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La liberté du mode de financement une nouvelle fois mise à l’épreuve. par Guillaume Allègre Note sous avis du Comité de l’abus de droit fiscal – séance n°10/2016 Les schémas de financement des entreprises ne cessent de s’adapter à l’évolution du cadre comptable, financier et fiscal, dont les grands principes sont édictés par les législateurs internes et européens. Dans un contexte de baisse des taux, la tentation est grande pour l’actionnaire de préférer pour sa société l’endettement, dont les intérêts sont généralement fiscalement déductibles, à l’apport en fonds propres qui grève sans contrepartie la capacité d’investissement d’une société opérationnelle. Véritable branche autonome du principe de non immixtion de l’administration dans la gestion des sociétés, la liberté du mode de financement est depuis longtemps consacrée par la jurisprudence française et européenne. Les entreprises sont libres, pour financer leurs opérations de croissance interne ou externes, de recourir à l’emprunt ou à l’apport en capital. L’arbitrage se fera dans la plupart des cas pour des motifs financiers et non fiscaux, ce qui rend la tâche bien délicate à l’administration quand il s’agit de rapporter la preuve d’un acte outrepassant la gestion normale. En matière de financement, la théorie de l’acte anormal de gestion souffre d’un déficit d’applicabilité comme le laissait entendre Pierre-François Racine. L’une des possibilités pourrait être pour l’administration de soulever les risques manifestement excessifs pris par la société dans son choix de recourir à l’emprunt. Ce cas de recours ouvert par la fameuse décision Loiseau rendue par le Conseil d’Etat en 1990 n’existe plus (CE, 7è et 8è ss-sect., 17 octobre 1990, n°83310, concl. Olivier Fouquet). Après quelques hésitations jurisprudentielles, fortement combattues par la doctrine, notamment dans l’affaire Fralsen Holding (CE, 3è et 8è ss-sect., 11 juin 2014, n°363168, concl. M.-A ; Nicolazo de Barmon), la Haute juridiction a semble-t-il définitivement fermé la porte à l’application de cette théorie (CE, sect., 13 juillet 2016, n°375801, SA Paschi Banque, concl. E. Bokdam- Tognetti). Les difficultés liées à l’appréciation du critère du risque manifestement exagéré ont conduit le Conseil d’Etat à exiger de l’administration que celle-ci rapporte la preuve d’un acte de gestion contraire au seul intérêt de l’entreprise. Lorsqu’elle en entend, en outre, appliquer la procédure de l’abus de droit, l’administration se retrouve contrainte à réunir le faisceau d’indices qui lui permettra de remplir les conditions énoncées à l’article L.64 du LPF, à savoir le but exclusivement fiscal de l’opération ou sa fictivité.

La liberté du mode de financement une nouvelle fois mise à l'épreuve

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La liberté du mode de financement une nouvelle fois mise à l’épreuve. par Guillaume Allègre

Note sous avis du Comité de l’abus de droit fiscal – séance n°10/2016

Les schémas de financement des entreprises ne cessent de s’adapter à l’évolution du cadre comptable,

financier et fiscal, dont les grands principes sont édictés par les législateurs internes et européens. Dans un

contexte de baisse des taux, la tentation est grande pour l’actionnaire de préférer pour sa société

l’endettement, dont les intérêts sont généralement fiscalement déductibles, à l’apport en fonds propres qui

grève sans contrepartie la capacité d’investissement d’une société opérationnelle.

Véritable branche autonome du principe de non immixtion de l’administration dans la gestion des sociétés,

la liberté du mode de financement est depuis longtemps consacrée par la jurisprudence française et

européenne. Les entreprises sont libres, pour financer leurs opérations de croissance interne ou externes, de

recourir à l’emprunt ou à l’apport en capital. L’arbitrage se fera dans la plupart des cas pour des motifs

financiers et non fiscaux, ce qui rend la tâche bien délicate à l’administration quand il s’agit de rapporter la

preuve d’un acte outrepassant la gestion normale.

