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L’interaction 1 L’approche globaliste dans l’enseignement du français comme langue étrangère Résumé On décrit dans cette unité des manières d’enseigner, très répandues sans doute, pour l’enseignement du français comme langue étrangère. Elles constituent une démarche méthodologique à plein titre, même si elles n’entrent pas dans l’inventaire « officiel » des méthodologies constituées. C’est par rapport à celles-ci qu’on peut de situer l’essentiel de la production éditoriale actuelle et l’approche communicative. Sommaire 1. L’approche globaliste : caractéristiques générales 2. L’approche globaliste de l’enseignement des langues : caractéristiques socioéducatives 2.1. Approche globaliste et représentations sociales 2.2. L’approche globaliste et l’imprévu de la classe de langue 2.3. Modes de transmission 3. L’approche globaliste : caractéristiques méthodologiques

Seminaire beacco juin2011

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L’interaction

1

L’approche globaliste dans l’enseignement du français comme langue étrangère

Résumé On décrit dans cette unité des manières d’enseigner, très répandues sans doute, pour

l’enseignement du français comme langue étrangère. Elles constituent une démarche

méthodologique à plein titre, même si elles n’entrent pas dans l’inventaire « officiel » des

méthodologies constituées. C’est par rapport à celles-ci qu’on peut de situer l’essentiel de la

production éditoriale actuelle et l’approche communicative.

Sommaire

1. L’approche globaliste : caractéristiques générales

2. L’approche globaliste de l’enseignement des langues : caractéristiques socioéducatives

2.1. Approche globaliste et représentations sociales

2.2. L’approche globaliste et l’imprévu de la classe de langue

2.3. Modes de transmission

3. L’approche globaliste : caractéristiques méthodologiques

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2

L’approche globaliste dans l’enseignement du français comme langue étrangère

Selon nous, sont actuellement actives dans l’enseignement du français langue étrangère et

probablement dans celui des autres langues étrangères en France (sous réserve de vérification

empirique), deux approches méthodologiques, de statut inégal et contrasté, mais

incompatibles entre elles en tant que stratégies cohérentes pour structurer les enseignements :

• l’ approche globaliste, antérieurement désignée comme méthodologie circulante ou

ordinaire (au sens de répandue), n’est pas prise en compte dans les inventaires

historiques des méthodologies, probablement parce qu’on ne lui reconnaît pas le statut

de méthodologie, car elle n’a pas été théorisée, c’est-à-dire exposée de manière

argumentée dans les discours de la didactique les langues. Elle puise ses origines dans

les stratégies de type « grammaire traduction » ; elle a pris actuellement la forme de

l’approche par tâches, tenue pour une nouveauté et qui serait diffusée par le Cadre

(voir unité 10)

• l’ approche communicative interprétée ici comme approche par compétences, en

constitue l’interprétation la plus « forte » ou « haute ». Elle est tout à fait reconnue et

décrite depuis longtemps, mais elle n’a eu jusqu’ici, pour autant que l’on puisse en

juger, qu’une influence réduite sur les matériels et les pratiques d’enseignement : en

effet elle s’est « désagrégée », selon nous, pour le français langue étrangère et/ou en

France dans une pratique « faible » ou « basse » qui a été assimilée par l’approche

globaliste.

Notre propos n’est pas d’évaluer ces deux approches et d’en mesurer les mérites respectifs. En

premier lieu, parce qu’une évaluation de l’efficacité des méthodologies est une entreprise très

malaisée. Il s’avère aussi que les méthodologies d’enseignement classiques sont peu

comparables, parce que l’objet qu’elles visent n’est pas le même. Certaines se proposent

d'enseigner la compétence formelle, d’autres l'oral, d’autres la communication orale ou la

communication effective…

On décrira ci-après l’approche globaliste dans ses aspects généraux, puis à partir de

caractéristiques socioéducatives et techniques.

1. L’approche globaliste : caractéristiques générales

On avancera que l’identification de l’approche globaliste ordinaire est occultée par les

conceptions courantes mêmes de l’analyse des méthodologies, ce qui en explique l’absence

dans la description et l’histoire des méthodologies d’enseignement des langues. En effet, une

certaine histoire des méthodologies d’enseignement présente volontiers celles-ci comme se

succédant par périodes (voir unité 4.1.), la nouvelle venue rendant obsolète la précédente et la

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faisant disparaître. Or, on ne peut minimiser le fait que des pratiques d’enseignement inspirées

de différentes stratégies puissent coexister et se prolonger, même si les discours tendant à les

légitimer ont disparu. Cette forme d’histoire « naturelle » des méthodologies d’enseignement

empêche de percevoir une démarche stabilisée qui organise les enseignements de langue, mais

qui n’a été ni théorisée ni nommée. De plus, cette stratégie méthodologique a été conçue pour

présenter une cohérence interne faible, ce qui contribue à la rendre encore moins visible.

Mais cette approche globaliste est structurée et elle ne constitue donc pas un amalgame

instable de choix. En effet, on peut rencontrer, dans les manuels d’enseignement, des choix

qui forcent à coexister des éléments issus de méthodologies différentes : échantillon

communicatif exploité par des exercices structuraux, texte donné à lire mais dont

l'exploitation est centrée sur des régularités formelles situées dans le cadre de la phrase,

document à forte prégnance culturelle mais sollicité pour son lexique, perspectives

énonciatives sur la langue-cible prises en charge par des exercices à réponse fermée...

Au-delà de ces « mélanges » des méthodologies, on croit pouvoir constater une certaine

homogénéité méthodologique derrière la diversité des mises en scènes éditoriales (titre, mise

en page, illustrations, formes des séquences …) de chaque manuel et des rattachements

explicites à telle ou telle méthodologie. Plus de soixante manuels et matériels d’enseignement

pour le français langue étrangère (y compris les matériels « précoces ») ont été publiés en

France de 1981 à 2001, ce qui laisse à penser que leurs différences sont largement

cosmétiques, puisque dans cette période, aucune méthodologie nouvelle ne s’est constituée.

Mais le plus frappant est qu’ils présentent de fortes affinités qui permettent de postuler

l’existence d’une stratégie méthodologique partagée : l’approche globaliste.

Cette méthodologie de fond ne se caractérise pas par des choix techniques saillants, qui en

constitueraient les marqueurs. Elle procède d’un principe directeur, non propre aux

enseignements de langues : celui de la globalité.

Une telle stratégie d'ensemble se fonde sur le fait que « l'enfant vit globalement la réalité » et

que les dispositifs éducatifs donc sont à orienter dans le sens de « l'intégration des branches

(domaines séparés du savoir) ou (de) la concentration de la matière autour de thèmes

centraux ». Les activités d'enseignement s'ordonnent alors autour de « centres d'intérêt [...] La

matière comme telle n'est pas le point central, mais bien l'élève que l'on veut former dans sa

totalité par un large éventail d'activités.» (De Corte)1.

1 De Corte E. et al. (1990, trad. française, 2ème édition) : Les fondements de l’action didactique, De Boeck Université & Éditions universitaires, Bruxelles, p.128.

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Rapporté à la seule didactique des langues vivantes étrangères, ce principe conduit à ne pas

différencier les activités d’enseignement et l’objet d’enseignement lui-même.

La polyvalence constitue le principe de l’approche globaliste :

- polyvalence des objectifs et des finalités, qui se rapportent à un objet indifférencié, la

langue, comme à un tout qu’il s’agit de s’approprier quantitativement de manière

progressive ;

- polyvalence des échantillons qui illustrent, à partir un même support, des aspects très

différents de la langue cible (phonétique, syntaxe, culture…) ;

- polyvalence de la systématisation et polyvalence des exercices qui visent des savoirs

très différents (correction grammaticale, prononciation, communication orale…).

Les choix méthodologiques de l’approche globaliste sont donc caractérisés par l’absence de

recherche de cohérence interne, qui pourrait faire obstacle à la souplesse méthodologique. Le

fait que cette méthodologie soit fluide n’en fait pas pour autant un « tas » de techniques ne

méritant pas le nom de méthodologie, puisqu’on peut en définir tous les éléments.

2. L’approche globaliste de l’enseignement des langues : caractéristiques socioéducatives

L’approche globaliste n’est pas d’origine savante : elle ne s’est pas constituée dans le champ

de la didactique des langues, d’autant qu’elle lui préexiste. Elle n’est pas enseignée en tant

que telle dans les dispositifs de formation initiale et continue des enseignants et, donc, elle ne

reçoit pas de justifications explicites (ce qui ne signifie pas que celles-ci n’existent pas).

2.1. Approche globaliste et représentations sociales

En fait, cette méthodologie agit comme un ensemble de représentations, fondamentales mais

non uniformes, et elle constitue ainsi un cadre où viennent se modeler les attentes éducatives

d’apprenants partageant ces représentations et les pratiques ordinaires de l'enseignement. Elle

est, en ce sens, uniquement reconductible à la pratique ordinaire de l’enseignement qu’elle est

en mesure de structurer aux moindres coûts, puisqu’elle n’implique pas d’apprentissage et

qu’elle est peu contraignante.

Elle se fonde, plus largement, sur des représentations sociales des langues et de leur

enseignement, qui se donnent avec un certain caractère d'évidence. Dans une enquête sur le

choix des langues dans les systèmes éducatifs allemand et français2, on a mis, entre autres, en

évidence le degré de satisfaction des apprenants par rapport à la méthodologie

d’enseignement. On leur a proposé un questionnaire destiné à comprendre « ce qui manquait »

dans l’enseignement reçu. Pour cela, à côté d’activités définies très largement comme : faire

2 Candelier M. & Hermann-Brenecke G. (1993) : Etre le choix et l’abandon : les langues étrangères à l’école vues d’Allemagne et de France, Didier, Paris.

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du théâtre, contes et légendes…, on a retenu des entrées désignant des constituants

méthodologiques comme : conversation libre, lire des textes, apprendre du vocabulaire,

dictée… Il se trouve que la plupart correspondent à des composants possibles de la

méthodologie globaliste, ce qui illustre ainsi son caractère ordinaire, c’est-à-dire le fait qu’elle

est diffusée sous la forme de représentations sociales partagées. Cette méthodologie courante

est comme déjà-là, démarche « naturelle » d’enseignement qui s’impose avec une sorte

d’évidence.

2.2. L’approche globaliste et l’imprévu de la classe de langue

Si cette stratégie se transmet dans ces conditions, on peut attribuer cette rémanence au fait

qu’elle remplit au mieux certaines fonctions particulièrement sensibles dans l’enseignement.

Son économie générale semble dessinée pour permettre une gestion souple du cours de langue

qui se situe entre planification et improvisation. On avance en effet l’hypothèse que

l’audience de l’approche globaliste vient de ce qu’elle est adaptée à la prise en charge

l’imprévu de la classe de langue3.

On considérera que l'imprévu est constitutif de la classe de langue : les activités qui y

prennent place peuvent être préparées et programmées en termes d'objectifs immédiats, au

moins sous forme de « sujets à traiter ». Mais l'imprévu est omniprésent, non par accident

mais à cause de la plasticité même de l'objet d'enseignement, la langue, toujours polymorphe,

car toute la langue est potentiellement présente dans un seul énoncé, dont tous les aspects

(prononciation, intonation, syntaxe, propriété…) peuvent donner lieu à intervention

pédagogique. Et ce ne sont pas nécessairement, on s’en doute, ceux qu’il a été prévu

d’aborder. Dans l’interaction de classe, toute production d’apprenant peut se prêter à

intervention : à l’enseignant de décider si et comment intervenir. S’il décide d’intervenir, cette

activité de mise au point peut être légère ou plus consistante : correction en passant par

répétition de l’enseignant, correction par répétition mais soulignée (ce n’est pas tout à fait

comme ça qu’on dit), mise au point avec commentaire explicatif et autres exemples, activité

collective (sous forme d’exercices)…

Il en va de même des « explications » lexicales ou culturelles, qui d’un mot ou d’un

comportement social à l’autre peuvent entraîner fort loin du but assigné. A côté de la structure

hiérarchique d’une leçon4, existent des formes d’organisation possibles destinées à gérer les

réactions du groupe, qui peuvent se manifester soit sous forme de parenthèses (Revenons à

3 Cicurel F. (1989) : dossier « Echanges en classe : le rituel et l’imprévu », Reflets n°30, p. 19-25. 4 Voir les travaux de Cl. Germain (UQAM) dont (1990) : « La structure hiérarchique d’une leçon en classe de langue seconde », Bulletin ACLA vol. 12 n°2.

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nos moutons !), soit sous forme d’enchaînements successifs de commentaires et d’interactions

avec les apprenants qui éloignent progressivement des objectifs fixés, dérive que vient

souvent clore la fin du cours.

