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Vers un nouveau concordat?Author(s): Marc AndraultSource: Archives de sciences sociales des religions, 48e Année, No. 123 (Jul. - Sep., 2003), pp.5-39Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30118765 .

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Arch. de Sc. soc. des Rel., 2003, 123 (juillet-septembre) 5-39 Marc ANDRAULT

VERS UN NOUVEAU CONCORDAT?

En f6vrier 1976, R. Etchegaray, pr6sident de la CEF, annulait une rencontre & Matignon avec le premier ministre J. Chirac, celui-ci ayant pr~venu la presse (DC, p. 240 (1)); en mai, il se plaignait que personne n'ose toucher aux textes incoh&- rents et contraires & une saine d6mocratie >> rigissant les libert~s cultuelles (Enseignement catholique actualitis, mai-juin 1976). Le 12 f6vrier 2002, soit un quart de si~cle plus tard et deux sidcles apris le concordat conclu entre Bonaparte et Pie VII, le premier ministre L. Jospin, ayant & son c6t6 le ministre de l'Int6rieur D. Vaillant, a requ solennellement le nonce apostolique F. Baldelli, l'archev~que de Paris J.-M. Lustiger, ainsi que les president et vice-pr6sident de la CEF J.-P. Ricard et M. Pontier. Selon Matignon, il s'agissait d'organiser << des rencontres r6gulibres en vue de proc6der & l'examen de probl~mes d'ordre administratif et juridique qui se posent dans les relations entre l'Eglise catholique et l'Etat en France >> (LM, 27/02/02) (2). Les deux partenaires ont pr6cis, qu'il n'6tait pas question de modi- fier la loi de 1905, dite < de s6paration des Eglises et de l'Etat >, afin de ne pas << rouvrir la boite de Pandore des luttes anticl6ricales >> (3). Ce pr6alable, avec le mime motif exprim6 dans les m~mes termes, a 6td rditbrd en f6vrier 2003 par J. Chirac, r6pondant

. un appel d'intellectuels (LM, 5/02/03, 20/02/03), et en avril

par J.-M. Lustiger (RTL, 13/04/03). Des deux c6t6s, on estime done que les d6fen- seurs de la laicit6 admettent aujourd'hui des contacts entre l'Eglise et l'Etat sur l'application de la loi mais non une r6vision du texte. La principale r6action n~ga- tive est venue de J.A. de Clermont, pr6sident de la FPF, 6tonni que les hauts dignitaires de l'Eglise catholique >> aient 6t6 regus dans de telles conditions et regrettant l'accord bilateral intervenu

. propos d'une loi dont il estime n6cessaire

l'adaptation (LC, 13/02/02 et 26/03/03 ; LM, 26/03/02 et 24/09/02 ; Ref 28/03/02) (4).

(1) Les rdf6rences correspondant aux prises de position des acteurs seront (sauf longueur excessive) indiquies entre parentheses. Voir en annexe le sens des abr6viations.

(2) Les parties se sont mises d'accord sur les points & aborder lors des rencontres ultdrieures: l'enseignement catholique, le fonctionnement des aum6neries, la gestion des 6glises et des cathddrales, les problmes fiscaux, la bio6thique et le droit de la famille, I'enseignement du fait religieux, la cat6- chase, les probl~mes de fiscalitd.

(3) La Croix du 13/02/02 renvoie aux d6clarations faites par la partie eccl6siastique A << une poign6e de journalistes >> ; selon La Vie du 21/02/02, chacun jure, << la main sur le coeur, que la loi de 1905 n'a pas & &tre rdvis~e >>.

(4) Les deux confessions chrdtiennes ont admis leur ddsaccord sur ce point (LC, 6/12/02).

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La Vie au contraire a salu6 dans l'6v6nement < un pas au-del& de la loi de s6pa- ration >> (21/02/03). Nous verrons que la hi6rarchie catholique, pour sa part, estime avoir franchi une nouvelle 6tape vers un objectif qu'elle poursuit depuis 1905: retrouver, explicitement ou & d6faut implicitement, le statut public perdu depuis que la Rdpublique C ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte >> (article 2 de la loi). Nous tenterons de montrer ensuite que des deux c~t6s (eccl~siastique et gouvernemental) pr6vaut une attitude pragmatique visant & trouver, en-deqi des principes, un compromis acceptable.

Une nouvelle 6tape dans une longue marche

En mai 1996, J.-M. Lustiger, & qui l'on demandait s'il fallait <( rdamnager > les relations entre l'Etat et l'Eglise catholique, r~pondait : < Aprks des luttes antire- ligieuses violentes, elles ont dt6 dlabor6es par la jurisprudence et les pratiques administratives comme un compromis pragmatique capable de r6pondre, aujourd'hui encore, & la diversit6 des situations. La sagesse des gouvernements et de l'histoire a permis d'apprendre & gdrer des r~alit~s plut6t qu'& poursuivre des batailles iddologiques. Mais (...) l'Etat ne peut pas faire comme si les catholiques n'existaient pas (LM, 26/05/96). C Or l'archev~que de Paris avait affirm6 en 1988 que, pour permettre i l'Eglise d'exercer ses droits, l'Etat devait red6finir les conditions de la s6paration >> (LM, 5/10/88). C'est-&-dire modifier la loi. En sep- tembre 1996, G. Defois, archev~que de Reims, d6clarait en effet: << Mme si cer- tains ont 6mis des opinions diff6rentes, je ne revendique pas du tout, pour ma part, la remise en question de la loi de 1905 (LM, 17/09/96). >> C'est pourtant lui qui, en tant que secr6taire g~ndral de la CEF, I'avait en 1981 invit6e & r~fl~chir i C un nou- veau type de visibilit6 et d'intervention C pouvant conduire i terme i une nouvelle ddfinition des rapports entre l'Eglise, charg6e du C service public de la transcen- dance >, et l'Etat (LC, 1/11/81). Rendre le catholicisme plus visible, telle 6tait l'une des consignes donndes par Jean-Paul II lors de sa premiere venue en France l'ann6e pr~c6dente (5).

En 1981, la suggestion de G. Defois 6tait cependant inopportune. La veille, les 6v~ques s'6taient fixd comme priorit6 la lutte contre le projet d'unification de l'enseignement inclus dans les 110 propositions du nouveau pr6sident de la Rdpublique, F. Mitterrand. En novembre 1983, J. Vilnet, leur pr6sident, se procla- mait soucieux de C sauvegarder >> le rdgime de separation, qui leur permettait en particulier de s'exprimer en toute libert6 sur la question scolaire (DC, 1983, p. 1091). A l'occasion des manifestations impressionnantes du premier semestre 1984 contre le projet Savary, qui, i d6faut de nationaliser les 6tablissements sous contrat (i 95 % catholiques), les soumettait i un contr61e plus 6troit de l'Etat, A. Decourtray

(5) Alain VIRCONDELET, Jean-Paul II, Paris, Julliard, 1994, pp. 345-368. Selon Gilles KEPEL (La revanche de Dieu, Paris, Seuil, 1991, p. 114) et Philippe PORTIER (Eglise et politique en France au xxe sikcle, Paris, Monchrestien, 1993, p. 141), c'est le Vatican, relay6 par J.-M. Lustiger et A. Decourtray, qui a incit6 les 6v~ques frangais 6 mettre en cause la loi de 1905.

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(DC, 1984, p. 215), J.-M. Lustiger (LM, 5/06/84), puis le Conseil permanent de l'dpiscopat (DC, 1984, p. 813) se ddfendaient de toute arribre-pens~e de reconquite politique.

C'est qu'il est parfois risqud de lutter en mime temps sur les deux fronts. << La loi de separation, lit-on dans une lettre collective des 6v~ques du 7 mai 1919, est contraire a l'ordre voulu par Dieu, mais on peut s'en accommoder dis lors que l'Etat respecte les droits de l'Eglise, notamment celui de disposer d'dcoles chr&- tiennes (6). > Si entre 1981 et 1984 leurs successeurs l'avaient contest~e ouverte- ment, ils auraient non seulement dispersd leurs forces mais aussi affaibli leurs allies, les parlementaires opposes i la modification de la loi scolaire votde en ddcembre 1959. Premier ministre a l'6poque, M. Debra, pour vaincre les r~sistan- ces, avait plaidd devant l'Assembl~e nationale que le temps 6tait loin oii les catholi- ques refusaient les principes r6publicains (JO, AN, 1959, p. 3596). D~put6, il allait reprendre cet argument en 1984 pour d~fendre le texte auquel son nom demeurait attache; le lendemain, un socialiste susciterait les rires de l'opposition en affirmant que l'Eglise catholique n'acceptait pas la s~paration (JO, AN, 1984, pp. 2502 et 2540). La prudence est une vertu cardinale, au nom de laquelle B. Guerry, arche- v~que de Cambrai, s'en 6tait pris en 1958 t ceux qui, au risque de tout compro- mettre, refusaient de repousser a des jours meilleurs l'exigence d'une rdf~rence & Dieu dans la Constitution (DC, 1958, col. 1270). Elle fait aussi partie de l'art de la guerre expose voici vingt-cinq sidcles par le chinois Sun Zi : elle conduit a ddcider en fonction de ses ressources et non des objectifs, t mesurer le temps, et parfois a << oser la fuite >> (7).

C'est pourquoi en avril 1986, J. Vilnet vantait encore le C paradoxe frangais > (la separation libbre la religion) et ajoutait: C L'Eglise n'a pas la prdtention (...)

d'etre l1gitimde et privil~gide grace a un concordat avec l'Etat. Au risque de vous surprendre, puisque le problkme scolaire a retenu l'attention de tous, j'atteste que nous le vivons pacifiquement, en dehors de tout esprit de reconquite d'une situa- tion qui fut en d'autres sibcles exclusive ou privilkgide pour le catholicisme (Esprit, avril 1986, p. 257). >> Mais un an et demi plus tard, en ouvrant l'assembl~e pl6nibre de 1987, il d~clarait: <t L'heure semblerait venue de travailler, avec d'autres, a red~finir le cadre institutionnel de la lai'cit6 (DC, 1987, p. 1129). >> En 1988, dans les mimes circonstances, A. Decourtray, son successeur a la tate de la CEF, reve- nait a la charge. << La conjoncture est favorable C>, observait-il, a l'instauration d'une lai'cit << nouvelle C et ouverte >>, la < vritable laicit6 >, (DC, 1988, p. 1124). >> En 1989, il demandait une << sparation a visage humain, plus respectueuse du rdel, ddnude de toute ideologie >> (LM, 3/11/89). La modification de la loi de 1905 dtait devenue, selon le mot de J.-F. Stehli, C le grand dessein des 6v~ques >> (L 'Express, 4/11/88).

Ou plut8t redevenue. La formule << l'heure semblerait venue >> ne trahit pas seu- lement la fin de l'autocensure imposde depuis 1981 ; elle fait echo au communique par lequel le 10 mars 1925, cinq ans apr~s que l'&piscopat se fut r~sign6 provisoire- ment a la separation, I'ACA avait pr6conis6 l'attaque frontale contre C les lois de

(6) Cit6 par Jacques PRiVOTAT, Etre chritien en France au xxe sidcle, Paris, Seuil, 1998, pp. 30-31. (7) Luc JACOB-DUVERNET, Le miroir des princes, essai sur la culture stratigique des princes qui

nous gouvernent, Paris, Seuil, 1994, pp. 73-82.

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lai'cit6 >> - en particulier celles de 1882 concemrnant l'6cole publique et de 1905 -: < Jamais depuis plus de cinquante ans l'heure n'a paru aussi propice. >> L'expres- sion < s6paration & visage humain >, allusion au C socialisme & visage humain >> oppos6 par la gauche d6mocratique des annies quatre-vingts aux regimes de l'Est qui pers6cutaient les croyants, rappelle l'accusation d'entrave & l'exercice du minis- thre pastoral prof~r~e contre la loi de 1905 par le texte de 1925. Celui-ci, lorsque la revendication directe risquait de < heurter de front les lgislateurs lai'ques >>, conseillait une autre C tactique >> : obtenir une application souple des lois et pro- gressivement leur << d6su~tude >.

En 1986, la d6n~gation du pr6sident des 6v~ques portait sur leurs objectifs mais 6galement sur l'intention qu'on leur pritait de profiter, pour les atteindre, de la vic- toire de 1984 (le 12 juillet, & la suite des manifestations, F. Mitterrand avait retird le projet Savary). Or J. Vilnet et A. Decourtray ont bien song6 & exploiter ce succis pour << conqu~rir de nouvelles positions >> (8). L'attente de trois ans s'explique elle aussi & partir de la d6claration de 1925, qui privoit, pour la r6ussite de la premiere tactique, trois actions: sur l'opinion, sur le gouvernement, sur le 16gislateur (nous ne distinguerons pas ici ces deux dernibres instances).

A l'6poque d~j&, l'heure avait paru propice apr~s que des rassemblements de masse eurent fait 6chec & un projet de loi 6mis par un gouvernement de gauche et combattu par l'Eglise (9); I'action sur l'opinion publique n'en avait pas moins semblk encore n6cessaire. En 1984, l'6piscopat lisait dans les manifestations le signe que, << pour la masse des Frangais >>, l'Eglise defend les droits de l'homme C parce qu'elle se soumet aux droits de Dieu > (J.-M. Lustiger, VA, 2/07/84), et le souhait de la voir jouer un plus grand r6le dans la vie publique (cf. LM, 13/12/88). Mais l'archev~que de Paris jugeait encore insuffisante l'6volution des esprits : C Le devoir imp6rieux des Eglises n'est pas en priorit6 de s'efforcer d'endiguer tant bien que mal des s6cularisations institutionnelles, mais de faire d6couvrir les fonde- ments bibliques et chritiens de la modernit6 (OCOV p. 501). C On pergoit ici en germe la rh6torique destinde & s'6panouir l'heure venue. Les << s6cularisations insti- tutionnelles >>, c'est la lai'cit6 16gale - archai'que et totalitaire, suggbrent la lourdeur de l'expression et la m6taphore (on endigue des eaux qui menacent de tout submer- ger) -. La < modernit6 > - 6trange r6cup6ration d'une notion nagubre < diabolisde C au sens 6tymologique du mot -, c'est la lai'cit6 < nouvelle >> et C ouverte >>, < v6ri- table C parce que cens6e voulue par J6sus (10): elle distingue la part de Dieu et

(8) Ce n'est pas ce que pense Jean-Louis SCHLEGEL (C< Les catholiques sont-ils vraiment mfirs pour la lai'cit6 ? >>, suppl6ment au no 297 de L 'Evnement du jeudi, 1990, p. XXII).

(9) Apr6s une campagne de p6titions et de manifestations, le gouvernement Herriot (cartel des gau- ches) avait renonc6 a la suppression de l'ambassade de France au Vatican, i l'expulsion des derniers con-

gr6ganistes et & l'extension de la sdparation & l'Alsace-Moselle. Notons qu'en parlant de << plus de cinquante ans >, les cardinaux et archev~ques, en 1925, renvoyaient au temps de < l'ordre moral >, mar- qu6 par des manifestations, des phlerinages et des p6titions d'inspiration cl6ricale qui devaient aboutir en 1875 au << voeu national >> au Sacr6-Coeur (construction de la basilique de Montmartre en expiation de la Commune) et au vote de la loi permettant l'ouverture de facult~s catholiques.

(10) << Cens6e >, si l'on admet d'abord que c'est le christianisme qui a invent6 le Christ, non l'inverse (R6gis DEBRAY, Transmettre, Paris, Editions Odile Jacob, 1997, p. 37), ensuite que les premiers chr6tiens voyaient dans le < Rendez & Cdsar > l'appel << une indiff6rence hautaine temp6r6e par la n6cessit6 d'un minimum de concessions > (Max WEBER, Economie et societe, traduction frangaise sous la direction de Jacques CHAVY et Eric DE DAMPIERRE, tome 2, Paris, Plon, 1995, p. 190).

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celle de C6sar mais subordonne le second au premier (11). Le << devoir impdrieux >> est en priorit >> de faire partager cette conception & <t la masse des Frangais >, ensuite seulement, fort de leur appui, d'exiger une r6vision de la loi.

Mais l'opinion, c'est aussi la minorit6 prite & mener ces << batailles iddologi- ques >> oii le catholicisme a tout & perdre. Commentant les 6v~nements de 1984, J. HonorS, president de la CEMSU, s'6criait en octobre 1985 : << La lai'cit n'est plus, ne sera plus ce qu'elle 6tait aux belles heures du CNAL (DC, 1986, p. 47). > I1 songeait sans doute & l'6volution de la Ligue de l'enseignement, principale compo- sante du Comit6 national d'action lai'que. D1s 1982, dans la perspective d'un ensei- gnement unifit et avec le souci de pacifier les esprits, elle avait propose l'introduc- tion dans l'6cole d'un enseignement sur les religions (avec 6ventuellement la participation de clercs). Dans un rapport pr~sent6 au congrbs de Lille en juillet 1986 et visant notamment & d~passer la crise de 1984, Michel Morineau allait expliquer que l'Eglise catholique, plut~t qu'une adversaire, pouvait &tre

une allide contre un adversaire commun - le n6o-lib~ralisme - et pr~coniser une << nouvelle voie >> de la lai'cit6 permettant notamment & des associations de participer au service public (12). Lorsque J. Vilnet, en 1987, parle de travailler << avec d'autres >> & la r6novation de la la'cit6 et ajoute: << On reconnait aujourd'hui que, face & tant de questions neuves, les Eglises et les religions en g~ndral peuvent concourir & la for- mation de l'esprit public >>, il pense & la Ligue (13). Mais alors qu'elle avait seule- ment consid~r6 les 6v~ques comme des acteurs de plein droit, le cas 6ch~ant & ses c6t~s, de la vie d~mocratique, ils ont estim6 que son evolution favorisait leur dessein.

