MayotteCauchemars dans un décor de rêveClandestins : les bannis de la République française • Avenir : la départementalisation en questions • Société : l’incompréhension entre communautés • Tourisme : le désert
Supplément réalisé par Alexis Hontang, avec Nicolas Barriquand
Extramuros - N°10 - supplément Mayotte
InstantanésII III
Une étude sociologique… en bande dessinée. L’au-teur, Charles Masson,
médecin résidant à la Réunion qui se rend régulièrement à Mayotte, croise les destins d’une clandestine malgache, d’un Mzungu employé à SFR ou encore d’une femme como-rienne enceinte entassée sur un kwassa-kwassa pour, elle l’espère, donner la nationalité française à son enfant en accou-chant à Mamoudzou. Les rap-ports entre communautés sont abordés sans complaisance : incompréhension culturelle entre le métropolitain et son épouse native de l’île, exploi-tation d’une clandestine par une famille mahoraise, abus de trop jeunes « soussous » par de vieux Blancs libidineux… « Droit du sol » se lit comme on prend une claque dans la figure. Pes-simiste certes, mais dramati-quement fidèle à la situation observée par Typo. Vu les piles d’exemplaires en vente dans les quelques librairies de Mamou-dzou, l’ouvrage a rencontré un certain écho à Mayotte.
« Droit du sol », Charles Masson, Casterman, 24 €.
« Droit du sol » de Charles Masson
Un livre
Rien à voir avec le cervidé canadien. Ce mot signifie « Bienvenue » en swahéli, l’une des deux langues parlées à Mayotte. Inscrit au
nez des avions qui assurent la liaison Réunion-Mayotte, au fronton des commerces dans les rues de Mamoudzou, partout « caribou » accueille le visiteur. Autres marques de bienvenue, les colliers de fleurs, en nombre à l’aéroport de Pamandzi et les « mbiwi », petits bâtons de bambou que les femmes mahoraises frappent en rythme.
CARIBOU
Mahorais : Natif de l’île
de Mayotte
Mzungu : Métropolitain
« blanc », qui habite Mayotte
Clando : Diminutif familier pour désigner les clandestins, pour la plupart, des Comoriens d’Anjouan, Mohéli ou Grande Comore, les trois autres îles de l’archipel. Quelques-uns ar-rivent de Madagascar.
Soussou : Prostituée
Bwéni : Madame en swahéli.
Kwassa-kwassa : Frêles
embarcations utilisées par les clandestins pour rejoindre de nuit Mayotte depuis Anjouan.
Swahéli et shibushi : Langues de Mayotte. Pour désigner la première, plus répandue, on emploie abusivement le mot « shimaoré » qui signifie littéralement « langue ma-horaise ». La seconde s’appa-rente au malgache.
Salouva : Tissu traditionnel, souvent aux couleurs vives, qui constitue l’habit tradition-nel des femmes de l’archipel des Comores.
Parlez-vous Mayotte ?
Petit lexique en vigueur dans l’île
Moderne, spacieux… et vide. Le front de mer de
Mamoudzou s’est doté d’un marché couvert flambant neuf, mais, pour le moment, inex-ploité, alors que les vendeurs de fruits et de vêtements s’en-tassent à ses abords dans des bicoques en tôles. En cause ? La frilosité des institutions selon Upanga, le journal poil à gratter de l’île. Ni la mairie de Mamou-dzou, ni le Conseil général qui a financé la construction de l’édi-fice ne candidatent à la gestion de l’équipement à la rentabilité incertaine. Sans compter qu’il générera des conflits : il n’y aura pas de place pour tous les com-merçants de l’actuel marché.
Marché à vendre
Roulez jeunesse !
La course de pneus ! Le sport mahorais par excellence. Sur les trottoirs, les terrains vagues ou dans les bourgs, des bandes de gosses roulent un pneuma-tique à l’aide de deux bambous. Chaque année, début juillet, se tient le Grand prix de la course de pneus.
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Crainte et redoutée. La scolopendre (nom abusivement masculi-nisé), c’est la bête noire de l’île. À l’allure d’un mille-pattes, cet
insecte menaçant qui se faufile la nuit sous les moustiquaires inflige à ses victimes une rude piqûre. Mzungus, Mahorais ou clandestins, chaque habitant de Mayotte ou presque l’a croisé un jour sur son che-min. Dans le cou, sur le mollet ou la cuisse. Tous décrivent « une dou-leur digne d’un coup de poignard ». Rien de mortel pour autant. La scolo – c’est son petit nom – provoque juste, parfois, des gonflements pour les personnes allergiques.
Gare à la scolo !
En séchant, la crème jau-nâtre craquelle. Les bwéni (« madame » en swahéli)
recouvrent quotidiennement leur visage de cette mixture obtenue par le frottement de poudre de bois de santal sur une pierre de corail. Le masque, ou « mtsinzano », protège leur peau des agressions du soleil et des insectes.
Le masque des bwéni
GÉOGRAPHIESuperficie : 376 km²Population (2007) : 186 452Densité : 496 hab/km² Ville principale : Mamoudzou (53 022 habitants) Gentilé : Mahorais(e)SOCIALLangues : français, swahili, shibushiReligion principale : Islam à 95 %Indice de fécondité : 6,4 enfants par femmeEspérance de vie : 74 ans (2004)ÉCONOMIEProduit intérieur brut : 610 millions d’euros (2001)Taux de chômage : 26,4 % (en 2007)Taux d’inflation : 2,9 % (2009)SMIG mahorais : 1 002,17 € (au 1er juillet 2009)POLITIQUEStatut : Collectivité départementale d’outre-mer (département en 2011)Préfecture : MamoudzouPrésident du Conseil général : Ahmed At-toumani Douchina (UMP)Député : Abdoulatifou Aly (MoDem)HISTOIREVIIIe siècle : premières migrationsFin XVe siècle : établissement du sultanat de Mayotte par Attoumani Ibn Ahmed1503 : découverte de l’île par les PortugaisDu XVI au XIXe siècle : fortes rivalités entre les sultanats de l’archipel des Comores25 avril 1841 : Le sultan Andriantsouly cède Mayotte à la France pour un millier de piastres et une rente versée à vie.1846 – 1886 : La culture du sucre connaît son âge d’or1904 : Établissement du protectorat des Comores avec Mayotte, Anjouan (colonisé en 1866), Grande-Comore (1886) et Mohéli (1886).1956 : Début du processus d’autonomie des Comores. 1958 : Transfert de la capitale du gouverne-ment de Dzaoudzi à Moroni (Grande-Co-more). 22 décembre 1974 : L’État consulte les Co-moriens, île par île, sur leur indépendance. Mayotte se distingue en la refusant .6 juillet 1975 : Création de l’Union des Co-mores. Mayotte reste française, malgré les revendications de Moroni. L’ONU condamne la France, coupable d’« occupation illégale de territoire ».24 décembre 1976 : Mayotte devient une Collectivité territoriale (CT).1995 : Le gouvernement Balladur instaure le visa pour entrer à Mayotte. Des milliers de Comoriens deviennent clandestins.13 juillet 2001 : La Collectivité départemen-tale succède à la CT.29 mars 2009 : Départementalisation (pré-
vue pour 2011) votée à 95,2 %. u
Mayotte ? C’est où, ça ? Dans l’ar-chipel des Comores ? Elle est où la France là-dedans ? L’arrivée sur
le tarmac de Pamandzi confirma mes at-tentes : en débarquant à Mayotte, c’est un autre pays que je découvre. 25 % des Ma-horais parlent la langue de Molière correc-tement. Et 100 % d’entre eux revendiquent fièrement leur carte d’identité bleu-blanc-rouge. « Nous sommes Français depuis plus longtemps que Nice et la Savoie (Mayotte est française depuis 1841, NDLR.) », « Nous serons un département comme la Lozère ! ».
L’anachronismejouanais ou les Mohéliens « qui n’ont rien à voir avec nous… à part le fait que l’on par-tage la même langue et la même culture ». Le paradoxe m’a d’autant plus marqué au contact de ces Comoriens clandestins. Mes interlocuteurs maniaient brillamment notre langue et se réclamaient eux aussi de la France. « Je suis Français par les valeurs, pas par les papiers », avait crié l’un d’entre eux aux agents de la Police aux frontières. Le décalage m’a longtemps bouleversé. Com-ment un même peuple – car les Mahorais sont culturellement, géographiquement et historiquement des Comoriens – peut-il se
Repères Mayotte L’éditopar Alexis
Hontang
« Pourquoi tiennent-ils autant à être Français ? Par crainte d’être annexé par l’Union des Comores, qui revendique toujours Mayotte. »Ces arguments passent en boucle sur les lèvres des politiques locaux. Ils vont bien-tôt se trouver des liens de parenté avec Vercingétorix. Pourquoi tiennent-ils autant à être français ? Par crainte d’être annexés par l’Union des Comores, qui revendique
détester à ce point ? En voulant conserver un point stratégique dans le canal du Mozambique (que ne ferait-on pas pour ressasser notre empire colonial ?), la France a semé la pagaille dans l’archipel. D’abord en 1958 (refus de l’indé-pendance par les Comores), puis
en 1974 (référendum qui ancre Mayotte dans le giron français), en 1995 (instauration d’un visa pour les ressortissants de l’Union des Comores qui se rendent à Mayotte) et enfin en 2009, en accordant le statut de DOM à un territoire qui ne réclamait que ça.
« Comment un même peuple – car les Mahorais sont
culturellement, géographiquement et historiquement des Comoriens –
peut-il se détester à ce point ? »
toujours Mayotte. Si les colons avaient été améri-cains, leur argument aurait été : « Nous appartenons aux États-Unis depuis plus longtemps que le Texas (rat-taché en 1845, NDLR.) ! ».
Leur haine envers les Comoriens m’a frappé tout au long du voyage. Il fallait voir Zaina Méresse, symbole de l’attachement de Ma-yotte à la France, vociférer contre les An-
Nombreux sont les Mahorais instruits à dou-ter de la départementalisation. Comment dit-on « lucidité » en swahili ? u
Merci ! Cette aventure extra-muros n’aurait pas pu se dérouler aussi bien sans le concours de nom-breuses personnes. Nous tenons ici à les remercier.
