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Newton PHAM DANG 60 jours au JT dont 30 sur le banc de touche « Ce petit-là, il a du talent. » François de Brigode

Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

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Passées les formalités du contrat de stage, me voici soudainement parachuté dans la vie professionnelle, au QG d’une rédac. La manœuvre n’a rien d’un entraînement. Ici, ça tire à balles réelles. Autour de moi, des hommes se battent sur le front. Leur chef d’Etat-major, c’est l’actu. Pour elle, ils sont prêts à ramper dans la boue, à traverser des champs minés. Moi, je tremble à l’idée de souiller mes chaussures cirées. J’aimerais me battre à leurs côtés mais il y a un hic. Mon fusil, j’ai appris à m’en servir en lisant des bouquins.

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Newton

PHAM DANG

60 jours au JT

dont 30 sur le banc de touche

« Ce petit-là, il a du talent. » – François de Brigode

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JE SUIS DEVENU JOURNALISTE

EN UNE NUIT BLANCHE

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Newton Pham Dang

JE SUIS DEVENU JOURNALISTE

EN UNE NUIT BLANCHE

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© 2012, Warehouse Editions

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A mes professeurs de l’UCL,

l’équipe du JT, et mes parents.

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Billet d’humeur : « mon métier contre un oreiller »

Le voilà ce valeureux journaliste qui franchit les portes de la

rédaction. Certes, il a un peu de retard sur ses collègues mais qui

lui reprochera. Il en est à son septième jour de travail, le septième

consécutif avant des congés sacrément mérités. Il n’a encore que

vingt-six ans, alors il lui faut accepter des horaires plus lourds que

ceux de ses aînés. « Mon métier contre un oreiller » lâche-t-il en

s’affalant sur son siège. En réalité, Benjamin Adnet n’échangerait

sa profession contre rien au monde. Bien qu’aujourd’hui, il ne

cache pas son épuisement. « Sept jours d’affilée, c’est mortel, soupire-

t-il. Et comme ils ne peuvent plus demander à un journaliste de travailler une

semaine complète du lundi au dimanche, ils nous demandent de bosser du

mercredi au mardi. Ainsi, ils étalent notre horaire sur deux semaines. Et ça,

c’est permis ».

Accoudé à son bureau, Benjamin passe rapidement en revue

quelques dépêches d’agence, tandis que ses collègues se regroupent

dans la pièce voisine pour la réunion matinale. Lorsqu’il les rejoint,

ceux-ci sourient au vu de sa mine déconfite. « La forme,

Benja ?, ironise l’un d’eux, tu es de garde la nuit ? » Les plaisanteries

s’estompent à peine le chef de rédaction a-t-il pris la parole. Il est

dix heures ; la réunion de rédaction vient de commencer. Une

vingtaine de journalistes sont à l’écoute. C’est maintenant qu’on va

décider des tâches de chacun. Durant près d’une demi-heure les

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propositions de sujets fusent. Toutes sont soumises à

l’appréciation de l’éditeur du journal. Benjamin ne sera pas

épargné. Pour son dernier jour, on vient de lui attribuer un sujet

d’une rare morbidité : une fillette de treize ans s’est enfermée dans

sa chambre pour accoucher en cachette de ses parents avant de

jeter son bébé par la fenêtre du dixième étage. Plusieurs

journalistes font une moue d’aversion en entendant ce fait

tragique. Benjamin, lui, ne réagit pas. Il se contentera de couvrir le

sujet comme on lui a demandé.

La réunion terminée, les téléphones portables reprennent vie.

Benjamin se trouve déjà en contact avec le frère aîné de la fillette,

lequel accepte de recevoir l’équipe de télévision à leur domicile. La

coordinatrice des équipes attribue alors un caméraman à Benjamin,

et les voilà tous deux qui quittent la rédaction sur des chapeaux de

roues. Sans perdre de temps, les autres journalistes lui emboîtent le

pas : tous savent qu’à midi quarante-cinq précises, Anne Delvaux

entamera la présentation du journal.

Commencent alors deux heures de grand calme dans les

bureaux de la cellule « société ». Un calme à peine troublé par

quelques sonneries de téléphone et celle, plus insistante, d’un

portable oublié dans un sac. Les journalistes partis, on entend

ronronner les ordinateurs. Les écrans passés en mode veille sous

Windows se sont mis d’accord pour un voyage dans les étoiles.

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Seule l’horloge qui surplombe la pièce est là pour rappeler que le

temps ne s’est pas arrêté.

Les aiguilles n’indiquent pas encore midi qu’une première

journaliste revient de tournage. L’esprit tranquille, la jeune femme

sait qu’elle a de l’avance. Elle se permet alors de discuter avec la

scripte sans trop prêter attention aux minutes qui passent ni aux

journalistes qui reviennent un à un. Parmi eux, Benjamin dont les

cernes sont plus visibles à présent que la lumière du soleil a envahi

les bureaux. Il ne s’est pas encore remis du sujet lugubre qu’il vient

de traiter et, cherchant peut-être à se décharger de ses émotions, il

en parle à l’une de ses collègues : « sur le lit de la fillette, il y avait une

marre de sang au milieu des poupées. Vraiment, c’était horrible ».

Mais le temps n’en est plus à la discussion : dans moins de

quarante minutes, le journal commence. La plupart des salles de

montage sont déjà occupées. Benjamin presse le pas. Il a de la

chance : il reste une cellule inoccupée et un monteur disponible.

« Faut qu’on se grouille, on est à la bourre » lance-t-il expressément au

monteur en lui remettant la cassette du tournage. Néanmoins,

Christian, jeune monteur débutant, paraît garder son sang froid.

Lui, comme la plupart de ses collègues, semble immunisé contre le

stress que lui ramènent quotidiennement les journalistes. Sans

doute ce calme apparent est-il une condition nécessaire pour

rendre possible ce travail en équipe. En tout cas, la collaboration

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est payante : après une demi-heure de travail acharné, Benjamin

tient son reportage entre les mains. Reste à le sonoriser. Le temps

presse : dans moins de quinze minutes, le sujet est sur antenne.

Mais pas question de se rendre à la sono en courant. Combien de

journalistes ne se sont pas fait piéger en se retrouvant à bout de

souffle devant le micro et ainsi contraints de céder leur place en

attendant de récupérer. Benjamin s’en va sonoriser son sujet d’un

pas modéré. Quiconque le verrait marcher à cette allure jurerait

qu’il se rend à la cafétéria. Mais gare à celui qui tenterait

d’interrompre sa lente marche forcée. Il se verrait aussitôt

répliquer un « désolé, pas le temps » décontenançant.

Arrivé en sono, nouveau coup de chance : Benjamin est le

premier de la file. En réalité, tous les journalistes ont déjà

enregistré leur voix. Benjamin pénètre dans le sas antibruit et enfile

son casque sans perdre de vue son texte qu’il relit en diagonale. Un

bref essai pour régler le volume de la voix et c’est parti : Benjamin

sonorise son sujet d’une seule traite sans la moindre hésitation. Un

« sans faute » aussitôt congratulé par le sonorisateur qui est surtout

content de pouvoir partir manger. Soulagé, Benjamin sort du sas

en effectuant quelques pas de danse. Reste juste à déposer le

reportage au centre de diffusion. Après quoi, il lui restera quelques

heures à prester avant de mériter pleinement le repos du guerrier.

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60 jours au JT, dont 30 sur le banc de touche

Lundi 05 septembre

Mes premiers émois dans le monde du journalisme sont

administratifs. « Remplissez ici, signez là ». « Complétez ceci, mais pas ça.

Cet exemplaire est pour vous ». « A présent, levez la main droite et dites ‘je le

jure’ ». Il suffirait de peu pour se croire au tribunal.

Passées les formalités du contrat de stage, me voici

soudainement parachuté dans la vie professionnelle, au QG d’une

rédac. La manœuvre n’a rien d’un entraînement. Ici, ça tire à balles

réelles. Autour de moi, des hommes se battent sur le front. Leur

chef d’Etat-major, c’est l’actu. Pour elle, ils sont prêts à ramper

dans la boue, à traverser des champs minés. Moi, je tremble à l’idée

de souiller mes chaussures cirées. J’aimerais me battre à leurs côtés

mais il y a un hic. Mon fusil, j’ai appris à m’en servir en lisant des

bouquins.

Lorsque je me présente comme le nouveau stagiaire auprès

d’Hervé de Ghellinck, responsable de la rédaction politique, sa

réaction immédiate est « quoi, encore un ? ». L’ambiance est trop

tendue pour que quelqu’un songe à me faire visiter les lieux, c’est

une stagiaire de l’ULB qui s’en charge. En quelques minutes, me

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voilà familiarisé avec les locaux. La tâche s’annonce plus ardue

avec ses occupants.

Les heures s’écoulent et le stress ne diminue pas. J’apprends

qu’un jeune journaliste, un certain Bruno Clément, s’en va réaliser

un reportage sur la sortie du dernier album des Rolling Stones. Il

ne voit aucun inconvénient à ce que je l’accompagne et, en deux

temps trois mouvements, nous voici à la Fnac en train

d’interviewer un vendeur spécialisé en musique rock. L’album est

là depuis quelques heures pourtant, côté clientèle, l’engouement

n’est pas bien grand. Le manque de clients intéressés par l’album

nous limite fortement dans les plans de coupes. La solution est

toute trouvée : en l’espace d’un instant, me voilà métamorphosé en

un fan des Stones examinant attentivement l’album tout juste

sortis dans les bacs. On enchaîne avec l’interview d’un responsable

rayon, d’un badaud qui a le nez dans des albums rock. On n’aura

rien de plus.

De retour à la rédaction, j’assiste Bruno tandis qu’il repère les

séquences qui l’intéressent en retranscrivant soigneusement leur

time codes. Il traduit également une interview en anglais récupérée

d’images envoyées par la maison de production des Stones. En

tant que spécialiste de musique rock, il ne lui faut que peu de

temps pour rédiger son commentaire. Vient ensuite le moment du

montage où Michaël Gilain alterne habilement les images filmées à

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la Fnac avec celles en provenance de la maison de production des

Stones, un travail réalisé de concert avec le journaliste. Dernière

étape : l’enregistrement du commentaire. Bruno Clément fait appel

à Pascal Bustamante pour un doublage de voix. De mon côté,

j’effectue des recherches sur le net afin de trouver des

renseignements complémentaires sur les Stones ainsi qu’une chute

au reportage. La diffusion se déroule sans problème lors du JT de

13h. Le journaliste m’explique qu’il ne s’agit que d’une version

brouillon qu’il visera à améliorer pour le JT du soir.

