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> Depuis le 22 mars, l’Université de Genève abrite un 3e pôle de recherche national (PRN), avec le projet

du professeur Klaus Scherer consacré aux sciences affectives

> Premier centre national de recherche au monde dédié à l’étude interdisciplinaire des émotions,

ce nouveau PRN regroupe douze équipes provenant de cinq universités suisses

> Les thèmes abordés au cours des dix prochainesannées mobiliseront des disciplines aussi diverses

que la neurologie, la psychologie, le droit, l’économie,ou l’histoire des religions

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pole positionL’émotion

Dossier réalisé par Anton Vos et Vincent MonnetPhotographies: François Schaer, avec l’aimable collaboration de l’atelier d’improvisation organisé par Eva Vokacova, dans le cadre des Activités culturelles de l’Université

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Quelles relations existe-t-il entre lebien-être et les émotions? Quels sont lesfacteurs qui favorisent le stress, ladépression ou le suicide? Quel rôlejouent les émotions au sein des rela-tions professionnelles et personnelles?Existe-t-il des prédispositions suscep-tibles d’expliquer les agressions crimi-nelles ou la violence en milieu scolaire?Voilà le type de questions auxquellesvont se confronter les chercheurs dupôle de recherche national (PRN) ensciences affectives que l’Université deGenève s’est vu attribuer officiellementen mars 2005 par la Confédération. Reposant sur l’idée que les comporte-ments et les choix, tant individuels quecollectifs, ne peuvent s’expliquer exclu-sivement selon des critères rationnels,ce nouveau pôle est le premier centrenational de recherche au monde dédié

à l’étude interdisciplinaire des émo-tions et de leurs effets sur le comporte-ment humain et la société. Il porteraune attention plus particulière auxcomportements antisociaux ainsiqu’aux liens qui peuvent exister entreémotion et santé. Le nouveau pôle genevois regroupedouze équipes de recherche provenantde cinq universités suisses et représen-tant des disciplines aussi diverses que laneurologie, la psychologie, le droit, laphilosophie, l’économie ou encore l’his-toire des religions. Afin d’optimiser lepotentiel des applications pratiques quipourraient résulter des activités dupôle, ses responsables envisagent égale-ment des collaborations concrètes avecl’Organisation internationale du tra-vail, le Secrétariat fédéral des affaireséconomiques (Seco), le Département ➡

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➡ fribourgeois de la santé et des affairessociales, le Panel suisse des ménages, etdes firmes comme Firmenich ouNovartis. «Cela peut sembler un assem-blage hétéroclite, mais l’une des raisons quiont contribué à convaincre le FNS de nousfaire confiance est sans doute le fait qu’ilexistait déjà des liens importants entre lesdifférentes équipes impliquées dans le pro-jet», explique David Sander, maître assis-tant en psychologie et coordinateurscientifique du PRN. Des liens dont il faut notamment cher-cher l’origine dans le programme«Demain la Suisse». Destiné à dresserl’état des lieux des sciences sociales ethumaines dans le pays, ce programmedu FNS, lancé en 1996 et terminé l’an-née dernière, aura en effet beaucoupcompté dans la genèse du PRN ensciences affectives, que ce soit sur leplan scientifique ou en matière delogistique. «Ce fut une expérience très enri-chissante, témoigne Klaus Scherer pro-

fesseur au sein de laSection de psychologie etdirecteur du pôle. Grâce à«Demain la Suisse», j’aibeaucoup appris sur lamanière dont fonctionne unréseau scientifique. Mesrelations avec certaineséquipes du pôle actuel,comme celle de MeinradPerrez à Fribourg ou celle deNorbert Semmer à Berne,remontent d’ailleurs à cetteépoque. Il est rare qu’unemesure de politique fédéraleen matière de science porteà ce point les fruits espérés,mais dans le cas présent, jecrois que le fait que deuxdes nouveaux pôles – celuide sciences affectives et celuisur la démocratie du profes-

seur Hanspeter Kriesi à Zurich – soientconduits par des personnes qui ont fait leursarmes au sein de «Demain la Suisse» ne doitrien au hasard.»

Trois grands axesDans les faits, l’activité du pôle se divi-sera selon trois grands axes d’étude: lagenèse et l’expression des émotions,leur régulation, leur fonction sociale. Plus particulièrement, le professeurScherer et ses collègues se concentre-ront sur l’étude des déterminantscognitifs de la genèse des émotions. Lestravaux menés en collaboration avecGuido Gendolla, de la Section de psy-chologie, se proposent en premier lieud’étudier sous différents angles et pardifférents moyens les mécanismes quigénèrent les émotions. Et ce en sebasant, comme dans de nombreuxautres projets du pôle, sur la théorie del’appraisal, qui veut que les émotionsque ressent un individu dépendent

