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BIG DATA, SERVICES NUMéRIQUES, ACTIONS CITOYENNES COLLECTIVITéS TERRITORIALES : RéINVENTONS LE MODèLE éCONOMIQUE ! Actes de la 3 ème conférence dédiée au Secteur Public Local Cercle National des Armées, Paris, 29 juin 2016 Propos recueillis par HELENE BARON-BUAL Associée en charge du Secteur Public, Grant Thornton FRANÇOIS MAZELLA DI BOSCO Senior Manager Secteur Public, Grant Thornton POL NOLET Directeur du Développement du Secteur Public, Grant Thornton

Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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Big data, services numériques, actions citoyennes

ColleCtivités territoriales : réinventons le modèle éConomique !

Actes de la 3ème conférence dédiée au Secteur Public LocalCercle National des Armées, Paris, 29 juin 2016

Propos recueillis parHELENE BARON-BUALAssociée en charge du Secteur Public, Grant ThorntonFRANÇOIS MAZELLA DI BOSCOSenior Manager Secteur Public, Grant ThorntonPOL NOLETDirecteur du Développement du Secteur Public, Grant Thornton

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« La révolution du modèle économique du secteur public local est en marche… des phénomènes disruptifs émergent et réinterrogent le secteur Public sur trois de ses dimensions : stratégique, organisationnelle, et financière »

Pour cette année 2016, Grant Thornton, a choisi lors de sa conférence annuelle sur les Collectivités Territoriales, de s’engager dans une réflexion sur les modèles dits « disruptifs », lesquels « bousculent » les lignes traditionnelles. On évoque souvent la data, la digitalisation, le service numérique, mais aussi, et notamment dans le cadre de la sphère publique, l’émergence de mouvements citoyens de plus en plus significatifs (tels le développement des budgets participatifs, ou bien des « actions citoyennes », pour ne citer que ces exemples).

Quand nous évoquons cette révolution, à la fois numérique, presque économique et sociétale, c’est le modèle du Secteur Public lui-même qui est questionné, au moins sur trois de ses dimensions : stratégique, organisationnelle, et financière.

Cette révolution numérique réinterroge en profondeur le contour des missions de ce Secteur Public ainsi que les stratégies mises en place pour y parvenir. Comment vont et doivent s’exercer à l’avenir les missions de service public au regard de la montée en puissance de ces nouvelles technologies et de l’évolution des besoins des citoyens ? Nous pouvons y voir là une approche très entrepreneuriale de l’action publique.

Cette nouvelle forme de service public par voie numérique, ou encore ces nouvelles formes d’implications citoyennes, nous amène à nous questionner sur l’exercice des missions du service public, l’utilisation qui en est faite vis-à-vis du citoyen, mais également la performance en matière d’action politique.

La réflexion porte également sur l’organisation des administrations locales ; est-elle correctement adaptée pour répondre à ces nouveaux enjeux ? Nous sommes ainsi interpelés en termes de compétences : le cœur du débat réside aussi dans l’émergence de nouveaux métiers, de nouveaux profils tels que « Data analyst », « Chief data officer », ou encore de « chef de projet digital » … ce sont là des profils tout aussi nouveaux, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, et qui nécessitent une réflexion approfondie sur l’organigramme des collectivités, pour adopter un positionnement le plus pertinent possible dans une logique qui soit globale, au regard de la stratégie définie par le politique.

Bien entendu, cette nouvelle donne remet sur le métier les modèles financiers existants. Nécessairement, cette révolution va venir bouleverser la structuration du coût du service public. Est-ce finalement une partie de réponse à la contrainte budgétaire ? Est-ce un investissement avec un retour intéressant pour la collectivité en matière de politique locale ?

Les collectivités devront veiller à ne pas tomber dans un travers « d’effet de mode ». Ces choix impliquent de définir une stratégie, et le business plan qui en découle, dans une logique constante de retour sur investissement. La performance du service rendu au citoyen doit en demeurer la philosophie.

Hélène BARON-BUALAssociée en charge du

Secteur Public, Grant Thornton France

AVANT-PROPOS

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L’ExPLOITATION PERTINENTE DES DONNéES PUBLIqUES par ordre d’intervention

SOMMAIRE

Philippe LAURENT, Maire de Sceaux, Secrétaire Général de l’AMF, Président du CSFPT

Romain TALES, Responsable du recensement des données publiques, Etalab, Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP)

Bertrand VINCENT, Lieutenant-Colonel, en charge de l’Open Data, Service des Technologies et des Systèmes d’Information de la Sécurité Intérieure (STSI2),

Gendarmerie Nationale

François CAZALS, Professeur Affilié à HEC Paris, Stratégies et transformations digitales

Olivier REGIS, Président du Comité de Gestion, Forum pour la Gestion des Villes

Bernard ACCOYER, Député, Maire d’Annecy-le-Vieux, Ancien Président de l’Assemblée Nationale

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les aCteurs de la sphère publique auront

un rôle de médiation majeur à jouer dans

Cette nouvelle ère du « tout numérique !»

Philippe LAURENTMaire de Sceaux, Secrétaire Général de l’AMF,

Président du CSFPT

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Nous devons - plus que jamais - être attentifs aux grandes évolutions du Service Public dans cette période de profonds bouleversements. Mais nous devons aussi être attentifs au fait que le service public dit « à la française » est un modèle singulier. Rappelons-nous que dans bien des pays, certains services ou fonctions collectifs ne sont pas nécessairement assurées par le Secteur Public.

Concernant cette grande ouverture des données publiques, nous sommes face à un enjeu démocratique indiscutable, qui est un défi de transparence encadré par un certain nombre de textes français et européens. Au-delà de cet enjeu démocratique, il y a un une dimension économique forte. Le secteur « économie de la donnée » est de plus en plus important, de plus en plus prégnant, porté et décuplé par l’économie numérique.

Des répercussions sont-elles déjà palpables au niveau du service public tel que nous le connaissons ? Naturellement ! Toutefois, il convient de nuancer certaines affirmations.

Tout d’abord, malgré notre entrée en force dans cette nouvelle ère du « tout numérique » et la montée de l’e-administration, certaines populations resteront en retrait de ces

changements. Les acteurs du secteur public devront alors jouer un indispensable rôle de médiation. Nous ne devons toutefois pas nous faire d’illusion quant à la capacité du numérique à se substituer entièrement au service public tel que nous le connaissons ! Le droit de l’Open Data est aussi mouvant que restrictif sur certains sujets (droit de la Propriété Intellectuelle, autorisations CNIL, …), ce qui peut expliquer la réticence de certains Etablissements Publics, ou de certaines collectivités (de taille moyenne principalement) à s’engager dans cette révolution numérique.

Il convient également d’être attentifs à l’interprétation large qui peut être faite de ces nouvelles données. On constate souvent une maturité encore insuffisante de la société et des citoyens, à analyser et interpréter un certain nombre de données. Dès que des données sont mises à disposition, une forme de manipulation peut apparaitre, sans médiation suffisante pour assurer une interprétation et une utilisation fiables et raisonnées. Il s’agit là d’une préoccupation constante des citoyens et des acteurs de la sphère publique.

Philippe LAURENT

Maire de Sceaux, Secrétaire Général de l’AMF, Président du CSFPT

L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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nous sommes sur le point de Créer un

véritable serviCe publiC de la donnée

Romain TALES Responsable du recensement des données publiques, Etalab, Secrétariat Général

pour la Modernisation de l‘Action Publique (SGMAP)

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Tout d’abord, il n’est pas inutile de rappeler la raison d’être d’Etalab, tant elle est multiple, et tant notre évolution est permanente !

Elle émane de la volonté politique de s’investir dans l’ensemble des réflexions liées à l’Open Data. Etalab est né d’une mission placée auprès du Secrétariat Général du Gouvernement, sous l’autorité du Premier Ministre, et s’est développé sous forme d’une direction pérenne au sein du Secrétariat Général pour la Modernisation de l’Action Publique. En réalité, le périmètre d’action d’Etalab est beaucoup plus large…

Data Science... Prédictivité… Algorithmes… Open Government, autant de sujets sur lesquels nous sommes amenés à intervenir. Notre mission pourrait être symbolisée en trois cercles concentriques. Le premier champ, le cœur de notre mission, est l’Open Data, la mise à disposition des données publiques. Le deuxième champ est l’Open Government (logique de renouvellement du rapport démocratique, implication accrue de la société civile dans les politiques publiques). Quant au troisième champ, il concerne la mise en place de projets de data science au sein des administrations afin de mettre en place des politiques publiques objectivées par la donnée.

Le sujet de l’Open Data n’est pas si novateur que cela ! L’article 15 de la DDHC de 1789 prévoyait déjà que : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Les évolutions technologiques ont transformé nos rapports individuels et collectifs ainsi que notre positionnement sociétal. Elles nous permettent de tendre vers une politique ambitieuse en matière de mise à disposition des données publiques : ubiquité, informations en temps réel, géolocalisation. Le concept de « données ouvertes » recouvre des données, produites et reçues dans le cadre d’une mission de service public (au sens de la Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal), publiées et mises à jour aussi régulièrement que possible (on parle souvent de « qualité » de la donnée, de périodicité de la mise à disposition), aussi accessibles que possible (identifiables par des requêtes sur un moteur de recherche), aussi lisibles que possible par une machine (l’ensemble de ces données ne seront pas intelligibles par l’ensemble des citoyens), avec un accès non discriminatoire, dans un format non propriétaire, libre de droit mais assurant la

protection des propriétaires de données d’une éventuelle réutilisation fallacieuse. Il se développe ainsi un rôle d’intermédiation assuré par des personnes chargées d’exploiter ces données et de les vulgariser.

La France a une véritable histoire en matière d’Open Data : elle a par exemple une vraie culture de la statistique publique, preuve en est la création et le rôle de l’INSEE. Cet héritage nous a permis de disposer d’une base de travail commune et de parvenir à impliquer, non seulement les Administrations dans cette démarche, mais également la société civile.

Dans ce contexte, la volonté de créer Etalab repose sur différents piliers. Le premier est la transparence des pratiques étatiques, levier démocratique majeur (la plateforme data.gouv.fr est le premier portail d’Open Data gouvernemental ouvert à toutes les contributions). Le deuxième pilier est le développement de l’économie numérique afin de permettre aux acteurs économiques de s’approprier les données et de développer des services innovants basés sur ces données publiques. Le troisième et dernier pilier est le levier d’efficacité de l’action publique permettant de créer de la transversalité entre les administrations afin d’optimiser la mise en œuvre des politiques publiques.

