissuel et C. Pietralunga, 25 novembre 2017.
La réforme des retraites, initialement prévue au « premier semestre 2018 », pourrait-elle être décalée à 2019 ?
Invitée de LCI, vendredi 24 novembre, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, chargée du dossier,
l’a laissé entendre, déclarant ne pas vouloir se laisser « enfermer dans des calendriers ». « C’est une réforme
structurelle, en profondeur qui nécessite la confiance des Français et aussi beaucoup de temps de concertation »,
a-t-elle ajouté. Interrogée sur un éventuel report à 2019, elle a répondu : « Pourquoi pas, mais il n’y a pas
aujourd’hui de calendrier fixé. » (…)
Pendant sa campagne, le candidat d’En marche ! avait fait de ce sujet l’une des mesures phares de son programme.
Critiquant un système jugé « complexe » et « injuste » où coexistent quelque trente-cinq régimes de base, il avait
promis de le remplacer par un dispositif « universel ». Avec un fil rouge : « chaque euro cotisé » donnerait les
mêmes droits à tous, quel que soit le statut de la personne (salarié, fonctionnaire…). Il s’était aussi engagé à ne
revenir ni sur l’âge de départ à la retraite ni sur la durée de cotisation.
❖ Doc. 5 : Réforme des retraites systémique ou paramétrique: le quitte ou double de Macron, LE FIGARO
ECONOMIE, M. Landré, 7 septembre 2017.
DÉCRYPTAGE - Malgré ses promesses de réforme systémique des retraites, le chef de l'État est condamné à une
réforme paramétrique pour combler un besoin de financement de 9 milliards d'euros en 2021.
Emmanuel Macron a été très clair sur la réforme des retraites au cours de sa campagne. Il a même écrit ses
intentions page 13 de son programme. Lui président, il ne touchera « pas à l'âge de départ à la retraite, ni au
niveau des pensions ». Et le futur chef de l'État d'enfoncer le clou, dans Le Figaro, durant l'entre-deux-tours. «
On a une chance dans le quinquennat qui vient, c'est qu'il n'y aura pas de déséquilibre financier du système des
retraites, justifiait-il ainsi une semaine avant son élection. Je vais en profiter pour régler les enjeux de manière
systémique, afin qu'on n'ait plus à y revenir (…). Les pensions ne seront pas baissées. Il n'y aura également ...
Questions :
1. Quels sont les objectifs affichés par les précédentes réformes adoptées en matière de retraite ? Quels
sont les principales mesures imaginées pour y parvenir ? Rappelez la différence entre régime par
répartition et régime par capitalisation.
2. Quelles sont les principales mesures envisagées par le gouvernement actuel ? S’agira-t-il d’une réforme
systémique ou paramétrique ?
3. Définissez les notions suivantes : retraite de base, retraite complémentaire, retraite supplémentaire
4. Comment un régime de retraite supplémentaire peut-il être mis en place dans une entreprise ? Quels
sont les rapports juridiques qui sont créés à cette occasion ?
Séance 7 Les accidents du travail et les maladies professionnelles
CONTROVERSE Faut-il reconnaître les maladies psychiques comme des maladies professionnelles ?
Bibliographie indicative
Commission des affaires sociales, Rapport
d'information relatif au syndrome d'épuisement
professionnel (burn-out), L'épuisement
professionnel ou burn-out : une réalité en
manque de reconnaissance, février 2017.
S. Fantoni-Quinton, « Vers une ouverture du
système de reconnaissance des maladies
professionnelles ? », Semaine sociale Lamy,
2015, n° 1672, p. 11.
S. Fantoni-Quinton, « Le véritable rôle du
comité régional de reconnaissance des maladies
professionnelles avantages et limites du système
complémentaire de reconnaissance des maladies
professionnelles », RDSS, 2008, p. 555.
M. Keim-Bagot, « De l’accident du travail à la
maladie : la métamorphose du risque
professionnel », D., 2015, p. 109.
J.-F. Poisson, Les risques psychosociaux,
rapport remis à la mission d'information de
l'Assemblée nationale sur les risques
psychosociaux, février 2011.
