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LOUISE LABE SONNETS (avec variantes et notes par les lycéens d’i-voix)

Louise Labé - Sonnets (variantes)

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Page 1: Louise Labé - Sonnets (variantes)

LOUISE LABE

SONNETS

(avec variantes et notes par les lycéens d’i-voix)

Page 2: Louise Labé - Sonnets (variantes)

REVUES ET CORRIGEES

PAR LES LYCEENS D’I-VOIX

En 1555, l’imprimeur Jean de Tournes

publie à Lyon un recueil des Œuvres de

Louise Labé.

En 2015, les lycéens d’i-voix découvrent

à Brest un manuscrit inconnu : les Sonnets

de Louise Labé écrits de la main de la

Belle Cordière elle-même !

Or ce manuscrit présente d’intéressantes

variantes par rapport au recueil alors

publié.

Voici ces variantes enfin révélées, avec

annotations par les lycéens eux-mêmes !

Page 3: Louise Labé - Sonnets (variantes)

L’humanisme numérique est « le

résultat d’une convergence

entre notre héritage culturel

complexe et une technique

devenue un lieu de sociabilité

sans précédent », « la

fragmentation qui accompagne

le numérique constitue un

tournant culturel majeur car elle

met en scène un imaginaire

lettré, hérité de nos pratiques

savantes, désormais à la portée

de tous. »

MILAD DOUEIHI

Pour un humanisme numérique

Page 4: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 1

1555 Traduction

Si jamais il y eut plus clairvoyant qu'Ulysse,

Il n'aurait jamais pu prévoir que ce visage,

Orné de tant de grâce et si digne d'hommage,

Devienne l'instrument de mon affreux supplice.

Cependant ces beaux yeux, Amour, ont su ouvrir

Dans mon coeur innocent une telle blessure,

-Dans ce coeur où tu prends chaleur et nourriture-

Que tu es bien le seul à pouvoir m'en guérir.

Cruel destin ! Je suis victime d'un Scorpion,

Et je ne puis attendre un remède au poison

Que du même animal qui m'a empoisonnée !

Je t'en supplie, Amour, cesse de me tourmenter !

Mais n'éteins pas en moi mon plus précieux désir,

Sinon il me faudra fatalement mourir.²

Page 5: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 2

1555 Pas de variante

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,

Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,

Ô noires nuits vainement attendues,

Ô jours luisants vainement retournée !

Ô tristes plaints, ô désirs obstinés,

Ô temps perdu, ô peines dépendues,

Ô mille morts en mille rets tendues,

Ô pires maux contre moi destinés !

Ô ris, ô front, cheveux, bras, mains et doigts !

Ô luth plaintif, viole, archet et voix !

Tant de flambeaux pour ardre une femelle !

De toi me plains, que tant de feux portant,

En tant d'endroits d'iceux mon cœur tâtant,

N'en ai sur toi volé quelque étincelle.

Page 6: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 3

1555 Variante

Ô longs désirs, ô espérances vaines,

Tristes soupirs et larmes coutumières

A engendrer de moi maintes rivières,

Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

Ô cruautés, ô durtés bien humaines (1),

Ardents appels (2) des divines lumières,

Du cœur blessé ô passions meurtrières (3),

Pensez-vous enfin achever (4) mes peines ?

Qu'encore Amour sur moi son arc essaie,

Que nouveaux feux me jette et nouveaux dards,

Qu'il se dépite, et pis qu'il pourra fasse :

Douleur m'étouffe et je pense aux départs.

Que vous viviez, ami cher, ne me plait.

Las ! vous tuant ne trouverais grâce. (5)

Page 7: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 3

NotesLes différences entre la version éditée et la version manuscritesont frappantes. On peut certainement affirmer que LouiseLabé a d'abord écrit sous le coup de ses peines amoureuses etécrit les pires choses lui venant à l'esprit et ô combien ellepensait ne pas se relever. Puis, elle a fini par prendre du reculet se rendre compte qu'elle est finalement plus forte que cela.

1- Avec "bien humaine", elle attaque directement son amant,elle se révèle pleine de haine envers lui.

2- "Ardents appels" est une aspiration à la mort devant lapeine qui l'envahit.

3- Même chose qu'en 2 avec la blessure au cœur causée parune passion "meurtrière".

4- "Achever mes peines" est encore une fois une aspiration àla mort.

5- Le tercet entier sous-entend qu'elle aimerait voir sonamant mourir, mais elle écrit également que cela nechangerait rien pour elle-même, alors le mieux finalementest que ce soit elle qui meure et accède au repos éternel.

Variante

Ô longs désirs, ô espérances vaines,

Tristes soupirs et larmes coutumières

A engendrer de moi maintes rivières,

Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

Ô cruautés, ô durtés bien humaines (1),

Ardents appels (2) des divines lumières,

Du cœur blessé ô passions meurtrières (3),

Pensez-vous enfin achever (4) mes peines ?

Qu'encore Amour sur moi son arc essaie,

Que nouveaux feux me jette et nouveaux dards,

Qu'il se dépite, et pis qu'il pourra fasse :

Douleur m'étouffe et je pense aux départs.

Que vous viviez, ami cher, ne me plait.

Las ! vous tuant ne trouverais grâce. (5)

Page 8: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 3 (bis)

1555 Variante

Ô longs désirs, ô espérances vaines,

Fatals soupirs et larmes familières, (1)

À engendrer en moi maintes rivières,

Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

Ô cruautés ô peines inhumaines, (2)

Perçants regards des célestes lumières, (3)

Du cœur transi ô passions premières

Estimez-vous croître encore mes peines ?

Que ton Amour de son venin m'accable, (4)

Que nouveaux feux me jette et nouveaux fards, (5)

Qu'il se dépite face à l'évidence : (6)

Car je suis tant navrée en toute part

Que plus en moi une nouvelle plaie,

Pour m'empirer, ne pourrait trouver place.