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L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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En matière d’évolution du cadre légal de l’Open Data, en l’espace d’un an et demi tout s’est accéléré :

1. L’intégration dans la Loi Macron d’éléments relatifs à l’ouverture des données de transport ;

2. L’Open Data des territoires entérinée à travers la Loi NOTRE (Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République), qui a permis d’imposer aux communes de plus de 3500 habitants de publier en Open Data des données dont elles disposent sur leur site internet ;

3. Le 28 décembre 2015, les travaux engagés sur la transposition d’une directive européenne relative à la gratuité de la réutilisation des informations publiques (Directive 2003/98/EC, The re-use of public sector information – PSI Directive) ;

4. L’Open Data des données de santé entérinée le 26 janvier 2016, porté par la loi de modernisation de notre système de santé (LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016) ;

5. La loi pour une économie numérique, promulguée le 7 octobre 2016, à travers l’ouverture par défaut des données publiques et l’élargissement du périmètre de l’open data aux EPIC et aux délégataires de missions de services publics.

Data.gouv.fr : un outil au service des administrations et de la société civileLa nouvelle version du portail data.gouv.fr a été inaugurée le 18 décembre 2013 par le Premier Ministre. Parmi les principes qui ont guidé la conception du nouveau « datagouv », figurait l’idée de proposer à la multitude de participer à la dynamique d’ouverture des données publiques. La plateforme data.gouv.fr propose à ses visiteurs de participer à l’amélioration de la donnée selon différents niveaux d’engagement :

• Le vote utile pour les données suscitant de l’intérêt ;

• Le signalement des données contenant de erreurs ou ne respectant pas les conditions générales d’utilisation de la plateforme ;

• La mise en avant des réutilisations développées sur la base des données mises à disposition ;

• L’amélioration des jeux de données à travers des contributions communautaires et des discussions directes entre administrations productrices et ré-utilisateurs ;

• La publication de jeux de données inédits.

Les collectivités locales sont de plus en plus impliquées dans cette dynamique. La création de l’association « Open Data France » en est une conséquence logique qui a pour objectif de fédérer ces acteurs locaux autour d’échanges de bonnes pratiques et de capitaliser sur les différents retours d’expérience. L’association a remis le 17 octobre 2016 à Axelle Lemaire et Estelle Grelier un rapport sur les dispositifs d’accompagnement des collectivités à l’ouverture des données publiques.

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L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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La dimension de l’Open Government est tout aussi essentielle. C’est un vecteur de transversalité entre l’Administration et la société civile. Beaucoup de pays utilisent maintenant l’Open Data comme un levier de transparence et de renouvellement démocratique. La France a rejoint en avril 2014 le Partenariat pour un Gouvernement Ouvert « PGO », en anglais Open Government Partnership ou « OGP ».

Le Partenariat s’attache, au niveau international, à promouvoir la transparence de l’action publique et la gouvernance ouverte, à renforcer l’intégrité publique et à combattre la corruption, enfin à exploiter les nouvelles technologies et le numérique pour renforcer la gouvernance publique, promouvoir l’innovation et stimuler le progrès.

En avril 2015, les pays membres du Comité Directeur ont retenu la candidature française à la présidence du Partenariat. Depuis le 21 septembre 2016, la France assure ainsi la présidence du PGO pour un an, aux côtés de l’organisation internationale World Resources Institute (WRI).

Cette responsabilité sera l’occasion pour la France de nouer de nouveaux partenariats avec une communauté d’innovateurs de nombreux gouvernements, et une société civile bouillonnante. Ce sera aussi l’opportunité de rapprocher nos partenaires européens et le monde francophone de ce mouvement international qui œuvre à forger de nouvelles formes de démocratie après la révolution numérique. Au titre de présidente, la France accueille à Paris le Sommet mondial du Partenariat du 7 au 9 décembre 2016.

L’ambition pour nous au sein de ce « Gouvernement Ouvert » est triple : construire de la confiance démocratique et de la transparence, donner de nouveaux pouvoirs d’agir aux citoyens (la « contribution citoyenne »), et enfin faire entrer les pratiques du gouvernement dans la mise en œuvre de la révolution numérique.

La Data Science est le dernier volet clé. Véritable transformation de la fonction de l’Etat qui se prépare. L’idée est de casser les silos et de fluidifier la transmission et la circulation des informations au sein même de l’Administration.

Par décret du Premier ministre, la France est devenue le premier pays à mettre en place un Administrateur Général des Données (AGD) au niveau national. Cette fonction de Chief Data Officer avait auparavant été réservée à des villes (New York, San Francisco, Chicago, Philadelphie, Baltimore…) ou des entreprises (Yahoo, Ogilvy, CitiGroup…) pionnières.

Amélioration de la qualité des données produites par l’Etat, facilitation de leur circulation au sein de l’administration comme à destination des chercheurs, entreprises et citoyens, et production de données clefs, comptent parmi ses principaux chantiers.

Parce que la transformation numérique touche les pratiques quotidiennes de l’administration, l’AGD est chargé d’y stimuler la diffusion des nouvelles stratégies d’action fondées sur la donnée. Enfin, il est autorisé à conduire des expérimentations sur l’utilisation des données pour renforcer l’efficacité des politiques publiques, contribuer à la bonne gestion des deniers publics et améliorer la qualité des services rendus aux usagers.

Romain TALESResponsable du recensement des

données publiques, Etalab, Secrétariat Général pour la Modernisation de l‘Action

Publique (SGMAP)

L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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Bertrand VINCENTLieutenant-Colonel, en charge de l’Open Data, ST(SI)2,

Gendarmerie Nationale

l’open data n’a de sens que si elle est portée par les métiers et les opérationnels et pas uniquement par les teChniCiens, C’est là

que réside toute la Clé de la réussite

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Le service auquel j’appartiens est le Service des Technologies et des Systèmes d’Information de la Sécurité Intérieure, un département dont le rôle est de concevoir et mettre en œuvre l’ensemble des systèmes d’information et de communication au sein des forces de police et de gendarmerie.

Il y a environ trois ans, nous avons engagé une démarche au sein du service, qui s’appuyait sur un double constat. D’une part, celui de la richesse des données internes. D’autre part, les nouvelles technologies (telles que le Big Data), lesquelles sont largement applicables à des problématiques de sécurité intérieure (à des fins de modélisations comportementales par exemple).

Cette volonté de créer de la valeur à partir de ces nouveaux usages numériques vise un double objectif : d’une part, faciliter la prise de décision des responsables opérationnels (en cas de lutte contre la délinquance par exemple en proposant aux décideurs des outils d’aide à la décision), et mettre d’autre part à disposition, des moyens pour améliorer l’organisation et le pilotage, qu’ils soient humains, logistiques ou financiers.

Pour ce faire, nous avons voulu initier une démarche globale en nous appuyant sur des cas concrets, pour rapidement et à haut niveau, arbitrer sur la pertinence d’une telle démarche et sur l’acquisition de nouveaux outils de pointe pour exploiter ces données. Ensuite, nous avons dédié une structure centralisée pour la valorisation des données en identifiant un Administrateur général au sein de Ministère de l’Intérieur et de la Gendarmerie (cette structure centralisée est composée de Data Scientists, spécialistes de l’exploitation et

de la fouille de données via la construction d’algorithmes statistiques), puis nous avons recherché des partenariats à cet effet (Etalab, partenaires de la grande distribution, …).

Plus spécifiquement, notre démarche est structurée autour de deux grands axes, que sont la donnée elle-même (recensement du patrimoine interne, travail sur la qualité de la donnée, principalement en matière de géolocalisation, cohérence et accessibilité des données) et des briques techniques complémentaires (mise en place d’une nouvelle plateforme d’infocentre, capacité de traitement des données de masse, outils d’analyse prédictive, etc.). Ces nouveaux infocentres constituent de véritables ruptures capacitaires.

De gauche à droite : François MAZELLA DI BOSCO, Senior Manager Secteur Public, Grant Thornton, Pol NOLET, Directeur du Développement du Secteur Public, Grant Thornton, Hélène BARON-BUAL, Associée Secteur Public, Grant Thornton.

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L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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En matière d’architecture, quatre grandes étapes sont indispensables : la collecte/le stockage, l’analyse/l’exploration, la modélisation/la prédiction et la présentation/la restitution.

La matière première est souvent constituée par des données structurelles qui proviennent de nos systèmes d’information. Ces données enrichissent un puits de données performantes et transverses (données qui proviennent d’applications externes ou d’internet). Des accélérateurs de calcul permettent de réaliser de la restitution statistique. Plus concrètement, nous avons mis en place de nouveaux outils statistiques (outil commun à la police et à la gendarmerie) qui offrent des fonctionnalités innovantes : disponibilité de la donnée, accès en mobilité, tableaux de bord existants, intégration native de cartographies, croisement possible des données, etc.

Dans le cadre de l’innovation, nous avons créé un Data Lab afin de tester et de déployer les outils d’analyse, de traiter les initiatives concrètes d’analyse de données et de définir les axes stratégiques pour la valorisation des bases de données.

Les applications de ces nouvelles capacités d’analyse de la donnée en vue d’une meilleure performance de l’action publique sont nombreuses : - Dans le cadre de la Préfecture de Police,

restitution de cartes de chaleur permettant d’illustrer les faits de délinquance dans chaque commune afin d’engager la mobilisation des patrouilles (choix des lieux les plus concernés par le nombre de délinquance) ;

- En collaboration avec Etablab, élaboration d’une cartographie prédictive des vols de

véhicules dans le département de l’Oise ;

- En lien avec la direction du personnel de la Gendarmerie Nationale, analyse des variables des départs anticipés des personnels civils ;

- En termes de logistique, analyse du besoin de dotation en véhicules d’une unité au niveau des structures départementales (kilométrage, activité) ;

- Travail sur l’e-réputation de la police et de la gendarmerie à l’aide d’un dictionnaire de mot clés issus des réseaux sociaux…

En conclusion, l’Open Data est un véritable levier d’actions pour les services de police et de gendarmerie, même si ce ne sont pour le moment que des outils d’aide à la décision à la seule destination des opérationnels. En interne ces nouvelles méthodes nécessitent de s’approprier de nouvelles techniques (interpolation spatiale, text mining…) et donc d’appréhender aussi de nouveaux métiers (data scientist, géomaticien, …). Cela nécessite une connaissance fine du patrimoine des données mais surtout cela n’a de sens que si cette démarche est portée par les métiers et les opérationnels et non uniquement par les techniciens.

