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1 Université de Lyon École doctorale « Sciences sociales » (ED 483) INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE LYON Laboratoire Triangle (UMR 5206) L’ATELIER DE LÉTAT Des Instituts régionaux d’administration pour former les cadres intermédiaires de la fonction publique (1966-2013) par Olivier QUÉRÉ Thèse pour l’obtention du doctorat de Science Politique Sous la direction de Gilles Pollet Présentée et soutenue publiquement le 17 octobre 2014 Philippe BEZES, Directeur de recherche au CNRS, CERSA (rapporteur) Muriel DARMON, Directrice de recherche au CNRS CESSP-CSE Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, Professeur de science politique, IEP de Toulouse (rapporteur) Renaud PAYRE, Professeur de science politique, IEP de Lyon Gilles POLLET, Professeur de science politique, IEP de Lyon (directeur)

Thèse o.quere ira (instituts régionaux d'administration)

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    Universit de Lyon

    cole doctorale Sciences sociales (ED 483)

    INSTITUT DETUDES POLITIQUES DE LYON

    Laboratoire Triangle (UMR 5206)

    LATELIER DE LTAT

    Des Instituts rgionaux dadministration pour former les cadres

    intermdiaires de la fonction publique (1966-2013)

    par Olivier QUR

    Thse pour lobtention du doctorat de Science Politique

    Sous la direction de Gilles Pollet

    Prsente et soutenue publiquement le 17 octobre 2014

    Philippe BEZES, Directeur de recherche au CNRS, CERSA (rapporteur)

    Muriel DARMON, Directrice de recherche au CNRS CESSP-CSE

    Jean-Michel EYMERI-DOUZANS, Professeur de science politique, IEP de Toulouse

    (rapporteur)

    Renaud PAYRE, Professeur de science politique, IEP de Lyon

    Gilles POLLET, Professeur de science politique, IEP de Lyon (directeur)

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    Remerciements

    Jtais pas tout seul . Pour que ce travail parvienne son terme, il a fallu que tout un monde

    mette du cur dans louvrage.

    Ce fut dabord le cas de mon directeur de thse, Gilles Pollet, que je souhaite remercier pour son

    soutien en toute circonstance. Jai souvent pu mappuyer sur sa grande confiance.

    Je veux galement remercier toutes les personnes qui, sur le terrain, se sont accommodes de ma

    prsence et ont accept de rpondre mes questions. Gilbert Elkam, en particulier, a t dune aide

    trs prcieuse.

    A Triangle, jai pu bnficier dun environnement de travail de grande qualit, notamment grce au

    secrtaire du labo, l me Pascal Allais, et au directeur Renaud Payre. A lIEP, mon ange gardien

    sappelle Gwenola Le Naour. A lUniversit Lyon2, jai eu beaucoup de plaisir enseigner et

    travailler avec Anne-France Taiclet.

    Au fond du couloir, il y a une vraie quipe dont je suis trs fier de faire partie. Leur capacit

    sextraire de la morosit nest pas la moindre de leurs qualits. Certains sont devenus des amis. Merci

    Camilo Argibay, Anouk Flamant, Raphal Frtigny, Ccile Ferrieux, Maxime Hur, Mili Spahic. La

    jeune gnration est encore un peu tendre aux pronos, mais leur enthousiasme a constitu une vraie

    ressource : Henri Briche, Clment Coste, Marie Lauricella, Giovanni Secchi, vous de jouer. Harold

    Mazoyer, Sbastien Gardon, Aisling Healy, Anne Verjus, Ludovic Frobert ont chang de bureau mais

    ne sont pas partis bien loin. Certains amis sont devenus collgues : une bise Aurlien Reynaud,

    Nicolas Salle et Julien OMiel.

    Je ne peux ici rappeler toutes les personnes qui ont contribu ce travail. Mais certaines ont

    apport des lments dcisifs par leur lecture prcise et leur discussion dun ou plusieurs chapitres.

    Cette thse leur doit beaucoup. Que Camilo Argibay, Julien Barrier, Julie Gervais ( deux reprises !),

    Raphal Fretigny, Jean-Marie Pillon, Lucile Qur, Elise Roullaud (toute une partie !), Mili Spahic et

    bien sr Anne Dory soient infiniment remercis. Mickal Rigault a mis son efficacit intellectuelle

    hors pair au service de mes donnes. Sa gnrosit est infinie, et au-del.

    Rachel Vanneuville a tout lu avec prcision et avec une grande rigueur. Surtout, sa verve ma remis

    le pied ltrier. Sans elle, cette thse naurait pas vu le jour. La chance qui est la mienne davoir

    rencontr Julien Barrier se mesure tout ce que ce travail lui doit : merci mon gars. Hlne Richard a

    ouvert la voie, mais ma gard ses cts. Avec Jean-Marie Pillon, cette quipe est celle qui a le plus

    contribu construire larmature de ce travail.

    Leur soutien a toujours t vident : merci mes surs Agathe et Lucile, et mes parents Agns et

    Jean-Marie. Jai souvent eu besoin de me reposer sur eux. Agns a galement t une infatigable

    chasseuse de coquilles. Une pense pour mon grand-pre Louis Claret avec qui jai appris crire.

    La vraie vie nest pas dans le travail, je lai un peu oubli ces derniers temps. Et pourtant, mes amis

    mont apport un appui indfectible. A Simon, Marion, JM, Maud, Manu, Alex, MG, Sam et Isa, Yo,

    La et Mickal, lHlne&La Souch, Guillaume, Luquet... : je me sens bien, je reviens .

    Jai grandi avec Jean-Marie Pillon. Merci du fond du cur toi aussi.

    Anne a t la plus endurante. Son incroyable force ma servi de phare. Comme chaque fois.

  • 4

    Paul, Alice

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    Sommaire

    INTRODUCTION GENERALE ................................................................................................................. 11

    PREMIERE PARTIE LA MISE EN ADMINISTRATION DE LA FORMATION DES CADRES INTERMEDIAIRES DE LA FONCTION PUBLIQUE ................................................................................... 57

    Introduction de la premire partie................................................................................................. 59

    CHAPITRE 1 UN SEUL CORPS POUR LES ATTACHES ? VIE ET MORT DU COMPROMIS FONDATEUR (1966-1984) ........................................................................................................................................... 63

    Introduction .................................................................................................................................. 63

    Section 1. La gense du compromis ............................................................................................. 66

    Section 2. La constitution du compromis fondateur ..................................................................... 97

    Section 3. Le moment 1984 : la fin du compromis..................................................................... 123

    Conclusion .................................................................................................................................. 139

    CHAPITRE 2 LA REFORME DE 2007 : LINTERMINISTERIALITE EN QUESTIONS .......................... 141

    Introduction ................................................................................................................................ 141

    Section 1. Une rforme des IRA sur fond de recompositions de ladministration et de la fonction publique ...................................................................................................................................... 143

    Section 2. La petite liturgie de la ngociation : vers la partition de la formation ................. 170

    Section 3. Les IRA, laboratoires de la rforme de ladministration ? .................................. 192

    Conclusion .................................................................................................................................. 208

    Conclusion de la premire partie ................................................................................................ 210

    DEUXIEME PARTIE SAVOIRS PRESCRITS, SAVOIRS ENSEIGNES : LES FIGURES DU CADRE INTERMEDIAIRE DE LA FONCTION PUBLIQUE................................................................................... 213

    Introduction de la deuxime partie ............................................................................................. 215

    CHAPITRE 3 TECHNICIEN OU GENERALISTE ? LES CURRICULA DESSINENT DEUX FIGURES DE LATTACHE ......................................................................................................................................... 219

    Introduction ................................................................................................................................ 219

    Section 1. La construction en actes des programmes : les directeurs sapproprient la rforme de 2007 ............................................................................................................................................ 224

    Section 2. Sculpter les savoirs : la fabrique du professionnel .............................................. 254

    Conclusion .................................................................................................................................. 295

    CHAPITRE 4 FORMER DES ATTACHES, DESSINER LADMINISTRATION. INTERVENANTS ET JURES MODELISENT LES CADRES INTERMEDIAIRES.................................................................................... 297

    Introduction ................................................................................................................................ 297

    Section 1. Positionner le groupe des attachs dans la hirarchie administrative ........................ 299

    Section 2. Lactivit intermdiaire de lattach dadministration : du management sous contraintes. .................................................................................................................................. 345

    Conclusion .................................................................................................................................. 367

    Conclusion de la deuxime partie ............................................................................................... 368

  • 6

    TROISIEME PARTIE LA CONSTRUCTION DU MANDAT EN PRATIQUES : TRAVAIL INSTITUTIONNEL ET RECEPTIONS DE LA FORMATION .................................................................................................. 371

    Introduction de la troisime partie .............................................................................................. 373

    CHAPITRE 5 LA PROFESSIONNALISATION AU QUOTIDIEN ...................................................... 379

    Introduction ................................................................................................................................ 379

    Section 1. Le travail de la direction des tudes : institution totale et travail individualisant ...... 384

    Section 2. Les appropriations du caractre totalisant de linstitution ......................................... 421

    Conclusion .................................................................................................................................. 452

    CHAPITRE 6 TRAJECTOIRES DE (DE)CLASSEMENT : HIERARCHIE DES PLACES, HIERARCHIE DE LADMINISTRATION ............................................................................................................................ 455

    Introduction ................................................................................................................................ 455

    Section 1. Dans la perspective du classement intermdiaire ...................................................... 459

    Section 2. Pendant le classement : la reproduction des hirarchies administratives ? ................ 497

    Section 3. Aprs le classement : conformation et diffrenciation aux figures de lattach ........ 519

    Conclusion .................................................................................................................................. 549

    Conclusion de la troisime partie ............................................................................................... 550

    CONCLUSION GENERALE ................................................................................................................... 553

    SOURCES .............................................................................................................................................. 573

    BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................... 589

    ANNEXES ............................................................................................................................................. 609