L’après-midi ne constitue qu’une simple répétition du matin,

l’intensité en moins. Le monteur agence les images autrement de

sorte à ce qu’elles s’accordent mieux avec le propos du journaliste.

Cette fois, il prend le temps de créer des sous-titres aux paroles de

la chanson « Sweet Neo Con » (littéralement « mon cher néo-

conservateur »). Le journaliste, quant à lui, se permet de traiter le

sujet avec plus de profondeur, ajoutant notamment au reportage

une dimension politique lorsqu’il évoque la polémique entraînée

par une chanson ‘anti-bush’. En studio, je réalise mon premier

doublage sur une phrase de Mick Jagger, une prestation aussitôt

gratifiée par Frédéric Gersdorff qui réalise un doublage lui aussi.

Le reportage est diffusé au JT de 19h30. Je quitte la rédaction avec

la sensation d’une journée bien remplie.

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Mardi 06 septembre

Les tensions semblent s’être un peu relâchées par rapport à la

veille. Une journaliste prend le temps de m’indiquer le

cheminement à suivre pour réaliser mes premiers essais voix. Pour

m’exercer, je choisis un reportage d’Isabelle Huysen – j’apprécie

tout particulièrement sa voix – dont le sujet traite d’un accident

d’avion à Sumatra diffusé dans le JT du soir de la veille. A peine

ai-je terminé d’enregistrer mon commentaire qu’on fait appel à

mes services pour un nouveau doublage de voix sur un reportage

de Pascale Bourgaux, envoyée spéciale en Egypte.

Durant le dîner, Benjamin Adnet, jeune journaliste de vingt-six

ans, m’apprend qu’il s’en va réaliser un reportage sur un nouveau

système de détection de fraude dans les mémoires

universitaires. Quelques instants plus tard, on se retrouve en

présence de François Heinderickx, président de la licence en

information et communication à l’ULB. Sous l’œil de la caméra, ce

dernier réalise une brève démonstration des compétences du

programme que l’université vient juste d’acquérir.

Malheureusement, nous ne parvenons pas à entrer en contact avec

un responsable de l’établissement qui ne rentre de vacances que le

lendemain. Benjamin me propose alors de commencer le montage

sur base de notre unique interview et des images prétextes dont on

dispose (ordinateurs alignés, doigt cliquant sur le bouton de la

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souris, etc.). On reviendra sur place le lendemain pour achever le

tournage. Ainsi, nous consacrons la majeure partie de l’après-midi

à avancer comme on le peut dans le montage du reportage qui, de

toute façon, ne pourra pas être achevé avant demain.

Arrivés à un stade de stagnation, on décide d’en rester là pour

aujourd’hui. Je profite du temps qu’il me reste pour enregistrer ma

voix sur un reportage concernant un accident de téléphérique

survenu en Autriche, sujet diffusé dans le JT du soir de l’avant-

veille. Mais ce projet est aussitôt délaissé en raison d’un mal de

gorge survenu brutalement. Malgré tout, je parviens à réaliser un

doublage dans un reportage sur le cyclone Katrina (il faut dire que

le commentaire me convient assez bien puisqu’il s’agit d’un

américain déshydraté réclamant d’urgence de l’eau potable). En

sortant des bureaux, j’ai la sensation que ma relation avec les

journalistes est en bonne voie.

Mercredi 07 septembre

Dès mon arrivée, Sabine Breulet, sous-chef de rédaction, me

donne des explications sur le déroulement de mon stage en

m’expliquant les étapes à franchir : « première étape, les tests voix.

Ensuite, on voit ». Je la laisse m’expliquer la disposition des locaux

bien que je la connaisse déjà. Elle me parle alors des studios du

sous-sol, partie qui m’est tout à fait inconnue, et dans lesquels sont

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réalisées de nombreuses émissions. Voilà justement que Chantal

Lemaire, journaliste culturelle, se rend au studio 2 pour réaliser un

reportage sur le troisième lancement de Cap 48, une opération

caritative venant en aide aux handicapés. Je lui propose mon aide

et me voilà confiée la mission de réaliser une copie du clip musical

de Cap 48, sans quoi l’émission ne peut pas commencer. Après

cela, je la rejoins et rencontre pour la première fois des célébrités

nationales telles que Barbara Louys ou Jacques Mercier. Le

montage s’effectue sans difficulté avec Virginie, jeune monteuse

professionnelle. Le reportage est sur antenne au JT de 13h.

Etrange sensation que de revivre une après-midi semblable au

jour d’avant. En remettant les pieds à l’ULB, Benjamin Adnet et

moi croisons les mêmes personnes que celles rencontrées la veille.

Dans un long couloir du bâtiment de communication, des élèves

se préparent pour la défense orale de leur mémoire. Certains

voient d’un mauvais œil la présence de la télévision laquelle est

ressentie comme une pression supplémentaire. Plusieurs élèves

refusent toute interview. Une étudiante accepte toutefois la venue

de l’équipe journalistique lors de sa défense. En compensation, elle

réussira son année haut la main. Reste l’interview qui avait été

impossible la veille, celle du vice-recteur de l’ULB. Lorsque cela est

fait, on regagne les studios de montage et, reprenant notre ébauche

de reportage, on y intègre les nouveaux plans. Notre sujet ne sera

pourtant pas diffusé au JT du soir, la conduite du journal étant déjà

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suffisamment chargée. Le reportage passe donc « aux marbres », ce

qui signifie qu’il est mis en stock pour une durée indéterminée. Il

sera diffusé le lendemain.

Jeudi 08 septembre

Vraisemblablement la journée la plus pénible depuis mon

arrivée. Alors que je me suis longuement exercé à la lecture d’un

commentaire sur un reportage de Pascale Bollekens concernant

l’évacuation de squatters à Paris, je me rends à la sono pour

l’enregistrer. La porte est fermée. Errant dans les couloirs, j’ai la

chance de croiser le chemin de Kamel, un journaliste travaillant à

la RTBF de Namur. Il me prodigue quelques conseils et, grâce à

lui, j’ai l’occasion de réaliser deux doublages, plus longs

qu’habituellement, dans un reportage sur le cyclone Katrina.

L’après-midi, j’ai droit à la première critique de mon test voix

concernant l’évacuation des squatteurs à Paris. Sabine Breulet ne

m’épargne pas. Elle me recommande d’éviter les « r » trop

accentués, défaut typiquement liégeois, selon elle. Assez déçu de

moi, je décide de me rattraper en réalisant mon propre sujet moi-

même. Je me rends au centre EVN, le centre d’images

internationales, et me procure les rushes d’un sujet plus léger :

le record du plus long moment d’immersion, un exploit réalisé

par un couple italien resté dix jours sous l’eau. Mais certaines

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circonstances m’empêchent de me concentrer pleinement sur mon

sujet : la stagiaire de l’ULB qui travaille à mes côtés est en

dépression depuis le début de son stage. Et la voilà qui éclate en

sanglots au beau milieu de la rédaction. Les journalistes comptent

sur moi pour la réconforter. Au même moment, une dépêche

tombe : un accident de bus scolaire vient de se produire sur le ring

de Bruxelles et l’on hésite à envoyer une équipe sur place.

« Laissons cela à RTL » lance un journaliste. Par la suite, on apprend

que la fille de la princesse Astrid se trouvait à l’intérieur du bus.

On vient de manquer un scoop. L’éditeur s’en mord les doigts.

L’ambiance de la rédaction est plombée. Pour la première fois, je

décide de quitter plus tôt.

Vendredi 09 septembre

Trois jours après m’être exercé sur un reportage d’Isabelle

Huysen, la voilà qui fait appel à mes services. Elle me demande

textuellement si j’aurais « le cran d’insulter le vice-président des

Etats-Unis pour le JT ». Arrivé en sono, je comprends qu’il s’agit

de doubler la voix d’un citoyen américain révolté contre le

gouvernement qui s’écrie : « allez vous faire foutre Monsieur Cheney ! »

(ce fut ma première insulte télévisée). Après cela, je me consacre

pleinement à la rédaction de mon commentaire sur le

sujet concernant le record d’immersion. Le montage s’effectue en

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concertation avec Louisa, jeune monteuse, qui réalise un reportage

attrayant malgré le peu d’images dont on dispose.

Profitant qu’il n’y a personne à la sono, je m’en vais alors

enregistrer mon commentaire. Grande surprise : en sortant du sas

d’enregistrement, je me retrouve nez à nez avec une foule de vingt

personnes venue visiter les locaux de la RTBF. Toutes sont

persuadées que je suis journaliste de profession. Je leur laisse croire

que mon reportage sera diffusé au JT du soir.

La réalité est pourtant toute autre. Confrontant mon reportage

au jugement de Sabine Breulet, sous-chef de rédaction, celle-ci me

laisse entendre qu’il y a encore pas mal de choses à rectifier. Non

seulement mes « r » sont toujours trop marqués, mais il me faut en

plus veiller aux « o » terminant des mots tels que « micro » ou

« écolo » et qui doivent se prononcer « au ». A côté de cela, elle me

recommande d’éviter de trop hacher les mots, de veiller à la

synchronisation entre le commentaire et les images, de prendre le

temps de raconter l’histoire afin que le téléspectateur puisse

assimiler l’information. Enfin, elle me rappelle la nécessité de

laisser trois secondes de silence à la fin de mes reportages pour

éviter une césure brutale lors du retour à la présentation de la

speakerine. Je suis à la limite du découragement.

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Lundi 12 septembre

En me levant ce matin-là, je refuse l’idée d’aller travailler avec

les pieds de plomb. Pas question de me laisser abattre après une

semaine de stage. Au contraire, me dis-je, il faut impérativement

saisir cette opportunité qui m’est offerte de travailler aux côtés de

professionnels.

Arrivé aux portes de la rédaction, j’ai le pressentiment que cette

journée me sera favorable. Vers 10h30, la responsable aux EVN

m’apprend qu’elle vient de recevoir des images sur l’inauguration

du parc Disneyland à Hong Kong. « Voilà bien un sujet qui m’est

taillé sur mesure », me dis-je. Je m’empare aussitôt de la cassette des

rushes et m’en vais la visionner. Immédiatement, le sujet m’inspire

et le commentaire coule sur papier presque naturellement. Le

montage et l’enregistrement de la voix terminés, je décide

d’exposer le sujet à Jean-Paul, l’éditeur du jour.