Page 9: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 3 (bis)

Notes

1. Louise Labé avait à l'origine écrit « Tristes soupirs ». Cependant ce mot n'était sans doute pas assez fort pourexprimer sa douleur face à l'attente. Tout en restant dans l'expression d'une infinie tristesse, l'auteur a alorsdécidé de lui donner une dimension plus forte, une dimension mortelle. Le mot « fatals » a ainsi été utiliséafin d'insister sur la douleur qu'elle ressent et qui la ronge chaque jour. Cette idée de quotidienneté estd'ailleurs reprise à la fin du même vers. D'abord exprimé par le mot « coutumières », Louise Labé asûrement souhaité utiliser une expression voulant à la fois exprimer l'habitude mais aussi la familiarité. C'estpour cela qu'elle a hésité avec « larmes familières ». En effets, Labé nous confie que ses « larmes » ne sontpas seulement quotidiennes, ne sont pas seulement une habitude, elles sont également familières, commesi elles la connaissaient, l'accompagnaient, comme si elles faisaient au final partie intégrante de son être.

2. « Peines » vient remplacer « durtés » afin de contrebalancer l'impact assez violent du mot « cruautés » endébut de vers. Ainsi l'auteur, en utilisant un mot plus « doux », exprime sa grande souffrance. En effet, sasouffrance est telle que même les peines les plus insignifiantes lui procurent un sentiment d'une immensedétresse qu'elle qualifie par la suite d'inhumaines.

3. Le mot « perçants » vient appuyer sur l'effet des « regards des célestes lumières ». Ces regards qui viennentlittéralement vous transpercer comme le fait la lumière.

4. « Que ton Amour de son venin m'accable » : l'intégralité du vers a été modifié, nous retrouvons ici l'idée demortalité. L'auteur a sans doute souhaité faire résonner ce vers aux « fatals soupirs » que l'on retrouve unpeu plus haut.

5. « Dards » a été remplacé par « fards » afin de relier l'amour passionnel et les « feux » qui en découlent. Lemot « fard » désigne en effet le rouge qui nous monte aux joues lorsque nous sommes gênés ouembarrassés. Ce mot désigne également la chaleur qui nous envahit lorsque nous sommes complètementchamboulés par l'amour qui nous submerge à l'égard d'une personne.

6. « Face à l'évidence » : expression qui exprime quelque chose de beaucoup plus clair que la précédente « etpis qu'il pourra fasse ». Louis Labé veut bien nous faire comprendre que ce qui suit est l'évidence, la tristeréalité des faits : les dégâts engendrés par l'amour.

Variante

Ô longs désirs, ô espérances vaines,

Fatals soupirs et larmes familières, (1)

À engendrer en moi maintes rivières,

Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

Ô cruautés ô peines inhumaines, (2)

Perçants regards des célestes lumières, (3)

Du cœur transi ô passions premières

Estimez-vous croître encore mes peines ?

Que ton Amour de son venin m'accable, (4)

Que nouveaux feux me jette et nouveaux fards, (5)

Qu'il se dépite face à l'évidence : (6)

Car je suis tant navrée en toute part

Que plus en moi une nouvelle plaie,

Pour m'empirer, ne pourrait trouver place.

Page 10: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 4

1555 Variante

Depuis qu'Amour cruel empoisonna

Premièrement de son feu ma poitrine,

Toujours brûlai de colère1 divine,

Qui un seul jour mon cœur n'abandonna.

Quelque travail, dont assez me donna,

Quelque danger2 et prochaine ruine,

Quelque penser de mort qui tout termine,

De rien mon cœur actif3 ne s'étonna.

Tant plus qu'Amour nous vient fort accabler4,

Plus il nous fait nos forces assembler5,

Et imbriquer, forces qui la font naître6 ;

Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise,

Cil qui des Dieux et des hommes méprise,

Mais pour plus fort contre les forts paraître.

Page 11: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 4

Notes Variante

Depuis qu'Amour cruel empoisonna

Premièrement de son feu ma poitrine,

Toujours brûlai de colère1 divine,

Qui un seul jour mon cœur n'abandonna.

Quelque travail, dont assez me donna,

Quelque danger2 et prochaine ruine,

Quelque penser de mort qui tout termine,

De rien mon cœur actif3 ne s'étonna.

Tant plus qu'Amour nous vient fort accabler4,

Plus il nous fait nos forces assembler5,

Et imbriquer, forces qui la font naître6 ;

Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise,

Cil qui des Dieux et des hommes méprise,

Mais pour plus fort contre les forts paraître.

Page 12: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 5

Page 13: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 5

Page 14: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 6

1555 Pas de variante

Deux ou trois fois bienheureux le retour

De ce clair Astre, et plus heureux encore

Ce que son œil de regarder honore.

Que celle-là recevrait un bon jour,

Qu'elle pourrait se vanter d'un bon tour,

Qui baiserait le plus beau don de Flore,

Le mieux sentant que jamais vis Aurore,

Et y ferait sur ses lèvres séjour !

C'est à moi seule à qui ce bien est dû,

Pour tant de pleurs et tant de temps perdu ;

Mais, le voyant, tant lui ferai de fête,

Tant emploierai de mes yeux le pouvoir,

Pour dessus lui plus de crédit avoir,

Qu'en peu de temps ferai grande conquête.

Page 15: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 7

1555 Variante

On voit mourir toute chose animée,Lors que du coeur1 l'âme subtile part.Je suis le corps, toi la plus belle2 part :Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?

Ne me laissez par si long temps perdue3,Pour me sauver après viendrais trop tard.Las ! ne mets point ton corps en ce brouillard :Rends-lui sa part et moitié si ténue3.

Mais fais, Ami, que ne soit sulfureuse4

Cette rencontre et revue amoureuse,Placée, non sous le signe du péché 5,

Ni des soupirs, mais de grâce amiable,Qui doucement me rende ta beauté,Jadis cruelle, à présent favorable.

Page 16: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 7

Notes

(1) Louise Labé préféra sûrement le "corps" au"coeur" pour bien marquer la disctinction entrel'âme (spirituelle) et le corps (physique), maispeut-être aussi pour sa sonorité qui fait comme unécho à "Lors".

(2) On peut voir ici que Louise Labé à remplacé le"plus belle" original par "meilleure" : peut-êtretrouvait-elle à "plus belle" des connotations tropsuperficielles... A moins qu'elle n'ait remarquél'écho sonore entre "la meilleure" et "âme" : lameilleure, la-m-eilleure, l'âme-eilleure ?