Merci à Delphine et François, ainsi qu’aux autres Mzungus de Tsoundzou 1 pour leur hospita-lité, à « Karen » pour sa cactus-guérison, à Jean-Paul Aniel, à la famille Peulot et en particulier Quentin, aux clandestins qui nous ont accordé leur confiance, en particulier A.S., Miftahou, J. et sa cousine, ainsi qu’à nos interlocuteurs qui ont dépassé la langue de bois, à Olivier Morin et ses enfants, à Assiati et son papa Bacar Abdou pour un déjeuner sur la route. u
SosyétéIV 18ClandestinsM
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Sous sa salouva, un maillot de football. Celui de l’équipe de France. Leïla* est arrivée il y a trois jours à Mayotte à
bord d’un kwassa-kwassa. Elle avait déjà vécu dans l’île durant six ans avant une pre-mière expulsion. Pour évoquer la traversée périlleuse dans ces embarcations de l’infor-tune, cette grande Comorienne d’une tren-taine d’années se recroqueville, les genoux pliés sur sa poitrine. « J’étais dans cette position, explique-t-elle dans un français hésitant. Durant le trajet Anjouan – Ma-yotte (les deux îles sont distantes de 70 ki-lomètres, NDLR.), nous étions 26 personnes, dont des enfants. J’ai payé 260 €. » Sauf que les passeurs l’ont déposée sur l’îlot M’Tzam-boro, à un bras de mer du « continent ». Des pêcheurs mahorais ont pris leur suite. Cinq minutes de navigation pour la somme de 200 €. « Ce n’est pas fini. Sur terre, nous appelons nos familles respectives, qui orga-nisent parfois des bus conduits par des Ma-horais. Je rajoute 10 €. C’est m’kara, m’kara ! (les magouilles en swahili, NDLR.). »
Plus de 450 €. Chaque année, des milliers de clandestins monnayent à ce prix l’entrée sur le territoire français. Tous n’ont pas eu la chance de Leïla. Certains sont ramassés par les agents de la Police aux frontières (PAF) ; d’autres – environ 500 par an – périssent au cours de la traversée. Ce petit bout de mer est désormais connu comme le « plus grand cimetière marin de l’océan Indien ». « Sur les six premiers mois de l’année 2009, nous avons procédé à 139 interceptions de kwas-
sas entrants, à 167 arrestations de passeurs ainsi qu’à 3 182 captures d’ESI », se félicite Patrick Valayer, directeur adjoint de la PAF. Dans le langage administratif, un clandestin est un « ESI », c’est-à-dire « un étranger en situation irrégulière ». Déshumanisation ? « Le mot clandestin relève de l’idée d’une répression juridique et politique, s’explique Christophe Peyrel, secrétaire général de la préfecture de Mayotte. Le sigle ESI cerne bien le réel statut de ces personnes-là : ils ne sont pas des criminels ! » Juste des hors-la-loi, coupables d’entrée illégale sur le sol français.
Parce qu’elles sont voisines, les quatre îles de l’archipel des Comores ont toujours fait l’objet de flux entre elles. Une même famille peut être écartelée entre Anjouan, Grande-Comore, Mayotte et Mohéli. L’application, le 1er janvier 1995, du visa imposé aux Como-riens pour se rendre à Mayotte la Française a bouleversé l’équilibre de l’archipel. Depuis, les populations entrant ou vivant sur l’île sans visa ni carte de séjour sont considé-rées comme hors-la-loi. Aujourd’hui, sur les 186 000 habitants de l’île, au moins 40 000 – soit un clandestin pour cinq personnes – vivent en situation irrégulière selon les esti-mations de l’Insee.
Un pilier invisible
Parmi eux, donc, Leïla. Pour gagner sa vie, elle travaille chez des Mahorais. « Cuisine, repassage, ménage… Je fais tout », dit-elle sur un ton des plus neutres, comme acca-
blée par le fatalisme. « Mes horaires : 6h-18h sans pause, six jours sur sept. Ils m’in-terdisent de me nourrir chez eux. Je touche 150 € par mois. ». Le tout, sans être décla-rée… bien entendu. Le travail au noir consti-tue l’unique ressource de ces clandestins. BTP, agriculture, pêche, tâches ménagères… Les Comoriens occupent les domaines dé-laissés par la population locale, jusqu’à de-venir un pilier « invisible » de l’économie de Mayotte. « Les Mahorais et les Mzungus les exploitent ! L’esclavage existe vraiment ici ! s’insurge Jean-Michel Clerc, directeur de la seule agence Pôle Emploi de l’île. À la fin du chantier, nombreux sont les entrepreneurs qui refusent de payer leurs ouvriers clandes-
tins. Si ces derniers se rebellent, ils appellent directement la PAF ! » M’Hamadi Abdou, premier vice-président (Nouveau Centre) du Conseil général, contre-attaque en affir-mant catégoriquement que « les Comoriens ne composent pas le fondement de notre économie. Avant leur arrivée, les Mahorais vivaient déjà dans des maisons en dur ; l’île était même en autosuffisance alimentaire grâce à nos rizières et notre agriculture ! »
Micheline* est la cousine de Leïla. Elle vit à Mayotte depuis 1999. En débardeur blanc, explicitement échancré, une cigarette sou-vent à la bouche, cette originaire de l’île de Grande-Comore, 27 ans, se prostitue pour
vivre. Les bars du Picolo ou de la Geôle, la fameuse boîte de Mamoudzou, constituent ses lieux de travail. « À la discothèque, il y a trop de jeunettes. La concurrence n’est pas loyale ! », se plaint-elle. Elle ne fait qu’ef-fleurer la nature de ses activités nocturnes. « Les gens le savent à cause de ma manière de m’habiller. J’ai les épaules dénudées, alors qu’une Mahoraise porte une salouva », concède-t-elle. Comme sa cousine, Miche-line a été victime du comportement dédai-gneux des autochtones mahorais envers leurs « frères » clandestins. « Mes clients de Mayotte exercent sur moi du chantage : « soit c’est dzini (sexe féminin en swahili, NDLR.), soit j’appelle la PAF ». »
60 € par mois pour 9 m²
Elle vit cachée dans un bidonville de M’Tsa-péré. Sa case de tôle se situe au bord d’un chemin défoncé en terre battue. L’extérieur est misérable, mais se fond parfaitement dans ce paysage de banlieue de Mamou-dzou. Après avoir franchi deux marches bétonnées, un intérieur de 9 m², douillet, tranche avec l’environnement extérieur. À gauche, un lit à baldaquin recouvert d’une moustiquaire sur laquelle sont brodés des oiseaux. Un peu plus loin, une gazinière. À droite, un canapé enveloppé d’un tissu vert, devant une table basse. Il est bordé d’un frigidaire et d’un vaste écran plat, assis sur
Un habitant sur cinq vit en situation irrégulière. Ils par-lent la même langue, partagent la même culture et la même histoire que les Mahorais, mais les Comoriens ne sont pas les bienvenus à Mayotte la Française. Entre coups de filet de la Police aux frontières, prostitution et kwassa-kwassas, rencontre avec ces destins tragiques.
Les bannis de la Républiquepar Alexis Hontang
Cette clandestine travaille six jours sur sept dans une famille mahoraise - «cuisine, repassage ...» - pour 150 € par mois.
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Pamandzi, à l’entrée du centre de rétention. Les familles des clandestins retenus leur apportent quelques vêtements et de l’argent.
Les rues de Kawéni, le plus grand bidonville de l’île, en banlieue de Mamoudzou. Ici s’entassent des milliers de clandestins dans des maisons en tôle. Les pneus sont utilisés pour retenir la terre de ce quartier en pente.
VII
une pile rangée de cassettes. « Je loue 60 € cette pièce à un Anjouanais qui a obtenu la nationalité française », confie la locataire. Elle énumère : « 48 € pour le satellite… 30 € pour le portable… 30 € pour pouvoir se ser-vir à la fontaine publique qui fonctionne par carte… » Heureusement que la facture d’électricité – le logement ne compte qu’une ampoule… à basse consommation – est in-cluse dans le loyer. Car Leïla, elle, dépense 30 € pour la seule lumière de chez elle. « Je cohabite dans une même case avec plusieurs autres clandestins. Quand le propriétaire re-çoit sa facture de 30 € (elle correspond à la consommation de l’ensemble des locataires, NDLR) il fait payer cette somme individuel-lement à chacun d’entre nous. Il en tire des bénéfices incroyables ! », accuse-t-elle.
«Des rafles dans quartiers ciblés»
Micheline a le temps de soigner le décor de son foyer : elle reste la très grande majo-rité de son temps chez elle. La crainte d’un contrôle d’identité inopiné des forces de l’ordre la hante dès qu’elle sort. « Ils arrê-tent les taxis, organisent des rafles dans des quartiers ciblés, arrêtent les gens dans les rues », soupire-t-elle. « Une fois, je me baladais à Kawéni avec mon copain mzungu quand quatre policiers mahorais de la PAF m’ont arrêtée. Ils lui ont alors demandé
400 € pour chacun d’entre eux pour me relâ-cher. Il a payé », se remémore-t-elle. « Nou-velle histoire, il y a quelques jours à peine. Je marchais avec Leïla au bord de la route vers Passamainty. Une voiture de la PAF ar-rive. Encore une fois, je me suis sauvée rapi-dement, prenant un scooter en auto-stop. » Leïla raconte la suite : « Les policiers m’in-terpellent. Je leur dis : « Ne m’arrêtez pas ce soir. Demain matin, c’est bon ». Interloqués, ils s’en vont. Trois jours plus tard, les mêmes agents m’arrêtent chez moi. « C’est bon, tu peux venir », m’ont-ils intimé. Et je suis mon-tée avec eux dans la voiture. »
S’en suit la traditionnelle procédure. Inter-rogations et relevés d’empreintes digitales au commissariat de Mamoudzou avant de débarquer au Centre de rétention adminis-trative (CRA) de Pamandzi, à Petite-Terre. Dans le langage des clandestins, le CRA est plus communément appelé « le peloton ». « À Mamoudzou, j’ai donné un faux nom, avoue Leïla. S’ils m’attrapent trois fois avec la même identité, c’est l’interdiction de ter-ritoire ! Autant garder quelques chances de mon côté ». Au peloton, « j’ai dormi deux nuits par terre dans une salle infestée de moustiques ». Moins d’une semaine après son expulsion, elle a repris le kwassa-kwassa pour Mayotte. « C’est comme un taxi ! », iro-
nise-t-elle. Selon la PAF, 40 % des ESI ramas-sés en mer sont des récidivistes.
