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Gouvernance des associations en Tunisie RAPPORT ANNUEL OCTOBRE 2014

Gouvernancedes associations tunisiennes

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L’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG) est un acteur de premier plan de la société civile, de la scène politique et du monde des affaires en Tunisie. Son approche transversale et transdisciplinaire sur les questions de gouvernance lui permet d’avoir une exhaustivité des visions portant sur les axes stratégiques du développement politique, économique et social de la Tunisie.

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Gouvernance des associations

en Tunisie

RAPPORT ANNUEL

OCTOBRE 2014

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PRÉSENTATION : L’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG) est un acteur de premier plan de la société civile, de la scène politique et du monde des affaires en Tunisie. Son approche transversale et transdisciplinaire sur les questions de gouvernance lui permet d’avoir une exhaustivité des visions portant sur les axes stratégiques du développement politique, économique et social de la Tunisie.

OBJECTIFS : Cercle de réflexion et d’échange, mais également, institution de référence, se spécialisant dans les questions de gouvernance, l’ATG réunit des experts tunisiens réputés pour leur savoir-faire, leur compétence et leur capacité à traiter, à étudier, à analyser et à publier des rapports et des guides de bonnes pratiques en gouvernance publique et privée. Forte d’un capital relationnel national et international, l’ATG apporte aux organismes politiques, publiques, para- publiques et privés tunisiens, des avis d’experts et des réflexions de hauts niveaux, permettant aux différents intervenants et opérateurs de perfectionner leurs réflexions, leurs programmes et leurs pratiques dans les domaines de la gouvernance.

VALEURS : L’ATG prône la transparence, l’équité, la compétence, l’éthique et la performance dans les politiques et les affaires de l’Etat dans l’objectif d’hisser la Tunisie au diapason des nations prospères et évoluées.

INTERNATIONAL ET PARTENARIAT : L’ATG a noué un ensemble de partenariat au niveau national (ADDS) et international (POMED), et contribue à développer des bonnes pratiques de gouvernance en collaboration avec d’autres institutions. Son rayonnement national et international est bien confirmé à travers ses publications et ses conférences périodiques.

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BUREAU DIRECTEUR : Le Bureau Directeur élu par les membres fondateurs de l’ATG se compose comme suit :

Président : Dr. Moez Joudi, Expert-consultant, Enseignant-chercheur.

Vice-Président : M. Chiheb Ghazouani, Avocat, Enseignant-chercheur

Secrétaire Général : M. Wassim Khrouf, Expert-comptable, Enseignant-chercheur

Trésorier : Dr. Mohamed Aymen Bellakhdar, Enseignant-chercheur

Chargé des relations internationales : Dr. Bechir Bouzid, Global Manager à la Banque Mondiale

Chargé des relations avec les organismes publiques, privés et universitaires : Dr. Sofiène Toumi, Enseignant-chercheur.

GROUPE DE TRAVAIL « GOUVERNANCE PUBLIQUE EN TUNISIE »Le présent rapport a été conçu et élaboré par :

M. Anis Wahabi

Dr. Mohamed Aymen Bellakhdar

Mme Insaf Ouertani

M. Khaled Dabbabi

CONTACT :

Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)

Adresse : Rue du lac Léman, Centre NAWREZ , Bloc B-B2-1, Les Berges du Lac, 1053 Tunis

Tél : (+216) 71 96 06 96

Fax : (+216) 71 96 57 37

Mob. : (+216) 98 22 04 70

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Chapitre I : Evaluation du cadre actuel des associations en Tunisie . . . . . . . . . . . 3

Section I : Cadre juridique régissant les associations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

1—Protectorat et les premières dispositions relatives aux associations . . . . . . . . . . . 3

2—De l’indépendance à la déchéance de l’ancien régime : la loi organique du 7 novembre 1959 : cadre restrictif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

3—Décret-loi du 24 septembre 2011 : un cadre plus libéral à améliorer . . . . . . . . . . 5

4—Illustration : cas des Ligues de Protection de la Révolution (LPR) . . . . . . . . . . . . 9

Section II : Aspects managériaux et réalités du terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

1—Cadre comptable incomplet et communication financière défaillante . . . . . . . . . 10

2—Cadre fiscal inadapté et pratiques incontrôlées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

3—Dispositif de contrôle financier à renforcer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

4—Dispositif faible d’encadrement et de formation des associations . . . . . . . . . . . 13

Chapitre II : Analyse comparée des associations de par le monde . . . . . . . . . . . 16

Section I : Origines et caractéristiques culturelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Section II : Secteurs d’intervention 17

Section III : Les associations : mécanisme de création d’emplois et poids économique important 18

Section IV : Budget et moyens de financement des associations . . . . . . . . . . . . . . 18

1—Le modèle continental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

2—Le modèle anglo-saxon ou libéral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

3—Le modèle nordique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

Chapitre III : Pour un cadre performant de la gouvernance des associations en Tunisie 21

Section I : Pour l’amélioration des pratiques en termes de gouvernance . . . . . . . . . . . . 21

Section II : Recommandations pour l’amélioration du cadre juridique et fonctionnel 22

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Webographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

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INTRODUCTION

La société civile tunisienne a joué un rôle de premier ordre dans le processus de transition démocratique de l’après 14 janvier 2011. L’engouement constaté ne s’est pas limité aux seules questions politiciennes, mais a touché tout aspect culturel et social et s’est propagé sur tout le territoire, mais aussi en nouant des relations de différentes sortes avec des organismes étrangers.

Bien que la question de gouvernance ne soit pas spécifique aux associations, celles-ci se situent au cœur de ses paradigmes, étant dans le premier cercle d’exercice de la démocratie participative et ses corollaires de redevabilité et de transparence. Cela fait que l’association devient un sujet, et aussi un objet de gouvernance, qui mérite d’être étudié.

L’évolution constatée dans la règlementation relative aux associations, notamment avec l’avènement du décret – loi n°2011-88 du 24 septembre 2011, mérite d’être saluée, ne serait-ce que pour « la mutation profonde apportée à l’esprit d’action associative, à la liberté sans précédent donnée à la société civile pour constituer et gérer ses composantes »,1 voire même de la possibilité donnée à cette société civile de s’autogouverner.

Quel serait donc le mobil des changements des textes juridiques relatifs aux associations effectués à partir de 2011 ? S’agit-il d’une volonté délibérée du législateur de l’après révolution tunisienne, d’annoncer l’émancipation de l’action citoyenne ? Ou plutôt, sommes-nous face à une résultante de l’euphorie postrévolutionnaire ?

Seules des études de terrain permettront d’évaluer le bienfondé de l’une ou de l’autre des suppositions et de témoigner du degré de réussite de l’expérience, deux ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle règlementation.

1. Anis Wahabi, « Guide de gestion administrative et financière des associations », Edition Abwab 2014, p.12.

Ainsi l’étude que l’Association Tunisienne de Gouvernance se propose de mener une évaluation du degré de conformité du paysage associatif tunisien aux règles de bonne gouvernance en le confrontant à des axes tels que la redevabilité, la transparence et le respect de la loi.

Dans le cadre de la présente étude, nous nous sommes heurtés à des réflexes de rétention d’informations, ainsi que le manque de structures de communication qui ont caractérisé le climat sociopolitique de l’avant révolution au sein des organes gouvernementaux. Des phénomènes qui ont caractérisé la période de l’avant révolution. Ce qui nous laisse penser que dans le processus de transition démocratique que nous vivons actuellement, tout le monde apprend à respecter la règle de transparence.

Il a donc été adopté une méthodologie mixte regroupant, d’une part, une analyse comparative des textes juridiques régissant les associations, dans un contexte national et international, et d’autre part, une évaluation des pratiques fonctionnelles et managériales appuyées par des études de cas.

Ceci a été traité dans trois parties : la première s’est penchée sur l’évaluation du cadre juridique des associations, la deuxième partie est réservée aux aspects fonctionnels et managériaux, pour aboutir enfin à une dernière partie relatant les recommandations visant à l’amélioration du cadre et des pratiques de gouvernance des associations en Tunisie.

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CHAPITRE I : ÉVALUATION DU CADRE ACTUEL DES ASSOCIATIONS EN TUNISIE

Cette étude de la gouvernance des associations en Tunisie passerait essentiellement par le traitement de l’aspect juridique (Section I) et l’aspect fonctionnel et managérial (Section II).

SECTION I : CADRE JURIDIQUE RÉGISSANT LES ASSOCIATIONSL’évolution du cadre juridique régissant les associations est passée par trois phases majeures: les premières dispositions qui ont vu le jour lors de la période du protectorat (paragraphe 1), la loi organique du 7 novembre 1959 se caractérisant par sa logique restrictive (paragraphe 2) et le décret-loi du 24 septembre 2011 édicté au début de la période transitoire (paragraphe 3).

1—Protectorat et les premières dispositions relatives aux associationsPeu après la signature du traité du Bardo en 1881, l’un des premiers chantiers de protectorat fût l’institution d’un cadre régissant les associations et qui n’était autre qu’une transposition du cadre régissant les associations en France adapté aux spécificités locales.

