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JDD | 6 décembre 2015 Les monnaies locales nous veulent du bien FINANCE Il existe en France 31 monnaies en circulation dans des communes ou sur des territoires. Objectif : dynamiser l’économie et créer des circuits courts BRUNA BASINI @BrunaBasini Ses billets vert pomme mettent à l’honneur des personnages célèbres de Lyon, comme la résistante Lucie Aubrac, et des citoyens anonymes. En gestation depuis quatre ans, la gonette a eu droit à un baptême festif il y a un mois, hommage aux enfants des rues lyonnaises, les gones. « Notre devise est : la transition est entre vos mains », appuie Nicolas Briet, un des porteurs du projet. Trente et unième monnaie locale com- plémentaire (MLC), la gonette, qui cible le « Grand Lyon et au- delà » est pavée de bonnes inten- tions. Comme ses devancières tricolores, l’eusko au Pays basque, le soNantes à Nantes, l’abeille à Villeneuve-sur-Lot ou encore la pêche à Montreuil. Les MLC visent à créer du lien social entre adhérents, à dynamiser l’économie locale et l’emploi en favorisant les échanges en circuits courts, ainsi qu’à promouvoir des pratiques environnemen- tales vertueuses. Aux antipodes de l’euro, monnaie transfrontière, ou du bitcoin, ce moyen de paiement digital et mondialisé, elles ont reçu une onction législa- tive avec la loi Hamon de 2014 sur l’économie sociale et soli- daire. Leur mécanique est simple. Une banque, de type Crédit coo- pératif ou municipal, assure la mise en circulation et l’échange sur une base paritaire d’un euro contre une monnaie locale. Le plus souvent, ces coupons-bil- lets sont distribués par des associations à leurs adhérents. Ces mêmes banques conservent un fonds de garantie (constitué d’ordinaire de cotisations et de subventions publiques) pour rembourser, sur demande, la monnaie locale en euros. En France, c’est la crise de 2008 qui a servi de déclic Presque toutes ces devises – on en dénombre environ 5.000 dans le monde – sont nées d’un sursaut idéologique contre les crises fi- nancières. En 1929, les entreprises suisses créèrent ainsi le Wir pour se faire crédit entre elles et elles sont encore 65.000 à l’utiliser. En France, c’est principalement la crise de 2008 qui a servi de déclic. « La panne de liquidités subie par commerçants et artisans a laissé des traces. Nous avons conçu le so- Nantes, introduit en avril, comme un levier de développement éco- nomique. Afin que les entreprises du territoire puissent se passer du crédit bancaire et alléger leur tré- sorerie », résume Pascal Bolo, pre- mier adjoint au maire de Nantes et cheville ouvrière de cette ini- tiative. À terme, les promoteurs de ces devises parallèles rêvent d’impliquer, outre les commer- çants, producteurs et consom- mateurs du cru, les collectivités locales. « Pourquoi pas demain des fonctionnaires, des impôts locaux ou des services publics payés en gonettes ? », s’enthousiasme Nico- las Briet. Pour autant, le grand soir monétaire n’est pas pour demain. Parmi la tren- taine de MLC de l’Hexagone, seules quatre ont atteint une taille honorable. Le basque eusko revendique une circulation monétaire de 500.000 € avec 2.500 usagers, 500 prestataires et six salariés. Loin devant les 100.000 € du sol-violette à Tou- louse et les 40.000 € du galléco d’Ille-et-Vilaine. « Il faut un dispo- sitif simple et compréhensible pour tous les citoyens, un gros réseau d’acteurs et une assise territoriale large pour que cela fonctionne », préconise l’adjoint au maire de Grenoble, Pascal Clouaire, qui planche sur le cairn, après l’échec du sol-alpin il y a quatre ans. Reste à mesurer l’impact de ces monnaies. « On peine à quantifier leur apport en termes de PIB ou de réduction d’émissions de CO 2 », analyse Erwan Audouit, du Cré- dit coopératif. Pour le bureau de recherche Vertigo Lab, spécia- lisé en économie de l’environne- ment, la mesure économique de leur influence reste à inventer. « Il faudrait introduire une équi- valence entre un comportement vertueux et sa valeur en monnaie locale », propose Blandine Chenot de Vertigo Lab. Des effets économiques peu quantifiables Signe que le sujet intéresse, l’Ademe (Agence de l’environ- nement et de la maîtrise de l’énergie) vient de lancer une étude pour quantifier l’impact environnemental des MLC. Par exemple, celui d’un système de covoiturage compensé en monnaie locale utilisable chez des commerçants partenaires. Laurent Davezies, spécialiste du développement territorial, met aussi en garde contre des effets pervers : « Elles vous font gagner de l’argent avec des billets de Mo- nopoly puisqu’elles ne supportent aucun impôt et charges sociales, mais elles ne font pas obstacle aux circuits longs dans les biens et services que nous consommons. Et si elles étaient au service d’une idéologie du repli sur soi, le pire serait à craindre. » g La gonette est utilisée dans l’agglomération de Lyon depuis septembre 2015. DR « Nous avons conçu le soNantes comme un levier de développement économique » Pascal Bolo, premier adjoint au maire de Nantes L’eusko basque revendique une circulation monétaire de l’équivalent de 500.000 €, avec 2.500 usagers. DR

31 Monnaies Locales Complémentaires en France !

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Page 1: 31 Monnaies Locales Complémentaires en France !