Un scoop qui n’en est pas un
Autre clandestin à avoir connu les affres du CRA, Miftahou (lire son histoire page VIII) : « Quand les policiers m’ont placé au pelo-ton, je souffrais d’un décollement de la ré-tine. Je souhaitais appeler un docteur et des proches. Les agents me refusaient l’accès au téléphone. Ils me matraquaient ! Pour man-ger, puisque la nourriture était contenue dans un seul grand récipient, on était les uns sur les autres. » Des associations, comme la Cimade, qui a accès au centre, dénoncent régulièrement les conditions de rétention.
Du côté de Pamandzi, Patrick Valayer loue les mérites de l’administration actuelle qui « a su mettre un terme au laxisme du passé. À une époque, on est monté à 180 rétention-naires dans un centre qui peut n’en contenir que 70 ». Le numéro 2 de la PAF affirme que « la dignité de l’individu n’a jamais été remise en cause. Nous travaillons pour écourter le temps d’attente au CRA. Actuel-lement, il est de 1,8 jour. Notre système est de plus en plus fluide et efficace ». En 2000, le nombre de reconduites à la frontière s’éle-vait à 8 000. En 2008, il était de 16 000. Pour 2009, la barre des 18 000 sera certainement
franchie – pour les six premiers mois de l’an-née, 9 000 expulsions ont été orchestrées.
« Depuis la politique du chiffre lancée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, en 2005, la situation a empiré », dénonce Rémy Carayol, le journaliste à l’origine du « scoop » de Libération en décembre dernier sur les conditions indignes du CRA. « Une ex-clusivité ? Tout le monde le savait ici ! C’est presque entré dans les mœurs. Plus aucun passager de la barge n’est heurté par les ca-mions grillagés, qui font le transfert des clan-destins de Grande à Petite-Terre. » L’actuel directeur de publication du bihebdomadaire Upanga a aussi été confronté à un paradoxe de taille pour vendre son reportage à la presse nationale. « Pendant des années, j’ai contacté des rédactions parisiennes. Mais généralement, on se contrefout des DOM, alors Mayotte… »
S’il existe bien un endroit sur ce territoire 83 fois plus petit que la Bourgogne où les clan-destins s’estiment en sûreté, c’est l’école. La loi protège les mineurs et les sans-papiers tant que leur scolarité est certifiée. Provi-seur, jusqu’à juin dernier, du lycée profes-sionnel de Kahani, Jean-Philippe Decroux a côtoyé de nombreux élèves clandestins. D’entrée, il lance : « Je suis horrifié par leur situation ! Pas une semaine sans l’arresta-tion de l’un d’eux ! » Fraîchement retraité, sa voix est étonnamment détendue : « Je ne risque plus rien. Pas de langue de bois ». Il dénonce, donc : « J’ai reçu des consignes m’ordonnant d’orienter ces élèves-là vers les CAP. Leur scolarité ainsi écourtée, ils devien-nent expulsables plus rapidement ! » Durant quatre années passées dans l’île, cet ancien responsable du syndicat SNPDEN – qui re-groupe 80 % des principaux et adjoints de Mayotte – a pu apprécier les méthodes de la PAF : « Les autorités utilisent deux tech-niques pour reconduire les mineurs à la fron-tière. Soit ils « vieillissent » leurs papiers pour les rendre majeurs. Soit ils les rattachent à un adulte, souvent pris au hasard… Efficacité garantie à 100 % ». En France, un clandes-tin de moins de 18 ans ne peut être expulsé seul. « La loi nous oblige à fixer ladite per-sonne à un adulte dont la parenté ou la res-ponsabilité à l’égard de celle-ci, est prouvée. Nos hommes l’appliquent sans aucun abus. Point barre », rétorque Patrick Valayer.
« Je suis français par mes valeurs et non par mes papiers ! »
Jean-Philippe Decroux a tenu à rendre compte du traitement que subissent les sans-papiers dans les établissements sco-laires. « Mayotte : Où est donc la Répu-blique ? » a-t-il titré son brûlot de sept pages répandu sur la toile. Trop selon le vice-recto-rat de Mayotte qui a infligé un blâme à son auteur, pour « dégradation de l’image des proviseurs ». « Je ne pouvais espérer mieux. Cette erreur politique a su fédérer autour de
ma cause », relate-t-il, en lançant un énième sourire. « Vous savez, j’adorais ces élèves. Ils étaient d’une gentillesse et d’une sponta-néité incroyables. Ils étaient de surcroît les meilleurs éléments des classes ! »
Professeur d’anglais au collège, Muriel Bonnet s’est aussi heurtée à ce cruel para-doxe. « Mes élèves clandestins travaillent beaucoup plus que les Mahorais, constate-t-elle. Ils méritent tous nos honneurs, sur-tout qu’il n’existe aucune solidarité entre eux et les locaux. En classe, de fortes ten-sions existent. Des insultes fusent souvent. » « Je ne considère pas l’expulsion des élèves ESI comme un gâchis, tempère Christophe Peyrel, de la préfecture. Au contraire ! Ces diplômés offrent même des perspectives de développement à l’Union des Comores ! »
Tariq*, 23 ans, incarne cette image du brillant clandestin. Son kwassa-kwassa en
provenance de Domoni – la ville anjoua-naise d’où partent ces barques à fond plat – a accosté à Acoua, sur la côte Ouest de Mayotte, il y a six ans. « Je n’avais rien payé aux passeurs. Puisque j’allais à Mayotte pour étudier, ils m’avaient proposé de rembourser petit à petit mon dû après mon arrivée », détaille-t-il dans un français impeccable. Hébergé un premier temps chez son frère à Tsoundzou 1, Tariq a multiplié les demandes de scolarisation. Collèges, vice-rectorat, Centre d’information et d’orientation (CIO) « À force de persévérance, j’ai obtenu une place au collège de Tsimkoura. Le jour même où j’ai su que ma demande était acceptée, je me suis rendu en classe et j’ai étudié. »
Le voilà parachuté au collège, lui l’Anjoua-nais de dix-sept ans. « J’étais trop vieux et j’en avais honte, confie-t-il. Pour gagner le respect de mes camarades, je me suis mis à
Pamandzi, centre de rétention adminis-trative (CRA). Une dizaine de personnes stationne à l’entrée d’un portail vert.
« Ce sont des proches des rétentionnaires qui cherchent à leur donner de l’argent », glisse un habitué des lieux. Après l’entrée, une cour où circulent des agents de la Police aux frontières (PAF) en polo bleu ciel et en rangers. Un bus est garé là « pour transpor-ter les Étrangers en situation irrégulière (ESI) à l’aéroport. C’est une nouvelle acquisition, se félicite Patrick Valayer, numéro 2 de la PAF. Cet autocar permet la fluidité des recon-duites à la frontière, tout comme les bateaux que nous employons de plus en plus (la très grande majorité des expulsions s’effectue par voie maritime, NDLR.). » Des clandestins qui risquent d’être de plus en plus nombreux après la future acquisition d’un hélicoptère.
Au fond de la cour, les bâtiments blancs du CRA. Impossible d’y pénétrer. En décembre
Un nouveau centre pour 2012dernier, une vidéo tournée dans ces murs et diffusée sur le site Internet de Libéra-tion provoquait le scandale en dévoilant les conditions déplorables à l’intérieur du centre (lire les témoignages dans l’article ci-contre). Aujourd’hui, nous disposons d’une antenne médicale, d’un réfectoire, d’un local pour recevoir les familles et d’un téléphone libre d’accès pour les rétentionnaires », continue Patrick Valayer. Le meilleur reste à venir. En mars 2012, un nouveau centre sera opérationnel, à deux pas de là. Chambres individuelles, télévision, salle d’accueil… 140 clandestins supplémentaires pourront y être détenus. Valayer, enthousiaste : « Ce sera une vraie structure hôtelière ! Les droits des ESI seront plus que respectés. Ils ont bien de la chance d’être traités par notre Bonne Mère la France ! » Un avis loin d’être partagé par tous ses pensionnaires. u
A.H.
ClandestinsVIII Société
Dans son 4x4 dernier cri, le Mzungu quitte sa résidence privée de Petite-Terre chaque matin pour travailler
dans son bureau qui domine la baie de Ma-moudzou. Le soir, il sirote avec ses amis – que des métropolitains, comme lui – un café au restaurant le Caribou. Son voisin Maho-rais, lui, a toujours rêvé œuvrer dans l’admi-
Discriminations, xénophobie… La société de Mayotte cumule les excès. Tour d’horizon des relations entre chacune des communautés.
Chacun chez soi
nistration. Il porte sa plus belle cravate, mais se retrouve dans un bureau de 10 m² où il collabore avec quatre autres collègues. Il a une employée de maison anjouanaise qu’il paye « grassement » : parfois 70 € par mois, parfois moins, selon l’humeur. La clandes-tine, arrivée en kwassa-kwassa, exécute les ordres sans gémir : elle a trop peur d’être dénoncée à la Police aux frontières (PAF).
Les diverses communautés ne se mélangent peu ou pas. Certains parleront d’un « sys-
tème postcolonial », d’autres d’une « déco-lonisation tronquée » pour analyser les défi-ciences d’une collectivité qui a instauré une hiérarchie entre chaque communauté.
Mzungus – Mahorais : tensions et incompréhension
« Rares sont les métropolitains à compter des amis mahorais. Moi-même, je n’en ai pas assez », constate Raoul Lundan, restaurateur
IX
L’une des barges qui relient Petite-Terre à Grande-Terre, l’un des rares endroits - si ce n’est le seul - que partagent les différentes composantes de la population de l’île.
par Alexis Hontang
À l’écart du monde. Même la Nationale 2, qui traverse l’île d’ouest en est, n’y pé-
nètre pas. Ouangani ressemble à la planque idéale. Miftahou Ali Moussa ne l’ignore pas. Ce clandestin de 22 ans loge pourtant à deux pas d’un carrefour fréquenté ; accepte les photographies ; consent même à décliner son nom pour qu’il soit diffusé. « À travers mon histoire, je souhaite servir d’exemple. Autant se dévoiler ! », lance-t-il.