    TABLE DES ENCADRES, TABLEAUX, ILLUSTRATIONS ET GRAPHIQUES ................................................ 652

  • 7

    Liste des principaux sigles, abrviations et acronymes utiliss

    AAE Attach dadministration de ltat

    AASU Attach dadministration scolaire et universitaire

    AC Administration centrale

    AFPA Association nationale pour la formation professionnelle des adultes

    ANF Archives nationales de France

    ANIFRMO Association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle

    de la main-duvre

    ASU Administration scolaire et universitaire

    ATE Administration territoriale de ltat

    B10 Bureau 10 de la DGAFP en charge des politiques de recrutement et de

    formation

    CDD Contrat dure dtermine

    CDI Contrat dure indtermine

    CFDT Confdration franaise dmocratique du travail

    CFTC Confdration franaise des travailleurs chrtiens

    CGC Confdration gnrale des cadres

    CIGEM Corps interministriel gestion ministrielle

    CNED Centre national denseignement distance

    CPAG Centre de prparation ladministration gnrale

    CPGE Classe prparatoire aux grandes coles

    CROUS Centre rgional des uvres universitaires et scolaires

    DEA Diplme dtudes approfondies

    DES Direction (ou directrice) des tudes et des stages

    DGAFP Direction gnrale de ladministration et de la fonction publique

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    DPMA Direction des personnels, de la modernisation et de ladministration du

    ministre de lducation nationale

    DRH Direction des ressources humaines

    EHESS cole des hautes tudes en sciences sociales

    EN3S cole nationale suprieure de Scurit sociale

    ENA cole nationale dadministration

    ENESR Ministre de lducation nationale, de lenseignement suprieur et de la

    recherche

    ENM cole nationale de la magistrature

    ENSOA cole nationale des sous-officiers dactive

    ENTPE cole nationale des travaux publics de ltat

    EPLE Etablissements publics locaux denseignements

    ENPC cole nationale des Ponts et Chausses

    ESEN cole suprieure de lducation nationale

    ESSEC coles suprieure des sciences conomiques et commerciales

    FEN Fdration de lducation nationale

    FNEGE Fondation nationale pour lenseignement de la gestion des entreprises

    FSU Fdration syndicale unitaire

    HEC cole des hautes tudes commerciales

    IASS Inspecteur des affaires sanitaires et sociales

    IEP Institut dtudes politiques

    IGAS Inspection gnrale des affaires sociales

    INET Institut national des tudes territoriales

    INTEFP Institut national du travail, de lemploi et de la formation

    professionnelle

    IPAG Institut de prparation ladministration gnrale

    IRA Institut rgional dadministration

  • 9

    IUFM Institut universitaire de formation des matres

    IUT Institut universitaire de technologie

    LOLF Loi organique relative aux lois de finances

    MEEDDAT Ministre de lEcologie, de lEnergie, du Dveloppement Durable et de

    lAmnagement du Territoire

    MEN Ministre de lducation nationale

    RCB Rationalisation des choix budgtaire

    RESP Rseau des coles de service public

    RGPP Rvision gnrale des politiques publiques

    TOS Techniciens et ouvriers de service

    UNSA Union nationale des syndicats autonomes

    VAE Validation des acquis de lexprience

  • 10

  • 11

    Introduction gnrale

    Le 12 dcembre 1969 se tient Matignon une runion entre les membres des cabinets

    ministriels de la Fonction publique et de lducation nationale. Des reprsentants du Premier

    ministre et du ministre de lconomie et des Finances sont galement prsents. Cette

    runion interministrielle est consacre lexamen des problmes poss par les

    conditions de recrutements, de formation et de titularisation des agents de certains corps de

    catgorie A des administrations centrales et des services extrieurs de ltat1 . Depuis

    19482, la catgorie A fait usuellement rfrence des fonctions dites de conception et

    dencadrement, la catgorie B rassemble des emplois considrs comme relevant des activits

    dapplication et de rdaction, la catgorie C renvoie plutt des fonctions dites

    dexcution . En sintressant la catgorie A prime , les acteurs de la runion

    interministrielle introduisent toutefois un degr plus fin de distinction. Les agents ainsi

    baptiss ne relvent pas du personnel de catgorie B, lappellation en atteste. Pour autant, les

    membres des diffrents cabinets qui utilisent cette expression ne souhaitent pas assimiler ces

    agents la catgorie A dans son ensemble. Il existe, pour eux, une diffrence qui oblige

    considrer cet chelon pour lui-mme, parce quil pose un ensemble de problmes et denjeux

    auxquels la catgorie A dans son entiret ne permet pas de rpondre. Qui sont donc ces

    fonctionnaires, et quelles sont leurs caractristiques qui interpellent ainsi les hauts

    fonctionnaires ?

    Un premier lment de rponse cette question nous est apport par lobjet de la runion

    interministrielle de dcembre 1969. En cherchant rgler les problmes poss par les

    conditions de recrutements, de formation et de titularisation de ces agents de catgorie

    A , les acteurs de la runion sont appels statuer sur le dcret visant organiser

    ltablissement et le fonctionnement des Instituts rgionaux dadministration (IRA). Ces IRA

    1 Archives nationales de France (ANF), 19790568 ART 4 Instituts rgionaux dadministration, 1969-1970,

    Relev des dcisions de la runion interministrielle du 12 dcembre 1969 , Secrtariat gnral du gouvernement, 26 dcembre 1969. 2 Le dcret n48-1108 du 10 juillet 1948 tablit une grille de classification des fonctionnaires en fonction de leur

    rmunration et du niveau de leur recrutement, selon un ordre hirarchie dsign par les lettres A, B et C.

  • 12

    sont des coles de formation conues pour recruter et former les fonctionnaires de cet chelon

    intercalaire. Prs de trois ans aprs que leur cration a t prvue par la loi, en 19663, ces IRA

    nont pourtant pas encore vu le jour. Les diffrents ministres ne parviennent pas sentendre

    sur le primtre dintervention de ces institutions de formation. La runion de 1969, sous

    lautorit des services du Premier ministre, permet de sceller un accord. Selon le bleu4 , il

    est demand que le projet de statut des IRA soit soumis au Conseil dtat, puis la signature

    des ministres, permettant lentre en vigueur du dcret de cration des IRA. Les deux

    premiers instituts ouvrent effectivement leurs portes Lyon et Lille le 1er

    janvier 1971,

    bientt suivis par linstallation de trois autres Nantes, Metz et Bastia5. En vertu des

    dispositions arrtes lpoque, les cinq IRA recrutent par concours et forment durant une

    anne cette frange du personnel administratif que les hauts fonctionnaires des ministres

    nomment les A . Recruts sous le statut de fonctionnaires-stagiaires, les lves sont

    titulariss lissue dun classement de sortie. Ils deviennent alors attachs dadministration de

    ltat6.

    Les attachs dadministration forms dans les IRA sont appels travailler en

    administration centrale, en administration dconcentre (notamment en prfecture), et dans

    nombres dtablissements publics (surtout dans les lyces et collges). Charg de mission ou

    adjoint au chef de service en ministre, contrleur de gestion dans une direction ministrielle,

    expert en contentieux administratif, chef de bureau en rectorat ou en prfecture, gestionnaire

    matriel ou comptable en collge, lyce, CROUS ou tablissement denseignement suprieur,

    directeur des ressources humaines en universit ni personnel dexcution ni hauts

    fonctionnaires, les attachs dadministration peuplent la moiti infrieure de la catgorie

    A de la fonction publique selon une grande varit de postes et de services. Aujourdhui, les

    attachs dadministration la qualification A disparat rapidement, sous la pression de

    lassociation des attachs dadministration centrale qui jugeait cette catgorisation

    dprciative7 sont largement implants dans le paysage administratif. Chaque anne, entre

    3 Loi n66-892 du 3 dcembre 1966 dorientation et de programme sur la formation professionnelle, article 15.

    4 C'est--dire le relev de dcision de la runion.

    5 Respectivement en 1972, 1973 et 1979.

    6 Prcisons demble pour carter tout malentendu quil ne sera pas question dans cette thse de ladministration

    et de la fonction publique territoriales. Pour un clairage sur les attachs territoriaux, nous renvoyons aux travaux dE. Biland : BILAND milie, Concours territoriaux et institutionnalisation de lemploi public local (annes 1970-annes 2000), Thse de sociologie, EHESS, Paris, 2008 ; BILAND milie, La fonction publique territoriale, Paris, La Dcouverte, Repres , 2012. 7 Cf. le chapitre 1 de cette thse.

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    600 et 700 lves des IRA sont titulariss dans les diffrentes administrations de ltat. Au

    nombre de 25 0008, ils reprsentent avec les inspecteurs prs de 20% de lensemble de la

    catgorie A9. Mais ce qui intrigue nest pas tant leur nombre que leur place, lintersection de

    lencadrement suprieur et des fonctionnaires en contact avec les usagers. La position

    particulire de ces agents a par exemple amen Christian Jacob, ministre de la Fonction

    publique de 2005 2007, prsenter les attachs dadministration comme lossature de

    lencadrement de la fonction publique dtat10 . Pourtant, prs de 45 ans aprs la naissance

    des IRA, les attachs dadministration restent largement mconnus aux yeux des usagers, en-

    dehors du monde resserr de ladministration et de quelques tudiants dInstituts dtudes

    politiques. En comparaison, la popularit dont jouissent lcole nationale dadministration

    (ENA) et ses lves, les narques , est sans commune mesure. Souvent prsente comme la

    grande sur des IRA, lENA mobilise au-del de la sphre purement administrative : on

    ne compte plus les essais, pamphlets, articles de presse et rapports portant sur lcole et les

    narques . Que ce soit pour le clbrer ou le fustiger, lENA reprsente un modle, parfois

    voqu comme tant typiquement franais, de formation des fonctionnaires et des lites.