(3) Les deux mots originaux "perdue" et "si ténue"connotaient peut-être plus de fragilité que n'envoulait bien révéler Louise Labé. Mais la poétessea peut-être encore une fois remarqué l'avantagesonore qu'elle gagnait à ce change : uneassonance éclatante en [é] ("et moitié estimée")était peut-être plus heureuse qu'une allitérationsifflante en [s] ("sa part et moitié si ténue").

Variante

On voit mourir toute chose animée,Lors que du coeur1 l'âme subtile part.Je suis le corps, toi la plus belle2 part :Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?

Ne me laissez par si long temps perdue3,Pour me sauver après viendrais trop tard.Las ! ne mets point ton corps en ce brouillard :Rends-lui sa part et moitié si ténue3.

Mais fais, Ami, que ne soit sulfureuse4

Cette rencontre et revue amoureuse,Placée, non sous le signe du péché 5,

Ni des soupirs, mais de grâce amiable,Qui doucement me rende ta beauté,Jadis cruelle, à présent favorable.

Page 17: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 7

Notes (suite)

(4) "Sulfureuse" ! Oh ! Serait-ce unlapsus ? A moins que notre chèreLouise ait tout simplement renoncé àl'aspect "scandaleux" et provocantde ses autres sonnets... Peut-êtreaussi a-t-elle voulu se concentrer icisur l'âme dont il est questionplusieurs fois ?

(5) Encore une fois, le souci des jeux desonorités semblent avoir animé notreLyonnaise : avec la version finale duvers 11, le mot "sévérité" constitueune rime plus riche que "péché"avec "beauté". Par ailleurs, le mot"péché" fait curieusement écho ànotre note précédente concernant leterme "sulfureux"...

Variante

On voit mourir toute chose animée,Lors que du coeur1 l'âme subtile part.Je suis le corps, toi la plus belle2 part :Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?

Ne me laissez par si long temps perdue3,Pour me sauver après viendrais trop tard.Las ! ne mets point ton corps en ce brouillard :Rends-lui sa part et moitié si ténue3.

Mais fais, Ami, que ne soit sulfureuse4

Cette rencontre et revue amoureuse,Placée, non sous le signe du péché 5,

Ni des soupirs, mais de grâce amiable,Qui doucement me rende ta beauté,Jadis cruelle, à présent favorable.

Page 18: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 7 (bis)

1555 Variante

On voit mourir toutes les1 choses aimées2.

Lors que du corps l'âme subtile part.

Je suis le corps, toi la meilleure part :

Où es-tu donc, ô âme tendre3 aimée ?

Ne me laissez par4 si longtemps espérée5,

Pour me sauver après viendrais trop tard.

Las ! ne mets point ton corps en ce hasard :

Rends-lui sa part et moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse

Cette rencontre et revenue amoureuse,

L'accompagnant, non de sévérité,

Non de rigueur, mais de grâce amiable,

Qui doucement me rende ta beauté,

Naguère atroce, aujourd'hui convenable.6

Page 19: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 7 (bis)

Notes1) "les" avait été écrit en rapport avec "aimées" (note 2) mais

a été enlevé dans la version que Louise Labé a reprise car ily avait trop de syllabes : erreur de versificationheureusement corrigée !

2)"aimées" était le premier mot que Louise Labé avait écrit :elle parle énormément de la mort et de l'amour et avaitcombiné les deux dans cette phrase. Elle jugea plus justede remplacer "aimées" par "animée" car tout a le pouvoirde mourir, notre cœur par exemple, et pourtant nous neportons pas d'affection à notre cœur.

3) Louise Labé avait écrit "tendre" pour "tendrement" aiméemais elle préféra changer cela en "bien-aimée", unsynonyme de "tendrement", mot composé dont la sonoritéétait préférée.

4) le mot "par" n'existait pas dans la version originale. Toutsimplement car le nombre de syllabes aurait été trop long !

5) "espérée" le sens est totalement différent de "pâmée",mais sur le coup, peut-être espérait-elle que quelqu'unvienne à ses côtés?

6) Tout ce vers a été changé pourtant : même rime, mêmelongueur de vers. Louise Labé voulait s'exprimer dans unelangue plus soutenue, le mot "aujourd'hui" ne pouvaitfonctionner. Le mot "convenable" n'était certainement pasassez fort pour ce qu'elle voulait exprimer et au contraire"atroce" était bien trop fort.

Variante

On voit mourir toutes les1 choses aimées2.

Lors que du corps l'âme subtile part.

Je suis le corps, toi la meilleure part :

Où es-tu donc, ô âme tendre3 aimée ?

Ne me laissez par4 si longtemps espérée5,

Pour me sauver après viendrais trop tard.

Las ! ne mets point ton corps en ce hasard :

Rends-lui sa part et moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse

Cette rencontre et revenue amoureuse,

L'accompagnant, non de sévérité,

Non de rigueur, mais de grâce amiable,

Qui doucement me rende ta beauté,

Naguère atroce, aujourd'hui convenable.6

Page 20: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 8

1555 Pas de variante

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie ;J'ai chaud extrême en endurant froidure ;La vie m'est et trop molle et trop dure ;J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;Et, quand je pense avoir plus de douleur,Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,Et être en haut de mon désiré heur,Il me remet en mon premier malheur.

Page 21: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 9

1555 Pas de variante

Tout aussitôt que je commence à prendre

Dans le mol lit le repos désiré,

Mon triste esprit, hors de moi retiré,

S'en va vers toi incontinent se rendre.

Lors m'est avis que dedans mon sein tendre

Je tiens le bien où j'ai tant aspiré,

Et pour lequel j'ai si haut soupiré

Que de sanglots ai souvent cuidé fendre.

Ô doux sommeil, ô nuit à moi heureuse !

Plaisant repos plein de tranquillité,

Continuez toutes les nuits mon songe ;

Et si jamais ma pauvre âme amoureuse

Ne doit avoir de bien en vérité,

Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.

Page 22: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 10

1555 Pas de variante

Quand j'aperçois ton blond chef, couronné

D'un laurier vert, faire un luth si bien plaindre,

Que tu pourrais à te suivre contraindre

Arbres et rocs ; quand je te vois orné,

Et, de vertus dix mille environné,

Au chef d'honneur plus haut que nul atteindre,

Et des plus haut les louanges éteindre,

Lors dit mon cœur en soi passionné :

Tant de vertu qui te font être aimé,

Qui de chacun te font être estimé,

Ne te pourraient aussi bien faire aimer ?