M. Keim-Bagot, « Faut-il élargir le champ des
maladies professionnelles ? », Droit social,
2017, p. 929.
M. Michalletz, « Le burn-out doit-il être inscrit
dans un tableau de maladies professionnelles
? », La Semaine Juridique Social, n° 5, Février
2016, 1042.
J. Pachod, C. Oillic-Tissier et A. Antoni, « La
prévention, priorité de la branche accidents du
travail et maladies professionnelles », RDSS,
2010, n° 4, p. 628. A. Thébaut-Mony et H. Pezerat, « La
reconnaissance d'une maladie professionnelle...
une course d'obstacles », Prévenir, 1988, n° 16,
p. 61.
CAS PRATIQUE M. Durand est employé comme tourneur fraiseur par l’entreprise Heavy-métal située dans la
commune de Bondy. Au titre de cette activité, il perçoit une rémunération mensuelle brute
de 1.900 euros et est soumis à la convention collective des industries métallurgiques,
mécaniques et connexes de la région parisienne. Le 26 février 2017, alors qu’il venait
d’entamer sa journée de travail, il a été retrouvé dans la salle de convivialité mise à la disposition des salariés
par l’entreprise avec une blessure par coupure à l'avant-bras. Très prompte, l’entreprise Heavy-métal a
immédiatement adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis compétente, une
déclaration d'accident du travail le concernant en formulant néanmoins quelques réserves. Celles-ci sont liées
à la découverte, le jour de l’accident, dans les poches du bleu de travail de M. Durand d’une boite vide d’un
anxiolytique puissant. Nul n’ignore dans l’entreprise que M. Durand vit des moments difficiles depuis qu’il
a appris que sa femme le trompait avec l’un de ses collègues. Le certificat médical initial établi par le médecin
traitant de M. Durand fait état « d'une intoxication médicamenteuse volontaire avec phlébotomie du poignet
droit sur son lieu de travail ».
Quelques jours plus tard, la caisse primaire d'assurance maladie a informé M. Durand et son employeur qu'un
délai supplémentaire de 30 jours lui était nécessaire pour instruire la demande. Par courrier en date du 2 avril
2017, elle leur a finalement signifié que les éléments en sa possession ne lui permettaient pas de reconnaître
le caractère professionnel de l'accident déclaré. La caisse motive ce refus de prise en charge en indiquant que
« le fait causal de l'accident réside manifestement dans la prise de médicaments par le salarié à son domicile
au moment où l’entreprise n'exerçait sur lui ni autorité ni surveillance ».
M. Durand est désemparé. Il souhaiterait que vous le conseilliez. Il vous fait part de plusieurs éléments. Il ne
nie pas avoir pris des médicaments à son domicile. Cependant, il vous indique en avoir repris au travail (ce
qui explique que les médicaments se trouvaient dans la poche de son bleu de travail). Surtout, bien qu’il
connaisse des difficultés personnelles, il estime que son geste s’explique aussi par un contexte de mal-être
au travail. Il a fait part, à ce titre, de certains faits dans une lettre adressée à la CPAM : ces derniers mois, il
a ressenti une pression de plus en plus forte à l’usine (changements d’horaires, heures supplémentaires ne lui
permettant pas de se reposer). Pour ne rien arranger, il a été victime de nombreux quolibets de la part de ses
collègues, l’inscription « cocu » ayant même été peinte en jaune sur la porte de son vestiaire. De même, ses
demandes répétées et motivées de congés ont toutes été refusées. Enfin, il a fait l’objet de remontrances,
parfois justifiées, mais très violentes. Tous ces faits se sont accumulés, le mettant dans un état de stress qu’il
n’a pas pu gérer.
M. Durand voudrait contester la décision de la CPAM.
a) Quelle est la procédure à suivre pour contester la décision de la CPAM ?
b) Quels seraient les arguments à développer pour obtenir la reconnaissance de l’accident du travail
? Quelles sont ses chances ?
c) Selon vous, M. Durand dispose-t-il de moyens juridiques pour obliger l’entreprise à lui verser
des indemnités en réparation des souffrances subies au travail ?
d) Enfin, M. Durand vous demande votre avis à propos des remboursements des consultations
médicales qu’il a payées au cours du mois de mars 2017.
