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Gösta Esping-Andersen, avec Bruno Palier Trois leçons sur l’État-providence

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Gösta Esping-Andersen, avec Bruno PalierTrois leçons sur l’État-providence

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Page 1: Gösta Esping-Andersen, avec Bruno Palier Trois leçons sur l’État-providence

« Investir dans l’enfant », tel est le message adressépar Gösta Esping-Andersen dans Trois leçons surl’État-providence. L’écrit est commenté en préfacepar Bruno Palier, autour d’une analyse rétrospectivede l’État-providence fondé sur l’économie indus-trielle dont l’effet majeur est d’avoir façonné « lessociétés post industrielles vieillissantes » (p. 5).D’où le défi démographique à relever dont se saisitl’auteur. Ce compte rendu s’attache à comprendrela logique de pensée de G. Esping-Andersen qui,pour anticiper les effets démographiques, proposede transformer les dépenses en investissement.Aussi, après une présentation décryptée de saproblématique, le plan respecte la présentation des« trois leçons » : il insiste sur les deux premières – laplace des femmes et l’égalité des chances à l’égarddes enfants –, la troisième leçon revenant en bouclesur le raisonnement de l’investissement initial.L’ouvrage invite à aider les familles à investir dansleurs enfants. Afin d’argumenter sa position,l’auteur suggère trois leçons sur l’État-providenceà partir d’une critique rétrospective de ses évolu-tions :• la première sur les évolutions de la famille marquéespar la « révolution féminine » et les effets historiquesinduits de la politique familiale sur le devenir desenfants ;• la deuxième sur l’égalité des chances à l’égarddes enfants ;• et, enfin, la dernière sur le vieillissement et l’équitéentre générations et au sein d’une même géné-ration.L’investissement dans l’enfant se prolonge tout aulong de sa vie, se transmet comme un « héritagesocial » avec des impacts de génération en généra-tion. L’apprentissage dès la petite enfance nécessiteun soutien fort de la société, peu coûteux. Aussi,G. Esping-Andersen incite à évaluer les politiquesd’investissement dans le capital humain et défendl’idée que les pays développés devraient renforcerleurs dépenses d’apprentissage en faveur du cycleéducatif préscolaire et non l’inverse. Le retour surinvestissement a des effets sociaux positifs : produc-tivité, coût évité de réparations sociales, amélio-ration de la santé. Les priorités que devraient sefixer les politiques sont d’encourager le travail desfemmes, d’offrir l’accès à un accueil de qualitépour les jeunes enfants, de permettre aux pères deconsacrer du temps à la relation éducative et au

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développement de l’enfant. A contrario, les impactsen cascade du non-investissement ont des coûtssociaux élevés : non-qualification des parents, défautéducatif, ruptures de situation s’enchaînent avecdes effets sur la pauvreté. La protection sociale estinterpellée, analysée, comptabilisée, mesurée.L’auteur fonde son analyse sur le constat que leseffets de la redistribution des transferts sociaux nesont pas obligatoirement proportionnels aux amélio-rations attendues. Il démontre les impacts de l’État-providence sur la famille, l’économie, la société, etalerte sur la nécessité d’inverser le mode de penséeet le modèle de protection sociale. Il recommandede « repenser l’État-providence », modèle universel,pour « relever les nouveaux défis » que pose levieillissement de la population.« Les femmes sont en train de changer le monde »sous-titre l’auteur dès la première leçon. La révo-lution « du rôle des femmes » a transformé le par-cours biographique en une génération avec deseffets sur le vieillissement de la société et desévolutions démographiques à long terme : élévationdu niveau d’instruction, accès à une rémunérationet à l’autonomie économique ont conduit lesfemmes à faire l’expérience d’une « masculini-sation » (p. 19) de leur parcours de vie. G. Esping-Andersen souligne que les familles se constituententre partenaires de même situation de travail ou denon-travail, cumulant activité et richesse ou inacti-vité et absence de ressources ; les effets accentuentles écarts de protection sociale entre les groupessociaux et différencient les besoins de services :l’accueil des enfants et les soins aux personnesâgées démultiplient les emplois marchands etd’aide sociale. Les femmes prolongent leurs études,confortent leur avenir professionnel avant d’avoirdes enfants. Les effets se cumulent dans la trajec-toire familiale et façonnent les conditions deretraite : 75 % des femmes d’Europe du Nordtravaillent sans interruption, leur retraite est mieuxassurée qu’en France (où 60 % travaillent sansinterruption) et, qu’au Sud (où seulement unefemme sur deux travaille sans interruption). « Laréforme des retraites commence par les bébés »,conclut l’auteur dans sa troisième leçon. Lesfemmes d’Europe du Nord contribuent davantage àl’économie, leur revenu étant proche de celui duconjoint. D’après G. Esping-Andersen, la contributiondes femmes augmente de 15 % le revenu national

Gösta Esping-Andersen, avec Bruno Palier

TTrrooiiss lleeççoonnss ssuurr ll’’ÉÉttaatt--pprroovviiddeennccee2008, Paris, Seuil, La République des Idées, 135 pages.

