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1 1783 et 1784, l’épopée des « ballons volants » à Lyon et… ailleurs suivie par quelques considérations sur les découvertes scientifiques du XVIII e siècle et par une série d’estampes de l’époque par Jean-Jacques TIJET « Mais enfin, à quoi servent les ballons ? » … et Benjamin Franklin de répondre : « A quoi sert, mon ami, l’enfant qui vient de naître ? » Chacun sait que l ’invention des « ballons volants » appartient aux frères Montgolfier, célèbres fabricants de papier à Annonay. Deux enfants, du rude et prolifique patriarche Pierre Montgolfier - devenu à force de témérité et de courage, propriétaire d’une importante manufacture et « papetier des Etats du Vivarais » - le douzième (Joseph-Michel) et le quinzième (Etienne), étaient attentifs aux projets de la « navigation aérienne » et ce, dès leur plus jeune âge ! Ils étaient partisans d’engins « plus légers » que l’air alors que certains bricoleurs de génie comme Jean-Pierre Blanchard s’évertuaient à vouloir faire voler des appareils « plus lourds » que l’air 1 . Nantis d’une grande curiosité, d’une âme inventive et réceptifs aux techniques et sciences nouvelles ils ont voulu appliquer ce qu’ils avaient remarqué dans une cheminée : la fumée, accompagnée bien souvent de particules et de débris brûlés, monte du fait de la chaleur dégagée dans l’âtre. Constat évident pour nous aujourd’hui mais pas forcément pour l’époque : l’air chaud est moins dense que l’air ambiant. Après avoir réalisé une expérience réussie sur un modèle réduit, ils mobilisent pendant quelques mois toute leur énergie et celle de leurs ouvriers pour fabriquer une énorme sphère dont l’enveloppe est faite de papier et de taffetas de soie au bas de laquelle un châssis a été aménagé pour contenir le « générateur de gaz » : un bûcher constitué de paille humide mélangée à de la laine. Le 4 juin 1783 en fin de matinée, dans la cour du couvent des Cordeliers 2 à Annonay, en présence d’une grande foule et de tous les membres des Etats du Vivarais, cette espèce de sac gigantesque de 35 pieds de hauteur 3 , gonflé par l’air chaud du foyer mais retenu par 8 cordes reliées à un cerceau entourant l’engin en son milieu, est enfin lâché. Le ballon s’élève avec rapidité jusqu’à 1 000 mètres dit-on puis commence sa descente (pour la simple raison que le feu n’est plus alimenté) pour tomber à proximité d’une vigne à près de 3 km de son point de départ. La conquête du ciel est commencée ! Les Montgolfier ne sont pas les seuls à vouloir triompher de la pesanteur ! A Paris Jacques- Alexandre Charles, un scientifique spécialiste des gaz, associé aux frères Robert, industriels, élabore un ballon gonflé à l’hydrogène qui, comme chacun sait, est plus léger que l’air. 1 Il avait essayé en mai 1782 de faire voler un engin, à l’image d’un oiseau, muni de 6 ailes et d’un gouvernail. En vain. 2 Les Cordeliers sont des Franciscains 3 Entre 10 et 12 m (1 pied = 0,30 m environ)

1783 et 1784 les ballons à Lyon et ailleurs

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Les découvertes scientifiques du XVIIIe siècle

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1783 et 1784, l’épopée des « ballons

volants » à Lyon et… ailleurs suivie par quelques considérations sur les découvertes scientifiques du XVIIIe siècle et

par une série d’estampes de l’époque

par Jean-Jacques TIJET

« Mais enfin, à quoi servent les ballons ? » … et Benjamin Franklin de répondre :

« A quoi sert, mon ami, l’enfant qui vient de naître ? »

Chacun sait que l’invention des « ballons volants » appartient aux frères Montgolfier, célèbres fabricants de papier à Annonay. Deux enfants, du rude et prolifique patriarche Pierre Montgolfier - devenu à force de témérité et de courage, propriétaire d’une importante manufacture et « papetier des Etats du Vivarais » - le douzième (Joseph-Michel) et le quinzième (Etienne), étaient attentifs aux projets de la « navigation aérienne » et ce, dès leur plus jeune âge ! Ils étaient partisans d’engins « plus légers » que l’air alors que certains bricoleurs de génie comme Jean-Pierre Blanchard s’évertuaient à vouloir faire voler des appareils « plus lourds » que l’air1. Nantis d’une grande curiosité, d’une âme inventive et réceptifs aux techniques et sciences nouvelles ils ont voulu appliquer ce qu’ils avaient remarqué dans une cheminée : la fumée, accompagnée bien souvent de particules et de débris brûlés, monte du fait de la chaleur dégagée dans l’âtre. Constat évident pour nous aujourd’hui mais pas forcément pour l’époque : l’air chaud est moins dense que l’air ambiant.

Après avoir réalisé une expérience réussie sur un modèle réduit, ils mobilisent pendant quelques mois toute leur énergie et celle de leurs ouvriers pour fabriquer une énorme sphère dont l’enveloppe est faite de papier et de taffetas de soie au bas de laquelle un châssis a été aménagé pour contenir le « générateur de gaz » : un bûcher constitué de paille humide mélangée à de la laine.

Le 4 juin 1783 en fin de matinée, dans la cour du couvent des Cordeliers2 à Annonay, en présence d’une grande foule et de tous les membres des Etats du Vivarais, cette espèce de sac gigantesque de 35 pieds de hauteur3, gonflé par l’air chaud du foyer mais retenu par 8 cordes reliées à un cerceau entourant l’engin en son milieu, est enfin lâché. Le ballon s’élève avec rapidité jusqu’à 1 000 mètres dit-on puis commence sa descente (pour la simple raison que le feu n’est plus alimenté) pour tomber à proximité d’une vigne à près de 3 km de son point de départ. La conquête du ciel est commencée !