C’est ainsi que les premiers textes législatifs qui ont régi les associations tunisiennes fût le décret beylical sur les associations, en date du 15 septembre 1888 et qui reprend certains passages du code pénal français de 1810. Le décret beylical d’août 1936 est une transposition restrictive des dispositions de la loi française de 1901 régissant les associations.2

Les dispositions qui ont régi les associations durant cette période n’avaient cessé de restreindre la liberté et les agissements de ces dernières, citons à titre d’exemple :

• Décret beylical du 13 mars 1905 sur les réunions publiques, qui soumet les réunions

2. Pour plus de détails sur cette loi Cf. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006069570

politiques et religieuses à l’autorisation préalable de l’administration ;

• Décret beylical du 30 octobre 1937 qui « soumet au contrôle de l’Etat les associations qui bénéficient de subventions publiques » ;3

• Décret beylical du 20 novembre 1941 prévoit la dissolution des associations « dont le but réel, l’activité ou les agissements se seraient révélés contraires à l’intérêt général du pays ».4

2—De l’indépendance à la déchéance de l’ancien régime : la loi organique du 7 novembre 1959 : cadre restrictifSi la proclamation de l’indépendance a permis d’entrevoir l’espoir d’une société civile libérée des chaînes de l’oppression, l’expérience montrera que les gouvernements tunisiens successifs ont à leur tour choisi d’entraver l’activité de la société civile, en particulier celle des associations les plus critiques à l’endroit du régime, en utilisant les outils juridiques à leur disposition pour progressivement les neutraliser et les soumettre.

Le verrouillage systématique de la société civile qui en a résulté a été mis en place dès les premières années qui suivirent l’indépendance du pays, reflétant ainsi la suppression des espaces de libertés entreprise par le régime. La société civile naissante s’est trouvée amputée de ses capacités créatives et organisationnelles ce qui assura son asservissement au pouvoir en place. Ayant fait ses preuves d’efficacité pendant près de trois décennies, ce modèle a ouvert la voie à un interventionnisme sournois du régime

3. Habib Bélaid, « Le mouvement associatif en Tunisie à l’époque coloniale : quelques réflexions », Colloque Le mouvement associatif au Maghreb, Oran, Les Cahiers du CRASC, n°5,98, 2002

4. Pour plus de détails sur ces décrets Cf, Habib Bélaid, « Le mou-vement associatif en Tunisie à l’époque coloniale : quelques réflex-ions », Colloque Le mouvement associatif au Maghreb, Oran, Les Ca-hiers du CRASC, n°5,98, 2002

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post-bourguibie,n dont le mécanisme législatif consistait plus qu’à empêcher la constitution d’une société civile proprement dite, s’évertuait à l’infiltrer, à l’inféoder et à en faire une caisse de résonnance du régime.

Pourtant, adoptée le premier juin 1959, la Constitution de la République nouvellement fondée proclamait dans son article 8 que « les libertés d’opinion, d’expression, de presse, de publication, de réunion et d’association sont garanties et exercées dans les conditions définies par la loi ». En réalité, si cette disposition garantissait en théorie la liberté d’association, elle laissera l’appréciation de cette liberté aux mains d’un pouvoir législatif faible5 et sous la domination d’un pouvoir exécutif de plus en plus dominateur.

L’article 32 du texte fondamental, qui prévoyait que « les traités dûment ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois », n’aura au demeurant pas permis de protéger efficacement les associations tunisiennes : d’une part, les différents gouvernements qui se succèderont pendant cinquante années de pouvoir n’honoreront pas leurs engagements internationaux et prendront même parfois des dispositions qui iront à l’encontre des pactes, notamment onusiens, relatifs aux droits civils et politiques ;6 d’autre part, les tribunaux tunisiens refuseront systématiquement d’opérer un contrôle de conventionalité des lois, arguant du fait que leur rôle se limite à l’application de ces dernières.

Le blocage du développement d’une société civile indépendante et au service du citoyen puisait ses fondements dans un arsenal juridique restrictif, voire répressif, fondé sur la loi n° 59-154 relative aux associations, qui à la fois érigeait des obstacles à l’entrée et multipliait les restrictions

5. Cf. Article 7 de la Constitution du 1er juin 1959 qui laisse au pouvoir exécutif une grande marge de manœuvre en matière des droits et libertés ce qui a débouché à une violation systématique de ces derniers. Cette violation législative des droits et des libertés étaient due essentiellement à l’absence d’un véritable mécanisme de garantie juridictionnelle de la Constitution dans la mesure où le conseil constitutionnel n’était qu’un simple organe consultatif.

6. Notamment l’article 22 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit la liberté associative.

au fonctionnement des associations, tels que les restrictions à la liberté de constitutions des associations, le contrôle des adhésions et la restriction des activités.

Soumise à un régime d’autorisation délivrée par le ministère de l’intérieur, la création d’une association était de jure et de facto sous le contrôle des autorités qui disposaient « d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser le visa »7 sans qu’aucun recours en justice ne soit envisageable. L’octroi du visa signifiait la reconnaissance légale de l’association alors que la publication obligatoire au Journal officiel de la Republique tunisienne (JORT) lui conférait l’existence juridique nécessaire à l’exercice de ses activités. Le délai d’attente de réponse de quatre mois qui suivait le dépôt de la déclaration et dont le dépassement équivalait au refus du visa, était un moyen supplémentaire de verrouillage de toute velléité citoyenne indépendante.8 Cette législation s’est montrée particulièrement restrictive en matière de création d’associations étrangères « quelle que soit la forme sous laquelle [elles] peuvent éventuellement se dissimuler »9 ou dirigées par des étrangers.

Si le nouveau pouvoir politique installé le 7 novembre 1987 opéra un léger relâchement des conditions d’obtention du visa, il n’abrogea pas pour autant ce dernier.10 En revanche, il introduisit de nouvelles restrictions à peine voilées en matière de fonctionnement des associations dans le but inavoué d’une totale mainmise sur la société civile. Nous notons à titre d’exemple l’instauration d’un modèle unique et restrictif des statuts des associations.

7. Loi n. 59-154 du 7 novembre 1959, article 4, JORT, n° 63, 22 décembre 1959

8. Ibid.

9. Ibid , art. 16 et 17.

10. Il s’agissait des lois organiques n. 88-90 du 2 août 1988 et 92-25 du 2 avril 1992. Le délai d’attente avait été réduit à trois mois au dépassement duquel la création de l’association est acquise. Par ail-leurs, la loi n° 88-90 avait introduit la possibilité de recours contre le refus du visa. En outre, la décision de refuser le visa à l’association devrait « être motivée et notifiée aux intéressés ».

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En effet, les membres et les responsables des associations pouvaient être poursuivis en justice et encourir une peine d’emprisonnement allant jusqu’à six mois11 en cas de violation des dispositions règlementaires en vigueur.12 Le pouvoir discrétionnaire du Ministère de l’Intérieur est maintenu quant à la dissolution provisoire de l’association et l’arrêt de ses activités avant même que l’organe judiciaire compétent se prononce. À ce dispositif répressif déjà en place, viennent s’ajouter des considérations organisationnelles exclusives. C’est ainsi que l’instauration par la loi organique 92-25 du 2 avril 1992 de catégorisation officielle des associations par ailleurs, à connotations floues et peu opérantes, impose aux associations dites « de caractère général » de ne pas refuser, sous peine de poursuites judiciaires, l’adhésion de toutes personnes faisant preuve d’attachement aux principes fondateurs de l’association.

Le choix d’instituer une classification des associations a notamment été spécifiquement entrepris pour mettre un frein aux activités de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), alors particulièrement critique à l’égard du régime.13 Les autorités espéraient renverser « légalement » l’organisation en l’infiltrant de manière massive et en prenant le contrôle de sa direction à travers les élections.

La même loi, qui se donne un pouvoir rétroactif, introduit pour la première fois, l’exclusion des instances de direction desdites associations, de toutes personnes qui « assument des fonctions ou des responsabilités dans les organes centraux de direction des partis politiques ».14 D’aucun n’a pas manqué, à juste titre, d’y entrevoir l’effort d’infiltration des associations, voire leur confiscation, par

11. Loi n. 59-154 du 7 novembre 1959, article 29.

12. Les peines d’emprisonnement étaient plus lourdes à l’adresse de « ceux qui, à un titre quelconque, assument ou continuent à assumer, l’administration d’associations étrangères », Ibid , art. 22

13. Plusieurs écrits et illustrations ont porté sur l’affaire de la LTDH. Voir à titre d’exemple Mondher SFAR, Jour l’Audace n°70 décem-bre 2000 et Patrick Farbiaz, « Construire la démocratie : les enjeux d’une transition démocratique » CECIL, mars 2013.

14. Loi organique n. 92-25 du 2 avril 1992, article 2.

le pouvoir et l’empêchement de l’organisation à la marge d’une quelconque vie politique qui pourrait défier les fondements du régime.

3—Décret-loi du 24 septembre 2011 : un cadre plus libéral à améliorerLa transition démocratique initiée au début de l’année 2011 a opéré un changement radical de perspective en promulguant une loi qui devrait offrir à la société civile l’espace nécessaire à son action. En effet, la promulgation du décret-loi 2011-88 du 24 septembre 2011 portant sur l’organisation des associations reflète un virement politique radical et concrétise l’aspiration d’une société civile effective.

Le nouveau texte s’est ainsi assigné comme objectif de libéraliser l’activité associative et de mettre en place un ensemble de garanties permettant aux associations de conduire leur mandat dans les meilleures conditions. L’article premier du décret-loi garantit d’ailleurs « la liberté de créer des associations, d’y adhérer, d’être actifs en leur sein » ; il s’engage « à renforcer le rôle des organisations de la société civile, les développer et préserver leur indépendance ».