En matière de financement, la théorie de l’acte anormal de gestion souffre d’un déficit d’applicabilité comme

le laissait entendre Pierre-François Racine. L’une des possibilités pourrait être pour l’administration de

soulever les risques manifestement excessifs pris par la société dans son choix de recourir à l’emprunt. Ce

cas de recours ouvert par la fameuse décision Loiseau rendue par le Conseil d’Etat en 1990 n’existe plus (CE,

7è et 8è ss-sect., 17 octobre 1990, n°83310, concl. Olivier Fouquet). Après quelques hésitations jurisprudentielles,

fortement combattues par la doctrine, notamment dans l’affaire Fralsen Holding (CE, 3è et 8è ss-sect., 11 juin

2014, n°363168, concl. M.-A ; Nicolazo de Barmon), la Haute juridiction a semble-t-il définitivement fermé la

porte à l’application de cette théorie (CE, sect., 13 juillet 2016, n°375801, SA Paschi Banque, concl. E. Bokdam-

Tognetti).

Les difficultés liées à l’appréciation du critère du risque manifestement exagéré ont conduit le Conseil d’Etat

à exiger de l’administration que celle-ci rapporte la preuve d’un acte de gestion contraire au seul intérêt de

l’entreprise.

Lorsqu’elle en entend, en outre, appliquer la procédure de l’abus de droit, l’administration se retrouve

contrainte à réunir le faisceau d’indices qui lui permettra de remplir les conditions énoncées à l’article L.64

du LPF, à savoir le but exclusivement fiscal de l’opération ou sa fictivité.

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S’agissant des financements circulaires intragroupes, les cas de mise en œuvre de la procédure d’abus de

droit demeurent assez isolés. L’entreprise et ses conseils fiscaux parviennent très régulièrement à rattacher

l’opération à un contexte économique et financier propre à emporter la conviction du juge de l’impôt si la

phase contentieuse venait à être initiée par l’une ou l’autre des deux parties.

C’est l’un de ces montages de financement structuré qu’a eu à apprécier le Comité de l’abus de droit fiscal

dans sa séance n°10/2016.

Dans cette affaire, la multinationale A dont le siège est établi aux Etats-Unis avait imaginé un financement

purement intragroupe composé de dette et de fonds propres, de la façon suivante.

La société A, tête du groupe et établie aux Etats-Unis détenait plusieurs filiales dans le monde entier. Parmi

celles-ci, une première société Luxembourgeoise X, laquelle détenait une seconde société Luxembourgeoise

X’, cette dernière ayant pour seule activité la prise de participations et la gestion de la trésorerie d’une partie

du groupe. Cette même société X’ avait constitué deux établissements stables dans deux Etats différents. Le

premier en Suisse, sous forme de succursale, laquelle bénéficiait, il est important de le noter pour la suite, du

régime dit de la « Swiss finance branch ». Le second aux Etats Unis, également sous forme de succursale.

Au mois d’octobre 2010, la société holding Luxembourgeoise X décidait d’apporter à sa filiale établie en

France, la SAS B, l’ensemble des titres qu’elle détenait dans une autre filiale opérationnelle, la société Belge

D, pour une VNC environ égale à 20 M€. Au même moment, la SAS B, mère de l’intégration fiscale créée en

France, décidait d’apporter à son tour les titres reçus et portant sur la société Belge D à sa filiale intégrée, la

SAS C.

Une fois la restructuration des titres organisée, le groupe opta pour un schéma de financement pour le moins

agressif.

Dès la fin du mois d’octobre 2010, la filiale C intégrée en France contracta un emprunt pour 240 M€ auprès

de la succursale Suisse. Afin d’apporter à la succursale la somme nécessaire à l’octroi du prêt, la société X’

établie au Luxembourg emprunta les fonds auprès de sa succursale américaine.