ETUDE DOCUMENTAIRE
Le scandale de l’amiante
❖ Doc. 1 : E. Henry, « Intéresser les tribunaux a sa cause. Contournement de la difficile judiciarisation du
problème de l’amiante », Sociétés contemporaines, 2003, p. 39.
« Le problème des conséquences sanitaires d’expositions à l’amiante est un exemple particulièrement
significatif d’une question qui ne peut que très difficilement recevoir une traduction juridique ou judiciaire.
(…) Malgré son ancienneté – les premières pathologies induites sont relevées dès le début du siècle (Auribault,
1906) et les cancers liés à ce minéral sont connus dès les années 1950-1960 (Inserm, Goldberg, Hémon, 1997)
– et sa gravité – le nombre de décès imputables à l’amiante est évalué à un minimum de 2 000 par an en 1996,
chiffre en forte croissance –, ce problème ne connaît jusqu’en 1994 qu’une faible visibilité sociale. (…) Après
plusieurs années durant lesquelles la question de l’amiante reste cantonnée à des espaces de débat restreints,
elle ne réapparaît publiquement qu’au cours des années 1990. Cette période de faible publicité correspond
aussi à un moment où ce problème est quasiment inexistant sur le plan judiciaire. Seule la redéfinition de
l’amiante en « affaire » ou en « scandale » de santé publique à partir de 1995 rend possible une judiciarisation
du problème attestée par un contentieux massif devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale (Tass) et
les premières plaintes déposées devant les juridictions pénales (…).
La façon dont les maladies professionnelles sont indemnisées est aussi un facteur important pour expliquer la
faible judiciarisation de cette question. En effet, contrairement au droit civil classique qui fait entrer la notion
de faute dans le mécanisme d’indemnisation, l’architecture de la réparation des maladies professionnelles
repose au contraire sur une élision de la responsabilité des producteurs du risque. Elle fonctionne selon un
mécanisme identique à celui mis en place pour les accidents du travail par la loi de 1898 avec une
indemnisation juridiquement automatique à partir du moment où la pathologie est définie comme étant
d’origine professionnelle. Depuis 1946, c’est une branche spécifique de la Sécurité sociale qui gère ces
prestations, aboutissant à une déconnexion totale entre les producteurs de risques – les entreprises et leurs
dirigeants – et les victimes de pathologies professionnelles à qui les voies de recours devant les juridictions
civiles de droit commun sont interdites. Selon la formule de François Ewald, les pathologies professionnelles
sont devenues un « mal social » dont il est très difficile, voire impossible de retrouver les causes. Ce mécanisme
d’assurantialisation du risque professionnel a aussi pour effet de le rendre socialement plus acceptable, dans
la mesure où il est censé être pris en charge par des institutions publiques dont le rôle est de le limiter et de
l’indemniser. La seule possibilité de recours laissée aux victimes de maladie professionnelle est de tenter de
faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur devant un Tribunal des affaires de sécurité sociale dans
le but d’améliorer leur indemnisation, indemnisation qui restera servie par les organismes de sécurité sociale.
(…)
À partir de 1994, trois principales associations – le Comité anti amiante Jussieu (CAAJ), l’Association pour
l’étude des risques au travail (Alert) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés
(Fnath) – se mobilisent pour faire de l’amiante un problème susceptible d’intéresser médias d’information et
tribunaux. Elles se rassemblent en février 1996 pour constituer l’Association nationale de défense des victimes
de l’amiante (Andeva) dont les buts sont de fédérer un réseau d’associations locales de victimes, d’orchestrer
les différentes actions judiciaires engagées et de jouer le rôle d’un groupe de pression dans plusieurs arènes de
négociation. (…) L’objectif de ces procédures devant les juridictions civiles est d’obtenir ou d’améliorer une
indemnisation (…). La complexité juridique des dossiers et le faible impact médiatique attendu de telles actions
apparaissent au départ comme des éléments rédhibitoires à une telle stratégie judiciaire. C’est seulement au vu
des premiers résultats positifs obtenus au cours de l’année 1997 que l’orientation vers un contentieux massif
en matière de faute inexcusable est définitivement adoptée. (…) Ces milliers d’actions devant les Tass donnent
lieu dans un premier temps à des décisions contradictoires, mais une jurisprudence en faveur de la
reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs tend à se stabiliser, aujourd’hui confirmée par plusieurs
arrêts de la Cour de cassation ».
