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Sos hépatites actes du forum 2013

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Sommaire

Jeudi 21 novembre 2013 Ouverture .......................................................................................................................................................................................... 4 ▪ Michel BONJOUR, SOS Hépatites ▪ Benoît VALLET, Direction Générale de la Santé Rapport d’experts : comment les malades peuvent-ils travailler avec les médecins ................................................................ 12 ▪ Daniel DHUMEAUX et Michel BONJOUR, Comité de suivi et de prospective du Plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012 ▪ Marianne L’HENNAF, Collectif Hépatites Virales TRT5 et ARCAT ▪ Georges-Philippe PAGEAUX, AFEF VIH, VHB, VHC : quelles cohabitations pour les co-infections ? ............................................................................................... 21 ▪ Marianne L’HENNAF, Collectif Hépatites Virales TRT5 et ARCAT ▪ Pr Lionel PIROT, Hôpital de Dijon Atelier n° 1 : Comment faire vivre les rapports d’experts dans les structures ? ...................................................................... 30 ▪ Marie-Dominique PAUTI, Médecins du Monde ▪ Brigitte REILLER, Médecin addictologue Atelier n° 2 : Prison : Comment ne pas enfermer les hépatites ? ............................................................................................... 47 ▪ Patrick SERRE, hôpital du Mans ▪ Olivier SEGERAL, AP-HP Bicêtre Atelier n° 3 : Faut-il dépister tout le monde pour ne pas traiter ? ............................................................................................... 58 ▪ Yazdan YAZDANPANAH, AP-HP Bichat Atelier n° 4 : Cirrhose, cancer et réduction des risques .............................................................................................................. 65 ▪ Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE, AP-HP Paul Brousse ▪ Jean-Claude TRINCHET, AP-HP Jean Verdier

Vendredi 22 novembre 2013 Ouverture ........................................................................................................................................................................................ 75 ▪ Danièle DESCLERC-DULAC, SOS Hépatites ▪ Jean-Luc GIBELIN, Responsable de la Commission Santé et Protection sociale du Parti Communiste Français ▪ Hélène DELAQUAIZE, SOS hépatites Paris Île-de-France ▪ Elisabeth PFLETSCHINGER, Chargée de mission, MILDT Ateliers Atelier n° 1 : Prévention de l’hépatite C et test rapide dans les CSAPA ..................................................................................... 81 et CAARUD : retour d’expériences (Enregistrement audio inexploitable) Atelier n°2 : Traitements : y a-t-il des effets désirables ? ............................................................................................................ 82 ▪ Véronique LOUSTAUD-RATTI, Hôpital Dupuytren Limoges ▪ Michelle SIZORN, SOS hépatites Paris Île-de-France Atelier n°3 : SCMR et espaces de consommation ........................................................................................................................ 90 ▪ Elisabeth AVRIL, Gaia-Paris ▪ Marie DEBRUS, Médecins du Monde ▪ Aurélie HAAS, AIDES Atelier n°4 : Personnes migrantes : quel accès aux soins ? ....................................................................................................... 99 ▪ Olivier LEFEBVRE et Pascal REVAULT, COMEDE ▪ Sié DIONOU, COREVIH IDF centre et SOS hépatites Paris Île-de-France Plénières Nouveaux traitements : Faut-il être patient ? ............................................................................................................................. 108 ▪ Gilles PIALOUX, AP-HP Tenon Hépatites B et C chez les injecteurs et les consommateurs de crack ...................................................................................... 115 ▪ Marie JAUFFRET-ROUSTIDE, InVS (Saint-Maurice) et CESAME (Paris) L'accès au traitement dans les pays pauvres ............................................................................................................................ 120 ▪ Maud LEMOINE, Medical Research Council, The Gambia Unit, West Africa, Imperial College, London ▪ Chloé FORETTE, Médecins du Monde Clôture .......................................................................................................................................................................................... 131 ▪ Danièle DESCLERC-DULAC, SOS Hépatites

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Ouverture Michel BONJOUR, SOS Hépatites Bonjour à tous et bienvenue. Nous avons la chance d’avoir la présence du Directeur de la Santé. Il m’incombe la tâche de remplacer au pied levé notre Président Pascal Mélin, resté à Madagascar où il travaille sur le dépistage de l’hépatite B, avec un jumelage de collège entre la Haute-Marne et une zone très défavorisée de Madagascar. Je vous livre ce qu’il nous a écrit : « Je ne pourrai pas être parmi vous car je suis resté bloqué à Madagascar faute d’avion pour être à Paris, mais je dois avouer que l’exercice de style qui consiste à écrire un texte d’introduction n’est pas inintéressant. L’année qui s’annonce devrait pour moi avoir le thème suivant : « Un dépistage pour tous et une prise en soins pour chacun ». Les progrès thérapeutiques doivent être partagés par tous, mais la vaccination également. Il est urgent de mettre la lutte contre les hépatites virales en cohérence entre les pays pauvres et les pays riches et non en co-errance. Nous savons où nous voulons aller, mais pas à n’importe quel prix, ni n’importe comment. De nouveaux enjeux se profilent : traitement sans Interféron, traitement avec moins d’effets secondaires, traitement plus court. Mais serons-nous tous égaux dans l’accès aux soins ? Deux malades sur trois porteurs d’hépatite B sont en Asie ou en Afrique. Que leur proposons-nous ? L’épidémie est sur le point d’être mise sous contrôle dans les pays riches, mais que ferons-nous pour les pays en voie de développement ? Ne nous trompons pas, ne vous trompez pas, vous avez et nous avons un rôle à jouer dans ce débat sanitaire et démocratique. Les malades doivent continuer à jouer ce rôle de guideur sanitaire. Personnellement, je rêve du jour où, après le directeur, le poste de numéro deux dans tout hôpital pourrait être un malade ou un représentant des malades. A travers le CISS et le travail qui est fourni, nous avons la preuve que des malades sont prêts à relever le défi, mais les directeurs de structures sanitaires, d’hôpitaux, ou les médecins, sont-ils prêts à risquer de tels moyens et une telle contraction ? A moins qu’il s’agisse d’une contre-addiction. Mais revenons sur les avancées de 2013. Nous pouvons commencer par citer l’index européen des prises en charge et de prévention des hépatites virales en Europe. Même si la France a la première place, il lui reste encore à progresser par rapport à d’autres pays dans l’accès aux soins et à la prévention en prison. Quid des salles de consommation à moindre risque ? Quid des traitements pour les patients addicts ? Quid des vaccinations ? Nous pensions que toutes ces questions auraient pu être discutées. Mais voilà, le plan Hépatites ne sera pas reconduit. Les actions sont-elles toutes menées à terme ? Sûrement pas. Où sont les financements sur le terrain ? Pourquoi les dispositifs hépatologiques ne se sont jamais sentis aussi fragiles ? Ne nous demandez pas de choisir entre le plan VIH, le plan Addiction pour rattacher les hépatites et les maladies du foie à quelque chose. Ce choix est impossible. Ce choix sera politique, mais il ne sera pas le nôtre. Les hépatites méritent un nouveau plan à elles seules. A l’heure où la France est citée en exemple sur l’existence d’un plan hépatites qui serait nécessaire dans beaucoup de pays européens, que faisons-nous pour renforcer notre place de leader ? Eh bien oui, nous en France on supprime une équipe qui gagne. Oserez-t-on supprimer le plan Cancer, le plan Alzheimer, le plan VIH ou bien encore celui contre l’obésité ? Et pourtant le lien est fort entre l’obésité et les maladies du foie, comme il l’est avec les produits toxiques, l’endocrinologie, la pharmacologie, l’addictologie et les maladies infectieuses, l’éducation thérapeutique. Le foie et toutes ses pathologies connexes pourraient faire passer l’hépatologie d’une science contemplative il y a cinquante ans à la clé de voûte des différentes pathologies et donc une hépatologie active et, pourquoi pas, activiste. Notre lot de consolation ne sera pas le rapport d’experts sur les hépatites virales. Pour nous, il fallait une nouvelle conférence de consensus, un rapport d’experts et le tout sous couvert d’un

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nouveau plan Hépatites. Toute partie de ce dispositif développée seule ne pourrait qu’être insuffisante. Bien sûr, nous nous sommes impliqués dans ce rapport d’experts pour porter la parole des usagers, mais quelle visibilité et quelle légitimité allons-nous donner à ce rapport. Ce n’est qu’un outil pour l’instant. L’arrivée de nouvelles classes thérapeutiques doit être diffusée le plus largement possible et nous continuerons de demander pour les malades les plus graves un accès compassionnel et faciliter l’accès et le développement des ATU sans accepter sa remise en cause politique qui ne pourrait être que préjudiciable à notre système sanitaire. Même si nous avons l’arsenal thérapeutique pour contrôler les infections virales chroniques, l’épidémie de cancer du foie ne cessera d’augmenter d’ici 2020. Comment pouvons-nous préparer et accompagner cette épidémie ? En faisant la promotion du suivi des cirrhoses. L’éducation thérapeutique y a probablement une place. Quant à la greffe, le nombre de greffons et de donneurs n’est pas suffisant. Il nous faut donc développer des alternatives comme l’accès à la greffe intrafamiliale qui pose encore beaucoup de problèmes éthiques et d’organisation. Pendant l’EASL 2013, congrès européen des pathologies qui se tenait à Amsterdam, un nouvel appel a été lancé par plusieurs associations internationales d’usagers et des activistes dont SOS Hépatites. Il consistait à ajouter l’interféron à la liste des médicaments prioritaires établie par l’OMS. Nous avons obtenu gain de cause cet été. Cette reconnaissance est une pierre de plus pour jeter et assécher la mare d’ignorance et de silence dans laquelle se trouvent les hépatites. Que dire des salles de consommation à moindre risque qui ne doivent jamais devenir des salles de shoot ? Ce dispositif est un des outils de l’arsenal thérapeutique en addictologie, et nos militants qui suivent cette action pèsent de tout leur poids pour que l’expérimentation puisse voir le jour. Les SCMR font également partie d’un dispositif hépatologique pour diffuser l’information et réduire les contaminations par des hépatites virales car, en tant que malades, nous pourrions dire que le terme de SCMR, salle de consommation à moindre risque, pourrait signifier sans hépatite C mieux réinsérable. Ce que nous savons tous, mais pour des raisons politiques, le projet d’expérimentation prend du retard, ce que nous regrettons. Les tests rapides d’orientation diagnostique sont également attendus dans la lutte contre les hépatites virales, à l’heure où l’on évoque la possibilité de faire évoluer les TROD VIH vers un accès pour tous en autotest. Mais attention à cette démédicalisation et ces désaccompagnements. Souvenons-nous qu’un jour, nous les malades, avons souhaité que jamais un malade ne se retrouve seul face à l’annonce par courrier de sa séropositivité. Que faisons-nous aujourd'hui de ces autotests ? SOS Hépatites veut participer à ce débat. Il y a deux ans, à Lyon, Madame la Ministre de la Santé était venue nous annoncer que les TROD VHC étaient en cours d’évaluation et qu’ils seraient à disposition en 2012. Elle nous demandait d’être patients, mais nous sommes déjà des patients, laissez-nous être impatients. Nous sommes fin 2013, et nous les attendons toujours ces tests pas si rapides. Mais peut-être avions-nous TORD, tests oubliés retardant le diagnostic. Fin 2013, nous continuons notre chemin et aujourd'hui nous ne vous demandons plus les TROD VHB ou VHC, pour nous ils sont acquis, mais nous demandons le développement de multi tests permettant de répondre sur deux ou trois infections en même temps : VIH, VHB, VHC, et là encore il faut entamer le débat sur la place que nous voulons leur donner. Mais où sont les politiques face aux représentants des usagers ? La santé publique dans sa partie hépatologique ne peut pas être sacrifiée sur l’autel de la crise. L’arrivée de nouvelles molécules, même si elle nous permet de toucher du doigt un plus grand nombre de guérisons, ne doit pas enfermer les hépatites virales dans des critères virologiques, d’âge du patient ou de degré de fibrose. Rappelons-nous les déterminants de santé tels que Dahlgren et Whitehead les ont présentés en 1991. Les hépatites virales doivent nécessairement décliner le mode de vie, les influences sociales, les conditions de vie et de travail et, bien sûr, les conditions culturelles, environnementales et socioéconomiques. Nous sommes bien

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loin du foie, mais c'est notre quotidien, et accéder aux soins ou à la prévention nécessite d’avoir tout cela en conscience. Réfléchissez à la vaccination à travers ce filtre et les choses s’éclaireront. Nous avons eu gain de cause sur l’accès à la vaccination contre l’hépatite A pour tous les patients atteints d’hépatopathie, et cet hiver pour la première fois des patients en ALD pour une maladie du foie ont reçu une lettre d’invitation à la vaccination antigrippale. C’est une revendication que nous portions depuis plus de dix ans. Si je suis encore à Madagascar, c’est pour faire passer SOS Hépatites des revendications à l’action. Dans cette région du monde, plus de 10% de la population est contaminée par l’hépatite B, la vaccination est défectueuse et les transmissions mère/enfant sont fréquentes. Nous avons démontré que nous pouvions, en partenariat avec une association impliquée de longue date à Madagascar, réaliser des TROD et des vaccinations pour des jeunes filles dans un collège d’un quartier défavorisé d’Antananarivo. Les fonds ont pu être trouvés, des militants formés, et une action couplée formation/information TROD et vaccination réalisée. Retrouvez et suivez cette action sur notre site internet. Aujourd'hui, nous sommes passés des mots à l’action. Chaque année notre forum tente d’informer et d’alerter pour porter des revendications collectives de tous les malades, mais aussi de tous les professionnels travaillant peu ou prou avec ces pathologies. C'est encore notre ambition cette année et c'est notre grand pari. Merci à tous les membres de SOS Hépatites de Paris Ile-de-France d’avoir permis que ce projet voie le jour et merci à tous les salariés de SOS Hépatites qui sont intervenus pour sa réalisation. Bon travail, bons échanges et bons ateliers. Et n’oublions pas qu’en démocratie sanitaire, les médecins nous suivent mais que c’est nous qui faisons la route de demain. Merci. » Toute maladie est un événement qui implique des échanges entre trois partenaires : le malade, son entourage, son médecin. La guérison et le mieux être dépendent de la nature de ces échanges et de leur renforcement mutuel. On peut vivre seul sa maladie, mais pour réunir toutes les chances de guérir, mieux vaut être trois partenaires à la combattre. Je terminerai par un poème de Paul Eluard intitulé « Notre vie ». « Nous n’irons pas au but un par un mais par deux. Nous connaissant par deux nous nous connaîtrons tous. Nous nous aimerons tous et nos enfants riront de la légende noire où pleure un solitaire ». Benoît VALLET, Direction Générale de la Santé Effectivement, beaucoup d’inquiétudes dans le discours du Président Pascal Mélin, beaucoup de demandes. Je ne sais pas si je pourrai apporter des réponses à toutes ces demandes, et vous voudrez bien m’en excuser par avance. Cela tient à plusieurs choses. La première, c’est que j’endosse juste le costume de DGS. De ce fait, un certain nombre de dossiers ne sont pas encore clairement présents à mon esprit. Beaucoup d’éléments appartiennent à mes prédécesseurs même si je suis leur héritier. Le DGS précédent, Jean-Yves Grall, avait été proposé pour ouvrir ce forum, à la demande de la ministre que vous aviez sollicitée. Je remplace donc Jean-Yves qui remplaçait la ministre… Je suis donc très prudent dans la manière dont je vais m’adresser à vous aujourd'hui. Pour autant, nous allons essayer, au cours des mois qui viennent, de prendre en compte les inquiétudes qui ont été exprimées, et celle relative au Plan n’est certainement pas la moindre. La DGS accompagne depuis fort longtemps SOS Hépatites, pas à hauteur financière nécessairement très élevée, mais fortement dans l’intention d’un partenariat fructueux qui dure depuis 1999. Plusieurs conventions ont été renouvelées. Je pense que les animations qui tournent autour du réseau SOS Hépatites, l’accompagnement des personnes, la formation des acteurs, nous les gérons ensemble. Le ministère, vous le savez, porte nécessairement un intérêt tout particulier à la problématique des hépatites virales, qu’elles soient B, C, aujourd'hui D ou E, et il y a certainement pour moi ici aujourd’hui une mine d’informations à recueillir. C’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que j’accompagne donc cette journée. Des agents de la DGS présents dans la salle nous feront un retour sur vos

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échanges et sur ce qui se dira aujourd'hui. Je n’ai aucune inquiétude sur la richesse des travaux présentés et je trouve que l’introduction de Pascal Mélin pose un certain nombre d’hypothèses de travail et de questionnements extrêmement graves. Le Plan avait bénéficié d’une évaluation du Haut Conseil de la Santé Publique. Cette évaluation est probablement restée sur l’ambiguïté du choix à faire à l’issue de son aboutissement, Le Plan présentait l’énorme mérite d’isoler la thématique hépatite au sein des différents défis que nous pose la Santé des populations. Notre ministère a eu la volonté d’intégrer nombre de ces plans à une problématique plus générale… Celle-ci devrait aboutir au cours de l’année 2014 à une loi de Santé après la mise en œuvre du chantier de la Stratégie nationale de Santé (SNS). La DGS y portera de manière forte les problématiques de santé publique. Les actions de prévention, de dépistage, d’inégalité d’accès aux soins, auront une place tout à fait privilégiée. La réduction des inégalités sociales en matière d’accès aux soins sera au cœur du dispositif. Cette inégalité concerne notamment la région dont je viens, je veux dire le Nord-Pas-de-Calais, région dans laquelle j’exerçais mes fonctions de président de CME au CHU de Lille, jusqu’à ce que je sois sollicité pour la DGS. Un nouveau « Plan Hépatites » n’a pas été envisagé. Pour autant, la finalisation de la SNS ne doit pas retarder d’autres actions aujourd'hui envisagées, et la ministre de la Santé a missionné l’ANRS pour qu’elle dirige la rédaction d’un rapport. Je salue ici le Professeur Daniel Dhumeaux qui en a la responsabilité et qui viendra, je l’espère, apporter ses conclusions principales au Ministère lorsque de ce rapport auront pu être établies. Ce rapport sera fait en collaboration avec l’Association française pour l’étude du foie, et je présume qu’un grand nombre d’entre vous seront impliqués. L’idée, proposée ce matin par le Vice-Président, qu’un un patient puisse être à la tête d’un hôpital, ou en tout cas impliqué fortement dans la gouvernance de l’hôpital, me paraît excellente, et pour être sincère et très transparent avec vous, j’ai moi-même été sérieusement malade en 2005, suffisamment en tous cas pour donner un regard assez différent sur ce que l’on appelle, peut-être d’une manière un peu technocratique, le parcours de soins. Avoir été soi-même « un patient » vous rend « impatient » par rapport à certaines décisions qui pourraient, aujourd’hui être prises au titre de la Démocratie en Santé. Sachez donc, Monsieur le Vice-président, que je vous rejoins dans vos commentaires à ce sujet. Je sais aussi que l’association SOS Hépatites sera partie prenante de ce travail et qu’au-delà des recommandations qui pourront être faites, un certain nombre d’actions de prévention vis-à-vis des hépatites vont être mises en route. J’ai listé ces différentes actions de prévention. Concernant la vaccination contre l’hépatite B, un travail a été réalisé sur le calendrier vaccinal, en l’occurrence pour les nourrissons simplifiant le calendrier vaccinal. On peut espérer que la simplification du schéma vaccinal favorisera la vaccination contre le virus de l’hépatite B. On est moins fier à l’heure actuelle de la vaccination vis-à-vis des jeunes adultes, des étudiants. Vis-à-vis des professionnels de santé, une action forte a été mise en place, et l’arrêté du 2 août 2013 a imposé de s’assurer de l’efficacité de la vaccination et de la nécessité du contrôle sérologique systématique. En ce qui concerne le dépistage, vous avez évoqué les tests d’orientation rapide pour le diagnostic, les TROD. L’ANSM et le CNR, centrés sur l’hépatite B et l’hépatite C, ont rendu leur avis sur la performance de ces tests et la HAS a été saisie afin de pouvoir déterminer la place de ces TROD dans la stratégie de dépistage. Dans le cadre des TROD VIH, un certain nombre d’expériences favorables ont été menées et il faudra donc des textes réglementaires pour que leur utilisation se fasse rapidement. Vous avez mentionné l’attente vis-à-vis de ces TROD qui datent d’au moins 2012. La place à donner aux TROD devra être soigneusement analysée pour éviter qu’ils ne deviennent contreproductifs en termes d’orientation diagnostique et d’accompagnement thérapeutique, et nul doute que la HAS nous y aidera.

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En matière de prise en charge sociale et de lutte contre les inégalités d’accès aux soins, le dispositif des appartements de coordination thérapeutique, dits ACT, a été développé puisque leur nombre a doublé en cinq ans, et a été porté à 1 800 places en 2012 pour un budget global de 55 millions d’Euros. En 2013, 100 places supplémentaires ont été financées. Dans les pathologies chroniques bénéficiant de ces ACT, les hépatites B et C sont parmi les plus fréquentes. Dans le domaine de la recherche, la cohorte Hepather se poursuit. Le calendrier prévoyant 25 000 patients. Il s’agit d’une cohorte très importante qui permet de vérifier scientifiquement l’efficacité d’un certain nombre de traitements. Elle constitue un observatoire des patients ayant eu une greffe du foie et qui font l’objet d’une récidive de leur hépatite C. Ce projet coïncide avec l’arrivée de thérapeutiques mises à disposition sous forme d’Autorisation Temporaire d’Utilisation, en particulier les anti-polymérases. On peut citer à ce titre lune anti-polymérase NS5B pangénotypique, pour lequel le laboratoire producteur avait été sollicité pour une extension de l’ATU, qui était assez restreinte pour la cohorte et concernait le pré et le post-greffe. Le Directeur de l’ANSM qui a sollicité le laboratoire à propos de l’élargissement de l’ATU, conformément à l’AMM prévisionnelle, en a reçu une réponse favorable, ce qui devrait être confirmé la semaine prochaine. Plusieurs adaptations sur les articles relatifs seront à faire valoir dans le PLFSS. Comme les années précédentes la Journée nationale des Hépatites virales devrait avoir lieu au mois de mai. La Ministre ou moi devrait pouvoir venir à cette journée pour donner du suivi aux différents éléments de nos échanges de ce matin. D’autres mesures doivent être mises en place. La mission interministérielle sur la lutte contre les toxicomanies accompagne le travail sur l’échange des seringues en milieu carcéral ou relatif aux salles de consommation à moindre risque. Nous ferons le maximum pour que la Loi de Santé puisse favorablement donner suite aux expériences préliminaires. Ce ne sont que quelques exemples d’actions menées. Elles témoignent de la volonté du ministère de la Santé de rester visible quant à son engagement vis-à-vis de la lutte contre les hépatites virales. Cela s’appuie également sur des fédérations, des organisations comme la vôtre, et il ne peut y avoir d’action conjointe qu’à partir du moment où les patients, les professionnels se mobilisent tous ensemble pour faire aboutir les demandes. C’est ce qui s’est passé pour l’extension de l’ATU de l’anti-polymérase NS5B pangénotypique. Pascal Mélin a écrit que « la santé publique ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de la crise ». C’est une phrase que je fais mienne. Il est clair que les impératifs économiques, les restrictions budgétaires que nous pourrions connaître doivent être modulés par rapport au souhait de faire évoluer les priorités de prévention, de dépistage, d’accompagnement de la lutte contre les inégalités sociales. Ces éléments sont fondamentaux pour la santé publique, et je ne pourrais pas occuper ce poste si je n’avais pas une conscience très forte de l’importance de la santé publique. Cette volonté sera au cœur de la Stratégie Nationale de Santé et de ce point de vue, je pense que responsabilité m’a été donnée de devoir l’incarner au mieux. Veuillez pardonner le manque d’expertise qui est le mien relativement à l’hépatite. Quoique anesthésiste réanimateur, la connaissance de ces pathologies peut rester insuffisante. Je vous remercie également de pardonner la fraîcheur des dossiers que j’ai en tête, mais j’espère que vous aurez compris à quel point mon engagement vis-à-vis de vous est fort. A ce titre, je pense pouvoir représenter notre ministre de la Santé. Je tiens à remercier Bernard et Annette qui travaillent avec nous à la Direction Générale de la Santé et qui m’ont aidé à préparer mon intervention.