Miftahou a débarqué à Mayotte en 2002, à bord d’un kwassa-kwassa. En 2007, il obte-nait son BEP électrotechnique au lycée de Kahani. Cinq années durant lesquelles son certificat de scolarité le protégeait des arres-tations de la Police aux frontières (PAF) dans les textes, du moins.
27 janvier 2006 : « Des gendarmes maho-rais draguaient ma petite amie. Elle a refusé leurs avances. Ils m’ont alors menotté à un poteau près de la mairie de Chiconi, où j’ha-bitais. Heureusement, ils m’avaient mal en-chaîné : j’ai pu m’enfuir. Trois jours plus tard, ces mêmes hommes m’emmenaient au pe-loton (le Centre de rétention administrative (CRA), NDLR.) Mon certificat ? Inutile ! Au-cune vérification n’a été faite. Après une nuit
Moi, Miftahou, clandestinde « sommeil » sur le sol du CRA, j’ai été re-lâché grâce à l’intervention de mon lycée. »
Deux mois plus tard, cet Anjouanais, atteint d’un décollement de la rétine, se dirige vers l’hôpital. Manque de chance : un policier de la PAF l’arrête lors du trajet en taxi. Un nou-veau passage au CRA et des protestations du lycée plus tard, un avion le transporte à la Réunion où il est opéré.
Depuis l’obtention de son bac, son certificat de scolarité est devenu caduc. Aujourd’hui, Miftahou divise son temps entre les parties de dominos avec d’autres hors-la-loi, l’écri-ture de ses mémoires, l’apprentissage de la gestion d’entreprise via le CNED (Centre na-tional d’enseignement à distance), et l’édu-cation de son fils, qu’il a eu avec « la petite amie de Chiconi », devenue sa femme. « Il entrera à l’école cette année, se félicite son père. Mais sa scolarisation ne le protégera pas. Les policiers peuvent bien m’arrêter avec lui. » Si sa situation ne venait pas à s’améliorer, un retour à Anjouan le tenterait. « Peut-être pour monter une boîte d’électri-cité grâce à l’argent que j’ai économisé ici. Je vivrai enfin libre ! » u
A.H.
Miftahou, le père et Fayzade, le fils. L’enfant qu’il a eu avec Nassma, sa
femme originaire de l’île de Mohéli devait faire ses premiers pas à l’école en septembre
dernier.Alors qu’il sera « protégé » des arrestations - en
théorie, un enfant scolarisé n’est pas expulsable - son
père qui a obtenu son bac en juin ne
possède plus le bouclier du certificat
de scolarisation. Il envisage de retourner
à Anjouan, son île d’origine.
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travailler, à lire surtout. N’importe quel bout de journal ramassé par terre me contentait. Je ne faisais que lire. J’ai pu récolter les fruits de mon travail. » Le brevet en poche, direc-tion le lycée professionnel de Kahani.
Son histoire prend alors une nouvelle di-mension. En plus de représenter son lycée au Conseil académique de la vie lycéenne (CAVL), de dévorer passionnément des milliers de pages, de détenir les meilleures moyennes de sa classe – et même de son établissement – et de collecter des manuels scolaires pour les envoyer sur son île natale, Tariq donne bénévolement des cours de soutien aux enfants mahorais. « Les mairies m’attribuent gratuitement des salles ainsi que des livres », ajoute ce jeune homme à la barbe de trois jours, sans jamais se départir de son humilité. Perfectionniste, il se corrige à chaque fois qu’il écorche une tournure grammaticale.
En dehors de ses activités, il vit reclus dans de la tôle à M’Ramadoudou. La hantise de la PAF accompagne chacun de ses pas. « Je me suis fait contrôler trois fois. La dernière, c’était à Bambo Ouest. Alors que les forces de l’ordre s’apprêtaient à m’enfourgonner, je leur ai lancé : « Je suis français par les valeurs, et non par les papiers ! » Ils m’ont relâché. »
Au point mort
Ses demandes de régularisation auprès de la préfecture sont toutes restées vaines. « J’estime partager les mêmes valeurs que les Français comme la liberté, l’égalité et la fraternité. Je comprends très bien que les Mzungus refusent mes demandes. Ils exé-cutent des ordres qui viennent d’en haut », convient-il, lucide et à la fois furieux en-vers ces hommes politiques qui « pensent d’abord à eux-mêmes ».
Une fois le bac obtenu, Tariq s’est heurté à des murs invisibles. Étudier en métropole ? « Impossible sans papiers d’identité. » De-mander un visa depuis les Comores pour travailler dans un pays tiers ? « Je ne suis pas le fils d’un politicien. » Rester à Mayotte ? « Je suis bloqué dans ma situation illégale. » Il rentrera de son gré à Anjouan, auprès de sa famille qu’il n’a pas revue depuis sept ans. « Je ne rêve que d’études. Je suis prêt à tout pour réussir. » Mais aujourd’hui, la réa-lisation de ses ambitions est au point mort. Dans son île natale, il envisage de monter son entreprise. Peut-être, ouvrir un garage. Mais les fonds manquent.
Les bidonvilles de Kaweni ou de M-Tsapéré grouillent de ces histoires. L’un des interlo-cuteurs de Typo évoque une « situation ex-trêmement grave et intolérable ». Dans une indifférence quasi générale. u
A.H.
*Les prénoms suivis d’un astérisque ont été modifiés à la demande des interviewés.
SociétéX
à Kawéni. Incompatibilité des cultures ? Ra-cisme ? Médecin psychiatre officiant dans l’île depuis 2002, Lionel Buron a observé un choc des systèmes mahorais et occidental qui rend « la société de Mayotte très tan-gente. Parmi les Mahorais, les plus anciens, fortement attachés aux valeurs de l’Islam, sont opposés aux plus jeunes, qui vivent à l’occidentale. Ces différences peuvent engen-drer de fortes tensions. »
Directeur de la seule agence Pôle emploi de l’île, Jean-Michel Clerc a déjà reçu des entrepreneurs qui « souhaitaient n’embau-cher que des Mahorais, soit disant pour développer l’emploi local. À l’inverse, j’en ai vu qui ne voulaient que des Mzungus. Où va-t-on ? ». Actuel directeur de publication du bihebdomadaire Upanga, le journaliste Rémi Carayol, fin connaisseur de l’archipel des Co-mores, observe lui « un véritable racisme qui se développe des deux côtés. La faute au système actuel. Économiquement, les métro-politains décident ; les Mahorais sont leurs sous-fifres. Même à poste égal, un fonction-naire « importé » touche deux fois plus que le local. Cherchez les égalités ! »
À ce décalage s’ajoutent les visions tron-quées de l’autre, propice à la propagation de clichés xénophobes. Le « mythe du profes-seur » se révèle, sans mauvais jeu de mots, un cas d’école. Pour la majorité de la popu-lation mahoraise, le professeur mzungu en-seigne à Mayotte essentiellement pour tou-cher le jackpot (traitement double par rap-port à ce qu’il perçoit en métropole, NDLR.). Souvent quinquagénaires, ces enseignants restent deux ou quatre ans sur l’île et bas-ta ! « Cette image déplorable est en partie fondée. Mais encore une fois, il ne faut pas regrouper tout le monde dans le même sac !¸ met en garde Muriel Bonnet, professeur
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d’anglais. Avant, il fallait montrer sa motiva-tion pour venir ici. Aujourd’hui, on recrute à tout-va et les plus âgés en profitent pour se constituer un bon matelas pour la retraite. Ils travaillent ici par dépit, ce qui alimente les stéréotypes négatifs ! »
Mahorais – Clandestins : la loi du plus fort
Au bas de l’échelle, les clandestins. « Ils su-bissent, puisque les rapports de force avec les autres leur sont défavorables, analyse Lionel Buron. Je leur conseille parfois de retourner chez eux pour retrouver la santé. Mais rentrer au pays sans avoir réussi, c’est impossible. La peur d’être la risée de leur fa-
mille les terrorise. » Les Mahorais les exploi-tent alors sans vergogne. Et, pour se diffé-rencier des Comoriens, une réinterprétation de l’Histoire circule à Mayotte. Tous les ar-guments sont bons : « Les Comores n’ont ja-mais existé sous une même entité politique ! Avant la colonisation, chaque île disposait de son propre sultan », s’enflamme M’Hamadi Abdou (Nouveau centre), premier vice-pré-sident du Conseil général. Issouf Saïdi, direc-teur de la communication de la même insti-tution : « Les différences sont aussi d’ordre sociologique. Mayotte résulte d’un peuple-ment bantou (ethnie originaire de l’Afrique centrale, NDLR) et malgache. »
S’ils adoptent un discours et un comporte-ment si dogmatique et si tranché, c’est que les Mahorais craignent d’être «minoritaires» dans leur île. « Imaginez qu’il y ait plus de Comoriens que de Mahorais. Mayotte repas-sera sous le giron comorien. C’est une ques-tion de survie », pense M’Hamadi Abdou. La classe politique joue la peur collective pour récolter les suffrages. « C’est bien le seul su-jet qui met tout le monde d’accord, proteste Saïd Omar Oili, ancien président du Conseil général, l’une des rares voix discordantes. Quelle hypocrisie ! Ceux qui veulent expulser les clandestins sont ceux qui les emploient ! »
En publiant Kashkazi, un hebdomadaire traitant de l’actualité des quatre îles de l’ar-chipel, Rémi Carayol a tenté, modestement, de réconcilier les divers insulaires. En vain. « Les avions qui transportaient les exem-plaires de Kashkazi partaient de Moroni et s’arrêtaient île par île. Certaines fois, des politiques mahorais, et même le préfet, exer-çaient des pressions pour empêcher l’avion d’atterrir. Parfois ils réussissaient¸ se sou-vient le journaliste. D’avoir basé la rédac-tion en Grande-Comore bloquait tout. Les
Dans l’unique agence Pôle Emploi de
Mayotte. Le Rédac’CV, un logiciel pour rédiger son CV, est pris
d’assaut. Peu de foyers
sont encore équipés en
informatique.