Les Montgolfier ne sont pas les seuls à vouloir triompher de la pesanteur ! A Paris Jacques-

Alexandre Charles, un scientifique spécialiste des gaz, associé aux frères Robert, industriels, élabore un ballon gonflé à l’hydrogène qui, comme chacun sait, est plus léger que l’air.

1 Il avait essayé en mai 1782 de faire voler un engin, à l’image d’un oiseau, muni de 6 ailes et d’un gouvernail. En vain.

2 Les Cordeliers sont des Franciscains

3 Entre 10 et 12 m (1 pied = 0,30 m environ)

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Le 27 août 1783 en fin d’après-midi un ballon de 4 mètres de diamètre et d’un volume de 30 m3 d’hydrogène4 déposé et retenu en plein milieu du Champ-de-Mars est libéré et s’envole à grande vitesse, devant des milliers de spectateurs ébahis et stupéfaits de voir un objet parti de terre voyager dans l’espace !

Poussé par un fort vent d’orage il atterrit en plein milieu du gros bourg de Gonesse soit à près de 20-25 km de son lieu de départ ! En réalité l’arrivée du ciel de cet étrange objet terrifie les quelque 1 500 habitants de ce paisible village… réputé pour la qualité de son pain5 ! On sort les fourches, les bêches, les fusils, on appelle le curé qui, armé de son goupillon exorcise la « bête » ; enfin bref au bout de quelques heures on s’aperçoit de la passivité de la « chose » mais il n’en reste que des lambeaux informes… qui seront traînés à la queue d’un cheval en dehors du village !

Cette réaction humaine – tout à fait normale pour l’époque me semble-t-il – a eu pour conséquence l’écriture d’un texte destiné à être distribué et affiché dans les lieux publics mais aussi lu par les prêtes et curés en chaire ! Puisqu’il avertit la population et explique les raisons de « l’enlèvement des ballons ou globes en l’air », c’est, pour certains, le premier bulletin populaire d’information scientifique. Je ne peux m’empêcher de vous livrer à la lecture, un extrait que je trouve particulièrement instructif de la mentalité humaine en cette 2e partie du XVIIIe siècle (avant la Révolution, bien entendu…). …Chacun de ceux qui découvriront dans le ciel de pareils Globes, qui présentent l’aspect de la lune obscurcie, doit donc être prévenu que, loin d’être un phénomène effrayant, ce n’est qu’une machine toujours composée de taffetas, ou de toile légère revêtue de papier, qui ne peut causer aucun mal, et dont il est à présumer qu’on fera quelque jour des applications utiles aux besoins de la société…

Mais les Montgolfier, forts et de la reconnaissance et du prix reçus de l’Académie des

sciences, reprennent la main ! A Paris cette fois, et avec la participation du célèbre papetier Réveillon ils préparent une nouvelle expérience destinée au roi et à sa Cour.

Après quelques déconvenues c’est le 19 septembre 1783, dans la cour immense du château de Versailles, qu’un ballon de 19 m de hauteur est lâché… entraînant avec lui l’attirail [en réalité une petite nacelle] dans lequel étaient renfermés un mouton, un coq et un canard ! Cette fois c’est un vol habité… certes par des animaux puisque Louis XVI refuse obstinément d’autoriser une ascension humaine ! L’engin s’élève pendant une dizaine de minutes puis redescend en planant pour se poser en plein bois de Vaucresson sur la route menant à St Cloud (à 3-4 km environ de Versailles) où 2 forestiers – pas du tout effrayés puisqu’informés par l’affiche… – libèrent les animaux en « bonne santé et sans traumatisme apparent ». Maintenant il faut tenter l’expérience avec des humains !

Après quelques essais les 15,17 et 19 octobre en captif (cela veut dire que le ballon reste attaché par des cordes au sol), c’est chose faite le 21 novembre 1783. Jean-François Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlandes sont les premiers voyageurs de l’espace ! A bord d’une montgolfière de 20 m de hauteur, de 16 m de diamètre, de 850 kg et pouvant contenir près de 2 000 m3 d’air chaud, ils s’élancent en début d’après-midi du parc du château de la Muette6, s’élèvent à près de 85 mètres, survolent Paris et atterrissent, après 30 minutes de vol, sur la Butte aux Cailles7, à 12 km environ de leur point de départ. Il s’avère que les 2 premiers voyageurs de l’espace, courageux et téméraires n’ont pas profité de la vue qui leur était offerte car occupés perpétuellement à entretenir le feu qui les soutenait ! Nous sommes bien d’accord avec un témoin qui a écrit « ce

4 La production du gaz est assurée par un tonneau rempli de limaille de fer, d’acide sulfurique (vitriol) et d’eau ; on laisse

s’échapper le gaz par un trou muni d’un tuyau de cuir qui l’amène dans le ballon. Il a fallu plusieurs jours pour gonfler

l’enveloppe et près 500 kg de fer et 250 litres d’acide ! Il faut aussi noter que la toile du ballon était induite d’un vernis à base de

caoutchouc, invention des frères Robert. Notons aussi que ces ballons étaient fermés contrairement à ceux gonflés à l’air. 5 … et qui aurait été, selon certains, le lieu de naissance du roi de France Philippe II Auguste

6 Il appartient depuis peu au dauphin qui a 2 ans… C’est Marie-Antoinette qui a demandé à Louis XVI ce don, en réalité

cadeau déguisé à sa favorite la duchesse de Polignac qui y séjourne en tant que « gouvernante des enfants de France ». Il n’en

reste rien aujourd’hui. Le château actuel date de 1922. 7 Aujourd’hui place Verlaine dans le 13

e arrondissement

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petit voyage restera éternellement dans l’histoire de l’audace humaine ». Je pense aussi que l’illustre astronome Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande, pourtant né à Bourg-en-Bresse, a dû se sentir « tout petit » car il avait déclaré, lors d’une intervention à l’Académie des sciences de Paris en 1782, « Il est démontré impossible dans tous les sens qu’un homme puisse s’élever ou même soutenir en l’air… » ce qui prouve qu’un éminent scientifique peut se tromper, il est vrai dans un domaine qui n’est pas le sien8 !