    Chacun des projets de rforme est ainsi aliment par voie de presse par nombre d experts ,

    comme on la vu propos du dmnagement de lcole de la rue des Saint-Pre Paris la

    Commanderie Saint-Jean de Strasbourg partir de 1991, ou plus rcemment lors du projet

    maintes fois repouss et finalement abandonn de la suppression du classement final. LENA

    est bien connue. Mais peu de gens sintressent aux IRA. Pour Catherine Lamy, ancienne

    directrice dun IRA aujourdhui la retraite, les IRA sont dailleurs une terre vierge11 dont

    tout le monde se dtourne, y compris dans ladministration. En mobilisant cette expression,

    cette inspectrice gnrale des affaires sociales met en lumire le ddain avec lequel, selon

    8 Il sagit du chiffre avanc par la DGAFP au moment de la mise en place du Corps interministriel gestion

    ministrielle (CIGEM) des attachs dadministration en 2013. Voir la conclusion gnrale de la thse. 9 Les chelons infrieurs de la catgorie A comptent 37 131 attachs et inspecteurs, qui ne sont pas tous

    recruts par les IRA comme nous le verrons au cours de ce travail, auxquels nous pouvons rattacher les ingnieurs de ltat (20 185) et les officiers (39 733). Cet chelon pse par rapport aux effectifs de lencadrement suprieur : 9 137 postes dencadrement et de direction qui regroupent les emplois la dcision du gouvernement et assimils et les autres corps ou emplois dencadrement et de direction (par exemple les dirigeants dadministration centrale) , 20 824 individus si lon rattache lencadrement suprieur les fonctions dinspection et de contrle : juridictions administratives et financires, juridictions judiciaires, inspection gnrales. Hors enseignants, la catgorie A compte 192 206 agents. La recherche, lenseignement suprieur et le professorat (certifis et agrgs) reprsentent 421 722 individus. Source DGAFP, pour lanne 2011. Champ : France mtropolitaine et DOM. 10

    Communiqu de presse de Christian Jacob relatif la rforme de la scolarit des Instituts rgionaux dadministration et mesures pour favoriser les droulements de carrire des attachs, 18 septembre 2006. 11

    Catherine Lamy, administratrice civile IGAS, directrice de lIRA de Lyon (2002-2006), entretien, 15 fvrier 2012.

  • 14

    elle, les directions ministrielles se sont proccupes du cas de ces coles et de leur public

    depuis la fin des annes 2000.

    A quoi servent les IRA et comment sont-ils grs ? Quel est le rle de ces fonctionnaires au

    positionnement singulier ? Comment et quoi sont-ils forms ? Nous prenons comme point

    de dpart de thse la tension entre, dune part, la relative invisibilit des IRA et des attachs

    dadministration tant aux yeux des usagers quauprs des universitaires et, dautre part,

    les enjeux potentiels que la construction, la formation et la gestion de ces fonctionnaires de

    catgorie A peuvent soulever eut gard leur nombre et leur positionnement.

    Construction de lobjet : les IRA la croise de trois questions

    Ce travail vise analyser la formation des attachs dadministration dans les IRA, afin de

    comprendre le rle et la place qui sont donns ces fonctionnaires dans ladministration. En

    faisant des attachs un traceur des volutions de ladministration, cette enqute est une faon

    dclairer, sous un autre jour, la connaissance de ltat et de ses transformations. Notre

    recherche a dbut par une investigation dans un IRA. On peut alors se demander comment

    on passe dune enqute sur une cole de service public une rflexion sur ltat et le

    positionnement de ses personnels. Pour rendre compte de ce chemin, nous retraons ici

    succinctement la gense de la question de recherche et les tapes successives de la

    construction de lobjet comme le fruit dun parcours non linaire et dune succession de

    bifurcations choisies ou imposes.

    Quest-ce que la formation ? Les premiers pas de lenqute : ltude de la

    formation des fonctionnaires en pratiques

    Le cadrage initial de notre recherche12

    consistait tudier la formation des fonctionnaires

    en pratiques, partir du cas des attachs dadministration dans les IRA. Il sagissait

    dobserver le dispositif de formation propos par ces instituts, et les effets quil pouvait avoir

    sur les fonctionnaires. Le choix de cette focale tait d pour partie un rflexe hrit de nos

    tudes de sociologie durant lesquelles nous avions eu loccasion dobserver des dispositifs de

    socialisation et des interactions dapprentissage13. Lobservation directe des pratiques

    12

    Le projet de recherche a t travaill partir dune allocation rgionale flche portant sur les savoirs et outils de gouvernement. 13

    Nous avons travaill sur la sociologie du handicap dans le cadre dun master, en questionnant la fois le travail ducatif et la socialisation des personnes handicapes elles-mmes.

  • 15

    dapprentissage la fonction publique et de ses effets sur les individualits nous semblait

    galement un moyen de prolonger les tudes existantes sur la formation des fonctionnaires,

    qui navaient notre connaissance pas beaucoup eu recours ce type de dispositif denqute.

    Nous sommes donc entr sur le terrain des IRA en portant demble une grande attention aux

    lves fonctionnaires. Il sagissait, en effectuant les premiers pas de lenqute dans un IRA,

    de comprendre ce que sont ces instituts, leur fonctionnement et leur encadrement, et la

    manire dont voluaient les lves au sein de ce dispositif. Nous cherchions comprendre la

    formation la fonction publique en saisissant les transformations individuelles qui devaient

    ncessairement laccompagner. Nous nous sommes ainsi attach retracer les trajectoires

    individuelles des lves, mais aussi reprer les motivations, les dceptions, les difficults,

    les enjeux personnels ou extrieurs qui se trouvent encastrs dans les ajustements scolaires

    que nous observions. En un mot, nous voulions saisir la politique de formation des

    fonctionnaires par le bas , au plus prs des interactions entre acteurs.

    Cette dmarche sest trouve encourage par les premiers rsultats de lenqute.

    Contrairement ce que nous pensions, nous avons dcouvert une institution plutt coercitive,

    dans le sens o les attentes institutionnelles auprs des lves14

    taient nombreuses et

    fortement exprimes. Cette pression institutionnelle a t rendue visible, outre les entretiens,

    travers un ensemble de dtails : la directrice des tudes qui se poste lentre de lIRA le

    matin pour vrifier les retards, les discussions interminables sur les modes et les rsultats des

    valuations, lattente du classement, les stratgies de prsentation de soi vis--vis des

    intervenants Pour le dire autrement, lempreinte de la forme scolaire15 sur les IRA,

    c'est--dire dune configuration institutionnelle de socialisation fonde sur un ensemble de

    rgles relatives au modle de lcole, est demble apparue prgnante. Dans un premier

    temps, nous avons donc t particulirement attentif ce que les IRA donnaient et

    permettaient aux apprentis fonctionnaires. Au dbut de lenqute, travailler sur les IRA

    consistait travailler sur une institution de formation, dont il fallait saisir les effets quelle

    pouvait avoir sur les lves, en se demandant comment et quoi, dans la pratique, les

    fonctionnaires sont forms.

    14

    Le simple fait dappeler les apprentis fonctionnaires des lves est de ce point de vue loquent. Nous avons dans notre thse repris cette terminologie, bien quelle-mme utilise par les acteurs de notre terrain, pour marquer dans lanalyse cette force institutionnelle. Le lecteur pourra se reporter au chapitre 5 pour une explicitation. 15

    VINCENT Guy (dir.), Lducation prisonnire de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les socits industrielles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1994.

  • 16

    De ltude de la formation en pratiques ltude de lIRA saisi par les acteurs

    comme un outil du changement : comment change ladministration ?

    Rapidement toutefois, centrer le regard sur les lves sest rvl largement insuffisant,

    pour au moins deux raisons. Dabord parce que cette focale ne permettait pas de rendre

    compte de lensemble des pratiques et des espaces de formation, et ne rendait que

    partiellement justice au travail de formation exerc quotidiennement par les IRA. Le travail de

    lorganisation, c'est--dire de tous les acteurs qui travaillent quotidiennement auprs des

    lves (intervenants, jurys, directeurs des tudes, directeurs dIRA), devait tre pris en

    considration. Les IRA, en tant que mandataires de la politique de formation des

    fonctionnaires, ont une certaine forme et une certaine organisation institutionnelle, que ltude

    des lves et des interactions ne permettait pas de saisir. La seconde raison qui nous a conduit

    largir le regard, inflchissant la construction de lobjet, est provenue directement du terrain.

    Au cours de lenqute dans les IRA nous avons dcouvert quune rforme de la scolarit et

    des enseignements, adopte en 200716, tait progressivement mise en uvre. Lobservation in

    situ des effets de cette rforme devait saccompagner dune tude des transformations

    institutionnelles, pdagogiques ou professionnelles qui sy trouvaient ncessairement

    imbriques. Il a fallu pour ce faire prolonger lenqute des situations dapprentissages par une

    enqute sur la rforme de la formation. Engag dans cette voie par les travaux de J. Gervais,

    nous avons cherch remonter le fil de la rforme de la formation17

    . Lobjectif poursuivi

    consistait explorer les arcanes o la rforme sest trouve pense et mise en objet, tout en

    tant sensible aux rceptions, aux lignes de fractures et aux effets ce(ux) qui taient

    lgitims, ce(ux) qui taient exclus que la rforme ne manquerait pas dinformer.

    Lobservation interne linstitution ne suffisait plus, il fallait sortir des IRA pour se diriger

    vers les directions ministrielles o la rforme avait t discute. Dans un second temps de

    lenqute, la question de la formation en pratiques sest trouve double dune interrogation

    sur la rforme de la formation, et partant sur les formes contemporaines de la politique de

    recrutement, de formation et de gestion des fonctionnaires.

    La rforme de la scolarit de 2007 permettait en outre dexplorer les enseignements

    dispenss dans les IRA. Placs au centre de la rforme, les savoirs en management ont

    16

    Dcret 2007-1247 du 20 aot 2007 modifiant le dcret 84-588 du 10 juillet 1984 relatif aux instituts rgionaux dadministration, et arrt du 23 aot 2007 relatif lorganisation de la formation initiale au sein des IRA. 17

    GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique ou la fabrique dun nouveau corps des Ponts et Chausses. Impratifs managriaux, logiques administratives et stratgies corporatistes (fin du XIXme sicle), Thse pour le doctorat de science politique, IEP de Lyon, 2007, p. 16.

  • 17

    notamment fait lobjet dune attention particulire ce stade de lenqute. La question du

    profil des attachs dadministration et de ses ventuelles volutions se trouvait pose : dans

    quelle mesure lenseignement de savoirs en management correspond-il une

    managrialisation de fait des comptences des attachs dadministration ? La place

    occupe par ces savoirs a galement conduit se proccuper des enseignements en droit.