A l'intention du pouvoir politique, J.-M. Lustiger avait lanc6 d~s aoit 1984 un ballon d'essai relevant de la seconde tactique en invitant < les autorit~s de la ville et de l'~tatC > Notre-Dame pour le quarantibme anniversaire de la Liberation de Paris. Qu'il n'y ait pas eu jusque-l&, & cette occasion, de < messe officiellement c616br6e >>, expliquerait-il plus tard, 6tait une << chose 6tonnante >> (CD, p. 105). En mai 1996, afin de r6pondre aux r6actions suscit6es par la messe de Notre-Dame pour les obs~ques de F. Mitterrand (c616bries en janvier), il plaidera qu'elle avait concern6 le catholique et non l'ancien pr6sident (LM, 26/05/96). Cet argument confirme a contrario que douze ans auparavant, dans des circonstances jug6es plus favorables, il entendait bien instituer chaque 25 aofit un office officiel, dont l'office officieux serait de faire admettre la <( d6sutude > de l'interdiction depuis 1905 de tout culte national ainsi que la vocation du catholicisme & assurer ce service. Mais sa proposition ne reGut gubre d'6cho (14). En revanche, la loi du 23 juillet 1987 -

(11) Selon J.-M. Lustiger, la formule 6vangl61ique << n'6tablit pas des cloisonnements dtanches entre les domaines d'activit6. Elle les hi~rarchise et, en les articulant, elle permet de d6couvrir leur unit6 orga- nique ,> (PE, pp. 66-67). C~sar devra m~me rendre des comptes a Dieu (DD, p. 45), un argument dont s'6tonnait en... 1825 Royer-Collard, d6put6 de la Marne (cf. Philippe BOUTRY, C Le d6clin institutionnel et politique du catholicisme frangais >> in Jacques LE GoFF et Rena REMOND, 6ds., Histoire de la France religieuse, tome 3, Paris, Seuil, 1991, p. 158).

(12) Sur l'6volution de la Ligue de l'enseignement, cf. Yves PALAU, C La Ligue de l'enseignement depuis les annies 1980: nouvelle r6flexion sur la lai'cit6 et position dans l'espace politique >>, in Jean BAUDOUIN et Philippe PORTIER, dirs., La lai'citd, une valeur d'aujourd'hui ?, Rennes, Presses Universitai- res de Rennes, 2001, pp. 205-219 et notamment 209-213).

(13) <( De la soci6t6 s6cularis6e, avait-il constat6 en novembre 1984, nous parviennent des accents neufs >> (DC, 1984, p. 1081).

(14) Il s'est plaint qu'elle n'ait pas 6t6 comprise; La Croix du 25/08/84 annongait la venue de Laurent Fabius, Premier ministre, mais le numdro du lendemain ne signale la pr6sence d'aucune des per- sonnalit~s invit~es.

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trois mois avant la relance de J. Vilnet - autorisant & d6duire de l'impat une partie des dons faits aux associations cultuelles (notamment dioc~saines) montrait que la R6publique pouvait &tre g~n~reuse avec les religions (15), quitte & contourner la loi de 1905 (16); les 6veques y ont pergu un signe encourageant (LM, 3/04/88). D6j&, la loi du 3 janvier 1978 avait mis & la charge du Tr6sor public la plus grande partie des charges relatives & la sant6 et & la retraite des ministres du culte.

En 1988, d'apris les propos d'A. Decourtray, ils escomptaient 6galement que le bicentenaire de la Revolution donnerait l'occasion d'apurer le pass6. D'autres declarations permettent d'&tre plus pr6cis. Ils esp6raient voir la R6publique admettre que, i partir de 1792, elle avait entrepris contre le catholicisme une pers6- cution qui s'6tait poursuivie i travers la loi de 1905 et, aprbs 1882, le refus d'accor- der i l'enseignement catholique les m~mes droits qu'd l'enseignement public. Ils la jugeaient d'autant plus coupable que Ldon XIII, en 1892, avait pris l'initiative d'un geste de paix en la reconnaissant (17). Ils semblent avoir souhait6 6galement qu'elle considbre les martyrs catholiques du 2 septembre 1792 (massacr6s dans l'dglise des Carmes, A Paris) comme les premiers << t6moins >> des droits de l'homme proclam6s en 1789 (18).

Avec la prudence, la fixation de priorit6s et la recherche du soutien de l'arribre, la capacit6 i profiter des divisions de l'adversaire et du moment oi il semble faiblir est commune i la strat~gie eccl6siastique et i l'art militaire. Un 6pisode de la < guerre scolaire >> confirme l'analogie. En 1951, aprbs la loi Barang6, qui accordait une premibre aide financibre aux 6coles libres, le cardinal Roques, archev~que de Rennes, avait d6clar : << Cette loi est la premiere br~che par laquelle tout pas- sera >> ; les troupes cependant devaient encore attendre pour en d6coudre, afin de ne compromettre <ni la tactique ni la strat6gie >> d6cid6es par les << chefs >>, c'est-it-dire les 6v~ques (19)

C'est t partir de 1990 que, sur l'autre front ouvert par les lois lai'ques, les chefs changent non de strat6gie mais de tactique. En mars, lors d'un colloque organis6 par La Croix sur <C la lai'cit6 et les d6bats d'aujourd'hui >>, J. Vilnet relativise sa revendication de 1987 : il n'aurait pas demand6 une < r66criture >> de la loi de s6pa- ration, qui pr6sente des avantages pour l'Eglise, mais un << peignage >> codifiant les solutions pragmatiques et corrigeant les discriminations envers les religions (20).

(15) Jean-Paul WILLAIME, <( Laicit6 et religions en France >>, in Grace DAVIE et Danible HERVIEU-LEIGER, dirs., Identitis religieuses en Europe, Paris, La D6couverte, 1996, p. 167.

(16) Maurice BARBIER, La laicit/, Paris, L'Harmattan, 1995, pp. 159-162. (17) Jean-Marie LUSTIGER, OC, pp. 151; 166-167,; OCOV p. 437; CD, p. 183; DM, pp. 114,

145-146 et 439. (18) Louis-Marie BILLI (alors 6v~que de Laval), OF, 14/09/92; PLF 1, p. 72. (19) Cit6 par Jean CORNEC et Michel BOUCHAREISSAS, L'Heure laique, Paris, Clancier-Gu6naud,

1982, p. 57. Ces propos sans 6quivoque infirment ceux tenus aprbs le conflit scolaire de 1984 par J. VILNET opposant la << vraie prudence >> des 6v6ques aux << consid6rations tactiques >> et aux << strat6gies partisanes >> (DC, 1984, p. 1080) et par J.-M. Lustiger affirmant qu'il n'y a de strat6gies de pouvoir << ni dans l'Eglise, ni de l'Eglise >>, qui ne relkve done pas de l'analyse w6b6rienne (VA, 2/07/84). << Dans l'Eglise >>, le second a pourtant reconnu << des jeux et des ruses d'assembl6e >> analogues g ceux des partis (CD, p. 283). Selon Georges BALANDIER, la ruse est inhdrente au discours politique et le r6cepteur doit s'efforcer de la d6celer (Le dktour, pouvoir et modernite, Paris, Fayard, 1985, p. 123 ; Le pouvoir sur sce- nes, Paris, Balland, 1992, p. 143); l'Eglise catholique, qui C ne cede au temps que pour mieux contenir son cours >>, n'6chappe pas & la rigle g~ndrale (Le didale, Paris, Fayaid, 1994, p. 153).

(20) Cf. Actes du colloque dans Les nouveaux enjeux de la laicitd, Paris, Le Centurion, 1990, pp. 118 sq. Au cours du mime colloque se pergoit l'dvolution inverse de la FPF, qui, par la bouche de son pr6sident, Jacques Stewart, d6clare que la formulation de la loi de 1905 est & revoir (p. 118).

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Aprbs l'Assembl6e pl~nibre de 1991, J. Duval, qui a succ~d6 & A. Decourtray & la tate de la CEF, affirme que l'Eglise ne souhaite pas la revision des textes mais leur application souple (RTL, 3/11/91). Un mois plus tard, J. Vilnet, d6lgud de l'6pisco- pat au synode europ~en des 6vaques & Rome, exprime, g la suite d'une declaration ambigue de J.-M. Lustiger, la position que nous avons rencontr~e chez ce dernier en 1996 : < Il ne s'agit pas de revoir la loi de separation. Pas de nouveau concordat. De fait, depuis 1905, il y a bien eu des relations entre l'Etat et l'Eglise, et des deci- sions a caractbre juridique. L'Etat s'6tant donn6 l'obligation de respecter la libert6 du culte. Mais le fait que l'Etat se dise neutre, et done ne favorise aucune religion, implique-t-il que la d~marche religieuse relbve du seul domaine priv6 ? L'Etat ne peut interdire la libert6 de conscience, done de faire du pros6lytisme. II faut, de fait, revoir ce qu'implique le v6cu de la lai'cit6 (...). Ni ignorance, ni confusion (OF 3/12/91). >> L'esprit de la loi est indiqu6 selon ce passage non par le titre ni par l'article 2 (la << sparation >> et le refus de C reconnaitre >> incitent & << l'ignorance >>) mais par l'article 1, qui C assure la libert6 de conscience C et C garantit le libre exercice du culte >>. Pour appliquer le second principe, la R~publique a << de fait C - & travers les relations, la jurisprudence et des lois parallkles & celle de 1905 - com- menc6 & reconnaitre et & financer l'Eglise catholique : il faut continuer en ce sens. Pour respecter le premier, il lui faut de la mime fagon (en << revoyant >> non la loi mais C le v~cu >>) admettre que sa mission relkve non du C domaine priv >> mais du service public et lui donner les moyens de la remplir. L'argumentation ressemble & celle de 1988-1989, non la revendication nile ton.

L'heure de l'offensive directe semble pass~e. Lors du colloque de La Croix, B. Poulat, en presence de J. Vilnet, a d~clar6 qu'aucun gouvernement ne prendrait le risque de mettre en cause la loi de separation et que lui-mime approuvait cette attitude (21). En outre, le geste attendu & l'occasion du bicentenaire n'a pas eu lieu, ce que J.-M. Lustiger deplore ambrement a la fin de 1989 (DM, pp. 139-140 et LM, 8/12/89). Un an plus tard, & l'issue de l'assemblke plknibre de 1990, ce sont au con- traire les 6v~ques qui, par la bouche de leur nouveau president, J. Duval, ont demand6 pardon pour leurs < attitudes hautaines > et << tout ce qui peut faire paraitre l'Eglise dure et intransigeante >> (LC, 13/11/90). L'opinion en effet leur 6tait moins favorable qu'ils ne le croyaient. Dbs la fin de 1988, ils s'6taient inqui&- tis de la d~gradation de leur image aprbs leur condamnation coup sur coup du film La derniere tentation de Jdsus-Christ, de la pilule abortive et du pr~servatif. Peut-etre, sugg~rait alors H. Tincq, s'6taient-ils m~pris en croyant que le soutien populaire de 1984 s'adressait i eux et non au libre choix de l'6cole (LM, 13/12/88). Quant i J.-F. Stehli, il notait leur crainte que cette dtfaveur ne compromette leur << grand dessein >>. S'obstiner, c'6tait prendre le risque de << heurter de front C, outre les <( lgislateurs lai'ques ,>, la majorit6 des citoyens.

La signature publique, << sur un pied d'6galit >> (22), le 11 juin 1992 puis le 8 janvier 1993, des accords dits C Lang-Cloupet C - entre le ministre de l'Education nationale et le secr~taire g~ndral, nomm6 par les 6v~ques, de l'enseignement catho-

(21) Emile POULAT, Les nouveaux enjeux de la laicitd, op. cit., p. 113.

(22) L'expression est de Rent RIAMOND, qui se fdlicite de ce qu'il considbre comme un progrbs (Valeurs et politique, entretien avec Jean-Dominique Durand et Regis Ladous, Paris, Beauchesne, 1992, p. 73).

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lique - conforte le choix du pragmatisme. Le Parlement votera les modifications d6cid6es, mais sans pouvoir les amender. Pour mesurer la port6e de l'6v6nement, il faut revenir en arribre. Lorsqu'il avait lanc6 son projet de loi, en janvier 1959, M. Debr6 avait exclu que le gouvernement n~gocie avec l'Eglise(23); le 23 d6cembre suivant, devant les d~put~s, il avait pr6sent6 comme une << chimbre dangereuse >> l'id6e qu'un ministre puisse un jour traiter < d'6gal & igal > avec une < universit6 parallkile (JO, AN, 1959 p. 3597) (24). II visait les pr6tentions expri- m6es devant lui par le secr~taire g~n~ral de l'enseignement catholique de l'6poque (25) et justifiait son choix de contrats passes avec les 6tablissements pris un par un et sans consideration de nature confessionnelle. En 1984, A. Savary avait rappel6 aux d6fenseurs de l'enseignement catholique qu'on ne n6gocie pas avec un ministre le contenu d'une loi : C c'est une question de droit C, la decision revenant au Parlement (26). J. Lang a done, C de fait >>, reconnu & l'6piscopat la qualit6 de partenaire de l'Etat qui lui 6tait refus6e jusque-l& et qui n'a 6t6 accord6e, dans les moms conditions, i aucune autre organisation. Il semblait ainsi donner raison & M. Cloupet qui, un mois avant la premiere signature, avait d6clard n6gocier avec < C~sar >> (LM, 16/05/92).

Sur le fond, seule la 16gislation sur l'enseignement 6tait modifide. Mais l'6pis- copat a estim6 la voie ouverte i une interpr6tation plus souple de la s6paration. L'article 1 de la loi Debr6, lu strictement, permet << l'6tablissement >>, non i

l'enseignement (<< plac6 sous le contr81e de l'Etat C) de conserver son caractbre propre, 6ventuellement confessionnel (27). Or le premier accord remettait implici- tement en cause ce principe. II reconnaissait en effet < la contribution des 6tablisse- ments d'enseignement priv6s au service public de l'Education C, non celle de l'enseignement donn6 sous le r6gime de la loi de 1959. En outre, mime si en annexe le ministre 6tendait les dispositions aux autres 6tablissements sous contrat (protestants, juifs et non confessionnels), les circonstances et la d6nomination (voulue par lui (28)) des << accords Lang-Cloupet > invitaient i traduire privs >> par C catholiques >>. R. R~mond, lisant le texte i la lumibre de << la port6e symbo- lique C du geste, a ainsi estim6 que l'enseignement catholique 6tait << seul concern6m et d6sign6 C (29). G. Gilson, 6v~que du Mans, a eu la mime interpr6tation et jug6 d6sormais possible une revision << de fait > de la loi de 1905 : << Mme s'il n'est pas question de revenir sur la s6paration de l'Eglise et de l'Etat, il n'y a pas de vie de la nation sans communaut~s religieuses. La religion n'est pas affaire individuelle et la

(23) Claude LELIIVRE et Christian NIQUE, L 'dcole des presidents, de Charles de Gaulle a Frangois Mitterrand, Paris, Editions Odile Jacob, 1995, p. 47.

(24) Le jacobin M. Debr6 emploie le mot < universitd > dans son sens napolkonien. (25) Michel DEBRI, Gouverner, m6moires, tome 3, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 116-117. (26) Pierre DANIEL, << Question de libert6 >, entretiens avec Jean-Claude ESCAFFIT, Paris, Descl6e de

Brouwer, 1986, p. 64. (27) Il s'agit d'une C loi laifque > (Claude LELIEVRE, C La loi Debr6 dans l'histoire du d6bat entre

public et priv6 en France >>, colloque d'Amiens des 9 et 10 d6cembre 1999, in Bruno POUCET, dir., La loi Debr : paradoxes de 1 'Etat iducateur ?, Actes du colloque, Amiens, Centre r6gional de documentation p6dagogique de l'Acad6mie d'Amiens, 2001, pp. 15-16).

(28) Bernard TOULEMONDE, C Une approche gdndrale de la notion de service public >, Les Cahiers de la Cerf, FEP-CFDT, mars 1996, p. 13.

(29) Rend REMOND,

Valeurs et politiques, op. cit., p. 73 (C La port6e symbolique de cet accord est plus grande que son implication pratique ,>) ; Une laicite pour tous, entretien avec Jean Lebrun, Textuel, 1998, p. 99.

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nation doit reconnaitre l'apport social des communaut~s religieuses, comme c'est d~sormais le cas avec l'6cole catholique (O1 3/09/92). C Concernm~es par la s~para- tion de < l'Eglise > et de l'Etat, candidates & la reconnaissance accord~e & la seule 6cole << catholique >, ces communaut~s <( religieuses > sont elles aussi, dans ce contexte, catholiques.

L'accord du 8 janvier 1993 allait plus loin. Complktant une disposition de la loi Guermeur vot~e en 1977, il intgrait dans la formation initiale des maitres, d~sor- mais d~s ce stade agents de l'Etat, des sequences assur~es par les organismes de l'enseignement catholique ou sous leur responsabilit& - & l'exclusion de tous autres organismes priv~s - < dans le respect du caractbre propre >>. Rapproch~e du texte de juin 1992, cette mesure, aux yeux de l'6piscopat, ent~rinait la << contribution au ser- vice public >> du caractbre propre tel qu'il l'avait d~fini le 14 mai 1992 dans le pr~ambule du nouveau statut de l'enseignement catholique: introduire l'6l1ve << dans la v~rit6 totale sur lui-mime et son destin >>. President de la CEMSU, M. Coloni expliquait le 9 janvier 1993 au Comit6 national de l'enseignement catho- lique: I1 s'agit de permettre & une recherche sp~cifiquement religieuse d'&tre reconnue comme telle par la soci~t6 et par l'Eglise. Et il semble que cela devient possible. >> Quinze mois plus t6t, J. Duval s'6tait plaint, au nom de la C vraie lai'- cite C, que la << recherche religieuse >> soit << m6pris~e et volontairement confinue au niveau individuel >> (OF 28/10/91). Une fois de plus, une loi parallkle semblait done remettre en cause la lecture habituelle de celle de 1905.

En janvier 1994, M. Coloni d~plorait, avec quelque raison, les << attaques pro- fond~ment injustes >> et des C slogans d~fraichis > qui avaient marqu6 la manifesta- tion du 16 janvier 1994 contre une loi destin6e & faciliter le financement public des investissements entrepris par les 6tablissements sous contrat (LM, 19/01/94)(30). L'6piscopat avait ainsi une id6e de ce qui pourrait arriver si un d~bat avait lieu au Parlement & propos de la loi de 1905.