La société C disposant ainsi des fonds prêtés, elle décida en tant qu’actionnaire unique de sa filiale Belge une

augmentation de capital à hauteur de 240 M€. Une fois la société Belge capitalisée, celle-ci accorda un prêt

de 260 M€ à une société espagnole, la société E, mère opérationnelle et représentant les intérêts du groupe en

Espagne.

Un an plus tard, en novembre 2011, la société B, mère intégrante en France, empruntait la somme de 100 M€

à la succursale Suisse selon les mêmes modalités que lors du premier emprunt. Une fois les fonds disponibles,

la SAS B souscrivait immédiatement une augmentation du capital de sa filiale intégrée, la société C, elle-

même procédant la recapitalisation de sa filiale Belge, la société D, à hauteur de 135 M€. Afin de développer

l’investissement en Espagne, il fût décidé par la société D d’accorder un nouveau prêt à la société espagnole

pour un montant de 165 M€.

L’organigramme ci-dessous récapitule la situation décrite après restructuration des titres de la société Belge.

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Le degré de connaissance et d’expérience acquise en matière de fiscalité financière joue un rôle primordial

dans la compréhension des enjeux d’un tel schéma. Pour certains, ce montage évoquera en l’espace d’un

instant l’image d’un endettement artificiel jouant sur la dualité d’un financement structuré avec érosion de

la base fiscale dans un Etat et non-imposition dans les autres Etats d’implantation. Pour d’autres, il faudra

davantage d’explications pour intégrer l’ingénierie – toute relative – dont ont fait preuve dans ce dossier les

conseils fiscaux et les ressources internes au groupe concerné.

Le séquençage de l’opération peut être opéré comme suit.

- L’emprunt contracté par la société C auprès de la succursale Suisse. En France, les charges d’intérêts

liées à un emprunt interne ou transfrontalier sont intégralement déductibles du résultat imposable à

33.33%. L’arsenal législatif existant depuis maintenant de nombreuses années, est malheureusement

pour l’administration d’un secours inutile dans un tel schéma. Le taux d’intérêts pratiqué respectait le

taux de marché exigé à l’article 212.I.a) du CGI. La société C ne remplissait pas les conditions énoncées

par les dispositions de l’article 212.II du CGI et relatives à la sous-capitalisation. Le dispositif Carrez

ne vise que l’endettement artificiel dans le cadre des prises de participations, or les fonds prêtés en

l’espèce n’avaient nullement pour objet le financement d’une acquisition de titres. L’amendement

Charasse applicable uniquement au sein d’un groupe intégré est inefficace pour la même raison. Le

mécanisme dit du « rabot », prévu par l’article 212.bis CGI vient limiter le gain fiscal espéré par

l’entreprise mais ne l’exclut pas intégralement. Il a en outre été instauré par la loi de finances pour

2013, datant du 29 décembre 2012. Le dispositif spécial hybrides enfin, est trop récent pour s’appliquer

aux faits de l’espèce mais aurait pu être un rempart intéressant. Il ressort de cette opération une charge

d’intérêts déductible au niveau de la société C, laquelle participe à la création d’un résultat propre

« 2058 A bis » déficitaire et permettant d’alléger la facture au niveau du résultat d’ensemble du groupe

fiscalement intégré en France.

A

X

X’

B

D

C

E

S1 S2

USA

Lux

Lux

Sui. USA

Bel.

Fr.

Fr.

Esp.

Page 4: La liberté du mode de financement une nouvelle fois mise à l'épreuve

En Suisse, les intérêts perçus en rémunération du prêt à la société C constituent un produit imposable.