❖ Doc. 2 : Soc. 28 février 2002, (extraits) n°99-17.201
Sur le troisième moyen, pris en ses six branches :
Attendu que la société Valeo reproche enfin à
l’arrêt d’avoir dit que la maladie professionnelle de
Serge X... était due à sa faute inexcusable, alors,
selon le moyen :
1°/ que les premiers juges, comme la cour d’appel,
n’ont jamais été saisis dans le présent litige d’un
recours portant sur la reconnaissance du caractère
professionnel de la maladie de Serge X... ; qu’ainsi,
en recherchant si la maladie dont était atteint ce
dernier était ou non une maladie professionnelle et
en décidant qu’elle possédait bien ce caractère, la
cour d’appel a méconnu l’objet du litige et le
respect du principe du contradictoire, violant ainsi
les articles 4 et 16 du nouveau Code de procédure
civile ;
2°/ que la cour d’appel, saisie d’une demande
tendant à faire reconnaître la faute inexcusable de
l’employeur dans la survenance d’une maladie
professionnelle devait nécessairement rechercher
si cette maladie, et elle seule, avait pour origine
une faute de l’employeur ; qu’il n’est pas contesté
que Serge X... n’a été pris en charge par la Caisse
primaire d’assurance maladie qu’au titre d’un
mésothéliome qu’il avait contracté en 1977 ;
qu’ainsi, la cour d’appel devait examiner si les
fonctions occupées par Serge X... et ses conditions
de travail au sein de la société Ferodo, devenue
Valeo, avaient, entre 1953 et 1964 et par la faute
de l’employeur, une relation causale avec le
mésothéliome ; qu’en omettant pourtant de
procéder à une telle recherche, tout en se
prononçant sur une autre maladie, à savoir
l’asbestose, maladie certes liée à l’amiante et
inscrite au tableau n° 30 depuis 1950, mais
totalement étrangère au mésothéliome, qui est un
cancer de la plèvre pouvant avoir diverses origines,
et inscrit au tableau n° 30 en 1976, la cour d’appel
a privé sa décision de toute base légale au regard
de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale
;
3°/ qu’il résulte des propres constatations de la
cour d’appel que selon le collège des médecins
agréés, qui s’est trouvé être le seul examinateur
légal de Serge X... et qui devait se prononcer sur la
maladie professionnelle, Serge X... était atteint
d’une "maladie tableau 30 D caractérisée, qui
correspond au mésothéliome malin", lequel
collège ne s’est pas prononcé sur le diagnostic
d’asbestose ; que la cour d’appel relève encore que
la Caisse primaire d’assurance maladie n’a pris en
charge que le seul mésothéliome ; qu’en affirmant
cependant que Serge X... était atteint de plusieurs
maladies professionnelles, à savoir l’asbestose et le
mésothéliome, la cour d’appel n’a pas tiré les
conséquences légales de ses propres constatations
en violation des articles L. 461-1 et suivants du
Code de la sécurité sociale ;
4°/ qu’en tout état de cause, selon l’article L. 452-
1 du Code de la sécurité sociale, la faute
inexcusable n’est caractérisée que si la faute est
d’une gravité exceptionnelle et dérive d’un acte ou
d’une omission volontaire, de la conscience du
danger que devait en avoir son auteur et de
l’absence de toute cause justificative ; que la cour
d’appel ne pouvait, en l’espèce, retenir l’existence
d’une faute inexcusable sans à aucun moment
rechercher si la faute imputée à la société Valeo
dérivait ou non d’un acte ou d’une omission
volontaire, et surtout si elle était d’une gravité
exceptionnelle, élément impératif pour justifier la
qualification de faute inexcusable ; qu’en statuant
comme elle l’a fait, la cour d’appel a privé sa
décision de base légale au regard de l’article L.