Et, ajoutant à ta vertu louable

Ce nom encor de m'être pitoyable,

De mon amour doucement t'enflammer ?

Page 23: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 11

1555 Variante

Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,Grands1 jardins, petites2 fleurs amoureusesOù sont d'Amour les flèches dangereuses,Tant à vous voir mon œil s'est arrêté !

Ô cœur trompeur3, ô rude cruauté,Je rêve de façons aventureuses4,J'ai coulé tant de larmes malheureuses5,Sentant que ton regard s'est éloigné6 !

Doncques, mes yeux, tant de plaisir avez,Tant de bons tours par ces yeux recevez ;Mais toi, mon cœur, plus les vois s'y complaire,

Plus tu attends, plus en as de souci,Or devinez si je suis aise aussi,Mon cœur s'est exclamé tout le7 contraire.

Page 24: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 11

1555

1- Louise Labé aurait d'abord écrit "Grands jardins "avant d'écrire "Petits jardins" parce qu'il n'y a pas depetits jardins pour elle. Ils sont tous grands etmajestueux par leur beauté naturelle.

2- Elle écrit que les fleurs sont petites pour montrer queles fleurs sont belles.

3- Elle aurait d'abord choisi de décrire le "coeur" avecl'adjectif "trompeur". Ne trouvant pas ce mot assezpoétique, elle l'aurait remplacé par son synonyme"félon".

4- Louise Labé rêve d'aventure heureuse parce qu'elleest encore sous l'emprise du charme de son amant.

5- Les larmes expriment ici de la tristesse et non de lajoie.

6- Le regard d'Olivier probablement s'est détourné.

7- Son cœur lui dit ce qu'elle veut entendre.

Variante

Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,Grands1 jardins, petites2 fleurs amoureusesOù sont d'Amour les flèches dangereuses,Tant à vous voir mon œil s'est arrêté !

Ô cœur trompeur3, ô rude cruauté,Je rêve de façons aventureuses4,J'ai coulé tant de larmes malheureuses5,Sentant que ton regard s'est éloigné6 !

Doncques, mes yeux, tant de plaisir avez,Tant de bons tours par ces yeux recevez ;Mais toi, mon cœur, plus les vois s'y complaire,

Plus tu attends, plus en as de souci,Or devinez si je suis aise aussi,Mon cœur s'est exclamé tout le7 contraire.

Page 25: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 12

1555 Variante

Luth, compagnon de ma calamité,

De mes soupirs témoin irrévocable1,

De mes ennuis contrôleur véritable,

Tu as souvent avec moi lamenté ;

Et tant le pleur piteux t'a molesté

Que, commençant quelque note funèbre2,

Tu le rendais tout soudain lamentable,

Feignant le ton que Tout3 avais chanté.

Et si tu veux efforcer au contraire,

Tu te détends et si me contrains taire :

Mais me voyant tendrement espérer4,

Offrant répit à tous nos si doux timbres5,

En mes ennuis me plaire suis contrainte

Et d'un doux mal douce fin espérer.

Page 26: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 12

1555

(1)Irréprochable/irrévocable : la sonorité de ce motoriginellement présent suggérait la parole, cependant lessoupirs préfèrent être silencieux ou au moins dignes

(2) Son délectable/note funèbre : l'adjectif funèbre en lienavec "lamentable" s'apparentait à une sensation trop aiguëde mal être. "Note" était une référence aux nombreux jeuxde sonorités présents dans le sonnet cependant le nombrede pieds n'était plus égal si la touche funèbre disparaissait.

(3) Plein/Tout : l'entité totale a probablement été jugée tropmanichéenne

(4) Soupirer/Espérer : mot trouvé trop pessimiste (troppessimiste puisque tu) par l'auteure, si les espoirs étaientvoués au silence, peut être a-t-elle voulu exprimer sonoptimisme vivant dans un soupir.

(5) Donnant faveur à ma tant triste plainte/Offrant répit ànos si doux timbres : la connexion entre Louise Labé etune personne extérieure s'efface. L'allusion orale laisseplace à une toute autre douleur. La disparition de nous lalaisse seule et engendre la disparition de ce répit.

Variante

Luth, compagnon de ma calamité,

De mes soupirs témoin irrévocable1,

De mes ennuis contrôleur véritable,

Tu as souvent avec moi lamenté ;

Et tant le pleur piteux t'a molesté

Que, commençant quelque note funèbre2,

Tu le rendais tout soudain lamentable,

Feignant le ton que Tout3 avais chanté.

Et si tu veux efforcer au contraire,

Tu te détends et si me contrains taire :

Mais me voyant tendrement espérer4,

Offrant répit à tous nos si doux timbres5,

En mes ennuis me plaire suis contrainte

Et d'un doux mal douce fin espérer.

Page 27: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 13

1555 Pas de variante

Oh, si j'étais en ce beau sein ravie

De celui-là pour lequel vais mourant ;

Si avec lui vivre le demeurant

De mes courts jours ne m'empêchait envie ;

Si m'accolant me disait : chère Amie,

Contentons-nous l'un l'autre ! s'assurant

Que jà tempête, Euripe, ni Courant

Ne nous pourra disjoindre en notre vie ;

Si de mes bras le tenant accolé,

Comme du lierre est l'arbre encercelé,

La mort venait, de mon aise envieuse,

Lors que, souef, plus il me baiserait,

Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,

Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.

Page 28: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 14

1555 Variante

Tant que mes yeux pourront ton cœur ravir

A l'heur passé avec toi regretter,

Et qu'aux sanglots et soupirs résister

Pourra mon âme à la tienne s'unir ;

Tant que mes doigts pourront les cordes tendre

Du mignard luth, pour tes grâces louer ;

Tant que ta peur mon esprit pourra prendre

Pour que la joie puisse seule rester,

Je ne souhaite encore point mourir.

Mais, quand ton âme sentirai partir,

Mes doigts brisés, et ta peur frémissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour

Ne pouvant plus montrer signe d'amante,

Prierai la mort noircir mon plus clair jour.