Le 27 avril 1960, I'assembl~e pl~nibre des 6v~ques (qui & l'6poque ne se r~u- nissait qu'exceptionnellement) avait regrett6 que le texte et les premiers d~crets d'application de la loi Debrd n'affirment de fagon explicite ni le principe d'un financement 6gal & celui de l'~6cole publique ni la sp~cificit6 confessionnelle de l'enseignement. S'attribuant de fait le partenariat et l'autorit6 sur un r~seau que le premier ministre lui avait refuses en droit, elle avait autoris6 les @tablissements & souscrire des contrats C pour un essai loyal C (DC, 1960, col. 609). A la fin de 1994, elle dressait le constat suivant: << L'cole catholique est de plus en plus consid~r~e, par les diff~rents gouvemrnements, comme un partenaire loyal qui, dans le respect de son caractbre propre, apporte une contribution importante au service public d'6ducation. >> En favorisant une formation des maitres << dans le respect du caractbre propre >> (la formule est reprise des lois de 1977 et 1993), << les diff~rents gouvernements >> (la droite en 1977, la gauche en 1993) auraient done officialis6 la

(30) Le Monde (18/01/94) donne une fourchette de 600 & 900 000 participants et cite, outre l'ances- tral <( A bas la calotte >, les slogans suivants: C< Du fric pour les laIics, des gnons pour les curetons > et << Coupez les bourses aux cur6s >> ; les manifestants de 1984, conform6ment aux consignes des 6vdques, s'6taient montr6s plus dignes.

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spdcificitd confessionnelle de leur activitd. Seconde concession par rapport & 1959 : en traitant (notamment en 1992-1993) << l'cole catholique C comme un << partenaire loyal >>, ils auraient admis

. la fois l'existence d'une << universitd parallble C, sa

capacit6 & n~gocier et & conclure < d'6gal & 6gal > (31), sa soumission institution- nelle (symbolisde par le r6le de M. Cloupet) et morale (manifest~e par l'ob~issance & la consigne de loyautd) & la hidrarchie. Certes, ajoutait la CEF, toutes les ques- tions ne sont pas r~solues ; elle pensait & celle des investissements, dont la solution satisferait l'autre condition mise en 1960 : l'6galit6 de moyens. Mais celle-ci, avait expliqud M. Coloni aprbs la manifestation de janvier 1994, &tait d~sormais C dans la logique de la loi Debr >>; il faudrait seulement attendre, trts longtemps peut-&tre, que les esprits se calment (LM, 19/01/94). En constatant que le < cadre institutionnel >> de 1959 avait disormais < fait la preuve de son utilit6 et de sa soli- ditd >>, I'assembl~e pldnibre d~clarait close la p~riode d'essai (PLF 1, p. 75).

Ce bilan aide & comprendre celui que deux ans plus tard la mime instance eta- blit de la loi de 1905. Aprbs le rappel des nombreux conflits qui ont surgi dans l'histoire entre C le pouvoir temporel >C et C le pouvoir spirituel des papes et des dv~ques >C, elle conclut: C A cet 6gard, la sdparation de l'Eglise et de l'Etat, apris un sibcle d'exp~rience, peut apparaitre comme une solution institutionnelle qui, en permettant effectivement de distinguer ce qui revient << C Dieu >> et ce qui revient C<

. Cdsar >, offre aux catholiques de France la possibilit6 d'etre des acteurs loyaux

de la soci~t6 civile. Affirmer cela revient & reconnaitre le caractbre positif de la lai'- citd, non pas telle qu'elle a 6t6 & l'origine, lorsqu'elle se pr~sentait comme une iddologie conqudrante et anticatholique, mais telle qu'elle est devenue aprbs plus d'un siicle d'6volutions culturelles et politiques : un cadre institutionnel, et en mime temps un stat d'esprit qui aide & reconnaitre la r~alit6 du fait religieux, et sp~cialement du fait religieux chrdtien, dans l'histoire de la societe frangaise (PLF 2, p. 27). >> La CEF, en parlant d'<< experience >>, rappelle au gouvernement que le 11 fdvrier 1906 Pie X s'dtait opposd & la loi de sdparation (encyclique Vehe- menter nos) et que le 18 janvier 1924 Pie XI ne l'a admise C qu'en vue d'essai C,

comme un C moindre mal C et une < tape > (encyclique Maximam gravitatem). Elle reprend en termes un peu diffrrents les conditions fix6es par le second: la France devait accorder la < libert6 pleine et entibre >> due aux repr~sentants de Dieu et refuser une lai'cit6 comprise comme un sentiment ou une intention contraires ou dtrangers & Dieu et i la religion C>. Elle part de la mime conception de la la'citd : C & Dieu >> et

<CC C~sar >>, entre guillemets, renvoient i l'Evangile. Comme A propos de l'6cole, elle constate une evolution positive : l'Eglise ne s'est pas ralli~e i la laY'- citd voulue voici un si~cle par la R~publique, c'est la R~publique qui s'est rap- proch~e de la lai'citd prdnde depuis vingt si~cles par l'Eglise. Mais alors que le << cadre institutionnel >> constitud par la loi Debr6 modifi~e apr~s n~gociations volt ddsormais dans le catholicisme en tant que tel un C partenaire loyal >> & l'interieur du service public d'enseignement, celui qu'offre une loi de 1905 appliqude avec souplesse mais inchangde peut apparaitre >> comme une << solution institution-

(31) Outre qu'il n'avait voulu connaitre que des 6tablissements, M. Debr6 ne leur avait propos6 que << des contrats d'adh6sion, ? prendre ou & laisser >> (Bernard TOULEMONDE, Les Cahiers de la Cerf mars 1996, p. 9).

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nelle >~tendant cette reconnaissance. Lorsque, aux m~mes conditions, il aura & son tour C fait la preuve de son utilit6 et de sa solidit >>, la hi~rarchie catholique, en en << prenant acte >> dans une declaration & la fois constative et performative, mettra fin & la p~riode d'essai (32).

I1 s'agira cette fois d'un accord entre Etats, parachevant ceux, incomplets, de 1905 - le Vatican avait obtenu des concessions qui ont conduit J. Baub~rot & parler de <C pacte ,> avec le catholicisme (33) - et de 1923 - il y avait eu engagement r~ci- proque entre deux gouvernements (sous reserve de l'aval du Conseil d'Etat) & pro- pos de l'interpr~tation de la loi (34) -. J.-P. Ricard a implicitement mais clairement situd la rencontre du 12 f~vrier dans le prolongement de ces tractations (LM, 10/11/02) (35). Le nonce, donit la presence << soulignait la port~e diplomatique de la rencontre >> (LC, 13/02/02) (36), y si~geait en face du premier ministre et avait & sa droite J.-M. Lustiger, dont il a expliqu6 la presence par une tradition ant~rieure & la separation : le r6le sp~cifique vis-a-vis des autorit~s publiques jou6 par l'arche- v~que de Paris (LV 21/02/02)(37). Le 19 mai 2003, J.-P. Raffarin a requ la mime d616lgation (LC, 20/05/03). Le concordat 6ventuel sera nouveau & la fois par sa forme - qui laissera le dernier mot & l'Eglise - et par son contenu - qui n'acccor- dera peut-&tre pas tous les avantages du statut perdu en 1905 mais confortera l'ind6pendance acquise alors -. Fin donc, mais selon une proc6dure exceptionnelle, de l'exception frangaise, et retour au r6gime pr~sent6 en 2001 par L.-M. Bill6, citant les pays europ6ens oi on le trouve, comme la forme normale de rela- tions entre l'Etat et l'Eglise (38), et en 2003 par l'archev~que concordataire de Strasbourg J. Dor6, se r6f6rant & cette d6claration et se fondant sur son exp6rience, comme la <( mise en oeuvre effective et positive C> d'une C authentique s6paration >>, d'une < vraie lai'cit6 >> (RDR, pp. 41, 48, 59 et 63).

C Nous ne souhaitons pas une r6vision ni un toilettage de la loi de 1905 >>, a assur6 J.-M. Lustiger (LM, 10/11/02). I1 distinguait ainsi implicitement la politique actuelle des 6viques & la fois du << peignage C demand6 (entre autres par lui-mime) & la fin des ann~es 1980 et du < rdexamen C> pour C toilettage C jug6 n6cessaire, au lendemain de la rencontre du 12 f6vrier, par le ministre des Affaires 6trang~res du

(32) Une loi ne peut &tre dit exp~rimentale que par le Parlement, qui fixe alors le d6lai de revision (cinq ans pour les lois de janvier 1975 sur I'IVG et de juillet 1994 sur la bio6thique).

(33) Jean BAUBEROT, Vers un nouveau pacte laique ?, Paris Seuil, 1990, p. 73 (cf. Arch. 78, pp. 179-190).

(34) Alain BOYER, Le droit des religions en France, Paris, PUF, 1993, pp. 98-100 (cf. Arch. 86.8) ; cf. aussi LC, 6/12/02.

(35) Quelques semaines apr~s le 12 f~vrier, Jean-Arnold de Clermont avait regrettd que l'6piscopat se situe dans une telle perspective (Ref 28/03/02). La FPF propose que le Conseil d'Eglises chritiennes en France (catholique, protestante, orthodoxe) devienne leur porte-parole commun aupris de l'Etat; appuyde non sans reserves par les orthodoxes, I'id~e d'un organe repr~sentatif unique est rejet6e par la CEF (RDR, pp. 35 ; 77-78; 86).

(36) Xavier Temrnisien a intitul6 un article sur ce sujet C Entente cordiale entre l'Eglise catholique et l'Itat >, comparant ainsi la rencontre du 12/02/02 au trait6 sign6 en 1904 entre la France et la Grande-Bretagne (LM, 27/02/02).

(37) L'Itat, constatait en 1986 Philippe LEVILLAIN, tient traditionnellement celui-ci comme un inter- locuteur privil6gid parmi les 6v~ques (Les lieutenants de Dieu, avec Catherine GRIMION, Paris, Fayard, 1986, p. 207).

(38) Louis-Marie BILLE, postface, in Bernard ARDURA, Le concordat entre Pie VII et Bonaparte, Paris, Cerf, 2001 ; cf. notamment p. 133.

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Vatican J.-L. Tauran (LC, 15/02/02). Mais une divergence avec Rome sur la tac- tique ne se confond pas avec un d~saccord sur l'objectif et la strategie. La preuve : il y en a eu une en 1906-1907 dans le m~me sens qu'aujourd'hui - l'6piscopat fran- 9ais envisageait de faire l'essai de la loi (39) - et une autre en 1925 en sens inverse - le Saint-siege a d~savoud l'offensive directe contre les lois lai'ques (40) -. Dans le second cas, I'archev~que de Paris d'alors, en qualifiant de << thise de thdologie morale C la position prise par lui-mime et ses confreres, a signifi6 que le litige ne portait pas sur la << these >> - I'id~al jamais perdu de vue - mais sur l'opportunit6 de l'6dulcorer en < hypoth~se >> - ce compromis provisoire impos& dans certains cas par les rnactions que susciterait l'expos6 sans fard de la doctrine - (41).

Place i l'intersection du pape et des 6v~ques frangais, le nonce apostolique, interroge le 21 f~vrier 2002 sur l'avenir de la loi de separation, a op~r6 une syn- these inspir~e i la fois de cette distinction et de la strat~gie d~finie en 1925: <C Comment penser que tout pourrait rester immuable ? (...) Pour l'instant, la tradi- tion frangaise ne veut pas d'une visibilitd catholique trop forte, m~me s'il y a moins de sectarisme que par le passe (LV 21/02/02). C La redefinition, pour une plus grande << visibilit6 C, des rapports avec l'Etat envisag~e en 1981 sous l'impulsion de Jean-Paul II n'est done pas abandonne : il convient d'attendre que le pays soit pr~t. << Pour l'instant >, il convient de se montrer moins ambitieux, i cause du manque de soutien de l'opinion et de l'anticatholicisme r~siduel - deux r~alit~s minimis~es lorsqu'en 1987 l'heure avait sembl6 venue. Repli temporaire A cause de l'hostilit6 rencontr~e : c'est exactement la definition t la fois de << l'hypoth~se C et de la seconde <C tactique C>, celle-ci n'6tant que la forme prise par celle-lt lorsqu'on passe de la doctrine A l'action (42).

<< L'Eglise n'est plus la mime, a 6crit J.-M. Mayeur (...). Lire le present avec les lunettes du passe, c'est se condamner A n'y rien comprendre. On est loin du c6lbre manifeste de I'ACA d~nongant en 1925 les lois de la lai'cit6 (43). C Ce manifeste, 6claird par l'allusion d'un de ses auteurs t la distinction approuv~e jadis par celui qui est devenu le bienheureux Pie IX, nous semble au contraire indispen- sable si l'on veut comprendre l'6volution en deux temps, depuis 1981, de la hi&- rarchie catholique t propos de la loi de separation. II explique 6galement ce que repr~sente pour elle la rencontre du 12 f~vrier 2002 : < port~e par des circonstances favorables C>, elle <C amorce, de fait, son retour sur la scene publique >> ; << de fait >>, c'est-s-dire en trouvant << concretement>> des < am~nagements>> t la loi plut~t qu'en exigeant un d~bat 1Igislatif qui risquerait de C rouvrir la boite de Pandore >> (L V 21/02/02).

(39) Jean-Marie MAYEUR, La sdparation des Eglises et de 1 'Etat, Paris, Les dditions ouvribres, 1991, pp. 100 sq.

(40) Jean-Marie MAYEUR, La question lai'que, Paris, Fayard, 1997, p. 118. (41) En 1864, & la suite du Syllabus de Pie IX condamnant les erreurs modernes, I'&v~que d'Orldans,

DUPANLOUP, publia un commentaire, approuvd par le pape, ou il opdrait cette distinction. (42) Le tabou de la loi a ddj& &t& remis en cause : en mars 2003, Stanislas Lalanne, secrdtaire de la

CEF, n'a pas exclu des modifications sur des points ( techniques >C (TC, 13/03/03). I1 faisait partie de la d6lgation revue par J.-P. Raffarin le 19/05/03 et & l'issue de laquelle a &t& annoncde une loi rdaffirmant I'affectation principalement cultuelle des ddifices et codifiant la perception par les Monuments histori- ques de droits de visite (LC, 21/05/03). Ainsi semble se confirmer l'hypoth~se de J. Baubdrot: on s'oriente vers une rdvision en plusieurs chantiers plutat que vers une remise en cause globale de la loi (LC, 28/04/03).

(43) Jean-Marie MAYEUR, La question laique, op. cit. p. 200.

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La rencontre de deux pragmatismes

Contestables nous semblent 6galement les reproches adress~s par J.-M. Mayeur aux 6viques de prendre le risque de '<ranimer des passions contraires i la paix civile >> et de n~gliger la souplesse de la loi; A ce moment ils ont d~j& tenu compte de ces objections. Demeure pertinente en revanche sa question de savoir ce qu'ils veulent de plus. Nous devons seulement, pour y r~pondre, distinguer la revendica- tion initiale (la < th~se >>) et, sous ses diffrrentes formes, la demande subsidiaire (<< l'hypoth~se >>), cela pour les deux principaux objectifs.

J.-M. Mayeur suggbre lui-m~me le premier lorsqu'il renvoie A la d~claration des cardinaux et archev~ques du 13 novembre 1945, qui r~agissaient & un projet de Constitution d~clarant la R6publique << lai'que >> et ne faisant pas r~f~rence & Dieu. Ils acceptaient d~finitivement, rappelle-t-il, la lai'cit6 de l'Etat, pourvu qu'il se sou- mette & une morale sup~rieure (44). Ils lisaient celle-ci dans la loi naturelle et divine A laquelle se r~f6raient la plupart des d~mocraties et dont l'oubli conduit au totalitarisme et aux catastrophes. Soucieux de << dissiper une 6quivoque >>, ils ajou- taient que l'Eglise n'avait jamais rejet6 une lai'citi ainsi comprise (DC, 1946, col. 6-7). Affaiblie par son soutien & Vichy, la hidrarchie catholique, franchissant & reculons ses positions de 1940 et 1925 (condamnations sans nuance de la lai'- cite) (45), se repliait ainsi sur celle de 1924 (acceptation conditionnelle) mais pour en faire une base arribre. La reaction de l'archev~que de Cambrai en 1958 laisse penser qu'elle a alors tent6 de r~introduire Dieu. Sans doute s'est-elle vu opposer le risque de < ranimer des passions contraires & la paix civile >> : dans un communiqu6 publi6 quelques jours avant le r~f~rendum sur la Constitution de la Ve R~publique, les cardinaux frangais expliquaient que ni l'absence de toute r~frrence & Dieu ni l'utilisation du terme << la'que >> ne pouvaient < empicher les catholiques de se pro- noncer librement >> (46), mais appelaient < de leurs voeux ardents le jour oit il serait possible, dans l'accord de tous les citoyens, de faire figurer le nom de Dieu dans le texte des institutions de la France >>. Archev~que de Bourges et futur cardinal, J. Lefebvre, aprbs s'8tre ref6r6 la << saine lai'cit6 >> pr6nde par Pie XII quelques mois plus t6t (<< les deux pouvoirs distincts et toutefois unis selon les vrais princi- pes >>) et au texte de 1945, exhortait, pour << dissiper l'6quivoque >>, & C travailler sans reliche & faire en sorte que le terme << lai'que >> signifie de plus en plus une r~alit6 qui puisse pleinement satisfaire la conscience catholique >> (DC, 1958, col. 1267 & 1269). Depuis 1945, l'objectif n'6tait done pas de faire supprimer cette 6pithbte mais de r~introduire Dieu. En juin 1992, J.-M. Lustiger regrettait que ce ne soit toujours pas fait (LM, 13/06/92).

Survient alors le traits de Maastricht, soutenu par l'6piscopat (LM, 9/09/92). La perspective (<< irr~versible >>, ibidem) d'une unification politique doit permettre de faire ent~riner par la France la pr&6minence de Dieu sans toucher au droit national.

(44) Jean-Marie MAYEUR, La question lai'que, op. cit., pp. 120-121; 200; 226-227. (45) << A force d'&tre lai'cisde, la France risquait de mourir >>, s'6tait 6crid le 30 juillet 1940, apris le

vote des pleins pouvoirs g PNtain, le cardinal Gerlier, archevique de Lyon. (46) C'est-g-dire de voter < oui >> : << se prononcer >> exclut le vote blanc et dire que les insuffisances

d'un texte ne peuvent empicher de le d~sapprouver n'a pas de sens.