Mais la compétition continue : le 1er décembre suivant, Charles et le plus jeune des frères

Robert effectuent, à bord d’un aérostat gonflé à l’hydrogène muni d’une nacelle (en osier) en forme de gondole, un vol particulièrement instructif car, comme le démontre Pierre Gaxotte, c’est un vrai ballon sphérique, avec enveloppe caoutchoutée9, filet, nacelle, soupape10, sacs de lests et baromètre11. Ils s’élancent des jardins des Tuileries12 pour se poser à Nesles dans le Vexin français à près de 40 km de Paris et un voyage de 2 heures environ.

Jusqu’à présent tous les essais ont été couronnés de succès, tout semble possible et le progrès est accepté d’une façon positive (nos « amis » les Verts ne se sont pas encore manifestés…) mais naïve comme la maréchale de Villeroi qui déclare avec enthousiasme mais aussi avec quelque dépit et beaucoup de regrets « Oui ! C’est certain maintenant ! Ils trouveront le secret de ne plus mourir, et c’est quand je serai morte ! »13. La France, patrie des Montgolfier et Charles, se glorifie de son avance dans le domaine des engins volants et la population est fière des succès de ses premiers aéronautes et déclame avec emphase :

« Les Anglais, nation trop fière, S’arrogent l’empire des mers. Les Français, nation légère,

S’emparent de celui des airs. » A Lyon, l’année 1784 a été particulièrement riche en évènements insolites. Qu’on en juge, non

seulement la cité a eu droit à 2 ascensions en ballon dont l’une par la première femme aéronaute mais également elle s’est réjouit du séjour du fameux comte de Cagliostro qui se disait contemporain de Jésus-Christ…En réalité il s’appelait Joseph Balsamo, aventurier [italien] qui offrait un bizarre mélange d’audace et de tendresse, de force et de ruse, de sincérité et de charlatanisme14. Il aurait fait des miracles dans la loge maçonnique qu’il avait fondée – la Sagesse triomphante - dans le quartier des Brotteaux (à l’emplacement du célèbre restaurant Orsi, dit-on) comme de faire apparaître l’ombre d’un illustre magistrat lyonnais, disparu récemment15 !

La capitale des Gaules ne pouvait pas rester en dehors de l’élan scientifique du moment et les notables lyonnais réclament une expérience aéronautique d’autant plus que les Montgolfier sont bien connus dans la région. Joseph fabrique alors le plus gros ballon jamais construit à l’époque, 42 m de haut pour un diamètre de 24 m avec un volume de 27 000 m3 qu’il dénomme « Le Flesselles » du nom de l’intendant de la province, Monsieur de Flesselles qui avait beaucoup

8 Il inaugure toutes les âneries prononcées par des soi-disant intellectuels ou scientifiques, avant ou après des avancées

technologiques, comme le physicien Arago dans le premier tiers du XIXe sur les dangers du chemin de fer, etc.

9 Le caoutchouc naturel en provenance de l’Equateur et du Pérou est redécouvert par La Condamine vers 1750

10 La soupape est rendue nécessaire pour diminuer la dilatation du gaz à l’intérieur du ballon provoquée par la baisse de la

pression atmosphérique au fur et à mesure de la montée dudit ballon (constatation de Charles lors de l’expérience du 27 août) 11

Pour mesurer l’altitude (ils seraient montés à plus de 3 000 m). 12

Devant 300 et même 400 mille personnes dit-on… un peu exagéré il me semble ! 13

Manceron la qualifie « d’octogénaire », en réalité elle a alors une cinquantaine d’année. Peu importe. Cette anecdote est

répétée par tous les historiens qui ont fait un récapitulatif des essais de ballons. La première mention de cette histoire est dans

un bouquin intitulé « Annuaire historique universel pour 1837 » d’Ulysse Tencé, à l’intérieur du chapitre dans lequel il est évoqué

la séance annuelle de l’Académie des sciences de Paris où a été fait l’éloge de Lazare Carnot qui partageait l’enthousiasme de

l’époque pour les aérostats. 14

Selon Sébastien Charléty dans sa célèbre Histoire de Lyon 15

Il s’agirait, selon, J.-B. Bernard, dans son Histoire secrète de Lyon de l’échevin Prost de Royer décédé le 22 septembre

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œuvré pour soutenir la souscription lancée pour payer les 150 tailleurs et couturiers requis pour confectionner l’enveloppe.

Après les frimas d’un hiver particulièrement rigoureux c’est seulement le 19 janvier 1784 que l’ascension a lieu, dans le parc des Brotteaux16 devant une foule considérable. Dans la nacelle ont pris place 7 personnes dont l’inévitable et intrépide Pilâtre et Joseph de Montgolfier17 dont ce sera le seul et unique vol.

Le ballon monte rapidement jusqu’à 800m, se dirige vers le sud poussé par le vent, éclairé par un beau soleil d’hiver « d’autant plus resplendissant, dit un témoin, que le gros et large col de cette colossale amphore renversée, en toile écrue blanchâtre, était formé par mille aunes de drap en larges zones de diverses couleurs », survole le confluent mais une importante déchirure de plusieurs mètres se produit au sommet du ballon provoquant la descente et la chute de l’engin après seulement 15 minutes de son envol (dans les marécages des Charpennes ?) ! Déception pour les voyageurs – dont quelques uns sont légèrement blessés – et qui, d’après Le Journal de Lyon, avaient l’espoir de voyager jusqu’à la nuit et de survoler, en partie, la vallée du Rhône ! Ils sont cependant ramenés triomphalement en ville, portés au théâtre où la représentation d’Iphigénie en Aulide18 est interrompue afin que le public applaudisse les héros et les acclame avec ferveur ! Le même journal rapporte que « l’on ne cessa pendant la nuit de leur donner des sérénades » ! C’est du délire… pour, il faut bien le dire, un misérable et court voyage plus ou moins réussi ; les Parisiens ne s’y sont pas trompés en brocardant l’expérience lyonnaise avec ce quatrain :

« Vous venez de Lyon ? Parlez nous sans mystère :

Le globe est-il parti ? Le fait est-il certain ?