Echanges avec la salle Carole DAMIEN, SOS Hépatites Languedoc-Roussillon

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Le nombre de patients à traiter va augmenter en 2014 et j’aimerais savoir s’il y aura davantage de places dans les appartements de coordination thérapeutiques. Benoît VALLET Je ne peux pas répondre à votre question de manière factuelle pour l’instant, mais c’est un point essentiel et j’essaierai de vous apporter, par l’intermédiaire de SOS Hépatites, des réponses structurées pour l’année 2014. Patrick FAVREL, Fédération SOS Hépatites J’ai cru entendre que concernant la SCMR et plus exactement la salle de consommation de La Chapelle, on avait procédé à une étude dans le quartier, au sein du voisinage, et je me pose la question de savoir pourquoi il a fallu que le Conseil d’Etat refuse l’arrêté proposé par le ministère pour que l’on en arrive à travailler en amont et très logiquement sur l’acceptabilité de la population au sein du 10e. Benoît VALLET Parfois les chemins sont longs et si on a abouti à une bonne démarche, tant mieux. En revanche, les résultats de cette enquête vont être extrêmement précieux. Michel BONJOUR A propos des ACT, un travail a été réalisé avec la Fédération nationale des Hébergements Thérapeutiques, et j’ai découvert, en formant des infirmières à l’éducation thérapeutique, une énorme problématique. En effet, certains vont être en ACT pendant un an et demi, le temps d’un traitement, de la récupération après un traitement lourd et difficile, on va leur donner des conseils sur leur alimentation, qui est un élément essentiel. Or, les infirmières m’ont dit qu’une fois payée leur part de loyer, sachant que la plupart sont au RSA, beaucoup sont obligés de faire les fins de marché pour pouvoir manger. Un traitement coûte relativement cher, il va permettre de guérir, mais si les choses se passent mal pendant le traitement, on va obérer les chances de guérison. J’ai calculé qu’une personne seule pouvait, avec 1 000 € pendant la durée du traitement, pouvait manger de façon équilibrée. Des programmes ont été mis en place avec des diététiciennes. Mais le diabétique qui va aux Restos du Cœur, par exemple, n’a pas nécessairement les aliments de base. Une réflexion devrait être menée à ce sujet dans le cadre de l’accompagnement d’un traitement. Benoît VALLET C'est une très bonne suggestion, d’autant plus que le plan Nutrition Santé va probablement lui aussi être inséré dans les perspectives de la Stratégie nationale de Santé, et donc pas nécessairement reconduit, mais cela reste à examiner. En revanche, les recommandations qui ont été faites et qui seront rendues publiques prochainement, soulignent l’importance dans les différents parcours de soins, qu’il s’agisse du diabète, de l’obésité et autres, de la nutrition dans le succès thérapeutique. La prise en compte dans les ACT de la dimension nutritionnelle me paraît extrêmement intéressante, et nous regarderons si cette question peut être creusée afin de déboucher sur un accompagnement et de renforcer le succès des molécules qui pourraient être utilisées et qui sont coûteuses au regard de ce que représente le coût de l’alimentation. Danièle DESCLERC-DULAC, Fédération SOS Hépatites et du Collectif Inter-associatif sur la Santé Concernant la stratégie nationale de santé, je souhaiterais reprendre les propos de Madame la Ministre sur le premier volet « Education et promotion de la santé », dans lequel elle a inclus l’éducation thérapeutique du patient. En effet, il serait important de développer les ACT, notamment pour toutes les maladies chroniques dont les hépatites, mais dans les établissements hospitaliers, nous avons des personnels, notamment des infirmières, qui se sont beaucoup investies dans l’éducation thérapeutique, mais les financements sont en réduction. Et se pose un vrai problème concernant les personnes accueillies dans les ACT et

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à suivre au-delà de leur sortie, car si l’éducation thérapeutique n’est pas mise en place pour des cas lourds et des populations fragilisées, isolées, l’observance d’un traitement peut poser un certain nombre de problèmes. Et les hépatites en sont un exemple. Dans cette Stratégie nationale de Santé, l’éducation thérapeutique du patient pour toutes les maladies chroniques doit faire l’objet d’une réflexion importante pour que nous puissions faire cet accompagnement qui est indispensable pour traiter véritablement les populations, et notamment les plus fragilisées. Benoît VALLET Votre remarque est tout à fait pertinente. L’éducation thérapeutique a un peu souffert de la modalité de financement des missions d’intérêt général. Dans la Stratégie Nationale de Santé, elle est incluse dans le chantier « parcours de soins », et on revient à l’idée développée dans ma réponse précédente. Si on peut démontrer qu’en favorisant l’éducation thérapeutique, et donc en la finançant, on peut réduire le coût pour l’assurance maladie, alors ces chantiers deviennent prioritaires. C’est un chantier de la Direction Générale de l’Offre de Soins, et Jean Debeaupuis, le Directeur, l’accompagne. L’éducation thérapeutique rejoint aussi notre préoccupation de l’éducation nutritionnelle ou de l’éducation à la santé telle qu’on peut l’évoquer avec l’éducation nationale, par exemple, dans le cadre du chantier jeunesse en cours et d’un certain nombre d’autres hypothèses de travail autour de la prévention. Il y a forcément une place pour tout ce qui peut conduire à réduire les dépenses. Comme le financement du parcours de soins, en termes d’hypothèses et de livrables, risque de ne pas être immédiatement très élevé, on peut imaginer que l’éducation thérapeutique sera favorisée dans la mesure où nous avons une idée assez simple de la façon de l’encourager. Des initiatives ont été prises en termes de soins primaires pour la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique, les « ROSP » mis en place par la CNAM, que ce soit en matière de dépistage, de prévention. Il s’agit d’un forfait attribué aux médecins généralistes lorsque les actions sont réalisées. Ce type d’hypothèse pourrait s’appliquer à l’éducation thérapeutique. Pour autant, le travail reste à faire. Catherine BRENNER, addictologue, Espace Indépendance, Strasbourg L’Espace Indépendance est une structure associative, premier centre de méthadone en Alsace mis en place dans les années 1990. Quelle est votre position au niveau de la prévention des risques pour les jeunes consommateurs, notamment en matière d’alcool. Des plans sont-ils prévus dans ce domaine ? Benoît VALLET Cette question fait partie de la mission interministérielle sur la lutte contre les toxicomanies. Je ne peux vous répondre car la mission est en cours, mais le ministère de la Santé, en lien avec les ministères associés, en particulier la Justice et la Jeunesse, a une vision très forte de la gravité de ce type de comportement à l’heure actuelle. Nous serons en mesure de fournir des réponses dans le cadre des propositions que fera cette mission, courant 2014. Marianne L’HENNAF, TRT-5, CHV Monsieur Vallet, si vous voulez vous faire aimer des patients, des associatifs et des médecins, peut-être pouvez-vous agir sur l’article 39 du PLFSS qui, s’il passe tel qu’il est, retardera beaucoup l’accès aux molécules innovantes pour les personnes qui en ont réellement besoin. Benoît VALLET Je pense qu’il est en cours et qu’un certain nombre de points pourront évoluer la semaine prochaine. Marianne L’HENNAF

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Il a déjà un peu évolué, mais il est placé sous la responsabilité de l’HAS, qui n’est pas la plus rapide. Nous préfèrerions que ce soit l’ANSM qui décide si les besoins thérapeutiques sont réels ou pas. Benoît VALLET Je ne suis pas là pour me faire aimer mais pour essayer de vous comprendre, de comprendre les problématiques posées. Le poste de DGS est ouvert sur un nombre considérable de chantiers, mais ma présence ce matin témoigne de ma volonté de vous accompagner sur tous les sujets que nous avons évoqués ensemble. Nous allons y travailler, et notamment sur cet article autour de l’ATU. Michel BONJOUR Nous en sommes à notre 16ème Forum et c’est la première fois qu’un Directeur général de la Santé y assiste. Il faut quand même le souligner. Benoît VALLET Merci pour votre remarque, et c’est sur ce type de proximité que se fondent les engagements. Juliette DAVRIL, CHV Je souhaitais vous parler d’un projet que le Collectif Hépatites Virales a en commun avec le chercheur Martin Duracinsky. Il y a deux parties. D’une part, le développement international d’un questionnaire spécifique sur la qualité de vie liée à l’hépatite C, financé notamment par l’AP-HP et l’ANRS et, d’autre part, une sous-étude française sur la qualité de vie et de soins, financée notamment par le Sidaction. Pour rappel, le CHV, Collectif Hépatites Virales, est un groupe inter-associatif qui regroupe dix associations intéressées et concernées par les hépatites virales, à savoir Actif Santé, Actions Traitements, ARCAT, ASUD, Association française des Hémophiles, Nova Dona, Hépatites/Sida Info Service, SOS Hépatites, Transhépate. Je vous remercie de me donner l’occasion de parler de cette enquête. Les objectifs de l’étude sont développer un nouveau questionnaire international qui va mesurer spécifiquement la qualité de vie liée à l’hépatite C, sachant qu’un tel questionnaire n’existe pas à l’heure actuelle. Ce questionnaire sera traduit en plusieurs langues. Et par ailleurs la sous-étude française incluant les co-infectés VIH, l’objectif étant de diffuser 400 questionnaires en France, 200 à travers un réseau hospitalier et 200 à travers notre réseau associatif, pour définir les déterminants de la qualité de vie dans des populations infectées par l’hépatite C, pour les comparer avec des populations co-infectées par l’hépatite C et le VIH, et comparer la qualité de vie pour les personnes suivies uniquement à l’hôpital et celles soutenues et accompagnées par des associations de patients. Dernier volet, enquêter sur la qualité des soins ressentie par les personnes suivies en France pour leur hépatite C et leur co-infection. Peuvent participer à cette étude les personnes majeures porteuses d’une hépatite C chronique, incluant les personnes co-infectées par le VIH et/ou une hépatite B. Ces personnes peuvent être naïves de traitement VHC, c'est-à-dire n’avoir jamais suivi un traitement pour leur hépatite C, ou être en cours de traitement pour leur hépatite C, ou bien non répondeur, en échec d’un ou plusieurs traitements hépatite C précédent(s). Ces personnes peuvent aussi être en attente d’une greffe de foie. Ne peuvent pas participer les personnes transplantées du foie ou d’un autre organe, et les personnes hospitalisées et donc à un stade aigu de la maladie, les personnes ayant terminé un traitement pour leur hépatite C depuis plus d’un mois et ayant une charge virale indétectable. On peut présumer que ces personnes vont être guéries. Chaque participant reçoit plusieurs documents, une note d’information ; un questionnaire sociodémographique à remplir ; le nouveau questionnaire international sur la qualité de vie

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liée à l’hépatite à remplir, qui s’appellera PROQOL HCV et qui, dans un premier temps, comportera entre 60 et 70 questions ; deux questionnaires généralistes de cinq questions sur la qualité de vie à titre comparatif, EQ5D et SF12, à remplir ; et un questionnaire sur la qualité des soins d’une page ou de deux pages si on est co-infecté. Le remplissage de l’ensemble des questionnaires prend environ trente minutes et les réponses restent anonymes et confidentielles. Concernant le rôle des associations membres du CHV dans cette étude, notre but est de trouver au moins 200 participants résidant en France au travers de notre réseau inter-associatif, parmi les bénévoles, les volontaires, les personnes qui participent aux groupes de parole ou aux autres actions associatives. Suivant votre situation, vous pouvez soit vous-même participer à l’étude, répondre aux questionnaires et/ou être relais, c'est-à-dire en parler autour de vous, dans vos associations régionales, en lien avec la coordination du CHV. Pour en savoir plus, vous pouvez venir me voir sur le stand jusqu’à la fin du forum. Le questionnaire international est en cours de finalisation, sachant que nous travaillons aussi avec le Brésil, l’Australie. Il devrait être disponible très prochainement, avant la fin de l’année. Et nous allons essayer de mettre une version en ligne et il sera possible de remplir cette enquête en ligne. Vous pouvez également nous contacter au 07 77 07 51 01 ou sur notre adresse mail coordination@collectif-hépatites-virales.org.

Rapport d’experts : comment les malades peuvent-ils travailler avec les médecins ? Michel BONJOUR Le rapport d’experts Hépatites a été demandé par les malades et les médecins, et nous l’avons. En introduction, je vais demander à Daniel Dhumeaux de nous rappeler l’historique de ce rapport, de nous dire quand il va être publié. Je précise que cette table ronde se veut la plus interactive possible. Daniel DHUMEAUX, Président du Comité de suivi et de prospective du plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012 Quand nous avons accepté de prendre en charge un rapport hépatites, l’argument était que jusqu’alors un certain nombre de rapports VIH avait été faits, avec sans doute des avantages non négligeables, le premier rapport Dormond datant d’il y a une vingtaine d’années, et Marianne, qui a suivi ces événements va vous dire pourquoi j’ai accepté de prendre ce rapport hépatites. C’était sans doute dû à l’importance qu’avaient connue ces rapports VIH et les retombées. Pouvez-vous nous dire pourquoi ces rapports VIH ont eu un tel succès ? Marianne L’HENNAF, Collectif Hépatites Virales TRT5 et ARCAT Je n’étais pas là au départ. J’ai commencé les rapports d’experts en 2006. C’est tous les deux ans, sachant que la dernière fois il y a eu un écart de trois ans. C’est donc mon quatrième rapport d’experts. Il est utilisé de manière un peu différente par les médecins et les patients, et encore différemment par les associatifs qui s’en servent pour montrer aux patients quelle est la prise en charge optimale. Ils permettent aux médecins d’avoir toutes les recommandations qui sont évolutives. Par exemple, aujourd'hui on traite tout le monde quel que soit le nombre de CD4. En France, on est censé appliquer ces recommandations sur tout le territoire national, c'est-à-dire que la prise en charge doit être la meilleure partout. Daniel DHUMEAUX Est-ce que cela signifie qu’un patient peut interpeller son médecin à ce sujet ?

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Marianne L’HENNAF Tout à fait. Je passe beaucoup de temps à photocopier les passages qui concernent les personnes qui viennent nous voir. Je constate que la prise en charge n’est pas toujours très bonne, mais ce n’est pas le patient qui freine pour prendre un traitement, pour faire traiter son hépatite, c'est parfois le médecin qui continue à appliquer bêtement les recommandations du rapport précédent ou celles du rapport encore d’avant. Pour beaucoup de médecins, il y a souvent un léger retard. En 2013, ils appliquent souvent les recommandations de 2010, en 2010 ils appliquaient celles de 2008. Mais si les clients sont au courant et viennent avec une feuille imprimée du passage qui les concerne en faisant remarquer à leur médecin qu’il ne les a pas dépistés pour savoir s’ils avaient une hépatite ou pas, ou s’ils sont dépistés, il n’a pas fait d’évaluation de leur fibrose. Ce genre de choses commence à se voir moins, mais jusqu’en 2008, c’est courant. Patrick FAVREL, SOS Hépatites Ce rapport expert hépatites est extrêmement important pour nous, mais la question qui nous préoccupe surtout, c’est de savoir comment ce rapport va pouvoir être mis en œuvre au sein des structures et du corps hospitalier ainsi qu’auprès des médecins, pour qu’il puisse vivre et ne pas rester lettre morte. Michel BONJOUR Peut-on mettre en œuvre ce qui n’est qu’un rapport ? Arrive-t-il que des médecins refusent que des patients appliquent les préconisations de ce rapport ? Daniel DHUMEAUX J’avais le sentiment que ces rapports VIH avaient été extrêmement importants et pas seulement pour les patients, associations de patients, tutelles, l’ensemble des professionnels de santé et les industriels du médicament. Les industriels du médicament s’intéressent à nos recommandations quant à l’attitude à adopter par rapport aux nouvelles stratégies thérapeutiques. La cible des rapports VIH et du futur rapport hépatites est très large et je pense que nous devrions avoir les mêmes retombées pour le rapport hépatites que celles pour les rapports VIH. C'est la raison pour laquelle nous avons accepté cette mission. Ce rapport hépatites n’est pas un outil, ce terme utilisé par votre Président n’étant pas très sympathique. C’est un rapport qui va générer des recommandations. Il se compose d’une vingtaine de chapitres, cinq ou six recommandations par chapitre, soit entre 100 et 150 recommandations. Il est intéressant de constater qu’à l’heure où l’on est vaguement transversal, la ministre a proposé un rapport vertical axé autour d’une thématique pathologique, les hépatites, ce qui n’exclut pas la possibilité d’une déclinaison horizontale également. Il est indiqué qu’il n’y aura pas de plan Hépatites, mais il est intéressant de noter le lapsus du Directeur général de la Santé qui parle de plan à la place de rapport. Acter qu’il n’y aura pas de plan, de programme, de stratégie de lutte au décours de ces recommandations n’est pas très constructif, c’est même contreproductif. Les Américains génèrent un plan Hépatites, un des premiers plans hépatites aux Etats-Unis, selon un modèle français. Un représentant de l’OMS a été invité à la Journée nationale des Hépatites en mai dernier, juste avant la présentation du Haut Conseil, et l’OMS génère actuellement des plans hépatites dans un très grand nombre de pays au moment où nous nous retirerions. Je vois dans l’évaluation qui été faite et ses conclusions un conseil, mais ce n’est pas pour autant que la décision a été prise par la Ministre ou le Directeur général de la Santé qu’il n’y aurait pas un équivalent. Peut-être faudra-t-il changer de mot pour sauver la face, mais au bout du compte, on voit très mal comment les 150 recommandations de ce rapport pourraient ne pas être associées à une stratégie portée par la DGS. Chaque fois que nous pouvons faire en sorte que les hépatites intègrent d’autres plans, c'est une bonne chose, mais ce n’est pas antinomique à un axe vertical. Jamais nous n’avons connu un tel

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développement en matière d’hépatites, qu’il s’agisse de la prévention, du dépistage et des thérapeutiques, avec un contrôle de l’hépatite B à 80-90% et une guérison de l’hépatite C à 90-100%. 60 molécules sont en développement, une trentaine est en phase 2.3. On ne peut comparer VIH et hépatites, car on arrête de traiter les patients à un moment donné, et c'est un argument important vis-à-vis de nos tutelles. C'est vrai que cela va coûter cher, plus de firmes vont s’y intéresser et mieux ce sera car il y aura alors une compétition dans les prix, et au fil des années on va regarder comment prendre en charge un maximum de patients, notamment les patients en situation de vulnérabilité, de façon à réduire la transmission et à éradiquer le maximum d’hépatites. Michel BONJOUR Il faut se rappeler qu’en 2002, le traitement par interféron pégylé 3 000 µ et ribavirine trois fois par semaine ne permettait de guérir que 5 ou 6% des patients. Parallèlement, la prise en charge a évolué avec l’ALD 6. Chaque année, la HAS réforme les recommandations, se penche sur les innovations. On peut voir ce rapport comme une cartographie. Je serais tenté de demander au Professeur Pageaux ce qu’il pense de ce plan en tant que moyen. Georges-Philippe PAGEAUX, AFEF Je précise que je ne suis plus secrétaire de l’AFEF depuis deux mois, mais cette histoire est née pendant que j’étais en situation. En tant que représentant des hépatologues, je dirai qu’un docteur n’est pas fabriqué au départ dans sa formation pour s’occuper des malades mais pour traiter et diagnostiquer des maladies. Tout cursus universitaire qui fabrique un médecin ne parle que de maladies. Et le VIH nous a totalement bouleversés dans notre manière de prendre en charge les patients. Aujourd'hui, ce qui passe dans le champ des hépatites vient en droite ligne de ce qu’ont appris les hépatologues de la prise en charge des malades atteints du VIH. D’autre part, nous sommes dans un moment très singulier. Pour les patients dépistés, le VHB est aujourd'hui contrôlé, au prix de traitements à long terme, peut-être avec certains effets secondaires. Et pour le VHC, nous avons ce Graal de l’éradication dans les dix prochaines années, mais au moment où nous parlons, les vérités de ce matin ne seront peut-être pas les mêmes ce soir. Les choses vont à une rapidité effrayante. Ce que nous disons à propos des molécules, des durées de traitement, des associations, change mensuellement. Au moment où ce rapport va être publié, c'est-à-dire au printemps 2014, dans le chapitre des traitements, 50% de ce qui aura été écrit sera sans doute obsolète. On le sait et on l’accepte. Il va y avoir une stratégie nationale de santé. La France est un pays où l’écrit compte. On peut se réunir deux cents fois dans l’année, chaque fois on nous dit : mais quelle est votre base ? Demain, ce rapport sera le moyen pour chacun d'entre nous d’être un interlocuteur crédible et il va totalement s’insérer dans le travail qu’a mené Daniel dans le plan hépatites. Pour le VIH, nous avons un livre, avec des choses très techniques, mais ce qui fait aussi toute la valeur de ce travail, c'est la valeur sociétale à laquelle les hépatologues n’étaient pas du tout familiers. Ce n’est pas uniquement une maladie avec une fibrose, une charge virale, c’est comment je vis aujourd'hui avec une hépatite en France, quel regard porte-t-on sur moi en fonction de la manière dont j’ai été contaminé, sachant que le regard porté sur certains modes de contamination est de plus en plus négatif. Et quand je vis dans la rue avec une maladie grave qui va coûter beaucoup d’argent, comment je me soigne, comment je me fais dépister, etc. Je suis en prison, j’ai un désir d’enfant, etc. Un tel document n’a jamais existé. Si l’AFEF que je représentais s’est fortement impliquée dans ce travail, c’est parce que j’avais la conviction que nous avions besoin, enfin, d’avoir un document de référence dont le socle, à 80%, va vivre dans le temps, mais dont les 20% qui intéressent le plus les gens dans l’immédiat devront sûrement être réévalués sous une forme ou une autre tous les six mois. Pour le plan et la manière dont il va vivre ou évoluer, le fait d’avoir ce document sera un événement important et un outil de lobbying. Chacun ira chercher ce qui l’intéresse dans ces 300 ou 400 pages, mais ce que nous allons tous regarder, ce sont les deux dernières pages de chaque chapitre, la synthèse de l’état des lieux, les recommandations qui vont

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engager les auteurs du rapport et ceux qui vont le valider. Par exemple, que va dire cette collégialité une bonne fois pour toutes sur le dépistage, universel, ciblé, quels moyens, etc. Michel BONJOUR Si je prends l’exemple du parcours de soins, il est abordé différemment selon que l’on habite dans une grande ville proche d’un centre expert ou pas. Par rapport à ce que nous faisons au Comede, les gens étant un peu dispersés autour de Paris, il est très difficile de les voir, même en consultation parce qu’ils n’ont pas de titre de transport, etc. A l’arrivée des trithérapies, il a fallu rentrer des éléments par rapport à cela dans les recommandations ALD, par exemple. Sur la dimension psychosociale, l’éducation thérapeutique, il y a des chapitres sur lesquels on n’avait jamais vraiment réfléchi, car le modèle de base était de voir ce qui avait fonctionné ou pas. Georges-Philippe PAGEAUX Comme dans tout document, chaque chapitre sera suivi de recommandations. Au final, on va regarder ce rapport, le faire vivre, l’exploiter, communiquer, et cinq ou six points clés vont émerger. Daniel DHUMEAUX Lorsque les patients, les associations de patients, l’Association Française pour l’Etude du Foie, d’autres sociétés scientifiques, la DGS, ont un objectif commun et que l’on met le patient au centre de la problématique, cela devient simple. Quel est l’intérêt du patient dans la problématique ? Si l’on met les tutelles, les sociétés savantes, les patients et associations de patients sur le même terrain, ils sont d’une efficacité redoutable. C’est ce qui s’est passé pour l’obtention de l’ATU de cohorte pour ce que j’appelle les « pré-pré ». Nous l’avons tous vécu. Communiqué de presse de l’AFEF, communiqué des associations de patients, implication de la DGS. Avec la difficulté d’avoir en face de nous des industriels outre-Atlantique qui, jusqu’à hier, refusaient cette ATU de cohorte, comme ils avaient commencé par refuser l’ATU de cohorte « pré ». Ce qui signifie que lorsque l’on a un objectif commun à destination du patient, il n’y a aucune raison que les choses n’avancent pas, et elles ont avancé récemment. C’était un problème si aigu que tout le monde s’y est mis, et nous avons eu la réponse hier soir. Les Etats-Unis ont accepté. Ce n’est pas terminé, il faut modifier l’article 39. Nous, nous réglons le problème de l’article 39 par l’ATU de cohorte en l’élargissant. Dans la mesure où il va y avoir 150 recommandations, je vois mal comment on pourrait les décliner sans la mise en place d’un comité paritaire en charge de cela, qui pourrait s’appeler Comité national de lutte contre les hépatites virales B et C, par exemple. On n’a pas à dire aujourd'hui qu’il n’y a plus de plan hépatites puisqu’il y a une logique sur un projet vertical de la ministre de déclinaison d’un programme qui pourrait être une exception liée au fait qu’on est dans une cinétique exceptionnelle d’éradication d’une maladie virale, la seule maladie virale chronique aujourd'hui curable. Nous allons voir comment tout cela évolue au fil des mois, mais je suis plutôt optimiste. Michel BONJOUR D’autant plus que le travail considérable réalisé autour du plan, ce sont aussi des actions dont certaines sur le terrain ne sont toujours pas abouties. Si je prends l’exemple de la vaccination, notamment dans les CSAPA, et du dépistage de l’hépatite B, même si des moyens ont été donnés, il reste du travail à faire pour sensibiliser les gens, les former. Après ces recommandations, il va falloir être vigilant au niveau associatif pour les faire vivre. Marianne L’HENNAF Dans le rapport VIH, il y avait au départ un comité de suivi des recommandations, dont une bonne partie concernait les médecins et la bonne pratique clinique pour que la prise en charge soit optimale et à peu près la même partout, et un certain nombre étant destinées à

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l’amélioration du dépistage, des enquêtes épidémiologiques. Par exemple, il n’y pas d’enquête sur la prévalence de l’hépatite B en prison, dans les Dom Tom, etc. Les médecins utilisent ces recommandations pour demander des améliorations, sachant que si elles ne sont pas accompagnées de moyens, elles resteront des vœux pieux. C’est après un rapport d’experts et des recommandations que nous avons obtenu, par exemple, le décret sur l’éducation thérapeutique. Les associatifs utilisent les mêmes recommandations soit pour pousser en même temps, soit pour demander des choses qui n’existent pas encore et que nous voudrions voir appliquer, comme les TROD qui sont également venus de recommandations, ou le remboursement de tel ou tel produit.

Echanges avec la salle Patrick FAVREL Je reste tout de même un peu sceptique par rapport à vos propos. Je reprendrai ce qu’a dit Georges Pageaux sur la quête du Graal. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont les molécules et les nouveaux traitements qui sont sous les feux de la rampe et je ne suis pas certain que le patient soit au cœur du dispositif médical. Avant, le leitmotiv était : plus tôt le patient sait qu’il a une hépatite, plus vite il peut se soigner. Si je me réfère au workshop de l’an dernier sur les co-infections, on disait être maintenant sur F3-F4. Pour F2, si le malade insiste un peu, on préconisait quand même un traitement compassionnel, mais de laisser dans le tiroir F0 et F1. En bithérapie, le traitement s’élève à environ 20 000 €, en trithérapie il s’élève à 45 000 €, et les nouveaux traitements vont être encore plus chers. Il y a donc un vrai problème de coût, qui a une incidence sur le moment où les patients vont être pris en charge. En Europe de l’Est, les TROD sont appliqués directement, alors qu’en France, nous les attendons depuis trois ans. Nous avons à peu près 250 000 personnes à dépister, VHC et VHB confondus. Et la question qui va se poser est de savoir si par rapport à ces traitements le corps hospitalier est à même et en capacité de. Dernier point, je me souviens des remarques de Michel Bonjour sur le fait que le plan Hépatites avait du mal à descendre, à se faire dans les régions. Je ne suis pas certain qu’au niveau du rapport d’experts, cela puisse se passer autrement. Michel BONJOUR A l’heure actuelle, ma préoccupation, c’est que les gens déjà dépistés soient dans un vrai parcours de soins et soignés, ce qui est loin d’être le cas. C’est bien de vouloir dépister tout le monde mais pour en faire quoi ? Et concernant le coût des traitements, il faut savoir que plus il y aura de traitements, plus les coûts diminueront. Il faut mettre en balance le fait d’éviter une greffe ou des complications telles que la cirrhose décompensée, et donc des journées d’hospitalisation. Pour la DGOS, le malade de l’hépatite quand il n’est pas gravement malade ne va jamais à l’hôpital et a une visite qui ramène 25 € à la T2A. On a du mal à faire comprendre aux politiques de tous bords en France qu’investir un peu aujourd'hui, c'est éviter de grosses dépenses demain. Nous avons des arguments à faire valoir, mais il faut que nous soyons tous ensemble pour les faire valoir. Peut-être sommes-nous trop timides, même par rapport aux labos. Pour revenir à la question de l’ATU, en mai 2001 nous avions mis en place l’AACHV, les Activistes Associés contre l’Hépatite C. A l’époque, il n’y avait qu’une molécule pour l’hépatite B qui s’appelait la lamivudine, et puis celle d’un laboratoire, l’adéfovir, lequel refusait de la donner en ATU. Le jour de leur assemblée générale, nous avons bloqué leurs mails, leurs lignes téléphoniques. Et deux mois plus tard, nous avions l’adéfovir en ATU. Concernant les préoccupations financières, je suis prêt à en discuter avec vous à l’issue du forum. La France est le cinquième pays le plus riche du monde, et quand il s’agit de guérir les gens, on ne peut pas ergoter. Georges-Philippe PAGEAUX Tout est une question de symbole. Beaucoup de choses coûtent extrêmement cher en médecine. Il y a eu le prix de l’ATU du Sofosbuvir en pré et post-greffe pour trois mois, soit 19 000 € par mois et 650 € le comprimé. C'est très symbolique, sachant que nous sommes

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probablement le dernier pays du monde à donner le traitement avec des boites conditionnées pour 28 jours. Ce débat arrive et tourneboule. J’ai tendance à penser qu’il faut revenir à des choses un peu rigoureuses et scientifiques. Il y a peut-être une confusion dans ce que vous avez dit sur dépister et ne pas traiter. Oui, il faut connaître la maladie à son stade le plus précoce, mais pas obligatoirement pour la traiter. Aujourd'hui à F0-F1, mon travail d’hépatologue va être d’agir sur les co-morbidités. Je ne vais pas traiter, que ce soit en bithérapie, en nouvelle trithérapie ou en monothérapie per os, mais simplement parler au patient de son alimentation, de sa consommation d’alcool et de tout ce qui se passe à côté car c'est ce qui peut le conduire à la cirrhose en raison de ces co-morbidités. L’intérêt du dépistage n’est pas obligatoirement suivi d’une sanction thérapeutique. Aujourd'hui, les sociétés savantes continuent de dire qu’il faudra traiter les patients les plus sévères, car lorsqu’on va vouloir modéliser que le traitement aujourd'hui des 50 000 patients évitent les 150 000 euros dans dix ans de la transplantation et du cancer, cela ne concerne donc que les patients F3-F4. Il faut veiller à la manière de manier les symboles. Le deuxième débat portera sur le fait de traiter tout le monde, y compris dans une vision de santé publique, pour éviter que les gens se contaminent. Je ne parle plus du patient en tant que tel, mais du qui peut contaminer dans son mode de vie. Il va falloir le démontrer. Certains infectiologues affirment qu’une infection chronique, indépendamment du degré de fibrose, est délétère en termes de risque cancéreux à long terme. D’accord, mais on le démontre. Je pense qu’on a trop souvent été dans un discours d’interpellation « il n’y a qu’à », « il faut qu’on », et oublié que ce qui se fait en médecine doit être basé sur des preuves. Il y a quelques années, une étude française avait fait ressortir qu’après avoir traité plusieurs milliers de personnes, les meilleurs résultats étaient les F0-F1 et le laboratoire a communiqué sur ces résultats. Ce qui m’a horrifié en tant qu’hépatologue, c'est qu’on ait traité tant de personnes au stade F0-F1. Pourquoi ces médecins se sont-ils autorisés à s’affranchir et à donner de l’interféron à des gens qui n’en avaient pas besoin ? On ne peut pas ignorer les coûts, sinon on n’est pas une société responsable, et il ne faut alors pas s’étonner qu’on nous prenne pour des irresponsables. On doit savoir. Je m’occupe de transplantations, et seuls 20% des patients connaissent le coût de leur maladie, c’est scandaleux. 80% d’entre eux ne regardent même pas. C'est un problème d’éducation collective. Il faut que nous sachions ce que cela veut dire, et nous devons nous réjouir encore de vivre dans ce pays. A la question de savoir si cela peut avoir un impact à terme dans l’ambiance sociétale, il faut être vigilant et donc revenir à des choses médicales. Si notre système de soins continue à le permettre, il faudra que nous ayons les moyens de traiter au mieux les patients qui en ont besoin. Ce qui vient d’être fait sur la modification de l’ATU est formidable, le lobbying est efficace, il est basé sur des preuves, ces patients sont à six mois près de traitement, c’est parfois moins. Il faut veiller à ce que les raccourcis ne nous fassent pas perdre en crédibilité. Marianne L’HENNAF De quelle manière les associations peuvent-elles utiliser le rapport d’experts hépatites ? Si je prends l’exemple du VIH, quand en groupe de parole ou en entretien téléphonique des personnes se posent la question de savoir si elles sont bien suivies ou pas, il est assez facile de leur montrer le passage relatif à la bonne prise en charge, de le leur imprimer afin de leur permettre ensuite d’aller voir le médecin et de lui expliquer qu’elles ont le droit de changer de traitement parce qu’elles ont beaucoup d’effets indésirables, etc. En général, le médecin est d’accord, il ne peut plus se défiler. Souvent, c’est parce qu’il n’est tout simplement pas au courant, parce qu’il n’a pas compris la plainte du patient ; sachant que certains patients ne se plaignent pas devant le médecin mais viennent se plaindre devant nous. Pour l’hypotrophie du visage, par exemple, il est facile de lui montrer qu’il existe des produits de comblement. Nous avons obtenu le remboursement de ces produits grâce à des recommandations du rapport précédent. Il suffit au médecin de faire une ordonnance pour que la personne aille chez un plasticien ou un médecin qui sait injecter le New Fill qui est

