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Guiberteau Elodie
M2 MEEF Lettres Modernes
Séminaire : Autorité et gestion de conflits
M. RAME Sébastien
Peut-on s’affirmer en tant que jeunes enseignants alors que nous ne sommes que stagiaires ?
Année 2016-2017
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SOMMAIRE
Résumé…………………………………………………………………………………………...p.3
Prologue……………………………………………………………………………….…………p.4-6
Introduction et démarche ………………………………………………………………………. p.7-8
1.Une démarche d’enquête : le questionnaire ……………………………………….............p.9-12
1.1. Le questionnaire : éléments de définition et méthode……………...……………………….p.9
1.2. Intérêt du questionnaire…………………………………………………………………......p.10-11
1.2. Mise en place du questionnaire…………………………………………………………......p.11-12
2.Être jeune enseignant : s’affirmer et faire ses preuves auprès d’une équipe éducative…p.13-22
2.1.Commencer à enseigner : prendre conseil auprès de l’équipe pédagogique ? ……………...p.13-15
2.2.L’enseignant-stagiaire peut-il conseiller des collègues plus expérimentés ? ……………….p.16-18
2.3.Être stagiaire : tare ou panacée ? ………………………………………………....................p.18-22
3.Être jeune enseignant : s’affirmer et faire ses preuves face aux élèves ………………….p.22-36
3.1.Autorité et gestion de conflits : faut-il redéfinir l’autorité ? ……………………...........….p.23-30
3.2.La bienveillance et l’autorité : incompatibles ? …………………………………….............p.30-33
3.3.Apprendre et faire apprendre autrement ? ……………………………………….…............p.34-36
Conclusion………………………………………………………………………………………p.37-38
Prolongement……………………………………………………………………………………p.39-43
Epilogue …………………………………………………………………………………………p.44
Bibliographie……………………………………………………………………………………..p.45-46
Annexes ………………………………………………………………………………………….p.47
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Résumé
Ce mémoire permet de s’interroger sur le statut du professeur-stagiaire. Novice dans le métier, celui-
ci est-il pour autant aussi démuni que l’on pourrait le penser ? Le mot « stagiaire » a généralement un sens
péjoratif, insistant sur le fait que le jeune enseignant est débutant, ce qui peut parfois le mettre dans des situa-
tions délicates, tant auprès d’une équipe éducative qu’auprès des élèves. Des sondages ont été proposés envers
de nombreux professeurs-stagiaires, qui ont pu donner leurs sentiments face à cette première année dans le
métier, en relatant aussi bien les points positifs que les points négatifs. De ce fait, il a été intéressant de s’in-
terroger sur ce statut si particulier : ce qui fait que l’enseignant-stagiaire puisse parfois se sentir mis à l’écart,
mais ce qui l’aide également à se démarquer. Possédant de nombreuses ressources par sa jeunesse dans le
métier, sa motivation et sa formation à l’ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education) ; celui-ci
peut s’en sortir en s’interrogeant sur les moyens nécessaires à mettre en œuvre. Pour cela, il est important de
redéfinir l’autorité et la bienveillance -deux termes souvent mal interprétés- qui sont pourtant, à la fois com-
patibles et complémentaires. L’autorité ne découle-t-elle pas du respect et de la confiance que peuvent avoir
les élèves face à leurs enseignants ? Ainsi, nous verrons quels moyens peuvent être mis en œuvre pour aider
l’enseignant-stagiaire à s’affirmer, en particulier auprès de ses élèves, avant de constater dans un prolonge-
ment, qu’un certain bizutage dans le monde de l’enseignement peut exister ; chose pour laquelle l’enseignant-
stagiaire peut déjà être confrontée dès l’entrée dans le métier. C’est pourquoi nous nous demanderons : peut-
on s’affirmer en tant que jeunes enseignants alors que nous ne sommes que stagiaires ?
Mots-clefs : enseignant-stagiaire, bienveillance, autorité, pédagogie, s’affirmer
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Prologue
Pourquoi ce sujet ?
Ce projet de mémoire est né d’un problème que j’ai moi-même rencontré en début d’année scolaire.
En effet, j’ai été très vite acceptée et intégrée auprès de l’équipe pédagogique, et de l’établissement en général ;
mais j’ai eu affaire très tôt à un conflit face à une enseignante agrégée et plus expérimentée avec qui je devais
co-animer des séances d’AP (Aide Personnalisée) pour une classe de sixièmes, durant toute l’année scolaire.
Par mon statut de professeure « stagiaire », ma collègue ne m’accordait aucune confiance, au point d’entraver
ma liberté pédagogique : chaque cours était dicté à la virgule près, et devait donner lieu à des justifications et
des remontrances parfois humiliantes, si par malheur, tout ne s’était pas passé comme convenu.
Au départ, recevoir des cours prêts peut avoir un côté rassurant, car on peut se sentir soutenue, ou du
moins, guidée dans la pratique. Mais c’est une pratique qui fatigue très vite, puisqu’en effet, chaque enseignant
-même un(e) débutant(e)- possède sa manière de travailler, ou de faire travailler sa classe. Les cours que je
recevais ne me semblaient pas en adéquation avec ma manière de faire, et pourtant, je devais les faire, par
exemple : un seul et unique poème à faire lire à une classe entière, pendant une heure, pour apprendre à bien
lire et mettre le ton ; apprendre à lire des graphiques ou des tableaux, où les élèves, un par un, devaient réciter
les résultats pour montrer qu’il avait compris comment les lire. Ce sont des cours où je me suis vite sentie
démunie, et où je n’éprouvais aucun plaisir à les mettre en place auprès des élèves, car je n’acceptais pas de
les faire de cette façon ; d’autant plus qu’ils me semblaient -à mon sens- se trouver à la limite du programme.
Sans remettre en cause le travail de ma collègue, j’ai tout d’abord essayé, de façon implicite, de lui
faire comprendre que j’avais besoin de fonctionner différemment. Pour cela, je lui proposais des alternatives
sans jamais aborder son travail, par exemple, sur un cours qui me semblait totalement indigeste et irréalisable
sans perdre mes élèves, je proposai : « Ayant un peu de retard, je pense que nous n’aurons pas le temps de
faire tous ces exercices durant ce cours, à la place, je leur proposerais sûrement de créer des cartes de conju-
gaisons, pour qu’ils puissent apprendre l’impératif tout en jouant ». Ce à quoi je recevais toujours des refus
catégoriques, mis en évidence par des majuscules, des caractères gras, sans oublier le surlignage, pour me
faire comprendre que je n’avais pas mon mot à dire, et que je devais suivre ses cours à la lettre. Sans oublier,
les remises en question que j’ai dû subir un bon nombre de fois, parce que chaque geste, chaque mot changé
dans une leçon, chaque question sur un détail de cours qui me semblait parfois obscur, donnait lieu à une sorte
« d’état des lieux » sur ma place en tant qu’enseignante, mais aussi sur moi-même, en tant que personne à part
entière.
On peut dire que j’ai énormément subi le premier mois, en particulier parce qu’en tant que jeune en-
seignante, je ne me faisais pas beaucoup confiance, je me remettais très vite en question et je me questionnais
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beaucoup sur la place et le rôle que je jouais dans l’établissement. De ce fait, avoir quelqu’un qui vous juge
en permanence, vous met en doute, et critique sans arrêt votre manière de faire et vous prive de votre liberté,
et donc de votre plaisir d’enseigner, ne devenait plus supportable. Avant d’agir, j’ai commencé à en parler
autour de moi : tout d’abord à mes référentes ESPE, à ma tutrice, à mes collègues de français, et ensuite, à ma
proviseure. En parler a enlevé un poids. Tout d’abord, parce que la totalité des personnes à qui j’ai parlé, étant
tous professeurs de français, ont approuvé le fait que les cours proposés n’étaient pas adaptés, et que mes idées
fonctionnaient, que j’étais plus proche de ce qui était demandé, et qu’il fallait également, que je me construise
en tant qu’enseignante en créant mes propres cours – ce qui demande forcément, à ce que je me trompe parfois,
pour progresser. Ensuite, cela a permis de découvrir que je n’étais pas la seule enseignante dans ce cas, à subir
les propos malveillants de ma collègue : une enseignante titularisée depuis un bon nombre d’années se trouvait
elle aussi, dans l’embarras, n’ayant pas d’autre choix que de suivre ses cours à la lettre ; mais qu’à l’inverse,
jamais elle ne se permettait de la rabaisser. Cette « chance » n’était destinée qu’à moi-même, jeune ensei-
gnante, débutante.
Cela a alors permis de débloquer la situation. Le plus important est que j’ai pu prendre conscience qu’il
ne fallait pas que je me remette totalement en question, qu’il fallait que je me fasse plus confiance ; que ses
agissements n’étaient finalement pas dirigés contre moi parce que je le méritais, mais plutôt parce que ma
collègue avait ce besoin de tout contrôler ; besoin sûrement dû à son statut. J’ai pu par la suite, défendre un
peu plus mes propos : faire ses cours, mais en m’accordant certaines modifications quand c’était possible, ou
en détournant les exercices avec dérision en les envoyant tous travailler ensemble au tableau ; en leur deman-
dant non pas de lire un seul et même texte pendant une heure, mais que chaque groupe en fasse une mise en
scène, avec un vote à la fin pour la meilleure représentation etc., ce qui était plus épanouissant pour les élèves,
comme pour moi. Malgré tout, cela a donné lieu à de très mauvais moments avec ma collègue, avec qui il
devenait impossible de se parler. Des personnes étant au courant, j’ai eu alors beaucoup d’appui, notamment
de ma proviseure qui a su être à l’écoute et qui m’a conseillée, aidée, et organisé des rendez-vous « prétextes »
avec toute l’équipe de lettres afin de parler des séances d’AP, de l’organisation, et des méthodes de travail,
afin de faire implicitement le point sur le fait qu’il est important que chacun travaille à sa manière pour que
nous soyons au mieux avec les élèves. Les collègues étant dans la même situation que moi ont également
commencé à en parler, ce qui a donné lieu à un véritable entretien pour briser tout ce qui avait été fait jusque-
là, et repartir à zéro, en laissant chacun travailler à sa manière sur des objectifs précis donnés par l’enseignante
qui a la charge complète de la classe. Ma proviseure a insisté et défendu le fait que je devais travailler mes
propres cours, que cela était nécessaire pour que je puisse progresser et apprendre, et qu’il fallait accepter
parfois, qu’un cours soit raté, puisque cela fait également partie de mon apprentissage.
Cette attitude a été justifiée par le fait qu’avant mon tout premier cours, je paraissais stressée, car je
posais « beaucoup » de questions, à savoir : « Comment pouvons-nous nous organiser ensemble ? », « Dois-
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je suivre un objectif précis par rapport à vos cours ou est-ce à part ? », « Faut-il que je vous envoie ce que je
prépare ? ». Des questions qui me semblaient légitimes, puisque nouvelle dans l’établissement, mais égale-
ment nouvelle enseignante fraichement arrivée dans un collègue où chaque collègue était organisé, j’avais
envie de bien faire. Ces questions me permettaient de mieux connaître l’organisation, de mieux appréhender
la suite, et surtout, de m’organiser ; en somme, des questions qui me semblaient dignes d’une jeune ensei-
gnante, qui, la veille de la rentée, venant juste d’apprendre ses classes, a ce besoin de savoir où aller afin de
s’armer. Sans oublier, qu’étant pleinement responsable de deux classes de quatrièmes, gérer un groupe d’AP
en classe de sixième me demande un grand ajustement et une adaptation particulière, puisque ce n’est pas le
même public, et que je dois suivre de près comme de loin leur programme et le travail qu’ils peuvent faire
(car je n’en ai pas toujours connaissance) afin d’avoir une idée de là où ils en sont.
Si cette justification laisse donc à désirer, d’autant plus que je n’étais pas la seule concernée ; on peut
remarquer à quel point l’enseignant-stagiaire peut vite être catalogué, voire mis de côté dans certaines situa-
tions, pour très peu de choses. L’enseignant-stagiaire est alors une personne vulnérable car débutante ; la
confiance en soi n’est pas toujours de mise et cela peut donc s’avérer « dangereux » pour elle, surtout si elle
n’est pas soutenue, ou si elle a une forte tendance à baisser les bras. Si tout se déroulait très bien pour moi, ce
point noir était devenu invivable, et si je n’en avais pas parlé autour de moi, si je ne m’étais pas adressée aux
bonnes personnes, si je n’avais pas su dire « non », il aurait été très dur de poursuivre l’expérience, en restant
positive. Bien que débutant, il faut alors savoir se faire confiance, et s’écouter ; mais il faut aussi savoir se
faire écouter, et ne pas hésiter à parler et se protéger. En aucun cas il faut considérer cela comme un échec :
c’est un obstacle à surmonter.
Ce mémoire permettra donc de s’interroger sur : « Peut-on s’affirmer en tant que jeunes enseignants,
alors que nous ne sommes que stagiaires ? ». Les pistes de réflexions se porteront sur le fait de s’affirmer
auprès de l’équipe pédagogique dans son ensemble, mais également auprès des élèves, qui se rendent très vite
compte que nous sommes de jeunes enseignants. Est-ce que l’âge et l’expérience font tout ? Faut-il enseigner
depuis des années pour être respecté et écouté ? Existe-t-il des méthodes propres à chacun, ou des pistes à
exploiter ?
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Introduction
Être jeune enseignant, d'autant plus enseignant-stagiaire est un statut particulier.
Par définition, un stage est « une période durant laquelle une personne exerce une activité temporaire
dans une entreprise ou suit des cours en vue d'une formation » (Larousse). Cette définition confirme notre
statut. En tant qu'enseignant-stagiaire, nous sommes, ce que nous pouvons dire de manière assez brutale et
exagérée, sur la sellette. Notre stage s'effectue sur une année, durant laquelle nous sommes suivis, en formation
mais également dans notre établissement, notamment par le biais des nombreuses visites dans nos classes par
les formateurs, les tuteurs, et les inspecteurs. Cette année a pour but de nous mener vers la voie de la
titularisation, une finalité qui peut parfois s'avérer compliquée. L'année en tant qu'enseignant-stagiaire est
alors charnière : celle-ci est éprouvante, puisque le jeune professeur doit tout construire, déconstruire et
remettre en forme, en ayant toujours le sentiment que ce n'est pas assez bien. Souvent exigent avec lui-même,
la moindre petite erreur peut sembler une catastrophe et donne lieu à de nombreuses remises en question.
Heureusement, l'enseignant-stagiaire est souvent bien entouré et conseillé, et obtient très souvent de l'aide ou
des conseils de l'extérieur (formateurs, tuteurs), et de ses pairs dans l'établissement. Or, cette chance peut
parfois s'avérer être un véritable carcan pour le jeune enseignant.
En effet, le nom « stagiaire » évoque automatiquement de manière stéréotypée, une jeune personne
sans aucune expérience, qui a toujours besoin d'être suivie, épaulée, parfois dirigée ; au point d'entraver la
liberté de celle-ci. Est-ce qu'être stagiaire signifie systématiquement « être en difficulté » ? Il est vrai qu'après
l'obtention du CAPES, nous sommes débutants pour la plupart ; et l'idée d'être devant une classe nous effraie
puisque nous ne savons pas à quoi nous attendre ; par où commencer, comment procéder. Entre la théorie et
la connaissance que nous maîtrisons pour l'obtention du concours et la réalité, il y a un immense pas à franchir.
Pour autant, il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas arrivés dans un collège ou dans un lycée
complètement par hasard ; mais nous devons montrer et prouver que nous pouvons avoir notre place. Être
stagiaire, comme son nom le porte, c'est être d’une certaine manière, en période probatoire : c'est essayer,
parfois se tromper, modifier, et trouver ce qui nous convient le mieux, et cela, avec l'appui et les conseils de
personnes qui nous entourent. Mais être enseignant-stagiaire, c'est aussi devoir s'affirmer, savoir faire le tri
dans certaines informations, et savoir dire non, afin de faire ses propres choix et expériences pour progresser.