principalement de l’évaluation quecelui-ci fait d’un événement en fonc-tion de son bien-être, de ses buts et deses besoins du moment. Le système ner-veux central serait ainsi capable d’éva-luer très rapidement si un objet estpositif ou négatif et si celui-ci facilite ouau contraire entrave la réalisation debuts. «Face à une situation qui vousempêche de réaliser ce que vous envisagez,vous allez ressentir des émotions différentesselon que vous percevez cet empêchementcomme voulu par autrui ou, au contraire,comme étant le fruit du hasard», complèteKlaus Scherer. Pour les chercheurs dupôle, il s’agira ensuite de comprendre sices évaluations sont toutes réalisées enparallèle au niveau du système nerveuxcentral ou si certaines, essentielles pourla survie, en précèdent d’autres quirequièrent un traitement plus élaboré.Membre du Geneva Emotion ResearchGroup de la Section de psychologie,Didier Grandjean tentera de répondre àces questions en poursuivant ses inves-tigations au niveau cérébral par le biaisd’une série d’expériences en électroen-céphalographie, technique permettantde tester systématiquement à quel ins-tant une évaluation cognitive est réali-sée par notre système nerveux central.Les résultats déjà obtenus par le cher-cheur genevois au cours de sa thèse dedoctorat suggèrent d’une part que desmécanismes très précoces, apparaissantavant 150 millisecondes, sont impliquésdans l’évaluation d’événements positifsou négatifs et, de l’autre, que des pro-cessus plus tardifs, prenant placeautour de 300 millisecondes, sontimpliqués pour évaluer si ce même évé-nement facilite ou entrave les buts del’individu. Avec l’appui de Susanne Kaiser, égale-ment de la Section de psychologie, leprofesseur Scherer s’intéressera par

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«Il est rare qu’une mesurede politique fédérale en matière

de science porte à ce pointles fruits espérés»

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ailleurs à la façon dont les émotionssont communiquées, avec une atten-tion plus particulière pour la manièredont les émotions sont reconnues chezautrui, à travers l’expression faciale,vocale, gestuelle ou posturale. «Que cesoit lors de négociations ou d’interactionsmoins formelles, les émotions exprimées parautrui et donc reconnues par l’interlocuteursont déterminantes pour expliquer le succèsou l’échec d’interactions sociales, préciseKlaus Scherer. Comment expliquer que cer-taines personnes réagissent de manièreconstructive à des signes d’énervement, tan-dis que d’autres manifestent de l’agressi-

vité? Un de nos objectifs est d’identifier lesdifférents mécanismes qui pourraientrendre compte de ces variations comporte-mentales au niveau individuel.» Il semble par exemple que, selon lesindividus, certaines modalités senso-rielles soient privilégiées dans la recon-naissance des émotions d’autrui. Alorsque certaines personnes se focalisentsur l’expression du visage, donnantbeaucoup moins d’importance à la voix,d’autres intègrent ces deux types d’informations. La question qui inté-resse les chercheurs du pôle est de par-venir à comprendre comment les ➡

Un champ à défricherDiscipline en pleine émergence,les sciences affectives visent àétudier et à analyser l’influencedes processus affectifs dans lescomportements humains. Depuisquelques années en effet, unnombre croissant de recherchesont montré que les émotionsjouent un rôle sur le jugement etle comportement, non seulementen science mais aussi en politiqueet en économie. Dans ce domaine,qui fut longtemps un bastion desmodèles rationnels de comporte-ment, des Prix Nobel ont ainsirécemment été attribués à deschercheurs qui travaillent sur le rôle des facteurs émotionnelsdans la prise de décision et lejugement, de même que dans des situations de coopération etde concurrence. Selon la mêmelogique, les juristes s'intéressentdésormais aux conditions requisespour que des sanctions soient res-senties comme équitables, tandisque les historiens commencent às’intéresser à la nature des phéno-mènes affectifs caractéristiquesde civilisations antérieures et queles informaticiens proposentd'équiper les ordinateurs de compétences émotionnelles.Dans ce domaine encore neuf,un certain nombre de travaux ont déjà été menés aux Etats-Unis, principalement sur lesaspects qui touchent aux neuros-ciences et à la neuropsychologie.L’affect et les émotions à propre-ment parler ont en revanche encore été peu explorés dans une perspective interdisciplinaire.Et c’est justement le défi que s’apprête à relever les équipesimpliquées dans le PRN du profes-seur Klaus Scherer, co-signatairedu Handbook of Affective Sciences,immense somme publiée parl’Université d’Oxford en 2003 etqui est considéré par beaucoupcomme l’acte de naissance officielde cette discipline.

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➡ informations fournies par ces diffé-rents canaux sont intégrées au niveaucérébral et s’il existe des différencesfonctionnelles susceptibles d’expliquerl’utilisation préférentielle d’une moda-lité sensorielle plutôt qu’une autre. Partant du constat que les personnesjouissant d’un sentiment de bien-êtresont plus flexibles, plus sociables, pluscréatives et plus engagées socialement,le professeur Eid tentera quant à luid’identifier les facteurs environnemen-taux et génétiques susceptibles d’in-fluencer les comportements prosociauxen suivant des paires de jumeaux sur lelong terme.

La maman et l’assassinA Fribourg, l’équipe des pro-fesseurs Perrez et Reichertsse focalisera sur la régulationsociale des émotions avecune attention particulièrepour les interactions fami-liales. Une problématique dumême genre sera abordéepar le duo Semmer et Tschan(des Universités de Berne etde Neuchâtel), mais cettefois-ci dans le monde du tra-vail. Sur les bords de laLimmat, ce sont les effets dustress de la mère sur le déve-loppement de l’enfant quiseront examinés dans uneétude allant de la grossesseaux premiers âges de l’en-fance (Ehlert/Zentner). Toujours à Zurich, ErnstFehr, dont le laboratoired’économie comportemen-tale compte parmi les pluscompétents dans cedomaine, travaillera notam-ment avec une population decriminels. L’enjeu étant decerner les critères qui pous-sent un individu à rompre lanorme et de dépister leséventuels mécanismes céré-braux responsables de cetype de prédisposition. «Lestravaux déjà effectués semblentmontrer que, sous l’influence decertains neurotransmetteurs oud’hormones, comme l’ocytocinepar exemple, certains types