    Ltude des programmes a montr la place importante des savoirs juridiques dans la

    formation propose par les IRA. En dmlant les fils du management et du droit tel quils

    sont enseigns dans une cole de service public, nous cherchions comprendre les

    conceptions que ltat pouvait nourrir quant aux comptences et techniques des

    fonctionnaires.

    Corrlativement, il sagissait de dterminer la place et le rle que pouvait occuper la

    formation des attachs dans les reconfigurations administratives contemporaines. Au gr de

    lenqute, la question des IRA sest construite comme un cas du souci de soi de ltat18 ,

    c'est--dire des politiques rflexives de ladministration visant sa rforme. Ce terrain

    permettait en effet dobserver les contenus de ce que ltat cherche donner ses futurs

    fonctionnaires, et les manires dont les lves pouvaient sapproprier ces savoirs. Sur ce plan,

    les IRA sont apparus comme un outil de promotion des politiques de rforme administrative,

    dont la rforme de la scolarit de 2007 donnait un point dentre. Do une srie

    dinterrogations : comment est envisage la scolarit des attachs au sein de la tutelle

    ministrielle des IRA, exerce par la Direction gnrale de ladministration et de la fonction

    publique (DGAFP) ? Le ministre de la Fonction publique se trouve-il concurrenc par

    dautres ministres dans la gestion de la formation des fonctionnaires ? Ltude sur la rforme

    des IRA sest ainsi prolonge par une enqute dans les ministres. A lobservation de la

    formation en pratiques sest accol un questionnement sur les luttes dappropriation de loutil

    IRA pour la dfinition de la politique de formation et de gestion des fonctionnaires, et plus

    largement dans la politique de transformation de ltat.

    Le prolongement de lenqute par le haut (de lIRA vers les directions ministrielles) sest

    doubl dune extension historique. Enquter sur la rforme de 2007 ne pouvait se faire sans

    enquter sur sa gense, dans la mesure o de nombreux acteurs avaient eux-mmes tendance

    mobiliser des catgories anciennes leur servant justifier leur politique ou leur

    18

    BEZES Philippe, Rinventer ltat. Les rformes de ladministration franaise (1962-2008), Paris, PUF, Le lien social , 2009.

  • 18

    positionnement. Cest par exemple le cas du recours aux notions d cole dapplication , de

    professionnalisation ou mme de management , les politiques de rforme de la

    formation des fonctionnaires, et parfois mme de ladministration dans son ensemble, tant

    qualifies de managriales . Il fallait dfricher la variation des usages historiques de ces

    catgories, afin den clairer les rationalits actuelles. Placer la formation dans lhistoire a

    permis douvrir une fentre sur la question de lvolution de la place du management dans

    ladministration. Le terrain des IRA nous invitait dcouvrir quel moment le

    management avait commenc tre enseign dans les IRA. Nous cherchions galement

    rendre compte des usages diffrencis dune mme catgorie en fonction des configurations

    historiques, comme par exemple celle de la professionnalisation qui sature en 2007 le

    projet de rforme de la scolarit, mais qui est utilise ds les annes 1970. Sur un plan

    administratif, lentre historique a fait apparatre un ensemble de questions sur lexercice de la

    tutelle des IRA par la DGAFP : quelles ont t les volutions dans les pratiques de gestion de

    la formation des fonctionnaires, et quelle est la lgitimit historique de la DGAFP exercer

    cette tutelle ? En dfinitive, nous nous demandions quelle place tait donne la formation

    des fonctionnaires dans ltat, et quelles comptences taient privilgies dans les

    enseignements des IRA en fonction des priodes. Pour rpondre ces questions, il fallait

    comprendre pourquoi les IRA avaient t crs, et pourquoi ce moment et dans ce contexte-

    l. Cest en gardant ce projet lesprit que nous avons dbut un travail sur archives afin de

    donner un clairage socio-historique aux transformations contemporaines de la formation des

    attachs dadministration pour les situer dans le mouvement plus large des volutions de la

    fonction publique et de ladministration.

    De lIRA saisi comme un outil de rforme ltude de la construction des

    cadres administratifs intermdiaires : que sont les cadres intermdiaires de la

    fonction publique ?

    Linvestigation portant sur la gense des IRA na pas t sans faire merger une foule de

    questionnements sur le rle et la place que les destinataires de la formation tiennent

    historiquement et socialement au sein de ladministration. Lenjeu de la formation de cadres

    fonctionnaires rside dans le fait quils participeront demain la dcision. Mais de quelle

    manire ? Le dtour par lhistoire, et notamment par ltude du contexte institutionnel et

    ministriel qui entoure la cration des IRA, a fait natre une interrogation sur le

    positionnement et les activits attendues des attachs dadministration. En effet, en

  • 19

    dcouvrant que les IRA avaient fait lobjet de luttes de dfinition quant aux formes et aux

    contenus donner ces institutions et leur formation, depuis leur naissance jusqu la

    rforme de 2007, lenqute sest prolonge par une tude des enjeux spcifiques des IRA dans

    le champ administratif. Ainsi, la place et le rle donner aux lves des IRA sont apparus

    comme lenjeu administratif principal entourant les instituts travers le temps. Pour

    comprendre cet enjeu, il fallait comprendre qui sont les attachs dadministration. A quelle

    strate, quelle catgorie, quelle grille de fonctionnaire appartiennent-ils ? Quest-ce que leurs

    suprieurs attendent deux ? En un mot, lextension de lenqute vers la question de la

    construction et du dveloppement de la formation des IRA nous a conduit explorer la place

    et le rle non pas des fonctionnaires en gnral, mais de ces fonctionnaires en particulier. Ds

    lors, il ne sagissait plus seulement de percevoir des lves voluant dans un dispositif de

    formation, ni mme de voir les IRA comme un instrument administratif, mais galement de

    reprer des figures, une identit en tension, un ensemble de rles, de pratiques et dactivits

    prescrites par la formation, depuis les modalits administratives et historiques de son

    administration jusque dans les interactions dapprentissage, en passant par la dfinition des

    savoirs enseigner et des savoirs effectivement enseigns.

    A ces questionnements amens par le terrain sest ajout un autre lment : le rapport

    entretenu entre les IRA et lENA, et par ricochet entre les attachs dadministration et les

    administrateurs civils. La comparaison a t avance maintes fois, autant par les acteurs de

    terrain que par les travaux scientifiques ou par les questions qui ont t adresses par dautres

    chercheurs nos travaux. Du ct des acteurs qui gravitent autour des IRA, lENA apparat

    comme un point dappui rcurrent sur lequel les acteurs fondent des reprsentations ou des

    stratgies de lgitimation. Dabord parce que beaucoup de ces acteurs, directeurs dIRA,

    administrateurs des directions ministrielles, prsidents du jury, sont eux-mmes narques,

    parfois mme camarades de promotion19. Ensuite et surtout parce que lENA est souvent

    considre comme la grande sur des IRA20, tandis que les lves sont souvent appels

    (ou sappellent entre eux) les irarques21 . Au niveau ministriel, les administrateurs de la

    formation des fonctionnaires sappuient rgulirement sur la proximit des deux coles, dont

    19

    Outre les points biographiques et les profils que nous avons dvelopps au fil de la dmonstration, le lecteur trouvera en annexe n1 les grandes lignes biographiques des principaux acteurs de notre enqute. 20

    Par exemple : Comme sa grande sur lENA, linstitut dispense une formation professionnelle, post-universitaire et interministrielle , maquette de prsentation de lIRA de Metz. 21

    En rfrence aux lves de lENA, ce terme est parfois, mais pas toujours, prononc par les lves ou par les intervenants avec un soupon de drision.

  • 20

    la tutelle est partage par le mme service la DGAFP. Le projet de rforme du classement de

    fin de scolarit de lENA en offre une illustration, lorsquen 2005 il saccompagne dun projet

    dexprimentation pralable dans les IRA, qui prsente lavantage dtre moins visible sur les

    plans mdiatique et politique. Le projet de faire de lIRA un laboratoire de la suppression du

    classement choue, mais il reste significatif de litinraire de circulation et dinfusion qui peut

    exister entre les deux coles de fonctionnaires de catgorie A. Lpisode de la cration des

    IRA invite tout autant la comparaison avec lENA, dont les projets sont semblables sur bien

    des points, et dont Michel Debr apparat aussi comme une figure centrale bien que

    davantage en position darbitre en ce qui concerne les IRA comme nous le verrons dans le

    dveloppement de cette thse. Cette comparaison na pas seulement t amene par les

    acteurs de notre terrain, les travaux portant sur cette cole offrent galement un point dappui

    central tout chercheur qui travaille sur ladministration ou sur un de ses segments22, et a

    fortiori sur la formation au service public. Certes, la proximit de notre objet avec celui de

    lENA nous avait rendu prudent, car le risque tait grand de rabattre des problmatiques

    propres lcole de la Commanderie Saint-Jean sur le terrain des IRA dont il ne fallait pas

    prsupposer la ressemblance. Mais le cas de lENA tel quil est trait par les sciences sociales

    donne voir les spcificits ou les rgularits que les IRA peuvent faire valoir dans le champ

    administratif, tant par le modle convoqu par ses crateurs que par les pratiques effectives de

    gestion et denseignement. Ce faisant, interroger le cas des IRA laune de ces travaux a

    conduit interroger la spcificit de leur public, c'est--dire celle des attachs

    dadministration, dont la premire caractristique est quils ne font justement pas partie des

    grands corps sortis de lENA.

    En tablissant un lien entre, dune part, lensemble des interrogations sur le statut, le rle et

    les pratiques des attachs par rapport ceux des narques et, dautre part, ltude du statut et

    du rle des IRA par rapport lENA, nous avons construit la question de la spcificit des

    fonctionnaires forms dans les IRA par leur position dans ladministration. Sans omettre de

    rintgrer le point de vue historique de constitution puis dadministration de la formation, il

    sagissait de questionner la place, le statut et les activits de ces cadres qui nappartenaient

    ni aux grand corps ni aux catgories les plus domines de fonctionnaires. Lentre par et

    dans les IRA nous a conduit questionner cette strate de fonctionnaires qui se trouvent la

    22

    Nous pouvons nous reporter au paragraphe de cette introduction intitul Grandes orientations thoriques : une sociologie institutionnelle de la formation des cadres intermdiaires de la fonction publique pour une revue de littrature dtaille sur les coles de formation des fonctionnaires, et sur lENA en particulier.