S'affirmer et refuser quand nous ne sommes que débutants n'est pas une chose aisée, et de ce fait, cela
entraine une certaine pression, puisque nous devons redoubler nos efforts pour prouver notre place, ce que ne
font pas les enseignants titularisés puisque leur statut est d'emblée légitime. Le statut d'enseignant-stagiaire
est donc particulier, c’est une sorte de bébé-enseignant qui sort tout juste du berceau, puisqu'il doit parfois
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accepter des conditions contraignantes, faire face à la pression de certains pairs, mais aussi se montrer
infaillible devant les élèves qui ont tendance à les tester. C'est pourquoi je me suis posée de nombreuses
questions concernant le rôle de l’enseignant-stagiaire, et que je pouvais affirmer sans prendre de risques, que
mes collègues avaient au moins une fois rencontré une difficulté durant la période de stage. Ma première
hypothèse, celle que j’ai vécu, était un problème interne, avec un(e) collègue ou la hiérarchie ; la seconde,
avec les élèves : soit un souci de gestion de classe et d’autorité, ou encore, un problème pour monter ses
propres cours. Ainsi, nous nous demanderons tout au long de ce mémoire : comment peut-on s'affirmer en tant
que jeunes enseignants quand nous ne sommes que stagiaires ?
Afin de pouvoir répondre au mieux à cette question, un questionnaire en ligne a circulé auprès de
nombreux fonctionnaires-stagiaires, dont voici le lien :
http://www.askabox.fr/repondre.php?s=118900&d=SPu7CZxyBJrr
Ce questionnaire, en ligne durant deux mois, a été envoyé par le biais des réseaux sociaux dans des
groupes destinés aux enseignants, et permet de faire un sondage auprès de nombreux fonctionnaires-stagiaires
sur leur façon de vivre cette année : les craintes, les appréhensions de départ ; l’intégration -ou non- au sein
des équipes pédagogiques. Car un jeune enseignant n’a pas seulement pour challenge de se faire accepter et
respecter par ses élèves, mais il doit aussi se faire entendre auprès de ses collègues, ce qui parfois s’avère
beaucoup plus difficile. Bien que ce sondage ne soit pas à son terme, il est déjà révélateur de certains faits.
Composé de vingt-trois questions1, les réponses sont recensées de manière anonyme. Bien entendu, ce mé-
moire ne s’attachera pas à dire que les jeunes enseignants ne sont pas intégrés, ni respectés, ce qui est -nous
l’espérons- assez rare dans l’ensemble ; mais le but sera de montrer qu’un jeune enseignant peut avoir sa place,
s’en sortir, et même s’affirmer, même si cela s’avère parfois compliqué.
1 Cf « Annexes »
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1. Une démarche d’enquête : le questionnaire.
1.1. Le questionnaire : éléments de définition et méthode
Le questionnaire est l’une des méthodes les plus connues pour recueillir des données dans le cadre de la
recherche. Il s’agit d’un document composé de questions visant à répondre à une problématique. Les questions
sont posées de manière détournée afin que le sujet questionné ne sache pas sur quoi porte véritablement
l’enquête et ne se laisse pas influencer par ce qui serait « politiquement correcte » de penser au sujet du thème
de l’enquête.
Les personnes enquêtées apprécient plus souvent l’enquête par questionnaire, car elles ont en général des
réponses rapides à fournir, se présentant souvent sous forme de questions à choix multiples, ce qui paraît plus
séduisant.
J’ai choisi de réaliser un questionnaire en ligne, tout d’abord pour des raisons qui sont pratiques, tant au
point de vue de la diffusion que de la réalisation, afin de toucher un plus grand nombre d’enseignants
stagiaires, notamment par le biais des réseaux sociaux. Un questionnaire en ligne évite notamment certains
aléas : l’oubli ou la perte du document, sans oublier le fait qu’il peut être difficile de récupérer les
questionnaires par la suite. De plus, le questionnaire en ligne recense automatiquement les réponses des
enquêtées sous forme de graphique, ce qui est à la fois un gain de temps, mais qui permet d’avoir également
d’avoir un aperçu direct des réponses données.
Je n’ai pas choisi l’entretien, car il me semble difficilement concevable d’organiser des rendez-vous avec
des collègues stagiaires. D’une part parce qu’il est très difficile de trouver des personnes disponibles et voulant
accorder une heure d’entretien, et ensuite parce qu’il aurait été plus simple pour moi de me diriger vers des
collègues stagiaires que je connais -pour des raisons pratiques- ce qui aurait sûrement faussée l’enquête, car
j’aurais pu être amenée à parler en détails de mon sujet de mémoire et à influencer les réponses.
Le questionnaire est donc un bon compromis, et un gain de temps pour tous ; l’avantage étant que les
personnes enquêtées peuvent le remplir quand bon leur semble ; et pour ma part, je n’ai pas besoin d’insister
afin de récupérer les réponses. Or, dès le départ, je peux relever que même de cette manière, il est difficile
d’obtenir des réponses, bien que le questionnaire soit à remplir de manière anonyme, et qu’il ne prend que
quelques minutes avant de l’envoyer.
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1.2.Intérêt du questionnaire
Novice dans le domaine de la recherche, je me suis appuyée par la suite sur un article d’Isabelle
Parizot2, « L’enquête par questionnaire », afin d’avoir une idée plus précise de ce qui est attendu. On peut
constater que le questionnaire semble être un standard en ce qui concerne la recherche. Mais cette méthode
oblige à établir des statistiques, ce qui peut paraître impressionnant dans notre cas. Or, les questionnaires
en ligne permettent de faire des statistiques de manière systématique, ce qui est un avantage, puisqu’il y
n’y a pas de risque d’erreur dans le protocole, qui viendrait fausser les résultats.
Le principal intérêt de l’enquête par questionnaire, est qu’elle repose sur un grand nombre de personnes
interrogées, ce qui aide à tirer des conclusions générales sur la partie d’une population interrogée. L’article
explique d’ailleurs que s’il y a moins de deux-cent participants, les résultats sont alors biaisés. Or, il me
semble très difficile de réussir à obtenir les réponses de deux-cent professeurs stagiaires, même par le biais
des réseaux sociaux ; bien que j’aie la ferme attention de diffuser le questionnaire régulièrement, et par
d’autres moyens (courrier-électronique, par exemple). Il est expliqué également qu’il est important de ne
pas guider les personnes vers des réponses précises, afin de ne pas fausser les résultats. En effet, certaines
questions peuvent induire des réponses ; j’ai donc essayé d’être vigilante sur ce point.
On peut remarquer aussi qu’il existe deux types d’enquêtes :
- Le questionnaire avec enquêteur, qui permet d’avoir des informations sur l’enquêté et le déroulé de
l’enquête. La présence de l’enquêteur augmente la participation de l’enquête puisque celui-ci a le
pouvoir de convaincre les personnes de participer à l’enquête, mais aussi de clarifier certains points
qui peuvent parfois -sans que l’on s’en rende compte – paraître obscurs. Mais dans ce cas, il ne faut
pas oublier que la présence de l’enquêteur ou d’une tierce personne peut alors contrecarrer la sincérité
des réponses. Il est donc important de prendre en compte le sujet de l’enquête et de l’adapter, autant
que possible au lieu et à la façon d’administrer le questionnaire : il est donné, dans l’article, l’exemple
d’un questionnaire sur les violences conjugales fait au domicile des enquêtés ; ce qui vient tronquer
les résultats.
- Le questionnaire auto-administré, c’est-à-dire à remplir de façon libre par la personne enquêtée, est
celui que j’ai choisi. Celui-ci a également l’avantage d’être moins indiscret et intrusif, et, de façon
anonyme, et cela permet aussi à l’enquêté, de répondre plus sincèrement et librement, sans avoir
- 2 I. Parizot, L’enquête par questionnaire, PDF, p. 93-113
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l’impression de devoir donner la réponse qui serait « attendue ». Cela se révèle juste par rapport au
questionnaire que j’ai mis en ligne, où beaucoup, de manière anonyme, répondent très sincèrement,
n’hésitant pas à dire et avouer des choses qui pourraient pourtant être délicates.
Cependant, cette méthode a une faille qui s’est démontrée : il est difficile d’obtenir un grand nombre de
participants. Très peu prennent l’initiative d’y répondre, bien que le questionnaire ne prenne pas beaucoup de
temps afin d’être rempli ; peut-être parce qu’il n’y a personne pour les motiver à y répondre. Pour ma part,
j’ai ajouté un encart en haut du questionnaire, afin de de me présenter en tant qu’étudiante et professeure
stagiaire, et d’expliquer brièvement mon sujet, dans l’espoir de motiver un grand nombre de personne à
participer. Etant donné que mon questionnaire s’adresse à des personnes qui sont dans la même situation que
moi et qui plus est, préparent un mémoire, il me semblait facile d’obtenir un grand nombre de réponses, or,
cela s’est avéré être un parcours du combattant.
1.3.Mise en place du questionnaire
Mon questionnaire a peut-être été construit de manière assez précoce, avant de m’être réellement
renseignée. De ce fait, je ne pense pas avoir réussi à répondre à tous les critères ; notamment le fait de
décomposer les questions en fonction des hypothèses soulevées, en particulier parce qu’au départ, mes
hypothèses n’étaient pas très claires ; mais j’avais besoin de certains témoignages pour pouvoir avancer et
remarquer, relever, les problèmes récurrents des enseignants stagiaires.
J’ai cependant posé deux types de questions : des questions ouvertes et fermées. Les questions ouvertes
sont très utiles, car elles permettent d’avoir une idée plus précise de ce que pense la personne enquêtée ; mais
il s’avère qu’elles sont difficiles à traiter statistiquement sans prendre en compte la part de subjectivité : on
peut dire qu’elles sont un complément, qu’elles permettent d’avoir plus d’informations. A l’inverse, la réponse
peut également être trop vague ou trop éloignée du sujet, ce qui peut être difficile à exploiter.
Les questions fermées quant à elles, permettent de cibler les réponses des personnes enquêtées, et son plus
pratiques à traiter. Or, peut-être qu’elles mettent moins à l’aise la personne, étant donné que les réponses ne
reflètent pas exactement la pensée ou ses idées. C’est pour cela que j’ai délibérément laissé dans la plupart
des questions fermées (présentées sous forme de questions et réponses à choix multiples), une catégorie
« autre », où l’enquêté peut s’exprimer librement. Je peux donc constater que généralement, quand les
éléments de réponses n’arrivent pas à satisfaire la pensée de la personne interrogée, elle rajoute spontanément
des précisions.
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L’ordre des questions étant également importante pour mettre la personne enquêtée en confiance, j’ai
essayé de partir du général pour aller vers des points plus précis. Or, j’ai oublié un point essentiel : demander
le sexe et l’âge de la personne enquêtée, ce qui est pourtant une réponse qui est primordiale afin de pouvoir
comparer les difficultés que peuvent rencontrer de jeunes enseignants stagiaires à des enseignants plus
expérimentés. Le questionnaire pouvant être modifié en cours de route, j’ai décidé de rajouter ces éléments
manquants assez rapidement, avant que les résultats soient faussés.
De ce fait, grâce aux réponses apportées par mes nombreux collègues-stagiaire, j’ai pu avoir une vision
assez large des point positifs qu’ils avaient à me partager de leurs expériences, mais aussi des problèmes qu’ils
ont pu rencontrer tout au long de l’année, certains étant véritablement dans l’embarras.
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2. Être jeune enseignant(e) : s’affirmer et faire ses preuves auprès d’une équipe
2.1.Commencer à enseigner : prendre conseil auprès de l’équipe pédagogique ?
Devenir enseignant n’est pas quelque chose d’inné, c’est un métier qui s’apprend chaque jour, sur le
terrain. C’est à la fois un métier passionnant et frustrant : passionnant grâce à la liberté pédagogique dont nous
disposons, qui nous permet de travailler comme bon nous semble en nous appropriant les programmes ; mais
frustrant, car nous avons tendance à être très exigeants avec nous-mêmes, et donc, à être très facilement
insatisfaits. Il faut également ajouter à cela, un groupe classe que l’on doit apprendre à connaître et que nous
devons gérer, en apprenant petit à petit des techniques que nous devons adapter en fonction des élèves et des
classes. Débuter n’est donc pas aisé, et il s’avère qu’en général, nous avons tous ce besoin d’avoir une épaule
sur laquelle s’appuyer, et bien évidemment, cette épaule se trouve être celle d’un ou de plusieurs collègues
ayant déjà de l’expérience.
A la question : « Recevez-vous beaucoup de conseils de vos collègues ? », la réponse est la suivante :
On peut donc constater qu’à 73.1%, la réponse est positive ; ce qui ne semble pas étonnant, puisque
ces conseils peuvent s’avérer être une véritable mine d’or qui peut aider les enseignants-débutants à
appréhender leur année, ou à rectifier, pallier certains problèmes. Je leur ai donc demandé sur quoi portaient
en général ces conseils. La réponse est la suivante :
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Ses conseils se portent en général sur :
Ici, nous pouvons remarquer la diversité de ces conseils. Alors que nous aurions pu penser qu’ils
allaient surtout porter sur un point plus précis ; ceux-ci sont guidés tout d’abord sur la gestion de classe (à
25%, ce qui constitue une demande prioritaire pour les enseignants-stagiaire, nous y reviendrons plus tard),
puis sur l’autorité et les punitions qui peuvent aller de pair, et les méthodes de travail à 15,3%. Ma question
pouvait obtenir plusieurs réponses, je me suis donc demandée si cette liberté n’a pas faussée les résultats, et
ce qui en serait ressorti si les stagiaires ne devaient garder qu’une seule réponse. Nous nous appuierons donc
sur les premiers résultats dans la dernière partie de ce mémoire.
Suite à cette question, deux autres sont venues à moi : ces conseils, les ont-ils toujours suivis ? Et se sont-
ils toujours avérés utiles ? En effet, j’ai pour ma part, une certaine réticence à suivre tous les conseils qui ont
pu m’être donnés, d’autant plus que j’en ai payé les frais ; mais aussi parce que j’ai toujours senti, dès le
départ, mes limites. Suis-je capable d’agir de la sorte ? De mettre en place cette disposition ? Si je le fais,
saurais-je m’y tenir ? J’ai donc déduis, avant leurs réponses, qu’ils devaient surtout en prendre connaissance ;
mais ne pas toujours les suivre. Cela était faux, comme peuvent le démontrer les graphiques suivants :
Suivez-vous toujours ces conseils ? Ces conseils étaient-ils toujours utiles ?
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Nous pouvons donc remarquer qu’en règle générale, les conseils donnés sont toujours suivis, ce qui peut
paraître surprenant, mais à la fois légitime. En effet, en débutant, on a toujours tendance à faire facilement
confiance à ceux qui ont de l’expérience, et à nous appuyer sur ce qu’ils savent et ce qu’ils mettent en place.
Mais la crainte que nous pouvons soulever, est peut-être le fait, sans remettre en cause les collègues
bienveillants désirant aider leurs pairs, que certaines personnes suivent des conseils aveuglément, à l’encontre
de leur personnalité ou de leurs exigences ; ce qui pourrait dans ce cas, les mettre dans une situation délicate.
Heureusement, par rapport aux réponses qui me sont données, ces conseils se sont toujours avérés – dans la
plupart des cas - utiles pour les enseignants stagiaires, même s’il y a eu parfois des ratés. D’ailleurs, ceux
ayant répondu « non », ont apporté des précisions qui vont de pair avec la question posée précédemment :
« Nos collègues donnent des pistes grâce à leurs conseils, mais ils ne correspondent pas toujours aux attentes
de notre discipline ou à notre personnalité », ou alors, certains expliquent que grâce à ces conseils ils se sont
sentis « moins seuls » expliquant qu’ils se rendaient compte que les problèmes qu’ils rencontraient avec un
élève par exemple, n’étaient pas forcément dirigés contre eux, mais véritablement un problème de
comportement. Ces conseils peuvent donc être salvateurs, et engendrer de véritables discussions entre
collègues, qui vont essayer de comprendre et trouver une solution ensemble.