d’actes, altruistes ou agressifs, sont facili-tés», explique Klaus Scherer. Enfin, pour que chacun puisse parlerdes mêmes choses avec les mêmes mots,le professeur Mulligan, du Départementde philosophie, s’est donné pour objec-tif de clarifier un certain nombre deconcepts clés et de dresser une termi-nologie commune à l’ensemble deschercheurs du pôle, en plus d’analyserles émotions autoréflexives telles que lahonte et la culpabilité.«Tous ces projets témoignent d’un souciessentiel pour nous, conclut KlausScherer. Celui de combiner une approche

neuroscientifique et psychophysiologiquecentrée sur l’étude du système nerveux avecune approche psychologique basée surl’étude des processus individuels et desinteractions sociales. Cette synergie entredes disciplines scientifiques qui utilisent desméthodes et des procédures expérimentalesn’ayant pas grand-chose en commun semblea priori constituer un écueil. Mais en réa-lité, on sent un très grand enthousiasme ausein du groupe. Dès nos premières réunions,tout le monde est parvenu à dépasser ses dif-férences pour parler science. Et ça, c’est vrai-ment très encourageant.» ■

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Les Suisses sont des gens heureux.C’est du moins ce que pourrait laissercroire un rapide survol des résultats del’enquête menée par le professeurScherer entre 1997 et 2001. Un travailqui, en apportant des résultats scienti-fiques tangibles, aura permis de validerun certain nombre de pistes derecherche aujourd’hui étudiées par lesmembres du PRN en sciences affectives.Explications.

Irrité, mais satisfaitDurant l’été 1997, un questionnaire estenvoyé à 6000 ménages suisses à qui ilest demandé de raconter de façon aussidétaillée que possible un événementarrivé la veille et ayant suscité chez euxune émotion. Les destinataires sont éga-lement invités à identifier parmi unchoix de 14 émotions celles qu’ils res-sentent le plus fréquemment. Quatreans plus tard, soit juste après les atten-tats du 11 septembre 2001, l’expérienceest reconduite auprès d’un panel limitéà 3000 personnes. En termes d’occurrences, c’est le bon-heur qui arrive en tête de classement.Globalement, ce sont pourtant les sen-timents négatifs comme la colère et latristesse qui dominent parmi lesréponses reçues. «Ces deux émotions pour-raient cependant jouer un rôle moins néga-tif que prévu en termes de bien-être général,précise Klaus Scherer. Notre étude révèleen effet que les personnes qui sont fréquem-ment sujettes à l’irritation se sentent plutôtsatisfaites de leur existence.» Les résultatsindiquent par ailleurs que les diffé-rences entre Romands et Alémaniquesdépassent le langage ou les traditions.Les premiers seraient ainsi deux foisplus exposés au stress et à l’anxiété queleurs compatriotes alémaniques. Unedifférence sensible que l’équipe du pro-fesseur Scherer attribue à la situation

économique plus précaire des cantonsfrancophones et en particulier à untaux de chômage plus élevé.Le fait d’être marié ou de vivre en coupleconstitue également un facteur déter-minant sur le plan émotionnel puisqueces catégories ont 1,5 fois plus de chanced’éprouver de la colère que les per-sonnes célibataires. Comme le souli-gnent les chercheurs, cen’est cependant pas tantle mariage qui est fauteurde troubles que les aléasliés au fait de cohabiter. Al’intérieur du couple, l’en-quête tend à confirmerque les femmes sont plusenclines à éprouver de latristesse, de la crainte etde l’anxiété, alors que leshommes ressentent plusfréquemment du mépris

ou de la colère. Du point de vue généra-tionnel enfin, les personnes âgées sedisent assez logiquement plus heu-reuses et sereines que les jeunes, quimettent davantage en avant la colère etl’irritation. Quant aux attentats du 11 septembre, ilsemble qu’ils n’aient pas eu un impactaussi fort qu’on pourrait le croire surnos concitoyens. «Le nombre et le type

d’émotions ressenties par une populationdonnée semblent remarquablement stablesdans le temps, commente Klaus Scherer.Et le peu de différence que nous avonsconstaté entre nos deux sondages suggèreque les grands événements du monde n’ontpas d’incidence significative sur les émo-tions ressenties au jour le jour et au niveauindividuel. C’est d’autant plus vrai dans un

pays qui, comme le notre, n’a été touché quetrès indirectement par le drame de sep-tembre 2001.»