Bertrand VINCENTLieutenant-Colonel, en charge de l’Open Data,

ST(SI)2, Gendarmerie Nationale

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François CAZALSProfesseur Affilié à HEC Paris, Stratégies

et transformations digitales

les teChnologies sont inertes, Ce qui

importe C’est Ce que les hommes en

feront

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Je souhaiterais illustrer l’impact des données dans une perspective managériale pour tous types d’organisations (publique, privée, collectivités territoriales, …) et poser la question suivante, qui semble être centrale : comment les données peuvent-elles permettre de créer de la valeur ?

Le changement de modèles stratégiquesAu-delà de la technologie, ce sont les modèles de direction des organisations qui changent avec les données pour créer de la valeur nouvelle.

Dans le passé, pour élaborer une stratégie, on collectait des données du passé et on les projetait dans le futur. Ce modus operandi ne peut valoir et avoir du sens que dans un « monde stable ». Or, nous sommes dans un monde de grande incertitude, dans lequel nous avons du mal à prédire l’avenir.

Aujourd’hui nous constatons un accès en temps réel à une masse croissante de données se caractérisant par une très grande diversité et vélocité. Cet accès aux informations, rendu possible par le truchement de technologies de pointe, permet non pas de traiter des données du passé mais bien de traiter des données du présent, d’avoir un accès massif à des données externes, ou qui ne sont pas structurées. Aujourd’hui la plus grande qualité des données accessibles sont des données textuelles, sémantiques, qui permettent d’adresser les comportements et la pensée des citoyens.

La prédictibilité des déclarations des individus tend aujourd’hui vers zéro. Le sujet de la prédiction est fondamental. C’est à partir de ces données que nous nous efforçons de construire des modèles prédictifs. Derrière ces

modèles, il y a aussi l’idée de l’automatisation (algorithmes) de l’action, aujourd’hui fabriquée par des humains et qui sera - demain peut-être - gérée par des machines. Ce nouveau modèle de stratégie fondé sur l’analyse des données, la prévision et l’automatisation d’un certain nombre d’actions est déjà nommé : on parle de Data Driven Strategy.

Trois enjeux capitaux Il est important de s’intéresser aux impacts stratégiques de l’exploitation de ces données sur nos organisations. Trois enjeux majeurs semblent se démarquer.

Un premier enjeu est celui de la réinvention du modèle d’affaires. On ne peut parler de la réinvention des modèles d’affaires sans aborder les célèbres modèles GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), qui sont devenus en moins de vingt ans les puissances incontestées de l’e-commerce. Les GAFA n’ont pas « attaqué » des industries existantes mais ont bel et bien réinventé un nouveau modèle industriel.

Le digital a pendant longtemps été séparé du monde physique. Cette séparation s’est amoindrie avec le temps. On voit depuis un certain nombre d’années émerger de nouveaux acteurs les « NATU » (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber), de nouvelles entreprises qui créent de la valeur exclusivement à partir de stratégies orientées de données, alors qu’elles ne possèdent aucun actif matériel (pas d’immobilier en propre par exemple).

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L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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En parallèle de ces nouvelles entreprises, une angoisse de fond monte, celle de « l’ubérisation ». Ce sujet est très anxiogène dans le monde du privé car ces nouvelles entreprises au modèle disruptif « attaquent » des acteurs du monde physique, des entreprises existantes. Pourtant, le monde du public et a fortiori du privé s’y voit offrir de nouvelles opportunités : celle de devenir des administrateurs de plateformes, d’agréger et de proposer de nouveaux services aux citoyens, enfin d’élargir et d’améliorer la qualité des services proposés, etc.

Le deuxième enjeu capital est de nature organisationnelle. L’une des réflexions centrales sera celle de l’équilibre entre l’Homme et la machine. L’idée de la substitution génère l’angoisse ! Toutefois, il ne s’agit pas de substitution stricto-sensu mais plutôt d’une hybridation. Il est probable que de nombreux métiers d’aujourd’hui disparaissent en tant que tels, mais certainement au profit d’un enrichissement technologique.

Un deuxième élément pose beaucoup de difficultés aux organisations, en particulier aux collectivités territoriales : la prise en compte du « temps étendu ». Le citoyen, le client, ne vit plus aux heures de bureau. Il souhaite l’accès à ces différentes organisations prestataires de service à tout moment et en tout lieu. L’Administration doit aujourd’hui être en mesure de répondre à ce nouveau besoin.

Le troisième et dernier enjeu est celui du changement humain au-delà de la technologie (changements comportementaux de masse)

Il y a tout d’abord un enjeu de relation avec le client, avec le citoyen (les anglo-saxons parlent du « anytime, anywhere, any device »). Le citoyen, le client, l’humain ont aujourd’hui accès à Internet partout, à tout moment et avec toutes sortes de médias. Les rapports humains tant individuels que collectifs en sont profondément modifiés. Google a théorisé cette évolution comportementale par l’acception « Moment zéro de vérité » : chaque décision que nous prenons passe par une recherche sur Internet. Cela amène à devoir gérer cette nouvelle hyper-information et hyperacuité des citoyens et des consommateurs.

Un autre aspect majeur concerne aussi les collaborateurs au sein d’une organisation. Aujourd’hui les collaborateurs sont plus résilients que les dirigeants eux-mêmes aux changements comportementaux qu’induit la transformation numérique. La transformation digitale doit donc passer par « la tête », c’est-à-dire par les dirigeants eux-mêmes. L’un des principaux freins à cette transition numérique au sein des organisations (publiques comme privées) est le manque d’expérience des dirigeants dans ces nouvelles technologies.

Quelle vision prospective ?Les technologies sont inertes, elles ne sont ni bonnes ni mauvaises (le nucléaire, le génie génétique, les technologies de l’information, …). Ce qui est important c’est ce que les hommes en font ! Aujourd’hui, vis-à-vis du digital et du poids capital des données dans la prise de décision, le politique au sens le plus noble (au sens de gestionnaire de la vie de la cité) est très en retard.

François CAZALSProfesseur Affilié à HEC Paris, Stratégies

et transformations digitales

L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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le bon sens lié à Cette transformation viendra

obligatoirement des territoires et de Celles et Ceux qui agissent au plus près des Citoyens

Olivier REGISPrésident du Comité de Gestion, Forum pour la Gestion des Villes

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La bonne nouvelle c’est que le bon sens lié à cette transformation viendra obligatoirement des territoires, de l’expérimentation de celles et ceux qui sont en responsabilité au plus près des citoyens. Pour présenter une offre politique nouvelle, il faut pouvoir être assez libre, ne pas être trop dépendant d’un corps politique, quel qu’il soit. Nous devons agir comme des start-ups et ne pas nous présenter comme des « excroissances » de systèmes déjà connus des usagers.

Si le bon sens et la transformation viennent des territoires, il ne faut pas évacuer complétement l’idée selon laquelle le consommateur de services numériques a besoin d’évaluer en permanence le « partenaire de jeu » qui est le sien. Cela est valable pour l’ensemble des prestations intellectuelles qui sont fournies à nos citoyens.

Nous ne vivrons plus dans ce monde statique ou chaotique : ce monde-là est un monde révolu. La transformation numérique c’est le passage d’un monde de vitesse moyenne voire faible et de conservatisme à un monde de transformation et de vitesse forte. Le travail simple ou complexe au sens presque marxiste du terme, n’a plus sa place aujourd’hui dans ce monde de vitesse et d’accélération (ou du moins de manière très résiduelle).

Le numérique se caractérise par l’obligation de parler d’efficience, d’optimisation, de transparence, de performance, de moyens partagés, circulaires, collaboratifs, réaménagés. C’est une formidable machine « à tuer le bipolarisme politique » ! La bipolarisation c’est la possibilité pour une majorité politique de rejeter sur l’autre la

responsabilité de tous les grands agrégats sociétaux fondateurs qui n’ont pas fonctionné (sécurité, chômage, dette publique, développement économique, etc.). Les citoyens recherchent aujourd’hui plus de convergence.

Le numérique devra être l’accélérateur de cette convergence ! Il faut donc, grâce au numérique, travailler à réinventer une nouvelle offre qui tienne compte de l’attente des citoyens afin d’enclencher une dynamique de travail plus « apaisée » et plus « collaborative ».

Nous sommes dans un monde mouvant, en plein bouleversement et qui ne s’arrêtera pas là.

Ce nouveau monde est dans l’attente de nouvelles transformations qui seront - sans nul doute - portées par les jeunes générations !

Olivier REGISPrésident du Comité de Gestion, Forum pour la Gestion des Villes

L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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la démoCratie sera servie

par le big data

Bernard ACCOYERDéputé, Maire d’Annecy-le-Vieux,

Ancien Président de l’Assemblée Nationale

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Le « numérique tue le bipolarisme français ! ».

Je suis en accord avec cette affirmation. Ce qui est d’autant plus intéressant que le numérique est lui-même par définition un système binaire qui conduira sans nul doute à « l’explosion » de notre système bipolaire. La discrimination se fera entre ceux qui ont eu l’opportunité, la possibilité, de négocier ce virage du numérique et ceux qui resteront malheureusement en retrait.

La production de biens et de services est bel et bien remise en cause par une « ubérisation » galopante qui ne fait que commencer. Les gouvernements doivent immédiatement se saisir de ces questionnements afin de faire en sorte que la production soit protégée. Sinon il est à craindre que nous allions vers une sorte d’appauvrissement généralisé et de crise sociale et politique inévitable.

Le Big Data est devenu un outil absolument majeur et incontournable qui va prendre de plus en plus de place dans notre société actuelle. C’est un outil en « libre-service », dont la loi doit encadrer l’usage. Ce qu’elle fait par ailleurs sur un certain nombre de données (pour exemple : les données à caractère personnel ou dites sensibles).

Toutefois, nous devons rester vigilants : nous devrons nous méfier d’un détournement, d’une utilisation négative du Big Data. Le législateur s’est emparé de ce problème depuis bien longtemps, c’est même une spécificité française que de prétendre à la transparence, quand bien même dans ce domaine nous sommes plus « croyants que pratiquants ».