Tandis qu’il visionne mon reportage en présence de plusieurs

journalistes, François de Brigode, le présentateur du JT, traverse la

pièce et lance la réflexion : « bonne voix ». A la fin du sujet, Jean-

Paul reste silencieux. Il hésite à intégrer mon reportage dans la

conduite. « Le problème est que cela s’apparente plus à une publicité pour

Disneyland qu’à un véritable reportage » regrette-t-il. Je ne peux réfuter

son argument : toutes les images qui composent le reportage

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montrent des danses, des tirs de feux d’artifices et autres activités

festives du genre. De plus, le reportage ne contient pas vraiment

d’interview. « Et puis, je suis sûr que ta voix peut encore gagner en naturel »

ajoute-t-il. Nous en resterons là pour la journée. En sortant des

bureaux, l’esprit songeur, je me dis : « mince ... à deux doigts ».

Mardi 13 septembre

La sensation de repartir à zéro est assez amère. Alors que la

veille je me sentais atteindre un but, voilà qu’aujourd’hui tout est à

refaire. Jamais je n’avais réalisé combien le travail du journaliste

était éphémère. Il me fallait vivre cette dure expérience pour en

prendre pleinement conscience.

Paradoxalement, travailler pour une chaîne requiert de bonnes

aptitudes en zapping : chaque jour, on change de thème, sans

remords ni regrets. Hier, je me trouvais à Hong Kong pour

célébrer l’inauguration d’un parc Disneyland ; aujourd’hui, me

voilà en plein centre de Los Angeles témoin d’une panne

d’électricité géante. Tel sera le sujet qui donnera sens à ma journée.

Après avoir traduit les interviews et rédigé mon commentaire,

je me retrouve en salle avec une monteuse qui me raconte qu’elle

travaille ici deux fois par an. « Les rencontres aussi sont éphémères » me

fais-je la réflexion. Le reportage achevé, reste à m’armer de

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courage avant de soumettre mon travail à l’avis du sous-chef de

rédaction. Pourtant, contrairement à toute attente, la critique

s’avère relativement positive. Sabine me conseille même de

présenter mon sujet à Thierry De Bock, le responsable de la

rédaction « société ». Le 13 septembre serait-il le numéro gagnant ?

La brève discussion que je tiens avec Thierry me fait comprendre

qu’il me faudra encore patienter. Trop occupé par l’actualité

débordante, il me suggère de lui soumettre mon reportage demain

dans la matinée. Durant tout l’après-midi, je vis dans l’attente,

l’appréhension mais aussi l’enthousiasme du lendemain.

Mercredi 14 septembre

Rien n’est jamais prévisible dans le métier de journaliste. Alors

que j’imaginais ma matinée centrée autour de mon reportage de la

veille, voilà qu’une journaliste, Pascale Bollekens, requiert mon

aide pour un sujet médical sur des anticoagulants. Aussitôt, je

prends contact avec Jacques Glineur, président de l’association

Girtac pour les malades atteints de diabète ainsi qu’un pédiatre et

un cardiologue de la clinique Saint Luc à Bruxelles, et leur fixe

rendez-vous dans l’après-midi du lendemain.

A peine ai-je raccroché le téléphone qu’un autre journaliste,

Gérald Vandenberg, fait appel à moi pour faire de la figuration

dans un reportage sur la publicité dans les jeux vidéo. « Tout ce que

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tu as à faire, c’est de jouer à la Playstation » se plaît-il à dire. En deux

temps, trois mouvements, me voilà passé du métier de journaliste à

celui d’entraîneur de l’équipe de foot du Brésil. Mon équipe s’étant

faite huée par le stade dès les premières minutes de jeu, je me retire

bien vite de l’univers sportif pour me plonger dans le monde

politique : on vient de me demander de doubler Kofi Annan dans

un reportage sur l’ouverture de la soixantième session de

l’assemblée générale de l’ONU.

Avec tout cela, je n’ai pas eu l’occasion de présenter mon

reportage à Thierry De Bock. « Pas de problème, m’assure-t-il, on verra

ça demain ». Demain. Il sera trop tard demain. La durée de vie d’un

reportage atteint rarement trois jours. J’accuse le coup : une fois de

plus, mon reportage ne sera pas diffusé. Encore un effort vain qui

s’ajoute à une liste noire décidément trop longue à mon goût.

Je voudrais que ma journée s’arrête ici. Mais il reste encore

quatre heures avant le JT du soir. Deux possibilités s’offrent alors

à moi : le renoncement ou l’acharnement. Après une courte

méditation, j’opte pour la seconde ; je ne veux surtout pas

décevoir. A partir de ce moment, je décide de travailler mon

reportage jusqu’à la moelle. Il doit posséder tous les atouts

nécessaires pour exceller : accroche audacieuse, profondeur

thématique, chute subtile ; je le veux irréprochable. Au bout d’une

heure, je m’en vais sonoriser mon sujet, hanté par un souci de

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perfection. En lisant mon commentaire au micro, je ne peux

m’empêcher d’articuler chaque mot en lui donnant l’intonation qui

me paraît la plus appropriée. Mes propos ne sont plus que le

résultat d’une réflexion intellectuelle. En sortant du sas

d’enregistrement, je conserve un étrange sentiment d’insatisfaction.

Jeudi 15 septembre

Il fallait s’y attendre. En réfléchissant chaque son, chaque

syllabe, mon commentaire a tout perdu de sa spontanéité. Pour

débuter ma journée, voici donc ce qu’il me faut entendre : ma voix

n’est pas bonne. La critique est difficile à avaler, et pourtant je

donne raison à Thierry De Bock : mon intonation manque

effectivement de naturel. De par ses années d’expérience, il a tout

de suite reconnu dans la façon de poser ma voix les défauts

typiques du novice. « Le seul remède à cela, précise-t-il, c’est le rodage. Il

faut pratiquer et pratiquer encore ». Mais où trouver la motivation

lorsqu’on sait que le reportage sur lequel on travaille jusqu’à

l’acharnement ne sera de toute façon pas diffusé. Si, jusque là, je

voyais se dessiner l’espoir d’une diffusion de mes reportages, j’ai

désormais la sensation de me retrouver dans une impasse

infranchissable. Et je pense que sans ces interviews préalablement

fixées à cet après-midi, je renoncerais à toute nouvelle implication

dans un projet quelconque.

Page 26: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

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Sans encore en mesurer la portée, je viens d’entrer dans une

crise de doute. Aussi, lorsque vient le moment d’interviewer un

pédiatre de l’hôpital Saint Luc, je me surprends à douter de la

pertinence de mes questions. A tel point qu’en l’espace de

quelques secondes, je ne parviens même plus à écouter les

réponses de mon interlocuteur. « Sophie, pourrais-tu prendre la relève

quelques instants ? ». Une chance qu’on nous ait mit à deux sur le

sujet. Mon état ne me permet pas de continuer seul. Sophie, l’autre

stagiaire, se charge de poursuivre l’interview tandis que je m’adosse

à une étagère pharmaceutique, l’esprit confus.

Les heures qui suivent me semblent interminables. A la crainte

de ne pas avoir posé les bonnes questions s’ajoute celle de la durée

des interviews. Aurai-je assez de matière ? N’aurais-je pas dû

relancer mon interlocuteur plus souvent ? Il ne me reste qu’un

intervenant à rencontrer, le président de l’association pour les

diabétiques. Me voilà qui me jette sur lui à corps perdu, le

bombardant de questions à n’en plus finir. Ce n’est qu’après avoir

abordé le sujet sous toutes ses coutures que je me décide

seulement à libérer l’homme encore surpris d’avoir dû subir pareil

interrogatoire. En quittant les locaux de la rédaction, je me

promets de ne plus laisser mes craintes influer sur la qualité des

interviews. Cette résolution m’occupera l’esprit longtemps encore.

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Vendredi 16 septembre

Comme pour ce jour où je ressentais un intérêt pour le thème

de l’inauguration du parc Disney World à Hong Kong, il y a

aujourd’hui un sujet qui m’appelle : une tempête survenue au

Vietnam qui a ravagé plusieurs villages, engloutissant bon nombre

de ses habitants sous la boue. Tentant de faire l’impasse sur ma

sensibilité par rapport au sujet – j’ai de la famille et des amis qui

habitent ce pays – je me lance dans la réalisation du reportage avec

la conviction qu’il s’agit là de mon dernier test voix.

Il y a en effet quelque chose de fondamentalement différent

dans ma façon d’envisager cet ouvrage. Pour la première fois, c’est

pour moi que je réalise ce reportage, non pour le soumettre à une

critique extérieure, instance supérieure. Aussi, au final, plutôt que

de présenter mon reportage à une justice qui, non contente de

condamner mon œuvre, anéantirait par la même occasion mes

espérances, je choisis de garder le sujet pour moi. De tous les

travaux que j’ai réalisés jusqu’alors, celui-ci est le seul que personne

n’ait jamais vu.

Lundi 19 septembre

Après un week-end bien occupé durant lequel j’ai emménagé

dans mon nouvel appartement à Louvain-la-Neuve, me voilà de

Page 28: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

28

retour à la rédaction, l’esprit partiellement libéré des inquiétudes

qui avaient altéré ma fin de semaine. Lors de la réunion de

rédaction du matin, l’éditeur évoque comme principal sujet culturel

la sortie d’un nouvel album « live » du groupe Noir Désir.

Sachant que Bruno Clément est responsable de tout ce qui

relève du registre musical, je lui fais part de mon intention de me

mettre sur le sujet. Mais, chose que je n’aurais pu soupçonner, il se

trouve que Bruno est en froid avec le groupe depuis que ce dernier

a pris la fâcheuse habitude de refuser les interviews, prétextant

qu’on s’intéresse moins au groupe qu’on ne cherche à en extorquer

des informations à propos de l’affaire Trintignant et de

l’incarcération de Bertrand Cantat qui en a résulté. De ce fait,

Bruno est sur le point de demander à l’éditeur d’évincer le sujet de

la conduite. Pourtant de mon côté, je ne cesse de songer à tout le

tapage médiatique qui avait valu au groupe de se retrouver à la Une

de tous les journaux et dans lesquels se posait la sempiternelle

question à savoir si le groupe survivrait en l’absence de son leader.

La sortie d’un nouvel album constitue à mes yeux une réponse

suffisante à dissiper les doutes, d’où ma certitude qu’un tel sujet

mériterait sa place au JT. Et c’est ce dont je traite avec Bruno qui

finit par se convaincre de l’utilité du reportage.

Dès lors, on se partage les tâches : de son côté, il se charge de

récupérer des extraits de la dernière interview que le groupe avait

Page 29: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

29

accepté de donner, et du mien, je m’occupe de récolter un

maximum d’informations sur le sujet en vue des interviews de fans

que je réaliserai demain.

Mardi 20 septembre

En raison de bouchons faramineux au centre-ville, j’arrive

tardivement à la rédaction et prends la réunion de rédaction en

cours. Les journalistes ont déjà terminé de passer en revue

l’actualité nationale et sont en plein traitement de l’internationale.