En remplaçant le Ministère de l’Intérieur par le Secrétariat Général du Gouvernement en tant qu’autorité responsable de la création d’une association, la nouvelle loi envoie un message significatif de suppression des pratiques coercitives à la création des associations. Avançant résolument dans cette direction, la nouvelle loi supprime l’obligation du visa ainsi que le délai d’attente y afférent en établissant désormais le principe de déclaration comme fondement d’existence de l’association.15 La publication dans le Journal Officiel qui représente l’existence juridique de l’association intervient dans la semaine qui suit le retour de l’accusé

15. Cette mesure, demandée avec insistance par la société civile ve-nait aussi répondre à la situation nouvelle quelque peu complexe où la plupart des associations créées après le 14 janvier 2011 avaient démarré leurs activités sans attendre le délai de trois mois ni la pub-lication dans le Journal Officiel. N’ayant pas d’existence officielle ni juridique, ceci entravait grandement leur bon fonctionnement.

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de réception de la demande de création.16 En matière de fonctionnement, aucune classification de l’association n’est désormais requise ni aucune limitation du champ d’intervention n’est établie alors que les critères d’adhésion des membres ne relèvent que de l’association. Si la nouvelle loi maintient l’exclusion de personnalités politiques dans les instances dirigeantes de l’association, elle accorde aux étrangers la possibilité d’y participer en tant que membre ou fondateur.

Par ailleurs, la nouvelle loi abroge toute sanction pénale et administrative à l’encontre des membres de l’association dans l’éventualité de non-respect de la réglementation. Dans ce dernier cas, l’association pourra toujours exercer son activité jusqu’à ce que l’instance judiciaire s’y oppose par un arrêt de jugement. Par opposition à l’ancienne loi qui n’établissait aucune norme de gestion comptable de l’association, la nouvelle loi prévoit l’assignation d’un commissaire au compte au cas où le budget annuel de l’association dépasserait les cent mille dinars.17

En dépit de quelques réserves émises par les associations, notamment en matière d’harmonisation réglementaire et de son application effective, la nouvelle loi marque une avancée notable vers le fonctionnement adéquat des associations. Par l’impulsion donnée à la société civile, la nouvelle loi crée les conditions d’une meilleure synergie entre les associations et les instances gouvernementales, tant négligée dans le passé.

Dans cette perspective, ce nouveau dispositif relatif aux associations a introduit les modifications suivantes :

• alors que la création d’une association requérait une autorisation préalable de la part des autorités, le nouveau décret-loi ne requiert plus qu’une déclaration de constitution adressée au Secrétaire général du Gouvernement ;

16. À ce niveau, le défaut de retour de l’accusé de réception dans les trente jours qui suivent l’envoi recommandé du dossier de création constitue la preuve de réception de la demande.

17. Article 43 du décret-loi 2011-88 du 24 septembre 2011.

• alors que les questions relatives aux associations, en particulier celles régissant leur création et leur fonctionnement, étaient du ressort du Ministère de l’Intérieur, cette compétence a été transmise à la Présidence du Gouvernement ;

• alors que sous l’ancien régime, les associations étaient classifiées selon leur domaine d’activité (associations féminines, associations sportives, associations de bienfaisance, de secours et à vocation sociale, associations scientifiques, amicales, associations culturelles et artistiques, associations de développement et associations à caractère général), cette distinction a été abrogée par le nouveau décret-loi ;

• alors que les associations étaient tenues de se conformer à un modèle obligatoire de statuts imposé par les autorités publiques, le nouveau décret-loi supprime cette obligation et permet ainsi à chaque association de rédiger librement ses statuts ;

• alors que les associations avaient interdiction de mener des activités de nature politique, celles-ci sont désormais libres d’évaluer l’action de l’État et d’exprimer leurs opinions, même politiques ;

• alors que les associations ne pouvaient accepter des libéralités que dans des cas limités, elles peuvent désormais librement accepter des subventions, des dons et des legs ;

• alors que les associations ne pouvaient bénéficier d’un soutien financier d’organisations étrangères qu’avec l’accord préalable du Gouvernement, celles-ci peuvent aujourd’hui obtenir des fonds étrangers sans autorisation.

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En contrepartie de ces droits et libertés, le nouveau dispositif met à la charge des associations tunisiennes certaines obligations, en particulier administratives et comptables, et œuvre ainsi à la promotion des principes de transparence, tant à l’intérieur de l’association qu’envers les tiers.

Un peu plus de deux ans après sa publication, le décret-loi n°2011-88 a été complété par un décret n°2013-5183 du 18 novembre 2013 fixant les critères, les procédures et les conditions d’octroi du financement public pour les associations, et précisant ainsi les modalités pratiques du soutien de l’État aux actions de la société civile.18 En particulier, le texte prévoit que le financement public est octroyé aux associations soit pour promouvoir leurs activités et développer leurs moyens de travail suite à des demandes directes présentées par les associations, soit pour réaliser des projets d’utilité publique et ce, suite à un appel à candidatures lancé par l’organisme public concerné ou suite à un accord de partenariat à l’initiative de l’association.19 Le décret prévoit dans le même temps comment le contrôle et le suivi de ce financement seront assurés.

Cependant cette liberté montre quelques limites lorsque l’on s’intéresse à l’application du texte en pratique. En effet, la liberté offerte aux fondateurs de rédiger eux-mêmes les statuts se heurte à l’incapacité technique dans laquelle ces derniers se trouvent souvent pour élaborer un contrat d’association. La direction des associations rattachée à la direction générale des associations et des partis politiques au sein de la Présidence du Gouvernement assiste quotidiennement à l’affluence de créateurs d’associations qui sollicitent leur aide dans la rédaction de ce document et convoque à son tour un grand nombre d’associations dont les statuts sont vagues, incomplets ou incompatibles avec leur bon fonctionnement. Elle consacre aujourd’hui deux demi-journées par semaine à

18. Article 1 du décret n°2013-5183 du 18 novembre 2013 fixant les critères, les procédures et les conditions d’octroi du financement public pour les associations.

19. Article 3 du décret n°2013-5183 du 18 novembre 2013 fixant les critères, les procédures et les conditions d’octroi du financement public pour les associations.

cet exercice, sans qu’il s’agisse de son mandat officiel et sans disposer surtout des ressources humaines et matérielles qui lui permettrait de réaliser ce travail dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, une équipe d’une dizaine de personnes se consacre à cette tâche.

La procédure de création recèle encore quelques faiblesses : tout d’abord, le transfert des compétences du Ministère de l’Intérieur à la Présidence du Gouvernement qui ne dispose que d’une équipe dont le siège est à Tunis, a eu comme effet négatif de priver les associations de la possibilité de se constituer au niveau local ou régional. Ce changement constitue, en pratique et dans une certaine mesure, une atteinte ou tout du moins une limitation à la liberté de s’associer ; il crée également une rupture d’égalité entre les associations sises dans la capitale et celles qui exercent dans le reste du territoire tunisien.

Ensuite, le contrôle des pièces requises par la loi par l’intermédiaire de l’huissier de justice, avant l’envoi du dossier de déclaration à la Présidence du Gouvernement, consiste en un contrôle formel et non un contrôle de fond, qui n’impose pas à l’huissier—ce qui n’est au demeurant pas son rôle—de lire les statuts et d’y déceler d’éventuelles erreurs. À cet égard, l’intervention en amont d’un huissier—notaire ou d’un avocat chargé d’étudier en profondeur le dossier de constitution de l’association serait à la fois utile et salutaire.

Par ailleurs, le délai de trente jours à compter du dépôt de la demande de création,20 et au-delà duquel cette dernière est réputée acquise, semble bien court compte tenu du nombre de dossiers et de la charge de travail de la direction des associations en termes de vérifications et de relances adressées aux fondateurs pour corriger les erreurs éventuelles. Cette situation conduit à permettre à des associations dont les statuts ne sont pas conformes aux dispositions du décret-loi de se créer en toute légalité, faute d’un temps suffisant donné aux autorités pour opérer un examen approfondi des documents soumis.

20. Article 11 du d décret-loi n°2011-88.

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Dans le même ordre d’idées, la publication de l’annonce de création de l’association au JORT étant laissée aux mains de l’association, et en l’absence de coordination entre les services de la direction des associations et ceux du Journal Officiel, des fondateurs malveillants peuvent même procéder à la publication de l’annonce de création d’une association à laquelle la Présidence du Gouvernement s’est opposée pour non-conformité du dossier aux dispositions du décret-loi n°2011-88.

L’article 12 du décret-loi pose également une difficulté juridique importante : il induit en effet que l’association est légalement constituée à compter de l’envoi de sa déclaration de constitution au Secrétaire Général du Gouvernement par lettre recommandée avec accusé de réception. Si cette mesure s’inscrit dans la volonté de proclamer davantage encore la liberté associative, elle fragilise cependant le droit en faisant découler de cette constitution des conséquences juridiques qui ne sont en principe reconnues qu’aux associations bénéficiant de la personnalité juridique : le droit d’ester en justice, le droit d’acquérir, le droit à la propriété et à la gestion de ses ressources et de ses biens ainsi que le droit d’accepter des subventions, des donations, des dons et des legs. Il s’agit d’une part d’une erreur sur le plan de la théorie du droit et d’un danger en pratique qui menace aussi bien les organisations de la société civile que leurs vis-à-vis. Cette disposition a d’ailleurs montré ses limites, les activités les plus élémentaires des associations (ouverture d’un compte bancaire, signature de conventions, enregistrement d’actes auprès de la mairie, déclarations fiscales, etc.) étant soumises à la nécessité pour l’association d’attester de sa publication au Journal Officiel.