A chacun son profil émotionnelIl faut cependant se garder de trop degénéralisations. L’enquête montre eneffet que même si certaines tendancessont bien réelles, chaque individu dis-pose de son propre style affectif.Certaines personnes seraient par consé-quent prédisposées à éprouver cer-taines émotions plus souvent qued’autres. Déterminer en fonction dequoi et dans quelle mesure est précisé-ment l’objectif de la première série derecherches prévue par les équipes dupôle. ■

Au pays du bonheurQuelle est la réalité émotionnelle des Suisses? Pour tenter de répondre à cette question, l’équipe de Klaus Scherer a mené l’enquête entre 1997 et 2001. Avec des résultats surprenants

Les Romands seraient deuxfois plus exposés au stresset à l’anxiété que leurscompatriotes alémaniques

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Hyperactivité, agressivité, vandalisme,excès verbaux, quête de sensationsfortes: l’impulsivité est au centre de com-portements qui semblent de plus en plusfréquents dans nos sociétés. Pour autant,les scientifiques peinent encore à définirclairement cette notion et les expé-riences menées sur le sujet ne sont paslégion. Tenter de combler cette doublelacune, c’est l’objectif prioritaire ques’est fixé l’équipe conduite par MartialVan der Linden, professeur de psycholo-gie clinique à Genève, dans le cadre dupôle de recherche en sciences affectives.Ce but atteint, elle se focalisera dans undeuxième temps sur les phénomènesliés à la colère et aux conduites antiso-

ciales, notamment chez les adolescents.Les différentes théories en vigueur àl’heure actuelle permettent de décom-poser l’impulsivité en quatre élémentsdistincts: le «manque de persévérance»,soit une difficulté à se concentrer surune tâche pendant une certaine duréesans être distrait ou perturbé par despensées intrusives; «l’absence de prémé-ditation», qui se traduit par une incapa-cité à prendre en compte les consé-quences positives ou négatives d’uneaction; «la recherche de sensations», quise manifeste par une rechercheconstante d’expériences nouvelles etexcitantes, en dépit des risques encou-rus; «l’urgence», comprise comme l’im-possibilité d’inhiber des réactions fortes(telles que les excès verbaux ou l’agressi-

vité), surtout en condition d’émotionsnégatives. «Notre hypothèse de base est quece découpage permet de saisir de façon satis-faisante les différentes réalités que recouvrel’impulsivité, explique Martial Van derLinden. La première étape du projet consis-tera à vérifier que c’est effectivement le cas àl’aide d’outils d’évaluation fiables, ce quiconstituera déjà un progrès incontestable.» Un certain nombre de recherches visantà identifier les processus cognitifs etaffectifs ainsi que les régions cérébralesspécifiquement impliquées dans les dif-férentes facettes de l’impulsivité sontpar ailleurs déjà agendées. L’équipegenevoise aura notamment l’occasion decollaborer avec le professeur Antoine

Bechara, de l’Université d’Iowa, qui adéveloppé la procédure du «casino»: unepersonne est placée face à quatre tas decartes, et reçoit une certaine sommed’argent en monnaie factice avec pourconsigne de gagner le plus d’argent pos-sible et d’en perdre le moins possible.Pour ce faire, la personne est invitée àretourner une à une les cartes regrou-pées en quatre différents tas. Toute carteretournée entraîne le gain d’une cer-taine somme d’argent, mais certainescartes conduisent également à une péna-lité. L’attribution des gains et des pénali-tés répond à certaines règles que la per-sonne ignore. En fait, le retournementde cartes des deux premiers tas entraîne

Les processus de régulation des émotions et les comporte-ments antisociaux chez les adolescents sont au centredes recherches que mène le professeur Martial Vander Linden dans le cadre du nouveau pôle genevois

L’impulsivité ap

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des gains systématiquement élevés,mais associés à des pertes très impor-tantes. Par opposition, les deux autrestas associent gains moins élevés maispertes plus faibles. La plupart des parti-cipants orientent progressivement leurschoix vers les deux derniers tas. Parcontre, certains patients souffrant d’unelésion cérébrale dans la région frontalecontinuent contre vents et marées àtirer des cartes dans les deux premierstas. En outre, contrairement aux per-sonnes non lésées, ils ne montrent pasde réaction psychogalvanique (qui est unindicateur de réponse émotionnelle)avant de piocher dans les tas à risque, cequi suggère qu’ils ne sont pas «informésémotionnellement» des conséquencesnégatives de leur choix. «Au quotidien,chacun a été contraint de prendre de nom-breuses décisions qui ont eu des conséquencestantôt positives, tantôt négatives sur le planémotionnel, explique Martial Van derLinden. Normalement, ces liens entre déci-sions et états émotionnels sont maintenus enmémoire où ils sommeillent jusqu’à ce que

survienne une situation similaire. Les émo-tions correspondantes ressurgissent alors defaçon automatique, ce qui nous permetd’orienter nos choix en évitant de reproduiresans cesse les mêmes erreurs. Or, nous pen-sons que les personnes caractérisées par unmanque de préméditation sont justementmoins bien informées des risques qu’ellesencourent et qu’elles ne peuvent par consé-quent pas adapter leur comportement defaçon cohérente.» En ce qui concerne l’urgence, les cher-cheurs genevois postulent qu’elledépend fortement de la capacité à inhi-ber une «réponse dominante». Ce méca-nisme cognitif peut être illustré par unetâche très simple: on demande d’abord àune personne de compléter une phrasepar un mot qui lui donne sens. Par

exemple: «Sur une lettre, je colle un…timbre.» Dans un second temps, on luidemande de compléter une phrase parun mot qui ne fait aucun sens (parexemple: «Sur une lettre, je colle un…mécanicien.» Pour y parvenir, il faut êtreen mesure d’inhiber la production dumot qui est automatiquement activé parle reste de la phrase. «Là encore, il s’agitd’une situation très courante, expliqueMartial Van der Linden. Il arrive en effetsouvent que l’on soit obligé de bloquer uneréponse qui vient immédiatement, commepar réflexe, parce que dans un contexte par-ticulier, elle n’est pas appropriée. C’est typi-quement le cas après un déménagement,lorsque l’on a tendance à repartir vers sonancien domicile. Or, nous faisons l’hypothèseque l’urgence serait associée à une difficulté