Pascal Bustamante, journaliste de l’inter, évoque alors un sujet qui

m’interpelle : le projet de la Nasa de remarcher sur la lune en

2018, sujet qui se voit confié à Chantal Lemaire. Néanmoins, après

une discussion que je tiens avec elle, celle-ci accepte de me le

déléguer.

Tandis que je me trouve en pleine rédaction du commentaire,

coup de théâtre : j’apprends que les sujets qui figuraient en tête de

la conduite en ont été évincés. Mon sujet se retrouve donc en Une

du JT. Trop de responsabilité pour un simple stagiaire que de

réaliser l’ouverture du journal. Je trouve plus raisonnable de

déléguer mon travail à quelqu’un de plus expérimenté. Voici donc

le sujet qui passe dans les mains de Chantal Lemaire. Pas le temps

de me lamenter sur ce reportage qui m’a filé entre les doigts, il faut

aller interviewer les fans de Noir Désir.

Page 30: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

30

Sautant mon repas de midi, je me rends illico à la Fnac

accompagné de Michaël Somja, un caméraman. A l’entrée du

disquaire, les deux fans à qui j’ai donné rendez-vous sont déjà là.

Les interviews se déroulent au mieux, et ce malgré le trac

persistant de mes interlocuteurs.

Après quoi, je retrouve Bruno Clément dans les studios de

Pure FM pour une interview de Sylvestre, jeune présentateur radio.

L’on dispose désormais de tous les éléments nécessaires pour

réaliser notre reportage. Mais l’une des grandes lois du journalisme

étant l’imprévisibilité, un événement inattendu s’en vient perturber

le bon déroulement de notre travail : on nous annonce une menace

terroriste sur le quartier européen. Aussi, Bruno se voit

brusquement confiée la mission de se rendre au rond-point

Schuman pour y réaliser un direct. Vu que notre sujet sur Noir

Désir figure au beau milieu de la conduite du journal, il nous faut

l’achever dès à présent, ce que l’on fait dans l’empressement et

presque au détriment de la qualité même du reportage. M’étant

porté volontaire pour venir en aide à Bruno si cela s’avérait

nécessaire, je me retrouve finalement avec lui en face du

Berlaimont. Le direct se déroule sans encombre. On est de retour

aux studios vers vingt-deux heures. Lorsque je quitte les bureaux, il

est passé vingt-deux heures trente. Belle compensation pour

quelqu’un qui, le matin, était arrivé avec quinze minutes de retard.

Page 31: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

31

Mercredi 21 septembre

Dès mon arrivée, je me mets en quête d’un sujet susceptible

d’intéresser l’éditeur. Je me penche alors sur un programme intitulé

« Erasmus Belgica » qui consiste à envoyer des étudiants wallons

en Flandre et vice-versa. Mais à peine suis-je plongé dans mes

recherches que François de Brigode vient me trouver : il me

demande de réaliser un reportage sur l’ouverture imminente d’un

championnat de pétanque, discipline dans laquelle les Belges sont

champions du monde. Je délaisse alors mon premier sujet pour

m’intéresser de plus près à ce célèbre jeu de boules (que je connais

d’ailleurs bien depuis un reportage que j’ai réalisé l’année dernière

dans le cadre des cours). Pourtant, pas moyen d’obtenir quelque

information sur le sujet, le championnat n’ayant pas encore

commencé. C’est alors que je vois surgir Sacha Daout, l’éditeur du

jour, qui se dirige droit sur moi : « Newton, s’exclame-t-il

énergiquement, j’ai un grand service à te demander : Eric Boever est parti

suivre une manifestation au Botanique, mais il a oublié son micro. Peux-tu le

lui amener ? » Pour la seconde fois, je renonce à ma tâche du

moment pour accomplir une nouvelle mission.

Grimpant dans un taxi, je me retrouve en l’espace de quelques

instants en plein centre-ville où se tient une manifestation contre

l’augmentation du coût du pétrole. Une fois aux côtés d’Eric

Boever, je lui apporte mon aide, d’abord en résolvant des

Page 32: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

32

problèmes d’incompatibilité avec le micro, puis en relevant le nom

des personnes qu’il interviewe. Arrivés au 16 rue de la Loi, l’on se

met à attendre le discours officiel des politiques, tout

particulièrement celui de Didier Reynders. Mais ce dernier tarde à

venir.

Alors que les aiguilles de ma montre indiquent midi, je me

tourne vers Eric qui discute tranquillement avec un collège de

travail, assis au bas des marches d’un escalier en marbre. « Eric,

j’espère que tu sais qu’il est midi » lui dis-je pour lui faire comprendre

qu’il vaudrait mieux ne pas prendre racine. « Ce n’est pas possible »

me répond-il, un sourire en coin de lèvres. Puis regardant sa

montre : « Midi, mon Dieu ! Il faut absolument qu’on y aille. » Il me

remet alors le micro. « Tiens. C’est toi qui réaliseras l’interview de

Reynders. Voilà une belle occasion de te mettre en avant. » Mais à cet

instant, les portes du bâtiment s’ouvrent et voilà qu’en sortent les

hommes politiques qui se faisaient tant attendre. Sans perdre une

seconde, Eric se jette alors sur le ministre MR, lui pose deux ou

trois questions, pas plus, avant de donner ordre à toute l’équipe de

courir jusqu’à la voiture. Nous sommes de retour à la RTBF vers

midi vingt.

Sur place, nous sommes confrontés à la pénurie de monteurs,

ce qui retarde encore notre mise à l’ouvrage. Au final, Eric se voit

contraint de lire son commentaire en cabine. De mon côté, je

Page 33: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

33

trouve encore le temps de venir en aide à d’autres journalistes,

notamment en réalisant deux doublages dans un reportage sur le

cyclone Katrina. Après quoi, je croise François de Brigode dans le

couloir, lequel me demande ce qu’il en est du reportage sur la

pétanque. Je lui raconte en quelques mots mon tortueux périple

avec Eric Boever. « Pour toute te dire, ça ne m’étonne même pas »

s’esclaffe-t-il en reprenant sa marche. Le calme revenu, je me

remets scrupuleusement à mes recherches. Lorsque je lève mon

nez des journaux, l’horloge indique presque vingt heures.

Jeudi 22 septembre

Il est de ces journées où l’alignement des astres est tel

qu’aucune de vos initiatives ne pourra être couronnée de succès.

Ce jeudi compte parmi ces jours aussi vite vécus qu’oubliés. Ma

seule occupation consistera à enchaîner les petits boulots pour

subsister. Dans le cadre de l’ouragan Rita qui vient d’atteindre la

force cinq, puissance maximale, je réalise des recherches sur le

fonctionnement des cyclones. Parallèlement, je me penche sur la

situation du Texas qui se prépare au redoutable passage de

l’ouragan. Puis, enchaînant les boulots temporaires, je passe de

l’actualité internationale à l’actualité sportive en me renseignant sur

le tournoi de Tennis de la Coupe Davis. J’ai beau avoir matière à

occupation, je conserve toutefois une certaine frustration à ne pas

réaliser un véritable reportage signé de mon nom. C’est alors que

Page 34: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

34

me vient à l’esprit cette idée lumineuse. Et si je venais plutôt

travailler les week-ends ? Méditer sur la question permet de

maintenir mes neurones en activité.

Vendredi 23 septembre

Ce vendredi est une pâle répétition du jour d’avant, avec en

prime une séquence émotion. Sophie, la stagiaire qui a travaillé à

mes côtés durant tout le mois, prend congé de la rédaction. Entre

deux tâches rébarbatives, j’essaye de passer un peu de temps avec

elle. Mon exploit du jour consistera à jongler habilement entre

Sophie et Rita. En fin de journée, je me consacrerai à la seule Rita

en numérisant un schéma de cyclone dans les studios

Imagique pour un reportage de Pascale Bollekens. Et si, jusque là,

il est courant que je me trouve assigné à la réalisation de petits

travaux du genre, je conserve néanmoins des ambitions véritables,

lesquelles sont prêtes à surgir à la première opportunité.

Samedi 24 septembre

Samedi à la rédac. Quelle n’est pas ma surprise de découvrir les

locaux de la rédaction, d’ordinaires si animés, régnant ce matin

dans le plus grand calme. Il est déjà neuf heures et demie lorsque

les rares journalistes présents se mettent d’accord pour organiser la

réunion de rédaction. Parmi eux, Lucie Dendooven, une

Page 35: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

35

journaliste de la section société, qui vient tout juste de rentrer

d’Afrique. En discutant avec elle, je me rends compte que je

pourrais lui être utile : elle a besoin d’un figurant pour incarner un

malade qui se fait ausculter par son médecin dans le cadre d’un

reportage sur une manifestation des médecins à Bruxelles.

Et me voilà, dans l’heure qui suit, devenu le patient d’un

médecin bruxellois qui tâte mon pouls et relève ma tension. Le

reportage est diffusé au JT de 13h. J’ai même l’honneur de figurer

dans l’image plasma qui illustre le sujet lors de la présentation par

Anne Delvaux. L’après-midi est entièrement consacré à la

manifestation qui se tient le long du Boulevard Lemonnier. C’est

également Lucie qui est chargée de ce reportage puisqu’il s’inscrit

dans la continuité logique de son travail du matin.

Tandis que ma journée touche à sa fin, on me propose

d’accompagner Hugues Dayer à Namur pour le 20ème festival du

film. Le journaliste doit y réaliser une interview de Benoît

Poolevorde qui sera transmise en direct. J’accepte sans hésiter. On

quittera le festival à vingt et une heures passées.

Lundi 26 septembre

Congé qui me permet de décaler mon horaire pour travailler

les week-ends plutôt que les lundis et mardis.

Page 36: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

36

Mercredi 28 septembre

Premier jour de la semaine, compte tenu du nouvel horaire que

je me suis imposé. A mon arrivée, je fais la rencontre d’un

nouveau stagiaire en provenance de l’ULB. Me rappelant mes

débuts quelque peu déstabilisants dans la rédaction, j’entreprends

aussitôt de lui faire visiter les locaux. Je me mets ensuite à plancher

sur le sujet médical qu’il me reste à finaliser.

Après avoir sonorisé le commentaire, je fais appel à Bruno

Clément et à son œil critique. « Du très bon travail » s’exclame-t-il

convaincu. Il me conseille juste d’apporter de légères rectifications,

notamment en ce qui concerne la chute. A la première occasion, je

soumettrai mon reportage à Sacha Daout, l’éditeur du jour, mais à

cette heure, il est sollicité de toutes parts. En attendant, je me

contente de réaliser des doublages de voix. Pierre Istace, le doyen

des journalistes, a ouï dire que ma voix était bonne. Il fait ainsi

appel à mes services pour un doublage assez conséquent dans un

reportage sur un aquarelliste de Moscou. Par la suite, Pierre me

demandera d’autres doublages, toujours sur des reportages liés à

l’art pictural moscovite.