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et de 12 % les recettes fiscales lorsque 75 %d’entre elles travaillent avec un revenu correspon-dant à 75 % de celui du conjoint (p. 21). Chutede fécondité, augmentation des femmes sansenfant, obstacles à l’emploi, échecs à la conci-liation, augmentation des contraintes : sontexplorées, dans la trajectoire familiale, de nou-velles inégalités obligeant la société à penserautrement, à investir collectivement, à se projeterdans l’avenir. Penser les problèmes sociaux dansl’histoire de vie, abandonner les politiques répa-ratrices, adopter une stratégie d’investissementsocial, se placer dans une perspective dyna-mique, tout cela pose la question du choix desinvestissements. Les familles de deux enfants sontle modèle européen mais, selon Bruno Palier,l’écart entre souhait et réalité met en évidence ledéficit de politique sociale notamment en Europedu Sud et de l’Est. Les conséquences, dans lesprochaines décennies, se traduiront par un déclindémographique et le vieillissement de la popula-tion, ainsi que par une diminution de la crois-sance économique de 0,7 point par an du produitintérieur brut (PIB) en Europe. L’évolution de laplace des femmes a des effets en chaîne : reportde la première naissance, écart du nombred’enfants souhaité, instabilité des unions, struc-tures familiales inédites. Pour relever le défidémographique, le message est donc qu’il fautporter l’effort sur les conditions d’accès et demaintien des femmes sur le marché du travail,aider à la conciliation avec la vie familiale par ledéveloppement de l’accueil collectif des enfants,et favoriser l’égalité des sexes. Le défi démo-graphique s’entend par le fait que les rentréesfiscales sont plus importantes si les femmes sontdavantage présentes sur le marché du travail,ainsi que par la réalisation du projet familiald’enfant.La deuxième leçon « Enfants et égalité des chances »s’intéresse à l’enfant et à son avenir. L’égalité deschances contribue à l’efficacité sur le long terme :investir dans le capital humain dès l’âge préscolaire,période majeure d’apprentissage selon la psycho-logie expérimentale. Ce qui confirme le rôle déter-minant du milieu familial et d’accueil de l’enfant.Donner aux enfants les meilleurs cadres d’éveil etde socialisation dans les crèches réduit les risquesde difficultés scolaires et de pauvreté. Développerles structures d’accueil collectif prépare l’avenir.Sur le long terme, les mères qui travaillent restituentla subvention du mode d’accueil « grâce à l’aug-mentation de leurs gains à l’échelle d’une vie etaux impôts qu’elles acquittent » (p. 38). Cet apport

rembourse l’aide publique initiale et a des effetsqualitatifs pour l’enfant, accueilli en crèche. Parexemple, une mère s’arrêtant de travailler pendantcinq ans pour s’occuper de son enfant « gagneraau cours de sa vie 40 % de moins que si elle nes’était pas arrêtée. Si la dépense publique initiales’élève à 72 850 euros, l’impôt sur le revenu supplé-mentaire perçu par les pouvoirs publics représente110 000 euros, et le retour sur investissement pourl’État sera de 43 % » (p. 38). G. Esping-Andersenpropose une analyse originale du coût de l’enfant :l’investissement dynamise l’économie, décuplel’apprentissage, améliore les conditions de vie, setransmet aux générations futures, et est remboursé (*).Il appelle à initier « un modèle capable d’assurerune garde d’enfant universelle et de grande qua-lité ». Le coût pour les enfants âgés de 0 à 6 ansreprésente moins de 2 % du PIB, investissementégal à celui du développement. Aux États-Unis,une année d’incarcération coûte le même prixqu’une année d’études à Harvard ; au Danemark,81 % des mères isolées travaillent : peu d’enfantssont pauvres. Les enfants de mères seules quitravaillent réussissent mieux que si leur mère netravaillait pas. L’égalité de revenu facilite la négo-ciation dans le couple, diminue les risques deséparation et de divorce, permet d’accéder auxstructures d’accueil des enfants. Les pères consacrentdu temps à leurs enfants lorsqu’ils sont pris encharge dans la journée. Les défis sont l’égalité decompétences et de capital humain. Les besoins dequalification et la diminution de cinquante millionsd’actifs en Europe président pour investir dans lepotentiel de la jeunesse : l’apprentissage pendantl’enfance se prolonge sur la capacité à diriger,prendre des initiatives, se projeter. L’auteur insistesur l’importance du temps que les parents consacrentaux enfants et sur la qualité du contexte familial,plus décisif que le revenu. Une carence éducativepeut annuler l’atout de conditions familiales écono-miques favorables. Les niveaux d’éducation desparents infléchissent la qualité éducative trans-mise ; les parents qualifiés consacrent 20 % detemps de plus à leurs enfants aux activités d’éveil,accentuant l’effet d’écart social. Le capital cultureldes parents infléchit également la réussite scolairedes enfants, les choix d’orientation, la capacité àles soutenir. Les enfants de milieu défavorisé ayantfréquenté une crèche accèdent plus facilement aulycée et améliorent leurs notes de 10 %. Le travailde la mère après la naissance a des effets positifssur l’enfant, à condition que l’accueil soit de qualitéet le travail non stressant et stable. Repenser l’État–providence renvoie aux familles la responsabilité de

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(*) Le coût pour les pouvoirs publics représente : pour deux ans de crèche, 24 000 euros et, pour trois ans d’école maternelle,48 850 euros, soit un total de 72 850 euros. Les gains pour la mère sont (a) cinq ans de salaires, 114 300 euros, et (b) le gaindû à l’absence d’interruption de travail, 200 100 euros, soit un total de 314 400 euros. Le gain pour les finances publiques estde 40 000 euros en raison de recettes supplémentaires (a) de 70 000 euros et (b) de 110 000 euros. Le retour net surinvestissement initial pour les finances publiques est de 37 150 euros. (p. 39).