Les choses vont s’accélérer, portées par un environnement législatif et réglementaire incitatif (Loi NOTRe, Loi Macron, projet de loi sur l’économie numérique actuellement en discussion au Parlement, etc.).

Le Big Data est un outil indispensable, un outil de progrès majeur offrant la possibilité d’améliorer les services rendus en même temps que la gestion de ces services, et d’en créer de nouveaux. Nous pouvons imaginer par exemple que le Big Data permette d’élaborer une cartographie complète des soins dans le secteur hospitalier ouvrant ainsi la porte à une évaluation plus fine des offres de soin par les citoyens.

La démocratie sera certainement « servie par le Big Data ». La démocratie représentative me parait être, comme le disait Winston Churchill, « le plus mauvais des systèmes à l’exception de tous les autres ». Or, soyons attentifs à ce que le Big Data contribue à enrichir la démocratie représentative afin que celle-ci dispose de toutes les données et surtout puisse les exploiter pour prendre les meilleures décisions possibles. Utilisons ce formidable outil d’échange entre les citoyens, le législateur et le pouvoir politique, qu’il soit local ou qu’il soit l’exécutif national, afin de mettre en place le cercle le plus vertueux possible.

Toutefois, il faut se méfier d’un certain nombre d’effets dits pervers, tels que la réutilisation fallacieuse de ces données ou encore la manipulation et le détournement des conclusions. La démocratie peut être menacée par de tels agissements. L’analyse des données ne peut donc pas être conduite n’importe comment et par n’importe qui. En matière

politique, on peut ainsi assister à une remise en cause de la légitimité des élus, et à une remise en cause de la légitimité des décisions bien que celles-ci fussent validées par les électeurs… et là réside un vrai danger !

Quand bien-même, nous devons accompagner l’arrivée massive du Big Data, et ce dans une démarche législative claire, mais surtout dans une démarche éducative construite, non seulement en direction des jeunes générations mais aussi et surtout en direction des générations les plus anciennes.

Bernard ACCOYERDéputé, Maire d’Annecy-le-Vieux, Ancien Président

de l’Assemblée Nationale

L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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De gauche à droite : Olivier REGIS, Président du Comité de Gestion, Forum pour la Gestion des Villes, François MAZELLA DI BOSCO, Senior Manager Secteur Public, Grant Thornton, François CAZALS, Professeur Affilié à HEC Paris, Stratégies et transformations digitales, Hélène BARON-BUAL, Associée Secteur Public, Grant Thornton, Bernard ACCOYER, Député, Maire d’Annecy-le-Vieux, Ancien Président de l’Assemblée Nationale, Pol NOLET, Directeur du Développement du Secteur Public, Grant Thornton.

L’ExPLOITATION PERTINENTE dES dONNéES PubLIquES

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Néjia LANOUAR, Directrice des Systèmes et Technologies de l’Information, Ville de Paris

Sébastien MARIN,

Directeur en charge de l’offre Digital, Grant Thornton

Gilles MERGY, Délégué Général de Régions de France

Robin REDA, Maire de Juvisy-sur-Orge, Conseiller régional Ile-de-France, Délégué au développement numérique de

l’Etablissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre de la Métropole du Grand Paris

LA MISE EN PLACE DE NOUVEAUx USAGES ET SERVICES DIGITALISéS par ordre d’intervention

SOMMAIRE

Page 22: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

nous sommes rattrapés en permanenCe par de nouvelles demandes,

Ce qui nous Contraint perpétuellement à nous

adapter Nejia LANOUAR

Directrice des Systèmes et Technologies de l’Information, Ville de Paris

Page 23: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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Où en sommes-nous dans la mise en en application concrète de services numériques pour une collectivité territoriale de taille majeure qu’est la Ville de Paris ?

Lorsqu’on doit construire un schéma directeur du numérique, on se retrouve confronté à des organisations métiers qui n’ont pas encore forcément pris le tournant du « digital », et qui doivent néanmoins continuer à faire vivre les systèmes d’information traditionnels, notamment les systèmes d’information métier des utilisateurs internes, voire des usagers externes. C’est donc un premier défi à relever : construire une feuille de route innovante, et qui continue à assurer la pérennité des systèmes d’information de gestion de la collectivité locale, souvent à moyens sensiblement constants.

Faire cohabiter ces deux réalités, ce n’est pas seulement une question de nouvelles technologies. Au-delà de ces éléments techniques, une culture nouvelle est également à développer aussi bien dans les directions métiers qu’au sein de la direction des systèmes d’information : nous ne sommes plus uniquement une direction des systèmes d’information (et donc une direction support), car nous devenons également une direction pour l’usager, offrant des services 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

La construction de la Smart City parisienneLa mission « Ville intelligente et durable » de la Ville de Paris a construit son cadre de la Smart City sur trois grands axes : Ville connectée, Ville ouverte, Ville ingénieuse.

Paris Ville connectée, socle technologique de la Smart City, elle appuie la modernisation et prolonge l’administration

municipale pour accompagner les nouveaux usages croissants des habitants et des visiteurs.

De nouveaux services et plateformes numériques permettent l’interopérabilité et l’échange d’information.

Paris Ville ouverte, avec un nouveau mouvement, que les usagers demandent et que l’exécutif porte, de faire participer les citoyens à la vie de la collectivité et à l’administration. Plusieurs thématiques sont abordées par nos services numériques, notamment l’avènement du budget participatif.

La Ville Ouverte outille la Smart City de méthodes collaboratives et s’appuie sur l’intelligence collective de ses habitants, de ses usagers, des agents municipaux et des acteurs économiques. Elle organise le partage d’information et met en œuvre une interaction permanente afin d’entretenir un processus de co-création.

Paris Ville ingénieuse, réinterroge le fonctionnement des réseaux, des aménagements et des flux urbains afin d’optimiser et d’économiser les ressources. Elle propose des pratiques innovantes en matière d’urbanisme, de consommation (économie circulaire, énergies, flux…), d’interconnexion des réseaux et de mobilité en sollicitant la participation des habitants, des agents et des professionnels. Dans ce cadre de « Paris Ville intelligente et durable » et face à ces trois « modèles » de Ville, nous nous sommes posé plusieurs questions. Tout d’abord, comment concilier un schéma directeur informatique et numérique compatible avec les besoins du nouveau concept de la Smart City ? Mais également quelle feuille de route et quelle organisation avec les différents métiers ? Et enfin quelle gouvernance ? En effet, si nous parlons simplement de services numériques sans parler

d’organisation et de gouvernance, le front office évolue mais l’ensemble et en particulier le traitement interne des sollicitations n’évolue pas vraiment.

Ceci nous a amenés à réfléchir au sens de notre organisation. Nous sommes partis du principe que notre schéma directeur pour la Ville numérique doit faire évoluer toutes ses composantes, même les plus techniques comme les infrastructures, qui se transforment également avec le nomadisme et la mobilité (plateformes, cloud privé). Une seconde composante essentielle est la dimension écologique, pour une informatique plus verte. Et enfin la partie réseaux et data centers, qui vont supporter tout ce que nous allons mettre en œuvre en termes de services numériques et de nouveaux usages, constitue la troisième composante.

Mais, là où le changement devient de plus en plus visible, c’est dans le cœur du schéma directeur. Auparavant, il comportait des applications, métier par métier, et ce faisant nous avons construit des services numériques pouvant être cloisonnés mais pas nécessairement très lisibles pour l’usager. Or, ce que souhaite ce dernier, c’est un bouquet de services unifiés, simples, ergonomiques et accessibles sur son mobile comme sur son PC. Nous avons donc réservé le développement d’applications métier aux utilisateurs internes. Nous partons à présent de l’usager lui-même, selon une nouvelle méthodologie que nous avons mise en place avec deux directions de la ville : la Direction de la Démocratie, des Citoyens et des Territoires, et la Direction de la Communication. Dans cette nouvelle démarche, le centre de la réflexion est l’attente de l’usager : à partir de cette attente, nous développons les services numériques et nous les relions aux back office des applications métiers.

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

Page 24: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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Cette démarche est systématiquement appliquée avec un Comité de Pilotage au niveau du Secrétariat Général, lequel dispose d’une vision d’ensemble de tous les services numériques que nous développons. Nous réalisons des maquettes pour chaque service numérique développé, que nous soumettons à l’avis des usagers : en fonction des retours, nous adaptons le service et nous le soumettons à nouveau à validation. Les développements de services numériques se font au moyen de la méthode Agile. Avec les services numériques, le modèle de « cycle en V » de la gestion de projet n’est plus adapté aux délais qui sont impartis et aux itérations nécessaires.

L’introduction de l’usager dans le développement des services numériques est une approche totalement nouvelle, qui nécessite une forte capacité et réactivité en termes de modifications de projets. Pour répondre aux besoins des services métiers, y compris sur les aspects gestion et ressources humaines, nous essayons d’appliquer aux usagers internes les méthodes de panels de validation, comparables à celles appliquées aux usagers externes.

Trois nouveaux axes se sont également imposés dans notre façon de travailler.

La première couche est la mise en place d’une fonction « géomatique », car aujourd’hui le développement de services numériques sans géolocalisation dans une collectivité territoriale n’est plus imaginable. Nous développons aussi des applications cartographiques 2D pour les usagers et pour les agents de la Ville de Paris qui peuvent géolocaliser les informations qu’ils traitent. Ils pourront très prochainement réaliser

également des mesures en vues immersives 3D directement depuis leur bureau afin de pouvoir, en lien avec leur application métier, réaliser leurs missions. Nous sommes en permanence rattrapés par de nouvelles demandes, ce qui nous contraint perpétuellement à nous adapter à cette nouvelle fonction.

Un autre axe est devenu incontournable : la mobilité. La mobilité numérique des agents, qui était assez sporadique, est devenue massive. Progressivement, les équipes sur le terrain disposent de leur feuille de route sur leur smartphone et peuvent faire leur rapport d’intervention sur site. Nous gagnons alors à la fois en temps, mais également en organisation, en indice carbone, etc. La mobilité, aussi bien des agents que des usagers, doit donc être prise en compte.

Enfin, la dématérialisation commence à s’imposer à tous les secteurs d’activité. Cette couche est également un axe très fort du schéma directeur : archivage électronique, parapheur, signatures, demandes de congés, gestion du courrier… sont autant de processus qui font l’objet de projets de dématérialisation.