C’est d’ailleurs une des bases du métier : nous devons nous entraider, communiquer, et échanger,
notamment sur la mise en place de règles ou de consignes communes quant au savoir-être des élèves par
exemple. En ayant des exigences communes, l’équipe pédagogique ne peut qu’être renforcée et obtenir gain
de cause auprès des élèves, c’est incontestable.
Mais si l’enseignant-stagiaire a besoin de conseils, comme tout débutant, est-il pour autant complétement
démuni devant ses élèves ? Les titulaires demandent-ils, eux, des conseils à ces jeunes enseignants ?
Vos collègues prennent-ils conseil auprès de vous ?
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2.2.Un enseignant-stagiaire peut-il conseiller des collègues plus expérimentés ?
Nous pouvons apercevoir qu’en règle générale, les collègues prennent également appui sur les jeunes
enseignants, ce qui est plutôt rassurant. Cela montre d’une part que le métier n’est en soit, jamais acquis, que
nous ne sommes pas toujours considérés comme novices voire « incapables » pour aller plus loin, mais surtout,
que l’enseignant, même débutant, peut apporter des ressources envers des enseignants plus expérimentés. Je
leur ai donc demandé sur quoi portaient leurs demandes, me doutant qu’il ne devait pas s’agir prioritairement
de la gestion de classe et de l’autorité.
Cette hypothèse a été très vite affirmée, puisque les réponses sont pour la plupart : la préparation de cours,
le numérique, et les nouveaux programmes, puisque les enseignants estiment que nous sommes plus à jour
qu’eux sur ces points grâce au concours, d’autant plus que nous bénéficions d’une formation continue avec
l’ESPE. Nous pouvons donc remarquer, d’une certaine façon, que l’enseignant-stagiaire n’est pas sollicité sur
des points de gestion de classe ou d’autorité, puisque de façon peut-être stéréotypée, la généralité a tendance
à croire que nous n’avons pas assez d’expérience pour aider et partager dans ce domaine, ce qui peut s’avérer
en partie vrai, mais parfois réducteur.
Or, ces nouveaux enseignants ont un point fort qui semble vivement sollicité : la formation, même si celle-
ci est bien souvent décriée et critiquée près de la machine à café. Ce point fort sont les connaissances
fraichement acquises par l’enseignant-stagiaire, et la capacité à s’adapter très facilement aux nouveaux
programmes, puisque celui-ci, construisant tout durant cette première année, n’a aucuns modèles particuliers,
et parvient à créer en fonction des nouvelles demandes, ce qui peut toutefois, engendrer certains problèmes.
En effet, cette demande n’est pas toujours bien perçue, voire même parfois rejetée par certains enseignants
qui sûrement, se sentent « rabaissés » de demander de l’aide à un(e) débutant(e). En effet, une personne a
d’ailleurs tenu à préciser un point quant à cette question posée : enseignant en Education Musicale, cette
personne, nommons-là x, n’a jamais obtenu de demandes particulières de son-sa collègue, qui au contraire,
aurait eu tendance à lui faire de nombreux reproches, mais x a pu constater qu’un de ses cours avait été repris
par son-sa collègue et mis en place dans ses classes. Ce genre de situation peut alors nous faire poser des
questions. Pourquoi ce(tte) collègue ne lui en a pas fait part ? Pourquoi ne pas lui avoir tout simplement
demander, en précisant que ce cours lui plaisait ? Par crainte que cette demande soit refusée ? Ou tout
simplement, pour une question d’« estime de soi » : ne pas vouloir affirmer ou assumer le fait d’avoir eu
besoin de ce cours, d’autant plus par une personne débutante ?
Effectivement, comme cette personne le précise dans son commentaire, cette demande n’aurait que pu lui
faire plaisir, ce qui aurait montré qu’elle avait bien travaillé, et qu’elle avait eu de bonnes idées : cela aurait
pu valoriser son travail personnel, et la remettre en confiance. Or, même si dans un sens elle comprend que
son travail a fonctionné au point qu’il soit repris discrètement, cette attitude amène à croire qu’il y a un réel
problème pour certains enseignants à faire confiance aux jeunes professeurs. Cette anecdote n’est pas banale,
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elle correspond très souvent aux problèmes que ceux-ci peuvent rencontrer lors de leur année de stage : un
certain mépris qui peut ressortir de la part de quelques personnes, comme peuvent l’affirmer plusieurs
témoignages que j’ai pu obtenir grâce à une autre question.
Avez-vous déjà eu le sentiment d’être mal considéré(e), car débutant(e) ?
Tant auprès des parents, que des élèves ou de l’équipe pédagogique.
Les réponses qui nous intéresseront ici, seront celles concernant l’équipe pédagogique. Si la réponse
affirmative est, heureusement, moins conséquente que la réponse négative, on peut pourtant observer 42.3%
d’enseignants-stagiaires affirmant avoir été mal considérés, voire malmenés ; ce qui n’est pas négligeable. Si
la réponse était positive, je leur demandais dans une autre question d’expliquer pourquoi ils ont eu cette
impression, et dans quel contexte en particulier. Voici parmi de nombreux témoignages, quelques faits qui ont
retenus mon attention. Le premier témoignage concerne une jeune institutrice, dans lequel elle affirme être
mal considérée : « Surtout vis-à-vis de l’équipe pédagogique, et en particulier deux collègues ayant vingt
années d’expérience, qui lèvent les yeux au ciel dès que je pose une question, et qui ne s’intéressent ni à mon
parcours, ma vie personnelle, même durant les pauses du midi où je suis seule. J’ai d’ailleurs l’impression
d’être bizutée à certains égards en effectuant toujours les tâches ingrates : surveiller le dortoir ou les
récréations. » ; un deuxième, me semblant récurent, de la part d’une enseignante de français, en lycée : « En
début d’année, lorsque je faisais cours, ma tutrice était dans la salle, et les élèves ne me considéraient pas
comme une enseignante, mais surtout comme une apprentie, car ma tutrice intervenait durant mon cours pour
dire des choses à ma place, ou encore me rectifier ; elle a d’ailleurs précisé devant la classe que je débutais,
qu’il fallait me pardonner ». Ce témoignage, qui est infligeant et blessant pour cette personne, est revenu à
plusieurs reprises : les nouveaux enseignants étant présentés directement face aux élèves voire devant les
parents comme stagiaire ; ce qui d’emblée, donne une vision négative de la personne ; puisque les parents et
les élèves ne connaissent pas les véritables conditions de l’enseignant-stagiaire qui vient pourtant de passer
un concours qui affirme ses connaissances, et qui suit une formation de manière assidue afin de bénéficier de
connaissances supplémentaires pour pouvoir enseigner.
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Il ne semble pas, dans l’ensemble, que ces tuteurs-tutrices ou que ces collègues utilisent ce terme dans
un souci de dégrader la personne – du moins, dans la plupart des cas. Au contraire, il semblerait surtout qu’ils
veuillent agir de façon bienveillante, en pensant aider, soutenir, et favoriser l’intégration de l’enseignant-
stagiaire. Mais il s’agit bel et bien d’une façon maladroite de l’accueillir : l’enseignant-stagiaire se sent
rabaissé, et les élèves (ou les parents) accordent ainsi moins de confiance, et en tiennent rigueur par la suite.
Ce genre de propos pourrait avoir des conséquences irréversibles sur le reste de l’année, et dresser des
obstacles pour ces jeunes enseignants en devenir.
2.3. Être stagiaire : tare ou panacée ?
Le mot stagiaire est donc mal perçu, et il est souvent utilisé dans son terme péjoratif, désignant le
« nouveau », « l’apprenti », qualifiant presque cette personne d’incompétente. Et pourtant, beaucoup oublient
que ce statut est finalement un atout, qu’il faut savoir utiliser.
Effectivement, l’enseignant-stagiaire est certes débutant, mais il bénéficie d’une formation continue sur
deux ans avec des professeurs titulaires qui sont sur le terrain, et qui, deux fois par semaine, peuvent répondre
à ses questions et l’accompagner. Avoir des difficultés au départ est légitime, voire essentiel, puisque cela lui
permet de se poser des questions, de s’adapter, et de trouver d’autres façons de faire, d’intervenir, pour à la
fois construire ses cours, et trouver sa place en tant qu’enseignant. En étant débutant, l’enseignant-stagiaire
ne se contente rarement du strict minimum, au contraire, il va en général plus loin dans ses pratiques, cherchant
toujours à améliorer ses cours et à s’améliorer, se remettant sans cesse en question ; défaut du métier, mais
qualité pourtant essentielle qui ne devrait jamais être oubliée malgré l’expérience qui s’acquiert au fur et à
mesure.
Il ne faut également pas oublier que l’enseignant-stagiaire est suivi tout au long de l’année, aussi bien à
l’ESPE qu’en classe ; et qu’à l’issue de cette année, il peut être soit titularisé, soit licencié : l’enjeu est donc
important. Il n’est donc pas lâché dans les mailles du filet, en usant de toute la liberté pédagogique qu’il peut
avoir entre les mains : son travail est regardé, observé, jugé. 3 L’enseignant-stagiaire est donc bien souvent,
plus méticuleux qu’il n’y paraît ; cherchant sans cesse à améliorer ses pratiques, non seulement pour son bien
être personnel et celui des élèves, mais aussi pour être titularisé. Chaque rapport positif devrait alors, asseoir
une certaine légitimité pour ce professeur en devenir, mais aussi face à ses collègues, qui parfois, se bercent
dans une certaine routine qui pourrait être bousculée.
Effectivement, comme nous avons pu le voir précédemment, le jeune enseignant peut apporter des choses
et conseiller ses collègues. D’une part parce qu’il vient de passer un concours : ses connaissances sont donc
3Un article traite avec humour ce point, appelant ce jugement « l’inspectionophobie » http://lewebpedagogique.com/capeslettres/tag/stagiaire/
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plus récentes, parfois plus fiables, et surtout, actuelles, ce qui lui permet d’appréhender -dans le cadre de
l’enseignement du français, par exemple- de nouveaux textes, ainsi que de nouvelles façons d’apprendre et de
faire.
De plus, chose qui concerne plus particulièrement les stagiaires de l’année 2016-2017 et qui touchera
d’autant plus les lauréats du concours cette année ; c’est que nous arrivons à un moment où les programmes
ont changé. Devant les yeux ahuris des enseignants titulaires et contre leurs grincements de dents,
l’enseignant-stagiaire ne peut pas réellement se plaindre, rechigner ou contester : il construit tout en appliquant
ces nouveaux programmes, qu’il connait et maîtrise parfois plus que ses collègues, puisque celui-ci a dû les
apprendre et les comprendre afin d’obtenir le concours, tout en les comparant aux anciens programmes.
Si cette « servitude » est souvent décriée et contestée par les « anciens » qui ne parlent que de la « fougue du
début », d’« une motivation de première année » ; elle est pourtant bien présente. Et nous avons pu le voir,
bien des collègues ont compris cette importance, et trouvent chez les enseignants-stagiaires, un appui
indéniable afin de pouvoir comprendre certaines choses qui pour le moment, les dépasse.
Bien entendu, certains seront toujours fermés à cette à cette affirmation ; criant au scandale contre les
ESPE : « ESPE, IUFM… Dans les deux cas, c’est inutile. […] L’ESPE c’est juste une garderie. 4» etc. Ces
propos sont souvent entendus de la part des collègues, qui rejettent considérablement les cours que nous
pouvons suivre en tant que stagiaires, ainsi que des faits ou informations que nous pouvons rapporter de
l’ESPE. Le simple fait de nommer l’ESPE peut parfois faire fermer toute discussion.
Sans parler de la formation à l’ESPE en elle-même, nous pourrions alors être en droit de nous interroger :
qu’est-ce-qui peut autant faire peur à ces collègues ? D’entendre certaines pratiques qui remettraient
implicitement en question leur travail ? Le refus total de s’ouvrir à de nouvelles pédagogies pourtant
essentielles pour l’apprentissage des élèves ?
En règle générale, on peut observer un certain mépris de LA formation dans le cadre de l’enseignement.
Ces mêmes personnes qui déplorent complètement nos apprentissages à l’ESPE sont souvent les mêmes qui
n’assistent pas aux formations pourtant obligatoires, ou qui ne les suivent pas assidûment, estimant qu’ils
n’ont rien à y apprendre, ou qu’elles ne révèlent que de la pure utopie. C’est peut-être alors la nouveauté qui
peut faire peur, ou le fait de leur demander de sortir de leur zone de confort, de changer leurs habitudes ;
comme on peut l’observer avec la mise en place des EPI (Enseignement Pratique Interdisciplinaire) qui sont
rejetées, l’excuse étant que les nouveaux programmes seront « forcément supprimés ».
4 Propos très souvent rapportés et propagés notamment avec les articles ironiques de Médiaclasse. Exemple :
https://blogs.mediapart.fr/tatiana-ventose/blog/280914/vis-ma-vie-de-stagiaire-de-leducation-nationale
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C’est d’ailleurs sur ce dernier point que je souhaiterai conclure cette partie. La mise en place des EPI a
été, pour une majorité des établissements, très compliquée : soit indépendamment des enseignants, les horaires
ou aménagements étaient incompatibles, soit les enseignants ne souhaitaient pas s’investir pour montrer, d’une
certaine façon, leur mécontentement face aux nouveaux programmes.
Mais ce mécontentement, qui peut être légitime, semble parfois être une excuse. Quand bien même les
programmes pourraient changer : est-ce pour autant une raison de pénaliser les élèves de cet enseignement ?
N’a-t-il pas été prouvé que l’enseignement transversal pouvait apporter de nombreux bénéfices et donner du
sens aux apprentissages des élèves ? Les nouveaux programmes tendent à ce que l’élève devienne acteur de
sa propre formation, qu’il fasse des liens entre les différentes matières pour comprendre le sens et l’intérêt de
ses apprentissages. Peut-on réellement le contester ? L’EPI ne cherche pas à révolutionner l’enseignement,
mais seulement à motiver les enseignants à travailler ensemble, en créant des projets ; même si pour cela, la
pratique a été rendue obligatoire. Et on peut alors constater tout le chemin qu’il y a à parcourir.
En effet, être enseignant c’est d’abord donner de sa personne, s’investir dans son travail sans compter ses
heures, c’est travailler énormément pour soi et pour les élèves, et certains oublient alors qu’en équipe, ils
pourraient travailler plus vite et plus efficacement, en créant une sorte d’émulation qui serait bénéfique pour
chacun, enseignants comme élèves. Pourtant, c’est quelque chose qui semble difficile à accepter pour
beaucoup, et bien plus que de la mauvaise volonté, on peut se demander si ce n’est pas la peur d’être jugé dans
son travail, en travaillant en co-animation dans ce cas précis, qui prendrait le dessus. Un article de Lucien
Marboeuf5, datant du 22.12.2015 parle de ce phénomène qui ne semble pas anodin : il s’agit de « la
condescendance pyramidale, ou comment les enseignants passent leur temps à se juger de haut en bas ». Cet
article est introduit par une remarque très pertinente : « De l’extérieur, les personnes étrangères à l’éducation
nationale ne voient, le plus souvent, dans les 860.000 profs de ce pays, qu’une corporation soudée, unie envers et
contre tout. « Les profs » seraient une masse indivisible, facilement catégorisable, aisément étiquetable,
reconnaissable à ces réflexes grégaires, à cette logique corporatiste raillée et honnie par le reste de la population. ».