  • 21

    fois en situation dencadrants et dencadrs. Inscrits dans la catgorie A de la fonction

    publique, ils ne sont pas pour autant assimilables aux hauts fonctionnaires quil est coutume

    aujourdhui dappeler les A+ comme le montrent les premires notes administratives qui

    dsignaient les attachs dadministration comme les A afin de les diffrencier la fois

    des B et de la haute fonction publique alors regroupe sous la catgorie A . Se servir de

    lENA comme dun point dappui dans lobservation des IRA a toutefois permis de construire

    les attachs dadministration comme des cadres intermdiaires de la fonction publique dont la

    question du statut, du rle et du positionnement dans la hirarchie administrative est lobjet

    dinvestissements divers et concurrents.

    En dfinitive, notre objet de recherche sest construit au fil dun chemin fait de bifurcations

    internes et externes lenqute. Au terme de ce parcours, nous pouvons avancer que les IRA

    constituent un observatoire privilgi de la formation des cadres intermdiaires de la fonction

    publique et, partant, des transformations contemporaines de ladministration. Cet objet se

    trouve la croise de trois types de questionnements que les fils de lenqute ont permis de

    mettre au jour : la formation des cadres intermdiaires en pratiques, la politique de gestion de

    la formation des fonctionnaires, et la spcificit des activits, des savoirs et du positionnement

    de ces cadres intermdiaires dans ladministration. A travers le cas des IRA, nous proposons

    une rflexion sur lexercice dans les deux sens de prparation et de pratique, dentranement

    et dactivit de lencadrement administratif intermdiaire. Selon quelle perspective cet objet

    peut-il tre saisi ?

    Grandes orientations thoriques : une sociologie institutionnelle de la

    formation des cadres intermdiaires de la fonction publique.

    En travaillant sur les IRA, qui restent une institution largement mconnue, cette thse

    propose une contribution empirique qui sinscrit dans le sillage du renouveau de la sociologie

    de ltat et de ladministration, via lanalyse de la formation de ses fonctionnaires. Mais ce

    travail nourrit galement lambition dapporter une rflexion plus thorique sur les cadres

    intermdiaires de la fonction publique au prisme de leur formation, ce qui permet den saisir

    la fois la construction historique, les positionnements et les activits prescrites. Cest en ce

    sens que nous voulons interroger les trois champs de recherche relativement distincts (mais

    dont lhomognit peut varier) qui ont influenc notre parcours de recherche et qui

    interrogent notre objet de manire transversale. Tout dabord, notre recherche sinscrit dans

  • 22

    une tradition de travaux portant sur la formation scolaire des cadres de la fonction publique,

    dont la grande cole apparat comme linstitution de rfrence. Ensuite, nous signalerons

    les liens troits que ce travail entretient avec les tudes sur les transformations de ltat et de

    son administration. Enfin, nous dfendrons une approche institutionnelle de la formation en

    soulignant ce que la sociologie et la science politique peuvent dire, dune faon plus gnrale,

    de ltude des cadres intermdiaires de la fonction publique.

    La formation des cadres de laction publique : une tude de la formation

    institutionnelle en pratiques

    La notion de cadres de laction publique prsente lintrt de rintgrer le rle de la

    formation dans ltude de la construction des cadres . Dans cette perspective, dveloppe

    au sein du ple Action publique du laboratoire Triangle23

    et en particulier partir du cas de la

    formation des ingnieurs du corps des Ponts et Chausses24

    , la notion de cadre est

    entendue la fois comme un statut, un positionnement (le cadre comme personnel

    dencadrement) et comme un ensemble de schmes de reprsentations de la ralit, voire

    dorientation des pratiques (le cadre synonyme de frame goffmanien25). Notre travail

    consiste prolonger ce chantier par une tude de la formation des cadres intermdiaires de

    laction publique. Car jusque-l, les travaux qui se sont penchs sur la formation des

    fonctionnaires se sont surtout intresss la haute fonction publique, se dclinant autour de

    deux principaux objets : la question de la slection des candidats par concours de la fonction

    publique et la question des grandes coles.

    Lintrt pour les concours est n, pourrait-on dire, avec la sociologie de ltat : avec la

    formation et limpersonnalit du recrutement, le concours est cens garantir, pour M. Weber,

    le type de domination lgale-rationnelle dont la direction administrative bureaucratique

    apparat comme le type idal26

    . Cette forme institutionnelle27

    qui est une invention

    juridique dont la sociogense stale au long du XIXme sicle28 est gnralement considre

    23

    Voir notamment PAYRE Renaud et POLLET Gilles, Socio-histoire de laction publique, Paris, La Dcouverte, Repres , 2013, p. 71 et suiv. 24

    GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique ou la fabrique dun nouveau corps des Ponts et Chausses, op. cit. 25

    GOFFMAN Erving, Les cadres de lexprience, Paris, Minuit, Le sens commun , 1991. 26

    WEBER Max, conomie et socit I. Les catgories de la sociologie, Paris, Agora, 1995, p. 294. 27

    EYMERI-DOUZANS Jean-Michel, Les concours lpreuve , Revue franaise dadministration publique, n142, 2012/2, p. 307-325. 28

    DREYFUS Franoise et EYMERI-DOUZANS Jean-Michel, Introduction. Les concours administratifs en questions , Revue franaise dadministration publique, n142, 2012/2, pp. 305-306 et DREYFUS Franoise,

  • 23

    comme suffisamment stable il sagit pour P. Sadran dune institution cl de la fonction

    publique29

    pour tre lobjet dun grand nombre de travaux. Lintrt principal des concours

    rside sans nul doute dans le fait que ce dispositif donne voir les effets de slection sociale.

    De ce point de vue, les travaux de P. Bourdieu ont marqu un pas dcisif, montrant que la

    noblesse dtat est le produit de concours qui font intervenir la vocation et le

    choix30

    comme des variables explicatives de l homologie structurale constate entre le

    monde social et la sphre scolaire (les divisions, jugements et intrts propres un champ se

    retrouvent dans lautre). Les concours daccs aux grandes coles apparaissent dans ce cadre

    comme des rites d'institution qui favorisent la transformation du capital hrit en capital

    scolaire31

    , notamment par le biais des preuves de culture gnrale32

    . Les concours donnent

    ainsi prise aux mcanismes de reproduction sociale du personnel administratif, politique et

    plus largement litaire. Mais comme le font remarquer Y-M. Abraham33

    ou E. Biland et L.

    Isral partir du mme cas dHEC34, les travaux qui prennent les concours pour objet ont en

    dfinitive peu interrog les effets concrets dapprentissage et de formation. Une approche par

    le seul concours risque ainsi de rabattre sur la formation des mcanismes propres la

    slection scolaire et sociale.

    En excluant la question du concours du dispositif denqute, et en se concentrant sur les

    effets de la formation en tant que telle, cette recherche sinscrit de fait dans la ligne de

    travaux qui prennent directement pour objet la formation des fonctionnaires. Ce champ de

    recherches est fourni et ancien, mais disparate. M. Weber avait dj montr que la formation

    professionnelle des fonctionnaires, au mme titre que leur slection, est constitutive du

    processus de rationalisation bureaucratique, dans la mesure o elle pourvoie une qualification

    La double gense franco-britannique du recrutement au mrite : les concours et lopen competition , Revue franaise dadministration publique, n142, 2012/2, pp. 327-337. Pour une vision plus gnrale de linfusion internationale du modle wbrien, voir galement DREYFUS Franoise, Linvention de la bureaucratie. Servir ltat en France, en Grande-Bretagne et aux tats-Unis (XVIIIe-XXe sicles), Paris, La dcouverte, Histoire contemporaine , 2000. 29

    SADRAN Pierre, Recrutement et slection par concours dans ladministration franaise , Revue franaise dadministration publique, n1, 1977, p. 92. 30

    BOURDIEU Pierre, La Noblesse d'tat, Paris, Minuit, Le sens commun , 2006 (1989), p. 196. 31

    Ibid., p. 140 et suiv. 32

    OGER Claire, Le faonnage des lites de la Rpublique. Culture gnrale et haute fonction publique, Paris, Presses de Sciences Po, 2008. 33

    ABRAHAM Yves-Marie, Du souci scolaire au srieux managrial, ou comment devenir un HEC , Revue franaise de sociologie, vol. 1, n48, 2007, pp. 37-66. 34

    BILAND milie et ISRAL Liora, A lcole du droit : les apports de la mthode ethnographique lanalyse de la formation juridique , Les cahiers de droit, vol. 52, n3-4, 2011, pp. 619-658. Larticle sappuie galement sur le cas de Sciences po Paris.

  • 24

    ncessaire lapplication des rgles, et donc la rationalit administrative35. Depuis, la

    formation des fonctionnaires constitue un thme assez rcurrent des analyses en science

    politique de ladministration. Quelques coles ont fait lobjet dtudes fournies. Outre lcole

    nationale des Ponts et Chausses36, nous pouvons noter le cas de lcole Polytechnique37.