générale d’inhibition de réponses automa-tiques.»Délibérément orientée vers la résolutionde problèmes concrets, l’équipe du pro-fesseur Van der Linden accordera égale-ment une large attention au rôle de l’im-pulsivité dans les états psychopatholo-giques et en particulier dans les abus desubstance (alcoolisme, toxicomanie,tabagisme) et les conduites antisocialeschez l’adolescent. «Il semble que les proces-sus de dépendance sont intimement liés àl’incapacité d’inhiber une réponse domi-nante (et donc à l’urgence) mais aussi à ladifficulté de résister aux pensées intrusives(et donc au manque de persévérance),conclut le professeur. Et il en va de mêmepour les obsessions et les comportementscompulsifs caractéristiques du trouble obses-sionnel-compulsif (le fameux «TOC»). Reste àcomprendre comment et dans quelle mesure.Mais il faut cependant se garder de toutréductionnisme: divers autres facteurs telsque le contexte socio-économique, l’image desoi, les pressions du groupe sont autant d’élé-ments qui doivent également être pris encompte.» ■

privoisée

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La peur, la surprise, la colère, la joie, latristesse et le dégoût. Il existe un consen-sus scientifique depuis plusieurs décen-nies pour affirmer que l’expérience psy-chologique et l’expression faciale de cessix émotions sont partagées par toutesles cultures. Pour un Japonais, un Suisse,un Pygmée ou un Indien d’Amazonie,un visage joyeux se manifestera toujourspar une légère ouverture de la bouche,les commissures des lèvres tirées enarrière, et un léger plissement des yeux.En revanche, les chercheurs sont pro-fondément divisés sur le fait que cesémotions, en plus d’être universelles,représentent des catégories physiolo-giques distinctes. Autrement dit, quechacune d’entre elles correspondrait àune expérience entièrement différente,qu’elle serait liée à l’activité d’unerégion du cerveau qui lui est propre etqu’il serait impossible d’en vivre deuxou un mélange de plusieurs simultané-ment. Un des projets du Pôle national derecherche sur les émotions est de sou-mettre cette théorie dite catégorielle,ainsi que les explications alternatives,au test de la neuro-imagerie fonction-nelle. Aux commandes du scanner:Patrik Vuilleumier, professeur adjointsuppléant au Département de neuros-ciences cliniques, connu pour ses nom-breux travaux sur la perception et lesémotions, en particulier la peur.

Mesure de la peur«Ces dernières années, avec l’avènement del’imagerie cérébrale, plusieurs études ontsemblé confirmer la théorie catégorielle,explique le jeune chercheur. Pour ne par-ler que de la peur, on voit bien qu’elle est for-tement associée à l’activité de l’amygdale,une zone située dans une partie interne ducerveau (au sein des régions limbiques). Les

images de l’activité neuronale obtenues avecl’IRMf (imagerie par résonance magnétiquefonctionnelle) chez des volontaires soumis àdes stimuli visuels censés éveiller la craintel’ont largement démontré. On a égalementobservé que des patients souffrant de lésionscérébrales au niveau des amygdales neréagissent plus aux mêmes tests. C’estcomme s’ils avaient cessé d’avoir peur et dereconnaître les signaux de danger.»La peur s’exprime de plusieurs manières

que le sujet ne contrôle pas, mais que lechercheur peut mesurer aisément. Leprincipe est le même que celui d’undétecteur de mensonge: une électrodesur le doigt capte l’augmentation de latranspiration, d’autres sondes suivent lerythme cardiaque et le dilatement de lapupille. Ces manifestations sont contrô-lées par l’amygdale, qui joue un rôlemajeur dans l’apprentissage de la peur.Les objets ou événements terrifiants y

La grande peurUne équipe spécialisée dans l’imagerie médicale se penchera sur la composantecérébrale des émotions. Comment sont-elles gérées par le cerveau? Explicationsde Patrik Vuilleumier, du Département de neurosciences cliniques

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sont mémorisés au cours de la vie et,face à un stimulus visuel ou auditifsignalant un tel événement, l’amygdalemet le corps en alerte avant même quel’information n’ait eu le temps deremonter à la conscience. «On a remarquéque le dégoût semblait aussi avoir sa zonecérébrale de prédilection, poursuit PatrikVuilleumier. Il s’agit de l’insula, une régioncachée dans un pli du cerveau et connue jus-qu’à maintenant pour son implication dansles fonctions digestives, dans la sensibilitéviscérale et le rythme cardiaque. Elle estaussi activée par la douleur. Certaines de cescaractéristiques sont compatibles avec ledégoût qui exprime un rejet viscéral, juste-ment, et nous fait nous boucher le nez pouréviter d’inhaler d’éventuelles odeurs fétides.»Quant à la colère, elle semble avoircomme centre les ganglions de la base,plus précisément le striatum, tradition-nellement associé à la motricité.Certains patients présentant des lésions

à cet endroit perdent en effeten partie ou totalement lacapacité de se mettre encolère. Et lorsqu’on leurmontre des visages en colère,ils parviennent difficilement à identi-fier l’émotion qui leur fait face.En ce qui concerne la tristesse, la joie etla surprise, les choses sont moinsclaires. Aucune région du cerveau n’aété clairement associée à l’une de cesémotions. Mais cela est peut-être sim-plement dû au manque de recherchesdans le domaine.