Toutefois, la succursale constitue comme nous l’avons vu précédemment une branche financière, dont

le régime d’imposition diffère du droit commun. La Suisse accorde aux succursales des sociétés

financières étrangères (ce qu’est la société C, dont les statuts ont été habillement modifiés en France)

un statut particulier. En effet, au niveau fédéral, celle-ci peut déduire de sa base imposable 94% des

intérêts qu’elle doit à la société qui lui a mis les fonds à disposition, autrement dit dans notre cas, la

société X’. Evidemment, la succursale n’ayant pas la personnalité morale, il s’agit en réalité d’une seule

et même société, et l’avantage fiscal ainsi octroyé apparait comme purement fictif. En outre, au niveau

cantonal cette fois-ci, les législations permissives locales permettent à la succursale d’être exonérée sur

les intérêts étrangers qu'elle perçoit entre 80% et 90% selon les régions. Le taux effectif d’imposition

des intérêts perçus par la succursale Suisse de la société X’ ressortait donc entre 1.5% et 3%, 1.9% pour

être précis.

Aux Etats-Unis, nombreux sont les moyens juridiques permettant de contrecarrer un tel schéma, dont

l’équivalent de notre article 209 B du CGI qui constitue outre Atlantique la législation Subpart F.

Nombreux, mais pas sans faille. L’option CTB « check-the-box » permet à un groupe américain de

qualifier au regard du droit interne une entité étrangère comme transparente, comprendre

« disregarded entity », alors qu’elle constitue en droit étranger une société opaque. Cette option est

souvent utilisée par les multinationales organisées en supply chain sur le territoire Européen, dont les

têtes de groupes en France sont constituées sous la forme de SAS. L’application de l’option aux Etats-

Unis permet de n’imposer sur le territoire américain que les sommes rapatriées, c’est-à-dire distribuées

sous forme de dividendes. Dans notre espèce, le groupe avec très habilement opté pour qualifier la

sous-filiale Luxembourgeoise, la société X’, de société transparente. Ainsi, celle-ci permettait de

qualifier la holding X de holding opérationnelle, empêchant ainsi l’application de l’arsenal anti-abus

et de la législation Subpart F. Les revenus issus des prêts entre les deux sociétés Luxembourgeoises

étaient de la sorte uniquement imposable au Luxembourg. Or, comme nous l’avons vu précédemment,

la société X’ n’est qu’une intermédiaire dans le financement et ne supporte par conséquent aucune

imposition à ce titre.

Nous épargnerons aux lecteurs les détails relatifs aux autres facteurs propres au droit interne

luxembourgeois, ayant permis une absence totale d’imposition mais la création d’une charge

déductible du résultat fiscal. Ils pourront utilement se reporter aux analyses fiscales et financières

relatives aux PPL – « profit participating loans », dont le caractère hybride jouant sur la qualification

cumulative de capital et d’endettement permet la déduction d’une charge d’intérêts sans constatation

d’un produit imposable corrélatif. D’autres instruments hybrides permettent de dupliquer le scénario,

notamment les ISL – « income sharing loans ».

- L’emprunt des fonds par la société X’ auprès de la succursale américaine. Les intérêts perçus de la

société C par la succursale Suisse remontent en partie à la société Luxembourgeoise X’ puis à la

succursale américaine. La législation fiscale des Etats-Unis considère que la succursale américaine

d’une société résident dans un autre Etat est imposable dans cet autre Etat. Nous y reviendrons.

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- L’augmentation de capital réalisée par la société C au profit de la société D. En France, la souscription

à une augmentation de capital au profit d’une société établie en France ou à l’étranger n’est pas

déductible du résultat imposable. En Belgique, la capitalisation de la filiale est bien traitée, tant

comptablement et que fiscalement, comme un apport en fonds propre non imposable. Néanmoins,

l’application du régime des intérêts notionnels permet à la filiale recapitalisée de déduire à des fins

uniquement fiscales un intérêt fictif dont le taux est révisé chaque année par les autorités du pays. Le

mécanisme des intérêts notionnels est en vigueur depuis le 1er janvier 2006 et fait suite à la

désapprobation qu’avait nourri la Commission Européenne à l’encontre des centres de coordination,

qualifiés par Bruxelles d’aide Etat injustifiée. Il vise à rétablir l’équilibre entre le financement par fonds

propres et le financement par emprunt, en alignant les coûts de ces deux modes de levées de fonds.