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pris en charge. C’est la même chose pour tous les chapitres. S’il y a un désir d’enfant, on a prouvé que la procréation naturelle, si on prend les bonnes précautions et que l’on remplit les conditions, est maintenant une alternative à la PMA qui est très lourde. Je pense qu’il est possible de faire la même chose dans les hépatites. Lire ces recommandations nous permet d’actualiser nos connaissances et d’être relativement à jour. Même chose pour les patients car nous pouvons leur décrypter l’évolution des connaissances et des thérapeutiques. A l’avenir, il sera sans doute possible de combiner plusieurs molécules qui seront indiquées pour certaines personnes et pas pour d’autres. Mais cela va prendre du temps. Daniel DHUMEAUX C’est très intéressant car les hépatologues vont changer de culture. Nous avons toujours été dans des situations de traitements codifiés. A l’heure actuelle, nous avons deux agents pour traiter l’hépatite B. Pendant dix ans, nous avons eu de l’interféron tout seul, de l’interféron avec de la ribavirine, et notre AMM était l’interféron tout seul, puis l’interféron avec la ribavirine, puis nous avons eu une nouvelle AMM pour le G1, interféron pégylé ribavirine, antiprotéase, télaprévir ou bocéprévir, et nous entrons dans une nouvelle dimension que je n’avais même pas appréhendée. Je pensais que s’il y avait une AMM siméprévir, ribavirine, interféron, on devrait éventuellement suivre l’AMM de chacune de ces molécules, mais comme pour l’hypertension artérielle, le diabète ou le VIH, nous aurons probablement des molécules, pouvant s’appeler siméprévir, daclastavir, sofosbuvir, qui seront à la disposition des patients via les médecins. Pour un temps, les hépatologues pourraient être ceux ayant la culture la plus grande de ces molécules. Nous sommes en train de changer totalement de paradigme et il faut savoir s’adapter à cela. Avec vous et avec les tutelles, nous pourrions imaginer avoir des règles de recommandations. Par exemple, face à un patient naïf sans cirrhose, G4, n’ayant pas répondu à un traitement, quelles sont les stratégies thérapeutiques les plus efficaces. Il faut essayer de générer les meilleures combinaisons. Georges-Philippe PAGEAUX Je suis tout à fait d’accord. En 2014, personne ne fera siméprévir-interféron-ribavirine, on fera siméprévir-sofosbuvir pour les G1-G4. On est effectivement en train de changer la manière de traiter les patients. La majorité des prescriptions qui seront faites à partir de 2014 seront probablement hors AMM, ce qui pose un problème de responsabilité. Une consultation médicale, ce sont deux personnes face à face. Si demain, on fait une planification poussée à l’excès, il n’y a plus besoin de médecin, seulement un petit logiciel. On rentre les données G1, naïf, F3, AMM, recommandations, la machine imprime l’ordonnance. Et cela permettra de faire beaucoup d’économies. Il y a une dizaine d’années, un éditorial avait été fait dans la prestigieuse revue Lancet par un Britannique qui mettait en garde sur le fait que si l’on n’y prenait pas garde, on risquait de n’être plus que des retranscripteurs de recommandations, de guidelines, de consensus etc. Au final, ce ne sont que des outils et en tant que médecin, avec ma culture, mon histoire, face au malade avec sa culture, son histoire, je prends une décision thérapeutique. Ce sera un état des lieux, une base de réflexion. Il faut s’assurer que la décision est la bonne et accepter qu’au final, cela se joue dans une rencontre, dans un petit espace, d’où émerge une prise en charge. Michel BONJOUR Heureusement que dans les plus de vingt chapitres il n’y a pas que les molécules. Si le patient s’est vu prescrire par son médecin un traitement qu’il doit conserver dans le frigo, alors qu’il vit dans la rue, il y a un problème. Il y a des chapitres qui concernent l’aspect psychosocial. J’apprends régulièrement à des gens suivis dans de grands hôpitaux et qui ont des problèmes alimentaires, qu’ils ont droit à une consultation avec une diététicienne, parce que je sais qu’il y en a une, sauf que personne ne le leur a dit. De nombreux problèmes seront abordés qui vont bien au-delà du choix des molécules qui, je l’espère, ne se fera pas par ordinateur.

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Danièle DESCLERC-DULAC Ce qui se joue ici, c’est justement le rôle des associations de patients. Dans un forum comme celui-là, il faut absolument que là où nous sommes, nous nous approprions un certain nombre de choses et qu’au-delà des nouveaux traitements, de nouvelles molécules, les associations de patients jouent véritablement leur rôle, et soient éduquées et formées pour le jouer jusqu’au bout. C’est nous qui sommes en relation avec les patients en difficulté, fragilisés, et si nous n’allons pas vers eux, si nous ne leur proposons pas de les accompagner, qui le fera ? Nous sommes au cœur du problème. Il y a la technique, l’évolution des traitements, mais jamais on ne remplacera ce rapport singulier entre un médecin et son patient, et on ne remplacera pas non plus le rôle que les associations de patients éduqués et formés pourront jouer dans cet accompagnement. Il faut le souligner à une période où l’on a quand même une crise du bénévolat. Même s’il ressort cinq ou six recommandations clés de ces 150 recommandations, je crois qu’il faut absolument y intégrer les associations de patients et ceux qui ont envie d’œuvrer dans ce parcours. Michel BONJOUR A cette table ronde, il manque un interlocuteur, c’est la Fédération des Pôles et Réseaux. A l’époque des premières journées nationales sur les hépatites, nous avons fait des choses extraordinaires. Après, il y a eu la journée mondiale, et entre-temps certains ont disparu ou sont moins actifs. En tant qu’association, nous avons un rôle à jouer avec eux. C’est dans les réseaux que l’on rencontre les infirmières, certains généralistes, des pharmaciens qui eux aussi attendent les molécules pour les distribuer. Notre place dans les réseaux est à reconquérir. De la salle Il y a une autre catégorie de population, ce sont les femmes ayant des maladies extra-hépatiques. Combien de temps va-t-on attendre avant de les traiter ? 75% des femmes font de l’extra-hépatite contre 25% d’hommes. Nous avons en face de nous des non-répondeurs, et les médecins ne nous répondent pas. Georges-Philippe PAGEAUX Ils doivent vous répondre. C'est un point très technique, mais dans les recommandations qu’a faites l’AFEF au moment de l’arrivée des deux premières molécules, télaprévir et bocéprévir, ce point était abordé, et il était recommandé de traiter les patients ayant des manifestations extra-hépatiques indépendamment du score de fibrose. La recommandation existe, elle a été faite par la société savante, il faut l’appliquer, beaucoup l’ont fait. Ne soyez pas dans l’illusion que sous le terme docteur, médecin, se cache une population extrêmement homogène. Nous sommes tous à la base ce que l’on appelle des hépato-gastroentérologues, puis cela se divise en deux avec d’un côté ceux qui s’occupent du virus, de l’autre ceux qui s’occupent de la cirrhose. Ce n’est pas si surprenant de tomber sur un interlocuteur qui n’est pas au fait des dernières innovations. D’où la nécessité de bien préciser que c’est très collectif et qu’à un moment il y a besoin de sous-spécialités. Ce point est très technique, mais la recommandation existe. Le rôle d’une association est peut-être de dire qu’il faut arrêter d’inviter les sur-spécialistes dans les forums et plutôt inviter ceux qui sont moins spécialistes. Michel BONJOUR On constate quand même une évolution dans la formation des jeunes médecins. Une adhérente de mon association a été dépistée par son rhumatologue qui a prescrit une recherche de cryoglobulines. En fait, elle avait des problèmes de neuropathies périphériques. Cela a été le meilleur argument pour lui faire suivre le traitement et grâce à la bithérapie, elle a guéri en six mois. Marianne L’HENNAF

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Beaucoup de médecins attendent les nouvelles molécules, sachant qu’une arrive bientôt et qu’une ou deux seront en ATU. Le problème est que certains les attendent depuis quinze ans. Quand on avait l’interféron, ils attendaient le pégylé, après ils attendaient les anti-protéases. En attendant, les patients avaient le temps d’être décompensés et de développer une cirrhose. J’en ai même connu un qui attendait les cellules souches. On en parle depuis vingt ans, mais les choses avancent très lentement. Il faut être raisonnable et ne pas attendre infiniment. Michel BONJOUR Je ne sais pas si on peut dire que les choses avancent doucement. J’ai lu récemment que les progrès en biologie moléculaire avaient été bien plus importants que tout ce que l’on connaît de la médecine depuis son origine jusqu’à la découverte de la biologie moléculaire. Patrick FAVREL Je voudrais revenir sur les ALD. Classiquement, nous avions des ALD sur trois ans, et lors des groupes de parole et des formations, certains médecins nous ont dit que les ALD pouvaient être refusées par la CPAM ou n’étaient accordées que sur six mois. Ce n’est pas une critique, mais on est peut-être sur un changement de culture, auquel cas il faut vraiment que tout le monde partage les mêmes informations. Globalement l’ADL ne serait donnée qu’à partir du moment où le patient est en traitement, ce qui pose quand même quelques difficultés pour les patients qui n’ont pas de mutuelle. Vous disiez tout à l’heure que certes on dépiste pour suivre, mais ce n’est pas pour autant que l’on met le patient en traitement. La question qui se pose, c’est quid des examens, des analyses médicales, etc., si on n’a pas d’ALD. Georges-Philippe PAGEAUX Je vous confirme que depuis plusieurs années un patient n’est mis en ALD pour l’hépatite C que si le traitement a débuté, sauf s’il est au stade de cirrhose. Ce ne sont pas les nouvelles molécules qui vont changer quoi que ce soit. Après, c'est un débat qui nous dépasse. Là où je suis d’accord avec vous, c’est qu’il faut peut-être que l’ensemble de la société arrête d’avancer masquée, du plus haut au plus bas niveau. Michel BONJOUR Un patient qui n’a pas besoin d’ALD a une visite de contrôle par an et trois fois une numération formule sanguine et des transaminases. Combien doit-on lui rembourser ? C’est aussi cela la solidarité nationale. Pour pouvoir prescrire des traitements de 30 ou 40 000 € à des patients, il faut bien payer un peu. Il y a des débats avec les associations sur cette notion du reste à charge. On ne peut pas tout avoir gratuitement. Les gens très pauvres ont la CMU complémentaire, et on leur paie une mutuelle pour cela. Marianne L’HENNAF Il faut bien payer les Fibrotest, les Fibroscan. Michel BONJOUR Mais on ne fait pas un Fibrotest tous les six mois. Je rappelle qu’en consultation externe à l’hôpital, on ne paie pas le Fibrotest ou le Fibroscan. Je vous remercie d’avoir participé à cette table ronde.

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Table ronde VIH, VHB, VHC : Quelles cohabitations pour les co-infections ?

Michel BONJOUR Nous devions avoir une intervention de Julie Nouvion du CRIPS et du Conseil Général d’Ile-de-France, mais elle est retenue par les agriculteurs bretons. Marianne L’HENNAF La table ronde s’intitule « Quelles cohabitations pour les co-infections ? ». J’étais moi-même co-infectée, et la prise en charge de la co-infection a beaucoup évolué, et heureusement car de 1996 à 2006 elle n’était pas extraordinaire. Certains infectiologues s’occupaient déjà de l’hépatite et avaient tout compris, d’autres ne s’en occupaient pas. De nombreux patients n’étaient même pas dépistés et lorsqu’ils l’étaient, l’hépatite n’était souvent pas évaluée alors que le Fibrotest et le Fibroscan étaient déjà utilisés à l’hôpital. La plupart du temps, le traitement n’était pas proposé ou de manière si peu convaincante que les patients ne le faisaient pas. Tout le monde attendait de nouvelles molécules et beaucoup de co-infectés décédaient de leur cirrhose. Il y a eu une sorte d’onde de choc en 2005 avec la conférence de consensus sur la co-infection et la prise en charge a été considérablement améliorée. Le Professeur Lionel Pirot de l’hôpital de Dijon et le Professeur Georges-Philippe Pageaux de l’hôpital Saint-Eloi de Montpellier vont vous présenter la synthèse des recommandations du chapitre « Co-infections » du rapport VIH. Pr Lionel PIROTH, Hôpital de Dijon Je tiens à remercier les organisateurs de m’avoir convié à participer à cette table ronde en très bonne compagnie. J’introduirai cette table ronde en vous présentant quelques points saillants du rapport de prise en charge des personnes infectées par le VIH et co-infectées par les hépatites. L’introduction du rapport précise bien que dans tous les cas, la complexité de la prise en charge à la fois des infections par le VIH et des infections par les hépatites impose une prise en charge pluridisciplinaire, à savoir non seulement les médecins spécialisés VIH, mais les hépatologues, les alcoologues, les addictologues, les psychiatres, les réseaux de soins et les associations de patients. Quelques mots sur la co-infection VIH/VHB, qui pose le moins de questions, en tout cas sur la gestion pratique. 7% des personnes infectées par le VIH ont une antigénémie HBs positive, et 12% d’entre eux sont également infectés par le virus de l’hépatite delta. Ces personnes ayant des maladies présentant un réel potentiel évolutif, ils doivent faire l’objet d’une grande vigilance. Quand bien même on n’a pas de traitement à proprement parler éradicateur, le traitement antirétroviral de l’infection par le VIH comprend des molécules également actives sur le VHB et notamment celle qui a probablement le meilleur rapport en termes d’efficacité sur le long terme, à savoir le ténofovir. Le traitement antirétroviral englobe un traitement anti-VHB, ce qui est essentiel sur le plan clinique, à telle enseigne qu’une étude réalisée récemment mais non encore publiée montre que non seulement on n’a pas objectivé de forme plus grave chez les patients co-infectés par rapport aux patients mono-infectés et on a l’impression de voir moins de choses, notamment en termes d’hépato-carcinome. La question est de savoir dans quelle mesure des personnes traitées pendant très longtemps par un traitement anti-HVB viro-suppresseur n’ont pas un bénéfice clinique, auquel cas les patients co-infectés VIH/VHB, ayant un traitement anti-VHB, pourront en tirer bénéfice. C'est la co-infection VIH/VHC qui pose beaucoup de questions. En termes d’épidémiologie, on a longtemps considéré que 25% des personnes infectées par le VIH étaient aussi infectées par le VHC, et les dernières enquêtes laissent à penser que c'est plutôt entre 16 et 19%. Et l’on voit que la transmission par usage de drogue par voie intraveineuse diminue,

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mais que la transmission par voie sexuelle, homosexuelle ou hétérosexuelle, augmente. Il nous manque encore des données concernant le profil et le passé thérapeutique de ces personnes, mais nous devrions les avoir d’ici quelques mois. Cela représente entre 25 et 30 000 personnes. Il s’agit de savoir lesquelles ont été traitées, lesquelles sont en échec de traitement et quels sont les types d’échec, sachant que ces données vont conditionner les urgences thérapeutiques de demain et ce sur quoi il faudra particulièrement insister dans le développement des nouveaux médicaments dans le domaine de la co-infection. En termes de génotype, on voit que les génotypes 1 restent majoritaires chez les personnes co-infectées, que les génotypes 4 sont en augmentation et c'est probablement en rapport avec l’augmentation des cas de transmission de l’hépatite C par voie sexuelle, alors que les génotypes 3 sont plutôt en diminution, du fait de l’impact indirect de l’efficacité des traitements. Il est important de voir qu’il y a une évolution du profil des personnes co-infectées. Un profil est majoritaire, que nous connaissons tous, celui des personnes infectées depuis très longtemps, qui ont eu une phase d’infection par le VIH sans traitement, puis qui ont eu des traitements toxiques pour le foie, et qui ont donc vu évoluer une maladie hépatique sévère et se retrouvent actuellement avec une cirrhose. Un autre profil concerne les patients contaminés plus récemment, pris en charge beaucoup plus tôt, avec des traitements efficaces sur le VIH et, dans une certaine mesure, sur le VHC, avec une moindre hépato-toxicité, et donc une évolution très proche, voire similaire, de celle observée chez le patient mono-infecté par le VHC. Il n’en demeure pas moins qu’être co-infecté par le VIH et le VHC reste grave, que l’hépatite est la première cause de décès et qu’elle représente 43% de l’ensemble des causes. En pratique, la prise en charge des personnes ayant une hépatite C chronique et infectées par le VIH, comme l’a dit Marianne, c'est déjà l’évaluation de la fibrose. La ponction biopsie hépatique a longtemps été un frein pour beaucoup de monde, et il existe maintenant de nombreuses méthodes non-invasives. La seconde contrainte dans la prise en charge est de mettre en route un traitement antirétroviral qui apporte un bénéfice sur l’évolution de l’hépatite C. La difficulté est qu’il faut anticiper le choix du traitement antirétroviral et la possibilité d’un traitement de l’hépatite C derrière, mais également décider de l’indication et des modalités du traitement. De nombreuses molécules sont en phase de développement, l’idée globale étant d’obtenir à la fois plus d’efficacité, surtout pour les personnes qui ont des taux de réponse très faibles à la bithérapie, et plus de simplicité, surtout pour les personnes qui ont déjà de bons taux de réponse à la bithérapie. Si on peut allier les deux, c’est encore mieux. Les personnes infectées par le VIH ont quelques particularités qui méritent d’être individualisées en tant que telles. Des particularités en termes d’histoire naturelle, avec une charge virale VHC souvent plus élevée, des différences en termes de polymorphisme du VHC qui peuvent impacter la réponse. On sait qu’il y a beaucoup plus de co-morbidités qui peuvent impacter la probabilité de réponse au traitement, les co-morbidités pouvant être les stéatoses, les stéatoses hépatiques, l’insulino-résistance, etc. Et au final, on a plus de fibrose et plus d’interactions médicamenteuses. Le fait que le patient ait besoin d’un traitement antirétroviral complique un peu les choses et on ne peut pas utiliser tous les anti-VHC avec tous les antirétroviraux, loin s’en faut. En novembre 2013, quelles sont les molécules à disposition ? Le bocéprévir qui offre un temps de réponse virologique soutenu de 61%. A noter que le taux de réponse virologique des patients infectés par le VIH est à S8, c'est-à-dire que la probabilité d’atteindre une indétectabilité est un peu décalée dans le temps. C'est probablement lié à des particularités immunologiques et virologiques de l’infection VIH/VHC. Chez les patients prétraités, on n’a pas encore les résistants, mais on est à peu près à 56%. C’est assez proche de ce que l’on voit chez les mono-infectés dans pareil cas. Avec le télaprévir, on obtient des taux de réponse virologique soutenus à peu près équivalents avec la mono-infection, mais quand on

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regarde la composition des populations, on constate qu’il y a deux fois moins de personnes avec des fibroses et, en l’occurrence, des cirrhoses. L’essai ANRS en cours montre des réponses de fin de traitement très encourageantes chez les patients en échec d’un traitement antérieur. Quelles sont les nouvelles molécules offrant des résultats ? Il en existe quelques-unes. Le faldaprévir, le siméprévir, pour lesquels les taux de réponse sont à peu près équivalents à ceux du bocéprévir et du télaprévir, mais les durées de traitement sont potentiellement plus courtes, pouvant être ramenées à six mois lorsque les conditions sont favorables. Et le sofosbuvir, pour lequel on a des résultats préliminaires chez les génotypes 2 et 3. Sur des traitements très courts de trois mois, les taux de réponse sont satisfaisants, soit 81% pour les génotypes 2 et 67% pour les génotypes 3. Et c’est en cours pour les génotypes 1, mais les résultats très préliminaires sont encourageants. Les développeurs ont compris l’intérêt à faire des études relativement tôt chez les personnes infectées par le VIH. Des essais sont en cours dans la co-infection, dont on n’a pas encore les résultats, pour évaluer les molécules, avec le souci de l’interaction, des spécificités des personnes co-infectés. Au final, le rapport évoque la conduite thérapeutique à tenir face à un patient co-infecté VIH/VHC. Elle dépend des critères d’urgence, et plusieurs solutions sont proposées, mais on est toujours dans ce questionnement perpétuel de l’attente, c'est-à-dire faut-il agir avec ce dont on dispose actuellement ou est-on en droit d’espérer plus, mieux, et assez rapidement des nouvelles molécules qui vont arriver. Un élément est essentiel, c'est la décision de la personne concernée par la démarche. Il faut tenir compte du degré d’urgence, mais plus on se rapproche des AMM prévisibles, plus cette attente va peser lourd en termes de temporisation. Nous avons besoin de ces essais thérapeutiques, et il est important de privilégier les ATU et l’accès aux ATU, ce qui n’est pas forcément évident actuellement. Le rapport a mis en exergue le problème de la cirrhose. Il faut rappeler aux infectiologues que la cirrhose est une étape importante dans la maladie qui nécessite une prise en charge spécialisée, notamment avec les hépatologues. Cette étape fondamentale peut conduire dans certains cas à la transplantation. Or, le problème est qu’il y a relativement peu de patients co-infectés transplantés et que leur pronostic est moins bon. Plusieurs raisons à cela qui sont inhérentes notamment à l’historique thérapeutique, mais celle qui prévaut est que les personnes co-infectées VIH/VHC sont référées trop tard du fait d’une réticence à la fois des patients et des médecins qui ne sont pas formés à cette problématique, notamment les infectiologues dont je fais partie. Décider la transplantation beaucoup trop tard est pénalisant. Autre point important dans le rapport, tout ce qui concerne l’éducation thérapeutique et l’accompagnement associatif. L’éducation du patient est fondamentale parce qu’elle permet d’acquérir les techniques, de faciliter l’adhésion au traitement et la relation de confiance, qui est fondamentale dans de tels traitements. Cela permet au patient d’être autonome, de gérer son traitement et de perturber le moins possible sa qualité de vie. Ce doit être particulièrement renforcé avec les trithérapies anti-VHC, notamment chez les personnes infectées par le VIH car tout problème survenant dans le cadre du traitement d’une infection aura des répercussions dans le traitement de l’autre infection. Il faut donc voir la globalité des problèmes. L’accompagnement thérapeutique est également une notion qui a été mise en exergue, et notamment sur son rôle complémentaire avec l’éducation thérapeutique et les associations de patients. Il faut mettre, autant que faire se peut, les personnes avant, pendant ou après traitement, en contact avec les associations. Pour terminer, il ne faut pas oublier toutes les démarches de prévention, qui passe par la vaccination, par l’information. Il s’agit de renforcer les messages de prévention à la fois pour l’hépatite B et l’hépatite C, notamment pour les personnes qui ont guéri d’une hépatite C. Une cohorte hollandaise a montré que 15% des personnes traitées pour une hépatite C

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aiguë transmise par voie sexuelle se recontaminaient dans l’année ou l’année et demie suivante. Ce qui suppose une surveillance. Après avoir obtenu une éradication virale sous traitement, bien vérifier que les choses en restent là. Je terminerai en disant que Marianne, Philippe et Georges-Philippe ont contribué à la rédaction de ce chapitre.