    Mais cest le cas de lENA qui a certainement le plus intrigu. Les tudes comparatives ont

    souvent analys la formation de tous les fonctionnaires franais travers le seul prisme de

    lENA38. En France, outre de nombreux essais caractre normatif ou vise prescriptive39,

    les tudes portant sur lENA sont soit loccasion dune plonge historique40, soit loccasion de

    contribuer la sociologie des hauts fonctionnaires, le plus souvent dans une perspective

    litiste41

    : J-L. Bodiguel met notamment en avant lhtrognit des anciens lves de

    lENA42, tandis que J-F. Kesler43, directeur adjoint de lcole et sociologue, propose une

    morphologie de linstitution et des lves. Un numro spcial de la revue Pouvoirs publi en

    1997 offre une vision de quelques-unes de ces approches44. E. Suleiman sintresse galement

    lENA dans son ouvrage Les Elites en France45, en mettant en lumire le rle des

    enseignants dans la diffusion des valeurs propres un esprit de corps . Paralllement, les

    analyses structurales de La Noblesse dtat, qui fait de lENA un cas majeur de

    35

    WEBER Max, conomie et socit, op. cit., p. 292. 36

    GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique, op. cit. ; voir galement THOENIG Jean-Claude, Lre des technocrates. Le cas des Ponts et Chausses, Paris, lHarmattan, Logiques sociales , 1987. 37

    SHINN Terry, Savoir scientifique et pouvoir social. Lcole Polytechnique (1794-1914), Paris, Presses de la FNSP, 1980 ; SHINN Terry, Des corps de ltat au secteur industriel : gense de la profession dingnieur, 1750-1920 , Revue franaise de sociologie, vol. 19, n1, 1978, pp. 39-71 ; BELHOSTE Bruno, La formation dune technocratie. Lcole polytechnique et ses lves de la Rvolution au Second Empire, Belin, Histoire de lducation , 2003. 38

    ABERBACH Joel, PUTNAM Robert et ROCKMAN Bert, Bureaucrats and Politicians in Western Democracies, London, Harvard University Press, 1981; PETERS Guy, The Politics of Bureaucracy, Londres, Routledge, 2001. 39

    Parmi cette littrature, nous pouvons noter lexemple marquant de J-P. Chevnement, D. Motchane et A. Gomez rassembls sous le pseudonyme de Jacques Mandrin, qui fustigent l narchie MANDRIN Jacques, Lnarchie ou les mandarins de la socit bourgeoise, Paris, La Table Ronde, 1967, ou celui de M. Crozier qui prend partie pour la fermeture de la fabrique des clones dans CROZIER Michel et TILLIETTE Bruno, Quand la France souvrira, Paris, Fayard, 2000, p. 113. 40

    Qui retracent notamment la difficult avec laquelle le projet initial de lENA, qui consiste unifier le recrutement et la formation des hauts fonctionnaires, a vu le jour. Voir notamment THUILLIER Guy, LENA avant lENA, Paris, PUF, 1983, WRIGHT Vincent, Lcole nationale dadministration de 1848-1849 : un chec rvlateur , Revue historique, 255, fasc. 1 (517), janvier-mars 1976, pp. 21-42. 41

    Initie par BIRNBAUM Pierre, Les sommets de l'tat. Essai sur l'lite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977 et BODIGUEL Jean-Luc et QUERMONNE Jean-Louis (dir.), La haute fonction publique sous la V

    me

    Rpublique, Paris, Presses Universitaires de France, coll."Politique d'aujourd'hui", 1983. 42

    BODIGUEL Jean-Luc, Les anciens lves de l'ENA, Paris, Presses de la FNSP, Sociologie , 1978. 43

    KESLER Jean-Franois, L'ENA, la socit, l'tat, Paris, Berger-Levrault, 1985. 44

    L'ENA , Pouvoirs, n80, janvier 1997. 45

    SULEIMAN Ezra, Les Elites en France. Grands corps et grandes coles, Paris, Seuil, 1979.

  • 25

    constitution dun esprit de corps46 , a t prolong par quelques tudes47. A la frontire de

    ces diffrentes approches, J-M. Eymeri-Douzans propose dans sa thse, au moyen dune

    importante enqute, de renouveler la sociologie des narques de ministre , en amendant

    les mcanismes danalyse qui visent faire du recrutement par concours un soutien infaillible

    la reproduction des lites et la formation un levier automatique de la construction dun

    esprit de corps des administrateurs civils48. Cette perspective lamne en particulier

    sintresser au processus productif qui faonne les narques dans lENA, travers un double

    mouvement de conformation et de diffrenciation la figure de lnarque49. Mais ces travaux

    sont maintenant anciens, tandis que la scolarit de lENA a depuis fait lobjet de rformes

    (notamment en 2004-2005) et de transformations. Le cas de lENA attise nombre de

    commentaires mdiatiques ou politiques, mais les sociologues sen sont grandement

    dtourns. Aujourdhui, les tudes portant sur la formation des fonctionnaires se sont

    principalement renouveles autour de ltude des savoirs et des enseignements, prenant pour

    objet les injonctions contradictoires lies lintroduction denseignements de type

    gestionnaire ou managrial, partir du cas dune cole50, ou dun type denseignement en

    particulier51

    .

    Au total, les travaux franais qui ont pris pour objet la formation des fonctionnaires se sont

    presquexclusivement intresss aux coles les plus visibles et la construction des grands

    corps , dlaissant largement les coles, les recrutements et les formations moins

    46

    L esprit de corps est institu au sein des grandes coles par limposition dun titre et dune identit des individus rassembls par de trs fortes ressemblances sociales , BOURDIEU Pierre, La Noblesse dtat, op. cit., p. 257. 47

    Par exemple sur les programmes de formation lENA et sciences po Paris : GARRIGOU Alain, Les lites contre la Rpublique, Sciences Po et l'ENA, Paris, La Dcouverte, Cahiers libres , 2001. 48

    Ne constituant pas un corps avec son esprit de corps et son corporatisme, les administrateurs civils issus de lENA nont pas dexistence ni de stratgie collective autonome par rapport la structure. Ne formant pas un corps, ils sont condamns faire corps avec linstitution tatique : porter linstitution, garder ltat est leur destin objectif , EYMERI Jean-Michel, Les gardiens de l'tat. Une sociologie des narques de ministre, thse pour le doctorat en science politique, Universit Paris I, 1999, p. 599. 49

    EYMERI Jean-Michel, La fabrique des narques, Paris, Economica, Etudes politiques , 2001, qui correspond aux deux premiers chapitres de sa thse. 50

    GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique ou la fabrique dun nouveau corps des Ponts et Chausses, op. cit. 51

    Lenseignement du droit dans la formation des lites a fait lobjet du projet ANR Elidroit , et a donn lieu quelques publications sur lenseignement du droit lENA : BILAND milie et VANNEUVILLE Rachel, Government Lawyers and the Training of Senior Civil Servants. Maintaining Law at the Heart of the French State , International Journal of the Legal Profession, 2012, 19, 1, pp. 29-54. BILAND milie et KOLOPP Sarah, La fabrique de la pense dtat , Gouvernement et action publique, 2013/2, n2, pp. 221-248. Nous pouvons galement noter la thse de science politique en cours de KOLOPP Sarah sur lenseignement de lconomie lENA, voir KOLOPP Sarah, De la modernisation la raison conomique. La formation en conomie lENA et les dplacements des lieux communs dans laction publique (1945-1984) , Genses, n93, 4, 2013, pp. 53-75.

  • 26

    prestigieuses. Sintresser aux IRA est une faon de dtourner le regard, et ainsi de

    comprendre ce qui fait de lENA une grande cole , et de lIRA une cole moins

    prestigieuse. De plus, cette revue des recherches met en vidence le fait que peu de travaux

    proposent une analyse des effets concrets dapprentissage dans ces coles. En sintressant

    aux dispositifs concrets (confrence de mthodes, note de synthse, classement) mis en

    place lENA, le travail de J-M. Eymeri-Douzans offre toutefois des pistes intressantes.

    Pour analyser la constitution de cette corporation dtat et dtat considre non comme

    le produit dune homologie structurale entre lhabitus et le champ, mais comme une

    dynamique permettant une lente conformisation52

    J-M. Eymeri-Douzans fait appel

    la notion de socialisation, qui pourvoit lnarque un contenu objectif et subjectif pour en

    faire une identit53

    , et au groupe des narques une grammaire mentale et

    comportementale54

    commune. Cest dans la perspective ouverte par cette tude que nous

    souhaitons positionner notre travail. Ce qui nous intresse en premier lieu est lexamen de la

    formation des fonctionnaires dans et par linstitution, mais en rompant avec le tropisme de la

    sociologie de ladministration tudier la haute fonction publique et les grandes coles. Nous

    souhaitons donc prendre au srieux le fait que ltat organise une anne de formation pour les

    attachs dadministration, alors que ce nest pas forcment le cas pour dautres fonctionnaires

    de rang quivalent55. Ltat postule ainsi que la formation et non pas seulement la slection

    par concours a un effet sur les fonctionnaires recruts. Nous allons nous intresser aux

    ressorts et aux conditions de ce postulat. Si la notion de socialisation demande tre utilise

    avec prcaution56, cest donc bien dune dynamique socialisatrice dont nous souhaitons

    donner une interprtation partir du cas des attachs dadministration, c'est--dire du

    processus qui implique (ou non57

    ) un degr ou un autre, une transformation de

    lindividu, sur un plan ou sur un autre58 . Cette entre par la fabrique59 doit permettre de

    52

    EYMERI Jean-Michel, La fabrique des narques, op. cit., p. 4. 53

    Ibid., p. 3. 54

    Ibid., p. 247. 55

    Les attachs de ladministration territoriale sont recruts aprs le concours sans formation initiale : BILAND milie, Concours territoriaux et institutionnalisation de lemploi public local, op.cit. Dans ce travail, E. Biland interroge notamment ce concours de la fonction publique dans sa dimension socialisatrice. 56

    Nous renvoyons le lecteur lintroduction de la partie 3 du prsent mmoire, intitule : La construction du mandat en pratiques : travail institutionnel et rceptions de la formation , qui expose les conditions thoriques et empiriques avec lesquelles la notion de socialisation peut tre utilise. 57

    Dans ce cas, M. Darmon invite parler dune socialisation de renforcement , c'est--dire dune dynamique de modelage de lindividu sans tre ncessairement transformatrice , car elle entre en congruence avec des socialisations antrieures quelle vient fixer, DARMON Muriel, La socialisation, Paris, Armand Colin, coll. 128 , 2006, p. 114 58

    Ibid., p. 118.

  • 27

    mieux comprendre les statuts et les rles qui forment le mandat de lencadrement

    intermdiaires de ltat.