Cet imprévu de la classe de langue est ainsi transformé en bonnes occasions de mettre au

point, d'expliquer, de revenir en arrière, de préciser... , toutes constitutives de ces tactiques

spontanées ou improvisées en interaction avec le groupe-classe, qui font le quotidien de

l'enseignement. Tirer parti de ces circonstances de classe conduit à une « méthodologie de

l'occasion », qui intègre la navigation à vue : on pose ici que l’approche globaliste est, entre

autres, l'expression stabilisée de pratiques d’enseignement qui organisent les équilibres entre

improvisation et planification.

2.3. Modes de transmission

Les origines exactes de cette stratégie sont difficiles à dater avec précision. Mais il semble

bien qu’elle soit installée dans les pratiques effectives depuis la première moitié du XX°

siècle. Cette longévité, comparée aux méthodologies d’enseignement récentes et à la

multiplicité des manuels d’enseignement installe cette approche de l’enseignement dans la

longue durée, celle des comportements éducatifs et des cultures éducatives. Cet effet est

accentué par le fait que l’approche globaliste, qui privilégie encore volontiers les activités

centrées sur les acquisitions formelles, se rattache à l’approche grammaire-traduction qui

vient d’encore plus loin.

Ce statut contribue au fait qu’elle ne se transmet pas par un enseignement, mais qu’elle

semble héritée comme par tradition. Son mode de reproduction opère avant toute formation

professionnelle des enseignants : dans les classes de langue, où les futurs enseignants sont

d'abord élèves, ils y sont très probablement exposés pendant plusieurs années (une dizaine en

moyenne) en tant qu’apprenants de langues. C'est à travers une expérience de cette nature que

ces manières d’enseigner se transmettent, par imitation, et qu’elles demeurent présentes et

éventuellement actives au cours de la vie professionnelle ultérieure. Les formations

professionnelles structurées (dans les départements de langue et dans les filières français

langue étrangère en France) ne suffisent pas toujours à modifier ces représentations héritées.

Il apparaît que la méthodologie globaliste ordinaire constitue souvent le choix

méthodologique par défaut, parce qu’elle est plus familière et moins technique que d’autres

méthodologies d’enseignement. Interrogés sur « comment il faudrait enseigner les langues »5,

des étudiants spécialisés en langue étrangère mais qui se trouvent au début de leur formation

en didactique des langues, répondent :

5 Témoignages recueillis en 1992-93 auprès d’étudiants de licence français langue étrangère.

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• « [il ne faut] jamais parler dans sa langue maternelle ;

• « [il faut] qu’il y ait des activités de traduction » ;

• « [il faut] des explications importantes dans la langue des élèves » ;

• « [il faut] qu’il y ait autant de grammaire (exercices) que de textes dans lesquels on

trouve le vocabulaire inconnu et des règles de grammaire » ;

• « [il faut] un cours de langue qui fait une place égale à l’oral, à l’écrit, à la pratique, à

la compréhension ».

On trouve dans ces quelques assertions une terminologie bien installée, des échos de

méthodologies constituées (place de la langue maternelle) et des énoncés très précis (les deux

derniers, en particulier) qui renvoient à un ensemble de pratiques correspondant assez

largement à la méthodologie globaliste. Comme on l’a déjà souligné, celle-ci est là avant toute

formation professionnelle effective.

3. L’approche globaliste : caractéristiques méthodologiques

La méthodologie répondant au principe du globalisme tire essentiellement sa cohérence de la

conception de la langue comme une totalité et d’une stratégie de la polyvalence, c'est-à-dire

de souplesse et d'adaptabilité. Dans les matériels d’enseignement récents, pour apprenants

débutants ou de niveau intermédiaire (A1, A2 et B1), celle-ci se manifeste aux choix

méthodologiques suivants :

• les séquences didactiques y sont longues (elles peuvent occuper 6 à 10 pages et même

davantage) ; en tous cas, elles se développent sur plusieurs cours ;

• elles sont d'une cohésion d’ensemble faible : leur "unité" est le plus souvent de nature

« thématique » (la fête, Paris luxe, les Français et l'argent...), ceci a des fins de

motivation ;

• leurs constituants sont permutables et souvent facultatifs ;

• les objectifs annoncés sont nombreux et de nature différente ;

• elles sont souvent fondées sur un support-échantillon principal de bonne taille (une

demi-page et au-delà) qui est un dialogue (fabriqué), un texte (fabriqué ou

authentique) ou un document (affiche, publicité, dépliant promotionnel, extrait d’un

site Internet…), qui est situé en ouverture (mais il peut être précédé d'activités

préparatoires de mise en route, sensibilisation…) ;

• cet échantillon sert de point de départ à la plupart des activités de systématisation qui

suivent ;

• il est plutôt exploité de manière exhaustive, c’est-à-dire que la majeure part des

régularités qu’il présente fait l’objet de systématisation et que l’essentiel de son

lexique donne lieu à explications et activités ;

• les activités de compréhension se présentent essentiellement sous forme de questions

de compréhension (ouvertes, vrai/faux, QCM, recherche de mots clé…) ;

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• ces questions de compréhension peuvent déjà comprendre des activités de

systématisation ;

• les activités de systématisation "exploitent" le support dans de nombreux secteurs :

lexique, morphologie, fonctions, expressions de notions, syntaxe, graphie, correction

phonétique, dimensions culturelles... ;

• l'ordre des activités de systématisation est aléatoire et modifiable ; on peut ne pas

réaliser une activité prévue ou en ajouter une ou plusieurs, en fonction des besoins ;

• la cohésion entre les activités de systématisation n’est pas recherchée : on passe

facilement du lexique à une fonction discursive, par de la syntaxe ou de la

prononciation ;

• la cohésion entre le support et les activités qu'il suscite est faible. Bien souvent, elle

est de l'ordre du prétexte : il suffit, par exemple, de la présence d'une seule forme

verbale pour justifier une systématisation portant sur tout le paradigme ; ce

phénomène est particulièrement marqué dans le cas d'utilisation de supports

authentiques ;

• l’apport d’informations, dans le cadre de la systématisation, est très fréquent ;

• celles-ci concernent essentiellement les catégories morphosyntaxiques, la structure de

la phrase, les connecteurs ou les fonctions discursives (formes de réalisation et

indications sur leurs conditions d’emploi)

• elles sont présentées sous forme de tableaux ou reçoivent une forme discursive ;

• l'accent y est mis sur l'acquisition des compétences formelles (morphologie et syntaxe

de la phrase de base) ;

• les activités dominantes se présentent sous forme d’exercices, souvent à réponse

fermée ;

• les exercices peuvent être de type « communicatif », c’est-à-dire concerner les

fonctions discursives (réalisations de celles-ci surtout à l’oral ou dans les écrits

personnels, familiers…) ;

• on y fait un large usage de l'exercice à trous, manifestation locale la plus claire de la

polyvalence, puisque cette forme de systématisation se prête à tout, même si l'on

ignore largement la nature des processus d'apprentissage qu'elle déclenche ;

• les connaissances et compétences de nature culturelle sont abordées en fin de

séquence, le plus souvent, dans une section identifiée comme telle ;

• celles-ci ont pour finalité l’apport d’informations sur la vie quotidienne, la société

(histoire, géographie, plus rarement économie, sociologie, anthropologie…)

comportent du matériel iconographique, pour lequel, le plus souvent, aucune

exploitation n’est suggérée ;

• celles-ci servent aussi, largement, à des activités d’acquisition lexicale ;

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• ces séquences sont souvent clôturées par des activités réputées ludiques : mots croisés,

mots fléchés, devinettes, charades, activités manuelles, tests « psychologiques » (Es-tu

du matin ou du soir ? ), dessin humoristiques, chansons, comptines, poèmes…

L’approche globaliste est probablement à l’œuvre dans les méthodes et manuels

d’enseignement où les séquences d’enseignement adoptent le même schéma d’organisation :

1) échantillon (dialogue fabriqué, accompagné d’illustrations) ;

2) questions de compréhension (à réponse fermée) ;

3) apport d'information métalinguistique, sous forme de règles, séries d’exemples, tableaux…,

4) activités de systématisation grammaticale, sous forme d’exercices ;

5) production (ouverte, mais sans modèle) ;

6) éléments de « civilisation » ;

les activités 4) et 5) étant les plus développées.

Une variante classique de cette stratégie se manifeste sous la forme voisine, souvent pour des

niveaux de compétence plus avancés :

1) lecture silencieuse et/ou lecture à haute voix par l’enseignant et/ou les apprenants, d’un

échantillon écrit, qui est souvent un extrait littéraire, en prose, ou un texte extrait des médias ;

2) questions (orales et écrites) de compréhension, qui sont en même temps des formes

d'évaluation des connaissances acquises et l'occasion d'apports d'informations dans tous les

secteurs de la compétence langagière et culturelle ;

3) discussion collective sur les textes (réactions aux informations, discussion des opinions

exprimées, analyse stylistique…) ;

4) production d'un texte, de forme peu contrainte, du type rédaction/essay/tema/texte libre, en

relation avec le thème central abordé dans le support.

Ces démarches sont si banales qu’elles semblent naturelles, comme on l’a déjà dit.

L’approche globaliste conforte l’idée reçue répandue qu’il n’y a finalement pas nombreuses

manières d’enseigner les langues et que les différences entre les manuels ne sont que de

surface. Au fond, l’enseignement est tributaire d’un programme morphosyntaxique et lexical

pensé comme immuable, car il convient de commencer par le plus simple ou le plus utile :

pour le français, les articles définis, le présent de l'indicatif des verbes en -er..., le verbe

être…, saluer, se présenter, demander et donner des informations sur soi…

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La permanence de l’approche globaliste est donc le produit de l’inertie propre aux comportements culturels, mais elle est aussi la conséquence de sa capacité constitutive à

s’adapter aux évolutions. Il est, en effet, plausible de considérer qu'une telle méthodologie de référence qui est délibérément peu cohésive, se trouve d'autant plus malléable et malaisée à transformer qu'elle n'offre pas de résistance frontale. Elle est toujours en mesure d'absorber des constituants méthodologiques et des techniques, isolées ou provenant d’autres méthodologies constituées, sans que ses principes et sa

propre organisation interne en soient pour autant remis en question. Elle a pu s’incorporer, par exemple, les exercices structuraux, l’approche sémique du lexique, la

méthode verbo-tonale, les activités de créativité, la notion de fonction (ou acte de langage) et des activités dites interculturelles. L’approche globaliste n’est pas une

orthodoxie méthodologique et elle est ouverte à bien des métissages, qui la transforment mais n’en modifient pas les principes fondateurs. Séminaire Séoul

Beacco juin 2011 Vous élaborerez une séquence d’enseignement à partir du support suivant (production écrite, niveau B1, cours de langue pour français LVE2, cycle secondaire en Europe) : Jumilhac-le-Grand (1500 habitants) À 58 km de Périgueux, le village se développe autour du grand marché rectangulaire. En face du marché, surgit l’ensemble ancien du château et de l’église. Au début du siècle, Jumilhac était célèbre pour ses foires aux porcs. Encore aujourd’hui, on y élève des porcs, des veaux et des moutons, mais les foires ont disparu. Le château du Jumilhac a été construit entre le XIVe et le XVIIIe siècles. Si on le regarde du sommet de la place, il apparaît comme un château de légende, perché sur un rocher, dans un site unique. Ses toits sont une vraie explosion de fantaisie avec leurs nombreuses tours et cheminées. L’église voisine, avec son clocher octogonal roman, est l’ancienne chapelle du château. Centuri (235 habitants) On y arrive par la départementale 80. Le long de cette route qui descend des montagnes entre les arbres, il apparaît d’abord la mer, puis les silhouettes des anciens moulins, enfin, quelques maisons et, au bout, l’un des ports de pêche les plus exceptionnels du cap Corse. La mer aux eaux transparentes, avec ses fonds sous-marins riches de poissons, est d’une extraordinaire beauté. Petit, authentique, avec ses toits de serpentine verte (la pierre de la région), Centuri est le premier port français de pêche à la langouste, très fréquenté l’été, en particulier par des vedettes du showbiz.

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L’interaction

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Séminaire Séoul Beacco juin 2011 Vous élaborerez une séquence d’enseignement à partir du support suivant (interaction orale, niveau A1, cours de langue pour français LVE2, cycle secondaire en Europe) :

Au kiosque

(Blandine et Laurent sont de jeunes collocataires, étudiants à Paris) (Dimanche matin, kiosque à journaux) Blandine Bonjour Madame ! Je voudrais Zurban, s’il vous plaît Vendeuse Là, à gauche, à côté du Journal du dimanche. Blandine C’est combien déjà ? Vendeuse Un euro. C’est pas cher pour cent pages ! Blandine Et il y a plein d’idées pour les dimanches ! (de retour dans l’appart) Blandine Il y a un marché solidaire dans le Marais, avec Artisans du monde. Laurent Oui ! On va voir ? Blandine D’accord, maintenant. Laurent Super ! Couscous, frites et tortillas !