Observations contradictoires«Cette théorie, qui lie les six émotions de baseavec des zones cérébrales distinctes, ne faitcependant pas l’unanimité, précise PatrikVuilleumier. Certains la jugent trop sim-pliste. Et de fait, quelques études montrentque l’amygdale s’active aussi au moment dela satisfaction sexuelle. D’un autre côté, la

peur semble acti-ver aussi d’autrescentres nerveux,comme l’insula.»Ces observa-

tions contradictoires avec la théoriecatégorielle donnent une image pluscomplexe de la réalité et ont donné nais-sance à une série d’autres théories.L’une d’elles propose, de manière trèssimplifiée, que le cerveau fonctionneselon deux axes: bon/mauvais et évite-ment/approche. Ce référentiel définitalors un espace dans lequel on peut pla-cer les différentes émotions. Parexemple, l’activation de valeurs néga-tives combinées avec l’évitement pour-rait correspondre à la peur, mais combi-nées avec l’approche pourrait corres-pondre à la colère ou l’agressivité.«Ma vision des choses, en accord avec plu-sieurs données neurophysiologiques, est quechaque émotion correspond à l’activationd’un réseau neuronal comportant un ou plu-sieurs pics localisés (des «points chauds»),estime Patrik Vuilleumier. La peur est trèsassociée à l’amygdale, mais elle mobiliseaussi d’autres centres en même temps. Ainsi,chaque émotion peut être associée à un pro-fil d’activité neuronale particulier – commeun paysage avec des montagnes et des val-lées, où les creux sont tout aussi importantsque les bosses. Mon objectif, dans ce pôle, estde tester ces différentes théories.»L’outil principal du chercheur seral’IRMf utilisé chez des sujets volontairessains. Alors que leur activité cérébralesera intimement scrutée par le scanner,les participants seront soumis à une bat-terie de stimuli visuels, mais aussi audi-tifs ou même olfactifs. Les sujets devrontévaluer les images et les voix qu’ils per-cevront, mais aussi les sentiments évo-qués en eux-mêmes, afin de corréler lesrésultats de l’imagerie avec leur percep-tion affective subjective. «J’aimerais aussidévelopper des tests basés sur l’utilisationd’images virtuelles, pour évoquer des condi-tions moins artificielles, souligne le cher-cheur. Peut-être que le pôle de recherche don-nera les moyens d’y parvenir.» ■

dans l’amygdale

Le Département de neurosciences cliniques dirigeun deuxième projet au sein du Pôle de recherchenational sur les émotions. L’équipe de PatrikVuilleumier, professeur adjoint suppléant, se pro-pose en effet d’étudier aussi les problèmes queprovoquent les lésions cérébrales sur le comporte-ment social. «Aujourd’hui, on sait reconnaître etgérer les conséquences sur la motricité de telleslésions, précise le chercheur genevois. On peut éga-lement aider les gens qui perdent l’usage de la paro-le ou de la mémoire par des exercices de réhabilita-tion. Mais sous sommes dramatiquement incompé-tents en ce qui concerne les troubles affectifs, quitouchent les émotions. Ces derniers sont pourtantune cause majeure des problèmes de réinsertionprofessionnelle, familiale et sociale.»En effet, la personne qui perd la notion de limitedans la colère ou qui ne ressent plus de joie à la suite d’un accident cervical développera de la frustration et de l’irritation. Elle risque aussid’avoir un comportement dérangeant pour son

entourage sans s’en rendrecompte, avec le risqued’être marginalisée. «Nousvoulons étudier ces patientsafin de permettre unemeilleure évaluation desdégâts au niveau des émo-tions – les accidents de laroute fournissent malheu-reusement beaucoup deblessés atteints au cerveau,poursuit-il. Cela permettrade créer une meilleure pro-cédure de prise en charge de ces personnes. Pour cela,nous allons intensémentcoopérer avec les autresgroupes du pôle derecherche et avec les cliniciens concernés.»

Gérer les troubles affectifs

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Campus: Comment s’articule le lienentre les émotions et ce qui touche à lareligion, au rite ou au mythe?Philippe Borgeaud: Les rites, les tradi-tions mythiques et ce que l’on appelleraplus tard les religions touchent à l’iden-tité même de l’individu. Dans les socié-tés antiques, c’est essentiellement à tra-vers ce biais que se définit l’apparte-nance à un groupe social, élémentnécessaire à l’équilibre de l’êtrehumain, c’est dire l’énorme chargeaffective qu’ils véhiculent. Et les reli-gions sont également un excellentmoyen de ritualiser l’émotion.

C’est-à-dire? > La souffrance, par exemple, a été exploi-tée depuis l’Antiquité. Les cérémoniesconsacrées à Adonis ou Attis comportentdes moments très lugubres. En Egypte,l’histoire d’Isis et d’Osiris, tué et découpéen morceaux par Seth avant d’êtrereconstitué par Isis, repose d’un bout àl’autre sur la passion. Sans parler de lafigure du Christ en croix. Cependant, autravers du rituel, ces émotions sont théâ-tralisées et les initiés sont parfois claire-ment conditionnés pour être particuliè-rement réceptifs à certaines émotions.En offrant un exutoire à ses membres, lecérémonial devient ainsi un moyen deconsolider la communauté. Un de nosobjectifs prioritaires dans le cadre duPRN sera précisément de répertorier lesdifférents mythes et rites qui touchent àla gestion des émotions.