    La formation comme approche des transformations administratives

    Isole, une telle approche de la formation risque cependant de buter contre la temporalit

    des transformations de ltat et de rendre invisibles les formes structurantes de son

    organisation60. Or la fonction publique comme ladministration se trouvent la croise

    dinjonctions et dambitions rformatrices de fond que nous proposons galement de mettre

    au jour par lexamen de la place et du rle prescrits aux attachs dans des administrations en

    reconfiguration. Longtemps oublieuse61

    de ladministration publique, la science politique

    franaise a aujourdhui renou avec ltude de ce vaste champ62, guide par lanalyse des

    reconfigurations administratives qui ont connu depuis la fin des annes 1990 une acclration

    et une systmatisation63

    . Le plus souvent, ces transformations sont analyses au prisme trop

    cohsif du concept de New public management (NPM). Certes, la notion de NPM prsente

    lintrt de saisir l esprit64 et la transversalit65 des rformes des administrations

    59 Pour reprendre les titres des trois enqutes dont nous souhaitons prolonger lanalyse : EYMERI Jean-Michel,

    La fabrique des narques, op. cit. ; GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique ou la fabrique dun nouveau corps des Ponts et Chausses, op. cit. ; et DARMON Muriel, Classes prparatoires. La fabrique dune jeunesse dominante, Paris, La dcouverte, Laboratoire des sciences sociales , 2013. 60

    Le microscope fait perdre de vue la forme observe. Cette tendance la dspcification [] peut poser un problme de connaissance un moment historique o se diffusent massivement de nouvelles manires dorganiser les administrations publiques , BEZES Philippe et JOIN-LAMBERT Odile, Comment se font les administrations : analyser les activits administratives constituantes , Sociologie du travail, vol. 52, 2010/2, p. 140. 61

    DREYFUS Franoise, A la recherche du temps perdu. La science politique franaise oublieuse de ladministration publique. A propos de Notre tat , Politix, vol. 15, n59, 2002, pp. 171-194. F. Dreyfus montre que ladministration a surtout t vacue dune sociologie soucieuse de se dtacher dune science administrative qui prsentait ladministration comme linstrument neutre dont dispose le pouvoir politique , DREYFUS Franoise et EYMERI Jean-Michel (dir.), Science politique de ladministration. Une approche comparative, Paris, Economica, coll. Etudes politiques , 2006, p. 1. Pour P. Bezes et F. Pierru, ladministration sest trouve tre un objet morcel du fait de la spcialisation et de lautonomisation des sous-disciplines de la sociologie de ltat, BEZES Philippe et PIERRU Frdric, tat, administration et politiques publiques : les d-liaisons dangereuses. La France au miroir des sciences sociales nord-amricaines , Gouvernement et action publique, n2, 2012/2, pp. 41-87. 62

    Cf. notamment DREYFUS Franoise et EYMERI-DOUZANS Jean-Michel (dir.), Science politique de ladministration, op. cit., et rcemment, un tat des savoirs sur ladministration franaise : EYMERI-DOUZANS Jean-Michel et BOUCKAERT Geert (dir.), La France et ses administrations. Un tat des savoirs, Bruxelles, Bruylant, 2013. 63

    La mise en place de loi organique relative aux lois de finance (LOLF) partir de 2001 et le programme de rvision gnrale des politiques publiques (RGPP) partir de 2007 (prolonge en modernisation de laction publique en 2012) ont ainsi fait lobjet de nombreux travaux. Cf. les deux numros spciaux de la Revue franaise dadministration publique : Rformes budgtaires et rformes de ltat , RFAP, 2006/1, n117 et La rvision gnrale des politiques publiques , RFAP, 2010/4, n136. 64

    OGIEN Albert, Lesprit gestionnaire: une analyse de lair du temps, Paris, d. de lcole des hautes tudes en sciences sociales, 1995. 65

    HOOD Christopher, A Public Management for All Seasons?, Public Administration, n69, 1991, pp. 3-19.

  • 28

    publiques, qui consiste importer dans la sphre publique des recettes tires des sciences de

    gestion anglo-saxonnes. Erig en catgorie idal-typique afin dexpliquer la transformation

    des rgimes bureaucratiques wbriens66

    qui staient stabiliss et tendus jusque dans les

    annes 195067

    , le NPM offre ainsi un point dappui aux entreprises visant comparer la

    diversit des trajectoires nationales de rformes68

    . Mais sans autres prcisions, la notion, outre

    quelle ne rend pas justice la pluralit des approches des transformations des

    administrations, risque daplanir la diversit des situations, des appropriations et des

    acclimatations, tout en confrant au processus un aspect tlologique et vide dacteurs. Les

    analyses qui ont pris pour objet le long mouvement de transformation de ladministration par

    elle-mme69

    ont montr que loin de constituer une science homogne et autonome, le NPM

    ressemble davantage une doctrine protiforme, ou un puzzle doctrinal70

    , dans lequel un

    ensemble de rformateurs viennent puiser savoirs et pratiques, et dont il ne faut pas surestimer

    le caractre programmatique71. Cest dans la continuit de cette sociologie de ladministration

    que nous souhaitons situer ce travail. A rebours dune vision diffusionniste qui considrerait

    que le NPM vient simposer toute ladministration sans distinction, nous cherchons

    montrer en quoi la formation des attachs dadministration est un lment constituant72 du

    processus de rationalisation de ladministration. Nous considrons la formation comme une

    activit administrative constituante , en ce sens que les activits qui entourent la cration,

    la gestion et la dfinition des IRA vhiculent des valeurs et des reprsentations , sont

    porteuses de rgles , diffusent des normes destines rguler les fonctionnements et les

    66

    Dans conomie et socit, M. Weber a en effet mis sur pied les principales caractristiques du processus historique de rationalisation par ladministration bureaucratique, lment central du type de domination lgale-rationnelle (dont les rgles et principes idal-typique sont notamment la spcialisation des tches, limpersonnalit de lobissance, le recrutement par la comptence), voir WEBER Max, conomie et socit I, op. cit., pp. 290-301. 67

    DREYFUS Franoise, Linvention de la bureaucratie, op. cit. 68

    POLLITT Christopher et BOUCKAERT Geert, Public Management Reform : A Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2004. 69

    BEZES Philippe, Rinventer ltat, op. cit. Cet ouvrage est tir de sa thse : BEZES Philippe, Gouverner ladministration : une sociologie des politiques de la rforme administrative en France (1962-1997), Thse pour le doctorat science politique, Paris, IEP de Paris, 2002. 70

    Le NPM est un vritable puzzle doctrinal, mlange daxiomes tirs de thories conomiques (conomie du public choice, thorie des cots de transaction, thorie de lagence) et de prescriptions issues se savoir de gestion , BEZES Philippe, Rinventer ltat, op. cit., p. 36. 71

    BEZES Philippe, tat, experts et savoirs no-managriaux. Les producteurs et diffuseurs du New Public Management en France depuis les annes 1970 , Actes de la recherche en sciences sociales, n193, 2012/3, pp. 16-37 ; EYMERI-DOUZANS Jean-Michel, NPM reforms legacy: a common praxeologic, a variety of acclimatizations, a renewed bureaucratization , in Eymeri-Douzans J-M. et Pierre J., (dir.), Administrative reforms and democratric governance, Londres, Routledge, 2011, p. 9-26. 72

    BEZES Philippe et JOIN-LAMBERT Odile, Comment se font les administrations : analyser les activits administratives constituantes , art. cit.

  • 29

    comportements du milieu administratif , et participent structurer, sur la dure, ces

    administrations en leur permettant de contribuer la fabrication de politiques publiques et en

    satisfaisant, plus ou moins, les attentes que placent en elles les acteurs politiques73

    . Les IRA

    donnent ainsi voir les savoirs et les pratiques jugs par les acteurs en charge de la formation

    comme constitutifs des habits74

    (administratifs) que le fonctionnaire en charge de

    lencadrement intermdiaire dans ladministration doit revtir. Investie comme un outil de

    transformation de ladministration, cette institution de formation constitue un observatoire

    privilgi des reconfigurations mais aussi des permanences de lorganisation et du

    fonctionnement de ladministration. Ce faisant, ltude des IRA souligne le fait que le NPM

    nest pas un corpus disciplinaire qui simpose seul et de manire autonome, mais quil existe

    des acteurs qui participent, luttent et changent pour la fois transformer les formations et

    transformer les lves. Il existe donc des rsistances et des acceptions diverses des formes que

    la traduction du NPM doit prendre.

    Mais, l aussi, cette approche appelle prendre des prcautions. Si, linstar du

    recrutement dans la fonction publique territoriale75

    , former des cadres intermdiaires apparat

    comme un acte structurant du fonctionnement de ladministration, il ne faut pas prjuger de

    lefficacit des fonctionnaires actualiser puis porter en situation de travail les savoirs et les

    pratiques quils auraient intrioriss de manire automatique par le truchement dune

    socialisation miracle. Dune part, parce que lon sait la variation des pratiques et des

    appropriations individuelles du fonctionnaire, quelle soit analyse comme le fruit de la

    diversit des formes organisationnelles ou comme la consquence de la pluralit des

    trajectoires qui composent les groupes dagents76. Dautre part, car la dimension performative

    des pratiques administratives des attachs dadministration, comme leur homognit, est une

    revendication exprime par certaines catgories de rformateurs77, quil ne faut pas prendre

    73

    Ibid., p. 140. 74

    PAYRE Renaud et VANEUVILLE Rachel, Les habits savants du politique. Des mises en forme savantes du politique la formation de sciences de gouvernement , Revue franaise de science politique, n53, 2003/2, pp. 195-200. 75

    BILAND milie, Les ambiguts de la slection par concours dans la fonction publique territoriale : une institutionnalisation inacheve , Sociologie du travail, vol. 52, 2010/2, pp. 172-194. 76

    JEANNOT Gilles, Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? Un double inventaire des recherches sur lactivit des agents publics , Revue franaise de science politique, vol. 58, 2008/1, pp. 123-140. 77

    Lambition de faire de la formation des fonctionnaires le laboratoire de la rforme de ltat se retrouve lcole nationale des Ponts et Chausses travers la mise en place dun mastre daction publique tudie par GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique ou la fabrique dun nouveau corps des Ponts et Chausses, op. cit, p. 18, ou mme dans les coles suisses de police tudies par PICHONNAZ David, Former pour rformer. Sociologie de lhtrodoxie policire et de lentre dans la profession, thse pour lobtention du doctorat de sociologie, Universit de Fribourg et EHESS, 2014.