452-1 du Code de la sécurité sociale ;
5°/ que la conscience du danger caractérisant la
faute inexcusable ne pouvait résulter au cas présent
que de la connaissance entre 1953 et 1964 de la
dangerosité spécifique de l’amiante ; qu’en l’état
de la recherche telle qu’elle se présentait jusqu’en
1976, date de la création d’une réglementation
d’hygiène et de sécurité spécifique à l’amiante par
les décrets "amiante" et l’inscription du
"mésothéliome" au tableau n° 30 des maladies
professionnelles, aucun employeur ne devait avant
cette date avoir conscience du danger couru par un
employé travaillant dans une usine d’amiante, et ce
d’autant si cet employé n’exerçait pas ses fonctions
de façon continue dans les ateliers de
transformation ; qu’en décidant cependant que la
société Valeo avait eu conscience du danger des
éventuelles inhalations d’amiante plus de dix ans
avant 1976, la cour d’appel a violé par fausse
application l’article L. 451-2 du Code de la sécurité
sociale ;
6°/ que, si toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement et de façon impartiale
par les juges conformément à l’article 6-1 de la
Convention européenne des droits de l’homme, tel
ne peut être le cas pour une partie à qui il est
demandé dans le cadre de sa défense d’apporter des
preuves relatives à des faits remontant à plus de
trente ans ; qu’en requérant pourtant de la société
Valéo qu’elle démontre avoir mis en oeuvre dans
les années 1950 et 1960 des mesures de protection
réglementaires et efficaces dans une de ses usines
de transformation de l’amiante, la cour d’appel a
violé le texte précité ;
Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel, saisie
par le salarié d’une demande d’indemnisation
supplémentaire d’une maladie professionnelle
pour faute inexcusable de l’employeur, était par là
même saisie d’une demande tendant à la
reconnaissance du caractère professionnel de la
maladie dans les rapports entre le salarié et
l’employeur, dès lors que la décision de la Caisse
primaire d’assurance maladie de prendre en charge
la maladie à titre professionnel était déclarée
inopposable à celui-ci ;
Attendu, ensuite, que l’arrêt, après avoir constaté
que le certificat médical initial faisait état
d’asbestose, et que la Caisse primaire d’assurance
maladie avait indiqué au salarié que le collège de
trois médecins avait estimé qu’il était atteint
d’asbestose nettement caractérisée et qu’elle
prenait cette affection en charge, qui relevait du
tableau 30 D, a pu décider, sans contredire les
termes de cette prise en charge, qu’il résultait des
différents certificats médicaux et des conclusions
du collège de trois médecins que Serge X... était
atteint à la fois d’asbestose et d’un mésothéliome,
tous deux de nature professionnelle ;
Et attendu, enfin, qu’en vertu du contrat de travail
le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers
celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat,
notamment en ce qui concerne les maladies
professionnelles contractées par ce salarié du fait
des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ;
que le manquement à cette obligation a le caractère
d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-
1 du Code de la sécurité sociale, lorsque
l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du
danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a
pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver
;
Et attendu que les énonciations de l’arrêt
caractérisent le fait, d’une part, que la société avait
ou aurait dû avoir conscience du danger lié à
l’amiante, d’autre part, qu’elle n’avait pas pris les
mesures nécessaires pour en préserver son salarié ;
que la cour d’appel, qui n’encourt aucun des griefs
invoqués, a pu en déduire que la société Ferodo
avait commis une faute inexcusable ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en
aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
❖ Doc. 3 : P. Sargos, « L’obligation de sécurité au travail et ses conséquences en matière de
responsabilité », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 9, 27 Février 2003, 313
« Le volet réparation est arrivé avec la célèbre loi du 9 avril 1898 (Duvergier, 1898, p. 133 à 147 comportant
une synthèse des travaux préparatoires) qui a institué un régime de réparation des victimes d'accidents