Par ailleurs, si l’âge minimal prévu pour fonder une association ou la diriger, fixé à 16 ans,21 permet d’initier les jeunes à la prise de responsabilités dans le champ public, cette mesure ne va pas sans poser des difficultés, non

21. Article 8 paragraphe 2 du décret-loi n°2011-88.

tellement eu égard à la responsabilité civile et pénale encourue, mais surtout à la solvabilité des jeunes dirigeants associatifs. Il en va de même de la disposition qui prévoit l’âge de 13 ans comme seuil minimal pour être membre d’une association.22 Les analyses comparatives montrent en réalité qu’il n’existe pas de règle fixe dans ce domaine : en Finlande par exemple, l’âge minimal requis pour diriger une association est de 15 ans ; il est de 16 ans en France avec une autorisation des parents ou tuteurs et de 18 ans en Bulgarie.

L’attachement à la liberté associative a également conduit à se contenter de l’accord de deux personnes pour constituer une association. Or, en l’absence d’un membre trésorier compétent, l’association rencontrera les plus grandes difficultés à s’acquitter de ses obligations, en particulier comptables et fiscales. Il ne serait pas inutile dans ce sens qu’il soit demandé à l’association qu’elle dispose d’un trésorier titulaire d’un diplôme en comptabilité ou tout du moins qui puisse démontrer sa capacité à traiter les tâches comptables, fiscales et sociales requises par la loi.

Enfin, censé garantir la liberté associative, l’article 15 du décret-loi prévoit que les fondateurs, les gestionnaires, les employés et les membres de l’association ne sont pas tenus personnellement responsables des obligations légales de cette dernière, mais également que les créanciers de l’association n’ont pas le droit d’exiger des personnes citées plus haut le paiement des dettes sur leurs propres deniers. Si l’on constate que d’autres pays appliquent ce principe, cet article paraît dangereux dans la mesure où il n’incite pas les membres de l’organisation à la diligence et leur offre une immunité incompatible avec la responsabilité qu’ils doivent légitimement endosser ; dans le même temps, il n’encourage pas les vis-à-vis des associations, et notamment les fournisseurs de biens et les prestataires de services, à s’engager avec elles par crainte

22. Article 17 du décret-loi n°2011-88.

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de ne pas voir leurs créances honorées. Il en va de même pour le régime de sanctions applicables aux associations, qui manque de la dissuasion nécessaire pour engager les associations à se conformer à leurs obligations légales.

Il est intéressant de ce point de vue de voir que la législation espagnole, qui considère également que l’association est seule responsable des dettes et obligations engagées, prévoit en même temps qu’il incombe aux membres d’honorer ces engagements dans le cas où les créanciers démontreraient une mauvaise gestion de leur part.

4—Illustration : cas des Ligues de Protection de la Révolution (LPR)Le cas des LPR a été choisi pour son aspect significatif qui peut illustrer les défaillances en termes de bonnes pratiques de gouvernance. Les LPR sont les héritières des comités de protection de quartiers, groupements informels nés dans le vide sécuritaire engendré par le départ précipité du président Ben Ali, le 14 janvier 2011. Ils se sont transformés par la suite en comités de protection de la révolution, et certains observateurs ont noté que ces organisations locales ont reçu une couverture juridique avec la création le 14 juin 2012 de la Ligue Nationale de Protection de la Révolution.23 Ils estiment que les comités de protection de la révolution sont ainsi devenus autant de ligues régionales affiliées à la ligue nationale qui ont perturbé les meetings et les manifestations des partis de l’opposition ou du principal acteur syndical, l’Union Générale du Travail de Tunisie (UGTT).

Certains pensent que leur premier fait d’arme s’est déroulé lorsqu’ils ont commis des actes de violence vis-à-vis des activistes de l’UGTT sur la place Mohamed Ali, ce qui a suscité la protestation de la société civile et a poussé l’UGTT à annoncer la grève générale, suite à laquelle une commission d’investigations composée par des représentants

23. Hedia Baraket. « 14 janvier 2011 – 14 janvier 2013 : Révo-lution-Contre-révolution. Propagande, intrigues et religion », La Presse de Tunisie, 14 janvier 2013.

de l’UGTT a été constituée afin de savoir qui étaient derrière les actes de violence. Dans son rapport final, cette commission d’investigation a pu conclure que les LPR étaient les responsables de ces événements.24

Ces mêmes ligues ont été accusées par le juge d’instruction du Tribunal de Première Instance de Tataouine d’être derrière le lynchage, le 18 octobre 2012, de Lotfi Nagued, coordonnateur du parti de l’appel de Tunisie à Tataouine.25

La dissolution de ces ligues était l’une des priorités de la feuille de route qui résulta du dialogue national organisé sous l’egide du quartet ayant accompagné la mise en place de l’actuel gouvernement de transition en Tunisie, et cela s’explique par l’absence de décision politique coercitive à l’encontre de ces ligues de la part des gouvernements qui étaient en place.

Dans un premier temps, la ligue était mise en demeure. Par la suite une requête a été déposée par le chargé du Contentieux de l’État sur demande du Secrétaire Général du Gouvernement, en attendant la fin de l’enquête à propos des actes de violences déjà commis. Sur cette base, le Président du Tribunal de Première Instance de Tunis a pris la décision, le 12 mars 2013, de geler les activités de la Ligue Nationale de Protection de la Révolution et de toutes ses sections pour une durée d’un mois.26

Cependant, la ligue n’ayant pas accepté la mise en application de la décision, le Secrétaire Général du Gouvernement a demandé au chargé du Contentieux de l’Etat d’intenter une action civile sur la base de l’article 45 du décret-loi n°2011-

24 Cf http://www.shemsfm.net/fr/actualite/evenements-de-la-place-mohamed-ali-l-ugtt-accuse-les-lpr-dans-son-rapport-final-42216

25. http://www.astrolabetv.com/fr/assassinat-de-lotfi-naguedh-les-lpr-mis-a-lindex/

26. http://www.mosaiquefm.net/fr/index/a/ActuDetail/Element/18331-gel-pour-un-mois-les-activites-des-lpr-sur-decision-judiciaire

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88 du 24 septembre 201127 relatif à l’organisation des associations et se rattachant aux sanctions, étant aussi bien additionné à l’article 4 du décret-loi qui interdit l’appel à la violence.28

Cette requête, introduite suite à l’instruction du nouveau chef du gouvernement Mehdi Jomaa à son Secrétaire du Gouvernement, s’est fondée sur deux mises en demeure et sur un constat des différents dépassements opérés par ladite association ainsi que des plaintes déposées à son encontre.

Le Procureur Général de la République a supporté la requête du Contentieux de l’État et a fait assumer à la ligue la responsabilité de plusieurs événements de violence que le pays a vécu.

Le 26 mai 2014, la 21e Chambre du Tribunal de Première Instance de Tunis a ordonné la dissolution des LPR pour atteinte à l’ordre public et violation du décret-loi relatif aux associations. Le tribunal a décidé également la saisie des biens et avoirs de la ligue de protection de la révolution et de ses bureaux régionaux. Leurs activités sont désormais interdites.29

Bien qu’elle soit susceptible de recours en appel, l’originalité dans cette décision réside en ce qu’elle est à effet immédiat sans tenir compte de l’effet suspensif de l’appel.

Les faits relatés dans cette étude de cas nous rendent compte de la complexité de la nouvelle règlementation relative aux associations quant

27. Cet article 45 prévoit que la dissolution est : « prononcée par un jugement du tribunal de première instance de Tunis à la demande du se-crétaire général du gouvernement ou de quiconque ayant intérêt et ce, au cas où l’association n’a pas cessé l’infraction malgré sa mise en demeure, la suspension de son activité et l’épuisement des voies de recours contre la décision de suspension d’activité ».

28. L’article 4 dispose, en effet, que : « Il est interdit à l’association :Premièrement : De s’appuyer dans ses statuts ou communiqués ou pro-grammes ou activités sur l’incitation à la violence, la haine, l’intolérance et la discrimination fondée sur la religion, le sexe ou la région ».

29. »قضت الدائرة املدنیة عدد 21 باملحكمة االبتدائیة بتونس بثبوت مخالفة الرابطة الوطنیة لحامية الثورة لألحكام املنظمة لتكوين الجمعیات ونّصح تبعا لذلك بحلّها وّحل جمیع فروعها وجمیع مقراتها أيمنا

وجدت وتركزت وبحرض أنشطتها وتعیین رياض االسطنبويل مّصفي قضايئ لها مكلف بإمتام إجراءات التصفیة

املتعلقة مبمتلكاتها املنقولة وغیر املنقولة تحت رقابة قاضیة االئتامن والتصفية باملحكمة االبتدائية بتونس

هالة بن متيم وذلك طبقا لإلجراءات القانونية وحمل املصاريف عىل املحكوم عليها واإلذن بالتنفيذ الوقتي

دون ضامن ودون االلتفات لالستئناف ورفض الدعوى املعاضة شكال«.

aux limites de son pouvoir coercitif vis-à-vis des dépassements que peuvent commettre les associations.

D’abord par la nécessité infligée au Chef de Gouvernement de respecter la progression dans l’application des peines, quelques soit le degré de gravité de la faute commise.30 Il s’agit d’une situation grave selon laquelle, à titre figuré, une association qui commet un acte terroriste n’est soumise, en première étape, qu’à un avertissement.

Ensuite, par la lourdeur de la procédure de dissolution des associations « hors-la-loi » qui ne peut être faite qu’à l’initiative du Chef de Gouvernement et qui nécessite de surcroit l’épuisement de tous les recours contre la décision de suspension.