Echanges avec la salle Marianne L’HENNAF On sait que les infectiologues n’adressent pas toujours les patients à un hépatologue et qu’ils prennent donc eux-mêmes tout en charge. C'est la raison pour laquelle le chapitre sur la prise en charge a été si détaillé et si pratico-pratique. Philippe SOGNI Vous avez accès au chapitre sur le site et vous pouvez faire des retours au groupe pour la mise à jour future. Depuis 2006, un certain nombre de progrès ont été faits, avec des réunions communes, des staffs communs localement, des échanges de plus en plus précoces avec les patients. Marianne L’HENNAF De 1996 à 2005, les infectiologues ne s’occupaient pas vraiment de la co-infection, ils s’occupaient principalement du VIH, et à partir de 2005 les choses ont commencé à bouger. Nous avons fait beaucoup de bruit pour que les infectiologues soit se forment et s’en occupent, soit travaillent en partenariat avec les hépatologues et envoient les patients aux hépatologues. Philippe SOGNI On peut dire également que les choses ont évolué grâce au développement des méthodes non-invasives. Je ne dis pas que la biopsie est devenue totalement inutile. Georges-Philippe PAGEAUX On s’est demandé à quoi servait un rapport de plus, c'est-à-dire un rapport hépatites versus un rapport VIH. Sur ce thème, on fait beaucoup de cohortes. L’information majeure que nous avons eue dans les années 2005 concernait la cause du décès des patients. Un patient co-infecté VIH/VHC va d’abord mourir de son foie. Pour moi, c'est le point de départ. Et ce sont des résultats de cohortes drivées par l’ANRS. Si je prends l’exemple de la partie cirrhose transplantation, on a tous l’impression que c'est plus grave chez les patients co-infectés, que chez les patients mono-infectés, mais quel est le niveau de preuve ? Nous allons avoir des réponses à cette question parce qu’on va mettre en lien des cohortes de patients co-infectés et mono-infectés et répondre à une question simple qui est de savoir si lorsque la cirrhose est installée le cancer survient plus vite, si la cirrhose se décompense plus vite, et s’il va donc falloir les transplanter différemment et peut-être plus rapidement. En matière de transplantation, les patients sont en compétition. C’est choquant, mais c’est une réalité. Il y a aujourd'hui un donneur pour deux personnes et demi en attente d’une greffe. Il nous appartient de nous organiser pour savoir où mettre la priorité. Votre niveau de priorité immédiat sera d’essayer de transplanter tous les patients co-infectés ou tous les patients ayant une hépatite C. Sauf qu’il y a toutes les autres indications et que nous devons revenir à la nécessité de prouver ce que nous avançons. Un rapport, des cohortes, une agence nationale, tout cela est très lié dans l’intérêt du malade et peut-être qu’en 2014, on mettra en évidence que l’histoire naturelle des patients co-infectés est différente de celle des patients mono-infectés et qu’il faut changer les règles d’attribution des greffons. Marianne L’HENNAF A propos de la transplantation, nous avons une idée au TRT-5 et au CHV qui est de pouvoir transplanter des organes de patients séropositifs décédés à d’autres patients séropositifs, ce qui augmenterait le pool de greffons. Il faudra évidemment faire un tri, sachant que nous ne

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pourrons pas prendre les organes de tous les séropositifs décédés. Tout le monde ne semble pas d’accord avec cette idée, mais je pense qu’elle peut être évaluée. De la salle Concernant l’évolution des pratiques, l’apport des techniques non-invasives et l’impact qu’a eu le fait de découvrir que l’hépatite était la première cause de mortalité des personnes co-infectées, je vois une progression liée à des échanges, à une acquisition d’un savoir, à une appropriation. Quand on regarde les premiers essais de bithérapie chez les personnes co-infectées, les taux de réponse étaient ridicules. L’apprentissage, la mise à disposition de techniques plus simples, ont joué, mais je le vois comme un processus linéaire qui s’est fait par des échanges entre spécialités et par un partenariat avec les personnes concernées. Quand on voit les essais réalisés aujourd'hui sur des personnes co-infectées, on se dit qu’elles ont le cuir sacrément épais, c'est-à-dire qu’elles sont prêtes à faire énormément de choses parce qu’une relation de confiance s’est établie et qu’elles ont intégré beaucoup de choses, ce qui contribue largement à améliorer la prise en charge. C’est vraiment un continuum. C'est un acquis qui s’est fait au fil du temps. Ce n’est pas un événement qui est à l’origine de, mais une accumulation de progressions dans le temps. Philippe SOGNI Nous sommes effectivement dans un continuum, mais il va maintenant falloir dire comment rebondir et avancer avec les nouvelles molécules qui arrivent. Nous sommes entre la balance d’attendre toujours mieux et de commencer trop tard, ce qui est assez difficile à gérer. Il vaut mieux gérer le nombre de molécules que la pénurie, mais c’est difficile à gérer à la fois pour les personnes et pour les médecins. Cette progression majeure ne va pas tout résoudre. Marianne L’HENNAF Il y aura probablement des combinaisons de molécules, une en AMM et d’autres en ATU. Les médecins et les patients comptent là-dessus. Philippe SOGNI Nous comptons là-dessus, mais je ne suis pas comptable des décisions des agences et des payeurs, autrement dit quand nous aurons des associations de traitements qui coûteront 30 000 € par mois pendant trois mois, j’ignore comment vont réagir les organismes de remboursement et s’il y aura ou non une restriction de la prescription. Et les associations ont un rôle à jouer dans ce domaine. Georges-Philippe PAGEAUX Ce serait bien que vous réagissiez parce que nous avons abordé cette question ce matin. Les décisions que vont prendre les médecins seront-elles exclusivement médicales ou est-ce que n’est pas en train de s’installer un frein inconscient dans la tête des médecins qui vont se dire qu’au bout de leur signature des sommes importantes sont en jeu ? Je prendrai un exemple. Lors du workshop sur la trithérapie, nous avons abordé ce sujet. Faut-il s’affranchir du degré de fibrose dans le contexte de la co-infection ? Certains estimaient qu’il faut s’en affranchir car toute inflammation chronique est délétère avec notamment un risque de cancer à long terme. C'est un débat médical qui doit déboucher sur une réponse. Il se trouve qu’à l’issue de ce workshop, la réponse a été de dire qu’on ne s’affranchit pas, et que donc on reste très réservé pour les F0-F1. Peut-être les choses vont-elles évoluer, mais il faut que le débat reste celui-là. S’il s’agit de dire qu’il ne faut pas s’en affranchir et qu’en plus, ça coûte 57 000 €, c’est très difficile à manier. A l’inverse, il se trouve que cela coûte 57 000 €. La seule manière de s’y retrouver sera de rester accroché à des indications médicales, c'est-à-dire quel bénéfice pour le patient. Si on a la conviction un jour qu’il est possible de modifier le risque de cancer à long terme d’un patient avec une inflammation chronique, une fibrose minime, nous pousserons au maximum là-dessus.

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Philippe SOGNI Ce qui signifie que nous avons besoin de données scientifiques et médicales pour dire que l’inflammation, par exemple, est délétère et l’on s’affranchit de la fibrose pour élargir les indications non seulement parce que l’on guérit le patient, mais surtout parce qu’on améliore franchement le pronostic hépatique, voire extra-hépatique. Marianne L’HENNAF Le traitement VIH coûte moins cher, mais il est prescrit sur des années, sachant que certains sont traités depuis 1996, mais l’addition est beaucoup plus élevée que pour un seul traitement pour l’hépatite. Lionel PIROTH Nous sommes quand même dans une situation de pénurie, au moins à trois niveaux. D’une part, l’accès aux essais et aux ATU est actuellement très limité. Or, selon les indications actuelles, il y a des personnes dont nous savons pertinemment qu’elles doivent être traitées. Pour être investigateur d’un essai, nous sommes amenés à refuser des personnes, ce qui fait un peu mal au cœur. D’autre part, nous sommes en pénurie de données, notamment pour les indications moins classiques de fibrose, sur le bénéfice qu’il y a à prendre ces patients en charge tôt. Enfin, nous raisonnons en termes d’immédiateté du bénéfice, et dans l’infection par le VIH on ne peut pas parler d’immédiateté, mais on sait que le bénéfice va être obtenu relativement tôt. Dans l’infection par le VHC, très probablement chez les personnes dont l’infection est très peu avancée, le bénéfice interviendra beaucoup plus tard. Nous devons avoir le retour sur investissement sur une durée relativement courte. Donc, ce bénéfice doit être étayé. Marianne L’HENNAF Certains patients ont une troisième, voire une quatrième pathologie en plus. Je pense notamment aux hémophiles. A une époque, personne ne les citait dans les rapports d’expert, et ils nous avaient eux-mêmes demandé d’y figurer. Philippe avait donc rédigé un paragraphe sur les hémophiles. Mais un certain nombre de maladies sont laissées de côté. On s’occupe davantage du VIH, des deux hépatites. Certaines personnes peuvent avoir aussi un diabète, une hypertension artérielle pulmonaire, ce qui peut être une contre-indication à l’interféron. La co-infection se complique parfois de toutes ces co-morbidités, et il y a maintenant des médecins qui sont de véritables co-infectiologues. Souvent, le gros problème des co-infectés, c’est leur hépatite quand le traitement ne marche pas, et pas vraiment le VIH. On pourrait dire que la co-infection est une troisième maladie. Philippe SOGNI Le terme de co-morbidité m’agace toujours, parce que cela veut dire que l’on se focalise sur une maladie et que l’on met les autres à côté. Des pathologies peuvent s’additionner, ou entraîner des problèmes. Le diabète en est un. On commence à comprendre que le fait d’avoir une maladie évoluée du foie quand on est VIH et qu’on a une insulino-résistance favorise, entre autres, l’évolution de la fibrose et la survenue du cancer. Ce n’est pas de la co-morbidité, mais des pathologies multiples qui en s’additionnant augmentent franchement les risques. C'est très difficile d’avoir une vue d’ensemble quand on a un patient devant soi. Si je prends l’exemple de la consommation d’alcool, il y a des recommandations vis-à-vis de la population générale, mais quelles sont les recommandations vis-à-vis d’une personne qui présente une hépatite C, le VIH, avec une insulino-résistance ou un diabète ? A partir de quand le diabète ou le syndrome métabolique avec stéatose devient-il délétère ? Ce sont des éléments très difficiles à apprécier, beaucoup plus difficiles qu’un taux de CD4 ou qu’une charge virale VHC. Pour moi, c’est une interrogation permanente. Marianne L’HENNAF On nous pose souvent la même question sur l’alcool. Beaucoup de patients disent à l’infectiologue ou à l’hépatologue qu’ils ne boivent pas du tout, mais ce n’est pas tout à fait

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vrai. Et c'est détectable sur les gammas GT. On leur dit que s’ils boivent pendant le traitement, celui-ci marche moins bien. Et ils nous posent souvent la question de savoir s’ils peuvent boire une fois que la charge virale VHC est indétectable. Je leur dis de poser franchement la question à l’hépatologue. On peut le supposer. Georges-Philippe PAGEAUX A Montpellier, c'est très minoré chez les infectiologues. On m’a m’adressé un patient co-infectés hépatite C pure qu’il fallait traiter très vite. J’étais très étonné par son taux de gamma GT. Je lui ai donc parlé de sa consommation d’alcool, et il m’a dit que jamais personne ne lui en avait parlé comme moi. Ce qui remet en exergue le fait que nous sommes passés d’un suivi très singulier, mono, à un suivi multiple. Et il y a de plus en plus d’addictologues, car beaucoup d’hépatologues ne sont pas formés à cet aspect, sachant que parler d’une addiction est particulier et que c'est un métier. Philippe SOGNI C'est un point clé. Et c'est la raison pour laquelle nous avons écrit qu’il fallait une collaboration en tête de gondole. Nous avons des formations, des limites, des angles d’attaque, des expériences, qui vont varier en fonction de notre cursus et de notre pratique quotidienne. Ce terme de co-infectiologue ne me semble pas souhaitable parce qu’il est automatiquement limitant, et qu’il exclut certains partenaires potentiels de la prise en charge. Il me semble beaucoup plus important de développer les notions de partenariat, les réseaux, sachant que dans le contexte de la territorialisation, il n’y a pas de masse critique suffisante en termes de spécialistes et de patients pour que des gens s’investissent à plein temps. Il vaut mieux avoir des réseaux qui fonctionnent plutôt que d’en avoir un multi-compétent qui ne le sera jamais totalement et toujours au détriment de quelque chose. Il n’y a pas que les T4 et la charge virale dans le VIH. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE, AP-HP Paul Brousse Je pense qu’il est important de prendre en compte l’effet temps parce que la co-morbidité évolue. A un temps T ce peut être un problème d’alcool, à T+1 c’est un problème de virus, et autre chose à T+n, et ce sera peut-être un problème de diabète. Il ne faut surtout pas annuler les partenariats que nous avons construits durant des années. J’aimerais également rebondir sur l’aspect indications médicales soulevées par Georges. Nous avons les datas, les vitesses de fibrose chez les malades co-infectés, et ces patients doivent être traités le plus tôt possible. Un troisième point me paraît important qui nécessite que nous engagions nos forces. Qu’en est-il du carcinome hépatocellulaire sur la vitesse de carcinogénèse ? Peut-être y a-t-il des politiques de dépistage à modifier ou à adapter en corrélation avec la vitesse de fibrose d’un certain type de populations. Il s’agit de mieux apprécier ces vitesses d’évolution, et ce « n point » d’arrivée du carcinome hépatocellulaire me semble fondamental. De la salle Je voulais dire à Marianne qu’il aurait été bien que sa brochette de spécialistes comporte au moins un addictologue. J’aimerais apporter un témoignage sur ce qui a été mis en place en Alsace il y a environ un an. Nous disposons d’un Fibroscan mobile et nous le partageons trois à quatre fois par an pour faire des dépistages dans les CAARUD et dans les CSAPA. Tous les mois et demi ou deux mois, nous rencontrons les hépatologues, les infectiologues, pour réfléchir ensemble sur des études de cas. Cette expérience est en cours et est faite dans quelques départements. Je pense que c'est une expérience à développer. Marianne L’HENNAF A mon avis, tous les co-infectés n’ont pas besoin d’addictologue non plus. Heureusement. De la salle

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Pour revenir à ce que vous avez dit à propos des déclarations des consommations d’alcool des patients, je pense qu’un bon nombre de patients minorent leur consommation vis-à-vis de l’hépatologue car beaucoup d’hépatologues refusent d’initier des traitements chez des patients qui continuent à consommer de l’alcool ou d’autres substances. Il y en a beaucoup. Philippe SOGNI Il y en a beaucoup mais beaucoup moins qu’à une certaine époque. Après, il faut être raisonnable dans les deux sens, notamment du point de vue du médecin pour accepter ce qui est acceptable et qui n’impacte en rien le suivi ou l’efficacité du traitement. Parfois des patients nous sont envoyés chez qui le premier problème n’est pas celui du virus mais de l’addiction. Je pense quand même qu’il y a eu une amélioration vis-à-vis de cette question, notamment grâce aux traitements substitutifs. Il faut se poser la question de savoir quel est le premier risque et s’il faut d’abord prendre en charge la conduite addictive vis-à-vis de l’alcool, si elle existe, et passer à la deuxième étape qui est le traitement du virus. Marianne L’HENNAF Beaucoup de co-infectés, lorsqu’ils comprennent que l’alcool accélère l’arrivée de la fibrose, diminuent leur consommation ou consultent un psychologue. Il y a souvent des dépressions sous-jacentes et grâce aux antidépresseurs, certains diminuent leur consommation, voire l’arrêtent totalement. De la salle On a l’impression que pour vous, l’addictologie se résume à l’alcool alors qu’il y a les toxicomanies, les pratiques sexuelles dangereuses. On parle des co-infections VIH/VHC, mais pourquoi ne parle-t-on pas des co-infections VIH/VHB, qui est en recrudescence chez les homosexuels du fait de pratiques difficiles à gérer sur le terrain ? Lionel PIROTH Vous soulevez des points d’importance sur lesquels je suis passé rapidement en présentant la co-infection VIH/VHC, je m’en excuse. L’hépatite B est un vrai problème. Le fait est que les questions ne sont pas les mêmes et que l’actualité n’est pas la même. Paradoxalement, les patients co-infectés VIH/VHB ont été plutôt bien pris en charge car il se trouve que les traitements antirétroviraux ont une activité contre l’hépatite B et on voit les bénéfices de cette prise en charge quel qu’en soit le primum movens. Cela concerne beaucoup de personnes, tout n’est pas réglé, loin de là, certains vont avoir des problèmes à cause de leur hépatite B, mais le questionnement n’est pas de la même intensité que le VHC. Concernant la recrudescence chez les personnes homosexuelles, l’hépatite B se transmet par voie sexuelle mais on ne voit pas d’explosion. C’est surtout la C qui pose problème de ce point de vue. Enfin, vous avez soulevé le problème des autres addictions. Vous avez raison, c'est un point essentiel auquel nous sommes sensibilisés, qui n’est pas simple à prendre en compte. Il faut un addictologue, nous sommes d’accord. De nombreuses autres populations sont concernées, et il y a des problématiques pour quasiment chaque personne, même si on raisonne en termes de groupe. Patrick FAVREL J’ai eu une discussion avec Pascal Mélin à propos d’un toxicomane qui prenait de l’héroïne et qui venait pour être soigné. Pascal Mélin me disait qu’ils avaient commencé par le tabac parce que cette personne en était à trois paquets et demi. Cela rejoint ce que dit Philippe Sogni ou ce que disait Georges Pageaux ce matin à propos du face à face entre le médecin et le patient. A chaque fois, c’est un cas particulier. J’aimerais revenir sur les propos de Marianne concernant la transplantation et la demande des co-infectés VIH. Je n’ai pas très bien compris. S’agit-il de mort encéphalique de jeunes VIH et auquel cas quel est le passe-droit ? Cela pose un certain nombre de problèmes en termes d’éthique et de remise en cause de l’Agence de Biomédecine. S’il s’agit de donneurs vivants, c'est une autre histoire.

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Marianne L’HENNAF Il ne s’agit pas de passe-droit. On sait qu’il y a pénurie de greffons. Beaucoup de transplanteurs pensent que les co-infectés sont transplantés trop tard. Or, il y a plus de 1 700 décès par an dans la population VIH. Sur ce nombre, il faut enlever les co-infectés, les cancers, les infections. Les séropositifs ne peuvent pas donner leurs organes. Patrick FAVREL J’entends bien, mais il faut quand même être clair sur le problème de la transplantation. Globalement, sur 10 000 organes potentiels en mort encéphalique, on a un tiers has-been, un tiers utilisé, et un tiers sur les refus des familles. Une campagne a été faite sur le don d’organe. Je pense que nous avons davantage intérêt à travailler sur une campagne d’incitation grand public. Quand une famille, dont le fils a été victime d’un accident de moto, est confrontée à ce problème, si elle n’en a pas parlé avant avec lui, il y a peu de chance qu’elle accepte. C'est une bataille qui concerne l’ensemble des dons d’organe et nous n’avons pas trop intérêt à jouer sur des cas spécifiques comme celui-là. Georges-Philippe PAGEAUX Si on regarde le nombre de transplantations hépatiques réalisées en France ces dix dernières années, ce sont à peu près 1 050 à 1 100. En d’autres termes, quelles que soient les campagnes de sensibilisation qui sont faites, on se heurte à quelque chose d’incompressible et on a beaucoup de mal à augmenter le pool de ce que l’on appelle le donneur cadavérique. C'est une constatation, même si je suis d’accord qu’il faudrait faire plus. Logiquement, on regarde les autres pistes. La première, c’est le donneur vivant, et l’Agence de Biomédecine fait la promotion du don d’organe en transplantation rénale. En transplantation hépatique, il y a eu deux décès publiés en France à ce jour qui ont fait que l’activité de transplantation donneur vivant en greffe de foie en France, depuis 2005-2006, est vraiment en baisse. Ce dont parle Marianne est ce que l’on appelle la greffe dérogatoire. En d’autres termes, que faire de donneurs cadavériques, en mort encéphalique, porteurs d’un virus transmissible ? Jusqu’à 2005-2006, c’était assez simple. Si vous étiez porteur d’un marqueur de virus B, C ou VIH, vous ne pouviez pas être donneur d’organe. Suite à des amendements en 2010, on a ouvert les greffes dérogatoires aux donneurs porteurs d’un virus B ou d’un virus C. Et aujourd'hui, on peut utiliser le greffon d’une personne ayant des marqueurs du virus B, y compris des marqueurs dits de guérison, idéalement chez un patient lui-même immunisé vis-à-vis du virus de l’hépatite B ou dans une situation extrême d’urgence, et à ce moment-là il faudra lui donner une prophylaxie après la greffe. Pour le C, a été ouverte la dérogation C sur C. Un patient transplanté pour une cirrhose virale C peut recevoir l’organe d’un donneur qui était porteur du virus de l’hépatite C. Quand on regarde les résultats de ces greffes dérogatoires, on est assez déçu finalement, et de mon point de vue, ce sont des choses qui vont extraordinairement évoluer et devenir obsolètes puisque demain nous aurons les outils pour éradiquer l’infection virale C avant la greffe, le frein actuellement étant des traitements moyennement efficaces avec de l’interféron chez des cirrhotiques. Si demain, ce sont des combinaisons sans interféron avec de bons succès y compris chez les cirrhotiques, on va éradiquer avant. Faut-il ouvrir un débat sur les greffes dérogatoires d’un donneur VIH contrôlé, à charge virale indétectable, etc. ? Marianne L’HENNAF Un donneur consentant. Georges-Philippe PAGEAUX Le donneur ne sera pas consentant, mais le receveur le sera. En tout cas, c’est le receveur qu’il faudra informer et pourquoi ne pas lancer ce débat. A ma connaissance, aucun groupe ne travaille sur cette question à l’Agence de Biomédecine, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit

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prête pour l’instant à l’entendre. En tout cas, s’il y a bien un lieu où il faut en discuter, c'est à l’Agence de Biomédecine. Cela ne va pas être simple, il ne faut pas oublier que nous vivons dans un pays singulier, qui a vécu une affaire singulière, et que cela pèse sur beaucoup de décisions prises. On ne peut pas s’affranchir de l’affaire dite du sang contaminé qui imprime fortement un grand nombre de décisions. On ne peut pas balayer l’idée d’un revers de main. Le fait d’interpeller l’Agence de Biomédecine à ce sujet a été évoqué dans le rapport. Michel BONJOUR Nous arrivons au terme de ce débat. Je vous remercie.

Atelier n° 1 Comment faire vivre les rapports d’experts dans les structures ?

Brigitte REILLER, médecin addictologue Je suis médecin addictologue dans un CSAPA et un CAARUD sur Bordeaux et je remplace Jean-Pierre Couteron, qui est Président de la Fédération Addiction. Je suis membre du conseil d'administration de la Fédération et nous faisons actuellement un travail sur les hépatites pour sensibiliser l’ensemble des équipes des CSAPA, des CAARUD et la Fédération Addiction est ouverte depuis peu aux médecins généralistes et aux équipes de liaison hospitalière pour promouvoir le dépistage et l’accès aux soins pour tout ce qui concerne les hépatites. Marie-Dominique PAUTI, Médecins du monde Je travaille au sein des missions France à Médecins du Monde et je coordonne les actions de prévention VIH, hépatites, IST et tuberculose, essentiellement auprès d’un public migrant, des personnes se prostituant, des usagers de drogues et des patients sans domicile fixe. Eric SAILLARD, hépatologue Je suis hépatologue au CHU de Point-à-Pitre. Juliette DAVRIL Je suis coordinatrice du collectif Hépatites Virales. Alex BARRAS Je suis chargé de communication au Centre de traitement des hépatites de Perpignan. Françoise ETCHEBAR Je suis médecin généraliste et addictologue dans un CSAPA, à Pau. Fatoumata DIALLO Je travaille au sein d’SOS Hépatites et je m’occupe de l’information et des éditions. Carole DAMIEN, SOS Hépatites Languedoc-Roussillon Je suis membre de SOS Hépatites à Montpellier. Dominique GIRARD Je suis bénévole à SOS Hépatites Languedoc-Roussillon. Hélène DELAQUAIZE Je suis Présidente de SOS Hépatites Paris Ile-de-France et je travaille à l’hôpital Marmottan à Paris comme médiatrice de santé publique. Sylvie BAUX*

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Je suis pharmacien et travaille sur les hépatites pour le laboratoire pharmaceutique BOEHRINGER INGELHEIM. Sandra BAZIZANE Je travaille au sein de la FNH-VIH sur le projet d’éducation thérapeutique du patient, ainsi que sur le financement des formations des professionnels et non adhérents. Carmen HADEY Je suis membre bénévole de SOS Hépatites Alsace. Marie-Dominique PAUTI L’atelier est intitulé « Comment faire vivre le rapport d’experts dans les structures ? ». C’est un thème un peu compliqué dans la mesure où le rapport d’experts est en cours d’écriture. Brigitte et moi-même avons participé chacune à un groupe de travail et nous avons choisi de vous présenter les recommandations émises par chacun de nos groupes. Nous ignorons si ces recommandations seront validées au final puisque tout a été envoyé au groupe restreint. Nous avons travaillé dans le groupe « Soins et accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité » avec Hélène Delaquaize. Brigitte RAILLER J’ai travaillé dans le groupe « Usagers de drogue ». Nous avons émis des premières recommandations, mais si des propositions émanent de cet atelier, nous pourrons les faire remonter au chargé du groupe pour enrichir peut-être ces recommandations. Marie-Dominique PAUTI Le contexte de ce rapport a largement été évoqué ce matin. Malheureusement, le Plan national Hépatites qui s’est terminé fin 2012 n’a pas été reconduit. Fin janvier 2013, le ministre de la Santé a missionné l’Agence nationale de Recherche sur le Sida pour réaliser un rapport d’expertise sur les hépatites B et C. Cette demande était faite depuis longtemps par les associations, notamment de SOS Hépatites. Nous avons commencé à travailler sur ce rapport en avril-mai 2013. Il comporte 22 chapitres. Le rapport est dirigé par le Professeur Daniel Dhumeaux, et un groupe restreint va reprendre l’ensemble des travaux de chacun des groupes et valider ou non un certain nombre de recommandations, mettre en exergue certaines plus que d’autres. La publication du rapport est prévue d’ici la fin du premier trimestre 2014. Les recommandations concernent les domaines sanitaire, social et éthique car même si d’importants progrès thérapeutiques ont été réalisés, ils doivent pouvoir profiter à tout le monde, et nous avons notamment travaillé sur l’accès aux soins, l’accès aux droits des populations vulnérables. Avoir des thérapeutiques sophistiquées, c'est bien, mais il faut l’égalité pour tous, et nous devons beaucoup nous battre sur le volet social. Brigitte a travaillé sur la prévention des hépatites B et C chez les usagers de drogue et j’ai moi-même travaillé avec Hélène sur l’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité, notre groupe étant coordonné par Pascal Revault. Nous avons un certain nombre de thématiques à traiter durant cet atelier. D’abord quelles sont les orientations et les interventions en lien avec les hépatites virales B et C existant actuellement dans vos structures ? C’est le premier point sur lequel nous pouvons débattre. C'est-à-dire ce que vous faites, quelles sont les choses sur lesquelles il faudrait s’appuyer ou développer dans vos structures. Nous pouvons vous parler de ce que nous faisons à Médecins du Monde, Brigitte dans son CSAPA/CAARUD. Brigitte RAILLER Je rappelle que les CSAPA sont les Centres de Soins et d’Accompagnement de Prévention en Addictologie, c'est donc tout ce qui concerne le soin en addictologie. Les CAARUD sont les Centres d’Accueil et d’Accompagnement Réduction des Risques pour les Usagers de Drogue, et c’est tout ce qui concerne la réduction des risques. Il n’y a pas de grande

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différence entre le CSAPA et le CAARUD, certains fonctionnent ensemble, certains CSAPA sont très centrés sur le soin, certains CAARUD sont très centrés sur la réduction des risques, et des CSAPA et des CAARUD sont centrés sur la réduction des risques et le soin. Il en existe dans toute la France métropolitaine et les Dom Tom. Ce sont des structures très hétérogènes, certaines dépendant du sanitaire, d’autres du médicosocial, et les pratiques sont également très hétérogènes. L’autre hétérogénéité concerne la médicalisation des structures. Un CSAPA intégré à un hôpital va être très médicalisé, un CSAPA du médicosocial va parfois avoir une vacation de médecin par semaine. On n’aura donc pas du tout les mêmes prestations au niveau médical. Plus la structure est médicalisée, plus on va s’intéresser aux hépatites. Peut-être que dans une structure où il y a beaucoup de travailleurs sociaux et beaucoup de psychologues, l’hépatite ne sera pas la première priorité. C’est un paramètre important à prendre en compte. Ce que nous essayons de faire à la Fédération Addiction, c’est de sensibiliser les équipes à la problématique des hépatites, au-delà des professionnels médicaux. Quelles sont les actions des CSPA et les CAARUD ayant un lien avec les hépatites ? Les traitements de substitution aux opiacés, l’accès à ces traitements, le seuil d’accès, comment faire pour que le maximum d’usagers puissent avoir accès à ces traitements, et la diversification des traitements, méthadone, buprénorphine et naloxone, mais il nous manque toujours dans le panel de traitements une substitution injectable. Les traitements de substitution sont un outil de réduction des risques. Un chapitre du rapport concernait les TSO et leur accessibilité. On constate que des patients ne peuvent pas faire autrement que de s’injecter leur traitement, le plus souvent la buprénorphine ou le skénan. On a beau tout essayer, l’injection a une place particulière et importante pour certains patients. Et malheureusement nous n’avons rien à leur offrir dans notre palette, si ce n’est leur expliquer comment s’injecter le mieux possible, comment utiliser le matériel d’injection stérile. Cette question faisait déjà partie des recommandations de la Conférence de consensus de 2004 sur les traitements de substitution. C’est toujours en discussion. Ensuite, un meilleur accès au matériel stérile. Le matériel de consommation doit être accessible partout, aussi bien en ville qu’en milieu rural, dans les pharmacies. Les CSAPA ont une mission obligatoire de réduction des risques et distribuer du matériel stérile en CSAPA devrait se généraliser sans poser de problème particulier. Ce n’est pas forcément évident alors qu’une étude hollandaise notamment a montré que lorsque sur un même lieu on a des traitements de substitution et la distribution de matériel d’injection, on avait une baisse de la prévalence du VHC. Cette unité de lieu est un élément important. Donc faire du matériel adapté aux pratiques des usagers. Un autre paramètre important apparaît dans les conclusions du rapport, c’est que les professionnels du champ médicosocial et sanitaire ne sont pas toujours très au fait des pratiques des usagers. D’où l’intérêt de former l’ensemble des professionnels sur la réduction des risques pratico-pratique, c'est-à-dire comment font les usagers avec leur produit et de quoi ils ont besoin. Concernant l’accompagnent et l’éducation à l’injection, il y a deux programmes, AERLI et ERLI, soutenus par Médecins du Monde et Aides. En ce qui concerne la prévention et la sécurisation des injections et des consommations, c'est un peu la même chose. La prévention des injections est soutenue par le programme britannique « Break the Cycle » qui va être mis en place par l’INPES. Autre point, le dépistage, soit classique, soit par les TROD. Dans les CSAPA et les CAARUD, les TROD sont déjà très utilisés. L’unité de lieu est un élément essentiel, et il faut faire en sorte que les hépatologues, les infectiologues, les addictologues, et tous les acteurs des CSAPA et CAARUD puissent travailler ensemble. Concernant l’accès aux traitements, tous les CSAPA et CAARUD n’en sont pas au même stade.