Mahorais croyaient que l’on voulait placer Mayotte dans le giron comorien ! »
La coopération entre la France et l’Union des Comores offrirait l’unique solution de récon-ciliation. « C’est une nécessité indispensable. Nous avons des projets, mais le passage à l’acte s’avère plus difficile », reconnaît Chris-tophe Peyrel, secrétaire général de la préfec-ture de Mayotte.
Mzungus – Clandestins : relations ambiguës
Les milieux associatifs dénonçant le traite-ment des sans-papiers sont essentiellement constitués de métropolitains. Certains se jouent parfois de la légalité pour sortir une connaissance clandestine du Centre de ré-tention, ou pour lui « fabriquer » un papier qui lui évitera l’expulsion. D’autres Mzungus emploient aussi ces travailleurs illégaux à la maison. De nombreux métropolitains ne connaissent pas de clandestins, ou alors ne font que les croiser. «Je m’aperçois que j’ai affaire à l’un d’eux quand il s’enfuit en courant dès que je lui adresse la parole », témoigne un Mzungu installé ici depuis 18 mois. Tous connaissent néanmoins les conditions de vie déplorables des sans-
papiers. Sans forcément réagir : « Ça fait partie de notre quotidien », se justifie une métropolitaine. « En vivant ici, j’ai compris comment Vichy a pu avoir lieu », lâche, sans concession, Jean-Philippe Decroux, un an-cien proviseur de lycée, pour évoquer l’indif-férence générale.
D’autres – une minorité – sillonnent les bars de Mamoudzou à la recherche de mineures… Mayotte représente un petit paradis pour les pédophiles. « La sexualité ici est plus sponta-née, sans les tabous de notre représentation judéo-chrétienne. De plus, l’idée de la femme facile est très répandue, explique Lionel Bu-ron. Tout cela, lié à une certaine frustration
face à son environnement, peut conduire à des excès. » Enfin, il y a la PAF. Toujours Lionel Buron : « Ces agents arrivent souvent ici avec des idéaux, comme toute personne débarquant sur un sol quasiment inconnu. Et là, on les bombarde de chiffres du matin au soir. Mes patients de la PAF souffrent de véritables désillusions. » N’est-ce pas les mêmes qui déclaraient à Rémi Carayol, dans les colonnes de Libération, que « nous, on a la pression de la hiérarchie pour faire notre boulot sans rien dire alors que les gens sont traités comme des animaux » ? Et il y a les autres agents de la PAF, dont la simple évo-
cation fait frémir nombre de clandestins. u
« En vivant
à Mayotte,
j’ai compris
comment Vichy
a pu avoir lieu
pendant la
Seconde Guerre
mondiale.»
Jean-Philippe Decroux, proviseur à la retraite
« Imaginez qu’il
y ait plus de
Comoriens que
de Mahorais.
C’est une
question de
survie.»
M’Hamadi Abdou, vice-président du
Conseil général
« Trop de profs
travaillent ici par
dépit.»
Muriel Bonnet, professeur d’anglais
SociétéX XI
«Quand il fallait remplir le dossier d’inscription, à la question « quel
est l’emploi recherché ? », des demandeurs répondaient « chômeur »», sourit, amer, Jean-Michel Clerc. Le directeur de l’unique agence Pôle emploi de l’île, en poste depuis 2007, est arrivé deux ans après sa création. « Les Mahorais n’ont pas encore saisi toutes nos fonctions », poursuit-il.
L’image qui réduit le Pôle emploi à un simple distributeur d’aides est encore très répan-due. « Puisque la Caisse d’allocations fami-liales est arrivée avant nous, la population a cru que l’ANPE leur verserait aussi des reve-nus ! »
Six mois pour un trieur
En arrivant dans l’île, Jean-Michel Clerc n’était pas au bout de ses surprises. L’in-formatique n’ayant pas encore intégré les
Pôle emploi et d’attractionMayotte ne compte qu’une seule agence Pôle emploi pour
13 500 chômeurs. Un bureau atypique.
foyers mahorais, la gestion des dossiers s’exécute manuellement ; le Rédac’CV (un logiciel d’aide à la rédaction d’un CV, NDLR.) fonctionne à plein-temps, conséquence d’un fort taux d’illettrisme, alors qu’il a qua-siment disparu en métropole. Enfin, il y a l’éloignement de la métropole ... « Six mois d’attente pour mon trieur ! », compte, plus que perplexe, le directeur.
Quand les agents métropolitains du Pôle emploi doivent inspecter dans les entre-prises, ce sont les sociétés qui se déplacent à l’agence de Kawéni. Et quand la fusion ANPE-Assedic cause un tumulte dans l’hexa-gone, à 8 000 kilomètres de là, personne ne bronche. Fatouma, l’une des onze agents, élucide : « Ces deux institutions n’ont ja-mais existé avec leur propre entité ici. On a toujours cumulé les deux fonctions. » Sur ce point au moins, l’agence mahoraise a devan-cé ses homologues de métropole. u
A.H.
• 95,2 % pour devenir DOM : pourquoi un tel score ?
Le raz-de-marée dans les urnes est sans équivoque : 95,2 % des 43 831 votants (taux d’abstention de 38,6 %) se sont ex-
primés pour la départementalisation de Ma-yotte lors du référendum de mars dernier. Un résultat qui ne semble pas surprendre la classe politique mahoraise. « Le score peut paraître soviétique, mais il montre que s’il existe bien un sujet qui met tous les citoyens d’accord, c’est la départementalisation », s’enhardit Issouf Saïdi, ancien journaliste politique aujourd’hui directeur de la com-munication du Conseil général. Pour M’Ha-madi Abdou (Nouveau Centre), premier vice-président de cette institution, « les Mahorais éprouvent une véritable affec-tion pour la France. Il est donc normal qu’ils souhaitent ancrer le rapprochement avec la métropole ». Figure historique de la lutte contre les Comores, la chatouilleuse Zéna Méresse partage le même avis : « Comme en 1974 (année où l’île a refusé l’indépendance de l’archipel, NDLR.), nous avons choisi la France pour la liberté ! ». Dans son ouvrage Comores-Mayotte : une histoire néocolo-niale, Pierre Caminade nuance : « Comme pour tous les autres DOM-TOM, le vote ma-horais est étonnamment favorable au pou-voir installé à Paris. »
En choisissant massivement le « oui », les Mahorais ont aussi affirmé leur volonté de renforcer leur différence vis-à-vis du voisin comorien. « Comprenez-nous, nous vivons dans la seule région française revendiquée par un pays tiers ! Être département, c’est aussi arrêter les velléités comoriennes »,
En 2011, Mayotte deviendra le 101e département fran-çais. Un choix voté à l’unanimité, ou presque, en mars dernier. Pourtant, le futur statut suscite toujours au-tant d’interrogations sur l’île.
développe M’Hamadi Abdou. Peine perdue pour le moment. Depuis Moroni, la capitale, le président de l’Union des Comores, Ahmed Abdallah Sambi, a déclaré que la consulta-tion était « nulle et non avenue ». La guerre diplomatique n’est pas prête de s’arrêter.
• La campagne électorale a-t-elle été tronquée ?
Au sein de la classe dirigeante, le choix de la départementalisation re-levait de l’évidence. Du coup, inutile
de lancer des débats sur les aspects posi-tifs et négatifs du nouveau statut de l’île… L’instauration future de l’impôt foncier ? À peine abordée. Seul homme politique ma-horais à développer une analyse nuancée, Saïd Omar Oili, leader du parti « Nouvel élan pour Mayotte », affirme avoir été victime de pressions et même de menaces physiques. « Toutes les conditions n’étaient pas réunies pour mener une campagne qui pose les vé-ritables débats de la départementalisation, martèle-t-il. Certains politiques estimaient que si le pacte (document qui consigne les spécificités mahoraises maintenues dans le futur DOM, NDLR.) était clairement expliqué à la population, le « non » gagnerait ! Ils préféraient penser : « Aujourd’hui, on vote « oui » et demain, on verra » ». Cet ancien président du Conseil général, de 2004 à 2008, va même plus loin, en dénonçant « un pacte flou. Que l’on éclaircisse la phrase : « Avec Mayotte, il faut éviter les erreurs des autres DOM. » Quelles sont ces « erreurs » ? Jamais, on ne nous les a expliquées ! Bravo la démocratie ! » Du côté de la préfecture, ga-rante de la bonne tenue de la consultation,
Christophe Peyrel, secrétaire général, se fé-licite de la sensibilisation de la population. « Le préfet a tenu une réunion publique dans les 17 communes de l’île. De plus, le pacte a été publié en français, swahéli et shibushi. Preuve qu’il n’y a eu aucun tabou lors de la campagne ! » Cependant, ce haut fonction-naire ne dément pas la frilosité de certains hommes politiques à aborder dans le détail le texte…
• Qui a voté « non » ?
«Ce qui m’interpelle, ce ne sont pas les 95,2 % de la population qui ont voté « oui ». Mais bien les
4,8 % qui ont choisi l’autre option », relève Jean-Michel Clerc, directeur de l’unique agence Pôle emploi de Mayotte. Les « no-nistes » se concentrent à Mamoudzou (15 % des votes) et Petite-Terre. « C’est connu, on
vote plus librement dans les zones les plus urbanisées », avance Christophe Peyrel. Curieusement, les Mzungus habitent pour la plupart dans ces endroits-là. Mais, tou-jours selon le secrétaire général, « il serait idiot de penser que les métropolitains ont voté « non ». Ce choix, c’est en quelque sorte contrer le développement d’un département français. Or un Mzungu travaille ici pour affirmer la particularité française, et non le contraire ! » Qui a donc intérêt à refuser la départementalisation ? « La classe ma-horaise la plus aisée a bien compris que le système actuel lui est profitable. Avec le dé-partement, elle devra payer des impôts fon-ciers ! », analyse Jean-Michel Clerc. Issouf Saïdi partage cette hypothèse : ces électeurs « votent en fonction de leurs intérêts person-nels et non de celui du peuple. On a assisté au même phénomène en 1974. » Enfin, crai-gnant la baisse de l’influence de l’islam sur la
société, des musulmans ont aussi mis le bul-letin « non » dans l’urne. « Le cadi va perdre beaucoup d’importance. Ni la polygamie, ni la justice cadiale n’auront une valeur admi-nistrative, explique Abdou Bacar, musulman convaincu qui tient aussi une madrasa (une école coranique) chez lui. D’autres connais-sances ont fait le même choix que moi, mais on les a invités à se taire. »
• Quel calendrier ?