"survenus par le fait du travail, ou à l'occasion du travail" reposant, comme cela est précisé dans la synthèse
précitée, sur trois principes : 1° "L'institution du risque professionnel... la responsabilité du chef d'industrie est
engagée de plein droit dès qu'un accident quelconque se produit" ; 2° "La fixation d'une indemnité forfaitaire
englobant tous les accidents" ; 3° "La certitude absolue, donnée à l'ouvrier, d'obtenir le payement de son
indemnité dans tous les cas et quoiqu'il arrive". Enfin une majoration de l'indemnité était prévue en cas de
faute inexcusable de l'employeur, et une minoration lorsque le salarié avait commis une faute inexcusable. Ces
dispositions n'ont plus subi de changement de principe majeur, sous réserve - mais elles sont évidemment
capitales - de l'intervention de la sécurité sociale dans le système avec la loi n° 45-2426 du 30 octobre 1945,
et de la réparation des préjudices personnels ouverte à la victime d'une faute inexcusable de son employeur par
la loi du 6 décembre 1976. (…)
Les arrêts "Amiante" du 28 février 2002 n'ont pas apporté de modification quant aux modalités de réparation
du préjudice de base - ils ne le pouvaient d'ailleurs pas eu égard aux dispositions légales en vigueur- ; par
contre, ils ont assoupli le régime de la faute inexcusable, et, partant, la possibilité donnée aux victimes d'obtenir
une amélioration de leur réparation de base. On ne reviendra que brièvement, tant elle est connue sur la
définition donnée par l'arrêt Villa du 15 juillet 1941 (Cass. ch. réunies, 15 juill. 1941 : Bull. civ. n° 183) suivant
laquelle "la faute inexcusable retenue par l'article 20-3 de la loi du 9 avril 1898 doit s'entendre d'une faute
d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que
devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative, et se distinguant par le défaut d'un élément
intentionnel de la fauté visée au paragraphe 1er dudit article". La rigueur de cette définition a eu pour
conséquence que pendant plusieurs dizaines d'années le nombre de fautes inexcusables retenues a été faible,
sinon insignifiant. Puis progressivement, et surtout depuis une dizaine d'années, les juridictions du fond ont eu
une appréciation de plus en plus large de la faute d'une exceptionnelle gravité en mettant essentiellement en
avant la conscience du danger qu'avait ou que devait avoir l'employeur de telle ou telle situation ou condition
de travail. Et la loi du 10 juillet 2000 relative aux délits non intentionnels ne pouvait qu'accentuer ce
mouvement, une faute inexcusable pouvant être retenue même en cas de relaxe au pénal (Cass. soc., 12 juill.
2001 : Bull. civ. V, n° 267). Tirant les conséquences de ces évolutions la chambre sociale a donc donné à la
faute inexcusable une nouvelle définition dont il résulte que la conjonction chez l'employeur de la connaissance
des facteurs de risque - appréciée objectivement par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d'activité,
un employeur conscient de ses devoirs et obligations - et de l'absence de mesures pour l'empêcher, signe à elle
seule la faute inexcusable. Pour autant cette définition, qui se veut avant tout incitative à la prévention,
n'implique aucune présomption de faute inexcusable (sous réserve des présomptions légales de faute
inexcusable instituées par les articles L. 231-8 et L. 231-8-1 du Code du travail : salariés en CDD, travailleurs
temporaires et salariés victimes d'un risque qu'eux-mêmes ou le comité d'hygiène et de sécurité avait signalé).
Il appartient donc à la victime de démontrer la conscience du danger que devait avoir l'employeur. (…) »
❖ Doc. 4 : Tableau 30, Régime général, Affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières
d'amiante
Désignation des maladies Délai de prise en charge
Liste indicative des principaux travaux susceptibles de
provoquer ces maladies Cette liste est commune à l'ensemble des affections
désignées aux paragraphes A,B,C,D et E
A. Asbestose : fibrose pulmonaire
diagnostiquée sur des signes
radiologiques spécifiques, qu'il y ait
ou non des modifications des
explorations fonctionnelles
respiratoires. Complications : insuffisance
respiratoire aiguë, insuffisance
ventriculaire droite.