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Parmi les usagers de drogue, nous avons des populations spécifiques. Les femmes, dont les besoins spécifiques ne sont pas toujours pris en compte et qui sont parfois réticentes à venir dans nos structures, les jeunes en errance, la population carcérale, et les migrants. Nous avons beaucoup de migrants des pays de l’Est. Marie-Dominique PAUTI Les missions France de Médecins du Monde regroupent une centaine de programmes. Nous sommes présents dans une trentaine de villes et nous avons ce que l’on appelle des CASO, Centres d’Accueil, de Soins et d’Orientation, où les patients viennent nous voir avec une demande qui peut être médicale, sociale ou médicosociale. Il y a toujours un entretien social, mais les personnes ne savent pas toujours qu’elles ont droit à une couverture maladie. Elles viennent pour une demande médicale, mais on les aide à ouvrir leur droit à une couverture maladie. Nous avons vingt centres de soins, mais nos actions sont essentiellement mobiles, que ce soit auprès des SDF, dans les bidonvilles Rom, dans le nord de la France à Calais et Dunkerque, auprès des migrants en transit qui veulent passer en Angleterre. Et des actions de réduction des risques auprès des usagers de drogue et des personnes se prostituant. Globalement, les populations que nous rencontrons à Médecins du Monde sont plutôt jeunes, l’âge moyen étant de 33 ans, avec une prédominance des hommes. Nous accueillons environ 94% d’étrangers, dont les trois-quarts sont en situation irrégulière et vivent dans des conditions d’extrême précarité à tous les niveaux. Tous vivent en dessous du seuil de pauvreté. 86% des patients qui viennent nous voir n’ont aucune couverture maladie, alors qu’ils ont des droits potentiels. Nous avons un dossier commun pour tous les patients avec un observatoire qui nous permet ensuite de témoigner de l’accès aux soins de ces patients. Un des plus gros obstacles à l’accès aux soins, c’est l’absence d’interprétariat professionnel dans les structures publiques auxquelles ils peuvent s’adresser. Cette question du développement de l’interprétariat professionnel fait partie des recommandations du rapport que nous préconisons dans le groupe. 6% des personnes résidant en France sont de nationalité étrangère, et représentent les trois-quarts des personnes nouvellement prises en charge pour une hépatite B chronique dans les services experts en hépatologie. On sait que la précarité multiplie par trois ou trois et demi le risque d’avoir une hépatite B. Il faut que nous soyons proactifs sur la proposition de dépistage et l’accès aux soins, si nécessaire, pour ces patients. Nous avons été longtemps peu proactifs à Médecins du Monde dans nos centres de soins pour éviter les occasions manquées de dépistage, mais depuis sept à huit ans, nous avons des équipes de prévention qui travaillent en parallèle des équipes médicales pour proposer aux patients un entretien de prévention et les orienter vers des dépistages, sachant que nous avons mis en place dans certaines équipes les tests rapides. Environ 75% des personnes que nous rencontrons ignorent leur statut sérologique, n’ont jamais eu de sérologie. Chez les migrants en situation précaire reçus à MdM, la prévalence de l’hépatite B est d’environ 9%, et à 6% pour l’hépatite C. 11% de co-infection VIH/VHB et 6% de co-infection VIH/VHC. La mise en place de l’excellent outil qu’est le test rapide au sein de structures, que les patients acceptent dès qu’on leur propose, nous permet de parler de la réduction des risques. Depuis trois ans, nous avons fait un peu plus de 600 tests. Nous avons mis en place les tests rapides VIH, mais également le test rapide VHC dans un certain nombre de missions. Nous militons avec SOS Hépatites pour la légalisation des tests rapides VHC. L’an dernier, nous avons proposé les deux tests (VIH et VHC) dans un de nos programmes auprès des usagers de drogues pour essayer de faire avancer les choses, sachant que nous sommes toujours dans l’illégalité. Le recours à la médiation sanitaire fait également partie des recommandations du groupe. Nous avons des patients qui sont dans des situations d’extrême vulnérabilité, souvent allophones, qui ont du mal à se repérer dans le système médicosocial français. La médiation

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sanitaire est un maillon essentiel du parcours de soins de ces patients. Un certain nombre d’associations ont participé à un programme de médiation dans les camps Rom, qui s’est déroulé sur deux ans et se poursuit actuellement. L’évaluation a eu lieu et on peut la trouver sur internet. Ce programme a un impact très favorable sur l’accès aux droits et sur l’accès aux soins. J’ai pris l’exemple de l’accès à la prévention et à la vaccination contre l’hépatite B. Au début de l’expérience de médiation, 15% des enfants étaient vaccinés contre l’hépatite B. Au bout de dix-huit mois, 68% des enfants sont vaccinés. La médiation sanitaire pour des publics très vulnérables est un atout majeur dont il faut se servir et qu’il faut développer. Sans compter l’impact qu’a eu ce programme, à Nantes où MdM intervenait dans le cadre de ce programme, sur le regard de la société, des pouvoirs publics, sur la population Rom qui a complètement changé. Le médiateur a servi de passerelle dans les deux sens, et c’est une grande victoire. Brigitte RAILLER En quoi les recommandations du rapport peuvent-elles soutenir, compléter, les missions de vos structures ? Si vous pensez qu’il y a des points sur lesquels appuyer ou qu’il faudrait rajouter, c’est le moment où jamais. Amplifier les logiques de RDR, continuer à travailler sur la RDR, la faire entrer dans les CSAPA pour leur donner leur pleine efficacité sur le virus des hépatites. Améliorer la qualité, la disponibilité et l’accessibilité du matériel et des traitements de substitution, en diversifiant et en développant les dispositifs. L’étude AERLI est terminée et nous devrions avoir les résultats. Nous devons faire entrer l’accompagnement et l’éducation à l’injection dans toutes les structures. Toutes les villes n’auront pas une salle de consommation, mais dans beaucoup de pays d’Europe, même s’il n’y a pas de salle de consommation, il y a un lieu de consommation possible dans les équivalents CSAPA et CAARUD, et nous devons sensibiliser les équipes, les patients à la possibilité de s’injecter dans de bonnes conditions dans nos structures. La Fédération Addiction a pas mal travaillé sur cette question, nous avons organisé plusieurs séminaires. Dans beaucoup de structures, les usagers injectent là où ils peuvent, c'est-à-dire les toilettes, les douches, ce qui n’est satisfaisant pour personne et met tout le monde en porte-à-faux. Nous militons avec Aides et d’autres associations sur cette possibilité d’avoir des lieux où les consommations peuvent se faire dans de bonnes conditions. Cela permet d’adapter, de donner des conseils, ce qui implique forcément la formation des intervenants. Soutenir et évaluer TSO et dispositifs de RDR. La réduction des risques dans les CSAPA est rentrée dans les textes, mais elle doit maintenant rentrer dans les faits et tout le monde doit s’en saisir. Promouvoir la prévention du passage à l’injection. On sait que les contaminations hépatites se font en début de parcours, et mettre en place des programmes comme « Break the Cycle » permet d’éviter l’injection ou qu’elle soit faite dans les meilleures conditions. Beaucoup de CSAPA et CAARUD proposent des TROD. C’est un outil dont nos structures doivent se saisir. Soutenir les approches intégratives, la plénière en a largement parlé. Il est important que tout le monde travaille ensemble, l’addictologue avec l’infectiologue, avec les travailleurs sociaux. Nous soutenons également beaucoup les unités de lieu. Sur Bordeaux, dans CSAPA et CAARUD, nous avons le Fibroscan, l’hépatologue, le dépistage, nous faisons les TROD, ce qui permet d’offrir à l’usager une unité de lieu où il peut être pris en charge pour l’hépatite du début jusqu’à la fin. A contrario, il faudrait que les usagers ne soient pas stigmatisés dans les structures hospitalières, mais nous pouvons travailler sur les deux tableaux à la fois. Développer les actions de proximité permettant d’aller au-devant, aller dépister les personnes qui ne viennent pas dans nos structures. Améliorer la formation des acteurs. Et poursuivre la mobilisation des professionnels impliqués et le partenariat entre les différentes associations. Telles sont les préconisations de notre groupe. Sans doute y en a-t-il d’autres. Après, il y a des choses sous-entendues sur les lieux de consommation, les salles de

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consommation, sachant que les professionnels se cachent un peu derrière la loi 70. La question est de savoir comment, par rapport à cette interdiction, nous pouvons permettre cela dans nos structures, sachant qu’il y a des implications politiques, nous l’avons vu avec le débat sur les salles de consommation. Carole DAMIEN* C'est la dizaine de recommandations que vous avez sorties au global, mais dans chaque sous-partie, je suppose que vous avez développé d’autres recommandations. Brigitte RAILLER Un atelier est consacré à la population carcérale, mais un groupe de travail à la DGS, qui est un peu un standby, s’intéresse à cette question. Il est clair qu’il y a des injections dans les prisons. De la salle Dans la recommandation « améliorer la formation des acteurs en contact avec les usagers de drogue sur les risques liés au VHC et sur la réalité concrète des pratiques d’injection », pourquoi n’incluez-vous pas le VHB ? Brigitte RAILLER C’est une bonne remarque. Le VHB est toujours le grand oublié, alors qu’il y a du travail à faire. Je vais faire remonter votre proposition. Chez les usagers de drogue, il y a une telle prévalence du VHC qu’on en oublie parfois le VHB. De la salle La contamination est identique par rapport aux pratiques d’injection. Marie-Dominique PAUTI Et le VHB est encore plus virulent et transmissible. De la salle C'est peut-être l’occasion de promouvoir la vaccination contre le VHB. Brigitte RAILLER Théoriquement, dans le dernier Plan, tous les CSAPA et les CAARUD avaient un budget pour les vaccins. Marie-Dominique PAUTI On ne voit qu’un petit bout de la lorgnette puisque nous avons travaillé sur deux chapitres. Il y a un chapitre prévention dans lequel il y aura forcément des recommandations sur la vaccination. Mais pour l’instant, nous ne savons pas plus que vous ce qui s’est dit dans les autres groupes. Nous n’avons pas une vision globale. De la salle Est-ce que les TROD VHB sont valides à l’heure actuelle ? Marie-Dominique PAUTI Un test a le marquage CE. La Haute Autorité de Santé va donner son avis sur le VHC, et ensuite sur le VHB. En fait, c’est le même processus que pour le test rapide VIH. Brigitte RAILLER Il y a beaucoup de structures où les tests se font déjà. Brigitte RAILLER

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Je pense qu’il est dans les sous-chapitres. De la salle Comment faire vivre le rapport d’experts ? Comment un professionnel, un directeur d’établissement se saisit de ce rapport d’experts ? Nous sommes d’accord que les recommandations ne sont pas fixées encore, mais après le rapport ? Brigitte RAILLER C'est le rôle des différentes associations de sensibiliser les professionnels, les directeurs d’établissement, aux recommandations du rapport. A la Fédération Addiction, nous n’avons pas trop attendu puisque nous avons déjà fait un captage sur les hépatites, nous allons en faire un sur les TROD en vous y associant, pour promouvoir ces outils. Nous avons beaucoup travaillé sur le Fibroscan sans attendre forcément les recommandations. Certaines recommandations découlent de pratiques qui se sont déjà avérées positives sur le terrain. C'est un peu comme la RDR en CSAPA, c’est très bien qu’elle figure dans les textes, mais il faut ensuite des relais. De la salle Si on veut une application de ces recommandations, il faut d’une façon ou d’une autre que cette application soit demandée y compris par les usagers. Comment doit-on les rédiger pour qu’elles soient opposables ? Si elles sont opposables, cela met les structures en position d’exiger les moyens qui leur permettent de le faire. Comment enclencher une action dynamique et exigeante pour les uns comme pour les autres ? Marie-Dominique PAUTI Ce sont des points que nous voulions aborder plus tard. Tout cela est très bien, mais il faut de l’argent et une volonté politique. Nous pouvons interpeller nos ARS à travers les instances de démocratie sanitaire. Il y a quand même les Conférences régionales de santé dans lesquelles sont représentés les usagers, les associations, les professionnels, les médecins et où l’on peut interpeller le Directeur général de l’ARS. Et il y a la Conférence régionale de santé qui nous permet aussi d’avoir un regard et où siègent les usagers. Ce sont des instances dans lesquelles nous sommes présents. J’ignore si certains d’entre vous font partie de ces instances dans les ARS. On peut regarder si dans le Plan régional de santé il y a des thématiques sur les hépatites, qu’il s’agisse de la prévention, de l’accès aux soins etc., et faire valoir les recommandations du groupe d’experts pour que des budgets soient alloués à cette thématique. Nous pouvons également interpeler la Direction des Hôpitaux pour avoir de l’interprétariat professionnel, des médiateurs. Il y en a un, par exemple, dans les services d’hépatologie de l’hôpital de la Pitié qui fonctionne très bien. Il faut faire en sorte que toutes ces recommandations soient portées à la Direction et que des budgets soient alloués. Nous avons tous une responsabilité, que l’on soit usager, associatif, professionnel. La lutte contre les hépatites est politique et il n’y a pas que les associations pour interpeler, demander des subventions, pour demander où passe l’argent. Il faut les moyens financiers et humains pour mettre en œuvre ces recommandations. Et nous avons tous du plaidoyer à faire. De la salle Les professionnels savent très bien qu’il y a un rapport. Marie-Dominique PAUTI Oui, mais les patients sont aussi dans ces instances représentatives. Que ce soit au niveau de l’ARS, des Conférences de santé, ils ont droit à la parole. De la salle Ils sont présents en petits groupes, mais la plupart des patients ignorent qu’ils sont représentés.

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Brigitte RAILLER Le problème, c'est que nous n’avons pas fait les recommandations concernant les personnes vulnérables. Nous ferons une seconde session. De la salle Nous allons faire des recommandations, mais nous ne sommes pas sûrs qu’elles soient prises en compte. Brigitte RAILLER J’espère qu’elles le seront, du moins en partie. De la salle Dans le VIH, les associations ont beaucoup pesé. Marie-Dominique PAUTI C'est Pascal Revault qui a coordonné notre groupe, du Comité Médical pour les Exilés. C’était très participatif, nous avons eu beaucoup de réunions d’échange. Nous verrons ce que le groupe restreint en retient, mais j’ai été ravie de travailler dans ce groupe car nous avons vraiment pu participer en tant que malades, associatifs. C'est une dynamique que l’on n’a pas forcément trouvée dans d’autres contextes. De la salle En Alsace, les ARS sont sensibles au dépistage, surtout dans les CAARUD, et elles sensibilisent beaucoup. Les personnels sont formés à l’utilisation du Fibroscan, aux hépatites, pour leur permettre de gérer eux-mêmes. Brigitte RAILLER Le Fibroscan est un outil important dans les CSAPA et dans les CAARUD. Marie-Dominique PAUTI Ce n’est pas forcément la même chose dans toutes les régions. De la salle Au niveau national, un coup c’est VIH, après c'est Alzheimer. Pour les hépatites, il faut saisir les créneaux, mais les sensibilités sont différentes en fonction des régions. Les gens qui participent aux réunions à l’ARS ne sont peut-être pas sensibilisés aux hépatites dans certaines régions. Brigitte RAILLER Les COREVIH commencent à s’intéresser aux problématiques des hépatites, sachant qu’ils sont également en difficulté sur le plan financier. (Pause). Marie-Dominique PAUTI Je vous propose de faire un rapide tour de table. Catherine CHARDIN Je travaille à la DGS au bureau Risques infectieux, en charge du programme Direction* des migrants* étrangers. Lionel * Je commence en janvier une mission dans les prisons pour travailler sur la réduction des risques d’hépatite C et VIH. Je suis également militant de l’association AIDES.

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Christophe ROUX Je suis infirmier BUS 31-32, dans un CSAPA/CAARUD à Marseille. Nathalie DANJOU Je suis coordinatrice du réseau VIH Dordogne. Juliette DAVRIL Je suis coordinatrice du Collectif Hépatites Virales. J’étais là tout à l’heure, mais je suis un peu frustrée car ce n’est qu’à la fin que nous avons vraiment commencé à aborder le sujet de la table ronde. J’aimerais que nous puissions échanger davantage sur la manière de s’approprier le rapport d’experts au niveau des personnes concernées et comment faire pour que ces recommandations ne soient pas simplement rédigées dans un joli livre, et que ce soit quelque chose de vivant. Christiane FOLIOT* Je fais partie de SOS Hépatites. Huguette * Je fais également partie de SOS Hépatites. Brigitte RAILLER C'est vrai que c'est compliqué de passer directement à la question de savoir comment faire vivre le rapport d’experts dans les structures, parce que nous connaissons nos chapitres, mais nous ne connaissons pas l’ensemble du rapport. Juliette DAVRIL Sans connaître l’ensemble du rapport, commencer déjà à discuter pour que ce soit vivant que les personnes puissent se l’approprier, s’en emparer, même si on n’en connaît pas encore le contenu, échanger et approfondir les idées sur la façon dont nous allons devoir faire pour que ce ne soit pas uniquement un outil appartenant aux médecins, aux instances officielles, et qu’il soit diffusé, peut-être vulgarisé. Brigitte RAILLER C'est-à-dire comment médiatiser le rapport. De la salle Comment le rendre applicable. Marie-Dominique PAUTI Pour que nous ayons le temps de discuter, je vous propose de passer directement aux recommandations qui ont été faites dans les deux groupes, et discuter sur la façon de mettre en œuvre le rapport dans les structures. Juliette DAVRIL Tout à fait. Nous pourrions partir de vos recommandations et réfléchir à comment faire pour qu’elles soient vraiment appliquées sur le terrain, pour que les personnes les connaissent. Brigitte RAILLER Si les autres participants sont d’accord, cela ne me pose aucun problème. Marie-Dominique PAUTI Avec Hélène Delaquaize, médiatrice de santé publique, nous avons travaillé sur le chapitre « Soins et accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité » dans le cadre du rapport. C'est Pascal Revault du Comede qui coordonnait ce groupe, qui a été très

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participatif. Nous sommes partis du constat qu’il y a beaucoup de recommandations dans ce rapport d’experts centré sur l’observance thérapeutique, les nouvelles molécules, les comportements à risque etc., mais qu’il faut prendre en compte le poids des déterminants sociaux de l’état de santé des personnes, notamment dans le cadre de la prévention, de la prise en charge globale des hépatites. Donc comment prendre en compte ces déterminants sociaux pour que les inégalités sociales de santé puissent être combattues à travers un certain nombre de stratégies et de recommandations et que tout le monde puisse avoir accès aux progrès de la lutte contre les hépatites à l’heure actuelle. Nous avons fait émerger un certain nombre de recommandations. Chaque sous-chapitre comprend une dizaine de recommandations et nous avons retravaillé pour en sortir une dizaine qui vont apparaître en fin de chapitre, qui seront retenues ou non par le groupe restreint qui va donc recevoir les 22 chapitres du rapport. En ce qui concerne les personnes vulnérables, il s’agit d’approfondir un accompagnement pluridisciplinaire. Il nous a paru fondamental qu’en accord avec le patient un diagnostic social puisse être fait, à partir d’un véritable outil d’évaluation pouvant être intégré dans le dossier médical du patient. Cet outil pourrait être construit à partir du score Epices qui prend en compte un certain nombre de facteurs de vulnérabilité, ou à partir du score utilisé au Comede regroupant huit items sur la grande vulnérabilité. Au départ, il pourrait donc y avoir un diagnostic social permettant de prendre en compte la situation du patient dans la vraie vie, de trouver des stratégies d’accompagnement individuel et d’orienter les politiques publiques pour diminuer ces inégalités sociales. C'est une des recommandations fortes que nous aimerions retenir. Cet outil d’évaluation reste à construire. Il s’agit également d’adapter les modes d’accueil et d’accompagnement à l’ouverture des droits en fonction de chaque public. A Médecins du Monde, nous recevons dans nos centres de soins 94% de migrants en situation d’extrême précarité, dont 86% n’a aucun droit ouvert quand ils arrivent alors qu’ils y ont droit. Ils ont de nombreux obstacles d’accès aux droits et aux soins, à fortiori pour les hépatites, alors que c’est un public fortement touché par les hépatites. Faciliter l’accès aux soins et aux droits et encourager le dépistage et la vaccination contre le virus de l’hépatite B en soutenant des expériences qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité. Nous o avons des centres de soins, mais l’essentiel de nos actions sont des actions de proximité permettant d’aller vers, au-devant des personnes, que ce soit auprès des migrants en situation de transit, auprès des Roms, auprès des SDF, des personnes se prostituant, des usagers de drogue. De nombreuses études montrent que la stratégie du « aller vers » fonctionne. Quand pour différentes raisons les personnes ne souhaitent pas venir vers nous ou ne peuvent pas, nous devons aller vers eux. Dans ces stratégies qui fonctionnent, il y a la médiation en santé publique. Nous avons l’exemple d’une expérience de médiation sanitaire menée entre 2010 et 2012 dans les camps de Roms par un certain nombre d’associations qui font partie de Romeurope. L’évaluation vient de sortir et montre qu’en termes d’accès aux soins, d’accès aux droits et d’accès à la prévention, la médiation sanitaire est un outil indispensable. Au début du programme, 15% des enfants étaient vaccinés contre l’hépatite B, et ils sont 68% au bout de dix-huit mois. Autre recommandation, se battre pour des hébergements adaptés, notamment développer les appartements de coordination thérapeutique, de façon cohérente, avec un accueil inconditionnel des personnes et quelle que soit leur situation administrative. Encourager la promotion de « l’aller vers » fait l’objet d’une recommandation à part entière, de même que l’intégration des médiateurs comme facilitateurs à tous les niveaux dans le parcours de soins de n’importe quel public en situation de vulnérabilité. Favoriser l’accès aux services d’interprétariat professionnel. C’est un cheval de bataille de Catherine Chardin au niveau de la DGS. L’idéal serait que l’interprétariat professionnel soit pris en charge dans le cadre de la consultation médicale. A Médecins du Monde nous demandons aux patients quels sont les principaux obstacles à l’accès aux soins. En troisième position, à égalité avec les difficultés

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administratives, on trouve l’interprétariat professionnel. Pour l’hépatite B, on a vu que trois-quarts des patients pris en charge dans les services spécialisés en hépatologie sont des migrants et tous ne sont pas francophones, loin de là, et la langue est un obstacle à l’accès aux soins. Spécifiquement pour les étrangers en situation irrégulière, faciliter le droit au séjour pour raison médicale pour les hépatites sur la base de l’instruction de la DGS de novembre 2011. La loi sur l’immigration de juin 2011 a totalement démantelé le droit au séjour pour raison médicale puisque les textes stipulent aujourd'hui que si le traitement est présent dans le pays d’origine, il n’y a pas de raison de régulariser les malades pour raison médicale. Cela ne tient absolument pas compte de l’accessibilité du traitement. L’interféron peut être accessible dans la capitale à ceux qui ont de l’argent, mais la personne qui n’a même pas de quoi payer le transport pour se rendre à l’hôpital n’a sûrement pas de quoi se payer le traitement en l’absence de couverture maladie universelle. On voit toujours autant de patients ayant des hépatites qui sont obligés de repartir dans leur pays d’origine, et nous devons faire un plaidoyer pour que cette instruction de la DGS soit appliquée. Autre cheval de bataille des associations travaillant auprès des populations vulnérables et des migrants, c'est d’avoir une fusion entre la CMU et l’AME et non plus un système parallèle d’aide médicale de l’Etat. Il faut que les étrangers en situation irrégulière puissent accéder aussi à l’assurance maladie. Voilà pour les recommandations du groupe. Pour commencer à répondre à Juliette sur comment faire pour que ces recommandations soient appliquées, nous devons faire un plaidoyer chacun à notre niveau pour consolider et harmoniser le dispositif des permanences d’accès aux soins, sans créer des filières totalement spécifiques pour les plus démunis. On peut intégrer une proposition de dépistage des hépatites B et C pour tous les patients qui rentrent dans le dispositif de permanence d’accès aux soins ; d’orientation vers les services d’hépatologie qui feraient partie aussi des circuits. Et développer des PASS mobiles. Il faut que le budget des PASS soit visible. Pourquoi n’y a-t-il pas suffisamment de PASS mobiles ? Les associations ne sont pas les seules à pouvoir aller vers les gens, ce doit pouvoir être par le droit commun. Je rappelle qu’une circulaire de la DGOS de juin 2013 rappelle que la permanence d’accès aux soins doit non seulement accueillir les personnes qui n’ont pas de droit ouvert à une couverture maladie, mais également toute personne exclue du système de santé du fait de sa vulnérabilité sociale, c'est-à-dire que même les personnes ayant des droits ouverts doivent avoir accès au dispositif PASS pour être accompagnées. Nous pouvons faire du plaidoyer à notre niveau par rapport à cette question. Encourager l’implantation des médiateurs de santé au sein de l’hôpital et développer le recours à l’interprétariat professionnel. Brigitte RAILLER J’ai participé au groupe RDR, prévention des hépatites B et C chez les usagers de drogue. Notre groupe s'est moins réuni que le vôtre. Il était piloté par Jean-Michel Delile. Les propositions de recommandations doivent être approuvées par le groupe qui a participé à ce chapitre. Amplifier les logiques de réduction des risques pour leur donner leur pleine efficacité contre les virus des hépatites. Quelques mots à propos des études Coquelicot sur la prévalence des hépatites chez les usagers de drogue. Celle réalisée en 2004 montrait une prévalence de 60%. L’étude réalisée en 2011, dont les résultats n’ont pas encore été publiés officiellement, montre que la prévalence a diminué et qu’elle est de 40% chez les usagers de drogue, mais elle montre aussi que les pratiques à risque chez les sujets jeunes augmentent. Nous savons que des stratégies de réduction des risques fonctionnent. La disponibilité, l’accessibilité et la diversité du matériel d’injection, est un élément essentiel. Il faudrait que le matériel puisse être disponible dans le plus grand nombre d’endroits possible. Les plus marginalisés vont dans les CAARUD, mais ceux qui ne sont pas marginalisés ont peut-être des difficultés d’accès s’il n’y a pas d’automate distributeur. Il faut donc travailler sur cette accessibilité. Diversifier le matériel, donc s’adapter aux pratiques des usagers.