16

C’est, à l’époque, un terrain vague ou presque, plus ou moins marécageux. Il y avait cependant des guinguettes où le petit

peuple venait s’amuser les dimanches. Le lieu de départ du ballon aurait été un peu à l’est de l’emplacement où se situe l’église

St Pothin construite au XIXe. (Les Brotteaux signifient « marais asséchés où l’on mène brouter… » selon le patois lyonnais)

17 Le patriarche et « chef de famille » Pierre a été anobli en décembre 1783

18 C’est un opéra de Gluck en 3 actes

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- Je l’ai vu – Dites-nous, allait-il bien grand train ? - S’il allait… Oh ! Monsieur, il allait ventre à terre … ».

Le 4 juin 1784 c’est la gloire pour Lyon lors de l’ascension de la première femme dans les airs ! Une beauté lyonnaise – du moins c’est ce que l’on raconte - madame Thible née Elisabeth Estrieux s’élève dans une montgolfière avec un partenaire, le jeune peintre Fleurant qui avait conçu et construit le ballon appelé Le Gustave en l’honneur au roi de Suède Gustave III19 qui, avec les principaux notables de Lyon, préside à l’envol dans le parc des Brotteaux.

Le décollage sans problème, le ciel serein et un vent léger rendent les aéronautes euphoriques20 : la belle et capiteuse voyageuse (certains témoins rapportent qu’elle s’était habillée en Minerve…) se rappelle de son passé d’artiste lyrique en entonnant une ariette en vogue de La Belle Arsène « … je triomphe ! Je suis Reine » ce à quoi le peintre répondit par celle de Zémire et Azor21 « …Quoi ! Voyager dans les nuages… » ! Mais après 45 minutes de survol de Lyon (La Guillotière, St Clair), l’atterrissage sera rude à proximité de la Duchère (montée Balmont), la montgolfière se renverse et prend feu ! Les passagers s’en tirent avec quelques contusions mais deviennent célèbres à jamais. Comme en janvier ils sont reçus et fêtés triomphalement à la Comédie de Lyon.

19

C’est un roi très amoureux de la France ; il règne sur la Suède depuis 1771 et sera assassiné le 16 mars 1792. 20

Fleurant a écrit par la suite ses impressions… Ces 2 sensations [froid et bourdonnement d’oreilles] durèrent peu et firent

place à un état de bien-être et de suave contentement qu’on ne goûterait, je pense, dans aucune potion… 21

La Belle Arsène et Zémire et Azor sont un opéra-comique pour l’un et un opéra-ballet pour l’autre, en vogue à l’époque.

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Les expériences des frères Montgolfier comme celles de Charles avaient provoqué en Europe une profonde admiration et suscité quelques vocations : on rêve de les imiter. Ainsi à Chambéry, ancienne capitale du duché de Savoie et alors deuxième cité du royaume de Piémont-Sardaigne, quelques jeunes gens ambitieux en quête de sensations fortes, conçoivent l’idée de construire un ballon après avoir lancé une souscription ! Le promoteur du projet est le chevalier de Chevelu - fils du marquis Vulliet d’Yenne - qui attire dans cette aventure ses amis, Xavier de Maistre et un mathématicien Louis Brun dont les 20 ans de l’un et les 24 de l’autre sont gage d’enthousiasme. Xavier, dont la plume est déjà renommée, rédige le bulletin de souscription qu’il intitule « L’expérience aérostatique de Chambéry ». Il récolte ainsi quelque 6 000 livres, vite utilisées pour acheter la toile et payer les ouvriers qui vont confectionner l’enveloppe.

Malgré leur absence d’expérience ils conçoivent et fabriquent un ballon de 18m de diamètre blasonné aux armes de Savoie. Le premier « vol » est programmé le 22 avril 1784 avec, comme passagers, nos 3 compères. Mais l’aérostat, trop lourd, peine à s’élever de quelques mètres puis tombe en s’enflammant en partie. C’est un échec et grande est la désillusion des spectateurs qui s’étaient agglutinés dans le parc du château de Buisson-Rond22, aux portes de Chambéry, lieu de l’expérience !

Qu’à cela ne tienne, l’équipe réussit à rassembler de nouveaux fonds, remplace la toile brûlée et surtout allège la montgolfière. Le 6 mai c’est la réussite pour la grande joie des Chambériens qui acclament la montée du ballon dans lequel ont pris place seulement Louis Brun et Xavier de Maistre car le chevalier s’était vu refuser, par son père, le droit de monter dans la nacelle ! Poussé par un léger vent il se dirige vers Challes et comme l’a écrit Xavier de Maistre « …le bon état de la machine et la sécurité parfaite des voyageurs leur faisaient entrevoir un succès peut-être sans exemple… ».

Cependant ils avaient commis une erreur : la provision de fagots embarqués nécessaires pour alimenter le feu n’était pas suffisante et, après avoir atteint l’altitude de 950 m (le baromètre à bord en fait foi), la montgolfière descend lentement, faute de combustible, pour retrouver la terre ferme – si l’on peut dire – dans les marais à proximité de Challes après seulement 25 minutes de vol !