  • 30

    comme une donne mais comme une construction, un discours, permettant de parer les

    ambitions de rforme administrative des atours de la lgitimit et de la robustesse. Former les

    attachs aux activits constituantes de la rforme de ltat est une ambition de certains

    acteurs un certain moment de lhistoire des IRA, quil faut tudier comme telle, savoir un

    discours de lgitimation qui est rvlateur dune position. Etre attentif aux variations des

    modes dintriorisation des comptences et des dispositions attendues du cadre intermdiaire,

    c'est--dire des conditions sous lesquelles la formation peut tre efficace, est une manire de

    prendre lobjet administration pour ce quil est, c'est--dire un ensemble de valeurs, de

    rgles, de normes qui, ensemble, constituent78

    des dispositifs de rationalisation bureaucratique

    ou managriale.

    Regarder ltat au prisme de son encadrement intermdiaire

    Approcher les recompositions contemporaines de ladministration par laspect

    constituant de lacte et linstitution de formation est dautant plus heuristique que ce

    travail prend pour objet lencadrement intermdiaire. Le projet de ce travail est donc

    dclairer sous langle du positionnement des attachs, jusque l largement nglig, le

    fonctionnement, les stabilits et les transformations administratives. Nous faisons le pari

    quen offrant un point de vue mdian sur ladministration, ltude des cadres intermdiaires

    peut ouvrir une vision densemble, dans la mesure o elle peut clairer des enjeux

    descendants, ascendants et transversaux.

    Sans mme parler des attachs dadministration de ltat79, la question de lencadrement

    administratif intermdiaire reste un champ peu explor par la sociologie de ladministration.

    Corrlativement lmergence dans les annes 1990 de lintrt des sciences sociales pour

    ladministration franaise, de nombreux travaux ont pris pour objet la constitution80, les

    trajectoires et les carrires81

    , les savoirs82

    ou les activits83

    de groupes plus ou moins

    78

    BEZES Philippe et JOIN-LAMBERT Odile, Comment se font les administrations : analyser les activits administratives constituantes , art. cit. 79

    Il faut toutefois noter le travail fourni par E. Biland sur les concours dattachs territoriaux : BILAND milie, Concours territoriaux et institutionnalisation de lemploi public local, op. cit. 80

    Par exemple : BARUCH Marc Olivier et DUCLERT Vincent (dir.), Serviteurs de ltat, Paris, La Dcouverte, 2000. 81

    EYMERI Jean-Michel, Les gardiens de ltat, op. cit. 82

    Voir IHL Olivier, KALUZINSKY Martine et POLLET Gilles (dir.), Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003, et pour une approche synthtique : PAYRE Renaud et POLLET Gilles, Socio-histoire de laction publique, op.cit. 83

    Voir JEANNOT Gilles, Les fonctionnaires travaillent-ils de plus en plus ? , art.cit.

  • 31

    homognes de fonctionnaires. Ces tudes se sont largement portes sur ce quil est coutume

    dappeler la haute fonction publique84 . Lentre par le corps et/ou la formation a souvent

    t privilgie, mais de nombreux travaux ont galement mis lactivit de ces fonctionnaires

    au centre de leur analyse, soulignant alors leur rle de prescripteur de catgories daction

    publique85

    . Ce faisant, la question de la politisation de leurs actes86

    , en particulier par le biais

    des oprations de traduction (notamment scripturales) des dcisions politiques dans la

    grammaire administrative et juridique87

    , a t abondamment documente. En priode

    dintensification des reconfigurations administratives, leur rle dans la production, la

    diffusion, lacclimatation ou la traduction de rformes sectorielles ou transversales, parfois en

    collusion avec la sphre prive, apparat dterminante88

    .

    Dun autre ct, les travaux qui se sont intresss la mise en uvre des politiques

    publiques se sont attachs documenter la place, le rle et les transformations du travail des

    agents directement impliqus dans la fourniture de services aux usagers. Les travaux de M.

    Lipsky, qui portent sur les contradictions communes aux mtiers, pourtant htrognes,

    84

    Mme si des travaux ont montr que lexpression dnote une cohrence qui nexiste pas en ralit. Cest le cas de J-M. Eymeri-Douzans sur les administrateurs civils qui constituent le corps de bataille de lnarchie , ou plus rcemment de N. Gally sur les politiques de gestion de la haute fonction publique, ou encore de J. Gervais partir du cas de la fusion du corps des ingnieurs des Ponts et Chausses : EYMERI-DOUZANS Jean-Michel, Les gardiens de ltat, op. cit. ; GALLY Natacha, Le march des hauts fonctionnaires. Une comparaison des politiques de la haute fonction publique en France et en Grande-Bretagne, Thse pour lobtention du doctorant de science politique, Paris, IEP de Paris, 2012 ; GERVAIS Julie, La rforme des cadres de laction publique, op. cit. Pour une analyse compare, voir PAGE Edward C. et WRIGHT Vincent W. (dir.), Bureaucratic Elites in Western European States: a Comparative Analysis of Top Officials in Eleven Countries, Oxford, Oxford University Press, 2005. 85

    MATHIOT Pierre, Acteurs et politiques de lemploi en France (1981-1993), LHarmattan, coll. Logiques sociales , 2001 ; LAURENS Sylvain, Hauts fonctionnaires et immigration en France, 1962-1981. Socio-histoire dune domination distance, Thse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2006 ; PENISSAT Etienne, Ltat des chiffres. Sociologie du service statistique et des statisticiens du ministre du Travail et de lEmploi (1945-2008), Thse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2009. De ce point de vue, en entrant par la question des politiques de la haute fonction publique qui redessinent un march des hauts fonctionnaires, le rcent travail de N. Gally renouvelle le regard sur ce groupe de fonctionnaires : GALLY Natacha, Le march des hauts fonctionnaires, op. cit. 86

    LAURENS Sylvain, Une politisation feutre. Les hauts fonctionnaires et limmigration en France 1962-1981, Paris, Belin, 2009. 87

    EYMERI Jean-Michel, Frontires ou marches ? De la contribution de la haute administration la production du politique , in Jacques Lagroye (dir.), La politisation, Paris, Belin, 2003, pp. 47-77 ; LAURENS Sylvain, Les agents de ltat face leur propre pouvoir. lments pour une micro-analyse des mots griffonns en marge des dcisions officielles , Genses, n72, 2008/3, pp. 26-41 ; CHEVALLIER Jacques, La place de ladministration dans la production des normes , Droit et socit, n79, 2013, pp. 623-636 ; BONNAUD Laure et MARTINAIS Emmanuel, Ecrire la loi. Un travail de bureau pour hauts fonctionnaires du ministre de lEcologie , Sociologie du travail, vol. 55, 2013, pp. 475-494. 88

    BEZES Philippe, Rinventer ltat, op. cit. ; Voir les deux numros spciaux dirigs par O. Henry et F. Pierru : Le conseil de ltat (1) : expertise prive et rformes des services publics , Actes de la recherche en sciences sociales, 2012, 193, pp. 4-73 ; Le conseil de ltat (2) : le moment RGPP , Actes de la recherche en sciences sociales, 2012, 194, pp. 4-77. Sur la collusion entre la haute fonction publique et la sphre prive loccasion de la dfinition des politiques de rforme, voir GERVAIS Julie, Les sommets trs privs de ltat. Le Club des acteurs de la modernisation et lhybridation des lites , Actes de la recherche en sciences sociales, n194, 4/2012, p. 4-21.

  • 32

    dinstituteur, de travailleur social ou de policier autour de ce quil appelle la street-level

    bureaucracy89

    , ont connu une seconde rception la fin des annes 1990 linstigation de

    certains politistes et sociologues franais qui entendaient faire reconnatre une approche des

    politiques publiques par le guichet90

    . Suivant cette piste fructueuse, de nombreux auteurs

    se sont ainsi appliqus mettre en vidence les transformations du travail de cette frange de la

    fonction publique, en tudiant les injonctions contradictoires dont ils sont les destinataires91

    ,

    mais aussi les formes dappropriations des marges de manuvre, ou du pouvoir

    discrtionnaire dont ils peuvent bnficier dans la mise en uvre des politiques publiques92.

    Placer la focale sur les trajectoires93

    et/ou les activits94

    plus ou moins contraintes des agents

    qui se trouvent tout au bout de la chane de dcision est une faon, devenue classique, de

    mettre en lumire laction de ltat et les politiques qui visent transformer son

    organisation95

    .

    Dans ces travaux, la fonction publique est le plus souvent lobjet dune catgorisation

    binaire : le fonctionnaire est soit en contact direct avec le politique, soit en relation

    quotidienne avec les usagers. En privilgiant les deux extrmits dune administration le plus

    souvent prsente sous sa forme hirarchique, la sociologie de ltat et des administrations a

    largement laiss dans lombre les chelons intermdiaires de la fonction publique. Pourtant,

    des travaux anglo-saxons ont depuis dj longtemps entam un travail de dfrichage de ces

    espaces intermdiaires de laction publique et des activits qui sy dploient, embotant le pas

    89

    LIPSKY Michael, Street-level Bureaucracy: Dilemmas of the Individual in Public Services, New York, Russell Sage Foundation, 1980, prolong par MAYNARD-MOODY, Steven et MUSHENO Michael., Cops, Teachers, Counselors: Stories from the Front Lines of Public Service: Narratives of Street-level Judgement, University of Michigan Press, Ann Arbor, 2003. 90

    WELLER Jean-Marc, Ltat au guichet : sociologie cognitive du travail et modernisation administrative des services publics, Paris, Descle de Brouwer, 1999 ; DUBOIS Vincent, La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misre, Paris, Economica, Etudes politiques , 1999. 91

    WARIN Philippe, Les dpanneurs de justice. Les petits fonctionnaires entre qualit et quit, Paris, LGDJ, 2002 ; SPIRE Alexis, Etrangers la carte. Ladministration de limmigration en France (1945-1975), Grasset, Paris, 2005 ; SERRE Delphine, Les coulisses de ltat social. Enqute sur les signalements denfant en danger, Paris, Raisons dagir, 2009. 92

    SIBLOT Yasmine, Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po, 2006 ; SPIRE Alexis, Lasile au guichet. La dpolitisation du droit des trangers par le travail bureaucratique , Actes de la recherche en sciences sociales, n 169, 2007, pp. 4-21. 93

    HMED Choukri, Lencadr