Compte tenu des recommandations de Bruno, j’opère certaines

rectifications au sein de mon reportage sur les anticoagulants et

m’en vais le soumettre à Sacha. Son verdict sonne comme une

Page 37: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

37

libération : le reportage est diffusable. Il me suggère de donner un

rien plus d’intonation, comme il dit, d’en faire trop plutôt que trop

peu. La conduite du journal étant suffisamment chargée en

reportages pour la journée, je patienterai jusqu’à demain.

Jeudi 29 septembre

Tout laisse croire que mes performances de figurant malade en

ont séduit plus d’un. Dès mon arrivée, Pascale Bollekens me

demande si je peux à nouveau incarner un patient non plus

souffrant de problèmes physiques mais de troubles psychiques. On

constate ici une évolution vers quelque chose de plus cérébral. Ca

tombe bien, je me sens lentement glisser vers l’abîme de

l’aliénation mentale. Me revoilà du moins au centre d’un reportage

sur le nouveau statut attribué aux psychothérapeutes.

S’il est vrai que le tournage se déroule pour le mieux, il en va

tout autrement du retour à la rédaction : notre équipe se retrouve

prisonnière dans un embouteillage monstre. En dépit de nos

efforts à nous faufiler dans le trafic, nous craignons de ne pas

pouvoir terminer le reportage à temps. Nos soupçons sont

confirmés par un coup de téléphone de l’éditeur qui nous informe

que le reportage a été retiré de la conduite ; il sera diffusé demain.

De la situation, j’en déduis que mon reportage connaîtra le même

Page 38: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

38

sort, n’ayant pas eu, moi non plus, l’occasion de présenter mon

reportage médical à l’éditeur.

De retour aux studios, je suggère à Pascale de tourner quelques

images prétextes pour illustrer son reportage. Je me rends donc

avec Sammy, un caméraman, dans une librairie bruxelloise pour

filmer des publicités de marabouts tirées de magazines comme

Psychologie, Gala ou encore Ici Paris. Une fois mes images intégrées

au reportage de Pascale, on tente dans la mesure du possible de

prendre de l’avance pour demain. Avec un premier reportage

réalisé avec une stagiaire et un second coréalisé avec une

journaliste (dans lequel je figure), la fin de semaine s’annonce

prometteuse…

Vendredi 30 septembre

Bien que la probabilité de voir mes reportages diffusés soit

grande, je décide de me lancer sur un nouveau sujet concernant

le typhon Damrey qui a fait de nombreux dégâts au nord du

Vietnam la nuit dernière et menace encore cette partie du pays.

Alors que je suis en pleine écriture de mon commentaire, Lucie

Dendooven surgit à mes côtés pour solliciter mon aide. Elle réalise

un reportage à l’occasion des cinquante ans de la mort de James

Dean et voudrait, pour illustrer son sujet, que je lui trouve des

séquences de film relativement connues. Je me procure ainsi les

Page 39: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

39

deux grands classiques que sont « A l’est d’Eden » duquel je retire

une séquence célèbre, la dispute entre deux frères, et « La fureur de

vivre » d’où je reprends une scène de course de voitures.

A peine ai-je rempli ma mission que, tendant l’oreille, je

reconnais le générique du journal. Je me précipite alors devant le

poste de télévision le plus proche. Après quelques minutes, le

reportage sur les psychothérapeutes est diffusé. S’en suit

immédiatement la diffusion de mon reportage sur les

anticoagulants. Consécration totale. En sortant dans le couloir, je

me vois félicité par tous les journalistes qui ont pu suivre le journal

de bout en bout. De quoi décupler mes forces pour la journée.

Aussi, est-ce avec une rare vigueur que je finalise mon

commentaire. Et, une fois celui-ci enregistré, j’ai de nouveau droit

aux congratulations de Kamel et Lucie Dendooven, deux

journalistes, ainsi que Jacques, le sonorisateur.

Sans même hésiter une seconde, je me rends d’un pas assuré au

bureau de Thierry De Bock et lui recommande d’examiner mon

travail. « Ce n’est vraiment pas mal du tout » reconnaît-il après

visionnement. Avec le feu vert du responsable de rédaction, ce

sont les dernières barrières qui tombent et l’antenne qui s’ouvre à

moi. Il n’en fallait pas plus pour que, d’un coup, je me retrouve

presque relégué au rang de professionnel. Pour les jours prochains,

la météo annonce temps radieux et ciel bleu azur

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40

.Samedi 1er octobre

Désormais, rien ne sera plus pareil, et ce jusqu’à la fin de mon

stage. Certes, il aura fallu le temps de gagner la confiance de la

rédaction, mais ma détermination a fini par payer. Au cours de la

réunion de rédaction, l’éditeur m’attribue un sujet sans même que

j’aie à lever la main. Il s’agit de l’envoi du troisième touriste

cosmonaute de l’espace, le richissime Américain Greg Olsen, à

partir d’une base spatiale du Kazakhstan.

Malheureusement, les choses prennent rapidement une

mauvaise tournure. Une fois mon commentaire terminé, je me

dirige vers les salles de montage. A ma grande surprise, je me

retrouve confronté à un problème auquel je ne m’attendais

vraiment pas : une pénurie de monteurs. J’en informe aussitôt

l’éditeur qui me propose une solution alternative, la seule

d’ailleurs : expédier mon sujet à Liège afin qu’il soit monté et

retraité sur place. Ainsi, voilà mon reportage qui me file entre les

doigts à ma grande déception. Et c’est sans parler de toutes les

complications qui se produisent lors de l’envoi des données (des

EVN qui n’arrivent pas à destination, des sautes de code, etc.). En

fin de compte, le sujet qui était prévu pour le JT de 13h se

retrouve dans la conduite du soir. Il est remis aux mains de Sylvia

Falcinelli, ancienne élève de l’UCL et depuis peu journaliste. En

Page 41: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

41

début de reportage, mon nom figure tout de même aux côtés du

sien.

Début d’après-midi, un des journalistes de la section

internationale vient me trouver. « J’ai appris ce qui s’est passé le matin

avec ton reportage mais j’ai une consolation pour toi, me dit-il, un sujet

complètement fou : la découverte en France de trois-cent-quarante

chiens dans un grenier ». Les choses ne pouvaient être si

simples : les EVN en provenance de France contiennent ce qu’on

appelle une « voix inter ». Cela signifie que ce reportage est déjà

commenté par un autre journaliste, en l’occurrence une journaliste

de France 2. De fait, difficile de rédiger un propos sans subir

l’influence de ses paroles. Malgré tout, je parviens à pondre du

neuf sur de l’ancien, ce qui me permet de passer à la phase de

montage. Ce travail est bien vite réalisé, compte tenu du nombre

réduit d’images dont on dispose (en réalité, il s’agit juste de les

agencer autrement). Le reportage est donc placé dans les marbres

en prévision du JT de demain. Il subira toutefois certaines

modifications, indépendamment de ma volonté, cela en raison de

dépêches survenues plus tard et apportant des compléments

d’information sur le sujet.

Alors que ma journée touche à sa fin et que je m’apprête à

quitter la rédaction, il se produit quelque chose qui va

définitivement me propulser à l’avant-plan de la rédaction. Chantal

Page 42: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

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Lemaire me propose de réaliser un reportage sur un événement

culturel prenant place dans toute la capitale, événement

communément appelé « Les Nuits Blanches de Bruxelles ». Il a

lieu le soir, et nombreux sont les journalistes qui préfèrent rentrer

chez eux après leur journée. Je suis sur un coup, mais c’est aussi

une lourde responsabilité qu’on me confie là. En effet, le sujet

constitue l’un des principaux thèmes du journal du lendemain.

Malgré une grande fatigue mêlée à une certaine appréhension,

j’accepte le dilemme. A vingt heures trente, je quitte les studios

accompagné de Françoise Meyer, caméraman, et Emeline

Jouvencelle, preneuse de son. Durant toute la nuit, nous

parcourons les rues de la capitale, allant de la place Saint Géry à la

place Sainte-Catherine en passant par la Bourse. Nos images sont

exceptionnelles, féeriques. Pourtant, ce soir-là, j’ai peine à

m’endormir. Car je sais que demain, il me faudra rendre cette

magie à l’écran, le tout avec des mots. Dilemme dément.

Dimanche 2 octobre

Premier réflexe dès mon arrivée : exposer mes images à Hervé,

l’éditeur, afin qu’il puisse lui-même choisir l’image plasma qui lui

plaît. Ensuite, je m’en vais sans perdre de temps en salle de

montage où un dur labeur nous attend, la monteuse et moi. Me

voilà pour la première fois en situation réelle avec un deadline

imposé. Aussi, me vois-je forcé, comme le font ordinairement les

Page 43: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

43

journalistes, de rédiger mon commentaire aux côtés de la

monteuse, Cybèle Ceylan, qui, en parallèle, s’occupe d’agencer les

images. Dans la mesure du possible, je tente de contenir mon

stress afin de ne pas contaminer ma partenaire de travail. Je

parviens à finaliser mon reportage à temps malgré un changement

de place dans la conduite qui impose de le diffuser plus tôt. A ma

grande surprise, le sujet est annoncé par Anne Delvaux dans les

titres du journal.

Après la diffusion du reportage, j’ai droit à mon heure de

gloire. Je me fais ovationner par l’ensemble de la rédaction :

journalistes, monteurs, script, présentateur. Mon reportage satisfait

tellement que l’éditeur décide de le remettre au JT du soir. C’est

pour moi une double consécration. Et comme je ne compte pas

m’arrêter en si bon chemin, je m’en vais lui proposer à nouveau

mes services. « Pas question, me dit-il d’un ton plutôt sec. Puis,

esquissant un sourire, tu as trop bien travaillé. Tu mérites de récupérer. »

Lundi 3 octobre

En arrivant à la rédaction ce matin-là, j’ai la sensation d’avoir

triomphé de mes démons. Le simple fait de savoir que François de

Brigode vous cherche parce qu’il veut vous féliciter en personne et

voilà que renaît cette confiance qui semblait perdue. Passée

l’épreuve initiatique, plus besoin de devoir faire ses preuves à tout

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instant. Dès lors, je me permets d’aider Sabine Breulet sur un sujet

concernant le redémarrage du service d’avances des créances

alimentaires. Puis, j’accompagne Baudouin Rémy à une pharmacie

pour le tournage d’un reportage médical sur la prescription de

molécules. Une fois revenu à la rédaction, je réalise quelques

doublages sur un sujet de Chantal Lemaire concernant les

préparatifs d’Europalia et l’arrivée imminente de Vladimir Poutine

à Bruxelles. L’après-midi, j’aide Aurore, une journaliste, à se

procurer des archives au centre Imadoc, puis je passe une série de

coups de téléphones, notamment au CRIOC, le Centre de

Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs,

toujours dans le cadre du reportage de Sabine Breulet.