En outre, nous mettons l’accent sur « Paris Ville ouverte » avec une nouvelle offre de services numériques. Il ne faut pas négliger la partie échanges et plateformes, qui est très différente du développement de services numériques. Les demandes sont fortes pour les particuliers et les associations. Nous développons également des plateformes collaboratives pour les agents.

En dernier lieu, le projet numérique phare de la mandature à destination des usagers est celui du « Compte Parisien » qui permettra de

se connecter à travers un compte unique aux services de la Ville de Paris pour accomplir des démarches et effectuer des sollicitations, avec une vision de leur état d’avancement. Bien que cela puisse paraître simple, nous avons une centaine de logiciels métiers à raccorder au Compte Parisien et devons mettre en œuvre les liens techniques et dialogues entre ces logiciels et le Compte. Le but est d’unifier tous ces services afin d’avoir une véritable gestion de la relation usager, qui servira d’interface entre tous les logiciels métiers et l’usager.

Il est enfin important de souligner que l’usine de fabrication des services numériques et applications spécifiques de la Ville est basée sur le socle Open Source Lutèce, notre outil de développement (framework java), qui nous permet de délivrer des services de qualité de manière rapide et sécurisé.

Nejia LANOUARDirectrice des Systèmes et Technologies de

l’Information, Ville de Paris

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

Page 25: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

aujourd’hui, un des enjeux majeurs demeure

la néCessité pour tous les opérateurs éConomiques de se

reCentrer sur leurs Clients. dans le Cas du seCteur publiC, Ce sera

sur le Citoyen

Sébastien MARINDirecteur en charge de l’offre Digital, Grant Thornton

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Dans nos usages quotidiens, nous sommes devenus aujourd’hui décideurs puisque nous poussons les entreprises à repenser la manière dont elles s’adressent à nous, dont elles nous proposent des services et dont elles interagissent avec nous.

Jusqu’à présent, les organisations fonctionnaient sur des processus internes, tous les projets étaient tournés vers la satisfaction de besoins internes et non pas vers le citoyen, ou le client. Le fait de repenser sa relation avec le client ou l’usager nécessite une transformation interne de l’organisation et c’est donc la partie la plus importante à revisiter dans chacune des organisations d’aujourd’hui. Toutes les technologies sont disponibles et les technologies digitales servent et doivent conduire à cette transformation.

La transformation digitale est un processus en continu où il s’agit en permanence de repenser la manière d’interagir avec le client. Ainsi, à la Mairie de Paris, on s’efforce en permanence de capter les besoins et attentes des citoyens pour leur proposer des réponses et des services. Le but est d’ouvrir de plus en plus de canaux d’interaction avec le citoyen.

Beaucoup de services digitaux avaient été pensés pour les utilisateurs, dans une logique de canaux multiples, mais sans véritable intégration des différents échanges. La stratégie est de développer une logique de canaux multiples, c’est-à-dire se mettre en capacité de pouvoir capter de l’information, mieux connaître ses clients, de façon à être en mesure de les accompagner à travers tous les dispositifs digitaux qui sont mis à leur disposition. L’objectif est de personnaliser de plus en plus le service

afin qu’il réponde de mieux en mieux aux attentes de chaque client.

Aujourd’hui, en observant certains secteurs privés, notamment dans le domaine de l’assurance, nous nous rendons compte que bien des usages pourraient être transcrits directement dans le secteur public, avec un impact direct dans la relation avec les citoyens. Les données internes pourraient être utilisées par les services publics pour mieux connaître leurs usagers au travers des dispositifs digitaux mis à disposition ou des plateformes participatives.

A titre d’exemple, il serait particulièrement intéressant de collecter les données comportementales sur les différents dispositifs digitaux afin d’améliorer constamment le service, voire le rendre personnalisable selon les attentes de chacun. L’idée, c’est d’aller de plus en plus vers une relation personnalisée, une relation « one to one ». Etre en capacité de reconstituer toutes les informations, les comportements du citoyen pour personnaliser ses interactions, capter ses centres d’intérêts, ses besoins, lui proposer l’information avant même qu’il entreprenne une recherche. Nous évoluons vraiment vers une logique d’anticipation.

Sébastien MARINDirecteur en charge de l’offre Digital, Grant Thornton

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

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Gilles MERGYDélégué Général des Régions de France

le numérique est un aCCélérateur de la démoCratie loCale

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Le numérique est au cœur des préoccupations des régions. C’est un secteur économique clé, la France y a des succès forts et les Régions accompagnent ses acteurs au titre de leurs compétences-clés en matière de développement économique, du soutien aux PME et de l’innovation mais également de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Tout d’abord, le numérique est un accélérateur de la démocratie locale. Il est vrai que l’on peut maintenant réaliser des sondages sur Twitter, sur Facebook et disposer de résultats immédiats, avec un taux de réponse parfois plus élevé que pour des sondages plus classiques. Pour certains sujets, comme les questions d’implantation ou d’autres questions d’actualité, il serait judicieux de s’appuyer sur ces nouveaux modes de consultation numérique, ces nouveaux modes de consultation citoyenne.

A titre d’exemple, beaucoup de nouvelles régions ont lancé des consultations numériques quant à leur nom : les serveurs ont été saturés car les habitants ont répondu massivement. Dans un autre ordre d’idées, la mise en place du budget participatif de la Mairie de Paris montre que les citoyens peuvent s’approprier ce nouveau mode de consultation. Pour autant, ces pratiques ne sont pas encore totalement intégrées dans la logique de fonctionnement des collectivités territoriales.

Se pose ensuite la question du lien entre le numérique et la proximité. C’est un enjeu au moins entre Paris et son territoire métropolitain. Il faut lutter contre la fracture territoriale entre l’aire métropolitaine et les territoires périurbains et a fortiori ruraux où les personnes peuvent

se sentir parfois abandonnées, notamment en termes d’accès aux services publics. Dans le cadre de la mise en place des nouvelles régions, cette réflexion autour de la proximité du citoyen fait débat au sein de l’exécutif territorial. Pour autant, le risque est de croire que le numérique rapproche, ce qui est certes vrai avec les nouveaux moyens de communication.Le numérique sert-il à réduire, voire supprimer la fracture territoriale ? Ce n’est pas évident, ni inné, notamment s’il n’y a pas d’accompagnement de la part des élus.

La question du maintien des services publics en milieu rural, ainsi que la mise en place des maisons de services publics, font écho à un besoin et une demande forte des citoyens. L’idée n’est pas de démontrer que le numérique peut se substituer au contact physique et à la présence territoriale, mais qui doit plutôt être perçu comme un effort de facilitation, voire de solidité du rapport entre les élus et les services, en donnant de nouveaux modes d’accès.

La question de l’implantation territoriale des services publics est un enjeu majeur. La dématérialisation ne se substitue pas complétement à la présence physique. Les régions, dans le cadre des fusions, réfléchissent à cette implantation territoriale, puisque l’on fait face à un double mouvement entre des régions XXL et des compétences de proximité. On ressent le besoin, pour certains services publics, d’avoir de la proximité, notamment sur les transports scolaires, et d’avoir une réactivité immédiate de la part de ces services.

Le digital constitue par ailleurs un levier majeur pour moderniser le fonctionnement interne des services publics et leurs relations avec les

usagers. C’est d’abord un soutien déterminant en matière d’aménagement du territoire. Dans le cadre de la loi NOTRe, les compétences des régions ont été renforcées notamment en termes d’accompagnement à la mise en place d’infrastructures numériques. Beaucoup de régions ont décidé de lancer des plans d’équipements massifs du numérique. La question de l’aménagement du territoire, c’est aussi la possibilité pour les habitants de travailler sous de nouveaux modes en prenant en compte le télétravail, la mobilité non-forcée…

Ces préalables étant dit sur l’incidence du numérique, je voudrais focaliser l’analyse sur l’articulation des territoires en fonction des nouveaux services des régions. Trois mots-clés, trois enjeux pour y répondre !

Le premier de ces mots-clés est la simplification. A cela, l’Etat répond par la mise en place du dispositif « Dites-le moi une seule fois » qui vise à éviter la saisie systématique des mêmes données, à titre d’exemple pour la sécurité sociale et pour les impôts. De leur côté, les régions, à travers la création de plateformes, notamment sur l’organisation de la formation tout au long de l’année, ont créé le « passeport formation ». Enfin, un sujet majeur, Chorus Pro, portail de la facturation électronique, est un outil permettant de réaliser de fortes économies. Il tend également à améliorer significativement les relations fournisseurs – administration, mais aussi à améliorer les crédits et délais de paiements des PME, qui représentent naturellement un enjeu majeur pour les collectivités.

…/…

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

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Le deuxième mot-clé est la modernisation, laquelle repose sur la mise en place de nouveaux services et de nouveaux opérateurs. On parle beaucoup d’ubérisation de l’économie : l’enjeu est donc la mise en œuvre de nouveaux services publics innovants, dont le fonctionnement est beaucoup plus horizontal que vertical.

Et enfin, l’innovation, puisque le numérique permet de multiplier et démultiplier une palette de services sur un format unique.

En guise de conclusion, je souhaiterais mettre en évidence la réflexion qui est menée dans le cadre de l’amélioration des procédures des collectivités, que le numérique doit rendre plus efficientes. Un exemple intéressant est celui de la DGFiP : cette dernière fut en mesure de réaliser de manière extrêmement rapide une simulation de l’impact de la réforme de l’impôt sur le revenu.

On le voit, l’administration se dote des outils qui permettent d’accompagner la réflexion des politiques… mais il convient que chacun reste dans son rôle : l’administration ne doit pas se substituer à la responsabilité des politiques, à savoir in fine prendre ou ne pas prendre la décision.

Gilles MERGYDélégué Général des Régions de France

De gauche à droite : Robin REDA, Maire de Juvisy-sur-Orge, Conseiller régional Ile-de-France, Délégué au développement numérique de l’Etablissement Public Territorial 12 de la Métropole du Grand Paris, Gilles MERGY, Délégué Général de Régions de France, Néjia LANOUAR, Directrice des Systèmes et Technologies de l’Information, Ville de Paris.