Page 29: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 14

Notes Variante

Tant que mes yeux pourront ton cœur ravir

A l'heur passé avec toi regretter,

Et qu'aux sanglots et soupirs résister

Pourra mon âme à la tienne s'unir ;

Tant que mes doigts pourront les cordes tendre

Du mignard luth, pour tes grâces louer ;

Tant que ta peur mon esprit pourra prendre

Pour que la joie puisse seule rester,

Je ne souhaite encore point mourir.

Mais, quand ton âme sentirai partir,

Mes doigts brisés, et ta peur frémissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour

Ne pouvant plus montrer signe d'amante,

Prierai la mort noircir mon plus clair jour.

Page 30: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 15

1555 Variante

Pour le retour du Soleil honorer,

Le Zéphir l'air serein l'émerveille (1),

Et du sommeil l'eau et la terre éveille,

Qui les gardait, l'une de murmurer

En doux lever (2), l'autre de se parer

De mainte pétale (3) couleur vermeille(4).

Jà les oiseaux ès arbres font merveille,

Et aux passants font l'ennui modérer

Les nymphes jà en milles lieux (5) se mêlent ( 6)

Au clair de lune, et mimant la querelle (7).

Veux-tu Zéphir de ta peur (8) me donner,

Que me parvienne ton funeste appel (9) ?

Fais mon Soleil devers moi retourner,

Et tu verras s'il ne me rend plus belle.

Page 31: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 15

Notes

(1)émerveille : Louise Labé a rectifié le mot "appareille" par lemot "émerveille" avec la résolution d'apporter plus de gaieté àla première strophe du poème dans le but de marquer un plusfort contraste avec la fin du poème, entre le jour et la nuit.

(2) lever : à l'origine Louise Labé avait écrit le mot "coulant", il aété remplacé par un mot plus positif "lever" qui fait référenceau lever du soleil et au réveil de la terre.

(3)pétales : le mot "fleur" à été modifié afin d'augmenter l'idée demultitude et d'abondance. Le pétale représente quelque chosede délicat, de fin, de sensuel.

(4) vermeille : "vermeille" a remplacé le mot "nonpareil" parsoucis de détail. En effet, le vermeil fait référence à unenuance de rouge, un rouge vif rappelant l'amour et la chaleurpeut-être due soleil. Ou bien à un métal précieux dont lacouleur se rapproche de l'or, renvoie une image de richesse etfait également allusion au soleil.

(5) lieux : Louise Labé avait changé le mot " jeux" pour le mot"lieux" car celui-ci appuie l'idée de grandeur, de diversitéd'espaces naturels.

Variante

Pour le retour du Soleil honorer,

Le Zéphir l'air serein l'émerveille (1),

Et du sommeil l'eau et la terre éveille,

Qui les gardait, l'une de murmurer

En doux lever (2), l'autre de se parer

De mainte pétale (3) couleur vermeille(4).

Jà les oiseaux ès arbres font merveille,

Et aux passants font l'ennui modérer

Les nymphes jà en milles lieux (5) se mêlent ( 6)

Au clair de lune, et mimant la querelle (7).

Veux-tu Zéphir de ta peur (8) me donner,

Que me parvienne ton funeste appel (9) ?

Fais mon Soleil devers moi retourner,

Et tu verras s'il ne me rend plus belle.

Page 32: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 15

Notes (suite)

(6) se mêlent : Le verbe "s'ébattre" à été ici remplacé par le verbe "semêler" pour donner l'illusion d'une confusion due au sens propre dumot et à l'allitération en [M] et [L].

(7) mimant la querelle : L'expression "dansant l'herbe abattent" a ététransformée par "mimant la querelle". Cette modificationappuie l'allitération en [M] du vers précédent mais le mot "querelle"rompt l'harmonie du poème en l'assombrissant. De plus, les sonorités[Q] et [R] forment une cassure à la fin du vers.

(8) ta peur : Cette correction est due à la volonté de Louise Labéde transposer le sens du poème. En effet, "ta peur" rentre en parfaiteopposition avec ton "heur" tout en conservant la sonorité en [R].

(9) Que me parvienne ton funeste appel : Louise Labé, par cette révision,nous montre son envie de combattre le désespoir de la nuit portée parle vent. Par cette transformation, elle ne veut plus faire référence au"heur" si récurrent dans ses poèmes ( Sonnet VIII : v. 13 "Et être au hautde mon désiré heur" ). "Que me parvienne ton funeste appel" insiste surl'allitération rugueuse en [R] et saccadée en [P] débutée au versprécédent, ce qui donne au poème une dimension tragique.

Variante

Pour le retour du Soleil honorer,

Le Zéphir l'air serein l'émerveille (1),

Et du sommeil l'eau et la terre éveille,

Qui les gardait, l'une de murmurer

En doux lever (2), l'autre de se parer

De mainte pétale (3) couleur vermeille(4).

Jà les oiseaux ès arbres font merveille,

Et aux passants font l'ennui modérer

Les nymphes jà en milles lieux (5) se mêlent ( 6)

Au clair de lune, et mimant la querelle (7).

Veux-tu Zéphir de ta peur (8) me donner,

Que me parvienne ton funeste appel (9) ?

Fais mon Soleil devers moi retourner,

Et tu verras s'il ne me rend plus belle.

Page 33: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 16

1555 Pas de variante

Après qu'un temps la grêle et le tonnerre

Ont le haut mont de Caucase battu,

Le beau jour vient, de lueur revêtu.

Quand Phébus a son cerne fait en terre,

Et l'Océan il regagne à grand'erre ;

Sa sœur se montre avec son chef pointu.

Quand quelque temps le Parthe a combattu,

Il prend la fuite et son arc il desserre.

Un temps t'ai vu et consolé plaintif,

Et défiant de mon feu peu hâtif ;

Mais maintenant que tu m'as embrassée,

Et suis au point auquel tu me voulais,

Tu as ta flamme en quelque eau arrosée,

Et es plus froid qu'être je ne soulais.

Page 34: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 17

1555 Variante

Je fuis la ville, et temples, et tous lieux,

En prenant plaisir à t'entendre plaindre, (1)

Tu pus, et non sans force, me contraindre

De te donner ce qu’estimais le mieux.

