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Professeur agrégé d'allemand depuis près de 30 ans, en poste dans un collège rural du centre de la France depuis près de 20 ans, je suis atterrée par la Réforme du Collège présentée le 10 mars dernier par le gouvernement et plus encore par le silence indifférent ou complice qui entoure ce projet. Cette réforme va en effet appauvrir dramatiquement les enseignements disciplinaires fondamentaux (math, français, langues sciences) au profit d'activités interdisciplinaires aux contenus flous et creux, dont on connaît pourtant bien l'inefficacité pédagogique pour les avoir expérimentées puis abandonnées dans les années 90. Ces fameux « Parcours diversifiés » et « Itinéraires de découverte » furent déjà à l'époque prétexte à rogner sur les heures de français et de maths. Ces dispositifs fumeux ont vite disparu du paysage scolaire, mais on n'a jamais revu les heures de français et de maths qu'on avait prélevées pour leur mise en place. Et voilà qu'on nous refait le coup aujourd'hui ! Il est vrai, l'école coûte cher, alors essayons donc l'ignorance !! Etant, comme je l'ai dit plus haut, professeur d'allemand, je souhaiterais, pour l'exemple, expliquer le sort qui va être fait à ma discipline. Aujourd'hui mes élèves apprennent l'allemand à partir de la 6ème dans des classes bilangues (anglais- allemand) à raison de 3h par semaine pour chacune de ces langues. A partir de la 4ème, ceux qui le souhaitent, c'est à dire la plupart d'entre eux, peuvent choisir en plus l'option euro (2h hebdomadaires) qui leur permet de renforcer leur niveau linguistique et de développer leur connaissance de la culture des pays de langue allemande. Depuis l'introduction de cette option, j'ai pu mesurer combien le nombre d'heures est fondamental pour la progression des élèves, notamment face à un public chez qui l'apprentissage rigoureux des leçons ne va plus forcément de soi. En effet non seulement les bons acquièrent un niveau tout à fait respectable qui leur permet de réussir à l'issue du collège la certification de niveau B1 mise en place par les ministères français et allemand, mais les plus faibles consolident ainsi leurs bases et reprennent confiance en leurs capacités. Ils ont alors plaisir à se découvrir capables de communiquer avec leurs correspondants chez qui ils séjournent chaque année deux semaines avant de les recevoir à leur tour. Les projets pédagogiques construits chaque année autour de cet échange me permettent également de développer une pédagogie à la fois attractive et exigeante, d'ouvrir mes élèves, souvent très sédentaires, à de nouveaux horizons, car nos correspondants viennent d'un milieu à la fois plus aisé et plus cosmopolite, mais également, et c'est peut-être là le plus précieux, de leur donner le goût du « faire ensemble ». Pour toutes ces raisons le dispositif bilangues-euro-échange remporte l'adhésion des élèves et de leurs familles et mes effectifs se portent bien. Je tiens à préciser par ailleurs que ces options sont ouvertes à tous les collégiens qui le souhaitent sans condition de niveau scolaire. Mais ma plus grande satisfaction est sans doute de voir qu'il a permis à nombre de mes anciens élèves , tous issus de la classe moyenne (artisans, employés pour majorité) voire parfois plus modestes encore, d'accéder ensuite à un parcours scolaire valorisé par leur bon niveau en langues (poursuite en section européenne, bac franco-allemand) et de tirer profit de ce parcours pour leur orientation dans les nombreux cursus franco-allemands de l'enseignement supérieur. Ils sont nombreux à avoir pris goût à la mobilité, à avoir fait des séjours longs et peu coûteux en Allemagne, grâce à l'OFAJ sans lequel la plupart des familles n'auraient pas eu les moyens d'offrir cette chance à leurs enfants. Plusieurs poursuivent leurs études en Allemagne, y ont décroché des stages, voire un premier emploi. Car, nul ne l'ignore, l'Allemagne est notre premier partenaire économique et les diplômés germanistes de bon niveau n'ont aucun mal à s'insérer sur le marché du travail où ils sont une valeur très recherchée. Soucieux d'améliorer le niveau en langues des petits Français, c'est du moins le discours officiel, et de respecter les engagements du traité franco-allemand, on aurait pu penser que le gouvernement allait promouvoir dans sa nouvelle réforme ces dispositifs bilangues et euro qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur attractivité auprès des familles et les généraliser. Or c'est tout le contraire qui se produit. Tiens donc ! Non seulement on ne va pas les promouvoir, mais on va supprimer ces vilaines « filières élitistes » afin de rétablir une parfaite égalité, c'est à dire de donner beaucoup moins à tout le monde !! Ainsi à la rentrée 2016 mes petits élèves ne pourront plus étudier l'allemand que comme deuxième langue vivante à raison de 2,5 heures par semaine et seulement à partir de la cinquième. Pour comparaison leurs camarades allemands ont tous 5 heures de langue par semaine pendant les deux

Témoignage d'une collègue enseignante en classe bilangue

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Page 1: Témoignage d'une collègue enseignante en classe bilangue