Jeudi 6 octobre

Journée chargée en perspective. Au cours de la réunion de

rédaction, Sacha Daout, l’éditeur, me confie la réalisation d’un

reportage sur la remise de la grappe d’Or à un Belge, la plus

haute récompense en matière viticole. Seul problème : la conduite

déborde de sujets et le nombre d’équipes de tournage est réduit.

Chantal Lemaire qui, de par son sujet et son statut, a priorité sur

moi vient de s’attribuer la dernière équipe disponible. La prochaine

équipe ne sera pas libre avant treize heures, ce qui ne m’arrange

pas vu que la remise du prix a lieu à midi. Pas le temps de me

morfondre là-dessus, voilà qu’une prise d’otage vient de se

Page 45: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

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produire dans un bureau de poste à Hasselt. Sacha veut faire

libérer une équipe afin de m’en envoyer sur le terrain, décision à

laquelle s’oppose Thierry qui rappelle à l’éditeur que mon statut de

stagiaire ne me permet pas de traiter des sujets aussi délicats. La

discussion n’a plus lieu d’être ; on vient d’apprendre que la prise

d’otage avait pris fin prématurément. Je me retrouve donc au point

de départ, contre mon gré, cloué à la rédaction.

Treize heures, enfin. Sans perdre de temps, je me rends à

l’hôtel Hesperia Sablon accompagné de Sammy Hermand, mon

caméraman. C’est en ce lieu prestigieux que se tient la dégustation

de vins et fromages, à laquelle succède immédiatement la remise

du fameux prix. Sur place, je rencontre Alfred Alexandre Bonnie,

le lauréat de la Grappe d’Or, ainsi que Michèle, son épouse. Tous

deux acceptent ma proposition de les interviewer dans une cave à

vins à quelques kilomètres de là. On se rend donc au sous-sol des

Foudres, restaurant rustique bruxellois, où je réalise un doublé

d’interviews. De retour à la rédaction, je ne me fais aucune illusion

sur le nombre de salles de montage disponibles. A raison. Le

journal du soir est saturé d’une multitude de reportages concernant

des grèves de tout genre. Conséquence : il n’y a plus une seule

cellule de libre. Je me fais donc à l’idée qu’il me faudra monter

mon sujet dans la matinée de demain.

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Vendredi 7 octobre

Les grèves constituent bel et bien le sujet d’actualité du

moment. En arrivant à la RTBF, il me faut franchir les piquets de

grève qui se tiennent à l’entrée principale. Profitant de l’absence de

plusieurs journalistes, je me rue vers les salles de montage, encore

libres pour la plupart. Travaillant en collaboration avec Etienne

Convié, mon monteur, je parviens à terminer mon commentaire

dans les temps. Tandis que j’achève la rédaction de mon

commentaire et que le reportage est pratiquement monté, Sacha

Daout, l’éditeur du jour, me suggère d’opérer des inversions dans

la structure globale. Répondre à ses exigences complique pas mal

les choses, pour moi comme pour le monteur. Cela dit, nous

suivons ses instructions et parvenons à finaliser le reportage dix

minutes avant sa diffusion. Il ne me reste qu’une chute à trouver.

Elle me vient à l’esprit alors que je suis installé en sono, prêt à

enregistrer ma voix. Mon reportage sur la Grappe d’Or est diffusé

à 13h45. En raison de la conduite surchargée du journal, il ne sera

pas remis au programme du JT du soir.

Dimanche 9 octobre

Ce jour marque une nouvelle transition dans mon parcours.

Cela fait quelques temps déjà que je suis tenté par l’actualité

internationale. Dès lors, avec l’autorisation de Sacha Daout,

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l’éditeur, je débarque en renfort à l’inter où l’on me laisse le choix

entre deux sujets : soit je traite de la grippe aviaire qui évolue

dangereusement vers l’Europe, soit je me penche sur un sujet plus

glauque encore et qui concerne une immense coulée de boue

qui a envahi deux villages du Guatemala. J’opte pour la

seconde proposition. Il m’est demandé de réaliser un récit-

reportage. Pour cela, je me fournis les EVN en question, imprime

les dope sheets sur le sujet et me procure un dictionnaire anglais-

français pour traduire les propos des intervenants. Je réalise le

montage avec Philippe Wibaut et fait appel à Nathalie Guillemin

pour doubler une intervenante. Pour ce qui est du doublage des

voix masculines, je les réalise moi-même. Le reportage est diffusé

au JT de 13h. Dans ce journal, on retrouve également le reportage

de Pierre Istace sur l’aquarelliste russe pour lequel j’avais réalisé un

doublage assez long. Au JT du soir, mon sujet devient un simple

« à travers ».

Lundi 10 octobre

Mon reportage d’hier ayant satisfait l’éditeur, celui-ci me

désigne comme responsable du dossier Guatemala. Pour le JT de

13h, je suis chargé de décrire l’évolution de la situation depuis

que la coulée de boue a submergé les villages. Pour ce faire, je

procède comme hier : EVN et images Reuters à l’appui, je me base

sur trois dope sheets pour rédiger mon commentaire. Je réalise le

Page 48: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

48

montage avec Stéphane Hennebert et demande à Régis, un

journaliste, de réaliser le doublage d’un intervenant. Le reportage

est diffusé au JT de 13h et devient un « à travers » au JT du soir.

Mardi 11 octobre

La situation au Guatemala n’ayant pas connu de véritable

évolution depuis la veille, je me lance sur un sujet de loin moins

dramatique : un enfant de neuf ans qui est parvenu à traverser

la baie de San Francisco à la nage. Seule difficulté : bien

qu’attrayantes, les images sur le sujet sont rares. Le dilemme du

jour consistera donc à condenser mon propos un maximum. Je

réalise le montage avec Patrick Mirguet et fait appel à Dominique

Dussein et Bruno Clément pour deux doublages. Le reportage est

diffusé au JT de 13h uniquement.

Mercredi 12 octobre

N’ayant pas reçu de nouvelles images sur le Guatemala, je

décide de me pencher sur un sujet plus planant que d’ordinaire :

le lancement du vaisseau spatial chinois Shenzhou VI,

événement qui marque l’ambition du pays de Mao dans la

conquête spatiale. Je me trouve toutefois confronté à des

difficultés d’ordre technique : compte tenu de l’heure à laquelle ont

été émis les dope sheets (1h GMT pour la première feuille

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49

d’information et 8h30 GMT pour la seconde), je suis contraint

d’attendre que ces informations figurent sur le serveur pour

pouvoir rédiger mon commentaire. Ce n’est qu’après une longue

attente que je recueille enfin la matière première qui va me

permettre d’œuvrer à ma guise. Mais, tandis que je suis occupé à

monter mon reportage avec Bertrand Menut, on vient

m’apprendre que l’ordre des sujets a changé dans la conduite ;

mon reportage doit obligatoirement être sur antenne dans moins

de dix minutes. Il faut donc le sonoriser maintenant. Impossible :

je n’ai pas encore terminé de rédiger mon commentaire. Une seule

solution, sans doute la plus redoutable : la cabine. Cela signifie que

je vais devoir lire mon commentaire en direct sur l’antenne. C’est

le saut sans filet. Pour cela, je n’ai pas droit à l’erreur. A cette idée,

Hervé de Ghellinck pose aussitôt son veto. Il estime qu’il n’est pas

du ressort d’un stagiaire d’avoir à réaliser pareille performance.

Selon lui, même des journalistes travaillant depuis déjà plusieurs

mois n’y sont pas recommandés. C’est donc Pascal Bustamante, un

journaliste de l’inter, qui s’en charge. Je l’assiste en cabine alors

qu’il lit mon commentaire à haute voix pour la première fois. Mis à

part un rythme de lecture un peu trop rapide à mon goût, je ne

peux m’empêcher d’admirer sa prouesse. Après quoi, je m’en vais

aussitôt sonoriser le reportage au cas où l’éditeur le remettrait dans

la conduite du soir. Cela n’était finalement pas utile.

Page 50: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

50

Jeudi 13 octobre

A nouveau plongé dans le registre « catastrophes », je suis

aujourd’hui chargé de me pencher sur une explosion

spectaculaire : celle d’un arsenal en Russie. Dans un premier

temps, je pense réaliser un reportage sur le sujet. Mais compte tenu

du faible nombre d’images dont on dispose, je suggère à l’éditeur

d’en faire plutôt un « à travers ». Ma tâche consiste donc, d’une

part, à rédiger un bref commentaire destiné au présentateur et,

d’autre part, à monter les images sans me soucier de la chronologie

des faits. Autrement dit, il s’agit de garder les images les plus

parlantes, celles qui illustrent au mieux le sujet. Cet « à travers » est

diffusé au JT de 13h. Je ne me verrai pas confiée d’autre mission

pour la journée. Et c’est tant mieux. Du fait d’avoir travaillé lundi

et mardi en plus du dimanche, je sens la fatigue s’accumuler en

moi. Vivre la vie d’un journaliste implique de fonctionner à un

rythme effréné. Décidément, il est grand temps que je puisse

récupérer.

Dimanche 16 octobre

Mon premier réflexe en arrivant à la rédaction est d’allumer la

télévision. Car, comme le sait tout mordu de F1, ce matin-là, un

grand événement sportif est diffusé en direct sur La Deux :

le grand prix de Shanghai, le dernier de la saison. Au bout

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51

d’une demi-heure de course, il me faut déserter l’écran pour

participer à une autre course : la course à l’information. Ce jour-là,

c’est Jean-Paul qui tient le rôle d’éditeur. Après avoir passé en

revue les sujets nationaux et internationaux au cours de la réunion

de rédaction, nous voici à la rubrique sportive. Sur un ton peu

enthousiaste, Jean-Paul lance alors : « quelqu’un serait-il vraiment tenté

par le grand prix ? » Il semble véritablement se désintéresser du

sujet. En ce qui me concerne, l’envie me démange de réaliser un

résumé de la course qui révélera le champion automobile de

l’année. Adjugé. Contre toute attente, me voilà devenu

chroniqueur sportif.