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En 1994, la CEF, rejoignant les cardinaux et archev~ques de 1945, regrette que notre pays, en Europe, soit isolk dans sa fagon de comprendre et d'appliquer la lai'- cite. Elle mentionne explicitement leur declaration, qui indiquait en quel sens la lai'- cit << pouvait 6tre revue et admise C>. Elle cite Jean-Paul II expliquant en 1988 & Strasbourg, devant le Parlement europden, que la distinction entre le spirituel et le temporel voulue par J6sus ne doit pas faire oublier ce principe: < L

oio l'homme

ne prend pas appui sur une grandeur qui le transcende, il risque de se livrer au pou- voir sans frein de l'arbitraire et des pseudo-absolus qui le d6truisent. > Renversant sa perspective des ann6es 1980, l'6piscopat demande: N'est-ce pas la foi chr6- tienne, en tant qu'elle est porteuse d'un message universel, qui peut devenir l'un des meilleurs antidotes contre le poison du nationalisme (PLF 1, pp. 73, 78, 80-81, 82) (47)? C Au cours du mime voyage, le pape avait reconnu que l'Europe a des racines multiples, mais ajout6 que son unit6 lui vient du christianisme, auquel mime les incroyants doivent le sens de la dignit6 humaine (DC, 1988 pp. 1000-1001) (48). <( L'ime de l'Europe, proclame J. Dord le 10 novembre 2000, ne peut 6tre recherch6e que dans le christianisme (...). Au nom de quoi d'autre que la religion et la foi pourra-t-on maintenir autrement que comme de pures prescrip- tions et comme des interdits < cat6goriques > ce qui, jusqu'alors, ne se concevait pas en dehors d'un fondement religieux, transcendental, thdologal (DC, 2000, pp. 1083 sq.) (49)? < C'est le principe que la hierarchie catholique s'est efforc6e de faire figurer dans les textes de l'Union qui engagent la France: le trait6 d'Amsterdam (1997), la Charte des droits fondamentaux (2000), la Constitution (2003). Elle s'y est prise de trois fagons.

Malgr6 les pressions du Vatican, le trait6 tenait Dieu & distance, selon l'expres- sion de F. Champion, en mettant les organisations confessionnelles sur le mime plan que les autres (50). La d6claration annexe no 11 en effet 6tait ainsi ridig6e : << L'Union europ6enne respecte et ne prijuge pas le statut dont b6ndficient, en vertu du droit national, les Eglises et les associations ou communaut6s religieuses dans les Etats membres. L'Union europ6enne respecte 6galement le statut des organisa-

(47) On notera que le < N'est-ce pas ? C initial fait attendre << le meilleur antidote >>. Nous avons ici deux exemples cons6cutifs des chocs de mots provoqu6s lorsque l'habitus (la consigne de vote ou le monopole du catholicisme) se heurte au surmoi politique (qui impose de reconnaitre l'autonomie des fiddles en ce domaine et l'6galit6 des familles de pens6e) (cf. Pierre BOURDIEU, La noblesse d'Etat, Paris, Les 6ditions de Minuit, 1989, p. 37 n. 8).

(48) Contrairement A ce qu'a laiss6 entendre G. Defois (LM, 17/09/96), le pape i Strasbourg a admis la diversit6 mais non l'6galit6 des sources de la civilisation europ6enne.

(49) I a depuis (RDR, p. 57) appel6 b la rescousse Edgar Morin parlant du << trou noir de la lai'cit6 >,. Or, dans l'article ainsi intitul6 (Le Dibat, janvier 1990), le sociologue, pour r6soudre la difficult6, 6carte le recours & < telle ou telle doctrine >> et pr6ne (< la relation antagoniste, complexe, active, des id6es et des v6rit6s oppos6es >>. << L'Europe, a-t-il d6clard par ailleurs, ne pourra jamais &tre pr6sent6e de fagon homo- gene comme le sont les nations, car elle n'a d'unit6 que dans et par sa multiplicit6. >> Claude LELIEVRE a oppos6 cette phrase & une allocution oP J.-M. LUSTIGER pr6sentait le christianisme comme le < roc pour fonder la maison Europe >> (L 'dcole ( i la frangaise < en danger ?, Paris, Nathan, 1996, p. 53).

(50) Frangoise Champion donne comme sous-titre < Offensive vaticane ? >> (<< L'Europe tient Dieu P distance >, Le Monde de l'e~ducation, mai 1999, p. 61); selon Jean-Michel DUCOMTE, I'offensive a bien eu lieu (<< L'Europe et le principe de la'cit6 >>, in Alain GIERARD, dir., Permanence de la la'citd en France et dans le monde, Toulouse, Privat, 2001, p. 148).

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tions philosophiques et non confessionnelles (51). >> J.-M. Lustiger publie alors un petit livre oi il attribue tous les malheurs de < l'homme europ~en >> & l'exclusion de Dieu et & la volont6 de se faire C le maitre et seigneur de l'histoire > et oiu il invite l'Europe & se souvenir de son bapteme et & ne pas demeurer sans Dieu et sans esp&- rance (PE, pp. 7 et 29). Le discours refoul6 dont le transfert sur l'Union permet le retour n'est pas seulement, on le voit, celui de 1958 mais aussi celui de 1980 sur le baptime de la France(52). Le ler d~cembre 2002, les repr~sentants de la COMECE, requs pas R. Prodi, president de la Commission europ~enne, relancent la revendication : la Constitution en cours de redaction doit reconnaitre <( la contribu- tion sp~cifique de la religion dans la definition des valeurs de l'Europe, notamment en ne consid~rant pas comme de simples ONG les religions, qui expriment la dimension transcendantale de la vie humaine >> (LC, 2/12/02). Le 8 mai 2003, dans Le Monde, H. Simon, archev~que de Clermont-Ferrand et vice-president de la COMECE, propose d'int~grer telle quelle dans la Constitution la declaration n0 11, conforme & la lai'cit6. Mais il souhaite en outre que L'UE entretienne avec les Eglises et les communaut~s religieuses << un dialogue structur6 >>.

II ajoute deux propositions qui concernent le pr6ambule. << Quelque apprecia- tion que l'on porte sur elle, 6crit-il, je ne vois pas comment on pourrait nier la com- posante religieuse, et en particulier chr~tienne, de l'histoire europ~enne. >, I1 a cite un peu plus haut cette phrase de Jean-Paul II: << Reconnaitre un fait historique ind~niable ne signifie pas du tout m~connaitre l'exigence moderne d'une juste lai'- cite des Etats, et done de l'Europe. > H. Simon avait dPj& fait valoir cet argument lorsque en 2000 le repr~sentant de la France & la commission de redaction avait obtenu que le pr~ambule de la Charte renvoie non & << l'h6ritage culturel, humaniste et religieux >> du continent, comme l'avait demand6 le CDU bavarois, mais & son << patrimoine moral et spirituel >> (53) (LM, 14/10/00). Mais aprbs que le sommet de Nice eut ent~rin6 la seconde formule, il avait conc6d6 qu'elle pouvait inclure la religion et que sa reaction ant6rieure venait surtout de ce que l'autre avait 6t6 jugde, & tort, contraire & la lai'cit6 (LM, 16/09/01). I1 veut done maintenant que soient men- tionnies les racines non seulement religieuses mais chr~tiennes, comme l'a demand& le pape trois mois plus t6t en expliquant: << La r~f6rence & Dieu aidera &

preserver l'Europe du lai'cisme iddologique et de l'int~grisme sectaire (OF 17/02/03). >> Ne rien dire du christianisme, c'est ceder au << la'cisme iddologique >> ; I'6voquer, c'est se r~f~rer & Dieu.

H. Simon termine par une suggestion << plus emblkmatique > et qu'il soumet au d~bat : C Nous demandons non pas que l'Union europ~enne reconnaisse Dieu, mais qu'elle reconnaisse, dbs son prdambule, & ceux de ses citoyens qui le souhaitent la

(51) La dernibre phrase, precise Bdrangbre MASSIGNON, < doit beaucoup i la mobilisation des lai'cs belges et des humanistes hollandais auprbs de leur gouvernement C ((< Les relations des organisations europ~ennes religieuses et humanistes avec les institutions europdennes: logiques nationales et confes- sionnelles et dynamiques d'europ~anisation >>, in Croyances religieuses, morales et ithiques dans le pro- cessus de construction europdenne, Commissariat g~nlral au plan, Institut universitaire de Florence, chaire J. Monnet d'etudes europ~ennes, publid sur le site Internet de la Documentation frangaise en aofit 2002, p. 33).

(52) Le 22 septembre 1996, i Reims, le pape avait rectifi6 (sans l'avouer) ses propos du ler juin 1980 au Bourget.

(53) Cf. sur l'histoire du priambule l'article de Guy BRAIBANT, repr~sentant de la France g la com- mission charg~e de la rldaction, << La charte des droits fondamentaux C in Droit social janvier 01, p. 75.

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possibilit6 de l'invoquer librement. C Cette proposition remplace celle qu'il a sou- tenue auparavant avec la COMECE et qui consistait & faire inscrire, sur le modele de la Constitution polonaise, que certains fondent les valeurs de l'Union sur Dieu et que d'autres se referent & d'autres sources (cf. DC, 2002, pp. 525 & 528, LC, 13/05 et 14/11/02, LM, 20/8, 8/11 et 10/11/02). I1 s'agissait, ajoutait-t-il, de prendre acte que les grandes religions monotheistes, et singulierement le christianisme, ainsi que l'humanisme issu de la Renaissance, occupent une place essentielle dans la conscience de l'Europe et dans sa m6moire >> (OF 8/11/02). Mais il n'expliquait pas pourquoi il cantonnait l'humanisme dans les << autres sources >>. Il tente cette fois, alors que la liberte de conscience et la liberte religieuse (donc celles d'etre boud- dhiste ou ath6e autant que chr6tien) sont reconnues dans le corps du texte, de justi- fier la place particuliere souhait6e pour la liberte de croire en Dieu. Il s'appuie ici encore sur des faits: dans les pays communistes de l'Est, les dissidents savent qu'ils ont 6t6 mieux soutenus par les Eglises et les militants associatifs que par les Etats >>. << I1 me semble, ajoute-t-il, que c'est 1l, tout simplement, une fagon de pro- clamer la liberte de conscience et la libert6 religieuse, qui permettent de reconnaitre les limites juridiques de tout systeme politique. C < Le respect par l'Etat de la libert6 de religion, selon le pape, est signe du respect des autres droits fondamen- taux en ce qu'il est la reconnaissance implicite de l'existence d'un ordre qui d6passe la dimension politique de l'existence (DC, 2003, pp. 137-138). >> Le rappel de l'histoire r6cente (peu pertinent puisqu'il invite & comparer le r61e des mono- th6istes & celui des gouvernants, non des groupes ayant d'autres r6ferences) cache done le pr6suppos6 theologique, et le sentiment personnel, la position institution- nelle, qui nous ramene & la transcendance de Dieu comme fondement des liber- t6s (54).

L'article d'H. Simon est resume par cette formule: que le preambule de la Constitution se refere << d'une maniere ou d'une autre & la Transcendance >>. Apris le sommet de Nice, le pape avait regrette que pas une seule allusion & Dieu, source supreme de la dignite de la personne et de ses droits fondamentaux, n'ait ete inseree dans la Charte >> (LM, 20/12/00). I1 nous semble done inexact d'ecrire, comme M. Cool renvoyant & H. Simon (TC, 14/11/02), que les eveques frangais C se sont demarques de l'offensive vaticane pour que la future Constitution euro- pdenne se refere en toutes lettres & Dieu ~: le pape lui aussi se serait contente d'une allusion >>. Pour la hierarchie catholique, la primaute des organisations confessionnelles, la reference aux racines chretiennes, la mise en exergue de la liberte de croire en Dieu etaient les avatars (les differentes formes, plus ou moins reconnaissables) sous lesquels la divinite se presentait. La revendication d'H Simon jure-t-elle, comme le pense Daniele Hervieu-Leger, avec son attachement & la lai'- cite (55)? L'etonnant pour lui est qu'aujourd'hui encore Dieu << donne des bou- tons C (TC, 14/11/02). A. de Vial, representant de J.-M. Lustiger aupres des

(54) La primaut6 de la libert6 religieuse, affirm6e dgalement i plusieurs reprises par J.-M. LUSTIGER (LM, 5/10/88; CD, p. 89; DD, p. 53; PE, pp. 66-67) n'est pas plus justifiable par le droit que par les faits : selon le constitutionnaliste Frangois Luchaire, rien ne permet de dire que certaines libert6s consti- tutionnelles seraient fondamentales et d'autres non (article Libert6 >> in Olivier DUHAMEL et Yves MANY, dirs., Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 569 sq.).

(55) Danible HERVIEU-LEGER, Catholicisme, la fin d'un monde, Paris, Bayard, 2003, pp. 49; 269 n. 2.

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parlementaires, a 6tabli le m~me diagnostic i partir d'un sympt8me different: C Les Frangais sont sid~r~s de voir les presidents amdricains terminer leur discours en invoquant Dieu. Cela h6risse le poil de notre tradition laique. Aux Etats-Unis, on ne connait pas ce cloisonnement (TC, 10/01/02) (56) >. Les m~taphores disent que la < saine laicit6 > doit se r~fcrer i Dieu (ceux qui la refusent ont, et font, des r~ac- tions 6pidermiques) et qu'& d~faut la s~paration lgale est cl6ture ill~gitime. Si la tentative pour mentionner Dieu dans la Constitution europ~enne 6tait vou~e & l'6chec, a expliqu6 H. Tincq, c'est qu'elle 6tait r~cus~e par tous ceux qui y voyaient << une forme de discrimination pour les non-croyants >> (LM, 8/11/02). Aux yeux des

6v~ques frangais comme du pape, I'attitude partisane consiste au contraire & ne pas nommer Dieu, qui relkve de C la v~rit6 objective C et qui fonde les droits de tous, meme de ceux qui nient son existence (Jean-Paul II, DC, 1991 p. 54)(57).

Lorsqu'il est intervenu pour que l'Union europ~enne, & d~faut de la France, admette ce principe, I'6piscopat s'est heurt6 & la logique d'institutions qui, constate M Rocard, 6taient d~j& < laiques au sens frangais du terme >> (LM, 27/11/02) (58). Le transfert ayant ainsi retrouv6 la censure qu'il 6tait destine & contourner, il a dfi op~rer un d~placement - de l'616ment important (Dieu) & des 61~ments secondaires

qui ne l'6voquent que par allusion - (59). Finalement, alors que la France a accepts sans d6bat, dans le pr~ambule de la Constitution de l'Union, la mention explicite des heritages religieux & laquelle elle s'6tait oppos~e dans celui de la Charte (60), la COMECE (LC, 26/06/03), puis le pape (LM, 1/07/03), qui ont obtenu ce qu'ils demandaient alors, se sont plaints d'une conception de la laicit6 emp~chant de men- tionner l'h~ritage << chrtien >>. Quant & l'article 1-51, il ajoute bien, & l'alin~a 3, l'obligation d'un dialogue structur& lid & la sp~cificit6 des organisations cities, mais confessionnelles ou non (61).

La COMECE s'est cependant f6licit~e que l'alin~a 1 laisse le statut des confes- sions & la competence des nations (OF, 29/05/03). C'est done & travers le droit fran- Cais que l'6piscopat dolt atteindre son second objectif: se faire reconnaitre comme le porte-parole de Dieu. Cette << these > se d6duit notamment de la r~f~rence faite

(56) Apr~s la seconde guerre du Golfe, on est conduit i se demander si la hibrarchie catholique pr&- fbre le president qui s'oppose i elle au nom du mime Dieu a celui qui la rejoint sans invoquer aucune transcendance.

(57) Notons que selon Guy Coq, catholique d~clarC, la Constitution europ~enne, pour donner i la dignit6 humaine un fondement acceptable par tous, doit se r~f~rer non ai Dieu mais i la capacit6 de s'interroger sur les valeurs (< Pour une Europe humaniste >, OF 13/03/03).

(58) Cf dans le mime sens Guy BRAIBANT, Droit social, janvier 01, p. 75, et Rend RiMOND, post- face i La laicite, une valeur d'aujourd'hui ?, op. cit., p. 350.

(59) Nous ne pratiquons pas ici l'analyse de l'inconscient mais l'6tude de << la pens~e 6veillke >, oit << il doit y avoir entre l'allusion et la pens~e veritable un rapport de contenu >> (Sigmund FREUD, Introduc- tion i la psychanalyse, Choix de textes rassemblks par M.-Th. LAVEYSSIiRE, Paris, Masson, 1977, p. 38). Comme le transfert (d'un baptime i l'autre) le d~placement est ici patent (il faut une r~f~rence i Dieu au moins par C allusion >, C d'une manibre ou d'une autre >>).

(60) Les deux formules il est vrai ne sont pas 6quivalentes. La France avait 6cart6 la r~f~rence aux valeurs de < l'h~ritage culturel, humaniste et religieux >>, elle a accepts C les heritages culturels, religieux et humanistes C> : le second adjectif a gagn6 une place, mais il faut le lire comme les autres au pluriel, ce qui exclut la confusion avec << chr~tien C>.

(61) Nous nous fondons ici sur le projet acceptd lors du sommet de Thessalonique des 20 et 21/06/03 et qui dolt 6tre examine en octobre par une conference intergouvernementale.

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par l'assembl~e plknibre de 1994 5 la declaration du 13 novembre 1945, du rappel par O. de Berranger, 6v~que de Saint-Denis, que l'Eglise se veut mater et magistra de l'humanit6 (62), dans la notion de << saine lai'cit >> que J. Dor6, comme J. Lefebvre en 1958, emprunte 5 Pie XII (RDR, p. 59). En 1988, devant la Cour europ~enne de Strasbourg, Jean-Paul II a applique le principe 5 l'Europe: l'Eglise ne saurait renoncer g sa mission d'enseigner le message qui lui a 6t6 confid (DC, 1988, p. 1005). I1 n'ignore pas cependant que sa quite de reconnaissance par l'Union lui impose une alliance avec les autres confessions chr~tiennes (63). C'est ainsi qu'on lit dans le communique commun publi6 en mai 2001 avec l'archev~que (orthodoxe) d'Athbnes : C La tendance naissante i transformer certains pays en des Etats s~cularisis, sans aucune r~f~rence i la religion, est une regression et une negation de leur heritage spirituel. (...). Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les racines chritiennes de l'Europe et que son ame chritienne puissent 8tre gard~es intactes (LM, 6/05). >> La seconde phrase vise la Charte. La pr~c~dente fait allusion i la suppression, d~cid~e en 2000 par la majorit6 socialiste grecque et impos~e par l'Union, de la mention de la religion sur les cartes d'iden- tit6 (64), et sans doute A la < separation C intervenue en Suede le 1er janvier 2000 entre l'Etat et l'Eglise luth6rienne ; elle laisse 6galement apparaitre la crainte que le mal ne s'6tende (i l'Irlande, plus tard t la Pologne, qui se rdfbrent & Dieu). La tran- saction tient en deux points : au niveau de l'Union, I'h6ritage chr6tien est indivis; dans chaque pays s'applique une sorte de droit d'ainesse.