SECTION II : ASPECTS MANAGÉRIAUX ET RÉALITÉS DU TERRAINAu-delà de l’aspect règlementaire, les pratiques organisationnelles et managériales suscitent beaucoup d’intérêt. C’est à ce niveau que se manifeste le besoin d’instaurer un modèle de gouvernance pour les associations tunisiennes qui tient compte des exigences règlementaires, mais aussi des bonnes pratiques à l’échelle internationale, eu égards au cadre comptable (Section I), au cadre fiscal (Section II), au dispositif de contrôle (Section III), ainsi qu’au dispositif d’accompagnement et de soutien (Section IV).

1—Cadre comptable incomplet et communication financière défaillanteDe 1959 à 2011, les associations étaient soumises à une comptabilité de caisse, caractérisé par le suivi des recettes et des dépenses abstraction faite des engagements. C’est avec le décret-loi 2011-88 que les associations deviennent soumises à une comptabilité d’exercice, dite aussi comptabilité d’engagement,31 qui devrait être une base de suivi, de reddition des comptes mais aussi de contrôle de communication financière.

30. Article 45 du décret-loi n°2011-88

31. Article 39 du décret-loi 2011-88 soumettant les associations aux dispositions du système comptable des entreprises.

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Toutefois, le retard accusé dans la publication de normes comptables spécifiques aux associations, telle que prévu par le décret-loi 2011-88 a été à l’origine de confusion, voire même de désistement dans le respect des obligations comptables. Rares sont les associations qui ont adopté un système comptable approprié, les autres continuent à appliquer les règles de la comptabilité de trésorerie ou ne tiennent pas de comptabilité.

En outre, par souci de transparence financière, le décret-loi 2011-88 exige des associations la publication des états financiers annuels et du rapport du Commissaire aux Comptes32 dans un journal de la place ainsi que sur le site web de l’association, le cas échéant. Sur une population dépassant les seize mille associations, le nombre recensé de celles qui se sont conformées à cette exigence ne dépasse pas la dizaine. Ceci a poussé l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie à tirer la sonnette d’alarme sur cette situation manifeste de délabrement de la communication financière dans le secteur associatif.33

Quant aux dons reçus de l’étranger, la règlementation en vigueur exige que les associations qui en bénéficient soient dans l’obligation de publier leurs sources de financement étranger et d’en informer le Secrétariat du Gouvernement.34 Le rapprochement entre les publications des donateurs et les publications y afférant chez les associations bénéficiaires rendent compte d’un déficit manifeste de transparence.

Par ailleurs, le respect de l’obligation d’information de la Cours des Comptes des financements publics reste limité avec environ cinq cents cas à fin août 2014.35

2—Cadre fiscal inadapté et pratiques incontrôléesUne des spécificités des associations est qu’il n’existe pas de régime fiscal qui leur est propre. En

32. Article 43- huitième du décret-loi 2011-88.

33. Communiqué de presse de l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie de septembre 2013.

34. Article 41-huitième du décret-loi 2011-88.

35. Fadhila Gargouri, Journées nationales Salem Rejeb de trans-parence et d’intégrité, 5 et 6 septembre 2014.

effet, la règlementation fiscale tunisienne soumet les associations à la quasi-totalité des obligations fiscales prévues pour tout contribuable. Les associations sont donc soumises aux obligations d’immatriculation fiscale, de retenue à la source et de dépôt de déclarations mensuelles au titres de divers impôts et taxes tels que la Taxe sur la Valeur Ajoutée, la taxe au titre du Fonds de Promotion des Logements Sociaux et la taxe sur les immeubles bâtis et non bâtis.

Les associations bénéficient de certaines exceptions ayant traits à sa vocation et à la nature de leur activité. Ainsi elles ne sont pas soumises à l’impôt sur le résultat, de par leur activités à but non lucratif, elles peuvent aussi bénéficier de l’achat en suspension de TVA au titre des acquisitions effectuées dans le cadre de projets financés par des bailleurs de fonds internationaux.36

Par ailleurs, la règlementation fiscale relative aux associations est caractérisée par une instabilité accrue, notamment au cours de ces dernières années. Citons par exemple les changements apportés par les lois des finances successives en 2012 et 2013, concernant la modification du régime de la TVA des associations, ainsi que le changement des conditions et des taux de déduction des subventions accordées aux associations.37

Du point de vue des associations, le caractère bénévole de la gestion des associations, l’absence de traditions fiscales dans ce secteur et le manque de contrôle de la part de l’administration fait que le système fiscal est jugé compliqué, voire même décourageant. Ceci se manifeste par le manque d’adhésion au système fiscal et le manque de respect des règles fiscales dans la majorité des associations. Fin juin 2014, le nombre d’associations qui se sont conformées à l’obligation d’immatriculation auprès de l’administration fiscale s’élève à environ cinq mille sept cents associations, ce qui représente

36. Point 16 du Tableau A annexé au code de la TVA, modifié par la Loi 2014-54 portant par la loi de finances complémentaire de 2014.

37. Le dernier changement est apporté par le décret n°5183 pour l’année 2013 annulant le décret 599 de l’année 2000.

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33% de la population totale des associations en Tunisie.38

3—Dispositif de contrôle financier à renforcerLes mécanismes de contrôle à mettre en place dans une association permettent la prévention contre les risques d’erreur ou d’abus, ou de les détecter à temps quand ils surviennent. À travers ces contrôles, l’association a une obligation de rigueur et soumet tous les intervenants à l’exigence de « rendre compte ».

Conformément aux bonnes pratiques en la matière, l’association est appelée à mettre en place un dispositif de contrôle interne adéquat, permettant de sauvegarder son patrimoine, de fiabiliser l’information financière produite, d’assurer sa conformité à la règlementation et à ses règles internes, et de gérer ses risques.

À ce titre plusieurs outils sont à utiliser notamment l’adoption d’un règlement intérieur adapté, la mise en place d’un manuel de procédures, ainsi que des fiches de fonctions-clés.

Aussi est-il recommandé que l’association nomme, selon les procédures prévues dans ses statuts ou son règlement intérieur, un ou plusieurs contrôleurs de gestion et/ou des auditeurs internes, et ce même si elle est soumise à un contrôle externe.

À signaler que la règlementation en vigueur relative aux associations ne prévoit pas de telles mesures. L’absence de normes comptables spécifiques aux associations et traitant des règles de contrôle interne ne fait qu’empirer ce vide. De ce fait, rares sont les associations qui se soucient de la question du contrôle interne.

Quant au contrôle externe, la règlementation en vigueur39 prévoit l’obligation de nommer un ou plusieurs Commissaires aux Comptes dans les cas suivants :

38. Information recueillie auprès des services centraux de l’Administration Fiscale tunisienne.

39. Article 43 du décret n°2011-88.

• lorsque le total des revenus annuels dépasse cent mille (100.000) dinars, l’association doit en nommer un parmi les experts comptables membres de l’Ordre des Experts-Comptables de Tunisie ou parmi les « techniciens de la comptabilité », membres de la Compagnie des Comptables de Tunisie.

• lorsque le total des revenus annuels de l’association dépasse un million (1.000.000) de dinars, l’association doit nommer un ou plusieurs Commissaires aux Comptes parmi les experts-comptables membres de l’Ordre des Experts-Comptables de Tunisie.

Le mandat du Commissaire aux Comptes est de trois ans. Il est non renouvelable.

Le Commissaire aux Comptes prépare son rapport dans un délai de un mois, à compter du jour où il a reçu les états financiers. Il communique le rapport au premier responsable de l’association et au Secrétaire du Gouvernement.

À défaut d’une cellule de suivi et de communication, le nombre de rapports adressés au Secrétaire de Gouvernement reste inconnu à ce jour.

Sur le plan pratique, en l’absence de suivi efficace des associations de la part des pouvoirs publics, la conformité des associations à l’obligation de nomination de Commissaire aux Comptes n’est nullement contrôlée, sans évoquer les manœuvres de morcellement et de multiplication d’associations à des desseins échappatoires aux contrôles, auxquelles peuvent recourir certains dirigeants, compte tenu de la facilité de création d’associations.

Par ailleurs, contrairement aux dispositions du décret-loi n°2011-88,40 nous sommes toujours en attente des normes d’audit des associations, qui sont à la charge de l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie et que ce dernier ne peut établir que sur la base des normes comptables y afférents mais qui tardent à voir le jour.

40. Article 43-4 du décret n°2011-88.

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Quant au processus de contrôle du financement public, toute association qui en bénéficie est appelée à en informer la Cour des Comptes,41 dans un rapport dont la forme n’a pas été définie par la loi. Les organismes publics ayant accordé de tels financements sont appelés à en informer le ministère de tutelle, le Secrétariat Général du Gouvernement, le Ministère des Finances ainsi que la Cours des Comptes,42 Ces financements publics sont soumis au contrôle à postériori des services techniques et d’inspection revenant à chaque ministère de tutelle, ainsi qu’au contrôle des organismes de contrôle général des finances.43 En absence de divulgation publique des résultats de ces contrôles, nous n’avons pas pu évaluer leur portée et leur résultat.

4—Dispositif faible d’encadrement et de formation des associationsTrois ans après la Révolution du 14 janvier 2011, on recense plus de six mille huit cent cinquante nouvelles associations44 œuvrant sur l’ensemble du territoire tunisien et dans les thématiques les plus diverses : citoyenneté, gouvernance, élections, éducation, développement régional, promotion du rôle de la femme, etc. Pourtant, un grand nombre de structures associatives, créées dans une atmosphère d’enthousiasme au lendemain de la Révolution, ont interrompu leurs activités ou abandonné définitivement leurs missions, sans que leur nombre ne puisse être donné, en l’absence d’une actualisation régulière des associations actives fournie par la société civile, les services compétents de la Présidence du Gouvernement ou le centre d’Information, de Formation, d’Études et de Documentation sur les Associations (IFEDA).

