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VENDREDI 6 MARS 2009TRIBUNE DE GENÈVE Idéesde génie 27

Michel Mayor,l’homme qui acontredit Aristote

PIERRE-YVES FREI

Mais qu’est-ce qui leur a prisde se poser une question pa-reille? Ils auraient pu resterles pieds dans le sable, à ap-précier le Soleil pour ce qu’ilfait le mieux: nous réchauffer.

Mais non, il a fallu que,depuis des millénaires, prê-tres, philosophes et savants sedemandent ce que pouvaitbien être ce disque jaune ac-croché dans le ciel et quelsrapports il entretenait avecleur monde.

Au final, leurs cogitationsdonnent l’une des plus belleshistoires de la curiosité hu-maine. Avec son flot de ques-tions qui toutes ont finale-ment trouvé leur réponse, nonsans que certains paient aupassage le prix fort pour leuraudace et leur (im) perti-nence.

La Terre est-elle plate? Non.Le Soleil tourne-t-il autour denotre planète? Non. Les étoi-les sont-elles autant de soleilsrépartis dans l’infinité du cos-mos? Oui. Mais alors existe-t-ild’autres mondes autour de cesastres lointains? Aristote, entout cas, pensait qu’une tellehypothèse était parfaitementincongrue.

Il a fallu attendre 1995 pourqu’une réponse irréfutablevienne clore le débat. En octo-bre cette année-là, la revue

Nature annonce la découvertede la première exoplanète.Traduction: une planète quitourne autour d’un autre so-leil que le nôtre.

Elle s’appelle 51 Peg b etflotte à quelque 42 années-lu-mière de la Terre. Cerise sur legâteau: on doit cette décou-verte à deux astronomes del’Observatoire de l’Universitéde Genève: Michel Mayor etDidier Queloz.

Quelque treize ans plustard, la quête des exoplanètesest devenue l’une des bran-ches les plus fécondes et lesplus en vogue de la scienceastronomique. Des centainesde groupes s’activent désor-

mais dans ce domaine quidissimule à peine son rêve dedénicher un jour une vie ex-traterrestre.

Mais ils n’ont pas encoreocculté le travail de précur-seur de Michel Mayor.L’équipe genevoise, désormaisdirigée par Stéphane Udry,reste en tête du peloton. Surles 300 planètes extrasolairesdécouvertes à ce jour, elle peutencore s’en attribuer plus dela moitié.

Et parmi celles-là, il en estqui laissent songeur. A l’imagede Gliese 581c, révélée en2007. Calculs faits, les astrono-mes genevois envisagent quecet objet, cinq fois plus massifque la Terre et 1,5 fois plus

gros, puisse abriter de l’eausous forme liquide. Et celaparce qu’elle se tient à labonne distance de son étoile,dans la zone d’habitabilitécomme l’appellent les spécia-listes.

Grâce à des instrumentstoujours plus performants, lesexoplanètes capturées sont demoins en moins massives. Lerecord de l’équipe genevoise àce jour: un objet de seulement4,2 masses terrestres.

On est loin, très loin duprofil de la première décou-verte, 51 Peg b. Cette dernière«pèse» environ la moitié deJupiter, qui vaut elle-même318 masses terrestres. Jusque-là rien de très exceptionnel.En revanche, ce qui sidera sesdécouvreurs à l’époque, c’estqu’elle boucle une orbite enseulement 4,2 jours. Autre-ment dit, elle est littéralementscotchée à son étoile et doncchauffée à blanc.

Jusque-là, inspiré parl’étude de notre seul systèmesolaire, on pensait que les pla-nètes géantes gazeuses nepouvaient naître qu’à plu-sieurs milliards de kilomètresde leur étoile. L’existencemême de 51 Peg b exigea deremettre l’ouvrage théoriquesur le métier.

Des chercheurs, comme leBernois Willy Benz, ont expli-qué, depuis, comment certai-nes planètes migraient parfoislors de leur formation en inte-ragissant avec le disque dematière qui entoure touteétoile naissante.

Michel Mayor a pris sa re-traite de l’Université de Ge-nève en 2007. Retraite toute

relative. Il court le mondedepuis, enchaînant les confé-rences et s’offre encore descampagnes d’observation auChili où HARPS, le dernier-néde ses instruments - un spec-trographe - continue de mois-sonner les planètes extrasolai-res dans ce grand jardind’étoiles qu’est le cosmos.

Michel Mayor. Même en retraite, l’astronome court le monde en enchaînant les conférences ets’offre encore des campagnes d’observation au Chili. (KEYSTONE)

❚ 1942: Michel Mayor naît àLausanne.

❚ 1950: à huit ans, il connaît déjàla plupart des constellations.

❚ 1966: après une licence dephysique à l’Université deGenève, il choisit l’étude desgalaxies spirales comme sujetde thèse.

❚ 1971: sa thèse en poche, il selance dans l’étude des étoilesbinaires grâce à un instrumentqu’il a grandement amélioré.

❚ 1995: découvre la premièreexoplanète, 51 Peg b.

❚ 2000: reçoit le très presti-gieux prix Balzan.