Un repas de 90 couverts suivi d’un bal particulièrement joyeux et fraternel est organisé en l’honneur des hardis promoteurs et audacieux acteurs de ce vol dans le ciel savoisien « … un nombre infini d'accolades leur prouvèrent que, même en descendant du ciel, on peut s'amuser sur la terre. Le rire était sur toutes les lèvres, la joie dans tous les cœurs : et chacun se retira pénétré de respect pour la physique et la folie… » telle est la conclusion de Xavier de Maistre concernant son expérience aéronautique qu’il dénomma dans ses écrits et lettres La journée du ballon.

Le formidable élan scientifique suscité par les montgolfières ne se tarit pas ; dans toutes les

villes importantes on se met à construire et expérimenter des ballons comme à Dijon, à Romans, à Marseille par exemple. Blanchard réussit, en janvier 1785, la première traversée de la Manche, de Douvres à Calais. Mais quelque temps plus tard, en juin, l’audacieux Pilâtre meurt dans un accident de ballon à proximité de Boulogne-sur-Mer. Après avoir été le premier homme « à voler » il devient malheureusement la première victime d’une catastrophe aérienne !

Connaissant l’esprit des hommes il n’est pas étonnant de constater que cette innovation technique a été utilisée à des fins militaires et ce, dès la Révolution ! La Convention, par l’intermédiaire de son Comité de Salut Public décide, à la fin de l’année 1793, la construction de ballons afin d’y emporter des observateurs pouvant contrôler les mouvements des armées ennemies ; l‘initiative serait due à Lazare Carnot qui présidait une Commission d’étude des applications de la science aux intérêts de l’Etat... Le ballon est conçu et fabriqué à Meudon sous la responsabilité – entre autres - d’un notable dijonnais Guyton de Morveau, conventionnel et régicide mais réputé brillant chimiste qui finira sa carrière comme directeur de l’Ecole polytechnique avec le titre de baron d’Empire ! Celui-ci et ses amis Prieur-Duvernois et Monge, après des essais concluants, livrent le ballon à l’armée qui l’expédie sur le front des combats contre les Autrichiens en Belgique.

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En 1802 le domaine sera acheté par le général de Boigne qui le restaurera et l’embellira ; aujourd’hui il appartient à la

mairie de Chambéry.

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Un corps d’aérostiers est créé sous le commandement du capitaine Coutelle, premier officier d’aéronautique ! Si, aux sièges de Maubeuge et Charleroi en juin 1794 il ne fait aucun doute que les observateurs, dans le ballon captif « L’entreprenant »23 en signalant tous les mouvements adverses, jouèrent un certain rôle dans la capitulation de l’ennemi, il n’en est pas de même en ce qui concerne la victoire des armées républicaines de Jourdan à Fleurus le 26 juin ! Et pourtant c’est celle-ci bien souvent qui est citée comme premier succès de l’aéronautique militaire ! Cependant Napoléon jugera l’utilisation des ballons trop compliquée avec leur transport lent et peu mobile, incompatible avec ses idées de la guerre rapide. Il n’utilisera pas les montgolfières24.

Durant le siège de Paris (celui de 1870-1871) quelques dizaines de ballons quitteront Paris avec des passagers, fuyant le désordre de la capitale. Le plus célèbre est Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur de la jeune IIIe République missionné d’aller à Tours pour « lever des troupes » ; il s’envole le 7 octobre 1870 de la place St Pierre de Montmartre pour se poser près de Montdidier aux confins de l’Oise et de la Somme… à cause des vents contraires et du manque de sang-froid du pilote pourtant expérimenté qui, apeuré par les balles prussiennes, cherche le réconfort dans sa bouteille de Rhum25 ! En définitive c’est en chemin de fer qu’il atteindra Tours via Rouen quelque 2 jours et demi plus tard.

C’est l’avènement des moteurs à explosion qui met fin à l’aventure des ballons et

montgolfières en faisant place à celle des dirigeables (jusqu’à la tragédie du Hindenburg en 1937) puis à celle de l’avion. « Le plus lourd » que l’air a définitivement pris le pas « sur le plus léger » sauf pour le sport, le loisir et… les nouvelles technologies si j’en crois Google « le géant du net » qui envisage d’utiliser des montgolfières, dont l’énergie serait apportée par des panneaux solaires, pour fournir un accès Internet dans des zones de la terre les plus reculées (seuls, aujourd’hui en 2015, 4 terriens sur 10 ont la possibilité de se connecter à ce réseau mondial informatique) !

Sources et commentaires La source essentielle des exploits de Montgolfier, de Charles et autre Pilâtre est le troisième

tome des « Hommes de la liberté » de Claude Manceron intitulé Le bon plaisir. Il donne l’impression d’en avoir pris en relatant les exploits des premiers aéronautes durant les années 1783 et 1784 !

Je me suis inspiré aussi de quelques articles sur des Historia ou des Miroir de l’Histoire quelque peu vieillots mais toujours extrêmement intéressants pour les ascensions lyonnaise et chambérienne !

Les gravures qui précèdent ont été extraites, pour l’une dans La navigation aérienne, Histoire documentaire et anecdotique de J. Lecornu éditée en 1903 (et récupéré sur Internet) et pour l’autre dans La nouvelle Histoire de Lyon d’André Steyert. Il nous faut noter que ce dernier auteur ne mentionne les exploits des Montgolfier et de dame Thible que d’une façon anecdotique, en une seule ligne ! Apparemment la science ne l’inspire pas et pour lui, l’évènement marquant de cette période à Lyon (les années 1780) est l’apparition de la franc-maçonnerie qu’il développe en plusieurs pages ! Chacun son truc.