Cette prerogative permet i l'6piscopat frangais de pr6senter la formation de l'Union comme < l'argument sans doute le plus important C en faveur d'< une cer- taine r66valuation des relations entre l'Etat et l'Eglise catholique C (c'est nous qui soulignons). << La << lai'cit6 i la frangaise >>, en effet, n'existerait pas sans la tradition catholique i laquelle elle s'est oppos6e. Elle suppose donc, dans les faits, un certain partage des responsabilites entre l'Etat, qui pr6tend t une stricte neutralit6 sur le plan religieux, et l'Eglise catholique, A qui l'on reconnait implicitement un statut de <( service public de la religion >> (PLF 1, pp. 79 ; 78). La resistance du catholicisme

(62) Olivier DE BERRANGER, Jean BOISSONNAT, L'dvdque et l'&conomiste, Paris, Presses de la Renaissance, 2001, p. 204. Il renvoie a l'encyclique de Jean XXIII portant ce titre (1961); le pape, explique J.-L. Schlegel, entendait adapter l'institution sans lui faire perdre le statut correspondant / la mission r6sum6e par ce titre (TC, 10/10/02).

(63) Cf. / ce sujet Jean-Paul WILLAIME, << Les formes de coop6ration des organisations et acteurs religieux en Europe : entre oecum6nisme et quotes identitaires >>, Croyances religieuses, morales et ethi- ques dans le processus de construction europdenne, op. cit., p. 84 : la construction de l'Europe est << cecu- m~nog~ne >> mais en mime temps engendre des << processus de reconfessionnalisation >. Wojtek KALINOVSKI note de son c6t6 que dans les pays oP, comme en Allemagne, plusieurs religions chritiennes sont depuis longtemps sur un pied d'6galit6, le < pragmatisme >> les conduit / une collaboration plus 6troite que dans les autres (<< Les institutions communautaires et << l'Ime ,> de l'Europe >>, ibid pp. 48-49). Selon une 6tude (/ partir des d6clarations d'appartenance) publide par la F6diration protestante en avril 1999 et cit6e par O. de BERRANGER (DC, 2001, p. 35), les protestants reprisentent 43 % de la population en Allemagne (les catholiques 45 %), 88 % au Danemark, 87 % en Finlande, 92 % en Suede, et les ortho- doxes 96 % en Grace; les catholiques sont majoritaires dans les autres pays, mais on voit que leur influence / l'6chelle de l'Union n'est pas la mime qu'en France ou en Italie (respectivement 67 % et 86 % d'apr~s la mime source).

(64) Au sujet de la carte d'identitd, cf. OF 31/08/01 ; en ce qui concerne l'orthodoxie grecque et l'Europe, cf. Nikos KOKOSALAKIS, << Orthodoxie grecque, modernit6 et politique >, dans Identites reli- gieuses en Europe, op. cit. (notamment p. 131), et Jean-Paul WILLAIME, C Les religions et I'unification europ6enne C, ibid., p. 308.

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A la lai'cit doit done lui valoir une reconnaissance (dans les deux sens du mot) sp&- cifique de la part de la Rtpublique (65).

Le 14 d~cembre 1994, t l'approche de C deux ch~ances politiques d~terminan- tes >> (6lections prdsidentielle et municipales), I'6piscopat a fait valoir ses titres de fagon plus complkte et plus subtile : < Les 6v~ques sont investis d'une mission spi- rituelle. Celle-ci leur fait un devoir de mettre l'accent sur ce qui, chez nous, fonde et d~passe le combat politique. C La primaut << chez nous >>, precise la suite, tient au << patrimoine de valeurs issu du fond de notre histoire > et dont la majorit6 des Frangais voit en l'Eglise la d~positaire (LC, 17/12/94). La l1gitimit6 historique est ici plus large que dans le cas precedent : il faut comprendre que le christianisme est la source de la devise rdpublicaine (66). Elle confirme en outre la l1gitimit6 proph&- tique donn~e par << l'investiture >> (divine), qui oblige ? 6noncer ce qui << fonde et d~passe C le politique. Elle est renforc~e t son tour par la 16gitimit6 d~mocratique. Comme Dieu lui-mime dans les institutions europ~ennes, I'autorit6 confer~e en France par son ordre de mission se glisse A travers des sous-entendus. Ce proc~d6, remarque O. Ducrot, permet de profiter a la fois de l'innocence du silence et de l'efficacit6 de la parole (67) ; ici, le rappel de la primaut6 se fait discret et l'absence de reactions vaut consentement.

C'est le << charisme proph~tique >> (68) qui justifie le statut demand&, lui aussi tacite puisque l'6piscopat revendique C dans les faits >> et C implicitement >> celui que le concordat lui attribuait en droit et explicitement. IL ne saurait s'agir d'une d6lgation: c'est C par nature >> que le service de la transcendance a un caractbre public (69). La 1lgitimation s'opbre dans l'autre sens : par sa mission spirituelle, explique J. Dor6, et conform~ment t la << vraie lai'cit >>, l'Eglise < est invit~e t faire place au politique, i la puissance publique >>, et n'a aucune peine << ni & declarer ni & honorer une autonomie effective de l'Etat et des instances gouvernementales dans leur ordre propre C>, celui dont < elle-m~me n'a pas la charge C. L'Etat doit C recon- naitre >> (verbe ici constatif), l'Eglise < declare >> (verbe en l'occurrence performa- tif): c'est Dieu (& travers elle) qui determine C ce qui revient & C~sar >>. L'ordre propre, precise J. Dord, correspond << aux rdalitds <( temporelles >> ou << terrestres C, comme on dit C (RDR, p. 59). C On >> ? Le texte de 1945 et la constitution conci-

(65) Hippolyte SIMON, qui a r~dig6 ce passage, a repris l'argument dans Vers une France pa'enne ? (Paris, Cana, 1999, p. 59 [cf. Arch. 112.102]). Laurent Laot en est rest6 < pantois >> (Les Cahiers de l'Atelier octobre 01, p. 18); Roger LESGARDS a rdpondu que la lai'cit6 peut tenir debout, sans tuteur ((< Appel & la riflexion >>, in Vers un humanisme du troisibme millinaire (sous sa direction), Paris, Cherche-midi 6di- teur, 2000, p. 20).

(66) J.-M. Lustiger a repris i son compte (OCOV p. 451) la declaration faite par Jean-Paul II au Bourget en 1980 : les id6es de libertd, d'6galit6 et de fraternit6 sont < au fond C des id6es chr~tiennes, mime si ceux qui les ont formul6es ne se r~f6raient pas i Dieu. Pour fonder sa l1gitimit6 en ce domaine, la hidrarchie catholique a done deux sdries de faits au feu : l'une s'applique i la p6riode ou elle combat- tait la libert6 religieuse, l'autre (ceux qui luttent pour cette liberti sont les meilleurs d&fenseurs des droits de l'homme) vaut depuis qu'elle l'a admise (sous condition) i Vatican II.

(67) Oswald DUCROT, Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1986 (2e edition), p. 13. (68) Mandat (ou << investiture >>) pour parler au nom d'une divinit6 (cf. Max WEBER, Sociologie des

religions, textes traduits et pr6sent6s par Jean-Pierre GROSSEIN, Paris, Gallimard, 1996, p. 254 [coll. << Bibliothbque des Sciences Humaines >>] [cf. Arch. 108.89]).

(69) CEF, L 'Eglise catholique en France, Paris, Centurion/Fleurus-Mame, 2000, p. 311 (i propos de l'enseignement catholique, C expression de la r~alit6 ecclsiale >>) et Emile POULAT, La solution laique et ses problemes, Paris, Berg international, 1997, p. 135.

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liaire Gaudium et spes (1965), qui proclament respectivement < la souveraine auto- nomie de l'Etat dans son domaine de l'ordre temporel C et < la 1Cgitime autonomie des r~alitds terrestres >C (C 36) (70). Les compdtences de l'Etat ddfinies dans le pre- mier texte excluent le domaine des moeurs (71). En ce qui concerne la lgislation concernant l'Eglise et ses 6coles, il est habilitd, nous l'avons vu, t traiter avec elle < sur un pied d'6galit6 > mais non, ce qui serait un renversement de < l'ordre voulu par Dieu >>, t prendre des mesures unilatdrales.

Quelle est alors, << chez nous C, la part des autres confessions ? En 1945, la < th~se >> (le mot figure dans le texte) dtait l'union des Frangais dans la foi catho- lique, le < fait >> prendre en compte la division des croyants; l'Etat n'en devait pas moins voir dans l'Eglise la porte-parole de Dieu (DC, 1946 col. 7). Celle-ci, crit aujourd'hui J. Dord, C est appelde & faire place & d'autres manibres que la

sienne propre d'accomplir dans le monde une mission, que de toute manibre, elle ne suffirait pas elle-mdme & assurer seule: autres confessions, autres visions du monde, autres sagesses > (RDR, p. 59). Mdme dlargi, le pluralisme demeure contin- gent et conc~dd : c'est au nom de Dieu - < appelde >> le dit plus clairement encore qu'< invite >> - que l'Eglise << fait place >C aux autres groupes de pensde comme & l'Etat. L'~glise catholique, avait conc~dd H. Simon, n'assure pas seule le service public de la transcendance (72) ; mais elle a obtenu le 12 fdvrier 2002 un traitement & part. C Entre l'Etat et l'individu libre de penser et de croire, avait remarqud J.-P. Ricard, ii existe un espace trbs vaste qui est celui des mouvements, des asso- ciations et de tous les lieux ofu se forme une ddmocratie (LV 14/11/01). >> Mais l'association de 1901 qu'avec le vice-prdsident M. Pontier il reprdsentait n'a occupd le 12 fdvrier que les bas-c6tds et le Saint-Siege n'est pas un lieu ofi se forme une d6mocratie. Nous sommes dans le cas de figure envisag6 en 1990 par J. Baub6rot: la hidrarchie catholique n'accepte qu'en apparence un jeu associatif contraire & la primaut6 & laquelle elle pr6tend et a sa pratique interne (73).

Elle s'est cependant heurt6e aux limites du pragmatisme. L'article 4 de la loi de 1905, qui r6servait l'affectation des lieux de culte aux associations cultuelles C se conformant aux rbgles d'organisation du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice >>, faisait partie du << pacte >>. Mais en imposant un fonctionnement conforme & la loi de 1901, l'article 18 violait, selon Pie X, la << constitution divine C de l'Eglise. Selon Pie XI, I'extension jurisprudentielle (n6gocide) de l'article 4 au d6triment de l'article 18 ne suffisait pas (74). Or F. Baldelli a constat6 que les contacts pr6vus le 12 f6vrier n'aboutiraient sur ce point qu'& des pr6cisions et que la jurisprudence 6tait une voie sans issue. Il a 6voqu6 ? ce sujet deux 6v6nements. P. Pican, 6vdque de Bayeux, n'avait pas fait appel aprbs sa condamnation pour ne

(70) Comme les cardinaux et archev~ques en 1945, Joseph DORE, op. cit., pr6cise (p. 59) que cette conception n'a rien g voir avec le cl6ricalisme.

(71) C L'Etat a le droit, dans le domaine temporel qui lui est propre, de r~gir seul l'organisation poli- tique, judiciaire, administrative et fiscale de la socidt6 >> (DC, 1946, col. 6). Sur ce qui touche i la vie et la mort, note Danible HERVIEU-LEGER, l'6piscopat estime toujours avoir une comp6tence exclusive (Catholicisme, la fin d'un monde, op. cit., p. 199).

(72) Hippolyte SIMON, Vers une France pa'enne ?, op.cit., p. 44. (73) Jean BAUBEROT, Vers un nouveau pacte lai'que ?, op. cit., pp. 207-208. (74) Selon Jean-Arnold de Clermont, l'interprdtation de 1923 6quivaut pourtant h une modification

de la loi (Ref 8/05/03).

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pas avoir sanctionn6 un pr~tre pddophile, alors que ses avocats, au nom de l'article 4, avaient plaid6 l'incomp~tence de la justice. A la suite d'une perquisition faite par un juge d'instruction, saisi 6galement d'une affaire de p~dophilie, dans un tribunal ecclksiastique instruisant une demande d'annulation de mariage, L.-M. Bill6 avait regrett6 que la justice, aprbs avoir reproch6 l'inaction de l'Eglise devant des crimes ou des ddlits commis par des clercs, bloque le fonctionnement de sa justice interne (75), (76). Si le nonce a estim6 une revision l6gislative n~cessaire & terme, c'est notamment pour mettre fin & cette anomalie, inconnue en Espagne et en Italie (deux pays concordataires), qu'est selon lui la concurrence, & propos du clerg6, du droit national et du Droit canon (LV 21/02/02).

La reconnaissance implicite existe, mais elle ne saurait suffire, estime done la hi~rarchie catholique & propos du statut qui convient & la transcendance - avec son versant externe (le partenariat exclusif) et son versant interne (la structure hidrar- chique) -. Cette appreciation vaut a propos des fonctions par lesquelles elle estime assurer un service public.

L'Etat admettrait d6ji dans les faits l'int6rat g~n~ral du culte catholique. C N'est-il pas 6trange, a demand6 A. Rouet, 6v~que de Poitiers, apris le drame de Toulouse, qu'une mime soci~t6 soupponne les religions de fanatisme et fasse c6l- brer des grands-messes pour les morts, president de la R~publique en tate ? Sauf qu'g Toulouse il s'agissait d'un acte symbolique public dans un acte de foi. On a demand6 & la religion ce qu'elle est, de l'avis majoritaire des Frangais, le plus capable de faire, poser cet acte symbolique devant la mort. Or il n'y a pas de poli- tique, pas d'utopie, sans symbolique (Projet, hiver 01-02, p. 12). >> Si l'on com- prend bien, l'acte symbolique public, qui exprime l'hommage de la nation aux morts et sa sympathie pour les families, ne se confond pas avec l'acte de foi (en la vie 6ternelle); il n'est pas pour autant detachable de < la >> religion (on notera le passage au singulier) & travers laquelle il s'exprime depuis des si~cles. A. Rouet justifie implicitement le rapprochement op~r6 par M. Morineau entre la messe pour F. Mitterrand a Notre-Dame et la revendication par J.-M. Lustiger d'une reconnais- sance publique (77). Il confirme en outre (par allusion ou r~miniscence ?) l'inter- pr~tation donn~e par D. Hervieu-L~ger de cette c~r~monie : l'Eglise, qui sait faire et b~n~ficie de < l'avantage identitaire conserve par le catholicisme, r6pond & la demande de la R~publique, qui ne sait pas faire. L'6vaque ne retient pas cependant l'affaiblissement d'un catholicisme << rduit au r6le de machinerie rituelle >>(78)

(75) Cf. notamment sur ce sujet LM, 15/06/01, 17/06/01, 6/09/01; OF 16/06/01, 8/09/01, 6/11/01; LC, 9/11/01; DC, 2001 pp. 1032-1033 et 1043.

(76) Le 17/12/02, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estim6 que le secret professionnel des ministres du culte ne faisait pas obstacle a la saisie de tous documents utiles A la manifestation de la v6rit6. Elle aurait pu consid~rer l'instance ecclksiastique comme un cabinet d'avocat et lui reconnaitre les mimes conditions de perquisition et le mime secret professionnel (cf. l'arr&t et le commentaire de Marie-Laure Lassat dans la Semainejuridique du 5/03/03, pp. 403 sq.). En revanche, la validation d'une << justice interne ,> constituerait i la fois une reconnaissance juridique contraire B la separation et une dis- crimination par rapport aux autres confessions, qui n'ont pas ce genre d'instances. J.A. de Clermont estime pour sa part que les pasteurs protestants ne peuvent revendiquer aucune prerogative devant les tri- bunaux (LC, 26/03/02).

(77) Michel MORINEAU, < "Panthdoniser" Notre-Dame de Paris ? >, article reproduit dans Problkmes politiques et sociaux, no 768, p. 48.

(78) Danible HERVIEU-LEGER, C Une messe est possible>>, Le Dibat, septembre-octobre 1996, cf. notamment p. 30.

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mais l'influence que celui-ci conserve. Il cautionne ainsi le <syncr~tisme lai'co-chr~tien C dont parle J.-P. Willaime et que la R~publique, C prenant en compte l'imaginaire collectif>> et composant avec le catholicisme, a adopts C au niveau de la religion civile en France (79), (80). >> A. Rouet illustre ainsi l'id~e g~ndrale sug- g~r~e par la CEF en 1994 : la l1gitimit6 d~mocratique cautionne une lgitimit6 his- torique elle-mime inseparable de la lgitimit6 proph~tique.

En 1994, I'dveque d'Evry, G. Herbulot, s'est f~licit6 d'une attitude analogue de l'Etat i propos d'un lieu de culte: sa nouvelle cath~drale, qu'il inaugurait en prd- sence des autorit~s civiles. Le maire avait encourage la construction pour avoir un centre repdrable, le ministre de la culture ddbloqud cinq millions de francs pour le C centre national d'art sacr >> annex6 i l'6difice et destine & une activit6 culturelle et non cultuelle (LM, 23/08/97). Mais, remarque C. de Galembert, pour eux comme pour l'architecte M. Botta, le lieu symbolisait i la fois un patrimoine et une spiri- tualit6 d~tachds de la foi catholique et auxquels chacun puisse s'identifier, ce qui a provoqu6 les r~ticences de l'&v~que (81). Selon H. Simon, le dilemme a 6td r~solu aux yeux de ce dernier par la distinction entre l'ext~rieur et l'int~rieur: le monu- ment, donjon sans fagade et sans fl~che A la difference des cath~drales d'autrefois, ne concurrence pas la mairie voisine ; les r~ponses aux questions qu'il peut susciter ne se trouvent qu'& l'intdrieur (82). Cette interprdtation est-elle significative d'une nouvelle attitude de l'Eglise face au monde (83)? Ce n'est pas celle qu'a d~ve- loppde G. Herbulot en inaugurant le monument: la cite avait voulu au coeur de la ville une cathddrale moderne symbolisant pour les croyants la transcendance de Dieu et pour les hommes de bonne volont6, qui 6touffent dans une socidt6 techni- cis~e et menacde, une alt~rit6 r~pondant & leur << qute de sensC (DC, 1995, pp. 181-182). Ce raisonnement implique deux presupposes qui renvoient & la doc- trine traditionnelle. Si l'alt~rit6 objet d'une quote de sens inquibte est repr~sent~e par un edifice catholique, c'est que, comme le C Dieu inconnu >> cherch6 et parfois << saisi & titons C des Actes des ap6tres (17, 27), elle est denomination encore mala- droite du vrai Dieu (84). Si le symbole parle aux hommes de bonne volont6, c'est que la bonne volont6, par un raisonnement circulaire, se reconnait & l'accueil du message (cf. Luc, 2,14) (85). Ajoutons que, dans le d~pliant qui pr~sente la cath&- drale, I'dv~que actuel, M. Dubost, situe le cercle, << signe de l'alliance que fait Dieu avec l'homme >>, dans une tradition architecturale illustrde notamment par l'art byzantin, le Saint-S6pulcre, les baptistires, les 6glises des Templiers. L'ambiguitt des symboles permet d'illustrer tant6t la nouveaut6 tant6t la continuitd des rapports avec la societY.