Professeur agrégé d'allemand depuis près de 30 ans, en poste dans un collège rural du centre de la France depuis près de 20 ans, je suis atterrée par la Réforme du Collège présentée le 10 mars dernier par le gouvernement et plus encore par le silence indifférent ou complice qui entoure ce projet. Cette réforme va en effet appauvrir dramatiquement les enseignements disciplinaires fondamentaux (math, français, langues sciences) au profit d'activités interdisciplinaires aux contenus flous et creux, dont on connaît pourtant bien l'inefficacité pédagogique pour les avoir expérimentées puis abandonnées dans les années 90. Ces fameux « Parcours diversifiés » et « Itinéraires de découverte » furent déjà à l'époque prétexte à rogner sur les heures de français et de maths. Ces dispositifs fumeux ont vite disparu du paysage scolaire, mais on n'a jamais revu les heures de français et de maths qu'on avait prélevées pour leur mise en place. Et voilà qu'on nous refait le coup aujourd'hui ! Il est vrai, l'école coûte cher, alors essayons donc l'ignorance !! Etant, comme je l'ai dit plus haut, professeur d'allemand, je souhaiterais, pour l'exemple, expliquer le sort qui va être fait à ma discipline. Aujourd'hui mes élèves apprennent l'allemand à partir de la 6ème dans des classes bilangues (anglais-allemand) à raison de 3h par semaine pour chacune de ces langues. A partir de la 4ème, ceux qui le souhaitent, c'est à dire la plupart d'entre eux, peuvent choisir en plus l'option euro (2h hebdomadaires) qui leur permet de renforcer leur niveau linguistique et de développer leur connaissance de la culture des pays de langue allemande. Depuis l'introduction de cette option, j'ai pu mesurer combien le nombre d'heures est fondamental pour la progression des élèves, notamment face à un public chez qui l'apprentissage rigoureux des leçons ne va plus forcément de soi. En effet non seulement les bons acquièrent un niveau tout à fait respectable qui leur permet de réussir à l'issue du collège la certification de niveau B1 mise en place par les ministères français et allemand, mais les plus faibles consolident ainsi leurs bases et reprennent confiance en leurs capacités. Ils ont alors plaisir à se découvrir capables de communiquer avec leurs correspondants chez qui ils séjournent chaque année deux semaines avant de les recevoir à leur tour. Les projets pédagogiques construits chaque année autour de cet échange me permettent également de développer une pédagogie à la fois attractive et exigeante, d'ouvrir mes élèves, souvent très sédentaires, à de nouveaux horizons, car nos correspondants viennent d'un milieu à la fois plus aisé et plus cosmopolite, mais également, et c'est peut-être là le plus précieux, de leur donner le goût du « faire ensemble ». Pour toutes ces raisons le dispositif bilangues-euro-échange remporte l'adhésion des élèves et de leurs familles et mes effectifs se portent bien. Je tiens à préciser par ailleurs que ces options sont ouvertes à tous les collégiens qui le souhaitent sans condition de niveau scolaire. Mais ma plus grande satisfaction est sans doute de voir qu'il a permis à nombre de mes anciens élèves , tous issus de la classe moyenne (artisans, employés pour majorité) voire parfois plus modestes encore, d'accéder ensuite à un parcours scolaire valorisé par leur bon niveau en langues (poursuite en section européenne, bac franco-allemand) et de tirer profit de ce parcours pour leur orientation dans les nombreux cursus franco-allemands de l'enseignement supérieur. Ils sont nombreux à avoir pris goût à la mobilité, à avoir fait des séjours longs et peu coûteux en Allemagne, grâce à l'OFAJ sans lequel la plupart des familles n'auraient pas eu les moyens d'offrir cette chance à leurs enfants. Plusieurs poursuivent leurs études en Allemagne, y ont décroché des stages, voire un premier emploi. Car, nul ne l'ignore, l'Allemagne est notre premier partenaire économique et les diplômés germanistes de bon niveau n'ont aucun mal à s'insérer sur le marché du travail où ils sont une valeur très recherchée. Soucieux d'améliorer le niveau en langues des petits Français, c'est du moins le discours officiel, et de respecter les engagements du traité franco-allemand, on aurait pu penser que le gouvernement allait promouvoir dans sa nouvelle réforme ces dispositifs bilangues et euro qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur attractivité auprès des familles et les généraliser. Or c'est tout le contraire qui se produit. Tiens donc ! Non seulement on ne va pas les promouvoir, mais on va supprimer ces vilaines « filières élitistes » afin de rétablir une parfaite égalité, c'est à dire de donner beaucoup moins à tout le monde !! Ainsi à la rentrée 2016 mes petits élèves ne pourront plus étudier l'allemand que comme deuxième langue vivante à raison de 2,5 heures par semaine et seulement à partir de la cinquième. Pour comparaison leurs camarades allemands ont tous 5 heures de langue par semaine pendant les deux

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premières années de leur apprentissage puis au minimum 3 heures ensuite. Tous auront-ils pour autant plus d'heures d'anglais ? Que nenni, que nenni ! L'horaire d'anglais diminue également d'une heure par semaine en 6ème. De mon côté n'ayant plus suffisamment d'heures dans mon collège, je devrai compléter mon service dans un autre établissement, voire deux autres établissements, ce qui en milieu rural signifie aussi avaler beaucoup de kilomètres. Je doute qu'il me restera alors le temps et l'énergie pour continuer à organiser bénévolement notre échange et la certification qui sera de toute façon hors d'atteinte pour eux vu leur niveau … Mes élèves resteront donc chez eux. Qu'importe, les enfants de l'élite, eux, auront bien toujours la possibilité de s'offrir de coûteux séjours linguistiques. A ce propos où sont donc scolarisés les enfants de nos ministres ?? Marie-Ange Pangaud

Témoignage publié sur le site de l’ADEAF. http://www.adeaf.net/ https://www.facebook.com/adeaf.fr https://twitter.com/ADEAF_nationale