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

Page 30: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

le numérique n’est pas seulement un outil en tant que

tel, il reCouvre une révision totale du mode

d’organisation et de gouvernanCe de l’élu

Robin REDAMaire de Juvisy-sur-Orge, Conseiller régional Île-de-France, Délégué au développement numérique

de l’Etablissement Public Territorial 12 de la Métropole du Grand Paris

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Je souhaiterais porter un regard sur le numérique dans la région Ile-de-France, et ce sera le regard de l’élu multidimensionnel que je suis, à la fois un maire de Région parisienne - plutôt de la Grande Couronne - qui aspire à un développement innovant et numérique d’une part, et l’élu de la Région qui se veut aujourd’hui une Région en pointe ou à minima motrice de ce que peut être le numérique à l’échelle d’une région d’autre part.

Tout d’abord, il convient d’opérer une distinction entre ce qui relève de la technologie du numérique… et ce qui relève de la pédagogie au numérique. Il ne s’agit effectivement pas de fournir à l’administration, ni même aux citoyens, une nouvelle technologie sans avoir prévu en arrière-plan une vraie éducation, une vraie pédagogie au numérique. Le numérique n’est pas seulement un outil en tant que tel, il recouvre une révision totale du mode d’organisation et de gouvernance de l’élu. Par le jeu d’ouverture des données, point central de cette nouvelle économie numérique, on a donc potentiellement l’effacement des hiérarchies, ce qui permet d’entrer dans un mode collaboratif entre les différentes directions et les agents-mêmes, qui ont accès aux mêmes données et informations et peuvent donc se forger leur propre vision de l’élaboration et de la création d’un service public. Il faut donc prendre en compte ce nouveau mode opératoire, qui n’est plus un mode vertical classique : il faut introduire une horizontalité, laquelle n’est pas dans la culture de l’administration et provoque une véritable révolution.

Au-delà du sujet de l’acculturation, il convient ensuite, pour développer la Smart Région ou la Smart City, que les citoyens et l’administration soient connectés. Pour que cette connexion s’opère, deux choses sont nécessaires : le réseau numérique et le réseau électrique.

Un citoyen connecté sans batterie est un citoyen perdu dans un océan administratif compliqué. Aujourd’hui, si plus de 95% des citoyens ont un smartphone, des tablettes et sont donc connectés au réseau internet, ils ont également besoin de batteries pour des appareils de plus en plus énergivores. A cet effet, nous avons installé des bornes de rechargement pour mobiles à différents points dans la ville de Juvisy. Si cette initiative répond à un vrai besoin, il reste une évolution à faire accepter par l’usager, puisqu’il doit temporairement « déposer » son téléphone sur cette borne.

Le deuxième réseau important est le numérique. Aujourd’hui, d’énormes écarts existent en Ile-de-France : des carences de réseau à la fibre optique sont toujours fortement présentes. Ainsi, à deux minutes de l’aéroport d’Orly, aucune ville ne dispose de la fibre optique aujourd’hui. Pour l’implantation économique, pour l’attractivité de nos villes, la couverture du réseau est aujourd’hui un enjeu d’attractivité majeur.

…/…

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

Page 32: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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Robin REDAMaire de Juvisy-sur-Orge, Conseiller régional

Île-de-France, Délégué au développement numérique de l’Etablissement Public

Territorial 12 de la Métropole du Grand Paris

Par ailleurs, un des usages absolument fondamentaux de la Smart City est de retrouver une certaine forme de sobriété dans la consommation. Avec la croissance démographique, nous compterons quelque 1,5 million d’habitants en plus d’ici dix ou douze ans, entraînant une forte augmentation de la consommation de mégawatts sur le périmètre métropolitain. Aurons-nous les moyens de réaliser les investissements nécessaires en termes de réseau pour faire face à ce surplus de consommation ? On peut en douter… Il conviendra donc d’être innovant et de s’appuyer sur un tissu qui proposera des applicatifs tant à grande échelle au niveau de la ville, comme à l’échelle des particuliers, pour limiter et réduire la consommation d’énergie.

Il convient de cadrer tout ce flot, procéder à un tri et trouver de nouveaux usages à travers la co-construction de projets. A modeste échelle, nous instaurons le budget participatif. Le numérique nous permet d’avoir une démocratie collaborative et participative, et également de repenser les modes de faire et de financement des services publics de demain. A titre d’exemple, la question des impôts locaux, qui est bien sûr majeure, appelle à des réponses dans les prochaines années. Demain, le mode de financement des Villes évoluera nécessairement de l’impôt local (qui touche l’intérêt général) vers la levée de fonds, le crowdfunding, (qui est la réunion d’intérêts touchant l’intérêt collectif).

Sur le volet régional, nous nous sommes donné comme objectif de faire la Smart Région. Posons-nous d’emblée la question :

quelle est la première attente du citoyen à l’échelle régionale ? Deux enjeux forts émergent : la mobilité et le temps …

Aujourd’hui, nous allons développer un applicatif mobile pour les citoyens afin de proposer des solutions de gain de temps pour les trajets quotidiens, que ce soit sur la route ou dans les transports en commun, au moyen d’outils permettant de résorber la perte de temps, d’énergie et même d’économies que représente aujourd’hui le temps perdu dans les transports. Nous aurons demain à disposition des logiciels d’optimisation du temps de parcours de plus en plus performants. Ces innovations ne se seront pas développées au sein des régies des collectivités, mais seront le fruit des initiatives privées, d’acteurs qui vont beaucoup plus vite que nous, qui vont pouvoir les développer pour nous.

Dans le cadre du projet de Smart Région, la région Ile-de-France va investir un certain nombre de moyens, 300 millions d’euros, pour aider les villes à construire leurs quartiers innovants en termes de performance énergétique et de développement de solutions environnementales, de mobilité et autres services qui sont aujourd’hui attendus par les citoyens. Le rôle des élus est donc de répondre aux défis du territoire, comportant des applications et des implications.

A l’échelle d’une région, on s’appuie sur les territoires. Il convient de porter une attention particulière à cette question des réseaux, qui restent la base, le socle pour développer ces services aux citoyens. Aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, on reste dans l’attente d’un service numérique de base, comme

le sont l’eau ou l’électricité, qui réponde à une aspiration d’égalité des droits et des territoires.

LA MISE EN PLAcE dE NOuVEAux uSAgES ET SERVIcES dIgITALISéS

Page 33: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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L’action citoyenne comme moteur de créativité et de performance par ordre d’intervention

France BURGY, Conseillère à la stratégie de promotion, Métropole Rouen Normandie

Guillaume VILLEMOT, Co-fondateur de l’association Bleu Blanc Zèbre

François GUICHARD, Directeur de la Démocratie, des Citoyens et des Territoires, Ville de Paris

André JAUNAY,

Responsable du Pôle Initiatives Métropolitaines, Paris Métropole

Bastien NESPOULOUS, Directeur Général Adjoint, Pôle Education et Citoyenneté, Ville de Nancy

SOMMAIRE

Page 34: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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De gauche à droite : François GUICHARD, Directeur de la Démocratie, des Citoyens et des Territoires, Ville de Paris, France BURGY, Conseillère à la stratégie de promotion, Métropole Rouen Normandie, André JAUNAY, Responsable du Pôle Initiatives Métropolitaines, Paris Métropole, Bastien NESPOULOUS, Directeur Général Adjoint, Pôle Education et Citoyenneté, Ville de Nancy, François MAZELLA DI BOSCO, Senior Manager Secteur Public, Grant Thornton.

L’AcTION cITOyENNE cOMME MOTEuR dE cRéATIVITé ET dE PERfORMANcE

Page 35: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

dans un monde en Constante évolution, en interfaCe itérative, nous

devons être Capables de mettre en plaCe des organisations agiles

dans les administrations publiques

France BURGYConseillère à la stratégie de promotion, Métropole Rouen Normandie

Page 36: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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Il y a quelques années, la démocratie participative a d’abord été investie par l’Autorité Publique afin d’expliquer et mieux faire accepter ses propres projets. Ensuite, l’objectif était de se concerter avec les citoyens. Aujourd’hui, on cherche à co-construire, voire parfois à livrer un espace territorial pratiquement vierge aux citoyens.

En observant la succession de ces différents âges de la démocratie participative, on constate en quoi l’attitude de nos concitoyens change. Dans un premier âge, la logique était descendante, pour communiquer et proposer des projets. Aujourd’hui, de plus en plus d’allers-retours ont lieu entre les acteurs, publics et privés, administratifs et citoyens. Des initiatives fleurissent dans des logiques d’interpellation, à travers des flux ascendants et non plus descendants.

D’autres démarches prospèrent également via internet, bien souvent non construites, non cadrées, mais qui sont des porte-voix numériques. Par exemple celui d’un groupe de citoyens qui cherchent à s’exprimer et agir à leur manière, parce qu’ils n’attendent plus vraiment grand-chose de la puissance publique. Mais dans de nombreux cas, les citoyens souhaitent adosser leur vision à celle des politiques ou encore s’opposer à ceux qu’ils trouvent trop lents et pas assez réactifs. Dans d’autres cas, des consultations citoyennes sont mises en place pour apporter des réponses aux conflits, mais les réponses peuvent surprendre les pouvoirs publics car elles ne répondent plus aux codes structurels des échanges d’une démocratie construite majoritairement de façon représentative et non pas participative.

Nous sommes donc confrontés d’une part au temps de la construction d’un territoire, qui est un temps long, et exige une forte réflexion, et d’autre part au temps plus court lié au digital, à une demande, une sollicitation permanente de la part des citoyens.

A travers l’utilisation massive du numérique, faut-il considérer qu’une forme d’utopie s’installe entre gouvernants et gouvernés : la réponse à toute question doit-elle être nécessairement rapide ?

La sphère privée restera toujours plus agile que la sphère publique, car elle n’est pas soumise aux mêmes contraintes structurelles. Ce décalage de plus en plus important entre les initiatives privées, citoyennes et économiques, et le temps de réalisation de projets structurants publics peut avoir pour conséquence une désintermédiation des citoyens avec la chose publique.

…/…

L’AcTION cITOyENNE cOMME MOTEuR dE cRéATIVITé ET dE PERfORMANcE

Page 37: Grant Thornton - Recueil Secteur Public Local 2016

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France BURGYConseillère à la stratégie de promotion,

Métropole Rouen Normandie

Venant de flux essentiellement descendants qui s’échangeaient entre Puissance Publique et citoyens, nous évoluons de plus en plus vers des flux essentiellement ascendants et notamment des flux de citoyens à citoyens, qui finissent parfois par ignorer la puissance publique ou qui la tolèrent comme une plateforme d’échange facilitatrice de contacts entre citoyens. Le maintien de la cohésion sociale et des intérêts de la société impose aux pouvoirs publics de trouver des méthodes pour conserver et trouver une relation équilibrée avec les citoyens.