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L’approche communicative dans l’enseignement du français langue étrangère : les séquences d’IO

Sommaire

1. L’activation de la compétence interactionnelle de l'apprenant

2. Les échantillons d’interaction orale

3. L’exposition aux échantillons d’interaction orale

4. Le guidage de la compréhension des échantillons d’interaction orale

5. La systématisation de la compétence d’interaction orale

5.1. Activités en relation avec les descriptions des interactions orales

5.2. Les exercices d’interaction orale

• Activités de reconnaissance

• Activités de production à partir de scénarios de conversations

6. Le réinvestissement : la production d’interactions

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13

L’approche communicative dans l’enseignement du français langue étrangère : les séquences d’IO

1. L’activation de la compétence interactionnelle de l'apprenant

Des activités préalables à l’apprentissage de l’interaction peuvent porter sur la prise de conscience du

fonctionnement de celle-ci dans la langue-cible, à partir de l’expérience de la communication qu’ont les

apprenants dans leur langue première ou dans une langue maîtrisée à un niveau significatif (au moins B1). Cette

sensibilisation concerne leur compétence ethnolinguistique, comme capacité à identifier les normes et

régulations concernant les comportements communicatifs au sein de leur première communauté de

communication ou dans celle où est utilisée une langue acquise. Les normes et régulations communicatives de la

société où s’emploie la langue cible doivent être identifiées, et ceci peut s’effectuer, comme contrastivement, par

un retour au savoir-faire communicationnel des apprenants. Car, même si l’on ajoute foi à la lamentation rituelle

selon laquelle « les apprenants ne savent même pas leur langue maternelle », il est au moins indéniable qu’ils

communiquent avec succès par son truchement.

Cette activation des compétences communicationnelles/ethnolinguistique des apprenants peut s’effectuer au

moyen de partage d’informations relatives :

• à l’identification du genre d’interaction orale utilisé dans la communauté de communication de

l’apprenant qui correspond éventuellement ou qui présente des affinités avec celui constituant l'objectif

de la séquence en langue cible ; la prise de conscience des différences /ressemblances peut passer par

une analyse du nom de ces genres ;

• à l’identification des fonctions communicatives correspondant dans la communauté de communication

de l’apprenant à celles constituant l'objectif de la séquence en langue cible : là encore, la prise de

conscience des différences /ressemblance peut passer par une analyse du nom de ces actes de langage ;

• à la description sommaire par des apprenants des comportements verbaux et non verbaux attendus dans

ces situations de communication, s’ils en ont une expérience consistante dans la communauté de

communication de référence ;

• en particulier, à l’inventaire (indicatif) les formes linguistiques utilisées dans ces circonstances, qui

seront donc citées par les apprenants, paraphrasées, commentées ou traduites littéralement, de manière à

identifier le matériel verbal utilisé. La mise en place d’activités de ce type implique que les apprenant

sont en mesure de faire partager cette expérience de la communication (en particulier dans le cas de

groupes d’apprenants d’origines linguistiques et culturelles diverses) et/ou que les enseignants ont une

certaine connaissance de ces régulations communicatives ;

• à la description des conditions spécifiques d'emploi de ces formes (circonstances ou événements

particuliers), c’est-à-dire à celle des événements de communication dans lesquels ces genres discursifs,

ces actes de discours et ces formes de la langue sont considérés comme appropriés ;

• à la description des variations admises ou requises dans ce cadre, qui peuvent être par exemple de

nature intensive (saluer avec un respect plus ou moins marqué, demander avec plus ou moins

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L’interaction

14

d’insistance). Elles peuvent tenir à l’âge, au sexe, au degré de parenté ou de connaissance, à la position

hiérarchique mutuelle, à la fonction sociale, etc. des interactants ; il est important d’identifier au moins

la nature de ces facteurs de variabilité des interactions, qui peuvent être différents d’une communauté

de communication à l’autre.

Ces activités de sensibilisation ne constituent pas une fin en soi et elles ont intérêt à être brèves. Elles ont pour

rôle de situer les interactions qui vont faire l’objet d’activités d’enseignement, de construire des relations entre

l’expérience communicative acquise et celle en cours d’acquisition (pouvant aller jusqu’à fonder des

anticipations de la première vers la seconde) et de mettre en relief la nature culturelle de la communication.

2. Les échantillons d’interaction orale

Les activités d’enseignement prennent appui, dans les méthodologies contemporaines, sur des exemples des

productions visées. En ce qui concerne les interactions orales, les exemples ou échantillons utilisés sont rarement

« authentiques », au sens didactique, d’une part parce que leur collecte en vue de la réalisation de manuels

pourrait s’avérer longue et coûteuse, et d’autre part parce que des enregistrements réalisés en direct ne présentent

pas toutes les caractéristiques adéquates : par exemple, pour le niveau A1 du Cadre l’intervention visée en A1

doit être « lente et soigneusement articulée » et elle « comprend de longues pauses» ; même caractérisation pour

A2 où l’on expose les apprenants à des interventions avec «une diction claire et débit lent »6. Un extrait de

conversation téléphonique enregistrée, comme celui-ci, demande probablement quelques aménagements pour

son utilisation didactique :

[Une fille (F) et son père (P), au téléphone]

F- allo papa...ça va ?

P- oui avec le soleil

F- i(l) fait beau

P- il a fait beau toute la journée et y a eu un coucher de soleil splendide

F- ah c’est bien et i(l) fait pas froid

P- ah euh non non il a fait très bon7

[...]

Il est en effet trop « lent » ou répétitif dans la mesure où, pour l’enseignement, on a besoin d’exemples offrant

des réalisations d’actes de discours variés en peu de répliques. Et un « toilettage» formel s’impose probablement

pour la dernière réplique (ah euh non non). On comparera avec cet autre exemple, « fabriqué », tiré d’un des

premiers matériels d’enseignement communicatif du français8 :

[Deux amies, au téléphone]

R - Allô ?

F - Régine ? C’est Françoise.

R - Salut. Ça va ?

F - Oui, et toi ?

6 Cadre, p. 55. 7 D’après Traverso V. (2004) : Un exemple d’analyse d’un genre interactif oral : la conversation à bâtons rompus, dans Niveau B2 pour le français. Textes et références, Didier Paris, p. 160. 8 Weiss F. (1978) : En effeuillant la marguerite. Exercices d’entraînement à la compréhension et à l’expression orales, Langenscheidt-Hachette, München et Paris, p. 8.

Page 15: Seminaire beacco juin2011

L’interaction

15

R- Dis donc tu pourrais pas me prêter ta voiture ce soir ?

[...]

Cette conversation est imaginée pour être proposée telle quelle à l’enseignement. Sa destination pédagogique

commande un certain tempo qui fait passer rapidement du rituel d’ouverture à une demande de service. La

présence de ponctuation dans la « transcription » constitue un élément facilitateur de la compréhension.

Les conversations imaginées s’avèrent plus économiques: elles peuvent d’ailleurs être tout à fait vraisemblables,

car si l’on peut s’en prendre au caractère factice des « dialogues de méthodes », il ne faut pas perdre de vue que

ceux-ci, en particulier durant la période audio-visuelle, avait à gérer un programme grammatical qu’il fallait

mettre en scène de manière convaincante : il faut des trésors d’imagination pour imaginer un dialogue

vraisemblable, en 6 répliques, comportant 3 personnes du verbe faire au présent, les pronoms objets le/la et les,

un superlatif absolu et le lexique des transports.

La plupart des manuels ont recours à des échantillons d’interaction « fabriqués », qui n’en sont pas

nécessairement factices ou invraisemblables pour autant, puisque le cadre méthodologique n’est plus le même : il

ne s’agit plus d’enseigner la « grammaire » à travers des dialogues mais d’enseigner la communication

interactive en s’appuyant sur des exemples de conversations.

Pour donner un caractère d’oralité à ces échantillons vraisemblables, on dispose de moyens techniques comme le

recours :

- à des énoncés clivés (de forme : ma grand’mère, les confitures, elle les fait bien ; le sport, j’aime ça)

- à des mots-phrases (comme : merci, d’accord, super, pas possible...

- à quelques traits de la morphosyntaxe de l’oral (La soupe, j’aime pas ça ! Je te dis que ne n’aime pas ça ! ;

Nous, on va se promener...)

- à du lexique ordinaire

- à des énoncés « incomplets »

-à des interruptions entre locuteurs

[...]

Ces effets de réalisme oral peuvent être renforcés par le recours à des noms de lieux ou de personnes peu

stéréotypés, fréquents ou conventionnels dans les matériels d’enseignement (Paul vient de Paris vs Justin vient

de Draguignan ou encore Arnold vient de Crévecoeur-sur-Escaut).

3. L’exposition aux échantillons d’interaction orale

Une activité décisive est de faire entendre et comprendre les exemples de conversations retenus. Comme

l’objectif principal de ces séquences n’est pas la réception mais la production, on aura sans doute intérêt à

faciliter la compréhension des apprenants :

• en leur fournissant, sans doute dès la première écoute, la transcription ou la version écrite de la

conversation qui comporte des informations comme la segmentation en mots de la chaîne sonore et la

ponctuation ;

• en donnant des indications rapides sur la situation de communication, sous forme de didascalies (en

particulier : relations entre les interactants qui se connaissent ou non, sont ou non en situation

hiérarchique...) ;

Page 16: Seminaire beacco juin2011

L’interaction

16

• en accompagnant la transcription d’une représentation (dessin, photographie) des interactants, dans

l’environnement matériel où prend place la conversation (celle-ci peut s’y référer), si possible en plan

moyen, qui permet de représenter les expressions faciales ;

• en utilisant une version enregistrée en studio par des acteurs professionnels, ce qui autorise la

reconstitution d’ambiances sonores (bruits de la rue, annonces dans les lieux publics...), très importantes

pour l’approche globale de ces échantillons ;

• en proposant des exemples multiples (donc courts) pour laisser de la place à diverses actualisations d’un

même acte de langage (ou d’une même suite d’actes ou d’un même genre de conversation...) dont la

maîtrise est visée par la séquence. Cette technique, inaugurée pour le français, par la méthode Archipel9,

permet d’exposer les apprenants à des réalisations différant mais tenues pour équivalentes d’un même

acte de langage, des réalisations comparables d’un même acte ou à des réalisations comportant des

variations d’intensité (par exemple : donner une autorisation sans réserves : Bien sûr ou de mauvais gré:

Si tu y tiens...), des variations de formalité (forme/informel)... Cette multiplication (raisonnable) des

supports autorise probablement une meilleure perception par les apprenants des caractéristiques des

situations de communication concernées par la séquence et cherche à éviter un apprentissage

exclusivement centré sur la mémorisation d’énoncés, qui peuvent tendre à devenir des formules

stéréotypées saisies globalement et alors non plus productives pour des apprentissages ultérieurs.

4. Le guidage de la compréhension des échantillons d’interaction orale

Les conversations retenues comme support d’enseignement donnent lieu à des activités de compréhension.

Celles-ci seront présentées de manière plus détaillée ultérieurement (unités 12/13), car elles sont

substantiellement de même nature que celles utilisées pour la réception orale, à ceci près, cependant, que dans le

cas des interactions, la compréhension est au service de la production.

Les activités de compréhension qui pourront prendre des formes de consignes (recherche et élucidation

d’indices) sont destinées à assurer une compréhension globale des échanges verbaux à partir d’éléments, déjà

identifiés, comme :

• la transcription de la conversation et les illustrations qui l’accompagnent

• l’environnement sonore (bruits, musique...)

• le nombre des participants, leur âge (perceptible à la voix), leurs relations (didascalies)

• l’intonation des énoncés et leur valeur expressive, l’intensité sonore, qui constituent des indicateurs

potentiellement très révélateurs

• l’expérience communicative des apprenants dans une langue connue

La compréhension plus fine, réservée aux éléments linguistiques pertinents pour l’objectif de la séquence, se

fondera sur

• la reconnaissance d’éléments linguistiques identifiés

• des chaînes d’inférences réalisées à partir de ceux-ci (si on comprend terre, on peut chercher à deviner

la signification de tremblement de terre dans Tu as entendu ? Il y a eu un tremblement de terre au Chili,

9 Courtillon J., Raillard S. et al. (1982) : Archipel 1, Didier-Hatier international, Paris.

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L’interaction

17

surtout si l’on sollicite des connaissances encyclopédiques non linguistiques : le Chili est une zone

fortement sismique)

• la structure attendue des répliques

• des connecteurs comme : d'ailleurs, bon, bref…

• les répliques ou éléments de répliques déjà interprétés

• […]

Cet ensemble d’activités a pour rôle de faire élucider par les apprenants certains aspects de(s) échantillon(s), qui

constitue une condition et une forme de leur appropriation active.