Tous ces souvenirs me sont dangereux, (2)

Et rien sans toi de beau ne me puis peindre ;

Tant que, tâchant à ce désir éteindre,

Et un nouvel objet faire à mes yeux,

Et des pensers amoureux me distraire,

Des bois sombres suis le plus solitaire. (3)

Mais je te vois, ayant erré maint tour, (4)

Que si je veux de toi être délivre,

Il me convient hors de moi-même vivre ;

Ô sombre amour obtiendrais en retour (5)

Page 35: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 17

Notes(1) En prenant plaisir à t’entendre plaindreAssonance en [En] qui symbolise le plaisir de Louise Labé à écouter.Ici, Louise Labé ressent un certain contentement en entendant sonamant se plaindre. Plaindre n'a pas la connotation réelle du mot.

(2) Tous ces souvenirs me sont dangereux,Ici, « tous ses souvenirs » signifient qu'elle se remémore tous cesmoments passés avec son amant et cela lui est dangereux car ellen'a pas le droit de vouloir autre chose qu'un amour platonique.

(3) Des bois sombres suis le plus solitaire.Allitération en [S] qui symbolise le son du serpent qui serait présentdans les bois. Comme Louise Labé est seule et malheureuse, tout cequ'elle voit est obscur autour d'elle.

(4) Mais je te vois, ayant erré maint tour,Antithèse avec le vers précédent (« sombre ») qui fait que LouiseLabé ne peut que voir son amant qu'elle aime mais qui est la causede sa tristesse.

(5) Ô sombre amour obtiendrais en retourLouise Labé explique ici qu'en vivant hors d'elle-même, c'est-à-direen essayant de vivre sans lui, il lui faut cesser de vivre en dépendantde son amour pour Olivier de Magny. En vivant hors d'elle même,elle ne pourra plus obtenir un amour qui la comblerait autantqu'avec son amant.Répétition du mot « sombre » présent au vers 10

• s

Variante

Je fuis la ville, et temples, et tous lieux,

En prenant plaisir à t'entendre plaindre, (1)

Tu pus, et non sans force, me contraindre

De te donner ce qu’estimais le mieux.

Tous ces souvenirs me sont dangereux, (2)

Et rien sans toi de beau ne me puis peindre ;

Tant que, tâchant à ce désir éteindre,

Et un nouvel objet faire à mes yeux,

Et des pensers amoureux me distraire,

Des bois sombres suis le plus solitaire. (3)

Mais je te vois, ayant erré maint tour, (4)

Que si je veux de toi être délivre,

Il me convient hors de moi-même vivre ;

Ô sombre amour obtiendrais en retour (5)

Page 36: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 18

1555 Pas de variante

Baise m'encor, rebaise-moi et baise ;Donne m'en un de tes plus savoureux,Donne m'en un de tes plus amoureux :Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

Las, te plains tu ? çà, que ce mal j'apaise,En t'en donnant dix autres doucereux.Ainsi mêlant nos baisers tant heureuxJouissons nous l'un de l'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suivra.Chacun en sol et son ami vivra.Permets m'Amour penser quelque folie :

Toujours suis mal, vivant discrètement,Et ne me puis donner contentement,Si hors de moi ne fais quelque saillie.

Page 37: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 19

1555 Pas de variante

Diane étant en l'épaisseur d'un bois,

Après avoir mainte bête assénée,

Prenait le frais, de Nymphe couronnée.

J'allais rêvant, comme fais mainte fois

Sans y penser, quand j'ouïs une vois

Qui m'appela, disant : Nymphe étonnée,

Que ne t'es-tu vers Diane tournée ?

Et, me voyant sans arc et sans carquois :

Qu'as-tu trouvé, ô compagne en ta voie,

Qui de ton arc et flèches ait fait proie ?

- Je m'animai, réponds-je, à un passant,

Et lui jetai en vain toute mes flèches

Et l'arc après ; mais lui les ramassant

Et les tirant, me fit cent et cent brèches.

Page 38: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 20

1555 Pas de variante

Prédit me fut que devait fermement

Un jour aimer celui dont la figure

Me fut décrite ; et sans autre peinture

Le reconnus quand vis premièrement.

Puis le voyant aimer fatalement

Pitié je pris de sa triste aventure,

Et tellement je forçais ma nature,

Qu'autant que lui aimai ardentement.

Qui n'eût pensé qu'en faveur devait croître

Ce que le ciel et destins firent naître ?

Mais quand je vois si nubileux apprêts,

Vents si cruels et tant horrible orage,

Je crois qu'étaient les infernaux arrêts

Que de si loin m'ourdissaient ce naufrage.

Page 39: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 21

1555 Variante

Quelle grandeur rend l'homme détestable ?

Quelle grosseur ? quels cheveux et couleur ?

Qui est des yeux le plus emmielleur ?

Qui marque au fer cette plaie incurable ?

Quel chant est le plus à l'homme convenable ?

Qui plus pénètre en criant sa douleur ?

Qui un doux luth fait encore meilleur ?

Quel naturel est le plus amiable ?

Je ne voudrais savoir assurément,

Ayant Amour forcé mon jugement ;

Mais je sais bien, et de tant je m'assure,

Que tout le beau que l'on pourrait choisir,

et que tout l'art qui aide la Nature,

Aideraient seulement à mon plaisir.

Page 40: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 21Notes

« vénérable » « détestable »

Sens 1 : Peut-être L. Labé a choisit de remplacer le mot détestable par vénérable dans le but de présenter l'homme sous une carapace de sagesse, intouchable, imprenable et indomptable.

Sens 2 : Ce poème est une quête du désir masculin qui se solde par un échec, l'homme n'est plus vénérable mais détestable

« poil » « cheveu »

Sens 1 : Peut-être L. Labé à remplacé le mot « cheveu », référent directement à l'homme qu'elle aime par le mot « poil », faisant ici référence aux hommes en général.

Sens 2 : Ce « poil » renvoie aux poils de l'homme dont parle Louise dans ces poèmes, qui connote sûrement sa chevelure.

« fait plus tôt une » « marque au fer cette »

Sens 1 : Le passage « marqué au fer » aurait pu être remplacé par « fait plutôt une » car elle ne fut jamais aussi vite déçue que par les hommes , elle considère que l'homme est l'être qui déçoit le plus vite.

Sens 2 : Elle parle de l'homme qu'elle aime, qui lui a brisé le cœur, qui lui a infligé cette « plaie incurable »

« chantant » « criant »

Sens 1 : C'est dans le but de donner une dimension moqueuse a l'action que L. Labé a pu changer le verbe crier par le verbe chanter.