Le seul facteur commun dans les faits serait les élèves, mais par la suite, rien ne les rapproche, au contraire,
tout tendrait à les diviser, puisque de façon inconsciente, ils partagent ce que l’auteur appelle la
« condescendance pyramidale », soit le regard supérieur sur le regard inférieur – entre les agrégés et les
certifiés par exemple ou inversement6, mais aussi bien entre collègues certifiés. Il insiste également sur le fait
que « le coupable, c’est l’autre » : chaque enseignant prétextant que si les élèves n’atteignent pas les objectifs
5 La condescendance pyramidale ou comment les profs passent leur temps à se juger de haut en bas, L. Marboeuf. http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2015/12/22/la-condescendance-pyramidale-ou-comment-les-profs-passent-leur-temps-a-se-juger-de-haut-en-bas.html 6 Un article de Natacha Polony traite de cette question rarement soulevée : A quoi servent les agrégés ? (25.05.2010) http://blog.lefigaro.fr/education/2010/05/a-quoi-servent-les-agreges.html
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prévus, c’est parce que l’enseignant précédant n’a pas bien travaillé, ou pire, que cela remonte à l’école
primaire et que c’est à cause de leurs instituteurs ; ce qui créé un certain complexe d’infériorité entre collègues.
Ce regard sur le travail de l’autre est bien présent, comme on a pu le voir tout au long de ces recherches :
le stagiaire est souvent observé, voir jugé et catalogué par rapport à ce qu’il ne connait pas, par rapport à ce
qu’il ne possède pas ; rarement sur ce qu’il sait faire, et ce qu’il pourrait apporter. Ce que déplore dans un
autre contexte, L.Marboeuf : « Tout le monde gagnerait d’une part à se garder de porter un jugement sur ce qu’il
ne connait pas, et partir au contraire du principe que chaque enseignant intervient à un endroit, à un moment qui
possède ses spécificités et nécessite une expertise propre, sans échelle de valeur. […] Chaque enseignant nourrirait sa
pratique de celle du collègue et mettrait son enseignement en perspective, chaque niveau de classe s’en trouverait
renforcé, enrichi de ce qui a marché précédemment. C’est toute la scolarité qui gagnerait en cohérence, une
corporation entière qui gagnerait en cohésion ».
Autrement dit, si l’enseignant-stagiaire se trouve parfois à la marge, jugé ou mis à l’écart, ce n’est pas
quelque chose à prendre contre soi ; on peut même dire sans aller trop loin ni aller dans le pessimisme, que
c’est un fait auquel l’enseignant sera toujours confronté, et qu’il devra s’armer pour y faire face, et même
espérer changer les choses. En effet, l’enseignant-stagiaire est bien évidemment plus favorable au changement,
et ouvert aux nouvelles propositions puisque celui-ci n’a pas ou peu essuyé de déceptions, et peut
généralement paraître idéaliste et faire sourire ses collègues. Or, pourquoi ne pas user de cette motivation pour
essayer de changer certaines perceptions ?
Pour parler d’un point de vue plus personnel, je suis moi-même dans un établissement où l’équipe pédagogique
est soudée, solidaire, ouverte et motivée, mais qui n’est que très peu favorable à ses changements. Même s’il
y a un réel plaisir à travailler entre collègues : la démarche entre l’idée et la réalité est compliquée.
Durant des mois nous avions une heure par semaine banalisée pour travailler ensemble, ce qui ne pouvait
qu’être confortable pour construire nos EPI, mais ces heures -à l’exception de deux- n’ont jamais été utilisées.
Pire, aucun enseignant ne parvenait à se mettre d’accord ; ces discussions engendrant des conflits dans
l’équipe. C’est alors que j’ai travaillé individuellement de mon côté, en recensant ce qui pouvait être possible
de faire par rapport à mon programme – les sorties prévues – et les autres disciplines, et que j’ai réussi à mettre
l’équipe d’accord sur le projet, que nous sommes actuellement en train de mettre en place, dans l’entente et la
bonne humeur, même si nous ne parvenons pas à travailler véritablement ensemble, comme nous le devrions.
On peut alors soulever l’idée que l’enseignant-stagiaire, parfois opprimé et considéré comme une « tare »,
peut devenir une véritable « panacée », et permettre à une équipe de s’ouvrir et se réconcilier avec certaines
pratiques. Une petite victoire ici, qui pourrait en engendrer de nouvelles.
Pour conclure, il est alors important de savoir faire la part des choses : si l’enseignant-stagiaire peut
parfois être brimé, il est important que celui-ci sache dire non, refuser et s’affirmer, tout en prenant conscience
qu’il peut lui aussi apporter des choses à ces collègues enseignants, aussi minimes soient elles. Il ne pourra
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bien évidemment pas changer et révolutionner l’enseignement, mais en montrant de la conviction, de la
motivation, et une ouverture d’esprit, celui-ci pourra à la fois être accepté mais aussi changer certaines
perceptions. Être jeune enseignant peut devenir un atout, d’autant plus qu’en débutant nous avons tendance à
vouloir faire nos preuves pour montrer que nous avons notre place, et donc, à nous dépasser. Ce qui nous
emmènera inéluctablement vers la troisième et dernière partie de ce mémoire : s’affirmer et faire ses preuves
face aux élèves, ce qui constitue l’étape la plus difficile pour tout enseignant, du débutant au plus expérimenté.
3. Être jeune enseignante : s’affirmer et faire ses preuves face aux élèves
Nous avons pu le remarquer, s’affirmer en tant qu’enseignant-stagiaire auprès des collègues et de l’équipe
pédagogique n’est pas une chose aisée, mais il s’agit peut-être de l’étape la plus simple, si on la compare au
fait de devoir s’affirmer auprès des élèves, qui est l’essence même de ce métier.
En effet, s’affirmer auprès des élèves est essentiel, si ce n’est pas primordial. Pour pouvoir enseigner
convenablement, donner à apprendre mais surtout, donner envie d’apprendre, il faut pour cela que l’enseignant
inspire confiance aux élèves, mais aussi, qu’il sache gérer sa classe. Ces mots peuvent paraître dérisoires et
anodins, or, « confiance », « gestion » et « autorité » sont les mots d’ordre pour réussir à s’en sortir dans ce
métier. Et même si l’on en a conscience, cela n’est pas si facile à mettre en place, et demande du temps pour
certains, afin de comprendre ce qui ne fonctionne pas dans leurs pratiques ; ou une confiance en soi à renforcer
pour d’autres, afin de réussir à s’affirmer auprès des élèves. Comment leur inspirer confiance, si nous-mêmes
nous ne sommes pas sûrs de nos capacités ?
Une partie sera traitée de façon plus personnelle, mêlant mes propres convictions et les recherches que j’ai
pu mener jusqu’ici. Ce choix a été fait en particulier pour montrer les différentes expérimentations que j’ai pu
mettre en place, et les conclusions que j’ai pu en tirer, pour confirmer ou non ce que je pensais déjà de certaines
pratiques ; ainsi, cela pourra montrer que même en étant stagiaire, sans forcément appliquer tous les conseils
donnés et en essayant de toujours agir sans sanctionner, nous pouvons nous en sortir.
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3.1.Autorité et gestion de conflits : faut-il redéfinir l’autorité ?
Comme nous avons pu le voir précédemment, suite à deux questions, « Avez-vous rencontré certaines
difficultés, auprès des élèves ou de l'équipe pédagogique ? » et « Avez-vous reçu beaucoup de conseils de la
part de vos collègues ? Si oui, que concernaient-ils ? », on peut remarquer que la plus grosse difficulté
rencontrée des enseignants stagiaires est en général, le fait de s’affirmer auprès de leurs élèves, puisque les
conseils portent en général sur la gestion de classe, l’autorité, et les punitions à donner.
Or, la gestion de classe est ce qu’il y a de plus important, avant même de posséder les connaissances
nécessaires à sa matière, même si les deux sont complémentaires, ce que nous verrons par la suite.
Effectivement, si les enseignants n’arrivent pas à entretenir de bons rapports avec leurs élèves ni à tenir,
gérer leurs classes, ils ne pourront alors pas faire cours convenablement. Le métier d’enseignant est un métier
qui est avant tout social, nous travaillons avec de l’humain, c’est donc avant tout une relation de confiance,
d’entente, et de respect qui doit être mis en place avant d’espérer pouvoir travailler convenablement, et
efficacement. C’est sûrement le point primordial, à ne pas négliger, que beaucoup peuvent facilement oublier,
dans le souci d’avancer les programmes. Effectivement, il ne faut pas oublier que l’enseignant a aussi et avant
tout pour mission d’être éducateur auprès des élèves ; chose qui fait crier un bon nombre de collègues,
puisqu’en choisissant d’être enseignant, ils espéraient en particulier transmettre leurs savoirs, leurs passions.
Pourtant, en tant qu’enseignant, nous nous trouvons chaque jour face à des élèves qui sont en réalité, de jeunes
personnes en devenir, qui se construisent chaque jour, en dehors mais aussi et surtout à l’école, où ils
apprennent dans l’idéal, à s’écouter, à communiquer, à échanger, et à s’entraider. Ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si le mot « éduquer » vient du latin « educare » qui signifie « se nourrir, s’instruire », et que celui-ci a
donné lieu à l’infinitif « educerer », signifiant « conduire hors de », et en particulier « hors de soi-même ».
L’un des premiers objectifs est donc d’aider l’élève en devenir, à se construire ; et cela doit alors passer par
une ambiance en classe qui est favorable. Cet écart n’est pas anodin, puisque nous verrons par la suite, que ce
climat favorable peut être une possibilité de régler -dans bien des cas- un bon nombre de problèmes avec les
élèves.
Beaucoup ont donc reçu des conseils, non pas sur la préparation ou l’organisation des cours, mais sur
l’autorité, la gestion de classe ou de conflits, ainsi que sur les punitions qui peuvent être données aux élèves.
C’est une preuve que ce que l’on appelle « l’autorité », n’est pas forcément innée, voire même acquise dès
l’instant où nous nous présentons face aux élèves en tant que professeur ; mais que cela peut s’apprendre,
grâce à des méthodes qu’il faut expérimenter, et qui peuvent être propres à chacun.
Effectivement, nombreux sont ceux qui donnent des conseils afin de savoir gérer une ou plusieurs classes,
mais il ne faut pas oublier que chaque classe est différente, puisque celle-ci est composée d’individus
spécifiques, qui sont tous différents. Ce qui marche avec certains élèves, ne marchera pas avec tous, car chaque
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individu réagit différemment, non seulement par rapport à sa personnalité, mais aussi par rapport au contexte,
par rapport à son humeur du jour, ou tout simplement, par rapport au climat de la classe. La gestion de classe
devient donc un travail à part entière pour l’enseignant qui doit s’adapter à cette hétérogénéité, et qui doit sans
cesse être capable de rebondir et de réagir en fonction des élèves, mais aussi des aléas qui peuvent arriver
durant les cours.
Le premier conseil, régulièrement donné et de façon presque universelle, est d’être « autoritaire » dès le
début, de « ne rien laisser passer », pour ensuite, se relâcher tout doucement auprès des élèves, quand on a
acquis d’une certaine façon, le respect. Si ce conseil est bon à prendre, et en général efficace, encore faut-il
assumer ce choix. Peut-on se montrer autoritaire et ferme dès le début, si nous ne nous sentons pas à l’aise
face à cette idée ?
Prenons un cas concret : avant d’être enseignante, j’ai été animatrice référente durant six ans sur différentes
tranches d’âge. J’appliquais moi-même cette méthode, qui marchait réellement, puisque les enfants, méfiants
au départ, ont compris que je pouvais être douce et gentille, comme je pouvais être ferme, me tenant à ce que
je disais ; ferme, mais juste. Ce conseil, je l’ai moi-même donné aux jeunes animateurs stagiaires qui me
suivaient sur une durée déterminée. Or, je me suis vite rendue compte que quand nous appliquons cette
méthode, il faut être en phase avec soi-même.
En effet, le premier jour de rentrée est un jour particulier pour l’enseignant, mais également pour les élèves,
on pourrait même dire qu’il est déterminant7. Très souvent, on a tendance à nous apprendre que le premier
jour donne un aperçu de ce que va être l’année à suivre : si on se « loupe », nous ne pourrons plus revenir en
arrière, et il faudra en assumer les conséquences. Est-ce si définitif ?
Bien qu’ayant l’habitude de travailler avec les enfants, et plus particulièrement avec les adolescents, j’ai
toujours été à l’aise avec la posture que j’adoptais. Mais ce premier jour de rentrée était particulièrement
compliqué à mes yeux : je m’interrogeais sur ma place au sein de mes classes, sur ma posture en tant
qu’enseignante : « Serai-je à la hauteur ? Est-ce que j’arriverai à tenir une classe ? Est-ce que j’ai les capacités
afin d’être enseignante ? Pourquoi suis-je ici, tout simplement ? ». J’avais l’habitude d’être au contact des
enfants, et je savais que j’étais capable de gérer un groupe. Mais je savais aussi qu’il était compliqué parfois,
en tant qu’animatrice déjà, de mettre à l’aise certains enfants qui ont des profils particuliers, des vies
compliquées, et des comportements inadaptés. Alors, s’il est difficile de cadrer un enfant qui est normalement
présent pour passer de bonnes vacances, découvrir et s’amuser, comment donner envie à un enfant de
travailler ? Autant de remises en question qui ont été difficiles à appréhender en ce début d’année scolaire.
7 Conseils que l’on peut également trouver sur de nombreux sites internet, celui-ci relativisant ces propos : http://vocationenseignant.fr/les-10-conseils-pour-bien-debuter-dans-l-enseignement
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Alors que j’avais la ferme intention de me présenter de manière sévère et autoritaire, le trac a pris le dessus
au point que mon tout premier cours n’était pas à la hauteur de ce que j’avais espéré. Ma présentation a été
très rapide et vague, les règles que je voulais instaurer dans ma classe n’étaient pas convaincantes ; et pour
combler ce mal être, j’ai très vite expédié ma présentation pour passer à l’activité de présentation qui était
prévue. La sévérité n’était pas présente, mais nous avons passé un très bon moment avec la classe, puisque
j’ai su reprendre les rênes par la suite et diriger mon cours comme je l’avais prévu, en prenant du temps avec
chaque élève, en m’asseyant avec eux et en discutant pour les aider dans leur exercice d’écriture. Je n’ai pas
su mettre cette distance qui était pourtant fortement conseillée, mais… était-ce si grave ?
Les jours ont suivi, et je me suis très vite sentie à l’aise en étant moi-même, en appréhendant mes cours
comme mon précédent travail : nous sommes là pour les faire travailler, mais nous sommes aussi là pour les
« éduquer », les guider et leur donner confiance. A mon sens, le plus important dans ce métier, c’est que les
élèves sentent qu’ils peuvent vous faire confiance, tout en ayant un cadre. C’est finalement au fur et à mesure
que les règles ont été rétablies : par rapport à ce qu’il pouvait se passer, par rapport à ce que je voyais, ce que
je sentais ; ce qui me semblait finalement plus crédible, car je n’avais pas de « modèle » pour débuter cette
année. J’ai dû créer les règles et les adapter au fur et à mesure, encore aujourd’hui, en fonction de ce que je
pouvais constater.
Tout se passait relativement bien, même si je l’accorde, je laissais et je laisse toujours d’ailleurs, de la place
dans mon cours pour rire, parler d’autres choses, et dévier quand je sens qu’il y en a besoin. Mais quand nous
racontons en tant que stagiaire notre manière de procéder, très souvent, on essaie, de manière bienveillante,
de nous guider, de nous conseiller, de nous remettre « sur le droit chemin ». J’ai très souvent entendu que ce
n’était pas la bonne manière de procéder, que c’était ainsi que j’allais perdre mes classes et que j’allais la subir
toute l’année. Je me suis donc posée énormément de questions sur ma posture, et j’ai décidé d’être plus ferme,
moins avenante et souriante, en ne laissant plus de place aux temps dits « faibles », les moments où nous rions
ensemble. C’est à ce moment-là qu’une de mes classes s’est retournée contre moi, me testant régulièrement
pour voir jusqu’où je pouvais aller.