5. La systématisation de la compétence d’interaction orale

On abordera dans cette section les activités d’enseignement à proprement parler qui ont pour finalité d’accroître

les compétences des apprenants dans leur gestion des interactions orales.

L’exposition à des exemples de conversations peut être considérée comme suffisante pour leur appropriation, au

moins provisoire. Les méthodologies classiques prévoient cependant de prolonger ce contact et de chercher à

ancrer cette appropriation par des activités de nature réflexive et par des formes systématiques d’entraînement à

l’interaction.

Cette systématisation (à distinguer de la systématisation formelle ou activités

« grammaticales »/métalinguistiques...) peut procéder par deux séries d’activités, centrées respectivement sur la

description des phénomènes conversationnels et sur la pratique systématisée de la conversation.

5.1. Activités en relation avec les descriptions des interactions orales

La description à usage pédagogique des conversations repose sur une transposition, à l’usage des apprenants, des

savoirs savants relatifs à celles-ci. Elle consiste en activités d’observation des échantillons et de mise en

évidence des régularités ou en apport d'informations métalinguistiques (sous formes de tableaux résumé) sur ces

régularités. Ces informations permettent d’adjoindre des éléments supplémentaires (par exemple, autre

réalisation d’un acte de langage, non présente dans l’échantillon) ou d’autres exemples que ceux figurant dans

les conversations échantillon.

Ainsi, à un niveau A2, aux trois conversations suivantes, on peut faire correspondre des explicitations et des

précisions comme celles figurant dans l’encadré :

Boucher - A qui le tour ?

1ère cliente - A moi ! Alors je voudrais...

2me cliente - Excusez moi, mais j’étais là avant vous. Je voudrais trois côtes d’agneau

Le boulanger - Et voilà une baguette bien cuite !

Le client - Non. Euh... excusez moi, mais elle est un peu trop cuite, celle-là.

Le fromager - Je suis désolé mais on ne peut pas fumer ici

Client - Oh ! Excusez-moi.

Page 18: Seminaire beacco juin2011

L’interaction

18

On notera que dans le tableau figurent une précision sur le comportement verbal attendu (on explique) et des

réalisations de l’excuse non présentes dans les échantillons (je m’excuse, désolé mais...

En complément à une conversation téléphonique entre amis portant sur les problèmes de couples et centrée sur

conseiller, on pourrait donner les informations descriptives suivantes (niveau B1)

Pour donner des conseils à quelqu’un que l’on connaît bien, on dit

Je te conseille de...

Tu pourrais ... (pouvoir au conditionnel)

Tu devrais (devoir au conditionnel)

Pourquoi ne pas (+ infinitif)

Et si tu faisais (si + imparfait)

Sors, va au cinéma (impératif)

Pour insister, on dit :

Tu le feras, n’est-ce pas ?

Pour accepter un conseil, on dit :

Oui, d’accord, bonne idée, tu as raison (donner son accord)

Je vais essayer (aller + infinitif)

Je le ferai (futur)

Les formes sont classées et accompagnées de précisions morphosyntaxiques, qui ne sont aucunement

indispensables. La réalisation de ces descriptions sous formes d’inventaires peut constituer une activité pour les

apprenants. Ceux peuvent aussi être invités à les commenter et à y réagir, en fonction de leur propre expérience

de la communication dans une des langues connues d’eux mais aussi par rapport à leurs acquis et connaissances

de la langue objet de l’enseignement.

5.2. Les exercices d’interaction orale

La systématisation peut aussi recevoir une autre forme, non exclusive de la précédente et éventuellement située

avant celle-ci, celles d’activités systématiques d’entraînement à l’interaction, que l’on nommera donc exercices

d’interaction ou de conversation. Ces activités sont apparues très tôt en français enseigné comme langue

étrangère, en particulier à partir des exercices de cette nature imaginés pour la méthode Archipel (déjà citée),

élaboré au sein du Crédif10. On peut en classer les formes suivant aux catégories : activités de reconnaissance et

activités de production sur scénario (ou trame ou canevas).

10 Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français, Ecole normale supérieure de Saint-Cloud.

Pour protester ou pour réclamer, on dit :

Je m’excuse, mais ...

Excusez-moi, mais ... (et on explique)

Je suis désolé, mais...

Désolé, mais...

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L’interaction

19

• Activités de reconnaissance

Ces activités se caractérisent par une absence de production verbale effective de la part des apprenants. Elles

sont probablement à proposer au début de ce cycle de la séquence d’enseignement, puisqu’elles prolongent la

description métalinguistique des régularités des conversations. Elles consistent à :

- faire identifier des réalisations d’un acte de langage dans une liste d’énoncés/répliques ;

- faire classifier/trier des réalisations de plusieurs actes dans une liste d’énoncés/répliques (limitée ou non à

ces actes) ;

- faire associer des situations de communication/des contextes (sommairement caractérisées) et des répliques

pouvant être appropriées dans les conversations correspondantes ;

- faire reconstituer de la dynamique d’une conversation, dont on donne toutes les répliques mais dans le

désordre (plusieurs dynamiques peuvent être plausibles) ;

- faire reconstituer de deux conversations dont les répliques sont mêlées et données dans le désordre ;

- faire compléter une conversation dont certaines répliques sont laissées vides par des répliques données

mais à sélectionner dans une liste ;

- [...]

De tels exercices sont probablement plus adaptés à des apprenants possédant encore peu de ressources verbales

ou relevant d’une culture éducative qui privilégie l’apprentissage par l’écrit ou l’absence de prise de risque

public (perte de face en classe).

• Activités de production à partir de scénarios de conversations

Les activités de production des apprenants s’effectuent de manière guidée, à l’aide de scénarios de conversations

(enregistrés et écrits) « à compléter ». Ces « conversations à trous » sont des artefacts pédagogiques qui ne

relèvent certes pas de l’appropriation naturelle. Mais elles présentent l’avantage d’autoriser un entraînement

progressif à l’interaction, dans lequel l’effort d’improvisation peu être dosée.

Ces exercices sont à l’évidence destinés à être réalisés par des paires d’apprenants. Ils supposent définir la

situation de communication (identité/rôle des participants, relations entre les participants...), toujours de manière

succincte, et d’utiliser comme indications pour les répliques à produire des informations diverses, comme par

exemple, des éléments lexicaux à utiliser ou le nom de la fonction organisant la réplique. On pourra aussi

privilégier la production de répliques réactives (en particulier pour les niveaux A1 et A2) ou celle de répliques

initiatives. Cet ensemble de paramètres est modulable et permet de construire de scénarios dans lesquels les

ressources cognitives communicationnelles et linguistiques des apprenants sont plus ou moins sollicitées : on

dispose de scénarios impliquant peu les apprenants si les répliques à produire sont peu nombreuses, réactives et

fléchées par une indication d’acte de parle à utiliser et d’autres (ceux où ne figure que la dernière réplique, par

exemple, sans aucune indication pour les précédentes) qui supposent, en principe et à ressources égales, une

mobilisation majeure des capacités langagières des apprenants.

Par exemple, dans une séquence centrée sur une conversation de service (acheter), voici un exercice (niveau A1

+) comportant uniquement des répliques réactives sans indication et une suggestion lexicale (roses):

[Fleuriste] Vendeuse- Bonjour !

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Vous - ... [roses]

Vendeuse - Combien ?

Vous - ...

Vendeuse - De quelle couleur ?

Vous - ...

Vendeuse - C’est pour vous ?

Vous - ...

Vendeuse : Voilà ! Ça fait 14 euros.

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L’interaction

1 1

La dernière réplique à produire suppose un certain type de savoir social (C’est pour vous ? = Je vous fait un

bouquet ?) et est susceptible de faire difficulté.

Cette autre activité (niveau A1) propose des éléments lexicaux à insérer une trame des répliques à compléter

(Conversation du lundi matin, lieu de travail)

A – Qu’est ce que tu as fait dimanche ?

B – J’ai... et j’ai... C’était... Et toi ?

A - Moi ? Oh, j’ai...

B – Ah bon !

(indications)

Dormir jusqu’à midi

Regarder le Grand prix

Ecouter des cd

Aller au supermarché

Ranger le garage

Repasser

La seconde réplique de A et la réaction de B impliquent que A a eu des activités peu agréables (Moi ? Oh ...).

L’exemple suivant (niveau A2) est encore plus « vidé » de suggestions :

[donner des explications, en 6 répliques : votre petite amie vous demande ce que vous faisiez avec sa copine

Isabelle dans le parc, hier)]

A - [demande d’explication]

B- [réponse vague]

A – [demande d’explication]

B- [explication]

A - Ah oui ?

B - ...

Cette trame comporte une réplique réalisée, à interpréter (5°), une autre sans aucune suggestion (6°) et les 4

premières contiennent des fléchages en actes de parole.

Cette technique permet d’exercer, empiriquement, un certain contrôle sur le degré d’improvisation auquel on

souhaite habituer les apprenants dans les interactions orales et de l’accroître à mesure que l’apprentissage

s’effectue. Cette forme de « progression » prend aussi appui sur la longueur de ces conversations : 2 à 10/12

répliques semblent constituer un format pédagogique réaliste, bien qu’éminemment variable selon les publics et

leurs acquis. On peut aussi jouer sur le temps laissé à la préparation de ces exercices de conversation ou sur le

fait que les apprenants notent par écrit ou mémorisent les productions créées. Au-delà de 10/12 répliques et avec

un temps de préparation très réduit, on retrouve la technique des jeux de rôle, improvisés à partir des échantillons

et/ou comportant une préparation portant essentiellement sur la morphosyntaxe.

D’autres activités conversationnelles systématiques sont à envisager, sans doute dès que les apprenants disposent

d’une capacité de créativité et de démultiplication par rapport au matériel verbal réduit dont ils disposent en

début d’apprentissage. En effet, les exercices précédent relèvent, dans leur majorité, de la reproduction ou de la

reformulation : cette dernière consiste à produire un énoncé réalisant globalement la même intention de

Page 22: Seminaire beacco juin2011

L’interaction

2 2

communication qu’un autre au moyen d’un matériel verbal différent. C’est ce à quoi tendent les référentiels par

langue qui recensent et classifient dans de mêmes catégories (acte de langage, notions générales...) des formes

données comme équivalentes, en termes pragmatiques ou sémantiques. Ainsi, proposer de faire à

quelqu’un/inviter peut se réaliser par des moyens aux effets comparables, comme : je t’invite à dîner..., et si on

allait dîner..., qu’est-ce que tu dirais d’aller dîner... ?. Ces exercices de variation « à sens égal » ne devraient pas

conduire à minimiser la perception d’autres variations toujours possibles, même à matériel verbal identique.

Celles-ci sont de nature différente :

• variations expressives portées par l’intonation. On soulignera, à cet égard, combien les activités

intonatives systématiques semblent peu présentes dans les matériaux d’enseignement des années 1980-

2000 (hors manuels spécialisés)11, alors que l’intonation est fortement porteuse sens ;

• variations d’intensité portées par l’intonation et/ou le matériel verbal ;

• variations dites de registre dans le Cadre 12, notion définie comme renvoyant «aux différences

systématiques entre les variétés de langue utilisées dans des contextes différents » ; dans l’exemple

retenu, on distingue plusieurs registres: officiel, formel, neutre, informel, familier, intime ;

• variations sociales et/ou régionales : on attend d’un utilisateur/apprenant au niveau B2 qu’ «il s’exprime

avec assurance, clairement et poliment dans un registre formel ou informel approprié à la situation et

aux personnes » ; au niveau C1, il doit « pouvoir suivre des films utilisant largement l’argot » et en C2

« il manifeste une bonne maîtrise des expressions idiomatiques et dialectales avec la conscience des

niveaux connotatifs de sens 13.

Ce répertoire variationnel devrait pouvoir être sollicité dans les relations que les locuteurs entretiennent avec le

contexte de communication sous forme de variations dites situationnelles, stylistiques..., lesquelles traduisent les

relations souples (ou instables) que le locuteur se propose de créer avec ses interlocuteurs, en fonction des enjeux

de l’interaction, de ses circonstances... et qui rétroagissent sur ses manières de dire.