Les Montgolfier traverseront la Révolution sans être inquiétés. Ils seront l’un et l’autre reçus à

l’Académie des sciences. Faute de moyens financiers ils abandonnent peu à peu les essais de ballons et retournent s’occuper de la papeterie familiale. Etienne meurt en 1799 et Joseph en 1810. Un de leurs petits-neveux est Marc Seguin (1786-1875), lui aussi inventeur illustre mais dans

23

Sphère de 9m de diamètre rempli d’hydrogène obtenu par le procédé dû à Lavoisier (décomposition de la vapeur d’eau

dans un circuit de tubes de fer chauffés au rouge), retenu par 2 cordes tirées par au moins 10 hommes et muni d’une nacelle

pouvant contenir 2 observateurs 24

Membre de l’Institut il aurait vilipendé un de ses collègues qui, le 21 mars 1798, propose « d’envoyer en Angleterre un

dirigeable avec douze mille hommes » (cité par P. Gueniffey dans son Bonaparte) 25

Selon Pierre Antonmattei dans son Gambetta, héraut de la République

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le domaine des chaudières tubulaires (qui équiperont les premières locomotives) et dans celui des ponts suspendus.

Jean-Pierre Blanchard est un Normand né en 1753 aux Andelys. Au total il fera près de 70

ascensions en France mais aussi en Angleterre et aux Etats-Unis. En février 1808 près de La Haye il aurait été frappé d’apoplexie et son ballon, de ce fait incontrôlé, tombe brutalement ; il meurt en mars 1809. Sa femme Sophie poursuivra son œuvre en effectuant plusieurs dizaines de vols en montgolfière. Elle trouve la mort dans un accident à la suite de l’incendie de son ballon à Paris le 6 juillet 1819.

Jacques-Alexandre Charles – qui n’est pas l’ancêtre de mon ami lyonnais Patrick Charles et

qui n’a rien de commun avec Hippolyte Charles, le grand amour de Joséphine de Beauharnais pendant les absences de Bonaparte en Italie et Egypte – est né à Beaugency en 1746, se mariera sur le tard et sa femme - nettement plus jeune que lui - sera la célèbre Julie Charles, le grand amour de Lamartine durant l’été 1816 à Aix-les-Bains, inspiration de son fameux poème Le lac. Chacun sait qu’elle meurt l’année suivante à Paris d’une « maladie de poitrine » au grand désespoir du poète, son mari lui survivra 6 ans.

Pilâtre de Rozier (dont nul ne sait d’où lui vient son vague nom nobiliaire « de Rozier »

d’après Manceron) est né à Metz en 1754 où son père était aubergiste. Passionné de sciences naturelles c’est grâce à sa bonne prestance, à son entregent – il s’intitulait apothicaire du prince de Limbourg… qui n’a jamais existé - mais aussi à son érudition qu’il arrive à se faire connaître à Paris et à l’Académie des sciences… à qui il sera le premier à faire une demande officielle de voler en ballon. On sait qu’il obtiendra satisfaction et qu’il sera la première victime de l’aéronautique.

Le marquis François-Laurent d’Arlandes est né dans le château familial de Saleton à

Anneyron (entre Chanas et St Vallier, aujourd’hui dans la Drôme) ; d’après Manceron « quoique hostile à la Révolution, il n’émigrera pas et restera terré à Saleton où il mourra en 1809 oublié de tous ». Il avait côtoyé Joseph Montgolfier au collège de Tournon et avait suivi ses expériences.

Jacques de Flesselles , l’intendant26 de Lyon en 1784, dont le nom a été donné à la première

montgolfière des Brotteaux, nommé peu après Prévôt des marchands de Paris (dont les fonctions étaient proches de celles de maire aujourd’hui) sera abattu d’un coup de pistolet par un enragé le 14 juillet 1789. Sa tête, avec celle du marquis de Launay le gouverneur de la bastille, sera emmanchée au bout d’une pique et promenée dans les rues de Paris.

Si le chevalier de Chevelu et Louis Brun ont fait un rapide passage dans l’Histoire (ils

« rentrent dans l’anonymat » après les vols de ballons à Chambéry) ce n’est pas le cas de Xavier de Maistre . Sujet du royaume de Piémont-Sardaigne – dont le duché de Savoie fait partie - c’est un militaire et écrivain, connu par son livre Voyage autour de ma chambre, écrit en 1794 alors qu’il est emprisonné dans la citadelle de Turin à la suite d’un duel. Lorsque Charles-Emmanuel IV se réfugie en Sardaigne en 1798 – après l’occupation française de la Savoie et du Piémont - il s’engage dans l’armée russe. Son frère aîné Joseph est plus connu comme diplomate, philosophe, franc-maçon et écrivain ; il est passé à la postérité, comme un fieffé réactionnaire en restant attaché à la monarchie absolue de droit divin et comme un piètre visionnaire en étant incapable de reconnaître le besoin de démocratie et de liberté des hommes de son époque. Ils sont avec le général-comte de Boigne, les plus illustres Chambériens de l’histoire. Leur père, magistrat, a été président du Sénat de Savoie et anobli en 1778 en recevant le titre et la dignité de comte pour lui et ses descendants.

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Représentant du Roi et détenteur des pouvoirs d’administration de la cité en partage avec le Consulat (aujourd’hui

municipalité), mais au fil du temps les fonctions respectives de ces 2 institutions sont devenues floues. Depuis la grève des

ouvriers en soie de 1744 il y avait un gouverneur militaire à Lyon mais il n’y a jamais eu de Parlement.

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Considérations sur les découvertes scientifiques du XVIIIe siècle

L’évocation des exploits des premiers aéronautes est l’occasion de rétablir quelque vérité sur le XVIIIe siècle, perçu trop souvent comme un siècle léger et frivole, synonyme d’une certaine douceur de vivre pour une certaine société du moins car, pour une autre au contraire, les conditions de vie étaient des plus misérables. A celui qui veut regarder de près le long règne de Louis XV et mettre de côté les évènements politiques comme les considérations futiles mises trop souvent en exergue chez les historiens, on peut découvrir un véritable engouement pour tous les domaines de l’industrie et un nombre impressionnant de découvertes scientifiques. Peut-être est-ce la faute à Montesquieu, à Voltaire et à Rousseau, dont les œuvres ont pris une place trop importante dans la vie artistique de l’époque. Figures reconnues de la France des Lumières, leurs écrits et leur notoriété ont masqué les travaux scientifiques des savants… comme aujourd’hui les artistes et les sportifs sont plus considérés et populaires que les entrepreneurs27 !

