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Colette Bec De l’État social à l’État des droits de l’homme ?

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Colette BecDe l’État social à l’État des droits de l’homme ?

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produire de l’héritage social : il revient à l’Étatd’impulser l’éducation familiale et l’égalité deschances. Le retour qualitatif sur investissementinterroge l’équité et le ciblage : les enfants défavoriséstirent des bénéfices importants. L’auteur tranchesur la priorité : cibler l’approche vers les plusdémunis n’emporte pas le consensus, ne permet nil’inclusion sociale ni de répondre à tous lesbesoins ; l’universalité risque d’oublier les plusdifficiles à mobiliser ; la question est renvoyée auxélus pour initier des actions locales en fonction debesoins repérés.La troisième leçon « vieillissement et équité » revientsur les perspectives à long terme reposant surl’enfance et la jeunesse. En Italie et en Espagne,30 % des familles cohabitent avec leurs parentsâgés, contre 18 % en France. La prise en charge parles familles des soins aux personnes âgées quiconduit à des arrêts de travail est contre-productivepour l’auteur. Le contrat intergénérationnel doit

préserver l’équité dans la trajectoire de vie, entregénérations, répartir également le financementintragénérationnel, et commencer par l’investisse-ment dans l’enfant et l’égalité de ses chances.À l’heure où la politique familiale s’interroge surl’avenir, G. Esping-Andersen apporte des pistespour l’action publique en proposant de redistribuerles rôles entre la famille et l’État. La démonstrations’appuie sur un grand nombre de sources, d’études,de recherches, d’expériences françaises, européenneset américaines. Elle fait écho aux observations desacteurs sociaux, et donne à cet ouvrage une valeurinédite, universelle. La lecture approfondie, courteet dense, aisée, devrait convaincre le lecteur de cestrois leçons.

Christiane CrépinCNAF – Département de l’animation de la recherche

et du réseau des chargés d’études.

Politiques sociales et familiales n° 95 - mars 2009

99 Comptes rendus de lectures

Alors qu’est célébré le soixantième anniversaire dela Déclaration universelle des droits de l’homme,la lecture de cet ouvrage, dans lequel Colette Bectente de rechercher le sens politique des change-ments en cours depuis près de trente ans dans lesÉtats-providences, apporte un point de vue inéditsur ces évolutions en France. De nombreux auteursont écrit sur ce sujet avant C. Bec. L’originalité decette étude est d’aborder la signification des trans-formations du droit social, et plus spécifiquementdu droit du et au travail, à travers le prisme del’histoire des idées politiques. Après d’autres,l’auteure considère le droit du travail comme leterrain privilégié pour observer les changements del’État social ; en effet, il s’est construit sur l’inter-vention juridique de l’État pour établir et garantirl’égalité dans les capacités de négociation desemployeurs et des salariés, fondamentalement iné-gales. Or, depuis une vingtaine d’années, le droitdu travail subit un mouvement qui conduit lespouvoirs publics à se désengager de cette fonctionprotectrice, au bénéfice de politiques favorisantl’emploi : accès au marché du travail, employabi-lité, flexibilité des statuts, « activation des dépensespassives ». Pour C. Bec, le droit du travail est désin-vesti par l’État au profit du droit au travail. Ceci est

d’ailleurs manifeste dans le Code du travail qui,depuis près de vingt ans, a vu considérablementgrossir la partie consacrée au droit de l’emploi. Àpartir de la fin des années 1970, l’augmentationcontinue du chômage, les faibles performanceséconomiques dans les États occidentaux (en termesde produit intérieur brut, d’inflation, de balance ducommerce extérieur) ont eu pour contrecoup unebaisse des ressources publiques, qui a conduit àprivilégier une diminution plus ou moins brutaledu périmètre de l’action publique dans certainspays, et une réorientation vers le soutien aux entre-prises et à l’emploi dans d’autres, notamment enFrance. Le « compromis salarial fordiste » est remisen cause, brutalement et rapidement au Royaume-Uni sous le gouvernement Thatcher, de façon plusconsensuelle et graduelle en France. Estimé autre-fois aliénant ou simple gagne-pain, le travail estdésormais considéré comme un facteur d’identitépersonnelle, une valeur d’autant plus prisée qu’elleest rare. Au niveau de la régulation économique etsociale, l’emploi a remplacé le salaire en tant qu’objetde compromis. Porté par le droit européen et par ledroit international du commerce favorisant la libé-ralisation des marchés (biens et services et travail),ce mouvement a donné à l’État une fonction contra-

Colette Bec

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2007, Presses universitaires de Rennes, 237 pages.