C’est une approche neuve?> En histoire des religions, la questiondes émotions constitue un dossier

important depuis le XIXe siècle. De nom-breux travaux ont déjà porté sur ladimension intérieure de la foi reli-gieuse. Publié en 1917, Le Sacré de RudolfOtto a longtemps été considéré commeun texte fondateur dans ce domaine.Mais son approche,basée sur une analysecomparative desmodes d’appréhen-sion du divin (par lacrainte ou l’admira-tion), est aujourd’huidépassée. De leurcôté, les anthropo-logues ont surtoutabordé le fait reli-gieux sous l’angle desinterdits. Et ce, à par-tir d’une approchesouvent centrée surdes questions delogique ou de taxinomie ne tenant pasvraiment compte du rôle des émotions.

Qu’espérez-vous du pôle en sciencesaffectives?> Repliées sur elles-mêmes, les scienceshumaines n’ont pas vraiment d’avenir. Ames yeux, l’un des intérêts principauxdu pôle, c’est qu’il permettra de redéfi-nir la problématique de l’affect reli-gieux dans un cadre où interviennentégalement des représentants dessciences dures. La confrontation avecdes spécialistes du cerveau, par exemple,sera forcément enrichissante.

Quel sera votre champ d’étude?> La première année devrait nous per-mettre de dresser un grand inventaire

des différentes manières d’exprimerl’émotion dans les civilisationsanciennes et classiques en mettant l’ac-cent sur certains thèmes comme le rap-port entre honte et culpabilité, qui inté-resse également beaucoup nos collègues

de psychologie, dephilosophie analy-tique ou de droit. Ils’agira d’un travailconsidérable, dans lamesure où le vocabu-laire employé pourdécrire les émotionspeut beaucoup varierd’une langue àl’autre. Il existe aumoins trois ou quatretermes grecs pourdécrire ce que noustraduisons aujour-d’hui par le senti-

ment de honte. De même, la «psyché»chez Homère est loin de l’âme au senschrétien actuel.

Concrètement, comment allez-vous pro-céder?> Le noyau de notre projet sera un atelierd’anthropologie historique comparée.Nous allons nous réunir chaquesemaine pour exposer nos résultats etdiscuter de certaines thématiques pré-cises, communes ou au contraire incom-patibles. Une fois par année, nous orga-niserons un colloque avec des spécia-listes internationaux et les conseillersextérieurs qui supervisent notre projet.Dans deux ans, nous devrions être enmesure de publier un ouvrage présen-tant nos découvertes. ■

La religion,théâtre des émotionsDresser l’inventaire des émotions dans les mythes et les rites des civilisationsanciennes, c’est l’objectif que s’est fixé l’équipe du professeur Borgeaud, histo-rien des religions, dans le cadre du PRN en sciences affectives. Entretien

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En 2001, le Fonds national suisse de la recherche scientifique(FNS) inaugurait un nouvel instrument de promotion de larecherche en lançant 14 Pôles de recherche nationaux (PRN), dontdeux installés à Genève: Frontiers in genetics, dirigé par le profes-seur Denis Duboule et Materials with Novel Electronic Properties,sous la conduite du professeur Øystein Fischer.Après un bilan intermédiaire faisant état du franc succès del’opération, un nouvel appel à candidatures a été lancé par leFNS en 2003, mais cette fois à destination exclusive des sciencessociales. A l’issue du processus, six projets ont été retenus par le secrétaire d’Etat à la Science Charles Kleiber et le conseillerfédéral Pascal Couchepin. Il s’agit de:> «Sciences affectives: les émotions dans le comportement indi-viduel et les processus sociaux», basé à Genève et placé sous ladirection de Klaus Scherer, professeur de psychologie. Budgetpour quatre ans: 10 millions alloués par le FNS et 10,2 millionsprovenant d’autres sources, dont l’Université de Genève.> «Critique iconique. Le pouvoir et le sens des images», basé àBâle et placé sous la direction de Gottfried Boehm, professeurd’histoire de l’art. Budget pour quatre ans: 7,1 millions alloués par le FNS et 13,4 millions provenant d’autres sources.

> «Les conditions-cadres du commerce international: de la frag-mentation à la cohérence», basé à Berne et placé sous la direc-tion de Thomas Cottier, professeur de droit. Budget pour quatreans: 10,4 millions alloués par le FNS et 2,3 millions provenantd’autres sources.> «Swiss Etiological Study of Adjustement and Mental Health»(SESAM), basé à Bâle et placé sous la direction de JürgenMargraf, professeur de psychologie. Budget pour quatre ans:10,2 millions alloués par le FNS et 11,6 millions provenantd’autres sources.> «Transformations, changements et connaissances desmédias», basé à Zurich et placé sous la direction de ChristianKiening, professeur en philologie. Budget pour quatre ans:5,7 millions alloués par le FNS et 2,3 millions provenantd’autres sources.> «Exigences pour la démocratie au XXIe siècle», basé à Zurich

et placé sous la direction de Hanspeter Kriesi, professeur enscience politique. Budget pour quatre ans: 7,1 millions alloués par le FNS et 7,4 millions provenant d’autres sources.