C’était un moment particulièrement pénible, qui a duré près de deux semaines, où il m’était difficile d’aller
dans cette classe sans me sentir démunie et mal à l’aise. J’ai usé de plusieurs techniques afin de reprendre ma
classe en mains, jusqu’à faire un plan de classe qui je le savais, était travaillé, mais risqué. C’est en marquant
ce coup et en redevant normale et détendue que j’ai su ressaisir ma classe, la reprendre au vol : je me trouvais
alors face à une classe agréable, qui participait et échangeait, dans une ambiance calme et sereine, la classe
que j’avais au départ. C’est alors que je me suis rendue compte que je ne pouvais pas changer ma personnalité
parce qu’il est « préférable » que cela se passe ainsi.
On dit souvent que les enseignants jouent un rôle, portent un masque, ce qui est je pense, est tout à fait
vrai dans bien des cas ; mais ce rôle ne peut être tenu sur le long terme que s’il est en phase avec ce que nous
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sommes, avec ce que nous pensons et espérons. On ne peut pas nier ces conseils ; d’ailleurs, il me semble que
je l’appliquerai très vite quand je serai placée dans des établissement classés REP ; mais seulement parce que
je serai plus à l’aise avec moi-même et ma posture d’enseignante, que j’aurais déjà en ma possession, un
modèle. Mais cette méthode, je ne pense l’appliquer que si je sens qu’il est préférable d’agir ainsi face à la
classe présente devant moi, et surtout, si cela doit me protéger. Concernant cette année, j’ai la chance d’être
dans un établissement relativement calme, avec des élèves qui ont la volonté de bien faire, d’apprendre, de
travailler et de réussir, excepté certains cas. Je pense qu’ils n’ont pas besoin, sauf si le comportement l’impose,
d’avoir un(e) enseignant(e) « autoritaire » dans le sens négatif de ce terme ; c’est quelque chose qui doit
s’ajuster en fonction des élèves que nous avons en face de nous.
J’ai bien conscience que cette manière de penser peut parfois sembler dérisoire pour certains, voire
idéaliste. Pourtant, il me semble qu’il n’y a rien de plus important que de revoir le rôle de l’enseignant :
l’enseignant ne doit plus être perçu comme le seul détenteur du savoir, encore plus à l’heure actuel où les
élèves ont l’impression qu’il suffit d’aller sur internet pour apprendre et connaître des choses. Il me semble
qu’un enseignant autoritaire, dans le sens fermé, sévère, sera respecté dans son cours, en particulier car il
émane une certaine appréhension, mais ne sera pas respecté en dehors.
Il est vrai que ce n’est pas le but d’un enseignant d’être respecté ou apprécié en dehors, mais pourtant, il
y a quelque chose d’essentiel : si l’enseignant est respecté par la crainte qu’il dégage, l’apprentissage de l’élève
ne sera pas maximal ; et il n’est pas sûr que celui-ci ait du plaisir à venir assister au cours, et donc à s’ouvrir,
à vouloir être curieux, et apprendre, car « Chez l’enfant [tout comme chez l’adulte], l’enjeu affectif est
déterminant de l’investissement scolaire »8. Il est donc très important de maîtriser cette autorité que l’on
demande à un enseignant d’avoir. L’autorité ne doit pas être perçu ou ne doit pas être utilisé comme un abus
de pouvoir.
D’ailleurs, la question de l’« autorité » est un terme qui est parfois mal défini. Toujours étymologiquement,
"auctoritas" signifie ce qui donne confiance à l’autre en lui permettant de devenir "auctor", c’est-à-dire acteur
de sa vie. On pourrait donc définir l’éducation et l’autorité comme un ensemble de moyens, de balises pour
aider l’élève à se construire. L’autorité est donc importante, primordiale, mais ne doit pas être perçue ni utilisée
comme un abus de pouvoir. Sa définition est souvent mal maîtrisée, car s’il est vrai que l’enseignant est investi
d’un pouvoir légalement reconnu -potestas- pour exercer son enseignement, l’autorité éducative est plutôt l’art
d’obtenir l’adhésion sans la menace ou la contrainte -auctoritas. Il ne faut donc pas voir l'autorité comme une
influence malsaine mais comme quelque chose qui « autorise à exister, à grandir, à apprendre, à se tromper, à
être reconnu, à créer et à respecter sa dignité humaine... ». 9 C'est donc quelque chose qui aide l'élève à
découvrir le monde et qui permet à l'enseignant de l'accompagner.
8 « Apprentissage et dimension affective », p.110 ; Assumer son autorité et motiver sa classe, Claire Lavédrine. 9 Gérard Guillot
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Pourquoi redéfinir l’autorité ? Parce que justement, c’est le problème le plus important que rencontrent les
enseignants stagiaires, qui ne savent pas comment se placer au point de vue de l’autorité : qu’est-ce-que je
peux accepter et tolérer, qu’est-ce-que je n’accepte pas dans mon cours ? Très souvent, l’enseignant, en
particulier quand il débute, est soit trop laxiste, soit trop autoritaire ; ce qui dans les deux cas, tend à ne pas
fonctionner, du moins sur le long terme. Beaucoup de conseils peuvent aider voire même « sauver » les
enseignants qui sont dans le besoin. D’ailleurs, à la question : « Avez-vous reçu beaucoup de conseils de la
part de vos collègues ? », suivie de la question : « Les suivez-vous toujours ? », nous avons pu voir que la
plupart des candidats confirment toujours suivre les conseils donnés. Or, même si les candidats ont stipulé que
ces conseils étaient très souvent utiles, il me semble qu’il peut être dangereux d’appliquer tous les conseils
donnés, puisque même s’ils peuvent être pertinents, ils peuvent ne pas nous correspondre. Ces conseils, qui
peuvent être utilisés à bon escient, demanderaient sûrement parfois, à n’être qu’une idée, un bagage
supplémentaire pour plus tard, mais peut-être pas toujours pour être servi.
En effet, nous pouvons prendre l’exemple d’un système de punition qui peut être mis en classe de manière
abrupte, irréfléchie, parce qu’un collègue a raconté comment il fonctionnait, et, démuni, on décide
spontanément de le mettre en place. Cela peut « sauver » sur l’instant, or, c’est un système auquel il faut alors
se tenir sur le long terme, un système sur lequel nous ne pouvons pas revenir aisément sans perdre crédibilité
auprès des élèves. Ce qui est important, c’est de savoir faire la part des choses, tirer parti de l’expérience des
collègues, mais tout en ayant conscience que ces conseils prodigués ne sont pas toujours la solution à tout,
mais bien une manière propre à chacun de faire. Ce sont des outils qui peuvent nous permettre de trouver nos
propres méthodes, nos propres façons de travailler, en étant en adéquation avec ce que nous pensons, et
espérons.
Toujours à titre personnel, en prenant des exemples tirés de mes propres expériences ; j’ai pu remarquer
un cas particulier qui arrive régulièrement, en particulier pour les jeunes enseignants. En début d’année, une
de mes classes de quatrièmes me posaient beaucoup de questions, me faisaient répéter mes réponses ou les
revendiquaient afin de voir comment j’allais me défendre : ils me testaient. Mes collègues avaient plutôt
tendance à aller vers la punition ou adresser un mot aux parents pour leur faire part de leur comportement. Il
m’était tout simplement impossible – à mes yeux- d’agir ainsi. J’aurais eu un sentiment d’échec, et je n’aurais
pas supporter une réponse cinglante d’un parent, surtout à ce stade de l’année. J’ai donc décidé d’agir
différemment, en essayant, sans savoir si j’allais obtenir des résultats, ou s’ils allaient sans lasser.
Plusieurs méthodes ont alors été appliquées ; la première étant une leçon de morale, elle n’a pas porté ses
fruits. La seconde fois, j’ai décidé de jouer sur un argument d’autorité, en leur rappelant que je possédais
plusieurs diplômes, et que je n’étais pas arrivée ici par hasard ; ce qui n’a pas eu de succès non plus, tout
comme le fait d’ignorer. J’ai donc décidé de jouer différemment avec eux, en anticipant chaque question, ou
chaque faille dans laquelle ils aimeraient me voir m’engouffrer, mais aussi en préparant régulièrement avant
mes cours, un « topo » sur ce que nous allons étudier. Le but ici, était indirectement, de leur montrer que je
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savais de quoi je parlais, pourquoi j’étais là ; c’est ainsi que j’ai débuté volontairement mes quelques premières
minutes de cours, de façon très théoriques et magistrales afin de leur montrait que je possédais le savoir qu’il
remettait en question. Et, à la moindre question qui me semblait être posée pour me piéger et que j’avais essayé
d’anticiper, ma réponse donnait lieu à de grandes explications, où j’employais volontairement des mots
compliqués pour les « impressionner » et les lasser. Une technique simple, qui implicitement, a remis les
choses en ordre. Les élèves, impressionnés ou ennuyés de ces longues réponses et de tout ce savoir étalés pour
m’affirmer, ont vite arrêté et ils ont compris non seulement que je savais où j’allais avec eux, mais aussi que
je n’étais pas dupe par rapport à leur jeu, puisque je savais en rire. Cette méthode était finalement une ruse -
qui peut être contestée- a permis d’obtenir ce que je voulais, et de réaffirmer ma présence au sein de la classe ;
et ce, sans sanction ni punition. Pourtant, elle n’est pas universelle, et elle ne marcherait sûrement pas avec
ma seconde classe, ni même avec une autre ; et il est, il me semble, important d’en avoir conscience.
D’ailleurs, je peux soulever un autre fait qui s’est passé dans une autre de mes classes. Un des élèves,
réputé pour son attitude « désinvolte » pouvait voir son carnet de liaison rempli de mots des enseignants,
faisant état de sa manière de parler qui était « inacceptable, déplacée, non tolérable », celui-ci a même eu le
droit à des punitions diverses et variées. Pour autant, son attitude ne changeait pas, au contraire, on pouvait
même avoir l’impression que son comportement se dégradait, et qu’il cherchait à entrer dans le conflit pour
se rebeller. J’ai moi-même eu affaire à ses différentes remarques sarcastiques, parfois déplacées, afin de
provoquer le rire de toute la classe. Le reprendre sur sa manière de parler, ou le sanctionner n’avait pas
forcément l’effet escompté, et prendre son carnet, n’aurait été pour lui qu’un gribouillage de plus à faire signer.
J’ai donc été très attentive à sa manière d’agir en classe, quand il pouvait intervenir, et comment ; et j’ai
compris très vite que la seule chose qui pouvait le tempérer, était d’avoir du répondant, tout en rentrant dans
son jeu. Cela demande bien sûr de pouvoir répondre avec tact, et de réagir assez vite ; mais lassé de voir qu’il
perdait systématiquement, ce jeu de protestation et de provocation a vite été abandonné, et j’ai réussi à trouver
un élève qui se comporte à peu près normalement, même si le naturel peut revenir au galop.
Ce qui a aidé à mettre fin à ce jeu, ne s’est pas fait dans le conflit, mais dans le rire. Lors d’un exercice
projeté au tableau, intitulé « Chassez l’intrus », la consigne était : « Dans chacune de ces propositions, rayez
le verbe conjugué au futur ». Les élèves devaient se déplacer au tableau afin de chasser l’intrus et demander à
la classe si elle était d’accord avec cette proposition ou non, et dans le cas contraire, argumenter. Pour vérifier
si les élèves lisaient bien chaque proposition avant de se jeter sur l’erreur qu’ils pouvaient facilement repérer,
j’avais placé un piège : deux verbes conjugués au futur dans une seule et même proposition. Bien évidemment,
même si je ne l’avais pas prévu, cet élève en question est arrivé au tableau, fier de cette trouvaille, mais n’a
pas pensé une seule seconde qu’il s’agissait d’un piège ; et il a voulu mettre en évidence une faute de ma part.
C’est avec plein d’aplomb qu’il a entouré les deux verbes au futur, et qu’il a choisi le crayon rouge afin de
rectifier cette « erreur » dans la consigne, mettant un « s » au mot « verbe », ce qui a fait rire toute la classe,
qui attendait néanmoins ma réaction.
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Plutôt que de m’insurger et de riposter en lui rappelant qu’il n’avait pas à faire cela, j’ai essayé de réagir très
vite et efficacement, en rentrant pleinement dans son jeu. En souriant, je l’ai laissé retourner à sa place, j’ai
moi-même pris le crayon rouge en le félicitant de de sa perspicacité à trouver les failles. Néanmoins, tout en
riant, je lui ai expliqué qu’il s’ajutait d’un piège et non d’une erreur, mais que s’il tenait véritablement à me
corriger, il fallait qu’il aille jusqu’au bout des choses : quitte à rajouter un « s » à « verbe », autant faire les
accords nécessaires, à savoir, rajouter un « s » à « conjugué » et au déterminant « le ». Je lui ai donc demandé
de m’aider à construire la leçon sur les accords sujets-verbes, et de donner quelques exemples afin que l’on
commente ensemble ; ce qui ne s’est pas fait sans mal. Cet élève ne s’est pas senti rabaissé, car j’ai fait en
sorte que tout cela soit très naturel pour moi, mais il a très vite compris que j’étais rentrée dans son jeu, et que
je lui démontrai que je n’étais pas dupe. Cette mascarade l’a fait rire, lui et les autres élèves de la classe, et il
est retourné s’asseoir, déçu et amusé de s’être fait avoir à son propre jeu. Depuis, il ne riposte plus ; ou alors,
lève la main et pose une question pour s’assurer de la réponse quand il a un doute.
C’est encore une fois de façon indirecte que j’ai réussi à reprendre le contrôle d’un problème, tout en
amenant l’élève à réfléchir sur son acte. Plutôt que de le réprimander, je l’ai encouragé à continuer, en lui
montrant qu’il y avait toutefois certaines limites à avoir. En effet, corriger un professeur quand on pense que
cela est possible : pourquoi pas, mais il y a des façons de le préciser ; et surtout, si l’on corrige quelqu’un,
autant être en mesure de bien le faire. Bien évidemment, c’est ici une chance de mon côté, car j’ai su repérer
– comme l’élève – une faille, la relever, rebondir et réagir, ce qui ne sera pas possible à chaque fois. Mais
l’attention que je lui ai portée, surveiller ses manières de réagir et de faire, m’a aidée à agir de cette façon, en
sachant pertinemment que je n’allais pas réellement l’offenser, mais au moins le calmer dans mon cours. De
cette façon, et les exemples de ce type sont nombreux, les élèves s’aperçoivent que même sans réagir
brusquement, sans sanctionner pour autant, ils peuvent parfois être face à une réaction ou un répondant qui
peuvent les surprendre, et se risquent moins à ce genre d’insolence. Non pas dans la crainte et la peur, mais
plutôt par mégarde, pour ne pas que la situation se retourne contre leur propre jeu.
Donner confiance aux élèves et s’affirmer auprès d’eux n’est pas une tâche aisée, surtout quand nous
portons sur nous cette jeunesse. Ils comprennent très vite, en voyant les visites des tuteurs et formateurs, que
nous ne sommes pas dans la même situation que nos collègues titulaires et se permettent parfois un
comportement qu’ils n’adopteraient pas ailleurs. Travailler sa patience, son calme et son répondant peuvent
être utiles dans ce genre de situation pour aider à s’affirmer et se donner confiance. Une fois plus à l’aise, on
peut se rendre compte que l’humour ou l’ironie peut avoir plus d’impact qu’une croix dans un carnet, ou une
punition, ce qui pour eux, ne signifient finalement pas grand-chose, même dans un bon établissement.
S’affirmer et faire face aux situations délicates ne demandera pas -voire jamais- les mêmes méthodes en
fonction des classes que l’on a en face de soi ; mais on peut avoir en sa possession des billes, des anecdotes
ou des méthodes qui aideront à se forger une boite à outils afin de parvenir à s’en sortir autant que possible.