Pour mieux intégrer l’action citoyenne à la gestion publique, quelques questions clés doivent être posées. Tout d’abord, comment lier efficacement communauté physique et communauté numérique ? Une communauté, rappelons-le, ce sont des personnes qui s’influencent par les interactions sociales. Une communauté simplement numérique autorise une manipulation plus facile des échanges et implique une régulation plus difficile du réactionnel, de l’émotionnel et une captation beaucoup moins efficace des signes faibles. L’interférence devient donc plus difficile. Il s’agit de favoriser un atterrissage entre la communauté numérique et le réel.

Ensuite, comment éduquer à l’usage du numérique, pour favoriser une action citoyenne apaisée ? Une grande part de notre population prend pour argent comptant une information glanée sur internet, partagée sur un réseau social. Une éducation au numérique est donc primordiale !

De plus, comment intégrer dans cette ère du « tout digital » ceux qui ne sont pas connectés ? Et qu’on ne rencontre plus ?

C’est une nouvelle forme d’exclusion. Cela ne concerne pas seulement la population vieillissante. Le taux d’illettrisme est très élevé au sein les populations jeunes des quartiers défavorisés : l’accès à l’e-administration, dont notamment Pôle Emploi, peut être vécu comme difficile voire insurmontable. Lorsque l’on supprime l’accès physique à un service public pour le remplacer par un traitement numérique, une partie de la population ne trouve nulle part réponse à des questions qu’elle ne peut plus formuler.

Enfin, comment adapter les organisations publiques, et notamment le management, à ce changement brutal qu’est l’irruption du digital dans nos modes de travail ? Dans un monde en constante évolution, en interface itérative, nous devons être capables de mettre en place des organisations temporaires dans les organisations publiques. Le propre d’un projet est d’avoir un début mais aussi une fin… il convient donc de placer les administrations « en mode projet », c’est-à-dire en organisant des équipes flexibles, qui se composent puis se déstructurent lorsque le projet est terminé. C’est trop peu le cas.

Sous forme de question finale, nous pouvons nous demander ceci : qui détient la légitimité pour la prise de décision ? Jusqu’où laisse-t-on l’initiative citoyenne légitimer la décision publique ? Les élus sont-ils en mesure de poser la barrière entre démocratie représentative et démocratie participative ?

L’AcTION cITOyENNE cOMME MOTEuR dE cRéATIVITé ET dE PERfORMANcE

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aveC les Zèbres, nous sommes persuadés que

le premier prinCipe à défendre est le prinCipe

de ConfianCe, et non plus Celui de préCaution

Guillaume VILLEMOTCo-fondateur de l’association Bleu Blanc Zèbre

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Notre pays regorge d’initiatives ! Mais elles proviennent de nombreuses personnes éparpillées sur l’ensemble du territoire : l’objectif est de réunir tous les acteurs, quels qu’ils soient, association, entreprise comme élu local, souhaitant travailler et partager leur enthousiasme sur un même projet. L’un des problèmes de ce pays est son fonctionnement qui oppose le monde associatif au monde de l’entreprise, les élus aux citoyens. L’un des enjeux de BBZ est de faire une révolution solidaire ! Faire travailler tout le monde ensemble ! Nous avons dans notre pays des ressources extraordinaires. L’association BBZ, ce sont des acteurs qui ont trouvé une manière de répondre à des problèmes en complément des politiques publiques.

Prenons pour exemple Paul Landowski qui a créé les cafés contacts de l’emploi en Alsace. Il est parti du constat que beaucoup d’employeurs ne se connectent plus sur le site de Pôle Emploi, du fait de sa complexité, pour recruter. Paul Landowski a donc décidé de regrouper des acteurs économiques au sein d’un café, d’un côté des recruteurs et de l’autre des demandeurs d’emploi. 10% de ces derniers sont repartis avec un contrat de travail. Coût pour la collectivité ? Zéro ! L’une des missions de BBZ est d’identifier des initiatives comme celle-là, afin de faire exister ce type de projet sur d’autres territoires. Ainsi nous allons implanter des cafés contacts de l’emploi en région PACA.

Sur 36 000 communes, 34 000 sont rurales. Aujourd’hui, l’important est de pouvoir faire partager des solutions émanant du privé comme du public. Ces 34 000 maires de petites communes ne font pas de la politique, mais du politique. Ce sont des chefs de tribus, des chefs d’associations qui font un travail remarquable

au quotidien ! Grâce à eux et avec eux, nous pouvons construire d’autres solutions. Les solutions partent du bas et tout notre objectif est de réussir à les généraliser pour les appliquer à d’autres territoires.

BBZ est un fervent défenseur de la réconciliation de la communauté humaine et de la communauté numérique. Bien sûr, il faut tenir compte de la très forte fracture numérique, mais d’abord avoir à l’esprit un besoin de plus en plus fort de retrouver les autres. C’est cela qu’il faut favoriser parce que la vraie démocratie existe dans le contact physique, et pas uniquement dans le fait de voter une pétition sur Internet. Il convient de se montrer très prudent sur la démultiplication des sites qui proposent des votes en ligne car c’est un acte qui est fort peu impliquant pour le votant, et on peut se demander si c’est réellement démocratique. Selon nous, une action démocratique consiste à faire en sorte de développer une initiative, et de la partager avec les autres.

Avec les zèbres, nous sommes persuadés que le premier principe à défendre est le principe de confiance, et non plus celui de précaution. Nous sommes rentrés dans une logique de défiance permanente.

Revenons sur les fondamentaux ! Pour conclure, je prendrai l’exemple de territoires comme Arras, qui comptent un pourcentage très lourd d’illettrés et jusqu’à trois générations d’individus qui n’ont pas travaillé. Nous y avons œuvré avec une nouvelle initiative, « Blablajob », qui s’est créée spontanément.

La raison, le bon sens, reviennent aujourd’hui majoritairement en force !

Guillaume VILLEMOTCo-fondateur de l’association Bleu Blanc Zèbre

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Ce qui est arChaïque, C’est le maniChéisme. Ce qui est moderne, progressiste, C’est

l’artiCulation des deux, du digital

et du physique

François GUICHARDDirecteur de la Démocratie, des Citoyens et des Territoires, Ville de Paris

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La démocratie représentative à Paris a été une longue bataille et une conquête pas à pas !

Ce n’est qu’à partir de 1977 que les parisiens ont pu élire leur maire au suffrage universel. De plus, cette démocratie représentative parisienne a eu peine à s’installer face à l’administration de la ville qui était avant tout une administration préfectorale, très organisée sur un principe napoléonien, vertical, rigide et hiérarchique.

A partir des années 2000, notamment durant la mandature de Bertrand Delanoë, le premier temps fut la décentralisation du pouvoir dans Paris. La Ville de Paris décide de « faire confiance à ses vingt maires d’arrondissements » … la reconnaissance de la démocratie de proximité, un effet considérable au sein de l’administration et un premier choc à absorber. L’administration a dû accepter des instructions de la part des élus, fait nouveau dans une vieille tradition installée selon laquelle on avait l’habitude de laisser faire l’administration.

Le deuxième choc est intervenu lorsque Bertrand Delanoë a annoncé que ce sont également « les élus d’arrondissements qui prennent des décisions au nom de la proximité avec les citoyens ».

Le troisième séisme de l’administration s’est produit dès le début de la mandature d’Anne Hidalgo, qui a exprimé « une volonté d’articuler, et non pas d’opposer, une démocratie représentative de proximité revitalisée avec une démocratie participative ». Tout a commencé lors de sa campagne à travers un site collaboratif et la possibilité d’étayer son programme pour la Ville de Paris. Une fois élue, elle s’est résolument engagée dans un vaste mouvement de

démocratie participative. Avec un certain temps d’apprentissage, toutefois, et des situations cocasses. En effet, la première version du budget participatif a été imaginée à travers une conception digitale, et dématérialisée, notamment pour le vote. Une plateforme participative très attrayante a donc été mise en place pour que les Parisiens déposent des projets. Nous avions pourtant besoin d’un contact physique avec nos citoyens... 200 urnes ont donc été installées dans Paris pour la « re-matérialisation » d’une partie du processus.

Ce qui est archaïque, c’est le manichéisme. Ce qui est moderne et progressiste, c’est l’articulation des deux, du digital et du physique. Le budget participatif est un exemple de cette réconciliation. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’un budget participatif ? Le budget de la Ville et du Département de Paris représente 8 milliards d’euros dont 1,5 milliards représentent la part d’investissements. La Maire de Paris a voulu que 5% de ce budget d’investissement, soit quelque 500 millions d’euros sur la mandature, soit confiés aux parisiens.

Ceci implique plusieurs étapes !

La première : expliquer aux Parisiens et Parisiennes ce qu’est un budget, et établir une distinction entre budget de fonctionnement et budget d’investissement : ce n’est pas chose évidente… Quels sont ainsi les coûts de fonctionnement, les coûts des réalisations ?

Seconde étape : faire confiance. Annuel-lement, la Ville ouvre durant une période déterminée, une plateforme digitale spéci-fique pour collecter les idées. Le but est que les Parisiens se réunissent ensemble pour propo-

ser un projet quelque peu construit, afin que l’ad-ministration travaille ensuite avec les porteurs du projet pour l’améliorer, apporter une expérience technique et budgétaire et à terme soumettre le projet au vote de l’ensemble des Parisiens. Après deux ans d’expérience on constate l’émergence de nombreux projets, et surtout, ce qui est très positif, c’est que la réflexion s’est engagée autour de l’intérêt général et du bien commun.

Avec le budget participatif, nous pouvons toucher une autre population grâce à la souplesse du numérique. Notre démarche touche des catégories de populations peu ou pas réactives auparavant (30% des votants sur la plateforme numérique ont moins de 30 ans, et la population active se connecte en fonction de ses heures de disponibilité). Sur quelque 65 000 votants au budget participatif, 60% le font via Internet et 40%, en se déplaçant physiquement sur les lieux de vote. Dans un cas comme dans l’autres, nous touchons plusieurs catégories de populations, d’où un panel très large. L’effort sur le vote physique porte davantage dans les quartiers défavorisés, où il faut aller vers les personnes qu’il faut réintégrer à la démocratie participative. Bien des projets plébiscités concernent le cadre de vie, de végétation, de jardins, d’espaces verts, de circulation « douce », de coworking et de nouvelle économie.