Résultat du match, une simple écriture comptable a permis au groupe de créer artificiellement une

charge en Belgique sans impact négatif en France. Là encore, l’administration se retrouve coincée et

ne dispose d’aucun outil efficace apte à enrayer l’érosion de base taxable. L’on sait que si la

jurisprudence admet la prise en compte du droit interne étranger pour tirer les conséquences fiscales

en France d’une opération hybride, c’est aux seules fins d’apprécier si la charge initialement déduite

du résultat imposable en France devait ou non être réintégrée (CE, 3è et 8è ss-sect., 7 septembre 2009,

n°303560, Société immobilière GSE, concl. Laurent Olléon ; voir aussi l’importante décision CE, section du

contentieux, 30 décembre 2003, n°233894, SA Andritz, concl. Laurent Olléon). En l’espèce, aucune charge

n’ayant été déduite par la société C, l’administration n’a rien trouvé à redire sur le plan des principes.

- Le prêt par la société D au profit de la société E. En Espagne, l’emprunt souscrit par la société E

présentait un intérêt économique non contestable, et la charge d’intérêts supportée était sans nul doute

fiscalement déductible des résultats imposables. En Belgique, la rémunération du prêt sous forme

d’intérêts financiers constituait un produit imposable. Néanmoins, l’application d’un taux

conventionnel égal ou inférieur au taux d’intérêts notionnels permet aisément d’annuler l’imposition

du produit. L’arbitrage du taux s’opère très simplement en comparant la charge créée en Espagne au

surcoût d’impôt dégagé en Belgique. Un rapide calcul financier permet d’optimiser le scénario et de

fixer au mieux le niveau de rémunération du prêt.

Le schéma circulaire fût réalisé une seconde fois à l’identique, à peu de détails près, pour un montant de 100

M€. Lors de ce second tour de financement, l’emprunt auprès de la succursale Suisse fût souscrit par la mère

intégrante en France, générant de la même sorte une charge d’intérêts dans le résultat d’ensemble de

l’intégration fiscale. La somme fût employée à la recapitalisation de la filiale française C, sans conséquences

fiscales, laquelle recapitalisa à son tour la filiale Belge pour un octroi de prêt in fine à la société établie en

Espagne.

Un tableau simplifié résume l’impact en base taxable de l’ensemble des opérations financières.

Etats Charge (-) ou produit (+) Taux de la charge

créée

Taux du produit

imposable

France - 33,33%

Belgique - + 3.425% 3.425%

Suisse - + 11.5% 1.9%

Etats-Unis + 0%

Luxembourg + 0%

Face à un schéma aussi agressif, l’administration fiscale française n’a pas hésité à sortir l’artillerie lourde et a

estimé que le groupe, au prétexte de répondre aux besoins en financement de sa filiale espagnole, avait

localisé artificiellement des charges financières en France afin de diminuer le résultat imposable bénéficiaire

de l’intégration fiscale.

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Le service a ici considéré que le caractère artificiel du montage d’endettement était caractérisé, et que

l’interposition des sociétés françaises ne répondait qu’à un but exclusivement fiscal, remplissant ainsi selon

lui les conditions d’application de l’article L.64 du LPF.

Allant au bout de sa logique, il a requalifié les différentes opérations d’apport indirect en contrats de prêts

entre les sociétés françaises et la société belge, et a considéré que les sociétés françaises avaient commis un

abus de droit en omettant de constater dans leur résultat un produit imposable, lequel devait donc être

réintégré.

Saisi par la société, le Comité de l’abus de droit fiscal était ainsi appelé à se prononcer sur l’ensemble de

l’opération. L’on sait que son avis n’est pas contraignant pour l’administration mais qu’il répond néanmoins

à l’épineuse question de qui supportera la charge de la preuve, élément essentiel en vue d’un probable

contentieux.