La liste des techniques essayées, échouées ou réussies pourrait être longue ; elles ont été nombreuses depuis
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la rentrée scolaire. Mais l’essentiel est de retenir que j’ai toujours réussi à maintenir mes classes, dans un
climat qui je pense, est favorable et complice -les rapports de stage allant dans ce sens. Pourtant, j’ai moi-
même douté de mes façons de faire, et je n’ai jamais voulu aller à l’encontre de mes convictions. Mon leitmotiv
de l’année était d’essayer ; et si je me trompais, je me reprenais ou j’essayais autrement. Finalement, c’est
exactement ce que l’on demande aux élèves chaque jour : essayer, se tromper, recommencer, et réussir. Le
tout est de savoir se remettre en question, comprendre si le problème vient de nous ou réellement des élèves,
et de savoir s’ajuster. Cette autorité doit donc s’allier avec la bienveillance afin d’obtenir le meilleur climat
possible dans la classe.
3.2. Autorité et bienveillance : incompatibles ?
Durant toutes ces dernières années, la bienveillance est un terme qui n’est pas passé inaperçu. Au contraire,
on pourrait même affirmer très facilement, que c’est un mot à la mode dans le milieu de l’enseignement, qui
en irrite plus d’un ; en particulier parce que le mot « bienveillance » est en général repris et détourné.
Qu’est-ce-que la bienveillance ? La bienveillance, inspirée de la pédagogie Freinet, est par définition : « la
disposition affective d'une volonté qui vise le bien et le bonheur d'autrui ».10 Si cette définition peut paraître
idéaliste au premier abord, la méthode bienveillante mise en avant ces dernières années était finalement déjà
mise en place depuis très longtemps. En effet, si l’image du professeur autoritaire et seul détenteur du savoir
semble avoir disparue, la bienveillance a toujours été, du moins depuis de nombreuses années : présente. Elle
consiste à redonner confiance aux élèves, à ne pas les juger de façon trop hâtive, d’être présent pour eux, de
les aider, et de les amener vers le haut, de les élever. N’est-ce pas le rôle même du professeur ?
La bienveillance a donc toujours été présente, d’une manière ou d’une autre, chez chacun des enseignants,
même si nous ne la nommions pas à l’époque. Or, de nouvelles expériences et de nouvelles pédagogies ont
été mises en avant concernant la bienveillance, comme le montre un article qui affirme que la réussite scolaire
passe par l’empathie de l’enseignant11. En effet, en Finlande, une expérience a été menée sur dix ans pour
prouver les bienfaits de la bienveillance : les élèves réagiraient favorablement à toutes les matières, et verraient
alors leurs résultats augmenter. Si des études le démontrent, nous pourrions nous-mêmes nous inspirer de notre
vécu en tant qu’élève. N’est-il pas déjà arrivé à l’un d’entre nous de tomber face à un enseignant qui nous rend
craintif, voire même qui nous rabaisse ? La conséquence n’était alors jamais concluante : mal au ventre avant
chaque cours, l’impossibilité de répondre à une question par peur de se tromper, et une démotivation certaine
dans la matière.
10 Définition du CNRTL (Centre National Ressources Textuelles et Lexicales) 11 http://www.mieux-vivre-autrement.com/lempathie-des-professeurs-favorise-la-reussite-scolaire-des-eleves.html#sthash.Hz6BUYPL.dpbs
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Il semble donc légitime que le professeur soit présent pour ses élèves et leur bien-être, et non pour aller à
leur encontre. Le professeur est présent pour transmettre ses savoirs ; mais pour transmettre ses savoirs, il faut
avant tout que l’élève soit réceptif. Pour cela, il doit obligatoirement exister une relation seine entre
l’enseignant et l’élève : ce qui passe par une certaine bienveillance.
Si ce propos est nuancé, c’est bien entendu pour revenir sur ce terme. Le mot « bienveillance » est
généralement utilisé et usé à différents escients, entrainant certaines incompréhensions, voire des conflits.
Effectivement, ce mot est très souvent confondu avec « laxisme », voire « complaisance »12 comme le
démontre de nombreuses réactions ; ce qui est très différent. Comme le précise Antoine Dujardin, professeur
de Lettres : « La bienveillance est un mot magnifique. C'est une qualité primordiale chez un enseignant. La
plupart s'efforcent d'être bienveillants et ce serait un procès injuste que de les accuser d'ignorer la
bienveillance. Mais au fil du temps cette « bienveillance » s'est dévoyée... Quand on utilise ce mot désormais
on parle de tout autre chose. Je n'irais pas jusqu'à traduire par « laxisme » ou « complaisance », mais on n'en
est pas loin. ». Celui-ci explique par la suite, comment ce mot a été détourné jusqu’à aujourd’hui : la
bienveillance se transforme, au regard d’une grande majorité, en une indulgence, un laxisme, qui viendrait à
la fois minimiser des problèmes importants envers les élèves mais également envers leurs parents, qui eux-
mêmes, se retournent plus facilement contre leurs professeurs.
Est-ce être bienveillant de ne pas préciser à l’élève qu’il possède des difficultés ? Est-ce être bienveillant
de ne pas noter un élève parce qu’il s’est trouvé en situation d’échec ? De ne pas le pousser à travailler ? Est-
ce bienveillant de ne pas sanctionner un élève parce qu’il a commis une faute grave ? C’est là où la notion de
bienveillance peut devenir un véritable danger. La bienveillance ne doit pas être confondue avec du laxisme,
et ne doit pas être une duperie, ni une excuse pour baisser les bras, et tout laisser passer, au risque de ne plus
rendre l’élève responsable, consciencieux et autonome. Un élève doit apprendre de ses erreurs et de ses
difficultés, pour être amené à les dépasser : chose qu’il fera toute sa vie durant, même en étant adulte. L’école
n’est-elle pas là pour l’aider à se former, à se forger ?
Il me semble donc important en tant que jeune enseignant, de pouvoir faire cette distinction, et de prendre
conscience de ce qu’est véritablement la bienveillance. La bienveillance n’est certainement pas à confondre
avec le laxisme, sans quoi l’enseignant perdrait toute autorité, mais également toute sa légitimité. Il est de
notre rôle d’être présent pour aider l’élève à progresser, et à l’amener vers la réussite. La bienveillance, la
véritable bienveillance, est alors essentielle. Elle permet d’apporter un climat favorable dans la classe, de
favoriser les échanges et interactions, entre les élèves eux-mêmes et les élèves-enseignants, et surtout, elle
permet à ce que les élèves aient confiance en leurs enseignants. Cette confiance est bénéfique ; grâce à elle,
les élèves auront plus facilement tendance à suivre l’enseignant dans ses démarches, à être plus à l’écoute et
12Interview d’Antoine Dujardin, professeur de Lettres, Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/03/15/31003-20170315ARTFIG00294-ecole-quand-la-bienveillance-devient-complaisance.php
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motivés, et donc, à s’investir davantage dans les tâches demandées ; c’est ce qui est mis en avant dans cette
démarche d’empathie, dont nous en avons parlé précédemment.
En effet, comme le précise Claire Lavédrine, l’état émotionnel d’un élève joue énormément sur sa capacité
à s’investir, à comprendre et à mémoriser : si celui-ci est dans un climat propice à l’apprentissage, il apprendra
davantage que si l’enseignant tente de le soumettre au travail en le menaçant ou en le terrorisant. Ainsi, pour
la citer, il faut donc « créer un univers affectif, positif et bienveillant ».
Cette bienveillance passe en priorité par le langage qui doit appeler l’élève vers une coopération plutôt
qu’une soumission ; par exemple, au lieu de dire : « Si vous parlez, vous allez être punis », il vaut mieux
demander à la classe pourquoi il est bien qu’il y ait du silence dans la classe, afin que chacun puisse
s’approprier cette question et comprendre que le calme est un besoin. L’auteure parle également de la CNV
(Communication Non Violente), qui invite à utiliser le « je » plutôt que le « tu » pour ainsi « faire appel à la
sollicitude d’autrui en présentant nos propres besoins et émotions ». Ainsi, elle propose une formule de CNV :
« Lorsque… (état des lieux sans jugement), je (émotions ou états suscités), parce que… (fournir les raisons
invite à une attitude compréhensive), aussi j’aimerai… (demander concrètement ce qu’ils pourraient faire). ».
Ceci est une des méthodes parmi tant d’autres, qui viennent montrer que le langage a une part importante dans
l’échange entre l’enseignant et ses élèves ; pour amener l’élève à faire ce que l’on souhaite, sans que celui-ci
ne se sente totalement contraint.
Thomas Gordon, docteur en psychologie clinique aborde même une méthode dite « gagnant-gagnant »,
qui consiste à ce que l’enseignant décrive la situation problème ou le comportement d’un élève de façon la
plus neutre possible, de décrire les effets de cette situation ou de ce comportement sur soi, avant de demander
à l’ensemble du groupe de trouver une solution. Si cette méthode peut paraître intéressante et plaisante, il ne
faut pas pour autant oublier qu’il est impossible d’agir ainsi à chaque heure de cours ; cette méthode-ci doit
rester exceptionnelle, pour des cas particuliers qui nécessiteraient ce besoin.
Être bienveillant ne signifie alors pas abandonner son autorité, ni même être constamment dans la
négociation, même si c’est ce que pourrait laisser croire la méthode « gagnant-gagnant » ; mais certaines de
ses techniques pourraient être très utiles, notamment pour des enseignants rencontrant des problèmes
d’autorité. Manquer d’autorité vient en général d’un ensemble à remettre en question : il peut s’agir
l’enseignant en lui-même qui ne dégage pas une certaine confiance et qui est donc perçue comme faible pour
les élèves ; cela peut également venir des cours en eux-mêmes qui seraient trop simples ou trop compliqués
qui viendraient alors frustrer les élèves, ou plus largement, d’un manque de confiance de l’élève envers
l’enseignant, qui peut-être, par son langage -ce qui est le premier instrument dans notre travail- ne donne pas
assez confiance en se montrant trop agressif ou maladroit. Être bienveillant et autoritaire ne sont donc pas
incompatibles : c’est un tout qui semble et qui est indissociable.
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On pourrait même affirmer que cette bienveillance pourrait être salvatrice pour apaiser des tensions.
Un enseignant toujours avenant, patient, mais ferme quand il le faut – autrement dit un enseignant juste-
imposera plus facilement le respect face à ses élèves ; et se laissera d’ailleurs moins déborder par certains
éléments perturbateurs. Il ne faut pas oublier, dans le second degré par exemple, que les enseignants se
retrouvent face à des adolescents qui sont en général, en conflit avec l’adulte ; celui-ci représentant
automatiquement la figure de l’autorité, et donc quelque chose de négatif.
Et cet adulte, qui plus est professeur, peut représenter une menace pour l’élève, qui n’a pas toujours conscience
de la chance qu’il peut avoir d’être à l’école et de s’instruire. Il est donc dans notre rôle de l’aider à obtenir
notre confiance, et de l’amener à se sentir bien pour qu’ainsi, il ait envie de travailler. Pour cela, il me semble
que l’enseignant ne doit pas avoir peur de se montrer humain : l’enseignant peut rire, l’enseignant peut être
véritablement déçu, il peut parfois faire preuve de faiblesse ; en somme, il peut se montrer humain et gagnera
beaucoup en retour. A mon sens, et beaucoup l’affirment, telle l’autrice de Motiver sa classe et assumer son
autorité : « la base même d’une relation authentique avec les élèves est d’être soi-même authentique ». 13
Avant de conclure, nous pouvons d’ailleurs prendre un exemple célèbre et concret afin de démontrer
que nos croyances sont déterminantes pour notre réalité et celle des élèves ; il s’agit de l’expérience menée
par Robert Rosenthal14. Dans les années soixante, ce chercheur, accompagné de Lenore Jacobson a fait passer
des tests à des élèves en affirmant aux enseignants que le but était de déterminer ceux qui étaient précoces et
qui avaient un niveau intellectuel plus élevé que la moyenne. Les enseignants ont ensuite reçu la liste des
élèves censés être plus intelligents que les autres, mais il s’agissait d’une liste totalement erronée, avec des
élèves pris au hasard. Mais, au bout d’un an, force a été de constater que ces élèves jugés « surdoués » avaient
véritablement progressé, quel que soit leur niveau initial. Ainsi, même si l’on pourrait prolonger l’étude sur
le comportement de l’enseignant qui est ici contestable, on peut tout de même constater qu’un enseignant qui
croit en ses élèves, leur donnera forcément confiance et pourra ainsi les aider à se dépasser.
Pour les aider à se dépasser, leur aider à apprendre des notions compliquées, ou tout simplement
susciter la curiosité chez les élèves et leur donner envie de travailler, il ne faut pas hésiter à utiliser des
méthodes pédagogiques plus ludiques. Si cette méthode est de plus en plus utilisée, elle fait ses preuves ; et le
jeune enseignant peut aussi en faire un atout.
13 Assumer son autorité et motiver sa classe, Claire Lavédrine, p.106 14 http://www.prejuges-stereotypes.net/powerPoint/pygmalion.pdf
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3.3. Apprendre et faire apprendre autrement ?
Comme nous avons pu le remarquer, la méthode pour enseigner évolue. Le professeur n’est plus vu comme
seul détenteur du savoir, et celui-ci est invité à être plus bienveillant pour que l’apprentissage des élèves soit
plus bénéfique. La mise en place des apprentissages, et donc la pédagogie des enseignants tend à évoluer
également, ce qui est fortement conseillé dans la mise en place des nouveaux programmes de 2016.
Il est demandé à ce que les élèves soient acteurs de leurs apprentissages, qu’ils investissent les cours
différemment, en étant moins passif. Pour cela, il faut être plus vigilent, afin d’éveiller chez eux une certaine
curiosité, et ainsi, leur donner envie d’apprendre. Beaucoup de croyances tendent à faire croire que les élèves
ne savent plus lire, ni écrire ou penser ; que le travail est quelque chose de sérieux, de pénible et de rigoureux,
et que « le silence complet dans la classe est le témoin direct de l’autorité du professeur ». 15
Pourtant, force est de constater qu’il faut se débarrasser de ces croyances, même si certaines peuvent s’avérer
vraies. Mais si le travail, venant du latin populaire tripaliare, signifiant « tourmenter, torturer » et donc
« laborieux », lui-même issu du latin labor désignant « un effort, une tâche, une souffrance », il faut avouer
que cela ne donnera aucune motivation à l’élève, qui verra alors le travail scolaire comme une souffrance.
Bien sûr, l’élève doit comprendre la notion de travail, la notion de l’effort ; mais ne peut-on pas l’aider à
l’amener à réfléchir par d’autres moyens ? Pourquoi ne pas lui présenter des exercices sous formes d’ateliers,
parfois même de jeux ? Ainsi, l’élève appréhendera moins la notion de travail, et sera plus entrain à apprendre
et à réussir. Pourquoi est-il capable de dépasser ses propres limites pour gagner un match de football ou encore
une course à pieds, alors même qu’il est amené à « souffrir » ? Pourquoi nous-mêmes en tant qu’enseignant,
nous sommes capables de passer des heures à préparer un seul cours, alors même que ces élèves ne
sembleraient pas intéressés ? Parce qu’il y a un enjeu, un défi à relever ; et cela semble donc une tâche plus
motivante.
Cette idée de défi et de jeu est donc un point essentiel pour déconstruire l’image de la vieille école que
nous avons tous en tête. En effet, l’idée que l’effort est nécessaire à la mémorisation ne s’est pas toujours
avérée. Au contraire, on peut très bien apprendre dans un état de détente et de repos ; chose plus efficace. On
peut apprendre en prenant plaisir ; ceci n’aurait pas moins de valeur. Nous pouvons alors prendre un exemple
concret, celui de l’école maternelle, où l’essentiel des apprentissages se fait de façon ludique : même si ces
apprentissages sont différents, ils sont pourtant déterminants pour la suite, puisqu’ils constituent les bases
élémentaires. Alors, pourquoi ne pas poursuivre ainsi ? Les élèves n’en seraient pas amoindris, au contraire,
les enseignants comme les élèves y gagneraient. Faire apprendre les élèves par le jeu, ou en s’adressant à eux
par ce qu’ils connaissent, est quelque chose qui reste difficile à entendre pour un bon nombre de collègues,
15 Claire Lavédrine, Assumer son autorité et motiver sa classe ; p.25
35
pourtant, cela se répand de plus en plus ; et finalement, les jeunes enseignants ne peuvent-ils pas démontrer
cette plus-value ?