Ces variations, qui caractérisent des compétences d’utilisateurs expérimentés, ne sont pas cependant aisées à

traduire en activités d’enseignement systématiques comme les précédentes, qui présupposeraient qu’il est

possible d’établir des équivalences terme à terme entre un énoncé « neutre » et d’autres tenus pour familiers,

intimes, ordinaires. Or, l’on sait qu’un même terme peut être investi des valeurs ambivalentes : le tutoiement est

un marqueur de familiarité mais aussi de distance/minoration (Tes papiers ! peut dire le représentant de la loi au

suspect qu’il contrôle).

Le domaine dans lequel le risque est moindre de donner une vision figée de la langue en niveaux cristallisés et

contrastés est probablement celui des activités de systématisation relatives à l’intonation. D’autant qu’en

français, la prosodie (accent, débit, rythme...) la prononciation (voyelles nasales, e muet... élision, faiblesse

articulatoire...) les liaisons et la morphophonologie constituent des éléments importants du matériel susceptible

de marquer des variations14. Le fait que les phénomènes intonatifs soient difficiles à décrire dans des termes

pédagogiques simples invite à privilégier des activités de reproduction intuitive, «à l’oreille », sans qu’il soit

11 Par exemple, Callamand M. (1973) : L’intonation expressive. Exercices systématiques de perfectionnement, col. Le français dans le monde/BELC, Hachette-Larousse ; Calbris G. & Montredon J. (1975) : Approche rythmique intonative et expressive du français langue étrangère, CLE international, Paris, (1980) : Oh là là ! Expression intonative et mimique, CLE international, Paris. 12 Cadre, p. 94. 13 Cadre, p. 95. 14 D’après Gadet F. (2003) : La variation sociale en français, col. L’essentiel, Ophrys, Gap et Paris, p. 44.

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L’interaction

3 3

besoin de solliciter une description explicite. Ces activités sont pertinentes à quelque niveau de maîtrise de la

langue que ce soit, puisque l’intonation a des fonctions syntaxiques (interrogatives, pause obligatoire dans les

énoncés clivés : les pommes, j’aime ça...) mais aussi implicatives15 (par exemple : approbation avec réserve,

impatience, lassitude, doute...). Ainsi, on peut exposer les apprenants à différentes formes de réactions (plus ou

moins fortes) à des explications comme dans les exemples suivants :

A – Et le pain ?

B – Oh ! J’ai oublié

A – Il y a des biscottes

A - Et ton devoir d’anglais ?

B – J’ai eu 3

A – Comment 3 ? C’est une plaisanterie !

A – Tu es en retard.

B - J’étais avec des amis.

A – Ah oui ! Et moi, j’attends.

On procèdera alors par écoute de ces échantillons et demande de reproduction.

Au terme de cette description, il convient de ne pas perdre de vue que les activités d’enseignement de la

conversation que nous venons de décrire relèvent de la systématisation et qu’elles interviennent entre

l’exposition aux échantillons, les descriptions explicites des régularités conversationnelles et la production à

proprement parler. Il est tout à fait concevable d’en faire l’économie et de passer directement des modèles, que

constituent les échantillons, à la production proprement dite, si les apprenants ne sont pas convaincus de la vertu

d’activités systématisées dans ce domaine.

6. Le réinvestissement : la production d’interactions

L’ensemble des activités précédentes a pour finalité la production de conversations par les apprenants. C’est ce

dont il sera question ici.

Si la description de cette dernière phase d’une séquence méthodologique pour l’interaction orale est relativement

brève, cela ne signifie aucunement que la durée de celle-ci doit être limitée. Bien au contraire, on aura intérêt à

y consacrer le plus de temps d’enseignement possible, le reste n’en constituant que la préparation.

La réalisation en classe de cette activité est assez peu technique, s’agissant effectivement d’une activité et non

d’exercices comme précédemment. La consigne comporte :

- les descriptions de la situation de communication : identité et fonction des interactants, finalité de la

conversation, objet de celle-ci, temps et lieu. Cette spécification pourra être plus ou moins complète ou

être entièrement laissée à la créativité des apprenants ;

15 Dans la terminologie de M.Léon (1964, Exercices de prononciation française 2, col. Le français dans le monde/BELC, Hachette-Larousse), au sens de « intonation [exprimant] une nuance, une idée, un aspect de la pensée qui n’est pas exprimé par le vocabulaire ou la syntaxe ».

Page 24: Seminaire beacco juin2011

L’interaction

4 4

- le nombre de répliques attendues ; on aura toujours intérêt à cadrer les productions attendues en donnant

une réplique devant figurer dans la conversation : ce sera une réplique centrale ou finale qui, davantage

qu’une réplique d’amorce, contraint davantage et permet donc de demeurer dans le cadre de l’objectif

prédisposé pour la séquence : il s’agit bien de créativité avec contraintes, mais ces dernières n’ont pas

uniquement un pouvoir de stimulation : on attend aussi d’elles qu’elles permettent de cibler le genre

discursif, les actes de parole ou les formes de leur réalisation visés par la séquence ;

- la durée de préparation : celle-ci pourra, elle aussi, tendre à décroître à mesure que l’on souhaite se

rapprocher de l’improvisation, qui constitue la condition de production normale des conversations, cette

réduction progressive dépendant de la familiarité des apprenants avec cette forme d’activité, de leur

expérience des situations de communication retenues, des ressources acquises dans la langue cible ;

- le mode de réalisation : l’idéal est sans doute de faire réaliser ces productions par paires d’apprenants,

pour encourager les activités collaboratives, et pour faciliter la production orale qui résultera de cette

préparation. On peut accepter que les apprenants notent par écrit, sommairement ou partiellement, les

résultas obtenus, ceci à des fins de mémorisation. Il doit demeurer clair que ces notes sont « privées »,

propres aux apprenants et qu’elles ne devraient servir de point de départ à aucune activité

méthodologique, puisque dans ce cas, on se trouverait dans le champ de la méthodologie de la

production écrite. Cette prise de notes peut, à son tour, être limitée voire non admise, si l’on souhaite se

rapprocher des conditions ordinaire des échanges conversationnels.

Le déroulement de l’activité elle-même est tout à fait connu :

- consigne (donnée oralement ou par écrit) ;

- constitution des paires (le cas échéant) ;

- préparation par les apprenants ;

- restitution au groupe-classe : l’enseignant demande à plusieurs groupes de faire part de leurs résultats,

en « jouant » la conversation produite ;

- réaction des autres apprenants : appréciation globale, propositions de remédiation ou suggestions ;

- réaction de l’enseignant : appréciation globale, propositions de remédiation sans activités de

systématisation formelle (c’est-à-dire par simple répétition de l’énoncé rectifié) ou suggestions portant

sur les contenus, la propriété des formulations, la vraisemblance... ;

- éventuellement, choix par le groupe classe des productions jugées les plus significatives, mise au point

finale, transcription et mémorisation par le groupe classe (par répétition collective).

Au terme de cette activité, on peut considérer la séquence consacrée à l’interaction orale comme close. Elle peut

cependant être méthodologiquement articulée à d’autres composantes : composante de systématisation formelle,

composante culturelle, selon des dynamiques variables dont il convient d’apprécier la pertinence en fonction des

objectifs de formation de l’institution et des enseignants, ainsi que la culture éducative de référence des

apprenants. En particulier, si l’on considère comme pertinent d’intégrer des éléments de systématisation formelle

dans une telle séquence, on sera sans doute amené à retenir une séquence du type :

- exposition à des échantillons de conversation

- compréhension de ces échantillons

Page 25: Seminaire beacco juin2011

L’interaction

5 5

- systématisation interactionnelle par apport d’informations descriptives

- systématisation interactionnelle au moyen d’exercices de conversation

- production par paires (1)

- systématisation formelle par apport d’informations descriptives

- systématisation formelle au moyen d’exercices morphosyntaxiques et lexicaux

- production (2)

- (autoévaluation ou évaluation, immédiate ou différée)

Ce schéma constitue une des armatures possibles d’une classe de langue centrée sur les compétences

d’interaction, mettant en œuvre les formes d’objectifs d’enseignement identifiées par le Cadre.

Les activités constitutives d’une méthodologie de l’interaction recensées dans ce chapitre ont surtout été décrites

en vue leur utilisation pour un enseignement visant l’interaction orale. Nous avons souligné cependant que les

technologies de la communication ont largement popularisé des modes d’interaction écrite, en temps réel à

travers les échanges par Internet ou par téléphone (SMS16) et que ces interactions écrites semblaient présenter

des affinités avec les interactions face-à-face, à savoir celui de l’immédiateté et donc de l’improvisation.

Certaines de ces interactions écrites ne s’apparentent pas à des interactions, quand elles consistent en échanges

de SMS, où l’on se trouve plutôt devant des formes compactées de courrier. Leur utilisation en didactique,

envisager de manière simulée, relève alors largement de la méthodologie de la production écrite. Ces écrits, le

plus souvent à usage privé, relèvent potentiellement de normes sociolinguistiques plus souples, en particulier en

ce qui concerne la syntaxe et surtout la graphie, comme en témoigne l’emploi répandu de la graphie intuitive,

intégrée aux appareils téléphoniques par les opérateurs commerciaux. On pourrait raisonner de la même manière

pour les chats, tant qu’ils ont utilisés de manière simulée (par exemple, en Intranet entre les apprenants du

groupe classe). Leur emploi en dimension réelle, par exemple avec des correspondants distants apprenants eux-

mêmes ou non, entre certainement dans le cadre d’une pédagogie du projet, celui-ci fonctionnant comme

contexte global pour les échanges, déterminé pour la durée du projet. Dans ce cas, ces productions verbales

interactives ont pour fonction essentielle la réussite de la communication et non sa forme. Celle-ci sera l’objet de

mises au point a posteriori, individuelles ou collectives, comme pour les échanges oraux suscités en classe par

les moyens méthodologiques recensés et regroupés dans cette unité.

16 Abréviation de Short Message Service

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6 6

Les dimensions culturelles de l’enseignement/apprentissage des langues (2) :

la composante interprétative

Résumé

La composante interprétative est probablement celle qui peut être le plus facilement utilisée

dans les enseignements, quelles que soient les caractéristiques de la situation éducative. Elle

se fonde sur le fait que les contacts entre communautés culturelles (hormis les contacts

directs) reposent essentiellement sur des connaissances et à des informations relatives à ces

communautés, qui sont transmises sous formes de textes. La compréhension et l’utilisation de

ces connaissances supposent des compétences linguistiques (réception écrite et orale) qui

conviennent aux classes de langue, mais elles mettent aussi en jeu des capacités d’analyse,

d’évaluation et de distanciation critique, qui relèvent de l’éducation interculturelle.

Sommaire

1. La compétence interprétative comme compétence de l’acteur social

2.. Objectifs pour le développement de la compétence interprétative des apprenants

3. Compétence interprétative et discours : quels supports pour l’enseignement ?

4. Formes de la connaissance sociétale : les discours sociaux

4.1. Les discours de témoignage des acteurs sociaux

4.2. Les discours des médias autour de l’événement

4.3. Les discours des sciences sociales

4.4. Séries d’indices et interprétations

4.5. Typologie des supports pour les activités relevant de la compétence interprétative

4.6. Activités interprétatives

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L’interaction

7 7

Les dimensions culturelles de l’enseignement/apprentissage des langues (2) :

la composante interprétative

Entre la connaissance culturelle conçue ordinairement comme une acquisition de

connaissances (y compris dans les activités de comparaison) et une éducation interculturelle

où importe principalement la prise de conscience, il y a sans doute des "solutions"

intermédiaires, moins foncièrement incompatibles avec les pratiques d’enseignement

ordinaires et qui viendraient enrichir le répertoire de démarches méthodologiques disponibles.

La composante interprétative pourrait remplir cette fonction.

1. La compétence interprétative comme compétence de l’acteur social

On posera, à titre d'hypothèse opératoire, que chaque membre d'une communauté sociale-

culturelle dispose, à des degrés très divers, d'un savoir-faire pratique qui organise ses

comportements quotidiens ordinaires mais aussi d'une compétence interprétative qui le met en

mesure de "comprendre" certains éléments de son environnement immédiat.

Il pourra ainsi être capable, par exemple, de "lire" un paysage, un environnement urbain, de

situer une personne, inconnue de lui, à son aspect vestimentaire, à sa prononciation, à son

comportement gestuel, aux quelques mots qu'il prononcera ou à l'opinion qu'il soutiendra.