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Développer des dispositifs de sécurisation des injections, comme le programme AERLI, Accompagnement et Education du Risque Lié à l’Injection. Cette étude, dont nous n’avons pas encore les résultats, a été menée par Aides et Médecins du Monde. Les salles de consommation qui font débat en France. Et développer des espaces de consommation dans les structures CSAPA/CAARUD. Soutenir et évaluer des approches et des dispositifs combinant traitements de substitution aux opiacés diversifiés et dispositifs de RDR. Les trois types de substitution sont la méthadone, la buprénorphine et buprénorphine + naloxone, mais il n’existe pas de traitement de substitution injectable, or nous savons qu’une partie des usagers nécessiteraient ce type de traitement de substitution. Et la possibilité de proposer dans un même lieu distribution de traitements de substitution et de matériel de RDR. Promouvoir les actions de prévention du passage à l’injection et les alternatives à l’usage de la voie injectable, particulièrement chez les jeunes usagers. Ce peut être la distribution de feuilles d’aluminium ou des programmes comme « Break the Cycle » que l’INPES est en train de mettre en place à titre expérimental dans différentes structures. Développer le dépistage non-invasif dans les structures. Le dépistage est une des missions des CSAPA, et il faut faire en sorte que les structures s’en saisissent. Et promouvoir les TROD qui sont adaptés à la population des usagers de drogue, car ils évitent le prélèvement veineux. A noter que le dépistage est pris en charge par la sécurité sociale, alors que le TROD est pris en charge par la structure. Il faut que les CSAPA et les CAARUD aient des budgets pour faire ces TROD. Soutenir les approches intégratives, c'est-à-dire développer les partenariats, médecins, infectiologues, hépatologues, addictologues, travailleurs sociaux, associations d’usagers, travaillant dans le même sens. Développer les actions de proximité permettant d’aller au-devant de populations spécifiques. Cela se fait déjà à travers les programmes d’échange de seringues où des unités mobiles vont vers les usagers les plus en difficulté. Cela peut être aller vers les squats, vers la population qui ne fréquente pas les structures et donc la plus à risque à priori pour les contaminations infectieuses. Adapter les actions de réduction des risques à des populations particulières, qu’il s’agisse des jeunes, mais également des femmes qui appréhendent souvent à venir dans les CSAPA de peur d’être stigmatisées. Des actions adaptées de RDR vis-à-vis des migrants et de la population carcérale. Améliorer la formation des acteurs en contact avec les usagers de drogue. Faire vivre le rapport dans nos structures est une réponse et les associations ont un rôle à jouer dans ce domaine. Sur le terrain, nous sommes toujours en décalage avec nos équipes et il est important de sensibiliser et de former les acteurs de terrain, peut-être à diffuser le rapport Hépatites, diffuser les bonnes pratiques de RDR, diffuser la RDR pratico-pratique. Les former également à la réalité concrète des injections. Dans un certain nombre de CSAPA et de CAARUD, quand les professionnels sont face à une personne qui injecte, c'est compliqué parce que l’injection est stigmatisée, parce qu’on ne connaît pas forcément bien les produits et comment ils s’utilisent. Et poursuivre la mobilisation des professionnels. Nous devons maintenant trouver des outils pour faire vivre ces recommandations qui, j’espère, seront retenues dans nos structures. Marie-Dominique PAUTI Dans les structures elles-mêmes, l’élément fondamental est la formation des acteurs. Plus de la moitié du budget alloué par la DGS au programme de prévention mené à MdM est consacré à la formation des acteurs, car le sujet des hépatites est méconnu. La formation des acteurs est un axe de travail extrêmement important. De la salle A quels acteurs fais-tu référence ?

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Marie-Dominique PAUTI Tous les salariés et bénévoles ainsi que les médiateurs de santé publique. Médecins du Monde est une association essentiellement de bénévoles. Nous avons environ 80 salariés sur la France, un peu plus de 2 000 bénévoles. Nous sommes constamment dans la formation. Dans nos centres de soins, la formation est à proposer de la personne qui est à l’accueil jusqu’au médecin qui reçoit en consultation. Quand un patient vient dans un centre de soins, il faut en profiter pour lui parler de prévention du VIH, des hépatites, de la tuberculose, lui proposer un dépistage, mais il faut donner l’information dès l’accueil, à condition qu’il y ait un espace de confidentialité. Or, les accueillants ne sont parfois pas à l’aise parce qu’ils ne savent pas forcément parler de ces pathologies. Nous essayons de former tout le monde dans nos centres de soins. Nous avons construit les formations avec le CRIPS Ile-de-France dont nous sommes partenaires depuis six ou sept ans, et nous faisons en sorte que le programme soit ouvert à tout le monde, aussi bien des accueillants, des travailleurs sociaux, des médecins, des infirmières. J’inclus dans la formation la participation à des congrès, la diffusion des recommandations du rapport d’experts. C’est une façon de faire vivre le rapport d’experts. De la salle Dans les associations, les bénévoles sont en contact avec les usagers dans un contexte où la parole est plus libre qu’avec un médecin ou un personnel hospitalier. Pour moi, les associations peuvent faire vivre le rapport d’experts dans les structures en transcrivant les recommandations, en prenant ce qui est vraiment intéressant pour les personnes concernées par les hépatites, en le vulgarisant et en le diffusant largement. Brigitte RAILLER Chaque association peut faire une traduction adaptée pour ses adhérents. La Fédération Addictions compte beaucoup de travailleurs sociaux et de psychologues. Si les médecins sont les seuls à s’occuper de l’hépatite, on va passer à côté de nombreux dépistages. Les associations ont un rôle à jouer pour faire connaître le rapport et les recommandations. De la salle Il y a également tout le lien de formation inter-associations et structures professionnelles qui va permettre de faire vivre ce rapport. Si je prends l’exemple du VIH, le rapport d’expert va vivre en soi parce qu’il va devenir une référence. Pour la prise en charge, le dépistage, la prévention, tous les acteurs qui vont être concernés à un moment ou à un autre vont avoir besoin de références, et il n’y en a pas tant que cela. Le rapport d’experts VIH est devenu un argumentaire auprès des tutelles, par exemple. Et naturellement le rapport d’experts va vivre de lui-même parce que les acteurs concernés en ont besoin, et cela permet des temps d’échange, de mettre du sens derrière les mots, sachant que d’une structure à une autre, on ne va pas y mettre la même sensibilité, selon le travail que l’on fait sur le terrain, selon le public accueilli. Il faut un maillage très fort des partenaires. Tout ce que j’entends sur les hépatites me fait penser à ce que l’on mettait en place il y a une vingtaine d’années au niveau du VIH. On a l’impression d’en être là, même si beaucoup de choses ont déjà été faites. En tout cas pour moi, ce rapport va vivre de lui-même parce qu’on en a besoin. De la salle La formation est un élément extrêmement important. J’ai l’impression que le rapport d’experts VIH a été bien intégré localement par le personnel soignant, les associations, mais par rapport aux hépatites, j’ai l’impression qu’il y a une espèce de peur, que les gens se voilent un peu la face. Nous n’avons pas de CAARUD sur Perpignan, il y a une association qui s’occupe des usagers de drogue. A la limite, on peut parler VIH, mais parler d’hépatites fait un peu peur, que ce soit pour les bénévoles ou les salariés de l’association, parce que cela veut dire drogues, et donc c'est compliqué, ils ne sont pas formés pour, et parce que c'est très médical et qu’on a peur de raconter des bêtises aux personnes concernées. Je

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milite vraiment pour une formation sur les hépatites car j’ai l’impression que cette thématique est un peu oubliée. Brigitte RAILLE D’où l’intérêt aussi de travailler ensemble avec des CSAPA, des CAARUD, des associations. Perpignan étant proche de l’Espagne, j’imagine qu’il y a pas mal d’usagers de drogue. Il faut donc vraiment militer pour la diffusion de la RDR, que ce soit via des PS mobiles, des PS en pharmacie. De la salle Nous sommes dans une région transfrontalière où il y a de la prostitution, de l’usage de drogues, et il y a une telle concentration dans un petit espace que c'est très compliqué. J’ai vu beaucoup de bénévoles se retirer. Pour moi, le travail inter-associatif est essentiel. Brigitte RAILLE Il faut peut-être prendre la question de la RDR dans sa globalité, alors qu’elle a longtemps été limitée à l’injection. De la salle Au sein de Médecins du Monde, il y a les missions CASO et les missions usagers de drogue, ce sont deux univers totalement différents, mais la question des RDR est très présente dans les deux et il y a un important besoin d’échange. Marie-Dominique PAUTI Nos formations sont ouvertes aux partenaires et au médiateur de santé publique. Le problème est que cela coûte cher, qu’il faut se battre, qu’il faut avoir de l’argent. La formation que nous faisions avant qu’il y ait des TROD était la même, mais nous avions une journée sur l’interculturalité, qui est un élément essentiel dans le dialogue avec les migrants. On n’a malheureusement pas pu reconduire cette partie de la formation. Le TROD est un très bon outil qui va permettre de parler de la réduction des risques, mais ce n’est pas l’outil qui fait la stratégie. Pour moi, le plus important, c'est l’aval, c'est-à-dire qu’est-ce que l’on fait derrière, vers qui on accompagne. Il n’y a pas que l’annonce, il y a la formation à l’annonce, et deux jours de formation, ce n’est rien du tout. Il faut que nous fassions du plaidoyer à ce niveau. Hormis les dix recommandations que nous avons choisies au final, nous en avons plein d’autres dans le corps du texte, et notamment une sur la formation et la sensibilisation des professionnels de santé et des travailleurs sociaux. Trouver des formations pour des tests rapides, par exemple, c'est compliqué, il y en a peu. Il faut des budgets. Les 25 € par test accordés dans les appels à projets, c’est déjà très bien, mais certaines associations n’ont pas la possibilité de financer des formations. Il faut que nous nous battions pour cela. Brigitte RAILLER En Aquitaine, les formations sur le counseling étaient de trois jours. Mais ce qui est difficile pour les acteurs, médecins et non médecins, c'est l’annonce du résultat, et plus les gens vont faire de TROD, plus ils vont être confrontés à des situations particulières qui vont leur poser problème. Et ce sont des espèces d’Intervision entre les TRODeurs. Nous avons essayé de le mettre en place en Aquitaine, c'est toujours d’actualité, il y a toujours le problème du financement, mais cet outil a besoin d’accompagnement. Plus on va faire de TROD, moins peut-être on prendra le temps de l’avant et de l’Intervision. Il faut un temps d’appropriation de l’outil. De la salle On nous demande de faire de plus en plus avec moins. En plus du VIH, on nous demande de prendre en charge les hépatites, mais nous n’avons aucun moyen humain supplémentaire. Nous avons une infirmière à temps plein, une file active de 100 patients par

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an, il faut que nous prenions aussi les patients VHC et VHB, mais au détriment des VIH. Va-t-il falloir simplifier la prise en charge pour les VIH pour pouvoir intégrer les patients hépatiques ? C'est vrai que les hépatites font peur, mais elles concernent beaucoup plus de personnes que le VIH. Même si sur les hépatites C, le temps de la prise en charge comprend le temps du traitement, il n’empêche que cela va représenter beaucoup plus de monde, et il faut des équipes à mettre en face. Avec les moyens alloués actuellement, je ne sais pas comment nous allons faire. Cela fait partie des plaidoyers, des recommandations d’experts aussi bien VIH qu’hépatites. Brigitte RAILLER Si l’on diffuse du matériel de RDR, par exemple, il y aura moins de contamination mais les pratiques évoluent, ce qui nécessite de s’adapter constamment aux nouveaux produits, de faire de la recherche de nouveaux matériels, et tout cela a un coût. De la salle Bien souvent, l’alcool fait partie de la vie des usagers dans les CSAPA et CAARUD. Ces personnes s’alcoolisent massivement avant. Leur courbe d’alcoolémie est en dents de scie, et certains ont besoin d’un traitement pour l’hépatite C. Brigitte RAILLER Comme cela a été dit lors de la première plénière de l’après-midi, de plus en plus d’hépatologues travaillent avec des addictologues. Il y a quelques années, les hépatologues ne traitaient pas les toxicomanes qui consommaient de l’alcool ou des produits illicites. Plus nous allons travailler ensemble, plus il y aura d’assouplissement. Il y a une ouverture de la RDR au-delà du champ de l’injection, sur les autres pratiques, mais aussi sur les autres produits. On parle de plus en plus de RDR à l’école où l’abstinence n’est pas le seul mode de soin possible par rapport à l’alcool, il y a le développement de certains traitements comme le baclofène pour gérer sa consommation. On commence à réfléchir à des stratégies pour éviter que les gens s’alcoolisent, comme par exemple une consommation d’alcool régulée ou des casiers avec chacun sa bière. Dans le CAARUD où je travaille qui est ouvert sur la rue, si nous passons notre temps à traquer les canettes, on n’a plus le temps de s’occuper de la réduction des risques. Les mentalités évoluent sur la façon d’aborder la RDR alcool, on sait qu’on ne peut pas demander à une personne dépendante à l’alcool et qui a besoin d’être dans un CHRS d’être abstinente puisqu’elle est dépendante. Le chantier est en cours sur la RDR alcool. De la salle Comme il a été en cours sur les RDR sexuelles. Nous avons connu une évolution lente car cela n’a pas toujours été rapide dans le changement des mentalités. De la salle Actuellement, il y a l’expérience du rapport VIH et la façon dont ils essaient de rendre les recommandations opposables. Avez-vous des informations à ce sujet ? De la salle Le fait qu’elles soient opposables est une chose. Cela peut être discuté sur le fond, mais je n’ai pas envie de rentrer dans ce débat. En revanche, sans aller jusqu’au fait que le rapport puisse être factuellement opposable, je me pose la question de savoir, au-delà des difficultés, des lenteurs, des cinétiques lentes etc., comment faire pour que ces cinétiques lentes soient plus rapides, c'est-à-dire comment pense-t-on la suite des nouveaux rapports pour leur donner la plus grande force et qu’ils soient le meilleur levier pour faire bouger les choses ? On a déjà peu de moyens et peu d’énergie disponible sur la question des hépatites dans l’ensemble, la mobilisation est relativement faible et le mouvement sociétal qui porte les hépatites n’a rien à voir avec celui du VIH. Il faudrait être encore plus dans l’excellence pour avoir un effet, ce qui est extrêmement dur. Comment s’organiser, comment penser notre

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action pour lui donner la plus grande force ? Etre opposable est intéressant sur le principe, mais c'est toujours discutable sur les cas particuliers, surtout lorsqu’il s’agit de la prise en charge de la santé. Pour autant, comment faire en sorte que le rapport ait une valeur d’aidant et que l’on puisse s’en saisir pour qu’il agisse comme tel dans l’organisation du système de santé ? C'est un peu la question que je me pose. Et quelles actions devons-nous mener pour cela ? Brigitte RAILLER Il y a ici un problème de sémantique. Des recommandations ne sont pas opposables. De la salle Comment fait-on pour que ce soit une norme significativement reconnue ? Brigitte RAILLER Il doit être diffusé le plus possible auprès des différentes structures au sens large, des professionnels. De la salle Il faut pouvoir faire le bilan des actions que nous avons pu réaliser en accord avec les recommandations et en faire une évaluation. C’est un peu ce qui s'est passé avec le VIH, c'est-à-dire que chaque rapport a chassé l’autre, mais s’est appuyé sur les actions qui avaient été mises en place à partir du premier rapport. C’est donc démontrer comment ces recommandations vont permettre d’accéder à une amélioration à chaque fois. Le visage de l’épidémie change constamment au fil des années et au niveau des hépatites, je pense que le visage des épidémies a changé et va changer avec l’arrivée de ces traitements. Ce qui signifie qu’il faut rester vraiment ouvert. Il faut se servir de ces recommandations pour mettre en place des actions adaptées, sachant qu’elles ont été réfléchies, travaillées avec les acteurs de terrain. Tout le monde va se saisir de ce rapport parce qu’il a été fait avec des gens de terrain, venant de différents horizons, et il va être représentatif de ce que constatent les gens eux-mêmes dans leur travail. Brigitte RAILLER Certaines recommandations se basent sur des expérimentations qui ont marché, comme l’unité de lieu dans les CSAPA par rapport à l’hépatite où l’on augmente beaucoup le dépistage et l’accès aux soins. De la salle Ces recommandations correspondent à un échange mais également à une valorisation des pratiques. Cela permet à des acteurs parfois un peu démunis de s’appuyer sur ces éléments et de les mettre en pratique dans le cadre de leur cas particulier. De la salle En effet, c'est une difficulté à laquelle il faut trouver une réponse pour que cela fonctionne. Brigitte RAILLER La crainte étant que cela ne fonctionne pas. De la salle Mais concernant les hépatites, il n’existe pas du tout la même communication et les mêmes représentations. Nous faisons de la formation auprès de professionnels relais dans le cadre des IST, VIH et hépatites, qui eux-mêmes, font de la prévention auprès d’un public jeune. Quand nous leur présentons les chiffres VIH/hépatites, il y a une vraie découverte, au-delà même de la peur concernant le sujet. Les gens ne se rendent pas compte. Comme l’hépatite n’a pas la connotation de mort du VIH, elle reste quelque chose de complètement ignorée. Donc, une communication sur les hépatites va être nécessaire.

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De la salle Ne faut-il pas justement en faire une des recommandations du rapport ? Comment va-il être porté ? De la salle Surtout sans le cadre d’un plan d’évaluation. Marie-Dominique PAUTI . . Les recommandations de ce rapport devraient être suivies par un comité sous l’autorité du ministère de la santé. De la salle Mais le rapport sera adressé à qui ? Marie-Dominique PAUTI Comme pour le rapport VIH, il va faire l’objet d’un livre à la Documentation Française et il sera ensuite diffusé à l’ensemble des acteurs. La ministre de la Santé a adressé une lettre de mission à l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les Hépatites, lui confiant la rédaction d’un rapport d’experts avec des recommandations. Le problème est qu’il n’y a pas eu de reconduction du plan national hépatites et c’est tout l’enjeu de ce rapport et du suivi des recommandations. De la salle C’est tout l’enjeu de l’atelier en fait. De la salle Ce rapport va vivre parce que les acteurs en ont besoin, notamment les hépatologues. De la salle Si nous voulons qu’il y ait ensuite, sinon un plan, du moins quelque chose qui permette d’évaluer, d’apporter des moyens, voire un budget, il faut que ce soit inscrit dans les recommandations. Il faut d’abord une stratégie, et le budget viendra ensuite. Brigitte RAILLER Dans les recommandations il y a quand même des axes stratégiques. De la salle Les associations de patients, en l’occurrence SOS Hépatites, doivent peser. C’est un outil de travail que j’attends avec impatience, et je pense que l’on va pouvoir le faire vivre. De la salle La difficulté est que tout cela ne soit pas managé. Par exemple, la mesure concernant la vaccination dans les APA*, décidée dans le plan, est considérée comme effectuée et exécutée parce que les budgets ont été libérés, mais personne n’est réellement allé voir ce qui a été fait sur le terrain. Brigitte RAILLER Mais c’est une mesure du plan qui a été évaluée. Marie-Dominique PAUTI Le problème est que dans le bilan du plan, sont indiquées les actions « réalisées », « en cours », « non réalisées ». Alors que beaucoup d’actions dites « réalisées » doivent se poursuivre.

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De la salle En l’occurrence, il est vrai que cela a été réalisé. La réglementation est faite et les budgets ont été libérés, mais concrètement, si on regarde ce qui se passe au final pour l’usager, 20% seulement sont vaccinés, donc peu de probabilité d’un accès égal à une mesure qui est censée être nationale et applicable partout. C’est un souci. De la salle C’est tout le problème des demandes de réalisation et de leur vérification sur le terrain. Brigitte RAILLER Tout dépend ensuite des indicateurs. De la salle Oui, mais très souvent les bilans d’activités ne sont pas représentatifs de la réalité et de ce qui se passe sur le terrain. Brigitte RAILLER Il est plus facile de mesurer les TROD que la difficulté rencontrée. De la salle Quand nous regardons le bilan des TROD, nous avons le nombre de TROD réalisés, le nombre de tests positifs, le nombre de tests vérifiés et le nombre de suivis engagés. Si ce dernier chiffre correspond à zéro, on peut penser qu’il y a un problème. A quoi cela sert-il au final ? L’outil reste très bon, mais il faut se donner du temps, par exemple deux ans et non un an. De la salle Moins d’un an, c’est complètement déraisonnable. Entre le TROD, la confirmation de test, le premier bilan, etc., il faut un process qui s’installe sur la durée si l’on souhaite évaluer quelque chose. Brigitte RAILLER Oui, l’évaluation des outils est très importante.

Atelier n° 2 Prison : Comment ne pas enfermer les hépatites ?

Michel BONJOUR Olivier Ségéral est « interniste » au Kremlin-Bicêtre, il intervient également à la prison de Fresnes. Patrick Serre est médecin chef de l'UCSA du Mans, il est urgentiste au centre hospitalier du Mans et président de l'Association des Professionnels de Santé exerçant en prison. Patrick SERRE, hôpital Le Mans Bienvenue à tous et merci de vous intéresser à ce sujet complexe, qui est une problématique de santé publique énorme pour nous, intervenants en prison, avec des contraintes à respecter. Olivier SEGERAL, AP-HP Bicêtre Le milieu pénitentiaire est un milieu assez particulier avec beaucoup de contraintes, et la prise en charge de patients atteints d'hépatite C ne peut pas être la même qu'à l'extérieur de

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la prison, même si nous remarquons des similitudes. Je vais donc faire un état des lieux et vous donner quelques données préliminaires. La France compte 191 établissements pénitentiaires, 106 maisons d'arrêt, 79 centres de détention et 6 maisons pour mineurs. La notion très importante est l'augmentation d'un tiers de la population carcérale sur dix ans. C'est une donnée essentielle pour comprendre tous les freins inhérents à la prison. Pour donner des chiffres exacts, l'on compte 66 748 détenus pour 57 000 places, ce qui fait une surpopulation de 120%. Il est très important également d'avoir à l'esprit le lien très fort avec l'usage de drogues. Une partie de l'incarcération est due à la criminalisation de l'usage de drogues et la revente de stupéfiants. 61% des usagers de drogue sont incarcérés au moins une fois dans leur vie. Une autre donnée importante est le lien très fort entre usage de drogue et prévalence de l'hépatite C puisque, comme vous le savez, c'est un facteur majeur de transmission. La prévalence de l'hépatite C chez les usagers de drogue a été estimée à 60%. Ces deux chiffres proviennent de la grande enquête « Coquelicot » de 2003. Nous voyons donc qu'il y a une triangulaire très forte entre hépatite C, usage de drogue et prison. Actuellement à la maison d'arrêt de Fresnes 70% des patients atteints d'hépatite C sont des usagers de drogue. Et par usage de drogue il faut voir non seulement les injections intraveineuses, mais également les consommations par voies nasales. Il n'est pas assez souligné que l'on peut transmettre l'hépatite C par l'usage de pailles. Les dernières données de l'enquête Prévacar réalisée il y a deux ans et publiée très récemment sur 27 UCSA, donnent un chiffre de prévalence de 4,8%, soit environ 3 000 personnes infectées par l'hépatite C en prison en France, à comparer au chiffre de la population générale qui est d'un peu moins de 1%. Nous avons axé cette présentation sur cinq points très importants : la prévention, le dépistage, l'évaluation des patients infectés, l'accès aux traitements et la continuité des soins à la sortie.

- La prévention

Olivier SEGERAL, AP-HP Bicêtre Globalement, la parole sur l'hépatite C est très insuffisante en maison d'arrêt car le turnover y est très important. Ce qui signifie que pour faire passer des messages de prévention, il faut les renouveler en permanence, ce qui est particulièrement difficile. Bien sûr nous faisons passer de l'information oralement en consultation, les infirmières également le font lorsqu'elles voient des patients au sein des infirmeries, mais dans l'ensemble c'est insuffisant. Nous essayons d'organiser des groupes de parole, soit à l'occasion de la journée de l'hépatite, soit de la journée du VIH, pour tenter de faire des réunions au cours desquelles nous discutons de l'hépatite. Nous tentons également de faire passer de l'information sous forme de brochures. Enfin, un autre moyen est celui de la télévision en interne -lorsque cela existe, ce qui est le cas à Fresnes- par laquelle nous faisons passer des messages de santé globaux sur le diabète, le VIH, la nutrition etc... Par ailleurs, nous pouvons remarquer qu'il existe quelques associations en lien avec le VIH qui entrent dans les prisons, mais sur l'hépatite il serait vraiment bienvenu qu'il en soit de même. Car ce n'est pas infranchissable, il est possible de rentrer dans les prisons, et nous aurions besoin de ces associations pour nous aider dans cette démarche d'information, et je me tourne vers SOS Hépatites. Patrick SERRE

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C'est effectivement très important, car vous savez qu'il existe une circulaire intitulée « Guide méthodologique de prise en charge de la santé des patients détenus », dont la dernière version qui date du 30 octobre 2012 insiste sur tous ces points, et pour nous il est important de travailler avec les associations. Mais la règle de base, c'est que l'unité sanitaire qui s'occupe de la santé des patients détenus soit celle qui coordonne toutes les actions de prévention. Elle comporte des comités de pilotage dans lesquels il est possible d'inviter toutes les associations afin que tout le monde travaille avec ses compétences propres, mais avec un objectif commun, celui de l'amélioration de l'information du patient détenu et de sa santé. Actuellement, nous comptons plusieurs associations, qui peuvent être concernées également par les addictions, comme « Les Alcooliques Anonymes » ou autre. Il est très important pour nous de travailler avec elles. Notre devise est d'utiliser au mieux le temps d'incarcération d'un patient détenu, surtout s'il est en maison d'arrêt, pour l'amener à prendre conscience qu'il a un problème de santé, d'une part, et d'autre part pour l'amener à se soigner et préparer au mieux sa sortie afin qu'il ne se retrouve pas dehors sans soin. Tous les types d'associations, dont SOS Hépatites, ont leur place pour intervenir en prison. Ce que je ne veux pas, et je le dis à titre personnel pour l'instant, c'est que des associations essaient « d'entrer en prison » sans convention avec les soignants des UCSA. Nous avons une seule priorité, nos patients détenus, nous devons donc travailler en bonne intelligence les uns avec les autres et non les uns à côté des autres. Olivier SEGERAL Quant aux moyens d'intervention, il est indiqué dans le guide méthodologique, par exemple, l'utilisation de l'eau de javel pour désinfecter les seringues. Or il existe un vrai problème par rapport à cela. Lorsque l'on discute avec les détenus, on s'aperçoit que l'information ne passe pas, et ils ne savent même pas que l'eau de javel sert à cela. La majorité l'utilise pour nettoyer les toilettes. Cette eau de javel est donc d'une part mal utilisée, et d'autre part très insuffisante. Car nous savons que des détenus continuent à s'injecter en prison et que ceux qui s'injectent partagent le matériel d'injection. Nous ne connaissons pas les conséquences exactes de ces échanges de seringues sur l’incidence du HIV ou de l'hépatite C en prison. Nous nous sommes vraiment posé la question sur le plan scientifique. Mais lancer une enquête d'incidence signifie mettre en place des moyens énormes, une durée de suivi et un nombre de personnes très importants. Pour avoir des chiffres d'un point de vue méthodologique il faudrait plusieurs années de suivi. Nous essayons quand même de travailler sur ce sujet, nous essayons de mettre en place des registres, mais c'est très difficile. Il n'en demeure pas moins que le risque d'infection existe. Il y a des cas d'incidence en détention, cette pratique existe, et nous savons que l'eau de Javel est globalement très insuffisante. De la salle Autorisez-vous les injections en prison ?

Patrick SERRE Il faut savoir qu'auparavant l'administration pénitentiaire considérait que les injections en prison n'existaient pas. Il était impossible de lui faire admettre cela. Maintenant elle commence à comprendre que les pratiques d'injection existent. Et l'une de nos problématiques actuelles est l'échange de seringues. C'est un sujet en cours de discussion et d'arbitrage dans deux ministères, la Justice et la Santé. Notre ministère de tutelle de la Santé a fait des propositions dans un groupe de travail mis en place par Madame Taubira et Madame Marisol Touraine au début 2013. Nous espérons avoir prochainement une communication importante sur le sujet.