Le département… par étapes. Précisions de Christophe Peyrel : « Depuis le 1er jan-vier 2008, Mayotte est entrée dans le
droit commun, à part dans six domaines, la fiscalité, le droit du travail, les prestations sociales, les finances locales, l’urbanisme et l’entrée et sortie des étrangers. Dès 2010, les prestations sociales existantes seront revalorisées. En 2011, une nouvelle assem-
blée unique sera élue. » Pas question donc de double assemblée (Conseil général et Conseil régional), système remis en cause dans les autres DOM. « En 2012, le Revenu de solidarité active (RSA) débarquera, à un montant estimé à 25 % de son homologue réunionnais. Enfin, la fiscalité en 2014 », ter-mine Christophe Peyrel. Si elle deviendra of-ficiellement département en 2011, Mayotte n’intégrera complètement le giron métropo-litain – mêmes impôts, mêmes prestations sociales – qu’en 2025.
• Quelle place pour l’islam dans le futur DOM ?
À Mayotte, 95 % de la population est de confession musulmane. Avec la départementalisation, l’importance
du cadi, juge musulman remplissant des fonctions sociales, juridiques et religieuses,
La départementalisation en questionspar Alexis Hontang
Mosquée en banlieue de Mamoudzou. Dans le cadre de la départementalisation, la place de l’islam parmi la société reculera. Les cadis, dignitaires religieux, deviendront « des médiateurs sociaux ».
XII XIIIM
AYO
TTE Avenir
se réduira considérablement. La justice ca-diale ne possédera plus aucune valeur, alors qu’aujourd’hui les locaux se dirigent plus facilement vers ce tribunal que vers celui di-rigé par l’État. « La justice française effraie ! C’est une forme de régulation sociale que refusent les Mahorais », explique Paul Bau-doin, président du Tribunal supérieur d’ap-pel de Mamoudzou. Il faudra changer les mentalités ! » Mais en douceur. L’influence des cadis ne disparaîtra pas. Ils seront limi-tés « à une fonction de sage, de médiateur, de juge de paix », selon les termes de Chris-tophe Peyrel, qui ajoute que « l’islam maho-rais, très tolérant, ne pose aucun problème avec la République. De plus, la religion re-lève du domaine privé. L’islam ne touchera aucune subvention de la part de l’État, tout comme l’Église catholique ».
• Vers une deuxième Réunion ?
Vue de Mayotte, la Réunion véhicule l’image de « métropole sous les tro-piques ». Une région développée qui
aurait perdu ses spécificités culturelles. Le futur DOM deviendra-t-il une Réunion bis ? D’un côté, Issouf Saïdi estime que « le choix du département permet d’éviter la dilution du système mahorais. Le pacte proposé par Nicolas Sarkozy a été très clair là-dessus. » De l’autre, beaucoup de Mzungus craignent une perte de « cachet ». Avec pour exemple le tout nouveau lotissement des Trois-Val-lées à Kawéni (voir page XVI). « Le progrès à Mayotte ne réserve pas que des effets posi-tifs. Les embouteillages à Mamoudzou sont de plus en plus fréquents… comme à la Réu-nion ! », remarque Christophe Peyrel.
• « Mayotte-département » fonctionnera-t-elle ?
Vaste débat. « Le système mahorais considère la France comme la mère nourricière. Cette société correspond
au stade de l’adolescence, analyse Lionel Buron, médecin psychiatre en poste sur l’île depuis 2002. La départementalisation pro-voquera le passage à l’âge adulte. Nul ne sait comment se déroulera cette évolution : grosse crise ou normalisation de l’île ? » Encore une fois, les clans des optimistes et des pessimistes s’affrontent. Les premiers vantent un développement économique de l’île qui entraînerait le progrès social. « Dans 10-15 ans, l’île possédera certainement une zone franche ! », s’enthousiasme Jean-Paul Aniel, engagé dans le milieu associatif, à Mayotte depuis douze ans. Pour Christophe Peyrel, « les Mahorais possèdent des ca-pacités d’adaptation qui forcent l’admira-tion ». De l’autre côté, la frilosité. À cause de la « campagne tronquée », les citoyens mahorais n’auraient pas pris entièrement conscience des droits et devoirs imposés par la départementalisation, comme la fameuse taxe foncière. « Les jours où il va falloir payer
les nouveaux impôts, personne ne sera là ! », rigole Paul Baudoin. M’Hamadi Abdou pense le contraire. Selon lui, « le citoyen mahorais est déjà le plus imposé de France ! Avec
1 200 € de revenus, le métropolitain ne verse aucun impôt. Avec 800 €, le Mahorais en paye ! L’impôt foncier passera facilement ». Réponse dans les années à venir. u
Dans son bureau du tribunal supérieur d’appel s’entassent des dossiers de
toutes les couleurs. Paul Baudoin, le direc-teur de la Commission de révision de l’État civil (CREC), estime à « 50 000 le nombre de fichiers à étudier ». Autant de personnes qui vivent actuellement sans papiers valables. Dans l’île, l’État civil se révèle… surprenant, en tout cas singulier. Jusqu’à récemment, ce sont les cadis, les dignitaires musulmans, qui le géraient. « Pourquoi les Français n’ont-ils pas imposé un système normal dès leur ar-rivée, comme ils l’ont fait dans les DOM ? », s’interroge M’Hamadi Abdou, premier vice-président (Nouveau Centre) du Conseil gé-néral. Les Mahorais ne facilitaient pas non plus la tâche de ces fonctionnaires impro-
visés : dans certains cas, le nom de famille attribué à un individu ne correspondait ni à celui du père, ni à celui de la mère. Certains utilisaient même leur surnom comme nom officiel !
Le système revu
« Toutes ces largesses sont responsables de l’identité incertaine de milliers d’individus. C’est un véritable méli-mélo que doit ré-soudre la CREC avant l’échéance de la dépar-tementalisation, dans deux ans, lance Paul Baudoin. Quand Mayotte deviendra DOM, si le citoyen ne possède pas de papiers d’iden-tité valables, il ne profitera pas des change-ments. » 2011 comme date butoir donc. Un défi pour cette commission, fondée il y a dix ans, que les locaux accusent à juste titre de lenteurs. « Effectifs insuffisants... incidence culturelle sous-évaluée… », se défend l’ac-tuel directeur. À ces erreurs s’est ajoutée une présidence vacante durant dix-huit mois. Mais l’actuel directeur promet une fin heureuse pour la CREC. « Le système a été revu (au prix d’une longue grève du person-nel, NDLR.). À nous d’accomplir notre devoir sérieusement ! » L’acte lié à la parole : la table basse de son bureau qui accueillait les visiteurs pour un café va être remplacée par un meuble de travail. u
A.H.
État civil en vrac… plus pour longtemps
Paul Baudoin, directeur de la CREC a deux ans pour régler la question.
« La campagne n’a pas abordé les véritables
débats.»
Saïd Omar Oili, ex-président du Conseil général
XIV
Un énorme bâtiment rouge sur le front de mer de Mamoudzou. Le comité du tourisme attire le regard du passant.
L’intérieur ? Spacieux, climatisé... mais dé-sespérément vide. Une carte de Mayotte ? « Allez à la librairie », répond une hôtesse souriante.
Cette anecdote résume l’état actuel du tou-risme dans l’île. Pourvue de richesses natu-relles (le lagon, les tortues, etc.), Mayotte peine à attirer les visiteurs. En 2007, 40 000 touristes se sont déplacés. Le site le plus vi-sité de Bourgogne, les Hospices de Beaune, en accueille neuf fois plus… « Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut développer ce domaine, affirme Issouf Saïdi, directeur de la communication du Conseil général. À l’heure actuelle, nous recherchons le tou-risme idéal. »
En attendant, l’île paie ces déficiences. Les infrastructures hôtelières sont rares et chères… La capacité hôtelière de l’île est estimée à 1 113 lits ! Compter au minimum 35 € pour une chambre double à Mamou-dzou. Sans oublier que le touriste paye son billet d’avion au minimum 1 100 € au dé-part de Paris. L’unique piste de l’aéroport de Dzaoudzi mesure 1 950 mètres, distance trop courte pour accueillir les long-courriers à pleine charge. Conséquence : Mayotte ne peut être reliée par vol direct à la métropole.
Un lagon désert
Les tours operators et les touristes – pas plus de 40 000 par an – boudent la destina-tion Mayotte. Malgré les plages et les sites de plongée sous-marine.
Pour se rendre de Paris à Dzaoudzi, il faut obligatoirement transiter par la Réunion. Toutefois, un projet d’allongement est ac-tuellement à l’étude.
15 % de touristes étrangers
Ces errements se retrouvent dans les statis-tiques. Près d’un touriste sur deux provient de la Réunion ; moins d’un sur sept est étran-ger ! 50 % des vacanciers résident chez des proches : à Mayotte, le tourisme affinitaire prédomine. Mais le rapport de l’Insee, da-tant d’octobre 2008, révèle aussi une nette augmentation du tourisme d’agrément, dont
la motivation première du séjour est la dé-couverte de l’île. « Après une année 2006 marquée par le chikungunya, ce tourisme a particulièrement profité de l’embellie, avec des séjours plus longs (20 jours en moyenne, NDLR.) et une clientèle étrangère plus nom-breuse »¸ est-il écrit dans le préambule.