35 ans (sous réserve d'une
durée d'exposition de 2 ans)
Travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante,
notamment : - extraction, manipulation et traitement de minerais et roches
amiantifères.
Manipulation et utilisation de l'amiante brut dans les
opérations de fabrication suivantes : - amiante-ciment ; amiante-plastique ; amiante-textile ;
amiante-caoutchouc ; carton, papier et feutre d'amiante
enduit ; feuilles et joints en amiante ; garnitures de friction
contenant de l'amiante ; produits moulés ou en matériaux à
base d'amiante et isolants ;
B. Lésions pleurales bénignes avec
ou sans modifications des
explorations fonctionnelles
respiratoires :
- plaques calcifiées ou non
péricardiques ou pleurales,
unilatérales ou bilatérales,
lorsqu'elles sont confirmées par un
examen tomodensitométrique ;
40 ans Travaux de cardage, filage, tissage d'amiante et confection de
produits contenant de l'amiante.
Application, destruction et élimination de produits à base
d'amiante : - amiante projeté ; calorifugeage au moyen de produits
contenant de l'amiante ; démolition d'appareils et de
matériaux contenant de l'amiante, déflocage.
Travaux de pose et de dépose de calorifugeage contenant de
l'amiante.
Travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance
effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes
revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante.
Conduite de four.
Travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant
de l'amiante.
- pleurésie exsudative ; 35 ans (sous réserve d'une
durée d'exposition de 5 ans)
- épaississement de la plèvre
viscérale, soit diffus soit localisé
lorsqu'il est associé à des bandes
parenchymateuses ou à une
atélectasie par enroulement. Ces
anomalies devront être confirmées
par un examen tomodensitométrique.
35 ans (sous réserve d'une
durée d'exposition de 5 ans)
C. Dégénérescence maligne
broncho-pulmonaire compliquant les
lésions parenchymateuses et
pleurales bénignes ci-dessus
mentionnées.
35 ans (sous réserve d'une
durée d'exposition de 5 ans)
D. Mésothéliome malin primitif de
la plèvre, du péritoine, du péricarde.
40 ans
E. Autres tumeurs pleurales
primitives.
40 ans (sous réserve d'une
durée d'exposition de 5 ans)
Questions :
1. Quelle est l’origine de la notion de faute inexcusable de l’employeur ? Quel est l’intérêt de sa
reconnaissance pour le salarié ?1
2. Quel revirement de jurisprudence la Cour de cassation de cassation a-t-elle opéré dans ses arrêts
du 28 février 2002 ?
3. Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité caractérise-t-il l’existence d’une faute
inexcusable de l’employeur (doc. 2) ?
4. Sur qui pèse la charge de la preuve en matière de faute inexcusable de l’employeur ?
5. Qu’entend E. Henry (doc. 1) lorsqu’il affirme que « l’architecture de la réparation des maladies
professionnelles repose au contraire sur une élision de la responsabilité des producteurs du risque » ?
6. Pourquoi d’après P. Sargos (doc. 3), la nouvelle définition de la faute inexcusable « se veut avant
tout incitative à la prévention » ? En quoi consiste l’obligation de prévention qui pèse sur
l’employeur en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail ? L’employeur qui satisferait
à cette obligation peut il voir sa responsabilité engagée pour faute inexcusable ?2
7. Comment une affection peut elle être reconnue comme une maladie professionnelle ? Quelles sont
les principales informations que contiennent les tableaux de maladies professionnelles (doc. 4) ?
Par exemple, les plaques pleurales peuvent elles être présumées imputables à l'exposition à
l'amiante ?3
1 Cf. les articles L. 452-1 et s. du Code de la Sécurité sociale 2 Cf. Soc. 25 novembre 2015, n°14-25.444 pour enrichir la réflexion. 3 Vous pouvez faire état du débat soulevé sur ce sujet par l’arrêt du 27/10/2008 du Conseil d’Etat (296339).