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produire de l’héritage social : il revient à l’Étatd’impulser l’éducation familiale et l’égalité deschances. Le retour qualitatif sur investissementinterroge l’équité et le ciblage : les enfants défavoriséstirent des bénéfices importants. L’auteur tranchesur la priorité : cibler l’approche vers les plusdémunis n’emporte pas le consensus, ne permet nil’inclusion sociale ni de répondre à tous lesbesoins ; l’universalité risque d’oublier les plusdifficiles à mobiliser ; la question est renvoyée auxélus pour initier des actions locales en fonction debesoins repérés.La troisième leçon « vieillissement et équité » revientsur les perspectives à long terme reposant surl’enfance et la jeunesse. En Italie et en Espagne,30 % des familles cohabitent avec leurs parentsâgés, contre 18 % en France. La prise en charge parles familles des soins aux personnes âgées quiconduit à des arrêts de travail est contre-productivepour l’auteur. Le contrat intergénérationnel doit

préserver l’équité dans la trajectoire de vie, entregénérations, répartir également le financementintragénérationnel, et commencer par l’investisse-ment dans l’enfant et l’égalité de ses chances.À l’heure où la politique familiale s’interroge surl’avenir, G. Esping-Andersen apporte des pistespour l’action publique en proposant de redistribuerles rôles entre la famille et l’État. La démonstrations’appuie sur un grand nombre de sources, d’études,de recherches, d’expériences françaises, européenneset américaines. Elle fait écho aux observations desacteurs sociaux, et donne à cet ouvrage une valeurinédite, universelle. La lecture approfondie, courteet dense, aisée, devrait convaincre le lecteur de cestrois leçons.

Christiane CrépinCNAF – Département de l’animation de la recherche

et du réseau des chargés d’études.

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Alors qu’est célébré le soixantième anniversaire dela Déclaration universelle des droits de l’homme,la lecture de cet ouvrage, dans lequel Colette Bectente de rechercher le sens politique des change-ments en cours depuis près de trente ans dans lesÉtats-providences, apporte un point de vue inéditsur ces évolutions en France. De nombreux auteursont écrit sur ce sujet avant C. Bec. L’originalité decette étude est d’aborder la signification des trans-formations du droit social, et plus spécifiquementdu droit du et au travail, à travers le prisme del’histoire des idées politiques. Après d’autres,l’auteure considère le droit du travail comme leterrain privilégié pour observer les changements del’État social ; en effet, il s’est construit sur l’inter-vention juridique de l’État pour établir et garantirl’égalité dans les capacités de négociation desemployeurs et des salariés, fondamentalement iné-gales. Or, depuis une vingtaine d’années, le droitdu travail subit un mouvement qui conduit lespouvoirs publics à se désengager de cette fonctionprotectrice, au bénéfice de politiques favorisantl’emploi : accès au marché du travail, employabi-lité, flexibilité des statuts, « activation des dépensespassives ». Pour C. Bec, le droit du travail est désin-vesti par l’État au profit du droit au travail. Ceci est

d’ailleurs manifeste dans le Code du travail qui,depuis près de vingt ans, a vu considérablementgrossir la partie consacrée au droit de l’emploi. Àpartir de la fin des années 1970, l’augmentationcontinue du chômage, les faibles performanceséconomiques dans les États occidentaux (en termesde produit intérieur brut, d’inflation, de balance ducommerce extérieur) ont eu pour contrecoup unebaisse des ressources publiques, qui a conduit àprivilégier une diminution plus ou moins brutaledu périmètre de l’action publique dans certainspays, et une réorientation vers le soutien aux entre-prises et à l’emploi dans d’autres, notamment enFrance. Le « compromis salarial fordiste » est remisen cause, brutalement et rapidement au Royaume-Uni sous le gouvernement Thatcher, de façon plusconsensuelle et graduelle en France. Estimé autre-fois aliénant ou simple gagne-pain, le travail estdésormais considéré comme un facteur d’identitépersonnelle, une valeur d’autant plus prisée qu’elleest rare. Au niveau de la régulation économique etsociale, l’emploi a remplacé le salaire en tant qu’objetde compromis. Porté par le droit européen et par ledroit international du commerce favorisant la libé-ralisation des marchés (biens et services et travail),ce mouvement a donné à l’État une fonction contra-

Colette Bec

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2007, Presses universitaires de Rennes, 237 pages.