(79) Jean-Paul WILLAIME, Identitis religieuses en Europe, op. cit., p. 162. (80) Les c6r6monies aecum6niques soul~vent en termes diff6rents un problkme identique (cf. Maurice

AGULHON, Mots, juin 1991 p. 90). (81) Claire de GALEMBERT, < Cath6drale d'Etat ? Cath6drale catholique ? Cath6drale de la ville nou-

velle ? Les 6quivoques de la cath6drale d'Evry >>, Archives de Sciences Sociales des Religions, no 107, 1999, pp. 109-137 et notamment 115, 119 et 126.

(82) Hippolyte SIMON, Vers une France par'enne ?, op. cit., pp. 200-201. (83) C'est la question que s'est posde Danible HERVIEU-LEGER (Catholicisme, la fin d'un monde,

op. cit., pp. 49 h 51). (84) Selon Jean-Paul II, faisant rdfdrence i ce passage, la recherche de la V6rit6 absolue << s'iden-

tifie, sur un plan objectif, h la recherche de Dieu C (DC, 1991, p. 54). (85) S'adresser aux << hommes de bonne volont6 >, remarquait en 1971 Michel DE CERTEAU, c'est

attribuer gratuitement h sa parole une port6e universelle (Lafaiblesse de croire, textes r~unis et pr~sent~s par Luce GIARD, Paris, Seuil, 1987, p. 218).

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A l'int~rieur ou & l'extdrieur des lieux de culte, les C< prestations C des minis- tres, explique J. Dor6, apportent & de nombreuses personnes raisons de vivre et

r{confort. Il ne justifie pas seulement par 1h le traitement des pritres sous regime concordataire mais aussi le souhait de son extension aux diacres et aux lai'ces char-

g~s de tiches minist~rielles (RDR, p. 56). Un peu plus haut, L.-M. Bills a cepen- dant exprim6 la crainte que cela n'entrave leur libert6 (p. 32). C'est peut-&tre pourquoi A. Decourtray avait sugg&r6 le systhme allemand (un imp6t pr61ev6 sur les volontaires et reverse aux Eglises) (LM, 3/11/89). On peut aussi penser & la sup- pression, priconis~e en 2001 par J. Volff, alors procureur g~ndral de la R~publique & Toulouse, d'une discrimination contraire & l'article 9 de la Convention europ~enne des droits de l'homme : l'interdiction de financer un culte et d'avoir uniquement un objet cultuel pr~vue dans les articles 2 et 19 de la loi (86).

Conforme la lai'cit6 apparait &galement & J. Dord la prise en charge par l'Etat, en Alsace-Moselle, de l'enseignement religieux dans les Ccoles. A ceux qui pr~f~re- raient un enseignement du fait religieux, il r~pond que dans tous les domaines, et en particulier dans celui-ci, la distance par rapport aux convictions n'est ni souhai- table (elle empiche d'&tre C communicatif >>) ni possible (RDR, p. 52) (87). La cat&- chhse, a affirms dans le mime sens l'6piscopat en 1994, est << un veritable service public >>. Elle montre en effet aux jeunes << comment la foi chr~tienne structure un 8tre humain >> et C l'appelle (...) & prendre ses responsabilit~s >. Les Eglises chr&- tiennes, en outre, confortent le sentiment europ~en; elles doivent done avoir, << en particulier l'Eglise catholique >>, << la possibilit6 concrete de proposer la Parole du Christ aux jeunes g~ndrations >>. Enfin << l'entr~e dans une d~marche cat~chitique est un reel chemin pour acc~der & une vraie culture religieuse C (PLF 1, pp. 38, 82-84) (88). C'est notamment pour que l'Eglise puisse continuer & remplir cette demibre tiche que J.-M. Lustiger demandait en 1988 une r~forme 1kgislative (LM, 5/10/88). Il ne pensait pas seulement aux rythmes scolaires, difficult4 qui peut &tre r~solue par la simple application des lois de 1882 et 1959 (89). En outre, les expressions << possibilit6 concrete >> et < possibilit6 effective > - celle-ci utilis6e sur le mime sujet par L.-M. Bill6 (LC, 12/11/96) -, ainsi que <C l'interdiction >> du pro- s61ytisme regrett~e par J. Vilnet en 1991, rappellent l'argumentation d~velopp~e en 1959

. propos de l'enseignement : une libert& priv~e des moyens de s'exercer n'est

(86) Jean VOLFF, << Rdgime des cultes et lai'cit6, la loi du 9 ddcembre 1905 quinze ans apr~s sa pro- mulgation >>, La Gazette du Palais, 4/07/01, p. 6.

(87) Notons que, hors du regime concordataire, l'6piscopat attend cette distance des enseignants de l'6cole publique abordant le fait religieux (0. DE BERRANGER, L 'Humanitd-hebdo, 28/12/02).

(88) Cette proposition est prdc~dde de sa rdciproque : << L'acquisition d'une vraie culture religieuse est une des mediations les plus habituelles pour entrer en contact avec la Parole de Dieu >> ; il convient done de distinguer mais aussi de relier proposition de foi et transmission de la culture religieuse (p. 84). La rdflexion mende au ministbre sur << l'enseignement du fait religieux & l'6cole la'que >> ne peut esquiver la question de savoir si une telle conception est conforme & celle de Regis DEBRAY, que le ministre actuel, comme le prdcddent, a faite sienne : < Personne ne peut confondre catichise et information, proposition de foi et offre de savoir, catich~se et comptes rendus >C (L'enseignement dufait religieux a l'dcole laique, preface de Jacques LANG, Paris, Editions Odile Jacob, 2002, p. 23; cf. aussi Luc FERRY, LC, 5//11/02).

(89) Cf. la lettre adressde & l'6piscopat le 7 juillet 1998 par Sdgolkne Royal, ministre d6l1gude &

l'Enseignement scolaire (DC, 1999, p. 48); il est en outre prdvu d'aborder le sujet lors des rencontres ddciddes le 12/02/02 (LC, 11/06/03).

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pas respect~e (90) -. Si l'on ajoute que la situation est analogue - le remplacement des clercs par des laics dont certains sont salaries (91) -, on voit qu'il s'agit d'obte- nir un financement. Est-ce possible sans changer la loi ? L'activit6 ne consiste pas pour l'essentiel & << rendre un culte > mais & enseigner et ne semble pas vis~e par l'article 25, qui stipule que les reunions ayant cet objet sont publiques. Son carac- tare cultuel n'apparait que de faron implicite, l'article 30 pr~voyant des sanctions contre les C ministres du culte ,> qui font le cat~chisme & l'6cole publique. La juris- prudence pourrait done considdrer qu'il disparait lorsque celui-ci n'est pas assure par des clercs.

A un autre niveau d'enseignement, l'Universit6 publique de Strasbourg com- porte deux facult6s de thdologie (une protestante, I'autre catholique) et celle de Metz un centre d'enseignement et de p6dagogie religieux. L'Etat, souligne P. Valdrini, recteur de l'Institut catholique de Paris, a reconnu que la thdologie y avait bien le caractbre d'une << science humaine C. Invoquant un rapport off le doyen Vedel, en 1978, avait fait le mime constat & propos de l'enseignement donn6 dans les cinq facult6s catholiques (Angers, Lille, Lyon, Paris, Toulouse) et soulign6 son < interat g6n~ral >>, il exprime le souhait que celles-ci puissent obtenir des contrats (92). I1 reprend ainsi la revendication de l'6piscopat, qui en 1960 avait jug6 anormal que les instituts catholiques soient exclus de la loi Debr6 (DC, 1960, col. 609). En d6clarant que l'accord de janvier 1993 rendait possible un financement de la recherche catholique, M. Coloni a rdouvert cette piste. Mais P. Valdrini n'affirme l'ind~pendance de la recherche thdologique que par rapport au politique et & l'6co- nomique. I1 rappelle en revanche que les nominations dans les facult~s d'~tat peu- vent faire l'objet d'un veto de l'6v~que et il renvoie & Jean-Paul II (RDR, pp. 117-127); or pour celui-ci la v6rit6 r6v616e doit pr~valoir, chez les < sp6cialis- tes des sciences sacr~es >>, sur les sciences humaines (DC, 1990 p. 695) (93). Cette d~pendance exclut sinon des subventions (94) du moins des contrats rattachant au service public.

Nous sortons totalement du culte avec les aminagements demand~s en 1996 par G. Defois pour << l'expression dans l'espace public >> (LM, 17/09/96). Deux mois plus tard (LC, 12/11/96), L.-M. Bill6 se disait, dans le cadre de la lai'cit6, ouvert au dialogue C avec tous ceux qui d~sirent sauvegarder, dans la vie publique, des instances morales et spirituelles pour affirmer la dignit6 et la liberti des

(90) Cf. notamment le discours prononc6 le 11 janvier 1959 (quatre jours avant l'annonce par M. Debrd, dans son programme de gouvernement, de la recherche d'une solution d la question scolaire) par Paul Gouyon, 6vdque de Bayonne et futur cardinal, qui se rdf6rait g des juristes (DC, 1959, col. 175 d 179).

(91) 8,8 % seulement des catdchistes sont des prdtres (Colette MULLER et Jean-Rend BERTRAND, Oi0 sont passds les cathos ?, DDB, 2003, p. 158).

(92) Patrick VALDRINI, C Enseigner la thdologie en rdgime de lai'citd, le cas de la France >, in Une rdpublique des religions, op.cit., pp. 117-127.

(93) Selon Jean-Marie Donegani, c'est seulement << la mdfiance culturelle envers les groupes reli- gieux C qui s'oppose h la revendication de P. Valdrini (< La'citd, sdcularisation et religion >, RDR, pp. 153-154). La recherche des thdologiens catholiques, estime Danidle Hervieu-Ldger, << se rdfdre i un rdgime de la virit6 et de l'autoritd qui les place en porte-A-faux - quelles que soient leurs qualitis person- nelles - par rapport au monde universitaire (LC, 22/05/03) >.

(94) Les instituts catholiques en regoivent ddjh de l'Etat et des collectivitis territoriales - 190 mil- lions de francs en 1996 selon Odon VALLET C< La France n'est plus laique ,> (LM, 11/05/96) -; ils ddci- dent librement de la part affectie A la thiologie.

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citoyens C. En 1998, il devait rappeler, citant Jean-Paul II, que la libert6 et la dignit6 de l'homme reposent, en dernibre << instance C>, sur la v~rit6 annonc~e par l'Eglise catholique (95). I1 pensait done d'abord i la CEF, dont il venait d'&tre lu president. Si elle avait besoin d'&tre << sauvegard~e >>, c'est que son expression, sinon son existence, 6tait menac~e. Ses prises de position sur les probl~mes de societ6, il est vrai, participent sinon au service public du moins, comme l'a reconnu la Ligue de l'enseignement, au d~bat d~mocratique et impliquent un travail de r~flexion en partie confi6 & des sp~cialistes, des consultations, de la documentation, des reunions, pour lesquels les religions ne regoivent aucune aide publique. II n'y a pas 1i seulement discrimination par rapport aux organisations non confessionnelles, comme le remarquait en 1988 H. Tincq (LM, 3/04/88), mais illogisme. Le principe 6nonc6 en 1905, en effet, n'emp~che pas le financement public indirect, par le biais fiscal, des associations cultuelles depuis la loi de 1987 ; or il n'est pas opposable aux associations de 1901 mises en place par les confessions et n'est d'ailleurs pas oppos6 lorsqu'il s'agit d'activit6s sociales (96): on voit mal pourquoi il intervien- drait lorsqu'il s'agit d'une fonction civique. Mais peut-on 6valuer la discrimination sans tenir compte de l'ensemble ? C Un audit sur ce que notre regime frangais en matibre religieuse apporte & l'Eglise et cofte & l'Etat, a fait observer E. Poulat aux 6v6ques, pourrait avoir un effet ravageur >>, m~me en tenant compte de ce qu'elle donne par rapport & ce qu'elle regoit (97). O. Vallet, qui apporte 6galement ce cor- rectif, aboutit pour 2001 & un total de 50 milliards de francs, 6quivalant & ce qu'accorde l'Allemagne (98). Meme si l'on soustrait les 40 milliards vers6s aux 6tablissements sous contrat (99), combien d'organisations non confessionnelles regoivent autant ? Quant aux autres confessions, elles ne b~n6ficient pas de telles largesses pour l'entretien des lieux de culte privu par la loi de 1905 (100), ni pour la protection sociale des ministres (101).

Un financement accru des associations cultuelles et la << reconnaissance >C du droit interne impliquent une r6vision 16gislative; mais les autres revendications semblent relever du << pragmatisme >> : pratique administrative, jurisprudence, 16gis- lation parallble. Quant & l'argumentation de la hi6rarchie catholique, on peut la r6sumer par cette remarque d'E. Poulat: C le monde C est son interlocuteur et a

(95) Cf. CEF, A la veille de l'an 2000, Paris, Centurion-Cerf-Fleurus/Mame, 1999, pp. 18-20. (96) Le Comit6 catholique contre la faim et pour le ddveloppement, reconnu d'utilit6 publique,

d6pend de l'6piscopat. (97) Emile POULAT, e La laicit6 que nous voulons >>, Documents-/piscopat, juin 2001, pp. 4; 15-16. (98) Odon VALLET, LM, 11/05/96; Petit lexique des id/es fausses sur les religions, Paris, Albin

Michel, 2002, pp. 120-121. (99) Emile Poulat et Odon Vallet prennent tous deux en compte les sommes versdes au titre des con-

trats d'enseignement, que le second 6value g 40 milliards de francs, soit 80 % du total. Cette inclusion se justifie si on estime que l'Etat est reduit au r61e de payeur (0. VALLET, LM, 11/05/96), non si on consi- dbre que la loi Debr6 n'apporte pas une aide A l'enseignement priv6 mais l'associe au service public (E. POULAT, FEP-CFDT magazine, janvier 1994).

(100) L'application de la loi de 1905 aux seuls 6difices construits g cette date fait que le contri- buable finance 75 % des 6glises, 40 % des temples protestants, 10 % des synagogues, et en principe aucune mosqu6e (chiffres donn6s & Angers le 1/12/01 par Laurent Schlumberger, pr6sident du Conseil rdgional (Ouest) de l'Eglise rdformde de France, au cours d'un ddbat sur la la'cit6 (cf.

OE, edition locale,

3/12/01). (101) Dis 1928, les protestants ont salarid leurs pasteurs, qui ont ainsi cotis6 dans les conditions

habituelles.

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besoin d'elle (102). Elle doit en effet montrer que sa l1gitimit6 proph~tique et sa l1gitimit6 historique, qui, I'une << par nature C l'autre par culture, font de son offre un service public, correspondent & une demande qui lui confrre une 16gitimit6 d~mocratique. Lorsqu'elle constate ou croit constater une attente, elle projette done sur la socidtd (le pouvoir, les citoyens) la relation qu'elle-mime 6tablit entre les fonctions qu'on souhaite la voir remplir et la mission dont elle se dit investie.

Il est vrai que le pouvoir politique lui donne des arguments en r~pondant & son pragmatisme par un pragmatisme symitrique qui le conduit parfois, dans ses rela- tions avec elle, & subordonner la lai'cit6 & des objectifs politiques qu'il estime prio- ritaires. C'est ce qu'avait fait J. Lang en signant avec M. Cloupet et en reculant sur le caractbre propre (103). B. Toulemonde, qui 6tait son conseiller & l'6poque, a expliqu6 qu'il voulait s'allier avec les 6v~ques pour contrer << le discours de privati- sation de l'enseignement priv6 et la derive vers l'6litisme C (104). Selon J. Georgel le ministre, voyant se mobiliser & l'Ouest, region favorable & l'id~e europ~enne, les d~fenseurs d'une dcole catholique fortement implant~e et qui se jugeait d~favoris~e, craignait, s'il ne faisait pas un geste important dans leur direction, qu'ils ne bou- dent, en septembre, le r~f~rendum sur Maastricht (105).

Si J. Chirac et L. Jospin ont 6cartd la mention de < l'h~ritage religieux >> du pr~ambule de la Charte, c'est sans doute moins parce qu'ils la jugeaient eux-mimes inacceptable que par crainte de < ranimer les passions civiles C (106). Ils ont ensuite precis6, de meme que les autres candidats & l'6lection pr~sidentielle favora- bles au principe d'une Constitution (F. Bayrou, A. Madelin, N. Mambre et C. Taubira), que celle-ci devait &tre compatible avec la laicit6 telle que la congoit la France (107). L'affaire cependant a eu des implications politiques internes. Venant d'oi~ il ne l'attendait pas, l'opposition & son intervention a 6branlk L. Jospin. Elle l'a d'abord incite, neuf mois apris avoir laiss6 J.-L. Bianco le presenter comme le seul champion d'une Europe laY'que (108), & r~v6ler que le president avait fait la mime d~marche (Le Figaro, 30/07/01). Elle l'a ensuite amend & s'6tonner que des < chr~tiens de gauche >> aient pu le consid~rer comme hostile aux religions et & lire dans leurs reproches la demande peut-8tre justifide d'une meilleure prise en compte de celles-ci (LC, 20/11/02).

Certes, les contestataires n'6taient pas tous chr~tiens, les chr~tiens n'6taient pas tous catholiques (les responsables de l'hebdomadaire protestant Reforme en fai- saient partie) et certains catholiques si~geaient & la droite de Dieu (les 6v~ques) ou de la R~publique (par exemple trois d~putis devenus ministres du gouvernement

(102) Emile POULAT, L 're postchritienne, un monde sorti de Dieu, Paris, Flammarion, 1994, pp. 217-218.