Je me rends dans les bureaux du journal sportif où je me

procure les dernières dépêches sur le sujet. Plus surprenant, l’on

me remet avec cela une liste mentionnant les moindres faits et

gestes des pilotes, minute par minute, tout au long de la course

(des indications du style : Ralph Schumacher frotte la visière de

son casque à 8h07). A présent que je réclame un enregistrement

de la course, l’on me renseigne un lieu qui m’est inconnu et où l’on

me remet trois énormes bandes à digitaliser. La numérisation à elle

seule prend un temps fou. En attendant, je tente de rédiger une

ébauche de commentaire sur base de ce que j’ai pu voir à la

télévision. Très satisfait de mon accroche, je me sens en bonne

voie lorsque Jean-Paul surgit dans la salle de montage. « Et le grand

prix, ça avance ? » Je lui explique que nous n’en sommes encore qu’à

Page 52: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

52

la phase de numérisation. Il ne semble pas vraiment résolu à

patienter. Après vingt minutes de travail acharné, on parvient à un

résultat, certes, mais pas définitif. C’est alors que Jean-Paul revient,

plus impatient encore que la première fois. « Alors le grand prix, ça

avance ? Parce qu’il va falloir libérer la pièce. » Ce coup-ci, c’est la

monteuse qui prend la parole. « On en a au moins pour vingt minutes

encore. » répond-elle sincèrement. Ces propos suffisent à faire

pencher définitivement la balance. Et la sentence tombe : « OK. On

oublie le grand prix. De toute façon, tout le monde s’en f**t. » Ces mots

sont difficiles à avaler. Et dire que j’avais téléphoné à l’un de mes

amis, véritable amateur de formule un, pour lui annoncer que je

résumerais la course au journal de treize heures. Amère déception !

La meilleure manière de digérer l’affaire consiste à se lancer

sans perdre de temps sur un tout autre sujet. Cela fait plusieurs

jours que je compte réaliser un reportage sur les vingt-cinq ans

de Mamemo, le petit garçon héros des enfants de bas âge. Il se

trouve justement que, cet après-midi, se tient un spectacle

Mamemo dans la petite ville d’Ottignies. Mon équipe et moi nous

rendons sur place et rencontrons dans les loges Olivier Battesti, le

père de Mamemo, qui s’apprête à donner une représentation

devant une salle presque complète. Le spectacle est sur le point de

commencer. Le comédien nous suggère donc d’attendre l’entracte

pour réaliser l’interview. Une fois les premières chorégraphies

filmées, mon équipe et moi décidons de poser le matériel pour

Page 53: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

53

profiter du spectacle. Pendant la représentation, je constate avec

stupéfaction que mon caméraman s’est endormi. Comme prévu, à

l’entracte, nous réalisons l’interview des deux comédiens. Nous en

profitons également pour interroger quelques enfants sur

Mamemo. Mon caméraman souhaitant plus que tout éviter la

seconde partie du spectacle, nous sommes de retour à la rédaction

vers seize heures.

Mercredi 19 octobre

Tandis que, le dimanche d’avant, je me suis retrouvé, étudiant

néo-louvaniste, en plein centre d’Ottignies pour un reportage, il se

peut qu’aujourd’hui j’aie à me rendre à Louvain-la-Neuve. En

effet, la ville organise ce mercredi ses plus grandes festivités

annuelles, un événement baptisé (et le mot s’y prête bien) vingt-

quatre heures vélos. Les choses ne se décident hélas pas aussi

simplement. Au cours de la réunion de rédaction, Sacha Daout

hésite à m’envoyer sur place. Il se pourrait qu’une équipe de

Namur y soit déjà. Seulement, pas moyen de prendre contact avec

elle. Incertitude et confusion règnent. Sans compter que l’éditeur

s’interroge de plus en plus sur la portée journalistique d’un

reportage mettant en scène des jeunes incapables d’articuler deux

mots parce que complètement saouls. En attendant d’être fixé sur

le sujet, je décide de monter mon reportage sur Mamemo et m’en

Page 54: Je suis devenu journaliste en une nuit blanche

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vais digitaliser les rushes. Mais la manœuvre doit être interrompue,

la salle devant être libérée pour un journaliste du quotidien.

Il est temps d’envisager un repli stratégique vers l’actualité

internationale. Une dépêche m’informe justement d’un ouragan

terrible qui frappe l’Amérique centrale : le cyclone Wilma fait

des ravages au Mexique, à Cuba et menace la Floride. Malgré

l’arrivée tardive des dope sheets, je parviens à rédiger mon

commentaire à temps. Le reportage est diffusé au JT de 19h30. Je

reste toutefois dans l’attente d’une réponse en ce qui concerne le

reportage sur les vingt-quatre heures vélos. En fin de compte, l’éditeur

me fait savoir qu’il préférerait réaliser ce reportage, non pas le soir,

mais plutôt au petit matin. Lorsque je quitte les bureaux, il est

passé vingt-deux heures.

Jeudi 20 octobre

Journée pénible en perspective. Dès mon arrivée à la rédaction,

j’ai droit à la première bonne nouvelle du jour : il n’y aura pas de

reportage sur le lendemain des vingt-quatre heures. Directement après

cela, j’apprends par Eric Boever que j’ai commis une erreur de

traduction dans mon reportage d’hier. Malgré cet incident, je me

vois à nouveau confiée la progression du cyclone Wilma. Pas de

chance : le sujet s’est davantage complexifié par rapport à la veille.

L’ouragan touche désormais une multitude de pays, d’où la

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complexité de résumer l’info. Sans compter qu’un nombre

étonnant de dépêches Wilma s’accumule sur le serveur. A ces

difficultés s’ajoute celle des séquences EVN qui arrivent au

compte-goutte. Autant de critères qui risquent rapidement de

porter préjudice à mon travail. Tandis que Nathalie Julien, la

monteuse, s'emploie à agencer les images, l’arrivée constante de

nouvelles séquences l’oblige à réviser constamment la structure du

reportage. Finalement, le reportage est sonorisé vingt minutes

avant sa diffusion au JT de 13h. Eric Boever s’en dit très satisfait.

Vendredi 21 octobre

Me voilà une fois de plus plongé dans le dossier des

catastrophes naturelles. Après le cyclone Wilma, je me vois à

présent chargé de réaliser un bilan sur le tremblement de terre

au Pakistan, sujet qui n’a plus été abordé depuis trois jours.

Curieusement, les dépêches qui traitent du sujet sont sans rapport

avec les images reçues à la centrale. Il me faut donc recourir à

Internet pour obtenir des compléments d’information. En

travaillant de concert avec Ludovic Deslandes, mon monteur, je

réalise un reportage assez bouleversant, lequel est diffusé au JT de

13h.

Pour me changer des événements tragiques, je me vois alors

proposé par Bernard, journaliste de l’inter, un sujet bien plus

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léger : l’arrivée du dessin animé Les Simpsons sur la

télévision arabe. De plus, le journaliste propose de s’occuper du

sujet sur le Pakistan. J’accepte sans hésiter et, quelques temps plus

tard, me voilà aux côté de Quentin Aksajef, mon monteur, en train

de retranscrire en français une interview du producteur exécutif de

la série américaine. Il est toutefois un problème dont on ne viendra

pas à bout : sur certains extraits du dessin animé, l’on entend un

son aigu qui s’avère être le défilement du time code. Les multiples

tentatives pour éliminer ce bruit se révèlent toutes infructueuses,

aussi finit-on par se résigner. Lorsque je quitte les bureaux, il est

vingt heures et quart.

Samedi 22 octobre

J’ai fait fausse route ce matin en décidant seul de me remettre

sur le dossier Wilma. Je viens d’apprendre à l’instant qu’Esméralda

s’en occupait déjà. Me voilà contraint d’interrompre le travail que

j’avais entamé pour repartir à la case zéro. J’en profite pour

apporter quelques modifications à mon commentaire sur Les

Simpsons. A côté de cela, Chantal Lemaire compte sur moi pour

rechercher des images d’archives sur une femme qui a sauvé des

pilotes d’avions pendant la seconde guerre mondiale. Une fois ma

mission remplie, c’est Hervé qui vient me trouver pour me confier

la suite du dossier sur le Pakistan. L’angle du reportage sera :

le temps presse au Pakistan pour venir en aide aux victimes. Je

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réalise le montage avec Nathalie Julien et fait appel à Pascal

Bustamante pour un doublage. Le sujet est sonorisé tardivement,

moins de dix minutes avant sa mise sur antenne. Il est diffusé au

JT de 19h30.

Dimanche 23 octobre

Probablement la pire journée d’octobre. Un incident me fait

arriver tardivement à la rédaction : je viens de me faire intercepter

par une contrôleuse de train tandis que je voyageais avec un

abonnement périmé. Bilan : cinquante euros d’amende. Tel est le

prix à payer pour me rendre à un endroit où l’on n’a déjà plus

besoin de moi. En effet, à peine arrivé, m’informe-t-on que tous

les sujets ont été distribués. Ma matinée se déroule donc dans

l’attente interminable de la prochaine réunion de rédaction. En

revanche, j’apprends que mon reportage sur Les Simpsons figure

dans la conduite. Mais ce que je prends d’abord pour une

consolation va s’avérer un coup dur. Mon reportage est bien

diffusé au JT de 13h, mais il ne plaît ni à Hervé de Ghellinck qui

déplore le rot de Barney l’alcoolique, ni à Anne Delvaux qui situe

l’humour dans la rubrique « pétard mouillé ».

Pour me changer les idées, j’accompagne Benjamin Adnet à

l’aéroport de Zaventem pour son reportage sur l’équipe Be Fast, de

retour du Pakistan. Et la série noire continue : alors qu’on

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58

s’apprête à quitter l’aéroport, je réalise que j’ai oublié le pied de

caméra contre un pilier du hall intérieur. Après une course effrénée

à travers des couloirs labyrinthiques, je parviens enfin à le

retrouver. Traumatisé par cette journée, je décide de ne plus rien

entreprendre tant que les aiguilles de ma montre n’indiqueront pas

minuit.

Mercredi 26 octobre

Rarement une journée de mi-semaine ne s’est annoncée aussi

calme. La conduite du journal est désespérément vide et semble

ouverte à tout sujet potentiellement valable. Cela n’empêche pas la

chance de tourner pour moi : Sacha Daout vient de charger

Nathalie Maleux, journaliste société, de partir en tournage. Dès

lors, celle-ci me délègue le sujet sur lequel elle planchait : le

traitement d’enfants handicapés par des séances de nage avec des

dauphins. De mon côté, je m’attends également à devoir partir en

tournage dans les prochaines minutes. Mais il s’avère que le sujet

sur lequel je travaille a été tourné hier par la VRT. Ma première

tâche consiste à téléphoner aux bureaux de la VRT, qui sont

voisins de la RTBF, pour qu’on m’apporte la cassette des rushes.