Référence: www.snf.ch/fr/rep/nat-_ccr.asp

Six pôles pour les sciences humaines

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Campus N° 76

S’il est un domaine dans lequel onaimerait que les choix soient dictés parla raison, c’est bien celui du droit.Pourtant, les lois ne sont-elles pas deplus en plus le produit des émotionsdominant la société au moment de leurélaboration? C’est cette interrogationqu’une équipe du Pôle national de

recherche sur les émotions va tenter decreuser en s’appuyant sur la figure de lavictime, dont la visibilité croissantedans les médias et, partant, dans lapopulation a sans doute déjà beaucoupinfluencé les textes juridiques. Le der-nier exemple en date étant probable-ment l’acceptation en février 2004 par

le peuple de l’initiative populaire «Pourune vraie perpétuité», qui permet désor-mais d’interner à vie les délinquantssexuels ou violents qualifiés d’extrême-ment dangereux et non amendables.«La montée en puissance de la figure de lavictime dans la sphère pénale pose parfoisdes problèmes à la justice, notamment au

droit de la défense, expliqueAlexandre Flückiger, profes-seur adjoint au Départementde droit institutionnel. C’estindéniable, le malheur d’une per-sonne lésée, sa souffrance, le récitde son vécu touchent les auditeursau plus profond d’eux-mêmes.» Lesmédias, répondant à unedemande de leur lectorat, s’em-parent de ces histoires susci-tant compassion, effroi oudégoût. La tribune de plus enplus grande offerte ainsi auxvictimes influence ensuite lesresponsables politiques et leslégislateurs. Pour se rendrecompte de l’importance decette évolution, il n’est que derappeler l’affaire de cettefemme qui a prétendu avoir étéagressée en juillet 2004 dans lemétro parisien et qui a mis enémoi toute la classe politique.En réalité, elle avait toutinventé. Mais tout le monde amarché sans ciller.«Il faut préciser que nous n’allonspas traiter du thème de la psycho-logie dans le droit, expliqueNoëlle Languin, sociologue etresponsable du projet. L’analysedu comportement des acteurs de lajustice (juge, jury, etc.) et desaspects psychologiques des prisesde décision a déjà été largementdéveloppée, surtout aux Etats-

Les émotions influencent, plus que jamais, l’élaboration des lois en Suisse.Une équipe de chercheurs se penche sur les mécanismes et les enjeux qu’implique cette évolution

Quand les victimes grecherche dossier l’invité extra-muros étudiants actualités

émotions

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Unis. Ce qui nous intéresse, en revanche, estd’étudier la façon dont les émotions jouentun rôle dans l’élaboration des lois en Suisse,un domaine encore très peu défriché.»Le cadre de travail, concrètement, serala Loi sur l’aide aux victimes d’infrac-tions (Lavi), entrée en vigueur en 1993.Les chercheurs effectueront notam-ment une évaluation rétrospective de cetexte, de ses révisions et de la jurispru-dence afin de préciser de quelle manièrela place croissante de la victime s’estconcrétisée d’un point de vue législatifen Suisse. Ils interrogeront victimes etacteurs impliqués dans la mise en pra-tique de cette loi.L’essor de la victimologie a égalementdes répercussions dans la justice pénaleet peut mener notamment à une redéfi-nition du sens de la peine. C’est ainsique d’une action en justice confrontantl’accusé à l’ordre social, on serait entrain de passer à un système de média-tions, mettant en relation directe la vic-time et l’accusé, tandis que la société estreléguée au second plan. L’équiped’Alexandre Flückiger, qui comprendégalement les professeurs de droit pénalChristian-Nils Robert et Robert Roth,s’attachera à dévoiler les enjeux juri-diques de ces mutations. ■

On ne peut pas, sans porter atteinte de manièreintolérable à la liberté individuelle, créer une loiqui oblige les motards à faire don de leurs organess’ils venaient à décéder des suites d’un accident liéà leur choix de mode de locomotion. Il n’est paspossible non plus, pour la même raison, decontraindre légalement le port du préservatif pouréviter la transmission de maladies comme le sida.Pourtant, le gouvernement aimerait, dans un cascomme dans l’autre, résoudre un problème desanté publique grave pour lequel il n’existe pasbeaucoup d’autres solutions. Comment s’en sort-il? Il joue sur les émotions (culpabilité, peur…) dupublic à travers des campagnes de sensibilisation.Parallèlement à l’étude du droit vu comme un pro-duit des émotions (lire ci-contre), l’équiped’Alexandre Flückiger, professeur adjoint auDépartement de droit institutionnel, s’intéresseraaux émotions utilisées comme instrument derégulation. L’idée est de voir comment l’Etat s’ap-puie sur ce genre de campagnes de sensibilisationet, de manière plus générale aussi, sur des recom-mandations et des gentlemen agreements pourparvenir à ses fins. Quels sont les mécanismesémotionnels mis en œuvre et, surtout, quel estle potentiel ou le danger de manipulation?

«Nous allons nous concen-trer sur le don d’organes,précise Noëlle Languin,sociologue et pilote du projet. Il s’agit d’une problé-matique très intime, quiplace chacun face à sapropre mort, soit en tantque donneur potentiel, soiten tant que victime enattente d’un organe quipourrait sauver sa vie, maisdont on sait qu’il existe une grave pénurie.»«Le danger vient du faitqu’il n’existe plus de contrô-le démocratique sur cesactes que l’on qualifie desoft law, poursuit AlexandreFlückiger. On ne vote pas surune campagne de sensibili-sation. Comment peut-onalors s’y opposer en cas de dérapage?»

La culpabilitécomme instrument de l’Etat

uident le droit

«La montée en puissancede la figure de la victimepose parfois des problèmesau droit de la défense»


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