(103) Les autres dispositions des accords se situent dans la logique (la'que) de la loi Debrd. (104) Bernard TOULEMONDE Les Cahiers de la Cerf mars 1996, p. 13. (105) Jacques GEORGEL, Anne-Marie THOREL L'enseignement privd en France du VIIe au XXe

sihcle, Paris, Dalloz, 1995, pp. 108-109. (106) C'est ce que laisse entendre pour le second Roselyne BACHELOT dans TC du 11/04/02; mais le

calme plat constatd apr~s l'introduction de ce terme dans la Constitution laisse penser que c'est peut-&tre leur intervention qui a soulevd les passions.

(107) Rdponses au questionnaire du Grand-Orient de France publides sur son site Internet le 4/04/02.

(108) Jean-Louis BIANCO, << L'Europe sera la'que ou ne sera pas >, Liberation, 6/10/00.

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Raffarin). Mais la suite montre que c'est notamment aux catholiques de gauche que pensait le premier ministre. Et de fait, la reaction s'est exprim~e principalement dans les deux p~riodiques proches de cette mouvance et leurs collaborateurs ont jou6 un r61e important (109). En novembre 2000, M.O. Padis se demande dans Esprit, dont il est r~dacteur en chef, si l'on va vers une < Europe sans heritage reli- gieux >. Le 7 d~cembre, t l'initiative de J.C. Guillebaud, soixante-dix chr~tiens, dans TC, appellent & mentionner cet heritage dans la Charte ; parmi eux O. Mongin, << directeur de la revue Esprit >>, et J.-L. Schlegel, << diteur au Seuil > mais aussi conseiller de la direction du mensuel. Le second justifie la d~marche dans l'hebdo- madaire, parallblement au r~dacteur en chef, B. Ginisty. I1 ressort de ces 6crits que la formule 6cart~e 6tait compatible avec la lai'citi, mais aussi que les C religions 6tablies > respectent l'esprit et la lettre de la loi de separation C de l'Eglise >> et de l'Etat et que L. Jospin a pich6 par C crispation lai'carde > ou C calcul politi- cien >> (110).

Si ces reactions l'ont surpris, c'est qu'elles correspondaient & une evolution

rCcente et jusqu'alors peu perceptible. En avril 1986, dans Esprit, O. Mongin,

J.-L. Schlegel et J.-C. Eslin avaient mis en garde l'6piscopat contre < la tentation du double langage >> & propos de la lai'cit6 ; l'appel de TC signs par les deux premiers 6carte cette hypothise, et le troisibme a assur6 en 1999 que dans l'encyclique Pacem in terris Jean XXIII avait opr6 <C un changement de cap radical >> par rap- port & la thdorie de la these et de l'hypoth~se (111). Cette thdorie qui n'a rien & voir avec l'acceptation actuelle de la lai'cit6 par l'Eglise, soutenait a peu pros

en mime temps G. Pietri dans la preface d'un livre r~dig6 par des < chr~tiens engages avec conviction dans l'enseignement public >> (112). Le 12 d6cembre 1988, dans l'6dito- rial de TC, P. Valadier avait attribu6 ce qu'il consid~rait comme << une campagne anticl~ricale > au manque de consid6ration de l'Eglise pour la societ6, lid & l'id~e < qu'elle seule a et dit la v~ritC >> ; en juin 1997, dans Esprit, il d~nongait un antica- tholicisme syst~matique et ne conc~dait que du bout de la plume ce que cette atti- tude pouvait devoir au conservatisme de l'institution. I1 s'en prenait en mime temps & ceux pour qui l'Eglise ne peut accepter la lai'cit6 que sous la contrainte (113), contredisant ainsi ce qu'en 1991 J.-C. Eslin avait affirms (114) et lui-mime laiss6 entendre en s'6criant, & l'occasion d'6tats g~ndraux organists par TC: <<N'exi- geons pas la d~mocratie dans l'Eglise, imposons-la (LM, 26/11/91) ! >> En 1987, il avait jug << caractdristique des totalitarismes >C la pr~tention de la hidrarchie catho-

(109) Qu'Esprit n'ait jamais 6t6 un p~riodique confessionnel (constante rappel~e par Frangois LAMBERT dans le num~ro de juin 2003, p. 225) et que certains de ses r~dacteurs, mime specialists dans le domaine religieux, ne se considbrent pas ou plus comme catholiques (Jean-Claude ESLIN, num~ro de novembre 2002, p. 105) ne change rien a l'dvolution des appreciations port~es par (ou dans) l'hebdoma- daire sur la hidrarchie catholique.

(110) La deuxibme proposition figure dans l'appel de TC, la troisibme dans l'article de Jean-Claude GUILLEBAUD < Le refus des origines >>, LM, 5/12/00.

(111) Jean-Claude ESLIN, Dieu et le pouvoir, thdologie et politique en Occident, Paris, Seuil, 1999, pp. 252-253.

(112) Dieu est-il laique ?, Paris, Descle de Brouwer, 1998, p. 9; Gaston PIETRI a signs l'appel de TC. (113) Paul VALADIER, << Peut-on parler d'un antichristianisme ? >>, pp. 210-216. (114) Jean-Claude ESLIN, < Catholicisme et pluralisme >, Projet, printemps 1991, p. 91.

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lique & < occuper le lieu du vrai >> (115); en 2002, il assure que C la lai'cit6 a besoin de l'Eglise pour 6viter les derives totalitaires et sectaires (116) >>.

Un article de G. Coq, collaborateur d'Esprit, paru quelques mois apr~s la venue du pape en 1996 laisse penser que, de ce c~t6, on a voulu croire que Jean-Paul II avait alors proclam6 une adh6sion sans r6serve et d6finitive & la lai'cit6 et qu'on y 6tait sans doute pour quelque chose (117). M. Morineau observe en outre qu'aux yeux des catholiques (comme aux siens) le rapport Dagens a mis un terme au doute << en prouvant, & la fin de ce siicle, la sincere prise en compte de la lai'cit6 par l'Eglise C (118). C'est aussi la conclusion que K. Talin tire C des >> rapports Dagens (119). I1 est vrai que dans le premier (PLF 1, pp. 53, 76-77) et dans le second (PLF 2, pp. 20; 28, [en caractbres gras]) on trouve des passages ou l'6pis- copat assure accepter une lai'cit6 selon laquelle il n'est qu'une voix parmi d'autres. Peut-8tre les catholiques de gauche 6taient-ils d'autant mieux dispos6s & les retenir que le texte de 1996 suivait une large discussion & la base, ce qui, de la part d'une hi6rarchie demeur6e sourde & l'appel lanc6 par les 6tats g6ndraux de 1991 (120), pouvait apparaitre comme une ouverture. Ils n'ont pas lu dans ces documents le principe qu'en 1990 l'un d'eux, L. Laot, avait formul6 ainsi: << L'Eglise n'accepte la lai'cit6 que lorsque les promoteurs de celle-ci se sont convertis & la conception qui a 6t6 la sienne de tout temps (121). C Sans doute aussi sont-ils mieux dispos6s & chercher << le texte cach6 & l'intdrieur du discours convenu >>(122) chez les politi- ques que chez les hommes d'Eglise: lorsqu'en 2000 M.O. Padis a vu dans l'argu- mentation d'H. Simon en faveur de < l'hdritage humaniste et religieux >> une juste appr6ciation de la lai'cit6, il n'a pas soupponn6 d'arribre-pens6es; il en a pergu en revanche dans l'attitude de L. Jospin.

C'est aussi que ce dernier avait d69u. Les C cathos de gauche >> (les guillemets sont dans le texte), lit-on dans un article de TC du 7 d6cembre 2000 expliquant l'appel, n'6taient gubre repr6sent6s dans le gouvernement et se sentaient m6prisis, alors qu'ils avaient constamment tent6 de concilier avec le christianisme leur atta- chement & la R6publique et & une gauche dont le renouveau leur devait beaucoup. Dans le m~me num6ro, J.L. Schlegel soupponnait le gouvernement de vouloir mar- ginaliser les religions, notamment le catholicisme. En assurant que le cl6ricalisme avait chang6 de camp, l'6ditorialiste B. Ginisty r6sumait la double 6volution - celle de la gauche, celle de la hi6rarchie de l'Eglise - per~ue par ces catholiques et qui les a conduits & s'dloigner de la premiere et & se rapprocher de la seconde, 6chap- pant ainsi par un autre chemin & la double injonction & laquelle ils 6taient soumis.

(115) Paul VALADIER, L Eglise en procks, Paris, Calmann-L6vy, 1987, pp. 127; 122. (116) Paul VALADIER, C Un message pertinent pour aujourd'hui >> in Yves de GENTIL-BAICHIS,

Chritiens, tournez la page, (entretien), Paris, Bayard Editions, 2002, p. 122. (117) Guy COQ, << Le bouleversement d'une image >,

OF, 30/12/96; cf. aussi l'article d'Henri

TINCQ << La r6volution frangaise de Jean-Paul II >, LM, 24/09/96. Confirmation a contrario de notre hypoth~se: le raidissement des anndes quatre-vingts (auquel ce voyage semble mettre fin) est reli6 par Philippe PORTIER g la perte d'influence du courant < catho de gauche > (les guillemets sont dans le texte) (Eglise et politique en France au xxe siicle, op. cit., p. 141).

(118) Michel MORINEAU, C Les courants de pensde dans la laicit6 >, Projet, automne 2001, p. 81. (119) Kristof TALIN, C Les 6v~ques frangais et la lai'cit6 >>, La laicitd, une valeur d'aujourd'hui ?,

op. cit., p. 203. (120) Pierre PIERRARD, Un sidcle de l'Eglise de France, 1900-2000, Paris, Descl6e de Brouwer,

2000, p. 224. (121) Laurent LAOT, Catholicisme, politique, lai'citd, Paris, Les Editions ouvribres, 1990,

pp. 107-108. (122) Georges BALANDIER, Le pouvoir sur sciones, op. cit., p. 143.

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Or l'image qu'ils donnaient de L. Jospin correspondait & celle que, & partir de la mime version des faits, A. Jupp6 allait essayer d'imposer au printemps sui- vant (123). En outre, lorsqu'ils ont su le r6le de J. Chirac, ils n'ont pas, sauf erreur, parl6 de < calcul politicien >> droite (124). Si l'on se souvient qu'en 1995 P. Thibaud, ancien directeur d'Esprit, avait pris ses distances avec le mitterrandisme (125) et appel6 & voter Chirac, on devine les craintes du futur candidat du PS. R. R~mond, membre du groupe Paroles, qui souhaite un changement en profondeur du catholi- cisme (126), pense par ailleurs que son ouvrage Le christianisme en accusation, dont le titre dit la these, a < peut-&tre contribu6 & instaurer des relations un peu dif- f~rentes entre et l'Etat (127).

Lorsque le 20 novembre 2001, dans La Croix, le premier ministre a admis que les religions pourraient 6tre davantage prises en consideration puis que - ce qui est plus difficile & concilier avec la laicit6- il a accord6 & l'Eglise catholique, le 12 f~vrier 2002, un traitement de faveur, il a tents de s'adapter & la nouvelle donne (128). En mime temps, I'accord avec ses interlocuteurs pour ne pas toucher & la loi de 1905 6tait de nature & apaiser ceux qu'il avait voulu m6nager & l'automne 2000. Favorable & la libre expression des religions dans le d~bat d~mocra- tique (129), mais m~fiant & l'6gard de tout ce qui pourrait sembler leur reconnaitre une mission publique ou favoriser le communautarisme, H. Pena-Ruiz a approuv6 le refus de mentionner << l'hritage religieux >> (130) et s'est prononc6 pour le statu-quo en ce qui concerne la separation (131). A la veille de la pr6sidentielle, le

(123) Alain JUPPE, Serge JULY, Entre quat'zyeux, (entretiens), Paris, Grasset, avril 2001, pp. 239-240. (124) A propos du president ou de son ancien premier ministre, selon que ce dernier 6tait ou non

inform6 d~s le debut. Ajoutons qu'Alain Jupp6 pr~sentait l'intransigeance laique de Lionel Jospin comme une constante qu'il rattachait g mots couverts (c'6tait avant < l'aveu >>) & son passe trotskiste ; or en 1989, lors de la premiere < affaire des foulards

C>, il avait, en tant que secr~taire g~ndral du RPR, reproch6 au ministre de l'Education nationale L. Jospin son manque de courage pour d~fendre la lai'citC (LM, 7/11/89). Il explique, depuis que le r6le de Jacques Chirac a 6t6 rendu public, qu'<< on joue un peu sur les mots : l'expression patrimoine spirituel englobe forc~ment l'h~ritage religieux C (entretien avec Jean-Yves Boulic, Ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas, Paris, Grasset, 2002, p 153). Quant & R. Bachelot, signataire de la protestation contre le refus de mentionner l'hdritage << religieux >, elle a ensuite attribu6 au seul Jacques Chirac le mdrite de s'8tre oppose & l'adjectif(TC, 11/04/02). Prici- sons que l'Elys~e a confirm6 la version de Lionel Jospin (LM, 1/09/01).

(125) Paul THIBAUD, Et maintenant: contribution a l'apres-mitterrandisme, Paris, Arlia (maison alors dirigde par J.-C. GUILLEBAUD) 1995.

(126) Cf. notamment le livre-enquite: Une Eglise pour le xxte

sidcle, Paris, Bayard/Desclke de Brouwer, 2001.

(127) Rend REMOND,

Le christianisme en accusation, Paris, Desclke de Brouwer, 2001, et Une memoirefrangaise, Paris, Descl~e de Brouwer, 2002, p. 209 ; ces deux livres r~sultent d'un dialogue avec Marc Leboucher et sont parus chez Descl~e de Brouwer.

(128) Ariane Chemin dans le premier cas (< Les nuits divines de L. Jospin C>, LM, 22/11/01) et Jean CHELINI dans le second (<< Eglise et Etat, reprise du dialogue >>, OE 16/02/02) soupponnent des arriere-pensees l61ectoralistes; ce n'est pas le sentiment de Bruno Frappat dans l'6ditorial de LC, ofi il commente l'entretien auquel il a particip6.

(129) << A la condition qu'elles ne confondent pas expression collective et mainmise sur la puis- sance publique, c'est dans un pays lai'que que les religions et les convictions philosophiques sont finale- ment les plus libres de s'exprimer C; cette expression peut 6tre d'ordre politique et mdrite alors un traitement politique (Henri PENA-RUIZ, (< Lai'cit6 et spiritualit >>, in Vers un humanisme du troisieme mil- Ilnaire, op. cit., pp. 43 et 49); cf. aussi Dieu et Marianne, Paris, PUF, 1999, p. 230.

(130) Henri PENA-RUIZ, <( De la concorde laique >>, LM, 7/12/00; cf. aussi Dieu et Marianne, op. cit., p. 224: toucher au dispositif juridique serait << porter atteinte & la laicit6 elle-mime >>; mais les injustices de ce dispositif ne sont pas abord6es.

(131) Au cours d'un d6bat organis6 par Riforme et Le Monde le 6 juin 2001 (cf. LM, 20/06/01).

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Grand-Orient de France a r~affirm6 que la loi est intouchable (132). L. Jospin a ainsi pris en compte une autre alliance objective : ceux pour qui la loi de separation est un point d'arriv~e et ceux qui y voient un point de depart s'accordent pour la C sauvegarder C.

En cherchant & s'attirer au moins la neutralit6 de la hi~rarchie et & retenir des catholiques, certes minoritaires dans la population, sinon dans leur propre Eglise (133), mais dont la defection risquait de faire basculer la majorit6, il 6tait done motive au moins en partie par un souci analogue & celui de Bonaparte deux si~cles plus t6t: <<dissocier la cause de la monarchie de celle d'une religion a laquelle les Frangais restent majoritairement attaches >. Celui-ci avouait une autre

preoccupation tout aussi pragmatique: << Les passions d~chain~es, la morale sans appui, le malheur sans esp~rance dans l'avenir, tout se r~unissait pour porter le d6sordre dans la soci6t6. Pour arr&ter ce d~sordre, il fallait rasseoir la religion sur sa base (134). C Faute d'un aveu aussi clair, il n'est pas possible d'affirmer que le premier ministre de 2002 a tenu sur ce point un raisonnement semblable & celui du premier consul de 1802. Toujours est-il que l'6piscopat l'y a invite, et pas seule- ment par des considerations g~ndrales et morales sur les malheurs du temps. II l'a fait d'abord, lors de l'Assembl~ e plknibre de 2000, & propos de la Charte: << On appelle les confessions religieuses & jouer les pompiers en banlieue. Pourquoi refuser aujourd'hui ce terme <<religieux > dans la Charte (OF 11/11/00)? >> II a repris l'argument un an plus tard dans un esprit moins recum6nique : de plus en plus solli- cit6s, les 6v~ques 6taient pr&ts & donner leur contribution & condition d'&tre requs et 6cout~s en d'autres occasions (J.-P. Ricard, LV 14/11/01). >> Pour les < sollici- teurs C, c'est & prendre ou & laisser (135). On peut en outre appliquer a la rencontre du 12 f6vrier 2002 les remarques faites propos de la comm6moration du baptime de Clovis (136) et de la cath6drale d'Evry (137): il s'agit d'un compromis entre deux institutions concurrentes mais inquiites devant la mont6e des sectes, la pri-

(132) Cf. LM, 14/03/02 (brdve) et questionnaire aux candidats (site du GOF 4/04/02); depuis, le grand maitre Alain Bauer a estim6 possible la modification envisag6e par la FPF pour att6nuer l'exigence d'une activit6 exclusivement cultuelle (Ref 8/05/03).

(133) Marcel Gauchet tend & penser qu'< il y a aujourd'hui plus de catholiques & gauche en tant que catholiques de gauche qu'il n'y a de catholiques de droite C ((< Aprds la bataille, la droite, la gauche, les institutions >, dialogue avec Ren6 R6mond, Le Dibat, septembre-octobre 2002, p. 10). Mais il faudrait aussi se demander s'il y a eu plus de catholiques de gauche & approuver l'appel de TC qu'& le d6savouer. Pierre Pierrard note qu'au cours des ann6es 1990 la contestation s'est poursuivie dans<< de nombreux mouvements moins visibles >, dont le plus important est << Droits et libert6s dans les Eglises. C Or en d6cembre 2001, la revue Les rdseaux du Parvis, organe de cette association, a publi6 un article (<< La lai- cit6 contest6e >>) oif les signataires (Robert GRENIER et Didier VANHOUTTE) reprochaient & < la grande op6ration lanc6e par TC et Riforme > de faire, plus ou moins consciemment, le jeu du cl6ricalisme catho- lique (cf. p. 4) et au < battage m6diatique > d'avoir fait croire que tous les < cathos de gauche > avaient protestd. Des d6saccords se sont 6galement exprim6s chez les protestants (cf. Jean BAUBeROT, entretien paru dans Les Cahiers de l'Atelier, octobre-d6cembre 2001, pp. 50 sq.).