Sens 2 : Peut-être son bien aimé est rongé par un mal, un mal dont il lui fait part. Une action belle par sa confiance, le verbe crier accentuerait l'impression de douleur que ressent le bien aimé de L. Labé.

« le dire » « savoir »

Sens 1 : Elle réécrit ce passage dans le but de faire comprendre qu'elle ne veut pas abandonner, elle ne veut pas croire que son désir ne puisse s'accroître d'avantage.

Sens 2 : L.Labé ne veut pas savoir que le meilleur du monde ne pourrait que lui faire plaisir.

« ne me sauraient accroître mon désir » « aideraient seulement à mon plaisir »

Sens 1 : Elle fait passer un message : elle remplace « faire plaisir » par « mon désir », ce qui lui ferait plaisir serait d'accroître son désir.

Sens 2 : La beauté, l'art et la Nature ne la rendent plus heureuse, les choses matérielles sont à ses yeux artificielles

Variante

Quelle grandeur rend l'homme détestable ?

Quelle grosseur ? quels cheveux et couleur ?

Qui est des yeux le plus emmielleur ?

Qui marque au fer cette plaie incurable ?

Quel chant est le plus à l'homme convenable ?

Qui plus pénètre en criant sa douleur ?

Qui un doux luth fait encore meilleur ?

Quel naturel est le plus amiable ?

Je ne voudrais savoir assurément,

Ayant Amour forcé mon jugement ;

Mais je sais bien, et de tant je m'assure,

Que tout le beau que l'on pourrait choisir,

et que tout l'art qui aide la Nature,

Aideraient seulement à mon plaisir.

Page 41: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 22

1555 Pas de variante

Luisant Soleil, que tu es bienheureux

De voir toujours de t'Amie la face !

Et toi, sa sœur, qu'Endymion embrasse,

Tant te repais de miel amoureux !

Mars voit Vénus ; Mercure aventureux

De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;

Et Jupiter remarque en mainte place

Ses premiers ans plus gais et chaleureux.

Voilà du Ciel la puissante harmonie,

Qui les esprits divins ensemble lie ;

Mais s'ils avaient ce qu'ils aiment lointain,

Leur harmonie et ordre irrévocable

Se tournerait en erreur variable,

Et comme moi travaillerait en vain.

Page 42: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 23

1555 Variante

Las ! que me sert que si parfaitement

Louas jadis et ma tresse dorée

Et de mes yeux la beauté comparée

A deux Soleils, dont Amour finement

Tira les traits causes de mon tourment ?

Où êtes vous, pleurs de peu de durée ?

Et mort par qui devait être saluée (1)

Ta ferme amour et itéré serment ?

Doncques c'était le but de ta réglisse(2)

De me soumettre au joug malin du vice ? (3)

Pardonne-moi, Amant (4), à cette fois,

Etant outrée et de dépit et d'ire;

Mais je m'assur', quelque part que tu sois,

Que plus (5) que moi tu souffres de martyre.

Page 43: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 23

Notes

(1) Dans la version manuscrite apparaît le mot"saluée". On comprend que Louise Labé luiait préféré "honorée" pour l'allitération en[r] qu'il renforce et pour éviter laredondance qu'instaure le double sens de"saluée" (= valorisée, honorée mais la mort= le salut)

(2) Oups ! Lapsus révélateur... Visiblement,l'Amour n'aurait pas dû être la seulepréoccupation de Louise Labé, son estomac,probablement gargouillant, a voulu le luifaire savoir ! Sur la version manuscrite, lemot est raturé avec force, on comprendaisément que la Belle Cordière s'en veuilled'avoir laissé une trivialité telle que la faimvenir perturber sa poésie...

Variante

Las ! que me sert que si parfaitement

Louas jadis et ma tresse dorée

Et de mes yeux la beauté comparée

A deux Soleils, dont Amour finement

Tira les traits causes de mon tourment ?

Où êtes vous, pleurs de peu de durée ?

Et mort par qui devait être saluée (1)

Ta ferme amour et itéré serment ?

Doncques c'était le but de ta réglisse(2)

De me soumettre au joug malin du vice ? (3)

Pardonne-moi, Amant (4), à cette fois,

Etant outrée et de dépit et d'ire;

Mais je m'assur', quelque part que tu sois,

Que plus (5) que moi tu souffres de martyre.

Page 44: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 23

Notes (suite)

(3) Vers très obscur. Le mot "joug" connote unasservissement très fort, une relation où l'hommen'est pas maître mais le Maître. Louise Labé l'avite compris et a refusé de donner cette image làde la relation et d'elle-même. En outre, le mot misen valeur à la rime est étrange : "vice", comme sielle jugeait elle-même selon des principesreligieux son désir passé comme une faute, alorsque nous savons très bien que ce n'estabsolument pas le cas. Ou peut-être fait-elleréférence au fait d'accorder son attention, soncoeur et son désir à quelqu'un qui n'est que"regards détournés" ? De plus, du point de vue dessonorités, le vers de la version manuscritemontrait une allitération en [m] bien plus douceque celle, sifflante en [s] finalement choisie.Notre chère Louise Labé était apparemment bienfatiguée (peut-être était-ce la faute à toutes ces"noires nuits vainement attendues" ?),heureusement, une relecture a permis correction !

Variante

Las ! que me sert que si parfaitement

Louas jadis et ma tresse dorée

Et de mes yeux la beauté comparée

A deux Soleils, dont Amour finement

Tira les traits causes de mon tourment ?

Où êtes vous, pleurs de peu de durée ?

Et mort par qui devait être saluée (1)

Ta ferme amour et itéré serment ?

Doncques c'était le but de ta réglisse(2)

De me soumettre au joug malin du vice ? (3)

Pardonne-moi, Amant (4), à cette fois,

Etant outrée et de dépit et d'ire;

Mais je m'assur', quelque part que tu sois,

Que plus (5) que moi tu souffres de martyre.

Page 45: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 23

Notes (suite)

(4) Quitte à laisser la timidité derrière soi etclamer son amour, autant le faire jusqu'aubout ! La poétesse lyonnaise s'est ravisée,dans les tercets, il n'est plus questiond'amour mais de regrets empreints desouffrance, "Amant" n'avait clairement passa place ici.