L’examen de la situation sur le terrain permet seulement d’avancer que le nombre de défaillances est substantiel. Plusieurs

41. Article 44 du décret-loi n°2011-88.

42. Article 19 du décret 5381 du 18 novembre 2013.

43. Article 21 du décret 5381 du 18 novembre 2013.

44. Ce chiffre, communément admis par les différents observateurs et acteurs travaillant dans le domaine de la société civile, ne rend pas exactement compte de la réalité de l’activité associative du pays.

facteurs peuvent expliquer ce constat. Au-delà du désenchantement naturel qui s’installe progressivement dans les périodes postrévolutionnaires, nombre d’associations n’ont pas pu disposer des moyens nécessaires, en termes de ressources humaines et matérielles, de capacités techniques et de compétences, pour dépasser les nombreux obstacles qui constituent le lot quotidien des organisations de la société civile.

Des causes en lien avec des problèmes d’encadrement et de formation contribuent également à la compréhension de ce phénomène. Pour y remédier, des organismes existent en Tunisie.

L’IFEDA a été créé par décret au mois d’avril 2000 pour être au service des associations, afin de les aider à faire évoluer leurs méthodes de travail. Cette assistance leur permet de disposer des mécanismes nécessaires à la remise à niveau d’un tissu associatif qui constitue un soutien essentiel à la société civile à qui elle fournit également les moyens d’améliorer ses prestations et de promouvoir ses activités en matière de développement des ressources humaines et économiques, d’aiguiser les valeurs de citoyenneté et de solidarité, de diffuser la culture de l’initiative.

Par ailleurs, en dehors de l’Administration Tunisienne il existe une organisation : le Bureau Association Conseil (BAC). Le BAC a officiellement ouvert ses portes le 1er décembre 2011.

Cette institution avait pour intention d’aider les milieux associatifs qui ont eu une émergence exponentielle depuis Janvier 2011. Les aides apportées par le BAC sont de l’ordre de l’information et de la formation orientée vers la société civile. Cette idée provient d’une réflexion concertée entre quatre associations tunisiennes partenaires « Amal » œuvrant pour le droit et la santé des femmes, « Sawty » pour la citoyenneté, le réseau « RANDET » pour l’environnement, et «

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Enda Inter-Arabe » pour le microcrédit, à laquelle la Coopération Française a pris part. Par la suite L’association tunisienne « Esmâani », le groupe d’entreprenariat social français SOS et l’Agence Française du Service Civique ont rapidement rejoint le cortège initial, afin de contribuer à la concrétisation de cette idée. Depuis septembre 2013, la Région Île-de-France et l’Agence Française de Développement sont partenaires des activités du BAC.

« Finalement le BAC c’est :

• Une structure dédiée au renforcement des capacités des associations tunisiennes, par le biais du conseil, de la formation et de la mise en réseau.

• Un organisme au cœur de la société civile tunisienne. Le BAC est implanté dans le centre de Tunis mais agit sur l’ensemble de la Tunisie. Il est en lien avec des associations œuvrant dans des domaines très divers.

• Une équipe dynamique regroupant des spécialistes tunisiens et des volontaires internationaux venus partager les bonnes pratiques en matière d’accompagnement associatif.

• Pour développer ses prestations, le BAC s’appuie notamment sur un réseau de partenaires regroupant des associations, des entreprises, des intervenants académiques et des experts bénévoles. »45

Néanmoins, le rôle de l’État reste primordiale ent ant qu’informateur et formateur vis-à-vis de la société civile afin d’y instaurer la solidité et l’efficacité de cet acteur. Pourtant, une étude sur les cadres formels de concertation entre l’ État Tunisien et la société civile réalisée en mars 2014 par « Particip GmbH » a montré qu’ « Au cours des entretiens réalisés, la plupart des acteurs n’avaient qu’une connaissance très limitée des différents mécanismes et outils de la

45. http://www.bac-associations.tn (Rubrique : Notre mission).

participation citoyenne. Là encore, ce sont les manques d’information et de formations relatives aux cadres de concertation qui sont au cœur des enjeux. ».46

L’information (transparence) et la formation (savoir-faire) sont les piliers de l’instauration des « bonnes pratiques de gouvernances » dans le milieu associatif. Mais les acteurs étatiques ne disposent pas des capacités, en termes de savoir et de pratiques, qui leur permettraient de mener des processus de concertation autour de ces bonnes pratiques de manière efficace. Ces capacités résident tant dans la bonne conduite des procédures que dans les pré-requis en termes de partage d’information, de formation, d’animation, de dialogue, de communication, de médiation, de négociation et de résolution des conflits avec la société civile.

Les associations ont souvent fait part de leur sentiment que les acteurs étatiques ne se montraient que rarement disposés à travailler avec elles. Au-delà des lourdeurs administratives, certaines organisations de la société civile font référence, pour appuyer ce point de vue, à plusieurs courriers ou fax envoyés restés sans réponses et à de nombreuses sollicitations restées lettres mortes. Pour le président d’une association, dont l’idée rejoint celle de nombreux autres responsables associatifs : « quand les acteurs étatiques nous invitent, c’est parce que leurs supérieurs les obligent à le faire ; si cela ne tenait qu’à eux, il n’y aurait toujours pas de dialogue entre l’État et la société civile ».47

Pour résumer, la question des ressources se pose également au niveau des ressources humaines dont disposent les organisations de la société civile. En dehors des capacités de connaissance des dossiers et de maîtrise des enjeux, les associations doivent disposer des personnes et des compétences disponibles pour assurer le

46. Etude rédigée dans le cadre de « La mission d’appui à l’amélioration de l’environnement institutionnel et légal des organisations de la société civile » mise en place par contrat 2012/3066864/1, p. 51.

47. Idem, p. 48.

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suivi du processus de concertation, qui est à la fois demandeur en temps et en rigueur, exigence qui manque pour l’heure à de nombreuses associations, pour différentes raisons qui ont été évoquées plus haut.

La professionnalisation de la société civile, qui passe par une stratégie claire dans ce sens et l’octroi des moyens matériels nécessaires, constitue un élément fondamental pour un équilibre des forces entre les acteurs étatiques et les associations assurant l’instauration des bonnes pratiques de gouvernance dans la sphère associative.

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CHAPITRE II : EVALUATION DU CADRE ACTUEL DES ASSOCIATIONS EN TUNISIE

Les caractéristiques du secteur associatif de par le monde est propre à chaque contexte. En effet, les associations y obéissent à une histoire et un cadre juridique et culturel bien particulier. La comparaison que nous avons effectué s’articule autour des origines et caractéristiques culturelles des associations dans ces pays (Section I), leurs secteurs d’intervention (Section II), leurs poids dans leurs économies respectives (Section III), et enfin leurs sources de financement (Section IV).

SECTION I : ORIGINES ET CARACTÉRISTIQUES CULTURELLESEn Europe, la naissance du secteur tiers remonte au Moyen-Âge, où un réseau d’organisations charitables et éducatives ont vu le jour sous l’égide de l’Église Catholique partout en Europe.48

Des organisations de métiers marquées par l’esprit coopératif apparaissent alors dans les villes européennes sous des noms divers, corporations, guildes, etc. Et ce n’est qu’au Siècle des Lumières, qu’on assiste à la naissance des cercles culturels et politiques et des sociétés savantes dans la plupart des pays européens.

La reconnaissance définitive des organisations de l’économie sociale sera concrétisée à travers un ensemble de textes de lois, notamment la Charte de la Mutualité en 1898, et surtout la Loi de 1901 sur les associations, toujours en vigueur et qui a constitué la pierre angulaire de la naissance du cadre juridique des associations en Tunisie.

D’après Fraisse et Kendale,49 là où certains pays comme la France, le Royaume-Uni ou l’Italie possèdent des regroupements nationaux à même de porter auprès des pouvoirs publics

48. Geremek B., La potence ou la pitié, Paris, Gallimard, 1987.

49. Fraisse, L., Kendall, J. (2006), Le statut de l’association euro-péenne : Pourquoi tant d’indifférence à l’égard d’un symbole d’une politique européenne des associations ? RECMA Revue internationale de l’économie sociale, 300 : 45-61.

des questions politiques qui transcendent les enjeux sectoriels, d’autres présentent des modes de représentation peu à même de porter des enjeux transversaux (statut, fiscalité, formation, financements…) auprès des pouvoirs publics, soit parce qu’organisés de manière principalement sectorielle (Pays-Bas), soit parce que trop régionalisés et récents pour avoir un spécialiste associatif des questions européennes (Espagne).

De l’autre côté de l’Atlantique, la naissance des associations est liée à un tout autre cadre culturel. En effet, ces dernières sont intimement mêlées à la démocratie américaine dès ses origines. Il y a lieu de noter que les associations américaines, souvent liées à des dénominations religieuses, qui ont cherché à faire face à l’absence de l’État et à ses carences par la pratique du «self help» lors de la conquête de l’Ouest, tout en se référant à la tradition individualiste puritaine.50

Les associations et les fondations remplissent actuellement aux États-Unis des fonctions qui relèvent en Europe principalement du secteur public, dans le domaine de la santé ou des universités par exemple. En effet, aux États-Unis, plus de la moitié des hôpitaux sont privés sans but lucratif et la santé représente 46 % du secteur sans but lucratif, ce qui souligne le caractère « assistantiel » du système de protection sociale américain. De même, les universités américaines les plus prestigieuses sont des fondations, financées aux deux tiers par les étudiants ou leurs familles et par le revenu de leur dotation, mais le financement public (20%) et les dons des anciens élèves ou d’autres mécènes (15%) permettent à un certain nombre de boursiers méritants d’y accéder.51

50. Archambault E. (2001). Y a-t-il un modèle européen de secteur sans but lucratif ? , RECMA Revue internationale de l’économie sociale, 282 : 64-83.