Alors, comment attirer la clientèle touris-tique ? « Posons-nous plutôt la question : « Que peut faire un touriste à Mayotte ? » De la plongée, c’est tout, pense Rémi Ca-rayol, journaliste. C’est sûr que le potentiel dans ce domaine est énorme. Mais cela reste limité, à partir du moment où l’on n’a aucun autre projet. »
Jacques Charra, retraité dans l’île depuis deux ans, a son idée : « Pourquoi ne pas développer le tourisme en partenariat avec la Réunion ? Eux ont le côté « montagnes », nous « la mer ». Nous sommes complémen-taires ! » Chaque idée se heurte au même obstacle : le logement. « Les promoteurs sont confrontés au problème récurrent du foncier. On ne sait pas à qui appartiennent les terrains ! Comment disposer de permis de construire valables ? », lance Muriel Bonnet, enseignante, installée dans l’île depuis 2002. La départementalisation permettra d’y voir
un peu plus clair. u
La plage de N’Gouja, réputée comme la plus belle de l’île. Les rares touristes peuvent ici nager avec les tortues.
L’îlot de Bandrélé, à proximité de la barrière de
corail, accessible en barque ou en
kayak.
Un cadre idyllique à peine troublé les week-ends par le bivouac de quelques Mzungus.
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par Alexis Hontang
XVIIXVI
par Alexis Hontang
Mayotte
Mayotte ne se limite pas à Mamoudzou et à Petite-Terre, où se concentrent les acti-vités politiques, économiques et sociales. Au contraire. On dit que le cœur mahorais bat ailleurs, en brousse. Road-trip à travers l’île.
Grande-Terre et petites histoires
Sur la route
Un scooter de location pour seule arme, une tente et des habits de re-change comme moyens de survie.
Une excursion sur Grande-Terre ne s’impro-vise pas, dès lors que l’on a pris connaissance des lieux : infrastructures hôtelières rares et chères, routes défoncées ou presque. Même la nature et ses scolopendres, insectes aux innombrables pattes et à la piqûre redou-table (voir page III), n’incitaient pas à l’aven-ture. Pourtant, ce sont les mêmes raisons
l’île conserve un aspect vierge et sau-vage. Le départ est donné à Mamou-dzou, la capitale, à l’endroit précis où accostent les barges, ces bateaux qui assurent la liaison entre Petite-Terre et Grande-Terre.
Km 8 – Kawéni : Lotissement-symbole
Après avoir longé la mangrove, la route s’enfonce dans Kawéni, la banlieue de Mamoudzou. À sa sortie, l’immense parking et l’enseigne lumineuse de l’hy-permarché Jumbo Score nous projettent dans un décor de métropole. Derrière le magasin, le lotissement des Trois-Val-lées : des immeubles à l’architecture mo-derne défilent. Des agences de banque, une boulangerie, une épicerie fine et un vendeur de mobilier chinois se sont
qui rendent cette escapade si attrayante. Encore relativement peu développée,
même installés à leur rez-de-chaussée. Devant le café, une place pavée ! « C’est un symbole de l’évolution de la société ma-horaise, qui tend vers l’occidentalisation, analyse Lionel Buron, médecin psychiatre qui vit à Mayotte depuis 2002. Nous sommes ici dans la lignée de ce qui se fait à la Réu-nion et en métropole. Peut-être y aura-t-il un McDonald’s bientôt ! » L’homme de la rue a déjà rebaptisé ce quartier, « Mzunguland »
Km 10 – Majikavo-Lamir : Quand Coca-Cola remplace la
collectivité territoriale
Le milieu urbanisé de Kawéni laisse place à un monde plus rural. Sur les bords de l’asphalte, des zébus broutent en toute tranquillité. Des bwéni bordent la route, une bassine sur la tête. Majikavo-Lamir est rapidement atteint. Entre le gris de la tôle des bicoques et l’ocre de la terre, le rouge Coca-Cola des imposantes bennes à ordures
contraste furieusement. Ici, comme partout ailleurs dans
l’île, la
multinationale américaine se charge de la récupération des déchets… Un rôle norma-lement dévolu aux collectivités territoriales. Réponse du Conseil général : « Ils font du marketing ! Cette opération leur permet aussi de récupérer de la matière première. C’est le syndrome de la société de consom-mation. »
Km 21 – Longoni : Port d’aujourd’hui, super-port de
demain
Après Koungou, la Nationale 1 longe le si-nueux et accidenté front de mer. Au détour d’un énième virage, le port de Longoni. Après une petite zone industrielle où To-tal a notamment pris ses quartiers, une
énorme plate-forme bétonnée accueille toutes les importations de Mayotte. Des travaux en cours préparent l’accostage
de bateaux plus importants. « On a longtemps souffert de la petitesse de notre port. Certaines marchandises de métropole effectuaient un dé-tour par l’île Maurice où elles étaient transvasées dans de plus petits na-vires, explique Issouf Saïdi, le directeur
de la communication du Conseil géné-ral, gestionnaire du port. Les prix deve-naient alors exorbitants. En construisant un nouveau quai, on pourra importer plus à des prix plus bas. Le développement de l’île passe par Longoni. »
Km 45 – M’Tsahara : Mariage à la mahoraise
Une effervescence soudaine agite M’Tsa-hara, bourgade nichée dans une crique. Les haut-parleurs crachent de la musique locale, les bwéni s’affairent à ranger les plats, les hommes démontent les installations et les enfants s’amusent avec un pneu, en le fai-En rouge, le trajet du road-trip.
sant rouler à l’aide de deux bâtons de bam-bou. Des minibus quittent M’Tsahara. Il y a quelques minutes à peine, un mariage cadi (selon la tradition musulmane, NDRL.) était fêté. « À Mayotte, les célébrations durent sept jours et se déroulent toujours dans le vil-lage de la mariée, éclaire un invité membre de la famille de Fatima, la jeune épouse. Au début, il y a le mariage cadi puis on va à la mairie. »
Km 49 – M’Tzamboro : Le village sucré
La route s’apparente toujours à un tracé de montagnes russes avant d’atteindre M’Tzam-boro, 2 800 habitants et une fierté… le sucre. On dit même que la rivière possède ici son goût. Deux légendes s’opposent pour expli-quer cet étrange phénomène. On raconte que les M’Tzamborois aimaient tellement le sucre qu’ils y en ont déversé des quantités astronomiques afin de transformer éternel-lement le goût de l’eau. Autre hypothèse : à
l’époque des plantations de canne à sucre sur l’île, vers la fin du XIXe siècle, les plan-teurs originaires de la ville étaient tellement furieux contre l’un de leurs patrons un peu trop exploiteur, qu’ils ont jeté le fruit de
leur travail dans la rivière pour manifester leur mécontentement. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, l’équipe de football locale est surnommée « les Abeilles » et les oranges assurent la réputation de M’Tzamboro.
M’Tzanboro, à la tombée
de la nuit. Sur la maison une affiche du FN
proclame : «Les Mahorais
d’abord ».
Les zébus bordent les routes. Une fourrière à la sortie de Mamoudzou accueille même ces bêtes quand personne ne les réclame.
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XVIII XIXSur la route
Km 65 – M’Tsangamouji : Vers le tourisme vert
Arrivée à M’Tsangamouji. Ici, on teste une nouvelle forme de développement, le tou-risme vert, comme le signale un panneau devant la mairie. Cartes de chemins de randonnée, menant vers les plantations d’ylang-ylang (voir encadré) ou des élevages de zébus à l’appui. Un choix novateur pour une île qui cherche encore sa voie concer-nant l’industrie touristique (voir page XV).
Km 70 – Entre M’Tsangamouji et Tsingoni :
Efficace pouce mahorais
Les cocoteraies s’étendent le long de la CCT1. Envahis par les plantes grimpantes, les vestiges d’une usine de canne à sucre rappellent le passé agricole de Mayotte (au-jourd’hui cette culture a définitivement été abandonnée). Devant elle, une poignée de Mahorais. Pas des touristes, mais des auto-stoppeurs. Parmi eux, Moustafa, instituteur, souhaite aller à Combani, à une quinzaine de kilomètres plus au sud. « Ici, l’auto-stop fonctionne très bien. Une fois, lorsque j’ai pris un voyageur mzungu en stop, il m’a dit qu’il connaissait depuis la métropole, de ré-putation, l’auto-stop mahorais ! », rit-il, fier, avant d’embarquer dans une voiture.
fièrement, invitent les électeurs à voter « oui » pour le référendum de mars dernier. Il y a même une section UMP à Sada, fief de l’ancien député de droite Mansour Kamar-dine. Si l’île a préféré Ségolène Royal lors des élections présidentielles de 2007, de-puis le vote sur la départementalisation, elle plébiscite l’actuel président de la République qui lui a donné l’occasion d’approfondir son attachement à la France. Ici, comme le rap-pelle Rémi Carayol, journaliste à Upanga, « les partis métropolitains ne sont pas en-core très bien implantés. Il y a dix ans, il n’y avait que le Mouvement populaire mahorais – MPM, parti qui avait lutté pour le « Ma-yotte français » ! Dans la nouvelle classe politique mahoraise, on ne suit ni les ordres ni les idées du parti auquel on adhère. Le lea-der local du PS ne respecte pas les consignes de métropole. Les clans restent plus impor-tants, tout comme les rapports d’intérêts. Les hommes politiques retournent d’ailleurs souvent leur veste ! »
Km 108 – Entre Sada et M’Ramadoudou :
Le seul musée de cet archipel
Après Sada, le bitume parcourt de longs ki-lomètres sans rencontrer la moindre trace d’activité humaine. Une exception : l’écomu-sée de l’ylang-ylang et de la vanille. Bâtiment traditionnel lové dans la forêt, c’est aussi le seul musée de cet archipel de 186 400 ha-
L’instituteur-auto-stoppeur Moustafa.
Km 101 – Sada : Sarkozy aux portes
Après un passage par les terres, la route re-trouve le littoral. Sada se déploie alors sur les versants d’une crique. Quelques barques de pêcheurs mouillent sur la mer d’un bleu azur. Sur les portes des maisons, un autre bleu prédomine : celui de l’UMP. Des af-fiches, sur lesquelles Nicolas Sarkozy pose
bitants et de 376 km². Peut-être plus pour longtemps puisque le projet d’un établisse-ment consacré à l’histoire de Mayotte a été retenu après les États généraux de l’Outre-mer. Affaire à suivre.