Cette capacité à situer ou à repérer un élément social isolé et à lui donner un sens comporte

des marges d'erreur considérables, dues en particulier aux "masques" dont la réalité peut se

parer et aux représentations sociales. Mais, quelle que soit la "vérité" de l'interprétation ainsi

produite, dans un tel processus l’acteur social traite des indices, qu’il prélève lui-même pour

en tirer des conclusions, lesquelles prennent la forme d'une connaissance ou confirment une

connaissance/représentation établie. Certes, le prélèvement des indices n'est pas systématique

et les processus d'interprétation sont sans doute mal contrôlés, mais il n'en demeure pas moins

qu'il s'agit là d'un processus de prélèvement et de traitement de données.

Il n'en va pas différemment quand on exerce cette compétence sur des objets qui sont

inconnus parce qu'ils appartiennent à ensemble culturel étranger. En effet, quand on revient

d'un voyage touristique à l'étranger, on se trouve disposer d'un savoir qui permet de tenir des

discours, d'expliquer, de décrire, de juger, d'apprécier : cette connaissance peut n'être que la

reproduction des stéréotypes initiaux que le contact direct avec la réalité n'a pas remis en

question. Elle peut s'être fondée en partie sur une expérience directe, qui donne alors lieu à

interprétation : conversations où des informations s'échangent, détails de la vie quotidienne

saisis au vol mais non toujours déchiffrés, écrits de la rue (panneaux indicateurs, publicités,

slogans politiques ou tags, titres de quotidiens vaguement interprétés), détails des

comportements quotidiens, habitudes "surprenantes" des "locaux"... A cette observation

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L’interaction

8 8

immédiate, disparate et non systématique peut venir s'adjoindre du savoir de synthèse, fourni

par les guides touristiques qui, à côté d'informations pratiques, ne manquent pas de proposer

des exposés géographiques, historiques ou culturels, censés éclairer le touriste. Observation

directe, savoir encyclopédique venu d'ailleurs, représentations initiales, perspicacité sociale et

culturelle, autant d'éléments qui sont mis en jeu et qui finissent par produire, dans des

amalgames complexes, de nouvelles connaissances ou de nouvelles représentations.

Ce processus, qui ne relève pas d'une éducation systématique, est présent et, pour ainsi dire,

disponible pour l’enseignement des langues : c'est cette compétence que l'on peut se proposer

d'affiner ou de faire émerger à la conscience des apprenants.

La compétence interprétative est une compétence sociale indépendante de la langue/du

répertoire linguistique de l’acteur social, mais elle peut être sollicitée dans l’enseignement des

langues.

2. Objectifs pour le développement de la compétence interprétative des apprenants

Développer cette compétence à produire du savoir social consiste :

- à activer la prise de conscience des mécanismes de production du savoir social : celui-ci

permet à chacun de s'orienter dans sa propre culture où tout n'est pas donné à lire directement

et, à plus forte raison, dans une culture étrangère ; il permet de donner du sens à des propos,

des attitudes, des discours d'autrui, des événements...

- à transposer cette sur compétence une culture autre, ce qui suppose à la fois l'accès à des

connaissances de cadrage, qui assurent des repérages, et une expérimentation de cette

compétence appliquée à de nouveaux objets, dans l'espace de la classe.

Si l’on spécifie ces finalités éducatives, on peut les traduire en capacités à observer la réalité

sociale telles que :

• repérer des indices pertinents ;

• mettre ces indices et d’autres observations ponctuelles en corrélation, de manière à les

traiter et à leur donner du sens ;

• faire la distinction entre événements ou faits sans signification autre qu’accidentelle

pour la communauté cible et ceux faisant sens dans celle-ci ;

• identifier les connaissances et informations nécessaires et disponibles pour vérifier ou

approfondir ses propres interprétations ;

• identifier et utiliser les sources d’informations pertinentes (écrites, en particulier) ;

• distinguer la nature et la portée des informations, en fonction de leurs conditions de

production et des enjeux auxquels elles sont susceptibles de répondre ;

• établir des comparaisons en ayant conscience de la difficulté de mettre en regard des

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L’interaction

9 9

réalités qui peuvent ne pas être comparables (même si elles sont matériellement

identiques) ;

• être conscient des limites de toute généralisation « nationale », en ce que les

communautés nationales ne sont pas homogènes ;

Par ailleurs, deux orientations interprétatives sont disponibles pour l’organisation

méthodologique des enseignements :

• interpréter les faits sociaux en adoptant les critères interprétatifs utilisés au sein de la

communauté concernée (en les repérant par rapport aux cadres de référence sociale

des membres de la communauté) ;

• interpréter les faits sociaux en fonction de sa propre expérience, de ses connaissances,

de ses valeurs et croyances, de l’extérieur, mais au-delà de réactions ethnocentriques

non contrôlées. Celle-ci constitue la dimension interculturelle de cette approche

méthodologique.

La première relève de la connaissance des sociétés, la seconde de la composante

interculturelle mais elles se complètent, les interprétations personnelles des apprenants

constituant alors une réaction possible aux interprétations « internes » qui n’en sont pas pour

autant plus « vraies ». Le développement des capacités interprétatives peut être recherché

pour lui-même mais aussi pour permettre à l’utilisateur/apprenant :

• de fonder ses propres connaissances ;

• de prévoir et d’identifier les zones potentielles de dysfonctionnement interculturel (en

particulier, les points de vue strictement ethnocentriques) susceptibles de susciter des formes

de non compréhension ou de mauvaise compréhension mutuelle, de désaccords ou

divergences idéologique et politique ou d’adhésion et de convergence non critiques ;

• de gérer ces phénomènes, en particulier dans les interactions orales interculturelles, en tant

que médiateur et non exclusivement de son propre point de vue, pour éviter la production ou

la cristallisation de conflictualités personnelles et pour demeurer dans le cadre de la

bienveillance démocratique.

3. Compétence interprétative et discours : quels supports pour l’enseignement ?

Une langue est ainsi aisément transposable-transportable mais une culture étrangère ne l'est

pas. On ne peut en introduire en classe que des simulacres, des bribes, des extraits arrachés au

quotidien, des images et, surtout, des discours. Pour créer un contact culturel dans de telles

situations d'enseignement, on ne peut donc avoir recours qu'à des documents : la culture, ce

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L’interaction

10 10

sont alors des mots et des images, uniquement. Les apprenants sont placés devant des discours

ou des documents qui donnent lieu à des commentaires.

Il est alors indispensable d'utiliser des documents « authentiques », qui sont précisément dotés

d'une certaine présence sociale car ils sont « situés » dans la mesure où ils n’ont pas été

conçus à des fins d'enseignement : ils servent ou ont servi à la communication effective dans

une société et sont donc porteurs d’enjeux sociaux. Mais document authentique n'est guère un

concept opératoire, puisqu’il désigne globalement, au sein d'oppositions binaires simplistes

(authentique vs pédagogique ou fabriqué, c'est-à-dire, en fait, vrai vs faux), tous les documents

langagiers et iconiques. Il n'est d'aucune utilité pratique quand il s'agit de sélectionner des

documents à introduire dans l'enseignement. Sélectionner des documents parce qu'ils sont

authentiques ne permet pas de résoudre comme par enchantement le problème de leur

représentativité. On se trouve ainsi pris entres les excès de la généralisation et l'émiettement

introduit par des documents authentiques mais disparates : la tentation est toujours forte de

créer un « effet de réel » en classe au moyen de ticket de métro, billet de banque, carte

météorologique, carte administrative, fait divers, sondage d'opinion, résultats des élections,

propos tenus par le Président de la République, indices économiques, dessin humoristique,

affiche publicitaire, programme de télévision...

4. Formes de la connaissance sociétale : les discours sociaux

Il est donc nécessaire de disposer de critères opérationnels permettant de choisir des supports

d’enseignement adaptés à la composante interprétative. Pour ce faire, on partira du fait que les

connaissances concernant une société (ou savoir social) ont des origines multiples, plus

nombreuses, par exemple, que celles relatives au savoir mathématique qui ne sont produites

que par… des mathématiciens. Elles reçoivent donc des formes discursives différentes,

identifiables en genres de discours, même s’il n’existe pas de correspondance biunivoque

« automatique » entre un genre de discours et une forme de la connaissance sociale, d’autant

que les discours se reprennent les uns les autres, dans des intertextualités complexes : citation,

reprise polémique, allusions, détournement, simplification, modalisation… On pose

cependant qu’il existe des discours de référence qui associent assez systématiquement une

forme de la connaissance sociétale et un genre discursif : nous nommerons ces catégories de

référence discours sociaux.

Les discours relatifs à la société émanent des acteurs sociaux eux-mêmes qui peuvent

intervenir dans tout débat de société, de manière privée ou avec un relais médiatique

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L’interaction

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(interview-trottoir, débat télévisuel, lettres des lecteurs à un quotidien, citations dans les

reportages, mémoires, souvenir, déclarations...) : chaque citoyen est source de discours et de

connaissance sociale qui procèdent de son expérience et ses convictions.

A l’autre bout de la chaîne, le savoir social est produit au sein de disciplines scientifiques,

nombreuses, regroupées sous la dénomination, de sciences humaines, sociales et économiques

: histoire, démographie, géographie, économie, sociologie, anthropologie… Mais ces

connaissances sont aussi diffusées vers l'extérieur (diffusion des connaissances à travers des

périodiques spécialisés ou non : La recherche, Science et vie, L'Histoire...) ou stockées dans

des manuels d'enseignement, des encyclopédies...

Les discours sociaux ont donc des origines institutionnelles multiples et sont de statuts

épistémologiques différents : opinions, représentations non contrôlées, savoir d’expérience,

connaissances constituées à partir de méthodologies descriptibles, savoirs falsifiables ou non..

Nous nous en tiendrons à quelques-uns qui constituent des « sources » de supports

d’enseignement particulièrement utilisables.

4.1. Les discours de témoignage des acteurs sociaux

En classe de langue peuvent en effet être présents, comme supports pour l’enseignement, des

discours émanant des personnes directement impliquées dans des événements, concernées par

une mesure politique ou administrative, des responsables de groupements associatifs, des

politiques, des experts, des témoins, de simples spectateurs. Tous ces sujets sociaux entendent

livrer leur expérience et apporter un témoignage sur leur condition, expliquer leur point de

vue sur une question professionnelle, locale, sociale, morale, qui les concerne au premier chef

ou indirectement. Ils parlent en leur nom mais aussi au nom d'autres qu'eux, qu'ils disent ou

souhaitent représenter. Leurs propos sont souvent proches de l'événement, sans recul souvent,

mais ils apportent l'éclairage de la passion, du vécu, souvent pathétique ; ils mettent en jeu des

argumentations naturelles différenciées selon les groupes sociaux.

Ces témoignages prennent des formes discursives diverses : récit (comme ces récits de vie

abrégés que l’on utilise pour se présenter ou quand l’on « se raconte » à d’autres), interview

centrée sur un individu connu ou reportage sur la vie d'un anonyme, série d'entretiens utilisés

partiellement, montés et encadrés par un commentaire interprétatif (dans les reportages, par

exemple), mémoires, souvenirs, journaux intimes, billet ou chroniques journalistiques...

Interpréter ces discours à la première personne suppose d'aller au-delà de leur contenu explicite : il faut aussi en saisir les enjeux, faire la part de l'accidentel et du général, localiser les références précises auxquelles il est fait allusion de manière perceptible. Le réel se livre de

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la sorte dans sa complexité. Non filtré, il ne perd rien de sa présence dans la classe de langue : ces discours y font entrer des personnes, avec leur visage, leur voix, leurs passions... Mais ils sont peut-être malaisés à utiliser pour aborder un phénomène de société. Car ce savoir des sujets sociaux, témoins et acteurs de l'événement, fait de déclarations officielles méditées (avec leur cortège de « petites phrases ») ou des réactions à chaud des citoyens « ordinaires », pour être vraiment interprété et non reçu comme informatif, doit être repéré par rapport aux enjeux de ceux qui entendent dire leur témoignage, expliquer la réalité sociale qu’ils ont affrontée ou sur laquelle ils cherchent à agir. Ces discours sont parcellaires et linguistiquement imprévisibles, car lourds du monde, celui de références non toujours partagées. Aussi ce savoir social, lié à la personne et à l’événement, est-il un lieu de déploiement d'argumentations sociales : il risque d’être délicat à utiliser tel quel pour qui ne connaît pas les enjeux, sorte de dessous des cartes. Cette connaissance de ce qui n'est pas toujours explicité permet de repérer la fonction idéologique de ces discours.

4.2. Les discours des médias autour de l’événement

Les médias de masse, en particulier la presse écrite et audiovisuelle et Internet, constituent

une autre source de la connaissance des sociétés. Ces discours médiatiques sont évidemment

tributaires de l'orientation idéologique ou politique de chaque publication, plus ou moins

caractérisée, (surtout pour les problèmes de société à implications déontologiques). La

structure sociologique du lectorat-cible est elle aussi de nature à rendre compte de

positionnements éditoriaux, qui à leur tour façonnent les attentes du lectorat.