jdd | 6 décembre 2015

Les monnaies locales nous veulent du bienFINANCE Il existe en France 31 monnaies en circulation dans des communes ou sur des territoires. Objectif : dynamiser l’économie et créer des circuits courts

BruNA BAsINI @BrunaBasini

Ses billets vert pomme mettent à l’honneur des personnages célèbres de Lyon, comme la résistante Lucie Aubrac, et des citoyens anonymes. En gestation depuis quatre ans, la gonette a eu droit à un baptême festif il y a un mois, hommage aux enfants des rues lyonnaises, les gones. « Notre devise est : la transition est entre vos mains », appuie Nicolas Briet, un des porteurs du projet. Trente et unième monnaie locale com-plémentaire (MLC), la gonette, qui cible le « Grand Lyon et au-delà » est pavée de bonnes inten-tions. Comme ses devancières tricolores, l’eusko au Pays basque, le soNantes à Nantes, l’abeille à Villeneuve-sur-Lot ou encore la pêche à Montreuil.

Les MLC visent à créer du lien social entre adhérents, à dynamiser l’économie locale et l’emploi en favorisant les échanges en circuits courts, ainsi qu’à promouvoir des pratiques environnemen-tales vertueuses. Aux antipodes de l’euro, monnaie transfrontière, ou du bitcoin, c e m o y e n d e paiement digital et mondialisé, elles ont reçu une onction législa-tive avec la loi Hamon de 2014 sur l’économie sociale et soli-daire. Leur mécanique est simple. Une banque, de type Crédit coo-pératif ou municipal, assure la mise en circulation et l’échange sur une base paritaire d’un euro contre une monnaie locale. Le plus souvent, ces coupons-bil-lets sont distribués par des associations à leurs adhérents. Ces mêmes banques conservent un fonds de garantie (constitué d’ordinaire de cotisations et de subventions publiques) pour rembourser, sur demande, la monnaie locale en euros.

En France, c’est la crise de 2008 qui a servi de déclic

Presque toutes ces devises – on en dénombre environ 5.000 dans le monde – sont nées d’un sursaut idéologique contre les crises fi-

nancières. En 1929, les entreprises suisses créèrent ainsi le Wir pour se faire crédit entre elles et elles sont encore 65.000 à l’utiliser. En France, c’est principalement la crise de 2008 qui a servi de déclic. « La panne de liquidités subie par commerçants et artisans a laissé des traces. Nous avons conçu le so-Nantes, introduit en avril, comme un levier de développement éco-nomique. Afin que les entreprises du territoire puissent se passer du crédit bancaire et alléger leur tré-sorerie », résume Pascal Bolo, pre-mier adjoint au maire de Nantes et cheville ouvrière de cette ini-tiative. À terme, les promoteurs de ces devises parallèles rêvent d’impliquer, outre les commer-çants, producteurs et consom-mateurs du cru, les collectivités locales. « Pourquoi pas demain des fonctionnaires, des impôts locaux ou des services publics payés en gonettes ? », s’enthousiasme Nico-las Briet.

Pour autant, le grand soir monétaire n’est pas pour demain.

Parmi la tren-taine de MLC de l’Hexagone, seules quatre ont atteint une taille honorable. Le basque eusko revendique une circulation m o n é t a i re d e 500.000 € avec 2.500 usagers, 500 prestataires et six salariés. Loin devant les

100.000 € du sol-violette à Tou-louse et les 40.000 € du galléco d’Ille-et-Vilaine. « Il faut un dispo-sitif simple et compréhensible pour tous les citoyens, un gros réseau d’acteurs et une assise territoriale large pour que cela fonctionne », préconise l’adjoint au maire de Grenoble, Pascal Clouaire, qui planche sur le cairn, après l’échec du sol-alpin il y a quatre ans.

Reste à mesurer l’impact de ces monnaies. « On peine à quantifier leur apport en termes de PIB ou de réduction d’émissions de CO2 », analyse Erwan Audouit, du Cré-dit coopératif. Pour le bureau de recherche Vertigo Lab, spécia-lisé en économie de l’environne-ment, la mesure économique de leur influence reste à inventer. « Il faudrait introduire une équi-

valence entre un comportement vertueux et sa valeur en monnaie locale », propose Blandine Chenot de Vertigo Lab.

Des effets économiques peu quantifiables

Signe que le sujet intéresse, l’Ademe (Agence de l’environ-nement et de la maîtrise de

l’énergie) vient de lancer une étude pour quantifier l’impact environnemental des MLC. Par exemple, celui d’un système de covoiturage compensé en monnaie locale utilisable chez des commerçants partenaires. Laurent Davezies, spécialiste du développement territorial, met aussi en garde contre des effets

pervers : « Elles vous font gagner de l’argent avec des billets de Mo-nopoly puisqu’elles ne supportent aucun impôt et charges sociales, mais elles ne font pas obstacle aux circuits longs dans les biens et services que nous consommons. Et si elles étaient au service d’une idéologie du repli sur soi, le pire serait à craindre. » g

La gonette est utilisée dans l’agglomération de Lyon depuis septembre 2015. DR

« Nous avons conçu le soNantes comme un levier de développement économique » Pascal Bolo, premier adjoint au maire de Nantes

L’eusko basque revendique une circulation monétaire de l’équivalent de 500.000 €, avec 2.500 usagers. DR