(5) Louise Labé a manifestement aimé plus,désiré plus. Et elle veut sans doute ici voirl'homme passer du côté des "plus". Elle lui adonné l'opportunité de faire plus que"lou(er)" sa beauté, il l'a refusée, il doitmaintenant souffrir plus. Pour ce qui est dusens, les mots se tenaient et percutaientpeut-être davantage. Pourquoi les avoirchangés ? Peut-être pour faire apparaîtrel'allitération tranchante en [t] ? « Qu'autantque moi tu souffres de martyre. »

Variante

Las ! que me sert que si parfaitement

Louas jadis et ma tresse dorée

Et de mes yeux la beauté comparée

A deux Soleils, dont Amour finement

Tira les traits causes de mon tourment ?

Où êtes vous, pleurs de peu de durée ?

Et mort par qui devait être saluée (1)

Ta ferme amour et itéré serment ?

Doncques c'était le but de ta réglisse(2)

De me soumettre au joug malin du vice ? (3)

Pardonne-moi, Amant (4), à cette fois,

Etant outrée et de dépit et d'ire;

Mais je m'assur', quelque part que tu sois,

Que plus (5) que moi tu souffres de martyre.

Page 46: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 24

1555 Variante

Ne calomniez1, Dames, si j'ai aimé,

Si de moi, tourment2 de torches ardentes,

De misères déformées et d'amantes

Larmes ne démordent temps consumé,3

Las ! que mon nom n'en soit par vous blâmé.

Je manque, et les peines réconfortantes,

N'en aigrissez point leurs pointes méfiantes4,

M'enlacent, ô mon Amour bien aimé,

Sans votre ardeur d'un Volcan excuser,

Sans la beauté d'Adonis accuser,

Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses.

En ayant bien moins que moi de moyens5,

Et d'un intérêt plus fort que mien.

Et gardez-vous d'être plus malheureuses !

Page 47: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 24

Notes

1 Le mot qu'avait choisi Louise Labé à l'origineétait « reprenez », ici « calomniez » a étépréféré. Là où « reprenez » s'inscrivait dansune idée de lassitude, « calomniez » connoteplus l'accusation, c'est un verbe plus fort, quidonne ici à Louise Labé un aspect un peupitoyable, sûrement voulu donc.

2 A l'origine, Louise Labé avait écrit « mille »,qu'on retrouvait dans le vers suivant d'ailleursà deux reprises. Cette hyperbole comportantdes lettres comme le [m] et le [l] (des lettresalors délicieuses et fluides) était toujours suivied'un mot plus dur comportant des lettrescomme le [t] ou le [d] (des lettres marqués etbrèves). Ici Louise Labé préféra le mot« tourment », qui est aussi une hyperbole, etqui confère plus une idée de chaos, dedésordre mental lié aux peines causées parl'Amour.

Variante

Ne calomniez1, Dames, si j'ai aimé,

Si de moi, tourment2 de torches ardentes,

De misères déformées et d'amantes

Larmes ne démordent temps consumé,3

Las ! que mon nom n'en soit par vous blâmé.

Je manque, et les peines réconfortantes,

N'en aigrissez point leurs pointes méfiantes4,

M'enlacent, ô mon Amour bien aimé,

Sans votre ardeur d'un Volcan excuser,

Sans la beauté d'Adonis accuser,

Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses.

En ayant bien moins que moi de moyens5,

Et d'un intérêt plus fort que mien.

Et gardez-vous d'être plus malheureuses !

Page 48: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 24

Notes

3 Ici il est assez étonnant de constater que cesdeux derniers vers diffèrent totalement desvers pensés au début par Louise Labé. On ytrouve cependant des points communs. Ontrouvait à l'origine une allitération en [r] et [m],qu'on obsèrve plus facilement dans la versionmodifiée, deux lettres assez importantes pourLouise Labé qu'elle réussira à propager danstout son poème, des lettres présentes dans lemot « Amour » et « Mort », deux thèmesfortement présents dans son recueil deSonnets. On trouvait dans le sonnet originalune idée de morsure, ici on trouve le verbe« démordre » qui a un sens totalementdifférent, même si cette idée de morsure esttoujours à considérer, ici elle appuie surl'importance du temps qui passe, dessouvenirs.

Variante

Ne calomniez1, Dames, si j'ai aimé,

Si de moi, tourment2 de torches ardentes,

De misères déformées et d'amantes

Larmes ne démordent temps consumé,3

Las ! que mon nom n'en soit par vous blâmé.

Je manque, et les peines réconfortantes,

N'en aigrissez point leurs pointes méfiantes4,

M'enlacent, ô mon Amour bien aimé,

Sans votre ardeur d'un Volcan excuser,

Sans la beauté d'Adonis accuser,

Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses.

En ayant bien moins que moi de moyens5,

Et d'un intérêt plus fort que mien.

Et gardez-vous d'être plus malheureuses !

Page 49: Louise Labé - Sonnets (variantes)

Sonnet 24

Notes

4 Dans le sonnet original, Louise Labé avaitemployé l'adjectif « violentes », faisantpeut-être écho à « mordantes », unsynonyme tout aussi agressif, violent. LouiseLabé ayant préféré l'adjectif « méfiantes »,un hypallage intéressant marquant l'idéed'une relation malsaine vis à vis de cesDâmes, desquelles elle se méfie donc.

5 Avec de mot « moyen » Louise Labé préfèreun jeu de sonorités amusant avec larépétition du son « moi »

(parce que Louise avait aussi unsens de l'humour bien aiguisé...)

Variante

Ne calomniez1, Dames, si j'ai aimé,

Si de moi, tourment2 de torches ardentes,

De misères déformées et d'amantes

Larmes ne démordent temps consumé,3

Las ! que mon nom n'en soit par vous blâmé.

Je manque, et les peines réconfortantes,

N'en aigrissez point leurs pointes méfiantes4,

M'enlacent, ô mon Amour bien aimé,

Sans votre ardeur d'un Volcan excuser,

Sans la beauté d'Adonis accuser,

Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses.

En ayant bien moins que moi de moyens5,

Et d'un intérêt plus fort que mien.

Et gardez-vous d'être plus malheureuses !

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