51. Archambault, E. (2007). L’économie sociale en France dans une perspective européenne. First International Ciriec Research Confer-ence on the Social Economy, Victoria, BC, Canada.

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À l’opposé du système européen où le système associatif dénote d’un fort partenariat avec l’État et les collectivités territoriales, les associations dans le modèle anglo-saxon, à travers la détection des besoins de la population, proposent des services soit de substituts, soit de compléments de ceux offerts par les collectivités publiques et qui sont bien adaptés.

Ainsi, en dépit d’une tradition associative beaucoup plus récente et moins enracinée que dans les pays anglo-saxons le secteur associatif occupe aujourd’hui en Europe une place importante, grâce à sa spectaculaire vitalité des quarante dernières années.52

SECTION II : SECTEURS D’INTERVENTIOND’un point de vue européen, le secteur associatif américain se substitue à l’État-providence, alors qu’en Europe il le complète.

Des deux côtés de l’Atlantique, le secteur associatif représente une force économique et sociale majeure et les secteurs qui produisent des services relationnels , culturels, éducatifs, de santé et de services sociaux représentent entre 80 et 90% de l’ensemble.53

Dans une étude menée par l’Université de Johns Hopkins sur les organisations à but non lucratif dans treize pays,54 les chercheurs ont trouvé que les activités de services dominent les activités expressives.

Les activités de services regroupent l’assistance à domicile, les activités à connotation sociale, l’éducation et la santé. Les activités expressives regroupent les activités sportives, culturelles et de loisirs.

52. Idem

53. Gérome, F (2010). Charities » et association : une étude com-parative France – Royaume-Uni du comportement des donateurs et des stratégies de collecte, RECMA Revue internationale de l’économie sociale : 318 :39-57.

54. Lester M. Salamon, S. Wojciech Sokolowski, Megan Haddock, and Helen S. Tice. The State of Global Civil Society and Volunteering: Latest findings from the implementation of the UN Nonprofit Handbook (2013) Baltimore: The Johns Hopkins Center for Civil Society Stud-ies, 2013. Rapport disponible à l’adresse suivante : http://ccss.jhu.edu/?page_id=61&did=393

En moyenne, les associations en Europe interviennent dans les activités de service à raison de 71% contre 23% pour les activités expressives.

Aux États-Unis, les associations remplissent des fonctions qui relèvent en Europe principalement du secteur public, dans le domaine de la santé par exemple, qui représente à lui seul 46% du secteur sans but lucratif américain. En effet, aux États-Unis, les hôpitaux publics sont minoritaires et plus de la moitié des hôpitaux sont privés et sans but lucratif. De même, les universités américaines les plus prestigieuses sont des fondations, religieuses à l’origine, mais qui se sont laïcisées aujourd’hui : Harvard, Princeton, Yale, Stanford, Johns Hopkins, par exemple, alors que la plus grande partie de l’enseignement supérieur est publique. Le rôle élitiste de ces universités privées est évident.55

SECTION III : LES ASSOCIATIONS : MÉCANISME DE CRÉATION D’EMPLOIS ET POIDS ÉCONOMIQUE IMPORTANTLa part de l’emploi associatif dans l’emploi total est un bon indicateur de la dimension relative du secteur sans but lucratif dans les divers pays.

En Europe, Tous les secteurs associatifs ont un poids économique important. Ceci est perceptible à travers l’emploi associatif rémunéré qui représente entre 3% en Finlande par exemple et 12,5% aux Pays-Bas de l’emploi total.

Dans une plus large dimension, le poids économique du secteur associatif aux États-Unis est de loin le plus important au monde avec un budget global de 500 milliards de $8,6 millions de salariés, soit 7,8% de l’emploi total, auxquels s’ajoutent cinq millions de bénévoles.56

Ce tableau résume la part du secteur associatif dans l’emploi total dans six pays, à savoir : les États-Unis, la France, le Belgique, la République Tchèque, la Norvège et le Portugal.

55. Archambault, E. (2006). Y’a-t-il un modèle européen du secteur sans but lucratif ? XVIème Colloque de l’ADDES (Association pour le Développement de la Documentation sur l’Economie Sociale).

56. Idem

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Il en ressort que le secteur associatif compte pour de dix pour cent ou plus des emplois totaux, ce qu’il en fait un des plus importants employeurs dans ces pays.

SECTION IV : BUDGET ET MOYENS DE FINANCEMENT DES ASSOCIATIONSAfin de satisfaire leurs objectifs, les associations doivent constituer des budgets. La composition de ces derniers diffère selon le contexte d’activité.

Ainsi les proportions entre financement public et financement privé, composé de dons, mécénat, des cotisations et des activités réalisées par les associations, diffèrent selon les modèles comme exposés ci-après.

1—Le modèle continentalCe modèle est présent dans des pays européens à l’image de la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les Pays Bas.

Marqué par un financement essentiellement public, et conformément au principe de subsidiarité. Il s’agit de l’essence même de la notion de l’État-providence puissant.

Nous exposons ci-après l’exemple des ressources des associations en France, un pays représentatif du modèle continental où les ressources proviennent majoritairement du financement public dont elles sont plus dépendantes (54% des ressources des associations avec salariés sont publiques contre 23% pour les associations sans salarié). Cependant, ces financements publics sont très concentrés sur les secteurs d’activité proches de l’État providence : santé, services sociaux et enseignement.57

Les dons des particuliers et le mécénat des entreprises n’ont de poids significatif que pour les associations caritatives et humanitaires et pour celles qui défendent des droits ou des causes.58

Toutes structures associatives confondues, les financements proviennent à 49,3% du privé (cotisations, 12,1% ; dons et mécénat, 4,9% ; recettes d’activité, 32,3%) et à 50,7% du public (subventions publiques, 34,3% ; ventes de prestations ou prix de journée, 16,4%).59

57. Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, Tableaux Harmonisés de l’économie sociale http://www.insee.fr/fr/ppp/comm_presse/comm/cphcecosociale.pdf. INSEE CLAP

58. Tchernonog, V. (2013), Le paysage associatif français. Mesures et évolution, Paris, Juris-éditions et Dalloz.

59. Idem

7.7%5.8%

1.9%3.5%

11.5%

4.4%

2.5%

3.2%

2.4%

4.8%

Etats Unis France RépubliqueTchèque

Norvège Bélgique Portugal

LA PART DE L’EMPLOI ASSOCIATIF DANS L’EMPLOI TOTAL

Salariés Volontaires

Source : Salamon et al, 2013, p. 2.

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Il y a lieu de noter qu’au sein même de l’Union Européenne, des disparités en matière de sources de financement du secteur associatif est à relever. Ceci pourrait être rapporté aux interdictions qui ont frappé ces pays au cours de périodes de dictature récentes. Il s’agit notamment de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, où le secteur associatif y demeure moins développé que ses autres homologues européens et où le financement public est moins important (31%) que le financement privé (68%).

Il faudra signaler également le secteur associatif des pays ayant rejoint récemment l’Union Européenne, notamment la Hongrie, la République Tchèque, la Pologne et la Slovaquie.

Dans ces pays marqués par les restrictions du régime soviétique déchu, le secteur associatif est en pleine phase de croissance. L’État y assure santé, éducation et service sociaux comme dans le modèle nordique. Le financement public est faible (28%), comme l’engagement bénévole; les recettes commerciales sont prépondérantes et les dons relativement importants (72%).

2—Le modèle anglo-saxon ou libéralCe modèle est présent aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Irlande.

Ce modèle repose sur des voluntary organisations du fait que ces organisations sont caractérisées par l’importance symbolique du bénévolat, fondée sur une longue tradition puritaine d’initiative privée charitable qui s’exerce en relation étroite avec les collectivités locales. Les bénévoles coexistent avec des salariés très professionnels. Les sources de financement sont plus variées que celles du modèle continental : financement public contractuel, souvent en concurrence par appel d’offres, dons relativement élevés et recettes privées variées et innovantes.60 En effet le mécénat et le sponsoring des sociétés privées jouent un rôle prépondérant dans la survie des associations outre-mer, en comparaison avec le modèle continental. Il faut souligner également la prépondérance des fonds collectés auprès des particuliers.

60. Archambault, 2007.

Pour ce qui est des pourcentages des financements, d’après Archambault,61 47% des financements des associations en Grande-Bretagne proviennent du public, contre 44% du privé et 9% des dons.

3—Le modèle nordiqueCe modèle est présent dans les pays nordiques, savoir à la Finlande, la Norvège, le Danemark et la Suède.

Malgré la tradition associative qui y est bien ancienne, les structures associatives sont beaucoup plus récentes.

A l’opposé du secteur associatif anglo-saxon, l’État, dans les pays nordiques fournit lui-même les services éducatifs, sanitaires et sociaux dans le cadre d’un système de Sécurité Sociale uniforme et universel et les rares associations qui interviennent dans ces domaines comblent les lacunes de l’État providence. Les associations culturelles et sportives sont les plus nombreuses. Le bénévolat y est élevé.

Il y a lieu de noter l’importance des dons dans la composition de ces associations et la faiblesse du financement public, ainsi qu’une forte participation des usagers au service rendu.