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Mais ce programme d'échange de seringues est très compliqué en prison. A la fois pour les patients détenus et pour les professionnels de santé qui interviennent. D'une part, nous sommes confrontés à un problème d'éthique et, d'autre part, il s'agit d'un milieu fermé où ont lieu des actes de violence et de pression envers les êtres humains, ce qui signifie qu'il va falloir passer par un stade d'expérimentation extrêmement bien préparé avant de pouvoir généraliser quoi que ce soit. Et profiter d'expériences européennes. En Europe, deux pays sont en avance, l'Espagne et la Suisse. Surtout la Suisse qui nous a présenté dans différents congrès sa façon d'agir, et nous avons appris énormément au travers de ses succès et de ses échecs. Ils ont réfléchi, ont avancé pas à pas, et ont abouti à un programme vraiment efficace d'après le constat d'une diminution de transmission d'infection. C'est reconnu par les autorités et cela fonctionne très bien. Lors d'un récent congrès à Strasbourg, une infirmière a demandé ce qu'elle devait faire quand elle voyait un patient détenu avec une seringue usagée. Devait-elle la changer ou non, y avait-t-il risque ou non de l'encourager à se droguer ? C'est un problème très complexe. Olivier SEGERAL Nous avions ce même problème dans les services hospitaliers il y a quelques années avec des patients infectés par le VIH, sachant qu’à l'époque il n'était pas encore trop question de l'hépatite C. Fallait-il donner des seringues au sein des services hospitaliers afin que les patients continuent à s'injecter mais de façon sécurisée ? Et avec l'arrivée de la méthadone et du Subutex, nous avons encore eu le même débat sur le fait de les encourager ou non à se droguer. Patrick SERRE Effectivement ce n'est pas nouveau, la différence étant que nous avons un partenaire qui s'appelle l'administration pénitentiaire. Nous avons en face de nous une administration qui détient de nombreuses clés de réussite du programme. Et actuellement la position de l'administration pénitentiaire est en train d’évoluer, sur certains points, en faveur de l'intérêt du patient détenu. Olivier SEGERAL J'ajouterai que nous n'avons pas nécessairement besoin de chiffres. Mme Roselyne Bachelot avait demandé lors d’un débat, avec MSF je crois, de démontrer une augmentation de l'incidence du VIH ou de l'hépatite C avant de mettre en place un programme. Il s'agit là d'un vrai faux débat, puisque nous savons qu'il y a un risque d'infection, même sans chiffres. Et même si ce risque est faible, il faut en tenir compte puisque nous avons les moyens de les éviter. Cela me semble donc indispensable Patrick SERRE Enfin, dernier point concernant la prévention, l'initiative « roule ta paille » qui permet de faire passer le message que l'hépatite C se transmet également pas le sniff. C'est un message extrêmement important. De la salle L'information « roule ta paille » est-elle diffusée très largement ? Olivier SEGERAL Non, pas largement, elle l'est à la prison de Nanterre et celle de Lille. Mais elle gagnerait à être étendue. J'ai commencé à la faire circuler à Fresnes. De la salle J'interviens en prévention dans un département rural, la Dordogne, depuis dix-sept ans, loin des centres pénitentiaires des grosses agglomérations, et le sujet est très délicat. Il n'a pas été simple de parler d'injections au sein de la détention et d'échanges de seringues. Mais il est vrai que la prévention est un vrai problème, c'est un combat au quotidien. Nous avons

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diffusé notamment l'information « faire sa paille ». Auparavant, je travaillais avec une infirmière tout au long de l'année pour aboutir à la création d'outils, avec les détenus pour le contenu, c'était vraiment bien. J'ai toujours travaillé en ce sens, sur la manière de parler des détenus, sur leur façon de pouvoir dire les choses. Mais aujourd'hui l'UCSA dispose d’un nombre plus réduit de personnel, je n'ai plus d'infirmière et j'ai un réel problème de lien et de relais. Patrick SERRE Vous venez d'évoquer exactement les grandes idées sur la prévention. Au titre de l'information auprès des patients détenus, quelle était notre façon d'agir auparavant ? Nous avions des brochures en provenance de grands groupes pharmaceutiques, et autres distribuées par les CODES, qui avaient le mérite d'exister. Mais ce qui compte le plus, c'est de travailler avec les patients détenus. Que veulent-ils ? Qu'est-ce qui va les « toucher »? Sommes-nous capables de répondre à leurs propres demandes ? Voilà les bonnes questions que nous devons nous poser avec les associations. C'est dans ce sens que nous avons essayé de faire évoluer les choses, dans nos pratiques et dans les décisions des autorités de tutelle. Il faut partir de la base, il y a des choses qui doivent se faire, il existe des directives des autorités de tutelle, mais il ne faut pas oublier le patient détenu, qui est au cœur de nos préoccupations et qui doit dire ce qu'il a envie d'entendre. Il faut savoir décoder. Parce que nous pouvons faire des programmes de prévention innombrables, mais si nous ne sommes pas capables de « toucher » efficacement les patients détenus, cela ne servira à rien. De la salle Au-delà des patients détenus, je travaille avec les détenus, et certains vont se dévoiler d'autres pas. Je fais des interventions en collectif et je ne demande pas le statut sérologique hépatique ou autre. En revanche, ce qui est intéressant, c'est la manière de faire passer les messages, en trouvant la bonne façon de tourner une phrase pour que ce soit compris, et ce n'est pas forcément la manière dont cela a été écrit dans la brochure qui leur a été distribuée. Mais il faut que cela suive de l’autre côté. Si je fais passer une information sur l'eau de Javel, mais que les détenus n’ont pas d'eau de Javel accessible, cela ne sert à rien. C'est la raison pour laquelle le travail avec l'UCSA est incontournable mais c'est un travail que je dois renouveler à chaque changement d'équipe, à chaque changement de médecin de l'UCSA. Depuis dix-sept ans que je fais ce travail, je suis bien accueillie, j'ai même fait un travail auprès des surveillants, car si nous ne sommes pas bien avec eux, ils ne vont pas nous aider. Et de plus, ils ont besoin de l'information. Olivier SEGERAL C'est effectivement dans les groupes de parole que nous nous apercevons du ressenti des détenus par rapport à ces infections. J'ai connu des groupes de parole au sein desquels certains détenus étaient infectés et d'autres pas et j'ai pu constater une grande intolérance verbale de la part de ces derniers. De la salle Mais on constate également des changements de comportement au fil des discussions. J'ai connu des groupes de parole au sein desquels certains détenus décrétaient qu'il fallait dépister tous les séropositifs et les « mettre dans un coin ». Or, à la fin de l'année ils m'amenaient toutes les coupures de presse sur le sujet et étaient devenus presque des « pros ». Olivier SEGERAL Nous sommes bien d'accord sur l'importance de la parole.

- Le dépistage

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Olivier SEGERAL La proposition de dépistage est faite systématiquement au quartier des arrivants pour 95% des UCSA, ce qui est un résultat satisfaisant. Mais il y a encore un tiers des UCSA qui confient le dépistage aux CDAG. Or, ce cloisonnement entre deux services ralentit énormément le dépistage et la prise en charge. Il y a de la perte de vue entre la sérologie et le rendu des résultats. Lorsque l'on sait que la durée médiane d'incarcération en maison d'arrêt est d’un à trois mois, il est aberrant d’attendre un mois pour avoir le rendu du test. Ensuite, seulement 50% des UCSA renouvellent le dépistage en cas de refus ou en cas de longue peine. Je rappelle qu'il est recommandé de réaliser une sérologie tous les ans ou tous les deux ans et plutôt tous les ans pour les patients incarcérés à risque. J'ai ouvert une discussion sur la place des tests rapides d'orientation diagnostique, les TROD, et j'ai ajouté les « Dried Blood spots ». Test rapide d'orientation diagnostique égal une petite piqûre au bout du doigt, une goutte de sang mélangée à des liquides spécifiques, et en un quart d'heure nous avons les résultats. Le problème des TROD est qu’ils nécessitent la présence d'infirmières pendant quinze à vingt minutes pour faire les TROD et un lieu de confidentialité, ce qui est compliqué, en tout cas à Fresnes, car il y a toujours du monde qui circule. En pratique, les « Dried Blood Spots », c'est la même chose, mais le résultat n'est pas immédiat. Le prélèvement est envoyé au laboratoire de virologie, qui peut sur une seule cupule détecter plusieurs sérologies virales, hépatite et VIH, et éventuellement refaire de la charge virale en cas de séropositivité, sans avoir à prélever une nouvelle fois le patient. Alors que les TROD n'existent que par virus. Ce qui veut dire un index pour le VIH, un majeur pour l'hépatite C. J’ouvre le débat sur le sujet. Patrick SERRE Effectivement, les « Dried Blood Spots », c'est une goutte de sang grâce à laquelle on peut faire différents examens qui fournissent des réponses virologiques négatives ou positives. Mais je vous rappelle qu'en cas de positivité il faut obligatoirement légalement contrôler par une prise de sang classique. De la salle Quel est le coût du « Dried Blood Spot » ? Olivier SEGERAL Je ne peux vous répondre exactement, les TROD sont assez chers. Pour le VIH, c'est aux alentours de dix Euros. Pour l'instant, il n'y a pas de validation officielle pour l'hépatite C, cela va se faire très prochainement. Patrick SERRE L'idée est quand même d'avoir une attitude cohérente face à une population pénale. A savoir que ce n'est pas parce qu'un patient est en prison que nous pouvons le voir à n'importe quel moment. L’accès à l’UCSA pour les détenus est parfois compliqué…. Dans le quartier des arrivants cela nous permet de rencontrer le patient plusieurs fois dans la semaine. Nous devons obtenir sa confiance le plus rapidement possible et lui faire comprendre que nous ne sommes pas des auxiliaires de justice, mais que nous sommes là pour lui faire prendre conscience qu'il a peut-être des problèmes de santé à régler et peut-être une image de son corps à changer. Il faut donc que le soignant ait une « accroche positive » auprès du détenu. Les dépistages VIH, hépatite ou tuberculose sont importants. Donc, simplifions les choses, nous avons là une technique qui permet de détecter différents virus et d'avoir une charge virale pour certains. C'est un énorme progrès. Mais attention, il faut savoir amener le patient à accepter cette technique, et ensuite il faut savoir lui rendre les résultats, et là, c'est un autre débat. Olivier SEGERAL

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A ce sujet, nous avons réalisé une étude à Fresnes. Sur quelques mois nous avons étudié le pourcentage d'acceptation du dépistage, et quelles étaient les raisons des refus. Nous avons eu 78% des patients qui acceptaient le dépistage. Parmi ceux qui refusaient, la moitié déclarait avoir peur, c'est-à-dire ne pas avoir confiance dans les aiguilles en prison, et l'autre moitié avait connu de multiples incarcérations, on leur avait fait le test trois mois auparavant et ils estimaient donc qu'il n'était pas utile de le refaire. Nous leur avons alors posé la question de savoir si, étant donné leur refus de dépistage, ils seraient prêts à accepter un test rapide, et 50% des détenus ont alors répondu oui. De la salle Existe-t-il une publication sur ces chiffres ? Olivier SEGERAL Non, il s'agissait d'une enquête en interne.

- Evaluation

Olivier SEGERAL Une fois que nous avons les résultats, il faut les évaluer. Vous savez tous qu'une sérologie hépatite C positive ne veut pas dire une hépatite active, il faut avoir l'ARN, ce qui veut dire faire de la virologie. Or, selon Prevacar, seuls 50% des UCSA pratiquent l'ARN si la sérologie est positive. Prevacar ne dit pas pourquoi. Nous ne savons pas si c'est parce que le détenu a quitté rapidement la détention et n'a pas eu le temps d'avoir son ARN, d'où l'avantage du DBS qui permettrait de refaire la virologie dans la continuité sans avoir à prélever à nouveau le patient. Il faut savoir également quel est le seuil de fibrose hépatique chez le patient. Et là, nous avons des moyens très simples avec des tests non-invasifs. Les tests biologiques Fibrotest, Fibromètre et Hepascore sont les trois tests validés officiellement et facilement accessibles en prison. Il y a également l'Elastométrie, et il faut savoir qu’Echosens, le fabricant du Fibroscan, a mis en place une machine très facile à transporter et à utiliser, qui nécessite une journée de formation. Elle offre l’avantage de pouvoir être transportée d'une prison à une autre. Il est évident que nous n'avons pas besoin du Fibroscan tous les jours. A Fresnes, je l'ai eu quelques années grâce au sponsoring d'un laboratoire pharmaceutique. Une journée de Fibroscan me permettait d’en faire une quarantaine. Patrick SERRE C’est une problématique qui dépasse un peu le domaine de l'hépatite C et de l'hépatite en général, mais il s'agit effectivement de l'utilisation d’équipements médicaux de plus en plus performants. Comment en prison pouvons-nous avoir accès à ces appareillages qui nous permettent d'avancer plus rapidement vers le diagnostic précis et la prise en charge du patient ? Jusqu'à il y a deux ans, des laboratoires pharmaceutiques mettaient à notre disposition des Fibroscan qui étaient prêtées aux unités sanitaires. A partir d'un certain moment, le ministère de la Santé a souhaité que nous devions tous avoir des Fibroscans à disposition dans les CH de référence, or aujourd'hui, c'est loin d'être le cas. Nous avons donc perdu en deux ans une possibilité importante de diagnostic précis permettant de décider d'un traitement et de l'importance d'un traitement. C'est malheureusement un effet délétère car nous savons que nous ne pouvons pas avoir un appareil qui ne serait utilisé que certains jours ce serait un gâchis financier. Alors nous devons trouver un autre système. Par exemple, un pôle de référence avec un échographe, un Fibroscan, qui puisse être utilisés par plusieurs sites, être transporté facilement, pouvoir avoir des gens formés et faire ainsi profiter tous les patients détenus concernés de cela, le résultat étant transmis à notre hépatologue référent. Ce serait effectivement un progrès notable.

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Olivier SEGERAL Ces machines portables passent sous le portique aux rayons X donc pas besoin de le rentrer par la voiture, ce qui fait gagner du temps. D'autre part, l'impact sur les patients est réel, c'est du concret, ils voient le score d'élasticité, et l'on peut leur dire immédiatement « tout va bien «ou « attention vous êtres en fibrose sévère, il faut faire quelque chose »» et cela les frappe. C'est un vrai message. Dernier point, la psychiatrie. 35% des détenus qui arrivent en détention ont un problème psychiatrique majeur, et il ne s’agit pas là d'un trouble anxio-dépressif. C'est un pourcentage énorme, d'autant que ces patients potentiellement vont peut-être avoir un traitement. Et si l'on veut être entendu, il faut un lien très fort avec le SMPR. Il me semble essentiel en prison d'avoir un suivi régulier et éventuellement des antidépresseurs, avant la mise en route d'un traitement par interféron. Patrick SERRE C'est un point fort de nos équipes, être en liaison avec le SMPR où l'on peut admettre nos patients inquiétants sur un plan psychologique et psychiatrique. Ce matin, lors d'un congrès à Lille avec les psychiatres nationaux, le sénateur Lecerf expliquait dans son discours d'ouverture que sur 68 000 détenus on compte 20 000 patients psychiatriques. Alors que sommes-nous capables de leur proposer ? Quels sont ceux qui ont leur vraie place en prison ? Et si l'on considère ceux qui ont un problème pathologique chronique vrai, VIH et hépatite, qu’avons-nous à leur proposer? Nous avons un atout, c'est que là où il n'y a pas de SMPR, nous avons des unités sanitaires conçues, depuis la circulaire du 30 octobre 2012, avec deux composantes : une somatique et une psychiatrique. Ce sont deux sous équipes qui travaillent en complémentarité, chacune dans le respect l'une de l'autre, qui font un travail en commun, chacune gardant sa spécificité. C’est un point fort. Nos patients détenus ont devant eux une équipe pluridisciplinaire capable de travailler ensemble, de faire des évaluations, des diagnostics, du suivi, des programmes de suivi et de l'éducation. C'est de cette façon que nous pouvons progresser, en mettant en commun nos moyens.

- Le traitement

Olivier SEGERAL Je le répète, l'hépatite C est une maladie curable. Et nous avons les moyens de débuter le traitement en milieu carcéral. Mais pourquoi y-a-t-il si peu de traitements en prison ? Deux raisons principales à cela. La première est la durée d'incarcération qui pose problème aux équipes, parce qu'elle est souvent courte en maison d'arrêt ou alors inconnue, et nous nous retrouvons avec des patients libérés du jour au lendemain. Cela freine les équipes, elles ont peur de démarrer un traitement sachant il n'y a pas moyen de retrouver les patients par la suite. La deuxième raison, c’est la peur des effets psychiatriques. Pour avoir pris en charge des patients atteints d'hépatite C à Fresnes pendant six ans, 15% de ceux-ci ont arrêté le traitement à cause des effets secondaires, et parmi ces 15%, 99% en raison d'effets psychiatriques. J'ai eu un cas de problème thyroïdien, tous les autres ayant décompensé sous interféron. Il est tout à fait justifié d'avoir peur des effets secondaires psychiatriques de l’interféron en prison mais ce n'est pas inéluctable. Si l'on met en place une aide psychiatrique, même médicamenteuse, avant la mise en route du traitement, nous parvenons à aller au bout du traitement. Je pense donc qu'il faut vraiment tout faire pour encourager la mise en route du traitement en détention, d'autant que souvent nous avons affaire à des patients très désocialisés à l'extérieur, qui ne se font pas prendre en charge. 70% des patients que j'ai suivis à Fresnes pendant six ans n'avaient jamais consulté un médecin alors qu'ils savaient être infectés par l'hépatite C. Et pourtant nous arrivons à les traiter avec des résultats équivalents à ceux qu'on peut voir à l'extérieur. Mais à une condition essentielle, c'est d'avoir « une porte de sortie », c'est-à-dire avoir la possibilité, une

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fois que le patient est dehors, de le suivre et de lui faire continuer le traitement. En tout cas pour moi le message est très clair : démarrons le traitement à l'intérieur. Nous avons réalisé une enquête à Fresnes d’où il ressort que le facteur le plus important pour qu’un détenu revienne nous voir après sa sortie, c’est d'avoir commencé le traitement en détention. Patrick SERRE Une petite précision à propos des équipes pluridisciplinaires, avec une partie somatique et une partie psychiatrique. C'est également une équipe comportant l'intervention des CSAPA et des associations. C'est ce que j'appelle la prise en charge globale et efficace d'un patient détenu. Olivier SEGERAL Dernier point, la nationalisation de la télé-dermatologie en prison. C'est-à-dire que lorsque nous sommes face à un problème cutané, sachant qu’avec le Télaprévir il peut y avoir des allergies cutanées très graves, il y a maintenant possibilité de faire des photos et de les envoyer directement à un dermatologue qui répond immédiatement avec la préconisation adéquate, arrêt du traitement ou pas. C'est un aspect à développer. Patrick SERRE La télésanté est une nouvelle technologie d'information et de communication, et c'est l'avenir pour nous. Car notre problème en prison est de plusieurs ordres. D'une part, il faut un certain nombre de semaines pour diagnostiquer un patient infecté par une pathologie hépatique, et d'autre part, le patient doit avoir ensuite accès aux soins d'un spécialiste puisque les médecins généralistes en prison ont le droit de prescrire, mais après que le patient détenu ait rencontré le spécialiste. On se heurte là à des difficultés, car lorsqu' il n'y a pas d'hépatologue qui puisse venir en prison, il faut prendre rendez-vous à l'hôpital de référence. Il faut donc prévoir une extraction médicale, ce qui veut dire avoir le personnel de police disponible pour accompagner le patient détenu. Et cela signifie parfois trois mois de retard en raison de ces difficultés. Nous devons donc trouver une autre alternative pour diminuer les temps d’attente de prise en charge réelle de la pathologie. Il commence à être admis que la meilleure des solutions est de faire venir un hépatologue de référence dans les unités sanitaires, cela est peu réalisé dans les UCSA. Ensuite, une fois que le traitement est débuté, les médecins généralistes et leurs patients forment un binôme, mais il faut aussi qu'il y ait le lien avec l'hépatologue de référence. Dans certaines unités le patient voit son hépatologue tous les quinze jours ou trois semaines, grâce à la télésanté installée dans l'unité sanitaire, avec un écran à l'hôpital de référence. Cela permet d'éviter les extractions. Ce problème d'extraction médicale est la clé de l'accès aux soins. C'est la théorie de « perte de chance » pour les patients détenus, nous avons bien un diagnostic en cours mais pas l'accès au spécialiste. Nous sommes tributaires de ces partenaires que sont l'administration pénitentiaire, et les forces de l'ordre qui accompagnent les patients à l'hôpital. Nous essayons de mettre en place la télésanté, à la fois pour le suivi des traitements, mais également par rapport à l’éducation des patients que nous pouvons réaliser avec cette technologie. Concernant la télé-dermatologie, je suis l'un des pionniers sur le territoire, et cela fonctionne très bien. Je fais environ 70 à 80 consultations de télésanté par an, et sur l'année dernière, nous n'avons fait extraire que trois patients qui nécessitaient un avis visuel direct au CH. C'est évidemment très appréciable. Et cela ne fonctionne pas que pour la dermatologie. Nous avons également en projet des programmes d’éducation à la santé ou d’éducation thérapeutique pour les diabétiques. Pour l'hépato-gastro, les consultations de pré-anesthésie, nous avons des programmes extrêmement avancés dans l'ouest en particulier à

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Nantes. Le problème est plutôt la non existence actuelle de codification des actes télésanté médicaux et paramédicaux, ce qui freine l’engagement des hôpitaux dans la concrétisation de ces projets. Olivier SEGERAL Il faut effectivement prendre conscience de cette cascade, entre le nombre de patients qui vont être dépistés, le nombre de patients que l'on va perdre au moment des évaluations, puis dans l'accès au traitement.

- Continuité des soins à la sortie

Olivier SEGERAL La continuité des soins à la sortie peut sembler évidente mais elle est très peu suivie. C'est le parent pauvre car rien n'est anticipé. Il faut se mettre dans la tête d'un détenu qui a passé cinq ou six mois dans un endroit où il n'avait pas le droit de penser par lui-même, où on lui a imposé une prise en charge, puis il se retrouve dehors avec son paquetage et il doit se débrouiller. C'est une rupture extrêmement brutale. Et on constate que le service d'approbation d'insertion à l'intérieur de la prison n'a pas le temps de travailler sur l'anticipation des soins. Je ne leur jette pas la pierre, mais ils travaillent essentiellement sur les problèmes internes de la prison, sans anticiper la sortie. Or, nous avons des patients qui, à la sortie, n'ont plus de droits sociaux, plus de couverture sociale, il faut donc rétablir tout cela. Il y a de plus très souvent des personnes migrantes. Pour l'hépatite C, nous avons énormément de personnes d'Europe de l'Est sans papiers avec des problèmes d'addiction. La continuité des soins permet de poursuivre un traitement initié en prison, et même si le traitement est terminé, je rappelle qu'il y a un délai de trois mois pour pouvoir affirmer la réponse virale. Si le traitement n’a pas été initié à l'intérieur de la prison pour diverses raisons, il faut pouvoir leur offrir la possibilité de le faire à l'extérieur une fois qu’ils seront sortis, et je pense qu'il existe des solutions pour y arriver. Au Kremlin-Bicêtre nous travaillons avec le système PASS (Permanence d'Accès aux Soins de Santé), avec des consultations spécifiques pour les patients sans aide médicale de l'Etat ni sécurité sociale. Cela permet de les revoir à leur sortie de prison, et comme je travaille à la fois dans la prison et dehors, je connais les patients qui viennent plus facilement me voir à l'extérieur. Cela permet d'avoir une continuité des soins, de travailler avec l'assistante sociale PASS pour les aider à rétablir leurs droits, de travailler avec les CSAPA pour toute la partie prise en charge addictologique. Nous avons quelques solutions d'hébergement grâce à des unités qui travaillent pour loger les détenus à l'extérieur. Nous n'avons pas de solution miracle et nous avons beaucoup de problématiques avec l'hébergement, mais tout cela permet de rattraper des choses et surtout de poursuivre les soins initiés à l'intérieur. Patrick SERRE Notre rôle consiste effectivement à bien préparer les sorties. Nous avons un partenaire, le service de Probation, et comme je le dis depuis des années, si en prison nous faisons du bon travail avec les associations, si nous prévoyons tout sur le plan médical, mais que le service de probation ne trouve pas de logement pour un patient à moins de cinquante kilomètres de l'hôpital où il devra se rendre régulièrement, il y a un vrai souci. Nous nous trouvons donc là face à un autre problème qui est l'échange d'information avec notre partenaire judiciaire et pénitentiaire, en respectant le secret médical. Il existe une « grille » d'échange d'informations avec les services pénitentiaires (annexe au guide méthodologique d’oct 2012) que nous pouvons utiliser dans le cadre de la préparation à la sortie du patient détenu, pour savoir ce qui est autorisé ou pas. Mais attention, tout ce qui est autorisé ne peut l'être qu'avec l'accord du patient. Nous devons avoir son accord avant de parler de quoi que ce soit. Nous ne parlons pas de pathologie, il s'agit d’informations à

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caractère médico-social. Si l'on ne communique pas avec l’administration pénitentiaire, en expliquant que le patient a besoin d'un suivi médical et qu'il ne s'agit pas de lui trouver un logement trop éloigné de la structure sanitaire dont il a besoin, il y aura un souci. Il faut être logique et responsable, c'est le patient qui sera gagnant. Nous devons donc mettre en commun un certain nombre de ressources, établir un échange d'informations avec la justice, sans trahir le secret médical, et toujours avec l'accord du patient détenu. C'est le point essentiel. Car le secret médical est aussi mis à mal pendant l’incarcération, entre détenus, avec le personnel de surveillance également. Et il serait nécessaire que ces derniers aient un certain degré de connaissance des pathologies. Nous avons également un devoir d'information envers les personnels de surveillance pour dédramatiser certaines situations. Il faudrait organiser des séances d'information auprès d'eux. Mais il faut également envisager des formations au sein de nos propres équipes soignantes. Car comme pour tout traitement complexe, comme celui de l'hépatite C, il faut que le personnel des unités sanitaires soit bien formé, or, il y a des lacunes dans ce domaine. Olivier SEGARAL Effectivement, un traitement est quelque chose de complexe qui nécessite une éducation thérapeutique et de parler le même langage. Or, nous avons un énorme problème dans les prisons en termes d'interprétariat pour se faire comprendre du patient. Très souvent, le détenu arrive à expliquer que son codétenu va lui servir d'interprète, mais cela nous pose le souci du secret médical et de la bonne interprétation. Patrick SERRE Il est vrai qu'il y a une très forte population venant des pays de l'Est. Ce que nous venons de vous présenter peut varier selon les établissements. En France, il y a un grand nombre de maisons d'arrêt, des centres de détention et des établissements pour mineurs. Chaque établissement a sa propre façon de travailler. En maison d’arrêt les temps d'incarcération sont très courts, et nous devons motiver les gens pour se faire soigner, nous devons avoir les diagnostics, il faut lancer les actions, préparer les sorties. Ce qui pénalise les patients, ce sont les sorties « sèches », c'est-à-dire que l’administration pénitentiaire recevant l’ordre de remise en liberté pour un détenu, cela doit être immédiat. Et bien souvent le patient ne revient pas à l’UCSA avant sa sortie, il n'aura pas d'ordonnance ni son traitement. Sans compter que parfois ces patients n’ont même pas de couverture sociale d’étable. Olivier SEGERAL D'où l'avantage du dispositif PASS. J’ai régulièrement des détenus qui, après une sortie sèche, arrivent à Bicêtre en m'expliquant qu'ils ont été libérés la veille et qu'ils n'ont plus rien. On ouvre alors une « préca », on fait l'ordonnance de « préca », on leur donne un mois de traitement, et nous prenons rendez-vous pour une vraie consultation quinze jours ou un mois après, mais au moins il n'y a pas de rupture de traitement et la prise en charge peut être assurée. Je pense qu'il y a véritable intérêt à travailler avec les patients sortis de prison. Patrick SERRE J'ai la chance d'avoir dans mon équipe une infirmière qui est à 60% dans l'UCSA et à 40% à la PASS, ce qui est un atout important. Il existe par ailleurs un autre problème, c’est celui de la vaccination contre l'hépatite B. C'est très important, nous proposons bien au début de l’incarcération cela, mais visiblement pas assez pendant l’incarcération. En maison d'arrêt le temps d’incarcération étant en moyenne très court, les patients n'ont parfois que la première injection. Il faut donc se mettre d’accord également pour qu’un schéma vaccinal efficace puisse être réalisé dans un minimum de temps. Il faut reconnaître aussi qu’avec la mise en place du volet prison du plan national

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hépatite 2009-2012, nos pratiques en prison ont progressées. Nous devons également développer notre coopération avec les agences nationales sanitaires et de réaliser des enquêtes scientifiquement reconnues, complètes et fiables. Dans les prisons, nous manquons énormément de données épidémiologiques médicales, ce qui nous permettrait d’améliorer sûrement nos pratiques. Hormis l’enquête Prevacar et quelques autres, ces données nous manquent. Olivier SEGERAL Pour terminer, vous savez que de nouveaux traitements contre l'hépatite C arrivent, de nouvelles molécules, trois mois de traitement, plus d'interféron, seulement un ou deux comprimés par jour, beaucoup moins d'effets secondaires, donc clairement une simplification des traitements. La possibilité de traiter trois mois est un facteur crucial en maison d'arrêt, et à partir du moment où nous pourrons utiliser ces médicaments en détention, nous n'aurons plus de souci. Les choses sont en train de s’accélérer. Nous avons bon espoir qu'une molécule arrive très prochainement et que les autres suivront. Nous pouvons donc espérer traiter rapidement des patients en détention afin qu'ils ressortent guéris. C'est l'avenir optimiste. Nous avons l'impression que les politiques sont plus ouverts à un accès à un programme d'échange de seringues. Il y a toujours le frein de l'administration pénitentiaire, mais dans quelques années, nous devrions avoir des programmes pilotes d'échange de seringues au sein des prisons. Michel BONJOUR Merci pour votre intervention très pertinente sur le milieu carcéral.