Dans sa décision, le Comité de l’abus de droit constate en premier lieu que les investissements réalisés ne

sont pas fictifs, bien que l’administration ne se soit pas placée sur le terrain de la fictivité. L’organisme affirme

que l’ensemble des écritures comptables étaient bien réelles et justifiées, et qu’elles correspondaient

exactement aux mouvements de fonds et opérations juridiques effectivement réalisées. Il relève ensuite que

le montage poursuit une logique financière et d’investissement tout à fait défendable, en ce que la politique

commerciale menée sur le territoire européen avait permis durant toutes ces années l’accumulation de

réserves importantes. Certes, la localisation du prêteur en Belgique a permis au groupe de bénéficier d’un

avantage fiscal non négligeable. Il ne constituait toutefois pas l’unique motivation de cette prise de décision,

les conditions de prêt en Belgique étant nettement plus favorables qu’en France à l’époque des faits.

Quant au choix de l’endettement plutôt qu’une capitalisation des sociétés en France, le Comité constate que

cette stratégie avait pour principal objectif la maximisation du rendement par un effet de levier financier non

critiquable sur le plan fiscal. Il réaffirme ainsi avec force le principe que s’est fait sien le Conseil d’Etat en

affirmant la liberté de financement des entreprises.

Le Comité conclut que si les opérations en cause traduisent bien une habileté consistant pour le groupe à

utiliser les différents régimes fiscaux applicables dans les pays où les filiales sont établies, elles ne

caractérisent pas, en ce qui concerne les opérations réalisées en France, un abus de droit fiscal au sens de

l’article L.64 du LPF.

L’on notera la réaffirmation par le Comité du principe selon lequel, dans une procédure pour abus de droit,

l’appréciation du faisceau d’indices utiles à la démonstration à laquelle se livre l’administration doit

uniquement porter sur des éléments de droit français. Bien évidemment, cela n’empêche pas le Comité

d’apprécier l’opération dans son ensemble. Les flux internationaux entrent en compte dans la prise de

position mais ne doivent être mobilisés qu’à l’aune des conséquences qu’entend faire tirer la procédure de

rectification en France.

Dans cette affaire, la quasi absence d’imposition des sommes dans chacun des 3 Etats parties à l’opération,

couplée à la création d’une charge financière en France au taux de 33.33%, avait sans doute fait penser à

l’administration fiscale que la condamnation morale du schéma entrainerait la conviction du Comité pour la

traduire en droit, ce qui n’a pas été le cas.

L’affaire n’en est toutefois pas finie, la phase contentieuse ayant probablement été initiée.

Page 7: La liberté du mode de financement une nouvelle fois mise à l'épreuve

L’analyse de cet avis a uniquement porté sur l’aspect IS. Nous invitons les lecteurs à se reporter au traitement

qu’il convient de réserver à ces opérations successives d’un point de vue de la TVA. Comme on le sait, des

règles particulières existent, tant au niveau français qu’européen, en matière d’opérations financières et

d’endettement. La différence de traitement entre les dividendes et les intérêts au regard du champ

d’application de la TVA rejaillit sur le régime applicable en matière de droit à déduction, dont le calcul ne

s’en trouve que plus complexe.

Le libre choix du mode de financement d’une entreprise constitue un élément essentiel dans le

développement de l’économie d’un Etat. Inciter les sociétés à solliciter tel ou tel moyen de levée de fonds

peut se révéler être un puissant outil de politique économique. Ces dernières années, et malgré les effets

néfastes induits par la crise financière, les opérations de croissance externe via LBO et autres schémas

classiques de transmission d’entreprise ont repris de la vigueur, en témoignent également le regain d’intérêts

des acteurs sur le marché des fusions-acquisitions.

Espérons que la matière fiscale, qui ne constitue qu’une étape de la prise de décision, ne vienne pas remettre

en cause ce bel effort de relance.