L’intérêt des sciences et des arts mécaniques se traduit par L’Encyclopédie (vers 1750 à 1780) de Denis Diderot et d’Alembert et, à la suite de Newton (1643-1727), des savants à l’imagination ingénieuse s’appliquent à étendre le champ des connaissances du monde d’alors. Parmi ceux-ci citons entre autres Lalande et Bailly en astronomie, Lagrange, d’Alembert, Monge, Legendre sans oublier les Suisses Bernoulli et Euler en mathématiques, Carnot en mécanique, Réaumur et Haüys en physique, Lavoisier, Berthollet et Chaptal en chimie et les naturalistes Buffon et Lacépède. La capitale des Gaules participe à ce mouvement scientifique exceptionnel : c’est à Lyon que les botanistes Jussieu (Bernard, Antoine et leur neveu Laurent) commencent leurs travaux sur la classification des plantes et que la première Ecole vétérinaire en Europe est créée par Claude Bourgelat en 1762. Toujours à Lyon, en 1801, Joseph-Marie Jacquard met au point son métier à tisser semi-automatique dont le programme est inscrit sur des cartons perforés reliés entre eux (dont l’invention en 1725 reviendrait à l’ouvrier lyonnais Basile Bouchon) qui commandent des cylindres inspirés des automates créés par Jacques Vaucanson au milieu du XVIIIe siècle.

C’est en août 1787 que le naturaliste, physicien et géologue suisse Horace-Bénédict de Saussure atteint le sommet du mont Blanc accompagné d’un domestique et de 18 guides ! Il procède à une série de mesures avec les divers appareils qu’il avait emmenés – baromètres, thermomètres, hygromètres, électromètre, etc. - dont la hauteur du mont qu’il détermine à 2 450 toises soit 4 775 m (pour 4 810 m admis aujourd’hui) et constate que l’eau entre en ébullition « à 68,993 degrés Réaumur »28. Mais en réalité la première ascension du point culminant de la chaîne des Alpes est à mettre sur le compte de 2 aventuriers chamoniards, Jacques Balmat et Michel Paccard qui, l’année précédente le 9 août à 18h23, atteignent la cime mythique. En récompense Jacques Balmat recevra de son souverain, Victor-Amédée III, le droit de se faire connaître comme « Jacques Balmat, dit Mont-Blanc ».

Le prodigieux essor de l’industrie au XIXe siècle doit beaucoup au génie des inventeurs du siècle précédent comme Denis Papin, Cugnot et Jouffroy d’Abbans. L’industrie ne pouvait se développer sans l’apport d’une nouvelle énergie capable d’alimenter des « systèmes mécaniques » (les futurs moteurs) nécessaires à la fabrication d’articles et d’outils de plus en plus sophistiqués. Jusqu’ici elle provenait uniquement de la force musculaire de l’homme – parfois

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Voltaire et Rousseau sont encore encensés aujourd’hui et déclarés comme « modernes »… modernes certainement dans

le genre « Faites ce que je dis et non pas ce que je fais » car l’un – Voltaire – apôtre de l’émancipation de l’Homme, s’est abaissé

à flatter et courtiser, une grande partie de sa vie, le plus grand despote de tous les temps le roi de Prusse, Frédéric II et l’autre –

Rousseau – a abandonné ses enfants malgré ses écrits vertueux sur l’éducation dans L’Emile ou de l’éducation ; de surcroît il est

avéré que tous les 2 méprisaient les petites gens ! Au moment où j’écris ce texte – samedi matin 13 octobre 2012 - mon épouse

m’informe que Yannick Noah vient de déclarer sur les ondes de RTL qu’il était normal que tous les Français fassent un effort

pour rétablir les finances de notre pays. Rien à dire sur les propos sauf qu’ils proviennent d’un individu qui est en conflit ouvert

avec le fisc pour le non-paiement de la totalité de ses impôts ! Sportif reconverti dans la chanson, socialisant notoire c’est la

personnalité – dit-on - la plus appréciée par les Français… à faible QI je suppose ! Cela prouve au moins que la nature humaine

n’a pas évolué depuis 300 ans. 28

Selon Gaston Rébuffat dans Atlas Numéro 60

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d’animaux – et des moulins qui apprivoisaient soit la force du vent soit le courant des cours d’eau. Avec la machine à vapeur la révolution industrielle pourra s’accomplir.

Le précurseur c’est Denis Papin (1647-vers 1712) né près de Blois mais qui a effectué la

plupart de ses recherches et travaux en Angleterre et en Hesse. Il a l’immense mérite d’avoir mis en valeur la puissance de la vapeur d’eau chauffée. Vers 1690 il fabrique un autoclave c'est-à-dire un cylindre de fonte dans lequel il fait monter la pression de la vapeur heureusement contrôlée par une soupape (c’est l’ancêtre de notre cocotte-minute). Ensuite il énonce le principe de la première machine à vapeur à piston et en construit une, expérimentale : un cylindre contient de l’eau que l’on chauffe, elle se transforme en vapeur d’eau qui, amenée sous le piston, le soulève (la tige de celui-ci peut alors soulever un poids ou actionner un axe) ; si on arrête de chauffer alors la vapeur se condense et la pression atmosphérique repousse le piston vers le bas ; puis il remonte à nouveau avec la vapeur, etc.