Ainsi, le financement public est à hauteur de 33%, contre 66% en provenance des dons et du financement privé.62

Le graphique ci-après retrace la contribution du secteur associatif dans le Produit Intérieur Brut dans six pays : les États-Unis, la France, le Belgique, la République Tchèque, la Norvège et le Portugal.

61. Idem

62. Salamon, L.M., Sokolowski, S.W., (2004), “Civil Society; Di-mensions of the Nonprofit Sector, 2, Kumarian Press, 2004.

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20

0.0% 2.0% 4.0% 6.0% 8.0%

Etats Unis

France

République Tchèque

Norvège

Bélgique

Portugal

CONTRIBUTION DU SECTEUR ASSOCIATIF DANS LE PIB

Source : Salamon et al, 2013, p. 3.

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CHAPITRE III : POUR UN CADRE PERFORMANT DE

LA GOUVERNANCE DES ASSOCIATIONS EN TUNISIE

Sous l’éclairage de l’étude juridique et l’analyse des pratiques managériales qui ont été présentées dans les chapitres précédents, il nous a été possible de mener une étude qualitative sur les possibilités d’amélioration des processus de bonnes pratiques de gouvernance dans les associations tunisiennes, objets de notre étude exploratoire.

Il est ainsi question de présenter les possibilités d’amélioration des pratiques existantes (Section I), ainsi que les recommandations d’amélioration du cadre juridique et managérial (Section II).

SECTION I : POUR L’AMÉLIORATION DES PRATIQUES EN TERMES DE GOUVERNANCE Au sujet des nominations au sein de l’association et au mode d’élection, nous avons trouvé qu’il n’y avait pas d’homogénéité et de règle générale. En effet, chaque association adopte un mode qui lui est propre. Cela varie entre le consensus sans vote et l’élection.

Même si la durée des mandats est définie (entre deux et cinq ans), le nombre des dits mandats n’est pas limité dans le temps.

De même pour la tenue des assemblées, il n’y a pas de périodicité prédéfinie ou un nombre minimum de réunions par an.

Quant à la question du financement et la composition des ressources, il apparaît que les cotisations et les dons constituent la source principale et parfois exclusive pour les associations tunisiennes.

Le financement étranger est quasi absent pour les associations de notre échantillon.

Au sujet de l’organisation comptable et juridique, il apparaît que les associations tunisiennes

accusent des manquements à la loi. En effet, même si la majorité des associations interrogées disent disposer d’une comptabilité, elles ne respectent pas toutes l’obligation de nommer un Commissaire aux Comptes, d’une part, et les obligations d’information et de publication (notamment les rapports d’activité, les rapports de leur Commissaire aux Comptes) d’autre part.

De plus, elles ne disposent pas de dossier juridique tenu à jour, et une grande majorité d’entre elles n’ont pas actualisé leurs statuts conformément aux dispositions de la loi 88-2011 (pour les associations crées avant la promulgation de cette loi).

La dernière partie de notre questionnaire a porté sur l’encadrement et le soutien aux associations telles que ces dernières les perçoivent. Toutes les associations participantes à notre étude s’accordent sur le fait que le soutien actuel aux associations et à la vie associative en Tunisie après la Révolution est peu, voire pas satisfaisant, que la société civile n’est pas en train de jouer le rôle qu’elle devrait remplir et que plusieurs éléments sont à mettre à œuvre afin d’améliorer le fonctionnement des associations et relancer leur efficacité.

C’est ainsi que touts les représentants interrogés s’accordent sur la nécessité de mettre en place un système comptable adapté, un manuel de gestion standard qui leur servira de guide dans l’administration de leurs associations.

Il résulte de cette analyse que des efforts d’accompagnement et d’encadrement sont encore nécessaires pour améliorer le secteur associatif en Tunisie. Le législateur a tout son rôle à jouer, notamment en termes d’instauration de règles mais surtout en termes de contrôle et de sanction afin d’éviter les dérives possibles.

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SECTION II : RECOMMANDATIONS POUR L’AMÉLIORATION DU CADRE JURIDIQUE ET FONCTIONNEL

Organisation juridique et contrôle publique

• L’instauration d’un esprit général de respect de la loi, suivant lequel chaque intervenant du processus de gestion et de contrôle se conforme à la règlementation et applique ses prérogatives à temps.

• La formalisation de la gestion financière des associations, à travers une procédure de la désignation d’un trésorier, d’un président et/ou d’un vice-président qui respecte un certain formalisme en matière d’information aux autorités compétentes, de durée et de renouvellement de mandat.

• L’organisation de la vie juridique à travers l’obligation périodique de consultation des membres. Ainsi il est important que les statuts définissent les modalités de convocation, le quorum, ainsi que le respect d’un certain d’un certain formalisme lors de la tenue de ces assemblées tel que c’est le cas pour les sociétés.

• Les membres de toute association peuvent être amenés, au cours de la vie de cette dernière à en modifier les statuts. Ces modifications doivent obéir à un certain formalise et doivent faire l’objet d’une publicité tel que pour les sociétés.

• Renforcer le contrôle mené par l’état en matière de financement étranger, afin de permettre une certaine traçabilité et identification des flux alimentant le budget des associations.

Encadrement et soutien aux associations

• Repenser les interventions et le rôle d’IFEDA. Ce dernier devra s’adapter aux besoins concrets des associations à travers des formations ciblées (juridiques, contrôle, comptable) ;

• Opérer une décentralisation des services d’IFEDA et créer des bureaux régionaux afin de promouvoir la création des associations à l’intérieur du pays et les faire bénéficier du même soutien et encadrement que celles présentes dans la capitale.

• La création d’un observatoire des associations tunisiennes qui servira à la fois de base données exhaustive et à jour (et qui sera l’équivalent du registre du commerce pour les sociétés). Il jouera également le rôle de soutien et d’encadrement aux associations et participera à travers les études qu’il mènera à déceler les zones d’améliorations en matière juridique et comptable.

Organisation et contrôle interne

• Les associations doivent œuvrer à mettre en place des procédures qui assurent la transparence et des contrôles spécifiques suivant leur configuration (petites associations fonctionnant qu’avec des bénévoles, associations disposant de salariés, réseau d’associations…).

• Le règlement interne à mettre en place viendra compléter les statuts, à travers la mise en place des règles de gestion et de définition des tâches au sein de l’association et éviter ainsi les chevauchements qui sont de nature à entacher la transparence dans sa gestion.

Définition d’un cadre comptable et fiscal adéquat

• Accélérer la publication de normes comptables relatives aux associations permettrait à celles-ci d’assurer une certaine comparabilité dans le temps et dans l’espace.

• Il faudra aussi prévoir un système comptable simplifié qui s’adapte aux spécificités des petites associations.

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• Repenser le cadre fiscal et social associatif. Il y a lieu de le rendre plus attractif à travers :

– l’élévation du plafond des déductibilités des dons et du mécénat réalisés au profit des associations et pour les personnes physiques pour les personnes morales ;

– l’instauration d’un régime fiscal simplifié et l’exonération des associations de certains impôts et taxes tels que la TVA et la procédure de retenue à la source ;

– la mise en place de mécanismes d’encouragement au recrutement par les associations à travers, notamment l’exonération du paiement des charges sociales patronales par celles-ci.

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CONCLUSIONTrois ans après la Révolution Tunisienne du 14 janvier 2011, le secteur associatif a constitué un terrain illustratif de l’évolution de la société tunisienne sur le chemin de la transition démocratique. Ainsi, le tissu associatif tunisien a connu une expansion sans précédent en termes de nombres d’associations, mais aussi en termes de domaines d’interventions et d’ampleurs des activités.

Cette évolution peut être expliquée d’un côté par la mouvance sociale de l’après révolution et de l’autre côté par changements apportés au cadre juridique touchant le processus de création et de gestion des associations. Depuis les derniers textes juridiques, datant du XIX siècle, la cadre juridique a connu plusieurs modifications qui ont abouti au texte actuel qui procure aux associations un grand degré de liberté à gérer leurs affaires.

Toutefois, au vue de l’analyse de droit et des constats pratiques menés tout au long de la présente étude, il a été mis en évidence que le dispositif juridique actuel nécessite des améliorations importantes quant à la définition de modes de gouvernance des associations et de dispositifs de contrôle et de supervision.

Notre étude nous a permis aussi de cerner les limites pratiques du cadre comptable et fiscal actuel relatif aux associations, et qui nécessite l’instauration de modèles adaptés aux réalités du secteur associatif, tout comme le cadre de contrôle financier qui gagne à être renforcé.

Il a été aussi démontré la nécessité de renforcer les structures d’encadrement et de formation des différents acteurs du secteur associatif, en s’inspirant de l’expérience comparée dans le domaine.

Le renforcement des structures de supervision et d’encadrement nous a amené à appeler à la création d’un observatoire national des

associations à même de coordonner les efforts consentis dan ce domaine.

Notre étude, portant sur l’évaluation du degré de conformité du paysage associatif tunisien aux règles de bonne gouvernance, a porté sur une analyse juridique comparée et un « benchmarking » international. La méthodologie d’étude de cas, que nous avons adoptée, nous a permis de rendre compte des réalités du terrain et gagnerait à être étendue, afin d’étudier les pratiques managériales au sein des associations tunisiennes.

Sur le plan de la gouvernance, les limites majeures que nous avons détectées à travers notre étude portent sur les volets de transparence et de redevabilité. Malgré des dispositions légales généreuses, la volonté des associations à divulguer leurs rapports et leurs chiffres restent très limitée, tout comme les efforts consentis par les différentes structures gouvernementales pour faire respecter ces exigences.

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