Ces discours sont étroitement liés à l'événement, qu'ils créent et spectacularisent tout autant

qu'ils le rapportent et l’analysent. Leur éventail s'étend de la presse militante (lecture du réel à

travers une grille préconstruite, « langue de bois ») à la presse « responsable », quand elle

existe, en passant par la presse populaire, régionale...

Sont indispensables à l’interprétation de ce qui s'y dit la connaissance de la position de chaque

média par rapport à l'ensemble des lectorats (différenciés selon des paramètres classiques

comme l'âge, le capital scolaire, le lieu de résidence, l'appartenance socioprofessionnelle...) et

la ligne éditoriale. Sont tout aussi indispensables à la compréhension littérale et à

l’interprétation la connaissance du contexte immédiat, qui permet de resituer un événement

par rapport à d'autres, et les connaissances partagées dont ces textes présupposent la maîtrise.

Les médias, outre qu'ils traitent l'information et qu’ils donnent à voir une société de leur point

de vue, ont aussi des rôles dans la diffusion d’autres savoirs sociaux, puisqu'ils peuvent

héberger des textes rendant compte de la production scientifique, celle des sciences sociales

par exemple (compte-rendu d'ouvrages, de colloques, de recherches...). Ainsi une enquête de

l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), Données sociales est-

elle commentée dans les quotidiens sous des titres comme : « La moitié du patrimoine des

Français est détenue par 10% des ménages ». La presse propose donc des connaissances

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L’interaction

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sociales dont elle n’est pas l’origine, et ces textes qui rendent compte de savoirs savants

peuvent constituer une bonne introduction à ceux-ci, d’un point de vue didactique, dans la

mesure où ils sont de dimensions réduites et où ils mettent en évidence l’essentiel des

recherches.

En parallèle, il existe un journalisme d'enquête qui partage certaines préoccupations avec

les sciences sociales, et ce depuis l'origine. Il n'en partage peut-être pas les méthodes, mais

l'investigation se propose à chaque fois de décrire et, éventuellement, de remettre en cause

des fonctionnements sociétaux. Ce journalisme fait une part plus ample à l'interprétation et

à la prévision, et donc à la recommandation, qui instaure le journaliste, à l’instar du

sociologue, en ingénieur du social.

Le savoir social construit dans ces conditions peut adopter la forme discursive du

reportage, laquelle est constituée d’un montage des propos des acteurs sociaux concernés

et de connaissances encyclopédiques (souvent de nature historique, économique ou

sociologique) qui constituent le fond du dossier, indispensable à la bonne compréhension

des faits et des évolutions possibles : ainsi, un reportage sur les TOM-DOM français, à la

veille d’élections, par exemple, mettra-t-il en scène responsables de partis, de syndicats, de

mouvements culturels, des écrivains, des artistes ou l’homme de la rue. Il rappellera aussi

les caractéristiques de l’économie des îles, leur statut administratif ou, tout simplement leur

localisation géographique.

Les médias sont ainsi susceptibles de mettre en circulation des connaissances moins marquées par l'actualité scientifique, soit qu'ils les sollicitent dans un souci de lisibilité pour leurs lecteurs (ces informations peuvent alors apparaître dans des encadrés), soit qu'ils les utilisent dans l'analyse et la description : par exemple, rappel des formes de la fiscalité, s'il s'agit de décrire la politique budgétaire du gouvernement, rappel des conditions pour obtenir la nationalité française quand on examine l'application du droit d'asile politique en France... Ces rappels, à l'occasion d'événements, donnent des cadres de référence à un lecteur qui, cette fois, est censé en être dépourvu, ce qui est particulièrement utile à des lecteurs étrangers. La réalité y est donc plus directement perceptible, car elle est construite hors du cadre événementiel, et il est difficile de savoir si un événement possède une signification sociale et culturelle ou s'il est de l'ordre du fortuit, sans signification. On sait combien certains médias abusent du fait divers spectaculaire. Sur le plan linguistique et cognitif, les discours journalistiques accrochés à l'événement, sont hérissés de difficultés pour qui est extérieur : connotations, citations, allusions, niveaux de langue (dans les propos rapportés). La lecture peut cependant être guidée par les formes discursives utilisées, celles de genres discursifs qui peuvent présenter des régulations linguistiques fortes et rendre les textes prévisibles : nouvelle brève, revue de presse, compte-rendu, éditorial, article de politique intérieure, internationale, reportage… Dans ces derniers textes, on fait appel simultanément à des savoirs savants et à des témoignages, dans des assemblages variés qu’il est cependant possible d’identifier et qui peuvent fonder des stratégies de lecture. Le discours social de presse peut comporter des éléments d'auto

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L’interaction

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élucidation, comme intégrés, qui la distinguent des témoignages individuels ou artistiques, chaque fois qu'elle construit un auditoire de lecteurs non savants.

4.3. Les discours des sciences sociales

Il reste qu'une grande partie de la connaissance d'une société provient des sciences dites

sociales, de la recherche universitaire ou scientifique, qui ont pour finalité de décrire et

d'interpréter les phénomènes de société, finalité épistémologique mais aussi sociale, car elles

peuvent se percevoir comme des disciplines d'intervention. L’élaboration de connaissances

s'effectue au sein d'ensembles disciplinaires anciens et légitimées, comme l'histoire et la

géographie : géographie de la population, la géographie rurale et urbaine... Sont aussi actives

des disciplines plus récentes, comme la sociologie, l'anthropologie sociale ou les sciences

économiques, dont on a souvent noté combien elles étaient peu sollicitées en didactique des

langues.

Ces savoirs sont exposés dans des textes de recherche : thèses, articles, communications, en

général non accessibles aux non spécialistes. Mais ils sont aussi sont diffusés à l'extérieur de

ces communautés discursives scientifiques primaires, à travers des canaux discursifs variés :

ouvrages originaux visant un public dit cultivé, manuels scolaires ou universitaires (en

particulier, manuels de géographie ou d'histoire pour l’enseignement secondaire), presse

quotidienne (voir ci-dessus), périodiques consacrés à la diffusion des connaissances

(périodiques spécialisés dans une discipline ou généralistes, périodiques visant des publics

larges ou spécifiques : lycéens, haute divulgation pour un lectorat à forte culture

scientifique...). Autant dire que les formes textuelles prises par les connaissances ainsi

diffusées sont, là encore, multiples.

Que ce savoir primaire circule sous forme de synthèse ou dans le cadre d'analyses monographiques, sa production s'effectue à partir de cadres conceptuels définis qui décomplexifient le réel pour mieux en cerner les aspects retenus. La réalité y gagne en intelligibilité par rapport à l'expérience foisonnante d'un observateur direct, mais elle apparaît dans ces discours avec une présence moindre que celle des témoignages, par exemple, car elle est arrachée à l'immédiateté. Le réel y est convoqué sous des formes concrètes en tant qu'exemple de caractéristiques générales. Il y apparaît, surtout s'agissant de comportements, de croyances ou d'évolutions structurelles, comme épuré et pauvre (par abstraction ou par excès, mais d'autant plus lisible. En complément de cette circulation primaire, existent, comme nous l'avons déjà relevé,

d'autres modalités de diffusion des sciences sociales, extérieures ou tournées vers l'extérieur,

qui visent des non-spécialistes. Ces textes sont alors produits, en principe, en tenant compte

de cette situation de communication et en particulier de la représentation que le scripteur se

fait des connaissances de son lectorat et de ce qu’il considère comme des stratégies d'écriture

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L’interaction

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destinées à faciliter l'acquisition de connaissances nouvelles ou, au moins, la compréhension,

même provisoire, d'informations de nature scientifique. On y trouvera donc, sans doute, un

minimum de présupposés culturels et des écritures guidant le lecteur sans trop de pesanteur :

définition des concepts supposés non connus du lecteur, explications, clarification de

l'organisation textuelle par le jeu des intertitres, utilisation de variations typographiques

(italiques, gras...), indications métatextuelles en début de section, résumés internes,

iconographie avec légendes, organisation prévisible de certains paragraphes (idée principale et

énumération d'exemples). Cette haute lisibilité, potentielle et bien entendu éminemment

variable d'un texte à l'autre au sein d'un même genre discursif, pourrait s'avérer utile en classe

de langue.

Synthèse, lisibilité, analyses fondées sur des méthodologies explicites et falsifiables, sensibles

aux différences qu'elles ne sont pas amenées à écraser, au contraire : les discours des sciences

sociales présentent des caractéristiques qui les opposent aux témoignages ou à certains textes

médiatiques liés à l'événement. Mais eux non plus ne laissent pas d'espace à l'interprétation du

lecteur, qui prend simultanément connaissance et des descriptions et des interprétations qui

sont données des phénomènes considérés : il ne peut exercer sa compétence sociale/culturelle

de repérage que conditionné par les interprétations savantes.

4.4. Séries d’indices et interprétations

Ce repérage des savoirs sociaux et de leurs formes discursives autorise déjà une classification

méthodologique des supports à des activités interprétatives. Il ne serait cependant pas complet

si l'on n'y faisait une place à d'autres documents que des discours écrits ou oraux, doublés ou

non d'images.

Il y a de l'observable qui est susceptible d’entrer en classe de langue mais qui ne parle pas, on

plutôt qui ne peut dire que si on l’interroge, signes non-verbaux ou non textuels, bruts et donc

à identifier et à interpréter : statues, largeur des rues, paysages ruraux, façade des églises,

coupe de cheveux, affiches, cartes et plans, cartes postales... Tout ce visible et ce verbal ne

fait sens qu'en série : c'est un des matériaux premiers de l'observation pour les sciences

sociales. La reproduction en fac-similé ou photographique de ces objets ne suffit pas à leur

donner du sens, autre qu'anecdotique ou folklorique. Ces «choses» ne prennent du sens que si

on les rapporte à des cadres, qu'elles ne donnent pas.

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L’interaction

16 16

De tels documents sont « pauvres », car ils ne laissent apparaître que faiblement du sens

social. Mais ils ne posent pas de difficultés langagières particulières, car ils ne sont pas

discursifs, bien souvent. Tout au plus impliquent-ils des connaissances lexicales, que ce sera

précisément l'occasion de mettre en place. Ils se trouvent être comme à la dimension de la

classe de langue, parce qu'ils sont raréfiés, pauvres par défaut comme nous le disions,

concrets et surtout non interprétés.

Cette forme de raréfaction culturelle les rend manipulables par qui ne sait rien ou presque

d’une société étrangère. Proposés isolément ces indices bruts, non élaborés de manière à

transmettre explicitement des informations sur une culture étrangère, ne révèlent rien (sauf à

ceux qui savent déjà). Si l'on veut les faire parler (car c'est un matériau à interroger et non

simplement à lire), il est nécessaire de les grouper en ensembles de même nature : un indice

isolé de ce genre demeure obscur, parce qu'il ne permet aucun recoupement, aucune

élaboration, à la manière des objets ou des fragments d'objets que recueillent les archéologues

et qui ne deviennent signifiants que mis en relation avec d'autres dans l'horizon culturel où ils

ont été trouvés. Pour arracher du sens à ces objets hétéroclites appartenant à une culture

étrangère, on est amené à se situer à mi-chemin de l'observation erratique, individuelle, non

systématique et des démarches contrôlées des sciences de la société.

Cette observation de données, modestes et quantitativement peu représentatives, relève d'une

sorte de synthèse personnelle, aléatoire, mais guidée par l'enseignant, à partir d’un

« matériau » qui permettra à chaque apprenant d'exercer sa compétence interprétative. On

peut ainsi s'essayer à tirer du sens de ces observables, pour peu que l'on soit systématique,

dans une sorte d'anthropologie amateur, travaux pratiques pour débutants où les dés sont un

peu pipés et qui ne présentent aucune garantie d'office sur la pertinence des conclusions

obtenues (à cause de la nature réduite de l'échantillon d'indices observé). Mais cette activité

organisée en classe de langue a pour fonction de canaliser l'observation spontanée des

apprenants et de la systématiser, en lui fournissant du matériau traitable et un cadre contrôlé

pour sa description et son interprétation.

Ces corpus hybrides de « petits indices », qui se présentent sous forme de liste, de série, de

collection, d'ensemble, de catalogue, classement, annuaire, inventaire... présentent, sous

une multiplicité d'éléments homogènes, une même réalité culturelle dont ils sont les traces

matérielles. Ils sont manipulables dans l'espace de la classe de langue et, à ce titre, ils

peuvent servir de matière brute à de l'interprétation culturelle laissée à la responsabilité des

apprenants.