Les jeunes enseignants sont généralement plus favorables à mettre en forme des activités afin de
motiver leurs élèves ; peut-être est-ce parce qu’eux-mêmes se souviennent plus facilement à quel point
certaines notions étaient difficiles, pénibles et ennuyeuses à apprendre, alors que le jeu est un puissant
stimulant pour donner envie de « faire ». Pour autant, qui dit jeu, ne dit pas « jouer » réellement : c’est un
artifice qui permet à l’élève de vouloir apprendre, et d’entamer plus facilement une activité. Cela lui permet
aussi de décomplexer face à des connaissances qu’il ne pourrait pas avoir, puisque la notion est abordée
différemment. Le jeu est alors une sorte de manipulation bienveillante qui pousse les élèves à appréhender un
cours de français par exemple, sous un autre angle. Lancer des défis aux élèves valeur permettre de les amener
à se dépasser et à prendre confiance en eux en même temps.
Par exemple, au lieu de les faire écrire durant une heure, le radical des verbes en bleu, et les terminaisons en
rouge des verbes à l’impératif pour qu’ils retiennent les particularités orthographiques ; pourquoi ne pas laisser
à disposition des livres de conjugaisons, faire des constations ensemble sur la particularité de ce temps, et
ensuite, et demander de créer des cartes de conjugaison avec des questions et réponses pour défier leurs
camarades ? Le principe est le même, mais abordé sous un autre angle. S’ils peuvent être réticents au départ,
ils se prêteront vite au jeu en ayant pour objectif de battre leurs voisins ; et ainsi, ils apprendront sans même
s’en rendre compte. Pour avoir mené cette expérience, j’ai pu voir les élèves se décomposer quand je leur ai
annoncé que nous allons faire une séance de conjugaison, mais je les ai finalement vus sortir de ma classe,
heureux, me demandant si nous pourrions continuer le lendemain. Cette séance en a entrainé plusieurs, ce qui
me demande toujours énormément d’imagination, et de varier mes cours pour ne pas les lasser ; mais c’est à
chaque fois un succès.
Bien entendu, ce n’est pas quelque chose de récurent : on ne peut pas jouer à chaque cours, on ne peut pas
toujours créer des cours sous forme d’ateliers ludiques, nous sommes toujours obligés de faire des cours
traditionnels ; mais aborder des notions complexes par le jeu, est un bon moyen de désamorcer la difficulté.
Cela n’est d’ailleurs pas un hasard si chaque enseignant commence toujours une séquence de façon originale,
en général par l’image (mobile ou fixe), ou l’utilisation des numériques -entre autres, puisque son but premier
ici, est de susciter l’envie chez l’élève, et d’éveiller sa curiosité concernant la suite. Si cela doit rendre les
élèves plus investis, pourquoi s’en priver ? Avoir des élèves plus motivées, souriants et épanouis dans nos
classes, nous permet également d’appréhender différemment la classe ; ce qui ne peut qu’être bénéfique.
Il a d’ailleurs été prouvé par les scientifiques que le rire, comme le jeu, permet la sécrétion
d’endorphines, « hormones du bonheur ». Cela peut donc être un atout puissant dans l’enseignement, qui
mériterait d’être d’autant plus mis en avant. Enseigner avec humour quand cela est possible pourrait alors être
plus efficace que d’exprimer de grandes idées, trop sérieuses et compliquées pour les élèves. Le rire permet
36
d’attirer leur attention, de les motiver à écouter et à s’investir ; ce n’est d’ailleurs pas sans lien si les élèves
aiment en général écouter des anecdotes concernant une leçon qu’ils étudient ; cela leur permet de s’évader,
sous forme d’histoire, tout en apprenant... Et ils la retiennent. La manière dont sont dites les choses peuvent
donc entrainer des élèves passifs à devenir attentifs, pour la simple et bonne raison que cela éveille leur
attention.
Quand un enseignant, que ce soit volontaire ou par mégarde, va parler dans un registre plus relâché, on peut
remarquer que les élèves sont tout de suite surpris et plus intrigués par le discours, qui devient de plus en plus
accessible à leurs yeux. C’est d’ailleurs un procédé très souvent utilisé en littérature pour attirer l’attention du
lecteur, qui va sourire grâce au décalage que cela provoque ; le procédé peut-être le même entre l’enseignant
et les élèves, ce qui va créer de l’interaction.
Ainsi, il est important de comprendre qu’utiliser des pratiques pédagogiques innovantes, voire même
« classiques » mais amenés sous un autre angle - par le biais du jeu, du défi, ou de l’humour- peut s’avérer
très efficace envers les élèves. Être bienveillant et leur proposer des activités ludiques peuvent lui être
bénéfique, sans pour autant détruire notre autorité ; autorité qui ne peut qu’être présente si l’élève a les moyens
de respecter son enseignant.
37
Conclusion
Un enseignant ne pourra être respecté que si l’élève se sent lui-même respecté et écouté.
Faire preuve d’autorité n’est donc pas un abus de pouvoir de la part de l’enseignant qui doit punir ou
sévir à la moindre occasion se présentant. Un enseignant travaille face à un groupe social qui a un besoin de
reconnaissance, et qui sera capable de s’armer de patience, d’écouter, et d’être bienveillant. Cette bienveillance
permettra d’obtenir la confiance des élèves, et ainsi, d’obtenir un climat favorable et propice au travail. La
bienveillance et l’autorité vont de pair, ces deux notions ne forment qu’un seul et même bloc, puisque l’autorité
se fait « naturelle » quand l’enseignant est respecté ; quand les élèves ont confiance en cette personne
référente, qui leur paraît crédible.
Il en est de même pour la notion de jeu : utiliser des pratiques pédagogiques ludiques vont-elles rendre
l’enseignant moins crédible ? Cela va-t-il être problématique pour l’apprentissage ? Au contraire, comme nous
avons pu le constater le jeu est un moteur dans l’apprentissage, et les élèves n’en seront que plus motivés et
plus reconnaissants envers l’enseignant, puisqu’ils appréhenderont le travail d’une manière différente, en
ayant plaisir à apprendre. Nous pouvons d’ailleurs relever que durant ces activités, le silence n’est pas de mise,
au contraire, il y a du bruit. Mais un bruit qui résulte d’une certaine effervescence car les activités sont plus
stimulantes, et les élèves partagent, commentent, expérimentent – finalement travaillent- dans la bonne
humeur. Vouloir et avoir un silence de plomb sa classe n’est pas plus propice aux apprentissages que l’on peut
le penser : les élèves sont alors présents physiquement… mais le sont-ils mentalement ? Ne serait-ce pas
encore une confusion entre l’autorité et le pouvoir, qui donne l’illusion à l’enseignant de parvenir à tout
contrôler ?
Le tout est ici de prendre conscience de ce que l’on peut apporter aux élèves, des moyens que l’on peut
mettre en place pour eux, et de se faire confiance ; même si on doit parfois aller à l’encontre de certains
attendus. Si débuter dans le métier peut faire peur, si essayer et se tromper peut-être blessant moralement, il
ne faut pas oublier qu’il faut se tromper pour apprendre de ses erreurs et réussir. Les élèves ne pourront qu’en
être reconnaissants s’ils ressentent que leurs enseignants cherchent à se rectifier et à s’améliorer, mais surtout,
s’ils cherchent à les intéresser.
Les doutes et les remises en question font partie intégrante du métier, ils permettent à l’enseignant de
vouloir se surpasser. C’est aussi ce qui nous permet d’être plus modestes face à nos élèves : rien n’est acquis,
et c’est une chose qui ne doit jamais être oubliée. Ce qui fonctionnera à un moment donné, ne fonctionnera
pas à chaque fois. Chaque conseil ou méthodes sont bons à prendre, et doivent nous permettre de nous enrichir,
de nous construire une identité professionnelle qui évoluera chaque année ; mais il est important de faire le tri
dans les informations afin de rester en adéquation avec ce que nous sommes, pour nous mais aussi pour les
38
élèves et les collègues, afin de mieux vivre cette année. Les remises en question nous permettent également
d’être plus humains auprès de nos élèves, de nous réajuster, de faiblir parfois.
Mais la remise en question doit être présente pour entrainer du positif, nous aider à faire mieux, et non
à baisser les bras : que ce soit auprès des élèves, ou après de nos collègues. Elle doit aider à nous interroger
sur nous-même ou nos pratiques afin d’en tirer profit. En somme, elle est indispensable, mais ne doit pas être
un carcan.
L’enseignant-stagiaire est un enseignant en devenir, et son année de stage l’emmènera sans cesse à
réfléchir, à construire, et déconstruire ; il sera souvent fatigué, insatisfait, frustré, énervé… Mais il sera souvent
heureux, fier, encouragé et soulagé. C’est une année particulière, qui fait vivre énormément d’émotions,
parfois positives ou négatives, parfois même les deux en même temps ; mais c’est une année qui pousse le
jeune enseignant au-delà de ses limites. C’est un combat envers soi-même pour réussir, un combat envers les
élèves pour être respecté, et parfois ce peut être un combat avec une équipe pédagogique. Mais en prenant
conseil, en faisant la part des choses, en se remettant en question, en essayant, en recommençant, et en
apprenant à se faire confiance ; ce peut être une bonne année.
Et ce combat durant la première année de stage, ressemble, selon les dires de la plupart des enseignants,
au métier lui-même : chaque année, chaque classe, chaque élève sont différents, et il faudra tout recommencer.
Mais l’expérience sera différente par le bagage professionnel qui ne cessera de s’alourdir, et ainsi, alléger nos
craintes.
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Prolongement
Nous avons pu voir qu’un professeur-stagiaire peut très bien vivre son année de stage, comme il peut
en souffrir considérablement, tant devant ses élèves que devant ses pairs ou sa hiérarchie. Nombreux sont les
moyens de s’en sortir, notamment en pensant à la priorité de notre métier : les élèves.
Or, avoir du soutien est un élément indispensable pour mieux vivre son année et en profiter pleinement.
Chose que beaucoup ont déploré à la veille de la rentrée, ne connaissant ni les niveaux pour lesquels ils allaient
enseigner, voire même, n’avaient toujours pas de tuteur ou tutrice avant de débuter.
En effet, de nombreux professeurs-stagiaires ont été questionnés, que ce soit dans le premier ou le
second degré, comme peut le démontrer le graphique suivant :
Cependant, nous pouvons tout de même remarquer que les problèmes sont communs, avec les
questions suivantes :
Aviez-vous eu connaissance -en avance- des niveaux dont vous avez désormais la responsabilité ?
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Aviez-vous un tuteur / une tutrice dès la rentrée ?
Comme nous pouvons le constater, rare sont ceux qui avaient déjà connaissance des niveaux pour
lesquels ils allaient enseigner. 57,7% des personnes sondées étaient dans l’attente, préparant leurs cours sans
réellement savoir s’ils allaient pouvoir les mettre en place. De ce fait, il semble presque impossible de se
concentrer réellement et convenablement sur la préparation des cours si l’enseignant, à quelques jours de la
rentrée, doit multiplier les recherches et la préparation d’une progression annuelle sur plusieurs niveaux ; ce
qui engendre énormément d’angoisse et de fatigue, ce qui l’amoindrit considérablement.
Tels le prouvent les nombreux témoignages qui ont été recueillis suite à la question : « Comment avez-
vous vécu votre première rentrée en tant qu’enseignante ? ». Les adjectifs revenant le plus souvent sont :
« angoissé(e) », « démuni(e) », « stressé(e) », « anxieux », « effrayé(e) », parfois même « sidéré(e) »,
« choqué(e) », même si beaucoup parlent également d’une forme d’impatience, à l’idée de se trouver devant
leurs classes. Leurs justifications sont qu’ils se sentaient complètement désarmés, qu’ils avaient l’impression
de ne pas posséder assez de connaissance ou d’expérience pour enseigner, qu’ils étaient démunis car ils avaient
énormément préparé durant l’été dans ce qu’ils appellent « le vide », puisqu’ils ne savaient pas quels niveaux
ils avaient, qu’ils n’avaient personne pour les aiguiller ou les rassurer. Beaucoup déplorent également le fait
de se sentir lâcher « sans filet », voire même « mal préparé(e)s » : cette remarque peut se justifier par
l’angoisse grandissante, mais également par le fait que l’enseignant-stagiaire a surtout obtenu plus de
connaissances que d’expériences durant son cursus en master MEEF, ce qui semble l’inquiéter au moment
venu. Les rares personnes qui étaient réellement positives avant la rentrée étaient celles qui avaient obtenues
de l’expérience, notamment grâce à l’EAP (Emploi Avenir Professeur) qui permettait dès la Licence 3,
d’observer des tuteurs-tutrices, et d’enseigner à leurs côtés. Cela montre donc à quel point l’expérience que
nous pouvons acquérir au fur et à mesure peut devenir une sorte de bouclier : cela permet au jeune professeur
d’être rassuré, et de mieux appréhender son année.
Heureusement, durant cette première année, des tuteurs ou tutrices, étant des professeurs sur le terrain,
sont présents pour épauler les jeunes enseignants, les guider et les rassurer ; mais ceci n’est pas le cas pour
tout le monde. 7,7% des personnes interrogées affirment ne pas avoir eu de personne référente au début du
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stage, ce qui semble un effectif raisonnable, mais qui reste tout de même un réel problème pour celles qui ont
besoin -comme tout le monde - d’avoir un appui et un regard extérieur sur son travail. Si cela n’entraine pas
forcément de conséquences – tel était mon cas – certains peuvent dès le départ se sentir démunis, et ne pas
démarrer l’année convenablement. Il semble donc important de mettre l’enseignant-stagiaire dans de bonnes
conditions, et cela passe surtout par le fait que celui-ci sache où aller, sur quoi se concentrer, et sur qui prendre
appui.
Si ces deux conditions sont nécessaires pour que l’enseignant-stagiaire puisse commencer son année
dans un cadre favorable, nous pouvons également apercevoir que celui-ci se trouve souvent dans un contexte
bien particulier. Comme peuvent le démontrer les trois sondages suivants :
En tant qu’enseignant-stagiaire, rencontrez-vous un de ces problèmes ?
Vous sentez-vous toujours obligé(e) de vous justifier ?
42
Votre opinion est-il pris en compte dans votre établissement ?
Si tous les stagiaires ne se sentent pas concernés par cette question, nous pouvons tout de même
constater que beaucoup d’entre eux ne se trouvent pas dans des conditions optimales, puisque la plupart sont
face à des classes compliquées (26,3%) auxquelles s’ajoutent des horaires qui sont peu favorables pour réussir
à travailler convenablement. Ce sont d’ailleurs ces mêmes personnes qui en général, ont coché d’autres
éléments, comme le fait de ne pas avoir de salle définitive.
Néanmoins, nous pouvons constater que malgré ces faits qui peuvent ternir l’année de stage et faire
penser à une forme de bizutage dans le milieu de l’enseignement, l’opinion du jeune enseignant est à 73,1%
pris en compte dans l’établissement, contre 19,22% qui affirment le contraire, se sentant mis à part. Le reste
des personnes sondées ajoutent une précision : s’ils ne se prononcent pas, c’est parce qu’ils n’ont jamais eu à
donner leur opinion, et qu’ils ont l’intuition qu’ils ne seront pas écoutés, car sans expérience.
Cela peut également venir du fait qu’à 46,2%, les enseignants-stagiaires ont l’impression de toujours devoir
se justifier, soit auprès des tuteurs-terrain, de l’ESPE ou de l’établissement. N’arrivant pas ne se détacher de
l’étiquette « stagiaire », ils ne se sentent alors pas réellement enseignant, encore aujourd’hui.