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dictoire : promouvoir le « laisser-faire » tout en enlimitant les retombées sociales. Ce dernier rôle estassigné aux politiques de l’emploi et au droit del’emploi, qui n’agissent cependant qu’à la marge dumouvement de libéralisation et d’internationa-lisation des marchés. Ainsi, l’auteure observe unretour à une représentation naturaliste de l’économie,qui a pour pendant politique une « résignationgestionnaire ». Déconnectées des politiques écono-miques, les politiques de l’emploi sont devenuesdes instruments de traitement social du chômage etde lutte contre l’exclusion, justifiés au nom desdroits de l’homme. Depuis près de trente ans, lasuccession de mesures, plus ou moins « bricolées »par des experts déconnectés des réalités économiqueset sociales, d’incitations ciblées à la création ou àla reprise d’emploi, a créé une multiplicité de statutset de régimes juridiques différents, qui segmententle marché du travail et les catégories de salariés. Cetéparpillement rend difficile le pilotage de la politiquede l’emploi, et constitue un frein à la fluidité dumarché du travail, qui est pourtant l’un des objectifsaffichés. Le « partage du chômage » pousse à lacréation d’emplois « atypiques » subventionnés oufinancés par la collectivité publique. C. Becdéplore la disparition du Commissariat général duPlan en tant qu’instrument de « défatalisation del’avenir », permettant de programmer les politiquespubliques dans une perspective cohérente issued’un diagnostic partagé par les acteurs économi-ques et sociaux. Une partie de l’ouvrage est doncconsacrée à une synthèse critique de la littératuresur la genèse, le fonctionnement et le bilan despolitiques de l’emploi. Or, quelles qu’en soient lessources, ce bilan est accablant et conduit à faireporter la responsabilité de l’absence d’emploi auxseuls salariés, activés, recyclés, voire stigmatisés.Nous serions ainsi passés d’une éthique du travailcomme sentiment d’appartenance collective autravail considéré comme valeur d’identité person-nelle, ne laissant qu’au pire suspicion, au mieuxcompassion, à ceux ne pouvant y avoir accès. Dansce dernier cas, c’est au nom des droits de l’hommequ’est menée la lutte contre le chômage de masse,et rarement au nom d’une solidarité collective dontles fondements se sont dilués dans la division inter-nationale du travail. En raison de cette impuissancedu droit positif, le droit naturel est à nouveau mobi-lisé, par une étrange involution, pour garantir un

socle minimal de droits sociaux. On peut d’ailleursy reconnaître l’effet du droit international ducommerce, comme aux prémisses de la théorisa-tion du droit naturel. On peut y lire le rôle croissantdes juridictions chargées de contraindre les Étatsà respecter des normes proclamées dont ilsn’assurent pas l’application directe. L’État se veutpartenaire voire prestataire, agit en incitant finan-cièrement et moins en gouvernant. Cette évolutionvers un État faible a pour corollaire le renforcementdes pouvoirs des juridictions, chargées d’interpréterun « droit flou » et de régler les conflits croissantsnés d’une multiplication des catégories et statutsjuridiques, qui ont créé autant de droits subjectifsdont les implications sont mal anticipées. Les loisincitatives et expérimentales vident le droit et lapolitique de leur contenu : ces derniers, de plus enplus procéduraux, s’apparentent à un discours surla méthode. La promotion de l’accès aux droitsconstitue l’horizon des politiques sociales, au nomde la dignité de chacun et du refus théorique del’assistance. Or, l’accès aux droits laisse aux indivi-dus la responsabilité de les faire valoir. Outre lesinégalités de capital social dont ils disposent, qui ren-dent aléatoire et inégale l’effectivité des droits, cerecours aux procédures renforce les effets politiqueset juridiques négatifs de l’individualisme en périodede délitement de la cohésion sociale. Un juriste apu reprocher récemment à la Cour européenne desdroits de l’homme d’instrumentaliser la Conventioneuropéenne des droits de l’homme au gré d’unetyrannie capricieuse (1). Les constats de la socio-logue et du juriste se rejoignent ici. Cette inquié-tude face aux faiblesses de la régulation politiquede la crise sociale vécue par les salariés depuistrente ans est d’ailleurs largement partagée par lesspécialistes, qu’ils soient économistes, sociologues,et juristes (2). Ces constats convergents seront-ilsconsidérés avec plus d’attention dans la criseéconomique majeure qui s’annonce ? Cet ouvragelaisse penser qu’un modèle de cohésion socialedoit être reconstruit, mais ses structures, dans lecontexte actuel de la « société de défiance » (3), nesemblent encore ni posées ni même décelables.

Nadia KestemanCNAF - Département de l’animation de la recherche

et du réseau des chargés d’études.

Politiques sociales et familiales n° 95 - mars 2009

100 Comptes rendus de lectures

(1) Edelman B., 2008, La Cour européenne des droits de l’homme, une juridiction tyrannique ?, RReeccuueeiill DDaalllloozz,n° 28:1946-1953.(2) Pour une synthèse, voir le séminaire sur la cohésion sociale du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion socialeen 2007 sur le site http://www.cerc.gouv.fr(3) Algan Y. et Cahuc P., 2007, LLaa ssoocciiééttéé ddee ddééffiiaannccee.. CCoommmmeenntt llee mmooddèèllee ffrraannççaaiiss ss’’aauuttooddééttrruuiitt, Rue D’UlmEd., http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS09.pdf.Le propos des auteurs n’est pas contradictoire avec celui de C. Bec puisqu’ils voient dans l’incapacité à réformer l’État unegrande partie des maux dont souffre le modèle social français, dont la régulation fonctionnerait désormais grâce à desinstruments obsolètes, caractérisés par des mesures à court terme, l’inflation des particularismes et des droits quels qu’ensoient la source.