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L’interaction

17 17

C’est cette démarche qui a été retenue dans des ouvrages comme Mœurs et mythes17 ou Tours

de France18. Par exemple, à partir d’un corpus de noms de rues, disponibles dans les

annuaires, on peut faire caractériser cette forme de commémoration collective et entrevoir les

relations avec l’histoire, faire émerger certaines valeurs politiques, républicaines en

particulier, souligner des clivages idéologiques (quelles communes célèbrent Saint-Just et

quelles autres célèbrent Louis Philippe ?). On notera que cette entrée dans la mémoire

collective proposée à des fins didactiques en 1979, a été, par la suite, adoptée dans le cadre de

l’histoire savante elle-même, puisqu’une étude des Lieux de mémoire est consacrée aux noms

des rues des préfectures françaises.

4.5. Typologie des supports pour les activités relevant de la compétence interprétative

En fonction de la caractérisation des discours sociaux, on peut désormais identifier des

critères de classification des supports d’enseignement éligibles pour des activités

d’interprétation. Elle tend à mettre en évidence des critères internes pertinents pour décider du

type d'exploitation pédagogique auxquels ils peuvent se prêter, sans en forcer la nature ou en

faire de simples prétextes interchangeables à des activités pédagogiques.

On distinguera donc des supports d’enseignement selon :

• le caractère expositif ou non expositif des textes choisis. Les premiers constituent des

bilans systématiques de réalités sociales, des analyses suivies et ordonnées qui, sauf dans

le genre de l'essai, ont une forte prévisibilité formelle ou sémantique, car ils obéissent à

une logique d'exposition commandée par la discipline et par des conventions discursives

qui règlent le caractère approprié d'un texte, qu'il s'adresse à un public captif ou non.

Tenus de livrer des constatations claires pour des non-spécialistes aussi bien que pour

leurs pairs, les scripteurs tendent à privilégier des écritures à haut degré de redondance :

stabilisation des chaînes co-référencielles, redondance entre le texte et les illustrations ou

les données numériques... À l'inverse, on pourra trouver des textes plus parcellaires, ceux

qui envisagent la réalité sous la figure de l'événement par exemple, qui présentent une

moindre lisibilité puisqu'il s'agit alors d'information et non plus de connaissance ;

• le caractère interprété ou brut des données sociales (de nature discursive ou non). On a

relevé que certains discours peuvent traiter de l'accidentel, du détail, de l'événementiel, du

contextuel, du daté, de l'individuel. Ces fragments de réalité concrète risquent de dérouter

l'apprenant qui sera tenté de généraliser, sans avoir toujours les cadres pour le faire. Mais

17 Beacco J.-C. et Lieutaud S. 1979. 18 Beacco J.-C.et Lieutaud S. 1985.

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L’interaction

18 18

la réalité sociale, même limitée, peut se trouver interprétée dans les textes, si les faits

évoqués sont interprétés, c'est-à-dire s'ils sont rapprochés d'autres faits, catégorisés, mis en

série, de manière à déceler des cohérences, des régularités qui dessinent ainsi des lignes de

force, des évolutions ou des clivages stables. L'interprétation de la réalité sociale et

culturelle est un processus de mise en relation qui permet de repérer des éléments sociaux

entre eux. Ces interprétations sont souvent proposées dans les discours sociaux, mais elles

ne peuvent être construites par les apprenants qu'à condition qu'ils disposent d'éléments de

ces séries qui donnent sens, car le sens social n'en est pas déductible

mécaniquement d'éléments isolés ;

• Selon le caractère allusif ou explicite des discours sociaux. Tout document : texte,

conversation, exposé, message publicitaire, dessin humoristique qui ne joue pas sur la

connivence entre le producteur et le récepteur est culturellement plus facile à interpréter

que d'autres, au moins au niveau superficiel. L'allusion délibérée est destinée à exclure ou,

du moins, à sélectionner certains locuteurs, ceux qui savent reconnaître le non-dit. Si

l'allusion n'a pas pour fonction immédiate la reconnaissance et l'exclusion, elle n'en

produit pas moins les mêmes effets, quand on ne partage pas le même vécu quotidien, la

même histoire collective récente, la même morale. L'apprenant étranger se trouve bien

souvent exclu parce que le document introduit dans la classe suppose, pour être lu, des

savoirs qu'il ne possède pas ;

• Le caractère complexe ou raréfié la représentation de la réalité sociale dans les discours.

Un domaine social peut être représenté de manière complexe dans la mesure où il est

évoqué dans toutes ses dimensions, ses implications, son histoire. Écouter et comprendre

les propos d'un ouvrier des chantiers navals de la Ciotat ou d'un employé de France

Télécom signifie percevoir les difficultés propres à ces lieux, à ces régions, à ces

entreprises, la politique du gouvernement ou des autorités régionales en la matière, les

positions syndicales, le problème général du chômage, celui des privatisations des services

publics dans le cadre ou au nom de la construction européenne... Un témoignage de ce

type fait affleurer de multiples domaines d'une société. Au contraire bien peu filtre de la

France à travers une page de l'annuaire du téléphone, d'un catalogue de vente par

correspondance ou de la carte météo du jour. L'information culturelle est alors faible, trop

pauvre pour donner prise à l'interprétation des apprenants. Pauvreté par défaut, cette fois.

On peut donc traduire les finalités de la composante interprétative dans les termes

méthodologiques suivants : le développement de la composante interprétative consiste à faire

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L’interaction

19 19

passer les apprenants de représentations initiales, probablement fermées ou spontanément

affectivisées (compactes, raréfiées et brutes) à une prise de conscience la complexité d’une

culture autre, par la mise en place d'une compétence de repérage dans un milieu étranger non

familier, au moyen de pratiques d'observation et de découverte prenant appui sur des supports

issus des différentes formes discursives du savoir social et donnant lieu en classe à des

activités interprétatives spécifiques en fonction de leurs caractéristiques cognitives et

linguistiques et permettant une prise de conscience interculturelle

4.6. Activités interprétatives

La composante interprétative est donc conçue comme capacité de repérage, conjuguant

compréhension, observation et réaction.

Elle est constituée en premier lieu par une capacité de lecture critique. Cette capacité en réception n’est pas méthodologiquement distincte de la réception «générale » puisque, dans la vie sociale, on lit pour s'informer et non pour acquérir des compétences langagières. Elle comporte comme un élément indispensable la capacité à s'interroger sur le statut des connaissances proposées les discours sociaux, de manière à différencier les opinions des acteurs sociaux des savoirs tenus pour savants, en fonction de leurs conditions de production épistémologique. Le développement de la capacité de repérage consiste à mettre les apprenants en situation

d'observateurs, même en classe, lieu où la « culture étrangère » n'est présente, nous l'avons vu,

que de manière abstraite. Observer veut alors dire s'essayer à traiter des "paquets" d'indices,

pauvres en contenu, au moins apparent, non textuels et proposés en séries, de telle sorte que

du sens culturel y soit perceptible ou reconstructible. Cela consiste concrètement

• à identifier la nature des indices à partir de la fonction du document où ils figurent

• à analyser les séries (ou corpus) d’indices par le biais de classifications successives

que l'enseignant pourra guider, en amorçant la catégorisation par des exemples, en

discutant les catégories proposées par la classe, en proposant quelques catégories...

• à procéder à des recoupements

• à proposer de prudentes conclusions quantitatives et surtout qualitatives

• à rechercher la/les signification/s possibles du phénomène ainsi entrevu

• à avoir recours à des interprétations « savantes » du même phénomène, quand elles

existent

• à réagir au phénomène à partir de sa propre sensibilité, de ses croyances et valeurs, de

son expérience sociale propre

• à confronter ces réactions et à les interpréter à leur tour dans un débat collectif.

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L’interaction

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Toutes ces activités, qui ne se confondent aucunement avec des activités langagières,

devraient tendre à donner aux apprenants une conscience plus clairvoyante de ce qu'est la

construction du savoir culturel en situation naturelle et en situation d'enseignement.

Ces activités peuvent prendre appui sur les supports discursifs un on discursif en fonction de

la répartition suivante :

Type de

discours social

Densité

culturelle

Interprétation Lisibilité

linguistique

Utilisations

méthodologiques

Support

de type I :

indices non

discursifs ou non

verbaux

Faible par défaut À interpréter par

les apprenants

Forte :

documents non

verbaux ou

faisant intervenir

surtout des

connaissances

lexicales

Activation de la

compétence interprétative

sociale sur des échantillons

limités, ne posant pas de

problème majeur

d’interprétation

linguistique. Production

d’hypothèses qualitatives

sur le phénomène examiné

(dominante : interprétation

sociale)

Support

de type II :

discours de

divulgation des

sciences

sociales (manuels

, médias,

sondages

d’opinion…) ou

reportages…

Faible par excès

( la réalité

concrète est

convoquée à

travers un cadre

conceptuel)

Interprétation

dans le cadre des

méthodologies

des sciences

sociales ou

interprétations

journalistiques

(de type :

prévision ou

incitation à faire)

Genres discursifs

adoptant des

formes au moins

en partie

prévisibles

Vérification, mise au

point, approfondissement

des hypothèses antérieures,

au moyen d’un savoir

savant ou de référence

(dominante :

compréhension de textes et

apport d’informations)

Support

de type III :

discours de:

Forte

(convocation

imprévisible de

Interprétation par

des sujets

sociaux en

Genres discursifs

peu prévisibles

dans leurs formes

Réinvestissement du

produit de

l’observation(support I) et

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L’interaction

21 21

l’événement et

des individus :

médias,

interviews,

témoignages,

mémoires, récits

de vie,

littérature…

tout le réel

social)

fonction de leurs

enjeux propres

ou des attentes

des lectorats

(médias)

et dans les

contenus ;

difficultés

linguistiques :

niveaux de

langue,

prononciation et

intonation

individuelles …

allusions,

prérequis

partagés

de la prise d’informations

(support II) dans un

support complexe

linguistiquement et

culturellement.

• Les supports de type I permettent d’entraîner à l'observation et à l'élaboration

d'interprétations sur des échantillons constitués d'indices à faible signification

culturelle

• Les supports de type II permettent de mettre en place de cadres de référence

interprétatifs par la lecture de textes de synthèse, qui ont pour fonction de corriger,

rectifier ou confirmer les interprétations que les apprenants ont pu élaborer à partir des

données analysées

• Les supports de type III permettent de réinvestir ces observations sur des documents

riches, comme ceux fournis par les médias ou les témoignages, à partir quelques

hypothèses d’interprétation et non en les abordant frontalement.

Les supports sont ainsi sollicités pour les activités qu'ils permettent effectivement de réaliser

avec les apprenants, étant donné leurs caractéristiques cognitives (formes du savoir social), la

nature des informations qu'ils transmettent et leurs formes discursives. Ils ne relèvent ainsi

non d'exploitations polyvalentes mais de traitements spécifiques différenciés.

Dans cette perspective, on peut constituer des séquences méthodologiques

• menant des supports de type I et II à ceux de type III. Par exemple, analyse de

l’origine linguistique des noms de personnes à travers un annuaire téléphonique et

mise en évidence des flux migratoires vers la France (I), lecture d’extraits d’analyses

de synthèse sur les mouvements migratoires, les statuts juridiques des étrangers les

conditions d’accès à la nationalité (II), analyse d’un fait divers : reportage sur les

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L’interaction

22 22

« sans papiers », d’une pétition en faveur de la régularisation de la situation des

immigrés clandestins ou d’une interview d'un militant sur ce problème de société

(III). Ces activités cessent d’être irréalistes désormais, grâce au meilleur accès à des

documents aussi différents que permet Internet.

• articulées sur des supports II et III, si des supports I ne sont pas disponibles

• centrées sur des documents de type II où l’on sollicitera surtout les réactions

personnelles des apprenants à des réalités autres qu’ils découvrent (il s’agit alors

d’interprétations personnelles

Il semble hasardeux de créer des séquences uniquement à partir de documents de type I ou III, sans utiliser les ressources de connaissances falsifiables, de nature scientifique car on se trouverait alors dans le domaine de l’opinion.

Ces formes données aux séquences interprétatives ne sont pas dépendantes des contenus à enseigner : elles conduisent d’activités d’interprétation d’échantillons de données, limitées mais signifiantes, à l’interprétation de celles-ci dans des cadres généralisants objectivés et au réinvestissement de ce savoir-faire et de ce savoir dans la perception active du réel social, sous sa forme la plus immédiate : celle de l’actualité et des personnes. Cette démarche méthodologique se fonde sur une conception explicite des formes cognitives des savoirs sociaux et de leurs formes linguistiques, lesquelles relèvent de l’analyse du discours. Elles concrétisent une véritable méthodologie pour la composante interprétative.