Km 135 – Saziley : Là où pondent les tortues
À partir de M’Tsamoudou débute le sen-tier de randonnée qui mène à la plage de Saziley, accessible uniquement aux mar-cheurs ou aux bateaux. 3,8 kilomètres de rude montée, une descente à pic, et enfin, l’étendue de sable noir. Ici, impossible de bivouaquer sur le rivage : la place doit être laissée aux tortues qui viennent pondre à la nuit tombée (voir encadré). Des agents de la cellule de gestion des terrains du Conser-vatoire du littoral recensent les amphibiens et indiquent les mesures de prévention aux visiteurs. « Ne pas pointer de lumière sur la tête des tortues », « ne pas bouger et rester à l’écart lors de la sortie de l’eau », assènent-ils. Cette nuit, à quatre heures du matin, deux tortues ont traîné leur carapace sur le sable ; seule une a pondu.
Km 155 – Plage de N’Gouja : Là où nagent les tortues
De M’Tsamoudou à Kani-Kéli, les plages se succèdent. Les bleus de leur rivage rivalisent de luminosité. A N’Gouja, à l’ouest, c’est
l’apogée. Situé sur le lagon, le lieu attire plongeurs et visiteurs, venus apprécier avec masque et tuba les beautés de la barrière de corail. Entre deux poissons multicolores et les anémones, une tortue marine peut faire son apparition, broutant sereinement l’herbe sous-marine. Paradoxalement, mal-gré la proximité d’un hôtel de luxe qui a construit un ponton en bois, la plage de sable fin reste vide, rappelant au passage les difficultés de l’île pour attirer les touristes.
Km 178 – Chirongui : Désastre écologique
À Chirongui, après l’une des rares stations services de Mayotte - le groupe français To-tal a le monopole de la distribution du car-burant dans l’île - changement de décor. Le mont Choungi - deuxième point culminant de l’île avec 594 mètres d’altitude - do-mine le paysage. Mais la carte postale vire au cauchemar avec, en contrebas, une dé-charge à ciel ouvert. Des piles de détritus Dans la cuisine d’Assiati. Manioc et bananes frites accompagneront la viande de bœuf.
côtoient, dans une odeur pestilentielle, des carcasses de voitures rongées par la rouille. Le contraste avec N’Gouja est saisissant. D’un point de vue écologique, l’île peut se vanter de posséder un des plus beaux lagons du monde ; mais elle enfreint la loi en au-torisant des décharges à ciel ouvert sur son territoire…
Km 199 – Tsararano : Déjeuner chez Assiati, près de
l’école coranique
On remonte vers le Nord. Depuis la côte Est, des îlots se dessinent sur le lagon, comme celui de Bandrélé. À Tsararano, des bwéni vendent des fruits à l’entrée du village. As-siati Bacar, une jeune habitante des hau-teurs de la ville nous invite à déjeuner chez elle. Lycéenne à la Réunion, elle retourne
pendant les vacances d’été – ou d’hiver aus-tral – chez ses parents, auprès de ses douze frères et sœurs. Chez elle, pas d’eau cou-rante : on se fournit à la source d’une rivière voisine. Quant à l’électricité, c’est le père, Abdou, qui a branché le système de la mai-son au compteur situé plus bas. « Dans mon quartier cohabitent Anjouanais et Mahorais. Sans aucun problème », observe la jeune femme en faisant frire le manioc et les ba-nanes. « Parfois, les policiers de la Police aux frontières (PAF) arrivent et courent derrière les clandestins ! » Une madrasa, c’est-à-dire une école coranique, se situe juste à côté de chez elle. Des enfants récitent à tue-tête les versets du Coran. Avec la départementalisa-tion, la place accordée à l’Islam sera réduite. Abdou, musulman convaincu – maçon de métier, il s’occupe de la madrasa après le tra-vail – a d’ailleurs voté « non » au référendum (voir page XII).
Km 218 – Mamoudzou : Retour à la civilisation ?
Après les passages successifs de Tsoundzou 2, Tsoundzou 1 et du bidonville de M’Tsapé-ré, le scooter retrouve les rues accidentées de Mamoudzou, la préfecture. Dans la plus grande ville de l’île, population estimée à 53 000 habitants, les imposants bâtiments du Conseil général, de l’Hôtel de Ville et de la Préfecture sont visibles même de la barge. Au marché, des enfants se ruent vers les poubelles afin d’y dénicher quelque nourri-ture ; sur le port, des camions grillagés de la PAF, dans lesquels s’entassent des clan-destins fraîchement « ramassés », attendent patiemment la barge, sous le regard de la population locale. Pour eux, un autre voyage les attend. u
Décharge au pied du mont Choungi.
Pendant la ponte, les garde du
Conservatoire du littoral badgent
les tortues pour mesurer
la fréquence de leurs venues sur
la plage.
Une ponte de tortue au lever du jour
On la distingue d’abord à peine. Dans la pénombre de la nuit mahoraise, elle
passerait pour un rocher. Mais elle bouge. Quitte l’océan en ravinant le sable sur son passage. La tortue cherche son lieu. Au creux des racines d’un baobab ? Finale-ment, ce sera sous les branches d’un buis-son. Commence le terrassement. Elle creuse une cuvette dans laquelle elle disparaîtrait presque.
Sa carapace s’agite soudain, secouée par des spasmes. Elle pond. Entre 80 et 120 œufs
semblables à des balles de ping-pong qui sortent de son corps par paquet de trois ou quatre. Puis elle recouvre, longuement, sa progéniture, à l’aide de ses nageoires qu’elle utilise comme d’immenses pelles pour dé-placer le sable. De son passage restera une trace circulaire sur la plage.
La voilà repartie. Elle tend son cou pour goûter la mer. Puis s’enfonce rapidement dans les vagues. On devine sa carapace. Puis plus rien. Le jour s’est levé. Le ballet a duré quatre heures. u
La fleur qui parfume Mayotte
Littéralement « la fleur des fleurs », l’ylang-ylang occupe une place importante dans
l’activité agricole de Mayotte et constitue l’une des rares matières exportées de l’île. Si l’exploitation de cette fleur a débuté aux Philippines au XIXe siècle, l’archipel des Comores (outre Mayotte, Anjouan compte aussi de nombreux champs d’ylang-ylang) se place en tête de la production mondiale.
Le long des routes et des chemins, des champs entiers d’arbres de la précieuse fleur jaune diffusent un parfum particulier, très fleuri, proche de celui du jasmin.
La plante aux longs pétales est distillée à l’aide d’un alambic. L’opération peut durer entre 12 et 20 heures. Son essence jaunâtre
entre dans la composition de nombreux parfums, de savons et de détergents. La Réunion cultivait aussi cette fleur avant de l’abandonner au cours du XXe siècle. u
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XX
par Alexis Hontang
«Yooouuuu ! Yooouuuu ! » Un cri strident résonne dans le hall de l’aéroport de Pamandzi. Le si-
gnal d’alarme. Un groupe de bwéni se rue vers Mohamed Dahalani, ministre comorien de l’Agriculture. Sous le supplice des doigts agiles des Mahoraises, il se désarticule, gagné par un rire qui ne semble plus finir. 1966 : les chatouilleuses ont fait leur pre-mière victime.
Parmi ces femmes se trouvait Zaina Méresse. Elle a 22 ans lorsque son policier mzungu de mari la quitte pour travailler à Moroni (en 1958, la capitale du protectorat des Co-mores fut transférée de Dzaoudzi à l’île de Grande-Comore, NDLR.). Le départ massif des fonctionnaires provoque le célibat for-cé de centaines de Mahoraises. « En plus, nous étions pauvres, quasiment oubliés du gouvernement de Saïd Mohammed Cheikh. En 1970, il n’y avait que deux voitures dans toute l’île !¸ se souvient Zaina dans un fran-çais approximatif. Il fallait absolument agir. En frappant ? Non, on pourrait nous arrêter pour ça. Nous allons alors chatouiller les Co-moriens de passage à Mayotte ! Personne n’a jamais été emprisonné pour des cha-touilles ! »
« Mal aux pieds »
Pierre Caminade, dans son livre Comores-Mayotte : une histoire néocoloniale, définira les Chatouilleuses comme « une milice fémi-nine ». L’une d’entre elles, Zakia Madi, sera même fusillée par les gardes comoriennes en octobre 1969. « La France, pour être libre ! Les Comores, nous n’en voulons pas ! », reste
la devise fétiche de Méresse, maintes fois répétée, hier comme aujourd’hui. Elle est comme ça, Zaina, elle aime asséner des affir-mations brutales et violentes. À l’évocation de l’immigration clandestine, sans aucune empathie : « Il faut renvoyer les Anjouanais
chez eux ! La politique menée actuellement me convient ».
À Mayotte, elle symbolise l’attachement sans borne des insulaires à la métropole. Aux côtés de Zaina M’Déré ou de Buéni M’Titi, autres grandes chatouilleuses, « nous faisions notre propagande à pied. Au-delà des routes goudronnées, dans les sentiers de terre battue, de M’Tzamboro à Kani-Kéli, nous marchions pieds nus distribuer des tracts, poursuit-elle. Si j’ai mal aux pieds au-jourd’hui, j’ai mes raisons ! »
La départementalisation de Mayotte ? Une question rhétorique. « Nos revendications sont légitimes. Allez dans la rue, les bou-tiques et les voitures fleurissent. L’île se développe, tant mieux ! » Affaissée sous le poids des années, Zaina Méresse, 67 ans, qui a été conseillère générale durant quatre ans, attend aujourd’hui la venue de Nicolas Sarkozy à Mayotte. « Il nous a promis la dé-partementalisation. Il a tenu ses promesses. Nous l’accueillerons à bras ouverts. » Sans chatouilles, bien sûr. u
Entre 1960 et 1970, les Mahoraises luttent, parfois avec violence, pour maintenir Mayotte en France : elles attaquent les hauts-fonctionnaires comoriens en les … chatouillant. Rencontre avec l’une des dernières survivantes du mouvement, Zaina Méresse.
Zaina la guerrière
La chatouilleuse est aussi chevalière de la Légion d’honneur depuis 2004.
PortraitM
AYO
TTE
La chatouilleuse en 1959.