François GUICHARDDirecteur de la Démocratie, des Citoyens et des

Territoires, Ville de Paris

L’AcTION cITOyENNE cOMME MOTEuR dE cRéATIVITé ET dE PERfORMANcE

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au lieu d’opposer la démoCratie représentative

et la démoCratie partiCipative, il

faut imaginer une démoCratie en Continu

Bastien NESPOULOUSDirecteur Général Adjoint, Pôle Education et Citoyenneté, Ville de Nancy

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La question de la légitimité de l’action citoyenne doit être abordée. Dans ce domaine, la querelle des « Anciens » et des « Modernes » semble être un débat récurrent. Mais plutôt que d’opposer deux visions, avec la démocratie représentative apanage des « Anciens », d’une part, et la démocratie participative, fer de lance des « Modernes », d’autre part, je propose un « retour aux textes » afin de redonner un sens à nos actions.

Qu’est-ce que l’action citoyenne ? Est-elle forcément « citoyenne » ? Dans quelle mesure l’expression de la revendication de l’intérêt général peut-elle déboucher sur un exercice de désobéissance civile ?

Toutes ces questions sous-tendent de s’interroger sur les fondements de la légitimité en démocratie.

Prenons l’exemple de l’impôt, dont le principe du consentement est au cœur de nos démocraties représentatives. Dans ce débat sur l’action citoyenne, rappelons la définition que le célèbre professeur de droit public Gaston Jèze a donnée de l’impôt au début du XXème siècle : « l’impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ». Cette question de la contrepartie appelle à une certaine interrogation sur l’usage que les représentants du peuple, nationaux ou locaux, et les agents publics, font de cette charge, dont s’est acquitté le citoyen, dans une société de plus en plus individualiste voire consumériste.

Cette légitimité de la demande de l’usager, parfois même du consommateur, est au centre du débat. En même temps qu’elle pose le principe de la nécessité de l’impôt et des modalités de sa détermination (articles 13 et 14), la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, en son article 15, dispose aussi que la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. C’est l’essence même d’un Conseil municipal et de la commune, en tant que premier échelon de la démocratie en France.

Au sens premier du terme, la commune est l’immédiate proximité, la distance abolie, la décision locale. C’est sur cette exigence de « rendre compte » que l’on doit s’interroger. De plus en plus, nous constatons l’émergence de « contrats de gouvernement », de « contrats de mandat », dans une logique d’obligation réciproque face à des engagements matériels et financiers également réciproques. La notion de contrat de mandat est aujourd’hui essentielle, à l’heure où le fast-checking est opéré constamment par les médias, les réseaux sociaux et la société.

Une illustration pratique de cette exigence de « rendre compte » a été conduite à la Ville de Nancy en tout début du dernier mandat : le nouveau Maire de la Ville, Laurent Hénart, a souhaité convoquer des Etats généraux pour Nancy. L’idée était de rendre des comptes et de réfléchir ensemble sur l’organisation de la dépense publique au profit de l’intérêt général. Ces Etats généraux furent durant six mois l’occasion de rencontres stimulantes avec les citoyens, dans leur diversité. Ce débat a pris la forme de 8 000 rencontres, pour une population de 107 000 habitants, portant sur 9 grands débats publics pour présenter les

différents axes de travail du mandat, de 23 rencontres de quartiers, de 33 visites de projets auprès d’acteurs associatifs, d’entrepreneurs et de particuliers. L’idée était de faire germer un « projet de Ville ».

A la suite de ces six mois de dialogue citoyen, de contributions orales lors des rencontres publiques ou dématérialisées grâce à une plateforme digitale, les différents élus et services de la Ville ont eu la charge de faire naître un « projet de Ville », lequel a été présenté au Conseil municipal au mois de février 2015. L’idée sous-jacente est bien entendu cette logique de transparence, de proximité, de « rendu-compte ». C’est également ce qui a présidé à l’adoption, en toute transparence, du plan d’équilibre et de développement, ayant pour objectif, face à la baisse des dotations de l’Etat, de garantir la stabilité fiscale et de pouvoir préserver le niveau d’investissement de la collectivité. Le plan pluriannuel d’investissement a ainsi également été soumis au débat public, sur la hiérarchisation des priorités municipales notamment.

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Bastien NESPOULOUSDirecteur Général Adjoint, Pôle Education et

Citoyenneté, Ville de Nancy

A la suite de cette démarche, une réorganisation profonde des services municipaux a été mise en place. Tous les travaux, tous les rapports, tous les projets sont désormais accessibles numériquement : ce qui est réellement enthousiasmant c’est que des présidents d’associations, des parents d’élèves, des particuliers viennent régulièrement nous interroger sur les projets contenus dans le projet de Ville.

Le Maire de Nancy a souhaité ajouter à cela l’introduction d’un droit d’interpellation du Conseil municipal, sans pour autant décrédibiliser les représentants. En ajoutant ces mécanismes de dialogue et de transparence, on donne davantage de crédibilité aux élus. C’est là que le citoyen a toute sa place dans une logique de démocratie participative, dans l’essence même de ce qui fait la démocratie représentative, à savoir l’organe délibérant.

Pour conclure, je voudrais souligner qu’il faut prendre garde aux revendications et expressions présentées comme citoyennes, notamment à l’appui des réseaux sociaux. Cet « habillage citoyen » masque parfois des revendications toutes particulières.

Nous sommes donc à la lisière entre la conception française de l’intérêt général, décrite par Jean-Jacques Rousseau comme un intérêt immanent et transcendant, que l’élu ne ferait que révéler pour le mettre à disposition de la population, et la conception anglo-saxonne, présentée par Jeremy Bentham, qui est en fait la somme des intérêts particuliers.

Cette démocratie participative est-elle le seul re-mède à la crise de la démocratie représentative ? La question reste certes posée, mais en tout cas, à l’échelle des collectivités locales, l’action citoyenne et sa vigilance possèdent l’immense vertu de redonner de la légitimité aux organes délibérants. Au lieu d’opposer la démocratie représentative à la démocratie participative, l’action citoyenne tend à favoriser l’émergence d’une démocratie en continu.

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nous sommes dans une situation de fatigue du

système représentatif : la partiCipation, la ConCertation

deviennent une modalité essentielle de la relation

aveC les habitants, et Cela à l’initiative des habitants eux-mêmes dont les aspirations

évoluent

André JAUNAYResponsable du Pôle Initiatives Métropolitaines, Paris Métropole

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La transformation en cours, vers des formes démocratiques plus collaboratives, n’est pas un risque, c’est une opportunité, mais elle n’est pas réductible au numérique.

Il y a une défiance croissante entre les citoyens et les institutions. Selon la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, article 6, la Loi est l’expression de la volonté générale et tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Le système représentatif est une option nécessaire, cruciale, centrale, mais elle ne résume pas le dispositif républicain.

La finance participative, ou crowdfunding, illustre particulièrement les transformations de comportement en cours, l’aspiration croissante à la prise de responsabilité personnelle. Ce mouvement repose sur le numérique mais il a émergé avant même qu’apparaissent les plateformes de financement. Dans sa genèse, le crowdfunding est né du souhait d’éviter les intermédiaires et de donner du sens à l’accomplissement individuel par des investissements financiers portant sur des projets visibles.

L’évolution de la finance participative est extrêmement forte. Si la progression observée ces dernières années se poursuit, dans quelques années tous les Français seront contributeurs sur les plateformes de financement et les montants levés seront de l’ordre de 10 à 20 milliards d’euros. Ce mouvement est puissant et ce dynamisme opère également dans la sphère publique, portée par les mêmes aspirations d’accomplissement. C’est plutôt une bonne nouvelle si nos citoyens, mieux formés, mieux alertés, prennent davantage de responsabilités.

Il se dégage une transformation profonde, structurelle et une irréductible volonté participative qui s’installe dans le comportement de nos citoyens. Certaines expériences montrent une mobilisation territoriale puissante où l’écosystème se mobilise.

Le financement participatif est un levier de développement, et notamment de développement économique. Les PME rencontrent leurs bailleurs sur les plateformes, les start-up trouvent des financements pour leur création, les associations trouvent des fonds, etc. Toutes ces catégories peuvent bénéficier de cette source de financement. L’action d’information, de promotion, de sensibilisation, de compte-rendu, offerts aux acteurs sur ces nouvelles plateformes, porte ses fruits.

Le développement des diverses formes de co-construction (public/privé) et de l’innovation sociale constituent d’autres formes de la transformation en cours. Cependant toutes ces initiatives ne présentent pas les mêmes perspectives d’impact. Certaines d’entre elles ne sont pas reproductibles et sont propres à un territoire. Certains outils sont néanmoins universels et il faut que les institutions les repèrent subtilement, pour ensuite faciliter leur émergence et leur développement.

Pour que ces dispositifs se développent, le rôle de l’institution est tout à fait nécessaire, encore faut-il qu’elle sache différencier une simple initiative d’une innovation. Nous devons continuer à avoir une exigence de qualité de dispositif et une exigence de qualité de diffusion. C’est une grande chance pour notre pays que la société civile s’approprie un certain nombre de sujets et ce serait un grand risque pour les

institutions de ne pas prendre en compte ce phénomène d’appropriation et de ne pas lier une relation fertile et vertueuse avec elle.

En conclusion, pour citer Pierre Rosanvallon, « il faut une démocratie d’exercice, c’est-à-dire une forme démocratique renouvelée dans laquelle l’élu n’est plus quelqu’un d’inaccessible, entouré de cabinets, mais quelqu’un qui anime, qui impulse, qui prend des responsabilités effectivement, qui est garant du long terme ».

Il est ainsi des impulsions positives dans ces évolutions, pas uniquement numériques, qui sont extrêmement fortes, et qui prennent tout leur sens.

André JAUNAYResponsable du Pôle Initiatives Métropolitaines,

Paris Métropole

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De gauche à droite : François GUICHARD, Directeur de la Démocratie, des Citoyens et des Territoires, Ville de Paris, Bastien NESPOULOUS, Directeur Général Adjoint, Pôle Education et Citoyenneté, Ville de Nancy, André JAUNAY, Responsable du Pôle Initiatives Métropolitaines, Paris Métropole.

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