Sans avoir besoin de tout remettre en cause, nous pouvons donc remarquer que bon nombre
d’enseignants ne sentent pas encore totalement intégrés, et ne trouvent pas réellement leur identité
professionnelle, ce qui peut être mis en question -en partie- par une intégration qui s’avère difficile au sein
d’un établissement notamment, et peut nous faire penser à une forme de bizutage. Un bizutage est « un
ensemble de pratiques, d’épreuves, de traitements ritualisés et imposés, destiné à symboliser l’intégration
d’une personne au sein d’un groupe social particulier ». 16 Ce bizutage ne serait pas un traitement réservé qu’à
l’encontre des enseignants-stagiaires, mais s’étendrait durant les premières années qui nous le savons tous,
commence tout d’abord par des mutations qui peuvent sembler injustes. En effet, comme le stipule un article
du Café pédagogique17, le mouvement des enseignants est souvent considéré comme un bizutage, puisque
16 Définition Larousse 17 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/06/29062016Article636027820978768469.aspx
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ceux-ci sont confrontés, dès « le début de leur carrière à des affectations exigeantes (en éducation prioritaire),
instables (remplaçants : TZR, ZIL, brigades […]) ou peu demandées (espaces mal desservis par transports
collectifs, rural profond) ».
Ainsi, nous pourrions nous demander si l’enseignant-stagiaire ne se trouve pas seulement au début des
difficultés qu’il peut rencontrer, et si l’année de stage ne constitue pas un aperçu des prochaines années à
venir.
Néanmoins, pour finir sur un point positif, les personnes sondées ont dû répondre à trois questions
concernant leurs impressions sur leur statut en tant qu’enseignant aujourd’hui ; quels seraient leurs points
forts, et s’ils pensent pouvoir apporter quelque chose de nouveau dans l’enseignement. Nous pouvons donc
constater que si une majorité des enseignants s’estimaient démunie ou angoissée, elle se sent aujourd’hui
« soulagée » et « rassurée », même si elle se trouve inquiète pour l’avenir. Cela montre donc que les
enseignants-stagiaires ne restent pas pour la plupart sur un échec, comprenant que cela reviendrait à « rester
là où on est tombé ». 18 Si certains relèvent encore des points faibles à travailler, ce qui semble tout à fait
normal ; ils arrivent tout de même à trouver des points positifs quant à leur enseignement, ce qui est déjà une
nette progression. Beaucoup mettent en avant leur bienveillance, leur patience, leur énergie et leur motivation
dans le métier, ce qui les aident considérablement à installer un rapport de confiance avec leurs élèves. Quant
au fait d’apporter quelque chose de nouveau dans l’enseignement, même s’il est trop tôt encore pour le dire,
énormément de personnes sondées estiment que leur jeunesse est une grande aide pour enseigner puisqu’ils
se sentent plus près des besoins de leurs élèves, et jouent de cette proximité générationnelle en tentant
d’innover chaque jour leurs façons d’enseigner, par le biais d’une pédagogie plus ludique, permettant aux
élèves d’investir les tâches autrement. Si certains précisent que cela paraît idéaliste ou utopique, ils insistent
pourtant sur le fait que débuter dans le métier permet d’avoir des idées originales qui pourraient faire la
différence. D’autres affirment avec certitude que si acquérir de l’expérience permet de donner des cours
presque sans surprises, cela pourrait parfois aller à l’encontre des élèves ; et qu’il ne faut pas oublier
l’essentiel : les intéresser en les impliquant.
Ce qui n’est pas sans rappeler, pour conclure, une citation de Benjamin Franklin : « Tu me dis, j’oublie.
Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends ».
18 Socrate : « La chute n’est pas un échec. L’échec serait de rester là où on est tombé ».
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Epilogue
Si je ne devais garder qu’un seul conseil pour les futurs enseignants-stagiaires, c’est qu’il faut se faire
confiance. Prendre des conseils, oui, mais seulement ceux que l’on se sent capable d’appliquer. De ne pas se
décourager trop facilement, d’autant plus en écoutant certains collègues qui pourraient les amener, parfois, à
se remettre en question. De ne jamais se laisser aller, au moindre échec, au moindre cours raté, mais au
contraire, de s’en servir pour s’améliorer. D’appliquer ce que l’on demande aux élèves : de la rigueur, de
l’investissement, et surtout de l’optimisme ; sans quoi, ce métier deviendrait très vite fade. De comprendre
qu’être enseignant (enseignant-stagiaire ou enseignant titulaire) c’est exactement comme être un élève : on
apprend tous les jours sur le terrain, on apprend tous les jours de nos erreurs, et on apprend également grâce à
nos élèves. Être enseignant est un métier enrichissant, qui nous aide à voir les choses différemment. Ne
devenez pas ces enseignants aigris qui perdent espoir en la capacité de leurs élèves au moindre échec. Posez-
vous toujours des questions. D’où vient l’échec ? Vient-il réellement de l’élève ? De votre façon d’avoir amené
telle ou telle notion ? Ne restez jamais dans l’inaction. Les élèves peuvent être effrayants, inquiétants. Mais
essayez toujours de ne pas perdre de vue ce qu’ils sont : des jeunes en devenir ; qui ont plus besoin de soutien
qu’ils ne le laissent entendre. N’ayez pas peur d’être vous-même, jusque dans une certaine mesure, bien
évidemment. Être professeur, c’est endosser une casquette, jouer un rôle, et ne pas avoir peur de le détourner.
Jouer un rôle ne veut pas dire que l’on doit se métamorphoser : on doit être en adéquation avec nous-mêmes,
même si beaucoup viendront dire le contraire. Notre sincérité et notre faiblesse peuvent parfois être dévoilées,
dans une juste mesure. Est-ce que s’arrêter durant un cours et avouer que celui-ci n’est pas franchement réussi
va nous condamner ? Est-ce que les élèves vont vous le faire payer durant toute l’année ?
Au contraire, ces élans de sincérité peuvent parfois créer un lien avec eux. Ils se rendent compte que l’on
est humains, que nous aussi nous pouvons nous tromper, et que nous sommes réalistes, et non pas enfermés
dans notre cours à avancer seuls. J’ai pu remarquer que ces quelques moments que j’ai pu avoir avec eux dans
l’année ont éveillés de grands moments de sympathie, avec des élèves qui finalement sont d’abord étonnés de
cette réaction, et se retrouvent à la défendre, en expliquant que cela arrive à tout le monde de ne pas être en
forme, et que l’on ne peut pas toujours tout réussir ou faire aimer.
Les élèves s’attachent à ces quelques moments ; et ne vont pas, bien au contraire, devenir arrogants ou
isolants, parce qu’il arrive que parfois, nous ne soyons pas vraiment à la hauteur. Je terminerai sur une citation
d’une de mes élèves, quand un jour, démunie face à une question et m’excusant de ne pas pouvoir apporter
une réponse, celle-ci a levé la main pour dire : « Madame, il y a une citation qui dit qu’avec tout ce que l’on
connait on pourrait écrire un livre, mais avec tout ce que l’on ne connait pas, on pourrait créer une bibliothèque.
Donc ce n’est pas grave. »
Ce n’est pas grave. Le tout est de prendre conscience.
45
Bibliographie
Articles :
- http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/09/03092012Article634822429169362927.as
px
- http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/06/29062016Article636027820978768469.as
px
- http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/03/15/31003-20170315ARTFIG00294-ecole-quand-la-
bienveillance-devient-complaisance.php
- http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2015/12/22/la-condescendance-pyramidale-ou-comment-
les-profs-passent-leur-temps-a-se-juger-de-haut-en-bas.html
- http://lewebpedagogique.com/capeslettres/tag/stagiaire/
- http://blog.lefigaro.fr/education/2010/05/a-quoi-servent-les-agreges.html
- http://www.cahiers-pedagogiques.com/Petite-revue-des-sites-a-l-usage-des-professeurs-debutants-et-
des-autres
- http://vocationenseignant.fr/les-10-conseils-pour-bien-debuter-dans-l-enseignement
- http://www.huffingtonpost.fr/2013/09/02/stress-des-enseignants-les-conseils-des-profs-a-ceux-qui-
font/
- https://blogs.mediapart.fr/tatiana-ventose/blog/280914/vis-ma-vie-de-stagiaire-de-leducation-
nationale
- http://www.prejuges-stereotypes.net/powerPoint/pygmalion.pdf
Ouvrages :
- Assumer son autorité et motiver sa classe, Claire Lavrédine, 2016
- Confiance, éducation et autorité, Revue internationale d’éducation, n°72, septembre 2016.
- Eduquer avec bienveillance, Outils et pièges de la relation parents-professionnels, Frédérique Hirn,
2016.
- L’enquête par questionnaire, Isabelle Parizot, PDF, p. 93-113
46
Reportages / films :
- La loi du collège, documentaire de Mariane Otero, ARTE (1994)
- Prof : ma première rentrée, reportage découverte, TF1, septembre 2016 : le cas de trois professeurs
stagiaires (français, anglais, histoire-géographie) suivis tout au long de l’année 2015-2016.
Image :
- http://mohamedhousni.com/comment-saffirmer-comme-un-formateur-dans-la-situation-educative/
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ANNEXES
- Annexe 1, p.48-49 : questionnaire destiné aux enseignants stagiaires
- Annexe 2, p.50 : Travailler autrement avec les élèves : une activité bilan ludique.
- Annexe 3, p.51 : Une production d’élève
- Annexe 4, p.52 : Manipuler un texte théâtral sous forme de défi : lettre de J.K Rowling
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Questionnaire destiné aux professeurs-stagiaires
1. Êtes-vous fonctionnaire stagiaire ?
- Oui - Non
2. Où enseignez-vous ?
-Primaire - Collège -Lycée - Autre
3. Dans quelle discipline ? Quel(s) niveau(x) avez-vous ?
4. Comment avez-vous vécu votre première rentrée en tant qu'enseignant(e) ? Angoissé(e),
serein(e), démuni(e) ... Pourquoi ?
5. Aviez-vous déjà un tuteur / une tutrice à la rentrée ?
- Oui - Non
6. Aviez-vous eu connaissance -en avance des niveaux dont vous avez désormais la responsabilité ?
- Oui - Non -Autre
7. Avez-vous rencontré certaines difficultés, auprès des élèves ou de l'équipe pédagogique ?
8. Dans l'ensemble, vous sentez-vous soutenu par l'équipe pédagogique en tant que stagiaire ?
9. Avez-vous déjà eu le sentiment d'être mal considéré(e), car débutant(e) ? Tant auprès des élèves,
des parents, que de l'équipe pédagogique.
- Oui - Non
10. Si oui, pourquoi ? Exemple, contexte, moment de l’année.
11. En tant qu'enseignant(e)-stagiaire, rencontrez-vous un de ces problèmes ?
- Pas de salle définitive - Horaires difficiles - Classes compliquées
- Aucun problème - Autre
12. Votre opinion est-il pris en compte dans l'établissement ?
- Oui -Non -Autre
13. Avez-vous reçu beaucoup de conseils de la part de vos collègues ?
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- Oui -Non
14. Si oui, ces conseils portaient en général sur :
- La gestion de classe -L’organisation - L’autorité -Les punitions
- Méthodes de travail - Posture en tant qu’enseignant(e) - Autre(s)
15. Dans l’ensemble, ces conseils étaient-ils toujours utiles ?
- Oui - Non
16. Les suivez-vous toujours ?
- Oui - Non
17. A l'inverse, des collègues ont-ils pris conseil auprès de vous ?
18. Si oui, dans quel(s) contexte(s) ? (Préparation de séquence/cours, gestion de classe,
organisation, programmes, formation...)
19. Aujourd'hui, comment vous sentez-vous en tant que stagiaire ? A l'aise, perdu(e), inquiet(e),
rassuré(e) ...
20. Vous sentez-vous souvent obligé(e) de vous justifier ?
- Oui -Non
21. Si oui, dans quel contexte ? (Dans votre établissement, ESPE, auprès des parents, auprès des
élèves...)
22. Pensez-vous que vous pouvez apporter quelque chose de nouveau à l'enseignement ? Grâce à
votre formation, votre motivation, votre proximité générationnelle avec les élèves...
23. Pour vous, quel est votre point fort en tant qu'enseignant(e)-stagiaire ? Quel serait votre point
faible ?
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Travailler autrement avec les élèves
Recette du fantastique Vous avez lu, interrogé, et joué des nouvelles fantastiques ; vous avez frissonné avec différents
narrateurs… Et vous possédez maintenant toutes les clefs entre vos mains pour identifier un genre
fantastique…
Afin de réaliser une synthèse de fin de séquence, imaginez une recette de cuisine ; non pas pour
déguster un bon plat savoureux, mais pour réaliser un récit fantastique ! Pour cela, vous pouvez vous aider
d’un dictionnaire, des textes lus durant la séquence, ainsi que de vos bilans réalisés à chaque séance.
Pré-requis : Quelles types d’informations comportent la recette ci-contre ?
Listez d’abord les ingrédients nécessaires à l’élaboration d’une nouvelle fantastique.
Rédigez ensuite les étapes de fabrication. Vous choisirez de conjuguer les verbes au futur, à l’infinitif ou à
l’impératif (exemples : « vous prendrez », « prendre », « prenez »)
Pour chaque étape, illustrez cette recette d’un exemple : une citation, une expression, un sentiment
Enfin, ajoutez un titre à cette recette. C’est prêt !
Ce que je dois m’assurer de connaître avant de commencer
51
Bilan final : un exemple de production, prouvant que les élèves ont compris le
principe d’un récit fantastique, en réinvestissant la leçon par le jeu.
52
é
Madame Guiberteau, votre enseignante de français, a reçu il y a quelques jours, une lettre de J.K Rowling, la
célèbre autrice d’Harry Potter, qui raconte les exploits du sorcier le plus connu de tous les temps ! Mais J.K Rowling
est dans l’embarras… Alors que sa pièce de théâtre, Harry Potter et l’enfant Maudit, devait paraître dans une nouvelle
édition… L’éditeur a perdu ses notes ! Toutes les didascalies (les indications scéniques) se sont envolées ! Est-ce un
mauvais tour d’un sorcier malveillant ? Personne ne le sait…
Mais ils ont besoin de votre aide, et ils vous ont donc laissé quelques instructions…
«
Que d’épreuves ! Nous avons cherché dans tous les recoins, derrière les meubles, dans des placards
remplis de poussières, et nous avons même dû affronter quelques lutins de Cornouaille afin de retrouver
nos notes, mais... En vain ! Les comédiens devant jouer les aventures de mes célèbres sorciers sont perdus…
Comment peuvent-ils jouer une scène sans didascalies ? Mais oui, vous savez bien ! Les didascalies sont
généralement formées grâce à des compléments circonstanciels de temps, de manière, de lieu, de moyen…
afin que les comédiens, lisant leur texte, sachent comment jouer leur rôle. Nous avons donc besoin de vous,
vous le voulez-bien ?
A l’aide de votre enseignante, une scène sera distribuée à chaque groupe. Il faudra bien prendre le
temps de la lire, pour comprendre ce qu’il se passe ; ainsi, peut-être que… Que dis-je ! Ainsi, vous trouverez
les gestes, les intonations, et les émotions que chaque personnage ressent ! Il ne faudra pas, bien-sûr, oublier
de décrire la scène…
Je compte sur vous pour nous aider ! Bien que j’aie confiance en vous… Je vous ai parfois laissé de
l’aide, parce que je me souviens que j’avais donné des indications précises à certains moments… mais je ne
me souviens plus lesquelles…. Alors, quand vous trouverez ceci : […], ou des commentaires entre crochets,
il faudra obligatoirement ajouter une indication scénique ! Ou alors, ma pièce de théâtre ne pourra plus être
publiée, mes comédiens ne pourront plus jouer, et les folles aventures d’Harry Potter et ses enfants
disparaîtront à tout jamais…
Chers moldus, je vous remercie.
J.K Rowling.
P.S : Si vous pensez que votre mission est terminée, peut-être pourriez-vous essayer de jouer votre
scène, afin de vérifier si vos indications sont efficaces ? »