Bio express

Bientôt une autre planète «vivante»Un jour, des télescopesspatiaux pourront «voir»des planètes abritant la vie.

Michel Mayor et Didier Que-loz ont peut-être découvert lapremière exoplanète, mais, ilsne l’ont pas vue pour autant.

L’instrument qu’il leur a per-mis cette découverte en 1995, lespectrographe, même s’il esttoujours placé au foyer d’untélescope optique, ne distinguepas les planètes, il les «sent».

Dans les faits, il mesure d’in-fimes variations dans la lu-mière qui parvient des étoilesquand celles-ci subissent l’in-fluence gravitationnelle des pla-nètes qui orbitent autour d’el-les.

Cette méthode, dite des vites-

ses radiales, reste celle qui acapturé la très grande majoritédes 300 objets connus à ce jour.Et elle a encore un bel avenirdevant elle.

Mais déjà d’autres outils seprofilent et remportent leurspremiers succès. Le satelliteeuropéen Corot fonctionne avecla méthode des microlentilles.Capable d’observer des milliersd’étoiles en même temps, ilcherche celles qui montrent ré-gulièrement un pic de lumino-sité. Car lorsqu’une planètepasse entre son étoile et unobservateur, elle agit commeune loupe, en concentrant unepartie de la lumière stellaire.

Le satellite américain Kepler,qui doit être lancé aujourd’hui,fera de même, à une plus

grande échelle. Mais les scienti-fiques pensent déjà à l’avenir.Des télescopes spatiaux si puis-sants qu’ils pourront observerdirectement des exoplanètes.Auparavant, il leur faudra«éteindre» la lumière de l’étoilegrâce à un coronographe. Cen’est qu’alors que les planètesapparaîtront. Et la lumière quinous en parviendra sera gorgéed’informations.

On pourra ainsi dresser unspectre de la composition chi-mique de leur atmosphère. Ets’il devait révéler la signaturede l’ozone – une moléculed’oxygène –, il y aurait fort àparier que la planète abrite lavie. Sous quelle forme, c’est uneautre question.

(pyf)

Tout un samedi la tête dans les étoilesComme chaque samedi jus-qu’au mois de juin, l’Universitéde Genève, dans le cadre de son450e anniversaire, invite le pu-blic à une initiation à la recher-che demain 7 mars.

Après l’archéologie et la Ré-forme, c’est au tour de l’astrono-mie d’être à l’honneur. La jour-née débutera avec une confé-rence de Claudie Haigneré aubâtiment Uni Dufour, de 12h à13h30. Clin d’œil à la Journéeinternationale de la femme qui alieu dimanche 8 mars, la spatio-naute et médecin française yparlera de son parcours de vie.

Dès 14h, les portes de l’Obser-vatoire de Sauverny, près de Ver-soix, seront ouvertes aux curieux.Visites de laboratoires accompa-gnées d’un astrophysicien pour

les grands, ateliers interactifspour les plus jeunes, films en 3Det voyage à travers le Systèmesolaire et la Galaxie pour tous:autant d’activités pour découvrirle vaste univers de l’astronomieet se familiariser avec les révolu-tions scientifiques qui ont trans-formé notre perception dumonde. Dans ce cadre, de 15h à16h, Claudie Haigneré donneraune seconde conférence destinéeplus spécifiquement au jeunepublic.

Anton VosSamedi de l’UNIGE, Les astres

font leur révolution, le 7 mars de12 h à 13 h 30 à Uni Dufour(conférence de Claudie Haigneré)et de 14 h à 17 h à l’Observatoirede Sauverny. Entrée libre, toutpublic (dès 5 ans)

Claudie Haigneré spationautefrançaise (CHRIS BLASER)

❚ Vendredi prochain: Werner Arberet l’invention du génie génétique

A l’occasion du 450e anniversaire de l’Université de Genève, la «Tribune de Genève» et l’alma mater présentent la genèse de 20 idées nées dans la région et qui ont changé le monde. /205

Ve IVe IVe XVe 1600 1992 1995siècle avant J.-C. siècle après J.-C. siècle après J.-C.siècle avant J.-C.

DE LA RUPTURE À AUJOURD'HUI

Infographie: I. Caudullo.Photo: Y. Genevay Textes: P-Y. Frei.

Giordano Bruno meurt sur le bûcher pour avoir défendu l’idée de la pluralité des mondes en mélangeant les idées de Nicolas de Cues et celles de Johannes Kepler et de Nicolas Copernic.

Michel Mayor et Didier Queloz annoncent la découverte de 51 Peg b, la première planète en orbite autour d’un étoile similaire au Soleil.

Aristote soutient un seul principe moteur, et donc un seul monde, le nôtre. Epicure, lui, soutient la pluralité des mondes.

Alexander Wolszan annonce la découverte de deux planètes autour d’un pulsar, une étoile arrivée en fin de vie.

Le cardinal Nicolas de Cues pense que la toute-puissance de Dieu ne le limite pas à la création d’un seul monde.

Les philosophes atomistes prônent la pluralité des corps célestes

Saint Augustin souligne que la nature a été donnée aux hommes par Dieu.Il ne peut y avoir qu’un seul monde.