Mais malheureusement personne n’entrevoit les immenses possibilités de ce principe sauf l’Anglais Thomas Newcommen qui l’utilise en 1712 pour construire une machine destinée à ouvrir et fermer des vannes puis d’autres, destinées à pomper l’eau des nombreuses mines humides de l’Angleterre. En 1704 il aurait construit un bateau à roues à aubes (en maquette ou en réel ?) mais on en sait peu à ce sujet. Comme beaucoup d’inventeurs de toutes les époques il terminera sa vie, dans la misère, seul, incompris et aigri. Il disparaît à Londres… disparaître est le terme approprié car nul ne sait où précisément, à quelle date et comment !

Joseph Cugnot (1725-1804) est un Lorrain ingénieur militaire. En 1769 il obtient du duc de

Choisel, alors principal ministre de Louis XV, l’autorisation d’élaborer un prototype d’un véhicule à moteur « au frais du roi ». Satisfait, son commanditaire lui demande ensuite de construire une machine en vraie grandeur : ce sera le fameux « fardier29 de Cugnot » premier véhicule automobile de l’histoire qui, mû par une machine à vapeur – selon le principe de Denis Papin - parvient à rouler mais terminera sa course dans un mur, faute de freins efficaces ! Il est aujourd’hui exposé au musée des Arts et Métiers.

C’est un engin à 4 roues de dimensions impressionnantes : 7,25 m de long et 2,19 m de large, le diamètre des roues arrière est de 1,23 m et pèse à vide 2,8 tonnes ! La chaudière est une espèce de marmite en cuivre située à l’avant ; elle contient un foyer qui chauffe une réserve d’eau portée ainsi en ébullition, la vapeur est transférée dans 2 cylindres verticaux dont les pistons entrainent la roue motrice. Sa vitesse aurait été de 4 km/h, pas suffisante pour une utilisation pratique et en plus il faut recharger régulièrement la chaudière en eau. Incontestablement une belle réalisation technique mais qui restera sans lendemain. L’engin est, il me semble, plus proche d’une locomotive que d’une automobile.

Durant la Révolution Cugnot émigre en Belgique et reviendra en France sous le Consulat qui lui accordera une pension jusqu’à sa mort.

Le troisième inventeur génial de l’époque est le moins connu mais c’est celui qui a eu le plus

de réussite. Le 15 juillet 1783 à Lyon, des milliers de badauds sur les bords de Saône assistent à un spectacle qui en étonne plus d’un : un bateau de 46 m de longueur et de 5 m de large, mû par aucune force animale mais par 2 roues à aubes (c'est-à-dire munies de pales) positionnées de chaque côté du navire, remonte la rivière des abords de la cathédrale jusqu’à l’île Barbe ; la force motrice était créée par une machine à vapeur qui transmettait son énergie aux roues par l’intermédiaire d’une crémaillère. Le créateur et le pilote de cet engin original, baptisé Le Pyroscaphe, est le marquis Jouffroy d’Abbans.

Malheureusement on sait peu de choses sur « le moteur », très certainement à piston (modèle Papin et Cugnot) mais mû par de la vapeur d’eau ou par un autre combustible ? Ce qui m’intrigue c’est un texte non signé …la cheminée de la machine vomit de noirs et puissants flocons de fumée…Est-ce une constatation de visu ou de l’examen de l’estampe (voir plus bas) qui,

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Un fardier est une sorte de chariot destiné à transporter des charges très lourdes (canons dans l’armée, par exemple)

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effectivement, montre un nuage sombre s’échappant de la cheminée ? Si le moteur est à vapeur d’eau, comment peut se former un nuage noir ? Ce qui sûr par contre c’est qu’en 1806 le marquis et les frères Niepce30 ont envisagé une coopération pour utiliser le moteur conçu par ces derniers - dénommé le pyréolophore - qui introduisait dans le cylindre muni d’un piston, une matière très combustible comme du soufre végétal (substance d’une plante dénommée lycopode) mais elle n’aboutit pas ; c’est la preuve que les scientifiques envisageaient – dès cette époque - de remplacer la vapeur d’eau par une autre matière… plus explosive pour faire agir le piston !

Toujours est-il que l’exploit de Jouffroy reçoit des louanges officielles de l’Académie31 de Lyon qui reconnaît que Monsieur de Jouffroy remonta sans le concours d’aucune force animale et par l’effet seul de la pompe à feu, pendant un quart d’heure environ, le cours d’eau de la Saône… Ce qui fait, si je considère à 5 km la distance parcourue sur la Saône, entre les quais de la cathédrale et l’île Barbe, une vitesse de 20 km/h ! C’est beaucoup me semble-t-il.

Le marquis, né aux confins de la Champagne et de la Lorraine et qu’on appelait familièrement Jouffroy-la-pompe, peut être considéré comme celui qui a lancé la navigation fluviale à vapeur… même si l’homme et sa « machine » furent vite oubliés !

Les travaux et recherches de ces 3 pionniers ont abouti à des résultats pratiques. Cela montre

bien que le XVIIIe siècle est un siècle de création et de fortes activités scientifiques. Le siècle suivant bénéficiera de cet immense foisonnement d’inventions en les perfectionnant. Ne nous acharnons plus sur le siècle de Louis XV, regardons-le positivement en écartant décadence, corruption et mœurs légères mais sans oublier, toutefois, la misère du petit peuple !

Le bateau de Jouffroy d’Abbans sur la Saône le 15 juillet 1783

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Claude et Nicéphore, ceux-là mêmes qui inventeront la photographie dans les années 1825 31

Depuis 1758 l’Académie de Lyon réunit celle des sciences et belles-lettres à celle des beaux-arts

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LLL’’’ééépppooopppéééeee dddeeesss bbbaaallllllooonnnsss aaavvveeeccc llleeesss eeessstttaaammmpppeeesss ddduuu XXXVVVIIIIIIIIIeee

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