En attendant, je commence à rédiger une ébauche de

commentaire. Tout était trop calme. Voilà que Sacha Daout surgit

soudainement dans les bureaux de la rédaction, sollicitant

Dominique Dussein pour une urgence : une cuve à pétrole de

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43.000 mètres cube s’est affaissée à Beveren et tout son

contenu s’est répandu dans la nature, au-delà même des bassins de

protection. Comme il est probable qu’on ait à réaliser un direct

depuis Beveren, Sacha me demande de venir en renfort à

Dominique. Guy, le caméraman, souhaiterait que l’on soit aussi

accompagné d’un preneur de son mais aucun n’est disponible. Sur

place, toutes les télévisions belges sont présentes. L’une des

équipes de la VRT a même loué un hélicoptère pour survoler la

cuve déformée. Pendant que Dominique se prépare pour le direct,

je m’occupe de monter les images filmées dans une camionnette de

la RTBF, lesquelles serviront à illustrer le sujet. Il s’agit de la

première expérience du genre pour Dominique Dussein qui est

journaliste radio de formation mais a intégré récemment l’équipe

du JT de la RTBF. Le direct se passe sans problème et nous voilà

de retour à la rédaction avec un délicieux parfum de pétrole

profondément imprégné dans nos vêtements.

Dans les heures qui suivent, on m’apprend que Nathalie

Guillemin s’est rendue à Anvers pour réaliser un compte-rendu

du concert de Coldplay au Sportpaleis d’Anvers. C’est depuis

la Belgique que la bande de Chris Martin a décidé de lancer sa

grande tournée européenne, une tournée marquée du sceau X&Y,

son nouvel album. Sans hésiter, je m’en vais rejoindre la journaliste

sur place. Après de nombreuses péripéties me laissant chaque fois

croire que je ne rentrerai pas, je finis par accéder à l’arène centrale

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où une petite place est réservée aux journalistes. Mais les

restrictions sont formelles : après avoir entendu trois morceaux, les

journalistes ont pour obligation de quitter la salle. Plus chanceux,

je parviendrai à suivre l’intégralité du concert.

Vendredi 28 octobre

Cela fait plusieurs jours déjà que j’attends ce moment. Ce soir

se produit dans le cadre du festival La fureur de lire un événement

culturel qui devrait plaire à l’éditeur : sur la Grand-Place de

Bruxelles, au crépuscule, un célèbre funambule haut perché sur

son fil avancera au son de la voix d’un conteur déclamant des

poèmes de Rimbaud. L’idée enchante immédiatement l’éditeur.

Pourtant, lorsque le moment arrive de se rendre sur les lieux,

j’apprends que la dernière équipe jusqu’alors disponible vient

d’être mobilisée pour une réunion politique dont nul ne connaît

l’heure de clôture. En attendant, l’éditeur me remet un bon taxi

afin que je puisse déjà me rendre sur place ; l’équipe me rejoindra

une fois la réunion terminée. Je me retrouve donc sur la Grand-

Place en train d’attendre une équipe qui, peut-être, ne viendra

jamais. Aussi, lorsque les derniers applaudissements finissent

d’honorer les prouesses du funambule qui redescend de son mât,

j’éprouve une profonde déception à l’idée que ce projet, en lequel

j’avais remis tous mes espoirs, tombe platement à l’eau.

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C’est à ce moment qu’une amie journaliste m’appelle sur mon

portable et j’en profite pour lui expliquer mes déboires. Celle-ci me

lance alors, comme pour me consoler : « cela te dirait de dîner entre

journalistes ? J’ai demandé à Thierry De Bock une autorisation spéciale pour

que tu puisses te joindre à nous. » Quelques instants plus tard, me voilà

qui franchis la porte du restaurant, accueilli par cette phrase :

« félicitation, tu es le premier stagiaire à être admis à l’un de ces dîners ! ». Je

me retrouve ainsi attablé au côté de Sacha Daout, qui n’hésite pas

à me resservir de vin aussitôt que mon verre menace de se vider.

Après quelques minutes à écouter attentivement les discus-

sions, je me rends bien vite compte qu’il ne s’agit pas que d’un

simple dîner. C’est aussi une occasion de faire le point sur le JT, de

prendre des décisions importantes ou d’adopter des réformes pour

améliorer la qualité de la programmation. En bref, ce dîner

constitue avant tout une réunion intime entre membres de la

rédaction à laquelle j’ai eu l’honneur d’être convié.

Au bout d’une heure, Thierry De Bock se lève de table et,

résumant succinctement la situation, parvient à clore le débat. La

réunion terminée, le monde rassasié, c’est à présent l’idée de sortir

en boîte de nuit qui éveille les esprits. Mais au final, nous ne

sommes qu’une poignée de journalistes à remuer nos pieds sur le

dancefloor illuminé d’une grande discothèque de la capitale. Aux

petites heures du matin, je suis de retour chez moi, encore ébahi

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par cette soirée surréaliste que je n’aurais pu espérer. Je me

promets toutefois de venir travailler le week-end.

Samedi 29 octobre

Après le beau temps, la pluie. Et quelle pluie. Ce matin, l’Inde

est tristement mise à l’honneur avec un dramatique accident de

train survenu en raison de pluies diluviennes qui se sont

abattues sur une partie du pays. Et s’il est vrai que les déraillements

de train sont coutumes là-bas, celui-ci est particulièrement tragique

compte tenu du nombre de victimes disparues : plus d’une

centaine. L’éditeur m’avertit d’ores et déjà que le sujet figurera non

seulement dans la conduite du JT de 13h mais également du JT de

19h30. La procédure est habituelle : procuration des EVN,

impression des dépêches d’agences, rédaction du commentaire sur

base de celles-ci, et enfin sonorisation du reportage. En raison

d’un important attentat commis en Inde dans l’après-midi, mon

sujet se retrouvera en deuxième place dans la conduite du JT du

soir.

Dimanche 30 octobre

Terminer en beauté. Tel est mon désir le plus profond en cette

fin de stage. En musique, on parle de conclure sur un « accord

parfait majeur ». Pour cela, pas de secret : il va falloir traiter au

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mieux le dernier dossier sur lequel j’ai à plancher et qui concerne la

problématique de la violence dans les banlieues parisiennes. Pour

le journal de treize heures, je suis chargé de réaliser un compte

rendu de la troisième nuit d’émeutes à Clichy-sous-bois. Tout

se passe pour le mieux jusqu’à la diffusion. Au moment où mon

sujet passe à l’antenne, c’est la stupéfaction générale dans la

rédaction : non seulement ma voix est déformée mais, pire encore,

on entend une discussion entre la régie et Anne Delvaux. Durant

les premières minutes qui suivent la diffusion, je redoute être

responsable de cette erreur. Mais l’éditeur me certifie qu’il s’agit là

d’un problème en régie qui n’est aucunement lié à mon travail.

Heureusement, dans le même JT, un autre de mes reportages

est diffusé, cette fois sans encombre : les vingt-cinq ans de

Mamemo, reportage qui trouve immédiatement des admirateurs

parmi les membres de la rédaction. Les félicitations effacent bien

vite les problèmes techniques. A maintes reprises, je me vois

congratulé pour la qualité du reportage, tant sur le plan visuel que

sonore. A juste titre. Ce sujet est certainement le seul que j’aie

réalisé qui ait fait l’objet d’une véritable recherche esthétique : des

contrastes entre ombre et lumière, un ralenti subtil sur la moue

d’un enfant, une mélodie au xylophone glissée en fond sonore. A

cela, s’ajoute une intonation originale dans le propos puisque j’y

adopte un ton poétique. Ce reportage constitue le résultat d’une

fructueuse collaboration entre un journaliste apprenti et un

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monteur professionnel. Et si le proverbe recommande de ne

jamais s’arrêter en bon chemin, ma décision, elle, va en sens

contraire : ce reportage sera ma dernière réalisation au cours de

mon stage à la RTBF.

Lundi 31 octobre

Journée d’adieu. Jamais facile même si plusieurs journalistes me

glissent à l’oreille qu’ils s’attendent à me revoir bientôt. Pour

marquer mon départ, je leur propose d’assister, sur leur temps de

table, à un petit récital de piano que je donne dans un studio radio

réservé à cet effet. Hervé de Ghellinck me dira à plusieurs reprises

regretter d’avoir manqué ma prestation. Dans le courant de l’après-

midi, certains journalistes demandent à voir mon reportage sur

Mamemo. Finalement, c’est toute la rédaction qui se retrouve

devant un petit téléviseur pour visionner mon ultime réalisation,

laquelle se trouve à nouveau couronnée de succès. Les dernières

minutes, je choisis de les passer au côté de François de Brigode,

sur le plateau du JT, assis par terre. Certes, il n’y aura pas de

reportage à mon nom ce soir, mais ça n’a pas d’importance. Il

s’agit là d’une façon personnelle de témoigner ma reconnaissance à

ce présentateur qui m’a toujours soutenu. En plein JT, tandis qu’il

attend la fin d’un reportage pour reprendre la présentation,

François de Brigode se tourne vers moi et me salue d’un clin d’œil.

Le sourire aux lèvres, je me lève et quitte le plateau.

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Achevé d’imprimer en Europe (Belgique)

par Warehouse Editions – 1210 Saint-Josse le 29 février 2012.

Dépôt légal février 2012. ISBN 2-290-31205-3

Warehouse Editions 75, rue des Deux Tours, 1210 Saint-Josse

Diffusion Belgique

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Passées les formalités du contrat de stage, me voici

soudainement parachuté dans la vie professionnelle,

au QG d’une rédac. La manœuvre n’a rien d’un

entraînement. Ici, ça tire à balles réelles. Autour de

moi, des hommes se battent sur le front. Leur chef

d’Etat-major, c’est l’actu. Pour elle, ils sont prêts à

ramper dans la boue, à traverser des champs minés.

Moi, je tremble à l’idée de souiller mes chaussures

cirées. J’aimerais me battre à leurs côtés mais il y a

un hic. Mon fusil, j’ai appris à m’en servir en lisant

des bouquins.

Ph

oto

co

uve

rtu

re :

edu

col.n

et /

TIB

Newton Pham Dang a travaillé comme

journaliste au journal télévisé de la RTBF

en Belgique. Il a notamment été distingué

d’un 1er prix de journalisme pour une

enquête sur le phénomène lolita publiée

dans le quotidien belge Le Soir.

30/9709/4 Code prix LP 8

Dépôt légal Impr. 2972B-5 Édit. 5302 1/2011