(134) Ariane JAMES-SARRAZIN, De la concorde a la rupture, un sidcle de vie religieuse en France (1801-1905), livret de l'exposition des Archives nationales (10/04 au 10/07/02), p. 2.

(135) < En 1995 on voit le secrdtaire d'Etat chargd des quartiers en difficult6 solliciter explicitement les Eglises pour qu'elles s'associent aux efforts gouvernementaux en ce domaine (Jean-Paul WILLAIME, Identitis religieuses en Europe, op. cit., p. 167). > Nous n'avons pas d'autres indications sur les deman- des (de plus en plus nombreuses ?).

(136) Christophe BOUREUX, << La s6cularisation, le << retour de Dieu C et aprds >>, Esprit, juin 1997, p. 269.

(137) Claire DE GALEMBERT, op. cit., p. 135.

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VERS UN NOUVEAU CONCORDAT ?

maut6 donn6e i l'individu sur le collectif, et au total la baisse de leur influence (138).

<< Tout se passe comme si le gouvernement voulait donner des gages aux catho- liques >>, a estim6 J.A de Clermont en constatant i la fois la r6ception par L. Jospin des << hauts dignitaires de l'Eglise catholique >> et son accord avec eux pour refuser de modifier la loi de s6paration (LC, 13/2/02)(139). Toujours est-il que le premier ministre a obtenu << l'accr6ditation par le pr&tre >> (140) & l'intention des catholiques dont l'attitude le prdoccupait: alors en effet qu'aprbs l'affaire de l'h6ritage O. de Berranger s'en 6tait pris, comme les catholiques de gauche et comme A. Jupp6, & la << laicit6 archa'que >> du gouvemrnement (141), J.-M. Lustiger, en sortant de Matignon, s'est fl61icit6 d'un geste digne << d'une d6mocratie moderne et laique >> (LM, 14/02/02). Mais pour les 6v~ques une laicit6 moderne implique la reconnaissance par l'Etat de la loi de Dieu transmise par l'Eglise. Le premier ministre selon eux a done progress6 vers la condition que la hi6rarchie catholique avait posse en 1924 et en 1996 & la validation de la loi de s6paration, en 1945 et en 1958 & l'approbation sans r6serve de la Constitution.

Conclusion

Nous sommes plus proche, on le voit, d'H. Pena-Ruiz, qui soupconne la hi&- rarchie catholique de vouloir retrouver une reconnaissance publique, que de la Ligue de l'enseignement, qui la pense acquise & la loi de 1905 (LC, 20/06/03) ; d'E. Poulat, qui souligne la continuit6, en d6pit des apparences, de Jean-Paul II & Pie IX (142), que de R. R6mond, pour qui, le cl~ricalisme et le double langage, incom- patible avec les droits de la v6rit6, de l'6poque du Syllabus 6tant d6finitivement r6volus, I'Eglise catholique accepte << sans arribre-pense >> la lai'cit6 (143). La constance pourtant apparait clairement dans l'encyclique oii le pape affirme les droits de la v6rit6 au point que Jean-Paul Willaime y retrouve C des accents du Syllabus >> (144) et que P. Flores d'Arcas y voit un nouveau Syllabus >> (145).

(138) Cf. 6galement sur ces int6r~ts convergents Danible HERVIEU-L1GER, La religion en miettes ou la question des sectes, Paris, Calmann-L6vy, 2001, p. 35.

(139) Il a en outre indiqu6 avoir fait part de sa demande au conseiller du ministre (Rdf., 28/3/02); il a ainsi doublement contredit le conseiller du Premier ministre A. Christnacht assurant, aprbs la rencontre du 12 f6vrier, que le traitement des diff6rentes confessions 6tait 6quitable et que personne ne se plaignait de la loi de 1905 (LC, 13/02/02). Plus r6cemment, il semblait se r6signer a des mesures r6glementaires ou jurisprudentielles (Rdf, 8/05/03).

(140) Max WEBER, Sociologie des religions, op. cit., p. 243. (141) O. de BERRANGER, L 'dvque et l'dconomiste, op. cit., p. 202. (142) Valentine ZUBER, dir., Un objet de science, le catholicisme. Rdflexions autour de l'euvre

d'Emile Poulat (Sorbonne, 22-23 octobre 1999), Paris, Bayard, 2001, p. 281. (143) Rend RAMOND, Les catholiques frangais et l'hdritage de 1789 (conclusion du colloque orga-

nis6 sur ce sujet en 1989 par l'Institut catholique de Paris), Paris, Beauchesne, 1989, p. 394; Une laicitd pour tous, op. cit. pp. 61-66 ; cf. aussi LC, 23/06/03. R. R~mond a reconnu, avec un certain sens de la litote, que sur ce point il ne << suivrait pas jusqu'au bout >> i. Poulat (Une mdmoire frangaise, op. cit., p. 215).

(144) Jean-Paul WILLAIME (6galement signataire de l'appel de TC), Identitis religieuses en Europe, op. cit., p. 306.

(145) Paola FLORES D'ARCAS, << Jean-Paul II, pape de la v6rit6 et du malentendu >>, Dieu, fin de siicle, Paris, Aubier/Lib6ration, 1994, p. 47.

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Veritatis splendor (1993) affirme en effet que l'Eglise d6fend << sans 6dulcoration et sans compromis (...), les normes morales et universelles fix6es par Dieu >>, et en particulier le respect de la vie d~s la conception (C 86 et 96). Mais elle comporte cette pr6cision : valides << dans leur substance >>, ces r~gles << doivent &tre pr6cis6es et d~termindes, selon les circonstances historiques, par le magistbre de l'Eglise >> (no 53). Lorsque en 1996, & Reims, le pape a appliqu6 ce principe (146), le pr6si- dent de la CEF, J. Duval et O. de Berranger l'ont approuv6 (147). Deux fils crois6s sont done n6cessaires & qui se risque dans le labyrinthe du discours de la hidrarchie catholique sur ses relations avec l'Etat (148). L'un passe notamment par 1925 et 1987 (l'heure parait propice ou semblerait venue), I'autre par 1982-1984 (ce n'est pas le moment d'indisposer les 16gislateurs la'ques) et 2002 (l'hostilit6 au catholi- cisme pourrait resurgir). Le Syllabus d'aujourd'hui, comme celui d'hier, 6tant ins6- parable de son mode d'emploi, nous objecterons seulement sur ce point & B. Poulat que les concessions apparentes ne s'opposent pas & la tradition mais en sont partie int6grante (149).

(146) A propos du baptime de Clovis, mais aussi de l'avortement, sujet qui avait donn6 lieu, selon Jean-Paul Willaime, aux C accents du Syllabus >> : le 1/09/96, dans une lettre aux 6v6ques polonais, le pape avait qualifi6 de crime contre l'humanit6 la 16galisation de l'avortement dans un pays oii avaient 6td 6tablis des camps de la mort; le 22/09 suivant, en France, le pays des droits de l'homme, il a expliqub qu'en matibre de morale exprimer un avis ne revient pas & vouloir l'imposer et souhait << un dialogue serein et respectueux de toutes les familles d'esprit pour rendre plus positifs les d6bats actuels >> (cf. LM, 3/09 et 24/09/96).

(147) Joseph Duval a mime indiqu6 la v6ritable raison du changement, celle qui explique chaque repli sur << l'hypothise >> : la position catholique exprim6e sans pr6cautions aurait suscit6 l'agressivit6 ; mais il a d6ni6 l'importance du changement (le message n'avait pas 6td < modifi6 >> mais < pr6cis6 >>, afin qu'<< une exigence n'apparaisse pas comme une condamnation >> (LC, 24/09/96). O. De Berranger pour sa part s'est fl61icit6 que le pape ait alors < rejoint la sensibilit6 frangaise >> et que plus g6n6ralement il sache, lors de ses voyages dans le monde, C se laisser enseigner > - done qu'il adapte son langage au pays ofi il se trouve - (L'dvkque et l'&conomiste op. cit., p. 138).

(148) Danible HERVIEU-LEGER en 1986 (<< Vers un nouveau christianisme >>, op. cit., p. 293), Emile POULAT en 1994 (L 'are postchritienne op. cit., pp. 30 et 274) ont souhait6 des 6tudes empiriques permettant de savoir dans quelle mesure l'Eglise catholique a chang6 d'attitude & l'6gard de la lai'cit6. Les volontaires ne semblent pas s'&tre pricipit~s.

(149) En 1981, imile POULAT a parl6 au pass6 de << l'alternance >> thise-hypoth~se (< La monarchie pontificale et le pouvoir du pape >>, Pouvoirs no 17, p. 48). Nous sommes amen& ici & revenir sur la ques- tion (risqu6e) de la ruse. Selon Pierre Bourdieu, les 6v~ques, comme la plupart des agents sociaux soumis & une double contrainte (dans leur cas celle du Vatican et celle de la R~publique), adapteraient spontan&- ment leur discours aux circonstances ; le double langage, ou le double sens, ne serait done pas double jeu (< Le rire des 6v~ques >>, dans Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, pp. 202 sq.). I1 nous semble plus conforme & leur thdorie comme & leur pratique de l'action politique, et finalement moins d6sobligeant, d'abord de reconnaitre que pour eux l'adaptation est une forme de fidl61iti, ensuite de les rattacher & la minorit6 de ceux qui ont << les moyens d'8tre rationnels >> (cf. Reponses, avec Loi'c WACQUANT, Paris, Seuil, 1992, p. 107). On peut mime avec R6gis Debray distinguer au sein de cette minorit6 << la plus vieille institution du monde >, qui donne, par sa capacit6 d'organisation et d'adaptation, << une belle legon de rdalisme politique >> (Le Figaro-Magazine, 6/02/99, p. 35). Pierre Bourdieu relevait d'ailleurs dans le discours 6piscopal des sous-entendus soigneusement calcul6s et des mots choisis pour concilier l'immua- bilit6 de la doctrine avec les changements de la soci6td (<< La sainte famille, I'6piscopat fran9ais dans le champ du pouvoir >, avec Monique DE SAINT-MARTIN, Actes de la recherche en sciences sociales, novembre 1982, pp. 2; 35). Il est vrai que l'ajustement le mieux 6tudid n'est jamais parfait et que l'implicite ou le balancement aboutit parfois & ce ph6nom~ne que nous avons d6j& relev6 : le retour de 1'<< inconscient institutionnel >> derriere << les mots d'ordre du surmoi politique >>.

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VERS UN NOUVEAU CONCORDAT ?

S'agissant du politique, notre etude nous semble confirmer ce qu'a 6crit, sur un plan plus g~n~ral, R. R~mond: la laicit6 C est en voie de perdre toute pertinence pour discriminer droite et gauche >> (150). Par un mouvement inverse, celle-ci fait des concessions au catholicisme, celle-l& ne semble pas dispos~e & les 6tendre. Quant & l'6volution de la societ6, elle parait mener plut6t <( vers un nouveau chris- tianisme >> (non clerical) et vers << un nouveau pacte lai'que >> (impliquant un large d~bat sur l'ensemble des problkmes religieux) (151) que C vers un nouveau concor- dat >> (152). Mais pour A. Savary en 1984 comme pour M. Debr6 en 1959 un geste tel que la signature des accords Lang-Cloupet 6tait inimaginable, et il a fallu soixante-dix-huit ans pour que la R~publique et le Saint-Siege discutent & nouveau officiellement de la separation. A long terme (celui-ci se situe dans cette perspec- tive), il ne faut jurer de rien.

En ce qui concerne le court terme, B. Poulat a approuv6, comme H. Pena-Ruiz et la Ligue, I'accord pour ne pas toucher & une loi trop sensible (153), alors que R. R~mond a regrett6 qu'il faille se resigner au statu quo (154). Ni l'un ni l'autre n'ont fait d'objection & la fagon dont la decision avait 6td prise et aux conditions de la rencontre. Il est vrai que si elle avait seulement eu pour but de consulter une reli- gion parmi d'autres sur l'adaptation d'un texte centenaire qui les concerne toutes, on pourrait conclure & un progrbs, par rapport & 1976, dans la pratique de la laicit6. Mais la primaut6 accord6e par le gouvernement a la hidrarchie catholique et le changement de langage de celle-ci & son 6gard rappellent plut6t ces compromis - 6crits (les << concordats >>) ou tacites - que, selon M. Weber, ont conclu en tous temps et en tous lieux le C pouvoir s~culier > et le << charisme sacerdotal >> (tradui- sons: la religion dominante) (155).

Marc ANDRAULT

(150) Rena RIiMOND, < Droite et gauche, oii est la difference ? ,>, Les Collections de I'histoire, 4e tri- mestre 2001, p. 33.

(151) 11 est difficile d'identifier au << nouveau pacte laique >> envisag6 par Jean Baub6rot la << nou- velle lai'cit6 >> souhait6e par l'6piscopat en 1987, comme le fait Gabriel RINGLET (L 'Evangile d'un libre-penseur, Paris, Albin Michel, 1998, p. 75).

(152) En 1996, selon un sondage LM/CSA (suppl6ment au no du 19/09/96 du quotidien), 8 % seule- ment des Frangais souhaitaient que l'Etat ait des relations privil6gi6es avec l'Eglise catholique.

(153) Emile POULAT, C Respecter le cadre de la loi de s6paration >>, LC, 26/03/02.

(154) Le 27/01/02 sur France-Culture, propos reproduits par TC le 7/02/02.

(155) Max WEBER, Sociologie des religions op. cit., p. 247. Rappelons g cette occasion que << l'6thi- que de responsabilit6 >> oppos6e par cet auteur i << l'6thique de conviction

C>, c'est d'abord << l'6thique du

pouvoir >>, y compris religieux (cf. Catherine COLLIOT-THILENE, Ct Ethique de la responsabilit6, 6thique du pouvoir ? >>, in De quoi sommes-nous responsables ?, textes r6unis et pr6sent6s par Thomas FERENCZI, Paris Le Monde 6ditions, 1997, pp. 194-196)

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ABREVIATIONS

Bibliographie

CD : Le choix de Dieu, Jean-Marie LUSTIGER, entretiens avec Jean-Louis MISSIKA et Dominique WOLTON, Paris, de Fallois, 1987.

DC: La Documentation catholique DD : Devenez dignes de la condition humaine, J.-M. LUSTIGER, Paris, Flammarion Saint-Augustin, 1995 DM : Dieu merci, les droits de l'homme, Jean-Marie LUSTIGER, Paris, Criterion, 1990. JO, AN : Journal officiel, Assemblke nationale, d6bats. LC : La Croix LM: Le Monde LV: La Vie

OC: Osez croire, Jean-Marie LUSTIGER, Paris, Le Centurion, 1985. OCOV: Osez croire, osez vivre, Jean-Marie LUSTIGER, Paris, Gallimard, 1986 (coll. <<Folio >). OF: Ouest-France PE : Pour l'Europe, un nouvel art de vivre, Jean-Marie LUSTIGER, Paris, PUF, 1999. PLF 1 : Proposer la foi dans la socidtd actuelle, CEF, Cerf, 1994 (premier rapport Dagens). PLF 2 : Idem, 1997 (second rapport Dagens). RDR : Une Rdpublique des religions, Guy BEDOUELLE et al., dir., Paris, Editions de l'Atelier, 2003. TC : Thmoignage chritien VA : Valeurs actuelles

Organisations

ACA: Assemblke des cardinaux et archev~ques CEF: Conference 6piscopale frangaise CEMSU: Commission 6piscopale du monde scolaire et universitaire COMECE, Commission des 6v~ques de la Communaut6 europ~enne. FPF : F6dration protestante de France

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VERS UN NOUVEAU CONCORDAT ?

Rdsumd

La reception a Matignon par Lionel Jospin, le 12 fivrier 2002, de reprcsentants de la hikrarchie catholique conduits par le nonce, est aux yeux de celle-ci, une nou- velle dtape << au-dela de la loi de separation >. Conformement h une stratigie mise au point en 1925, la demande d'une interprdtation souple a remplacd provisoirement, depuis 1990, celle que la CEF, dans un contextejugd plus favorable, avait exprimde h partir de 1987 : la revision d'une loi qu 'ellen 'a acceptie en 1924 qu 'd titre d'essai.

C'est h travers les institutions de l'Union europdenne qu'elle tente aujourd'hui d'obtenir que la Rcpublique lai'quefonde ses valeurs sur Dieu, et par la pratique admi- nistrative, lajurisprudence ou une Igislation parallkle qu 'elle voudrait sefaire recon- naitre un statut de service public. Un pragmatisme analogue conduit le pouvoir, aprds appriciation du rapport deforce, a se montrer plus souple sur le second point que sur le premier.

Abstract

For the Catholic hierarchy, Lionel. Jospin's reception at Matignon, on 12th February 2002, of their representatives led by the papal nuncio, is a new step "beyond the law of separation ". In accordance with a strategy developed in 1925, a callfor open interpre- tation has temporarily replaced, since 1990, the one which the French Episcopal Con- ference had advocated since 1987, in a then more favourable context : the revision of a law which they accepted, in 1924, on trial only.

It is a through the European Union Institutions that they are now trying to get the secular Republic to base its values on God, and through administrative practices, case law or particular legislation that they would like to get official recognition of a public body status. A similar pragmatism induces the government, after appraising the forces in presence, to be more cooperative over the second issue than over the first one.

Resumen

La recepci6n en Matignon por Lionel Jospin, el de febrero de 2002, de unos representantes de la jerarquia cat6lica conducidos por es nuncio es, a los ojos de la misma, una nueva etapa mds "alld de la ley de separaci6n ". En conformidad con una estrategia definida en 1925, la peticid6n de una interpretacidn flexible sustituy6 provi- sionalmente, desde 1990, la que la Conferencia Episcopal Francesa, en un contexto considerado mcs favorable, habia manifestado desde 1987: la revisidn de una ley que no acept6 en 1924 sino a titulo de prueba.

A travis de las Instituciones de la Uni6n Europea ella intenta hoy obtener que la Republica laica eztablesca sus valores en Dios, y por la prdctica administrativa, la jurisprudencia o una legislaci6n paralela quisiera le reconocieran un estatuto de ser- vicio puiblico. Un pragmatismo anclogo conduce el poder, despuds de una valoraci6n de la relaci6n defuerza, a mostrarse mds flexible sobre el segundo punto que sobre el primero.

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