Atelier 3 : Faut-il dépister tout le monde pour ne pas traiter ?

Yazdan YAZDANPANAH, AP-HP Bichat On parle beaucoup d’hépatite C, mais il ne faut pas oublier l’hépatite B, et une fois qu’on a dépisté tout le monde, faut-il traiter tout le monde ? Un rappel des recommandations actuelles de dépistage. C’est un dépistage ciblé, sur les facteurs de risque, lesquels sont l’administration des dérivés de sang avant 1990, l’exposition nosocomiale avant 1997, l’hémodialyse, l’injection ou l’utilisation de paille pour prise de drogue, les partenaires sexuels des patients VHC, les patients incarcérés, les patients venant de pays de forte prévalence, etc. Actuellement, pour l’hépatite C le dépistage est ciblé sur ces facteurs de risque. Pour l’hépatite B, c’est également un dépistage ciblé, même si les populations à risque ne sont pas exactement les mêmes, mais il existe une différence majeure. Autant pour l’hépatite C le dépistage est surtout destiné à dépister les personnes infectées et éventuellement les traiter, autant pour l’hépatite B, il y a une prise en charge des sujets infectés mais également une vaccination des sujets négatifs s’ils sont à risque. Pourquoi améliorer le dépistage ? Parce qu’il n’est pas optimal. Selon l’Institut de Veille Sanitaire, 43% des patients VHC ne se savent pas infectés, ce qui représente 100 000 personnes, 55% des patients VHB ne se savent pas infectés, ce qui représente 154 000 personnes. Donc une proportion très importante de patients ne se savent pas infectés ni par le VHC ni par le VHB. Deux bémols toutefois. Ces données datent de 2004 et aucune étude n’a été réalisée en France depuis lors. Compte tenu du fait que les stratégies de dépistage n’ont pas changé, on pense que la situation n’a guère évolué. Le dépistage VHC a sans doute augmenté, étant estimé à environ 62%, ce qui veut dire que 38% des personnes infectées l’ignorent.

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Quand ces stratégies ont été mises en place, à la fin des années 1990, des changements majeurs sont intervenus dans le traitement du VHC et du VHB, et le rapport bénéfice/risque de la mise en place d’un traitement a fortement évolué vers le traitement. Auparavant, la probabilité de succès du traitement interféron-ribavirine était plus faible et les problèmes de tolérance et de toxicité étaient beaucoup plus importants. Aujourd'hui, être dépisté ne signifie pas la même chose pour un patient qu’il y a dix ans. Même chose pour le VHB, même si on ne guérit pas la maladie, on a des traitements efficaces, sans toxicité, le bémol étant qu’il faut les prendre à vie. C’est un changement pour l’individu lui-même, mais également pour la collectivité. A partir du moment où un patient est traité, la chaîne de transmission est coupée. Concernant les génotypes 1 et 4 et les génotypes 2 et 3 de l’hépatite C, la plupart des personnes ont été infectées entre 1970 et 1990, quand les mesures n’avaient pas encore été mises en place. Les personnes infectées par l’hépatite C encore aujourd'hui sont les usagers de drogue, mais dans la population générale, le nombre est beaucoup moins important. Les personnes infectées vont voir leur fibrose se développer sur vingt ou vingt-cinq ans. Les décès liés à ces infections vont augmenter avec le temps car ces patients infectés vont progressivement arriver au stade de la cirrhose. Pour les personnes non traitées, le pic de mortalité va se situer autour de 2017. Si on veut dépister, c’est aujourd'hui qu’il faut le faire. Ce sont les trois raisons pour lesquelles il faut probablement modifier nos modalités de dépistage. Mais nous ne savons pas comment répondre exactement. Faut-il poursuivre nos stratégies de dépistage ciblé en les améliorant ? Ou faut-il évoluer vers un dépistage universel, comme dans un certain nombre de pays ? C'est-à-dire que chaque fois qu’un patient consulte son médecin, celui-ci lui propose un test de dépistage de l’hépatite C et de l’hépatite B. De la salle Quelle option faut-il choisir d’après vous ? De la salle J’opterais pour le dépistage universel, car il y a certains hommes que nous n’arrivons pas à toucher, ceux qui font partie des HSH mais qui sont bisexuels. Yazdan YAZDANPANAH La raison pour laquelle vous proposez un dépistage universel, c’est parce que le dépistage ciblé ne touche pas tout le monde. Pourquoi ne touche-t-il pas tout le monde ? De la salle Parce que l’on met les personnes dans des catégories et qu’elles ne font pas forcément partie de ces catégories ou parce qu’elles ne se reconnaissent pas dans ces communautés. De la salle Je ne suis pas forcément pour le dépistage universel car l’une des causes de l’échec du dépistage ciblé actuellement, c'est un manque de connaissance des professionnels de santé sur les publics cibles et un manque de connaissance de la population générale, c'est-à-dire que les gens ne sont pas sensibilisés. De la salle Je serais davantage pour un dépistage ciblé. Certains des patients que je suis ont été dépistés parce qu’ils se faisaient opérer d’une chirurgie du cœur. Le chirurgien a fait des sérologies avant l’intervention et il s’est passé plusieurs mois avant que la personne n’entre dans le circuit de l’hépatologue. Peut-être que si c’était mieux ciblé, il y aurait un meilleur suivi. On constate un décalage entre le moment où la personne a sa sérologie et celui où elle est orientée vers l’hépatologue.

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Yazdan YAZDANPANAH Vous êtes plutôt pour le dépistage ciblé parce que vous considérez qu’avec le dépistage universel, on n’arrivera pas à organiser derrière. De la salle Je suis hépatologue et je suis également pour le dépistage ciblé. Le rapport coût/efficacité jusqu’à présent n’était pas en faveur du dépistage universel. J’ai fait faire une étude par un interne sur le niveau de connaissance des généralistes en matière d’hépatite en Guadeloupe, je pense qu’il y a un déficit d’actualisation des connaissances des médecins, un déficit des recommandations du dépistage ciblé dans le grand public. En appuyant sur ces deux leviers, sans doute peut-on améliorer le dépistage. Agnès, SOS Hépatites Je serais pour un dépistage universel parce que passent à travers les mailles les personnes de plus de 60 ans et que l’on retrouve à 70 ans avec un stade de cirrhose, et qui ignoraient être porteurs de l’hépatite C. Il n’est pas rare de trouver une hépatite C en maison de retraite, et c’est un des premiers cas de séroconversion dans les AES pour les personnels des maisons de retraite. Yazdan YAZDANPANAH Si je résume, les avis sont assez partagés, mais le dépistage ciblé l’emporte. Ce sont un peu les mêmes critères qui reviennent, c'est-à-dire la notion de coût, d’organisation. Et vous pensez qu’il y a des progrès à faire en matière de formation aussi bien des médecins que des patients. Aux Etats-Unis, plusieurs études ont été réalisées sur la question du coût/efficacité autour de l’hépatite C. Ils ont considéré une troisième stratégie, qu’ils appellent le dépistage de cohorte de naissance. Pour les tenants du dépistage ciblé, c’est une forme de dépistage ciblé, pour les tenants du dépistage universel, c'est une forme de dépistage généralisé. Aux Etats-Unis, les personnes ont été infectées entre 1970 et 1990, en dehors des usagers de drogue qui sont, en général, bien dépistés. Il y a eu beaucoup de cas d’hépatite C durant cette période car il n’y avait pas de mesure de prévention. Les Américains ont donc proposé d’évaluer un dépistage qui ne concernerait que cette population née entre 1945 et 1965. Une étude américaine montre le rapport entre coût/efficacité et prévalence de la maladie. Si tout le monde a l’hépatite C ou si la prévalence de l’hépatite C est élevée, et si on fait le dépistage, le ratio coût/efficacité est élevé. S’il y a peu de personnes, le ratio est faible. Si le nombre est inférieur à 50 000, c’est coût/efficace, sachant que coût/efficace ne signifie pas que ce n’est pas cher. Pour les prévalences inférieures à 8 pour 1 000, c'est coût/efficace. En France, la prévalence était de 0,84 en 2004. Le coût/efficacité dépend donc de la prévalence, et les personnes nées entre 1945 et 1965 ont une prévalence beaucoup plus élevée que les autres. D’autre part, on va pouvoir viser une population moins importante et donc l’impact budgétaire est beaucoup moins important. C'est la raison pour laquelle les Américains font, depuis 2012, un dépistage systématique de la cohorte des sujets nés entre 1945 et 1965. Non seulement, ils l’ont proposé mais ils le remboursent, alors qu’ils ne remboursent pas le PSA dans le cancer de la prostate ou encore la mammographie. Ces mesures concernent uniquement l’hépatite C. Et les Canadiens, depuis trois semaines, proposent un dépistage des personnes nées entre 1945 et 1975. C'est donc un moyen de faire un dépistage généralisé, mais ciblé sur une population. Ce n’est pas transposable à la France parce que l’épidémie en France est différente. Si je demande à un patient s’il a été transfusé avant 1992, il ne le sait pas forcément. S’il a eu une exposition nosocomiale avant 1997, il ne le sait pas forcément. S’il a partagé du matériel d’injection ou des pailles, il n’a pas forcément envie de le dire. En France, beaucoup de femmes de plus de 60 ans ignorent être infectées. On a beaucoup tendance à parler de l’hépatite C parce qu’il y a de nouvelles molécules, des enjeux

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économiques, mais on parle peu de l’hépatite B alors que le nombre de personnes qui ignorent être infectées par l’hépatite B est plus important. C'est un vrai problème. Autre point important, les médecins généralistes estiment qu’ils ne peuvent pas considérer leurs patients de manière mono thématique, et qu’ils doivent avoir une stratégie globale. Alors, est-ce qu’il ne faut pas plutôt s’intéresser au dépistage des viroses chroniques plutôt qu’au dépistage du VIH, des hépatites ? Ne faut-il pas avoir une stratégie globale non seulement pour faire des recommandations, mais aussi considérer que ces recommandations sont faisables ? Il ne faut pas faire des recommandations pour faire des recommandations, sinon cela ne marche pas, comme on l’a vu avec le VIH. Près de 29 000 patients VIH ignorent leur infection. Il faut donc faire quelque chose pour permettre à ces patients de bénéficier des traitements et pour certains du vaccin de l’hépatite B. Il faut que ce soit réalisable, coût/efficace, et que l’impact budgétaire ne soit pas trop important dans un contexte de crise économique. Tout le monde ne va pas forcément vers les structures de soins et il faut donc que les soignants mais aussi les patients aillent vers d’autres patients, qui ne sont pas dans les structures de soins. Les TROD doivent permettre d’aller vers les populations qui ne viennent pas dans les structures de soins. Il faut donc élargir l’offre de dépistage, ne pas forcément opposer des stratégies. De la salle D’après ce que vous dites, vous êtes pour le dépistage ouvert, donc plus universel que ciblé. Yazdan YAZDANPANAH J’ai parlé d’élargir l’offre, c'est-à-dire ne pas avoir un seul modèle. Il faut arrêter de dire que l’on ne peut dépister que dans les structures de soins. Il faut essayer de multiplier l’offre, faire du dépistage communautaire. Dans un certain nombre d’endroits où le nombre de personnes infectées va augmenter, il faut probablement coupler le dépistage avec le soin. De la salle Il y a beaucoup d’hépatites dans les lieux de précarité. Au congrès de l’AFEF était présent un médecin de Montélimar qui fait des TROD aux Restos du Cœur, 4% des hépatites. Yazdan YAZDANPANAH C’est exactement cela, sachant que nous avons maintenant les outils pour le faire. De la salle Il faut préciser que c’est fait avec l’accord des personnes. Yazdan YAZDANPANAH Il ne faut jamais faire de dépistage sans l’accord des personnes. De la salle Les dix commandements du dépistage n’ont pas été beaucoup diffusés au niveau des médias ou chez les médecins généralistes. Pour les femmes de plus de 60 ans, c’est la chirurgie gynécologique qui est pourvoyeuse, ce qui n’apparaît pas dans les dix commandements. Yazdan YAZDANPANAH Qu’est-ce qui doit apparaître ? Chirurgie gynécologique ou femmes de plus de 60 ans ? De la salle Chirurgie gynécologique, cela me semble suffisant. Les femmes savent qu’elles ont été opérées sur le plan gynécologique, mais elles ne savent pas qu’elles ont été transfusées parce qu’à l’époque on ne le disait pas forcément.

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Yazdan YAZDANPANAH C’est exactement le problème. Ce n’est pas que chirurgie gynécologique, mais également obstétrique, et c’est très compliqué de savoir car on ne disait pas s’il y avait eu transfusion. De la salle Est-ce qu’il n’y a pas une hypocrisie de la part des médecins anesthésistes ou chirurgiens qui font le dépistage des personnes qu’ils vont opérer pour eux-mêmes et pas forcément pour le patient ? De la salle Il faut veiller à ces populations de femmes dites insérées, qui sont mariées, et qui passent à travers. Si une femme a été transfusée à son dernier accouchement, par exemple, elle ne s’en est pas forcément rendu compte, et les personnes en grande précarité peuvent un jour ou l’autre se faire dépister soit aux Restos du Cœur, soit lors d’une incarcération. Et eux évoluent aussi vers les cirrhoses. De la salle Un certain nombre de patients ayant été hospitalisés en réanimation suite à des accidents de la route ignorent qu’ils ont été transfusés. De la salle Je travaille à la fois dans un CSAPA que je coordonne et je suis généraliste. Tout ce que vous dites est cohérent. J’ai eu des patients qui ont été opérés de la hanche, par exemple, dans les années 1990 et qui ne savaient pas forcément qu’ils avaient été transfusés, mais on a retrouvé des traces au niveau de la sécurité sociale, puisque des poches ont été remboursées. Yazdan YAZDANPANAH Croyez-vous qu’il est possible de demander à la sécurité sociale d’écrire à toutes ces personnes ? De la salle La clinique a demandé un remboursement pour sa poche et a donc envoyé quelque chose à la sécurité sociale. Mon épouse travaille dans un centre d’examen de santé, où l’on donne des questionnaires à remplir aux patients Les malades ne connaissent pas trop mal leur histoire, ils remplissent le questionnaire tranquillement et le ramènent ensuite. Quand ils notent qu’ils ont été opérés à telle époque, ils rentrent dans tel groupe de gens et ils vont donc être dépistés. Et on peut le faire en médecine générale. Dans nos cabinets, nous pouvons tout à fait donner un questionnaire de cinq ou six questions à remplir à nos malades, sur des périodes clés de deux ou trois mois. Il faut une volonté, mais c'est faisable. Yazdan YAZDANPANAH Le seul problème, c'est que les médecins généralistes ne peuvent pas le faire pour toutes les pathologies. De la salle Je suis d’accord, mais il y a des instances qui peuvent nous aider. Quand on demande aux patients leur carte Vitale pour que l’on puisse vérifier les droits, ils la donnent. Et ils peuvent remplir un questionnaire quand ils sont en salle d’attente. Les meilleures personnes pour nous aider, ce sont les malades. Le côté éducatif fonctionne. Yazdan YAZDANPANAH Quelle que soit la stratégie, il ne faut pas abandonner le dépistage ciblé. De la salle

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Cela marche d’autant mieux que nous avons les associations. Quand une association dit qu’il faut le faire parce que cela permet de sauver des gens, on le fait. Yazdan YAZDANPANAH On a dit qu’une des populations à dépister était les femmes de plus de 60 ans. Pensez-vous qu’une femme de plus de 60 ans ayant une hépatite C peut être dépistée ? Et est-ce que vous allez traiter une femme de 70 ans ? Le contexte est en train de changer parce que les traitements sont différents, ils sont moins toxiques. Le rapport bénéfice/risque, même pour cette population, est modifié. Faut-il dépister tout le monde pour ne pas traiter et quand faut-il commencer le traitement ? On dit qu’il faut dépister, mais si on ne traite pas, est-ce que c'est utile ? De la salle On ne traite peut-être pas tout de suite, mais je suppose que l’on traitera à un moment donné. De la salle Le fait de connaître son statut virologique permet aussi d’avoir un impact au niveau collectif. Yazdan YAZDANPANAH Tout le monde est d’accord que le fait de dépister n’est pas une obligation pour traiter. Chez tout individu, l’intérêt individuel passe avant l’intérêt collectif. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire de dire au patient qu’il doit se faire dépister d’abord pour éviter de transmettre le virus à d’autres personnes. De la salle C’est vrai, mais pour le patient diagnostiqué VIH, le fait de savoir qu’il peut être contaminant est important aussi pour lui, vis-à-vis de lui-même. Yazdan YAZDANPANAH Vous dites que la transmission n’est pas qu’un problème collectif. Je suis d’accord. De la salle Le fait de connaître sa séropositivité peut permettre aussi de changer son hygiène de vie, même si on ne va pas jusqu’au traitement. Yazdan YAZDANPANAH Se faire vacciner contre l’hépatite A, contre l’hépatite B, arrêter de boire de l’alcool. De la salle Je crois qu’il est difficile aussi pour les patients d’entendre qu’il est important d’être dépisté et une fois devant l’hépatologue de s’entendre dire qu’ils sont à F0 ou F1, qu’ils ont le temps d’être traité. J’anime un groupe de parole, et les gens disent qu’ils ne comprennent plus. Ce peut être une perte de confiance pour le patient. Yazdan YAZDANPANAH Vous pensez que si on dépiste quelqu’un et qu’on ne lui propose pas de traitement, il peut y avoir une perte de confiance. Mais on va quand même lui proposer une surveillance clinique, biologique. Pourquoi ne pas traiter ? Parce que le patient ne veut pas. Si vous êtes convaincu qu’il doit être traité, que lui dites-vous pour le convaincre ? De la salle Je pense que c'est au cas par cas. Et c'est en fonction de l’avenir des molécules, des associations médicamenteuses, des traitements interféron free, et du prix des médicaments

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qui va baisser avec le temps car il y aura une concurrence forcenée entre les différents laboratoires. Il faut donc adapter le traitement en fonction du stade de la maladie, des co-morbidités etc. Pour l’instant, je suis les recommandations, ce que je ne faisais pas lorsqu’il y avait la bithérapie puisque je considérais que plus le traitement était prescrit tôt, plus le patient avait des chances de guérir. Il y avait donc un paradoxe avec le fait de ne pas traiter les F1. Avec l’évolution des thérapeutiques, on a une plus grande efficacité, mais avec le Télaprévir et le Bocéprévir, les effets secondaires ne sont pas négligeables, sachant que les nouvelles molécules ont des effets secondaires beaucoup moins importants. Yazdan YAZDANPANAH Les arguments pour ne pas traiter tout de suite sont, d’une part, le fait que tout le monde n’est pas au même degré de la maladie. Il y a des fibroses plus ou moins avancées. Et pour ceux qui ont des fibroses plus avancées, il y a une urgence. D’autre part, les traitements à venir seront beaucoup plus efficaces, moins toxiques, et de plus courte durée. Donc, vous pensez qu’il faut attendre avant de traiter un certain nombre de patients. Quels sont les arguments pour traiter tout de suite ? Je pense qu’aujourd'hui la question ne se pose plus car nous sommes très proches de l’arrivée de traitements plus efficaces et moins toxiques. L’an dernier, lors du Congrès européen, nous avions présenté une étude dans laquelle on ne traitait que les F4 avec du Télaprévir ou du Bocéprévir, et l’on attendait l’arrivée des nouvelles molécules pour les autres. Aujourd'hui, c’est différent. Yazdan YAZDANPANAH Dans trois ou quatre mois, nous devrions avoir le Sofosbuvir, mais avec Peginterféron et ribavirine. La même question peut alors se poser : ne faut-il pas attendre les traitements sans interféron ? Je pense que la perspective des nouveaux traitements est un élément important. Ceux qui sont contre cette position estiment que l’évaluation de la fibrose n’est pas parfaite, que l’on peut se tromper. Ils peuvent aussi dire que cela va coûter beaucoup plus cher. L’ATU pour le Sofosbuvir est de 19 000 €. La question de traiter F0 et F1 avec des produits sans interféron se posera encore parce que ces médicaments coûtent cher. La question n’est pas de savoir s’il faut traiter avec du Télaprévir ou du Bocéprévir, mais s’il faut vraiment traiter ces patients même quand il y aura des médicaments sans interféron. A mon avis, il ne faut pas traiter tout de suite les F0 et F1, voire les F2, mais cette question de traiter ou pas, même quand nous aurons ces nouveaux traitements se posera parce que tout le monde ne va pas évoluer vers la fibrose de la même façon, parce que nous avons des outils pour évaluer la fibrose, parce que l’efficacité du traitement est la même que l’on soit F1, F2 ou F3, et parce que ces traitements coûtent cher. De la salle Pour l’AMM, est-ce qu’il ne va pas y avoir le dosage de l’IL28 pour dépister les C et ne faire qu’une bithérapie ? Yazdan YAZDANPANAH Je ne crois pas. Même pour le Télaprévir et le Bocéprévir, pour le génotype 1, ce n’était pas mieux. Chez les usagers de drogue, la question ne se pose pas de la même façon. Selon un grand nombre de papiers, il faut traiter tout le monde pour arrêter la transmission. Un exemple d’une publication faite au Royaume-Uni en 2011 où la proportion des usagers de drogue mis sous traitement est faible, soit 3 à 4%. Ils ont regardé ce qui se passait si 5 pour 1 000 par an étaient traités, 10 pour 1 000, 20 pour 1 000, et pour différentes prévalences d’infection. Imaginons que parmi la population des usagers de drogue, 20% sont infectés par l’hépatite C. Si un grand nombre d’entre eux est traité, la prévalence diminue de 70% à dix ans. Cela signifie que si l’on arrive à traiter un grand nombre de personnes, on baisse la prévalence. Si la prévalence est élevée, c'est plus difficile parce que les gens se réinfectent. Les sociologues commencent à dire qu’avec l’arrivée des interférons free, on aura beaucoup plus de réinfections.

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De la salle J’ai entendu des hépatologues dire que ces molécules coûteront tellement cher qu’ils ne les donneront pas aux usagers de drogue ou aux homosexuels qui ont des pratiques « hard » et qui se réinfectent. Yazdan YAZDANPANAH On a beaucoup de réinfections, mais l’objectif est non seulement de guérir les patients, mais d’empêcher la transmission. Une étude est en cours en France chez les usagers de drogue autour de cette question. Pour terminer, on m’avait demandé de traiter deux autres sujets. D’une part, combien de personnes peuvent être prises en charge et traitées chaque année pour leur hépatite ? Je n’en sais rien. D’autre part, quel est le budget alloué pour le traitement des hépatites chaque année ? Est-il comparable avec celui du VIH ? Je n’en sais rien. Sur la première question, il y aura peut-être plus de patients à traiter, mais les traitements vont être plus simples et plus courts.

Atelier 4 : Cirrhose, cancers et réduction des risques

De la salle Je suis transplanté depuis 2009. Avant la transplantation, il y avait un cancer, il y a eu une chimio-embolisation, deux hémorragies internes, et l’éradication de l’hépatite C en 2005. Donc dommages collatéraux. Pourquoi ? Parce qu’on est face à une hépatite C, qui est une maladie asymptomatique. En clair, je l’ai contracté en 1974-75 et l’hémorragie interne a eu lieu en 2005, soit trente ans plus tard. Et je n’ai jamais souffert. Anticiper n’est pas si simple parce qu’au bout du compte on peut être porteur d’une hépatite C allant jusqu’à la cirrhose sans que l’on s’en aperçoive, et elle est bien souvent décelée tardivement. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE, AP-HP Paul Brousse La transplantation est maintenant une technique totalement maîtrisée par les chirurgiens et les médecins hépatologues, avec des résultats de survie, en fonction de la cirrhose, de 70 à 90% à cinq ans, voire à 65 ou 70% à dix ans, avec très peu de problème de rejet, de rejet chronique, et s’il y a, cela influence assez peu la survie du patient et de façon très modérée la survie du greffon. Il faut quand même tout faire pour ne pas arriver à la greffe du fait de la fréquence des comorbidités en post transplantation telles que l’hypertension, le surpoids, le diabète, la récidive de la maladie initiale, … Qu’en est-il des indications de greffe ? Les indications essentielles sont représentées par la cirrhose alcoolique et la cirrhose virale C. Le deuxième point concerne l’accessibilité à la transplantation. Celle-ci est régie par le score MELD pour les cirrhoses décompensées et par le score foie chez les patients pour qui l’indication est la présence d’un carcinome hépatocellulaire. Pour le malade qui a un carcinome hépatocellulaire, là aussi les choses ont été remaniées, et encore récemment. Le score foie tient compte du nombre de nodules, de la taille maximum des nodules et du taux d’α-foetoprotéine tout cela pour ne pas pénaliser ces patients qui ont des scores de MELD bas. Quel type de tumeur a un patient atteint de maladie tumorale concernant le carcinome hépatocellulaire ? On reste encore beaucoup sur les critères de Milan qui concernent des tumeurs (moins de 3 modules et moins de 3 centimètres ou une tumeur unique de moins de 5 cms) ; toutefois des résultats peuvent être excellents chez des patients qui sont hors

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critères de Milan ; Là encore, les choses vont évoluer éventuellement avec l’apport de traitements tels que les traitements percutanés ou la radiothérapie conformationnelle, on sera à même de faire régresser la maladie tumorale de certains patients, et surtout d’éviter des sorties de liste. Une sortie de liste est la conséquence d’un dépassement des critères de transplantation. De la salle Tous les centres spécialisés ne bénéficient pas encore d’une éducation thérapeutique du patient au niveau de la transplantation, et globalement les recommandations sont d’arrêter l’alcool, d’arrêter le tabac, mais ces éléments ne sont pas forcément pris en compte. C’est un sujet que nous n’avons pratiquement pas abordé en 2009. Je ne dis pas que les gens qui se sont occupés de moi n’ont pas fait leur travail, mais il n’y a pas eu un travail préalable suffisant à ce sujet. Je constate qu’à Paul Brousse, mais ailleurs également, vous travaillez beaucoup sur des traitements pré-transplantations au niveau du VHC. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Oui, bien sûr. Chez un malade qui vient pour une indication de transplantation pour un carcinome hépatocellulaire et une cirrhose virale C, Le traitement du carcinome hépatocellulaire avant la transplantation est prioritaire ; Concernant l’infection virale C, l’idéal est aussi d’éradiquer le VHC avant la transplantation parce que la gestion de la récidive virale C post-greffe est difficile ; les vitesses de fibrose sur le greffon sont multipliées par deux, par quatre, etc., encore une fois en fonction des facteurs existants à des poids variables. Administrer un traitement antiviral C en post-transplantation est une gestion délicate, avec une efficacité moins importante. Là encore, cela deviendra plus facile avec des protocoles sans interféron, ce qui arrive déjà dans le domaine de la greffe. L’intervalle entre ce qui se passe, les traitements disponibles hors contexte de greffe et maintenant de greffe s’est considérablement amélioré. Jean-Claude TRINCHET, AP-HP Jean Verdier Je rappelle que la cirrhose est l’aboutissement de toutes les maladies chroniques du foie, quelle que soit leur cause. Les causes sont nombreuses, mais il y a quatre causes principales au niveau mondial : les deux virus des hépatites B et C, l’alcool, et les complications de l’obésité et du diabète. Ce qui représente plus de 90% des cirrhoses au niveau mondial, avec d’importantes variations. En France, les virus représentent à peu près un tiers des causes, l’alcool reste très dominant au regard des autres étiologies. Pourquoi isoler la cirrhose ? Parce que c’est une entité en soi, c’est l’aboutissement des maladies du foie quelle que soit leur cause, mais une fois arrivé au stade de cirrhose, ce qui va arriver est à peu près commun à toutes les causes, et les complications, la prise en charge, vont être quasi-indépendantes de la cause de la cirrhose. Il y a l’exposition au virus, une très longue période de plusieurs décennies légèrement asymptomatique, durant lesquelles il y a simplement de l’inflammation et de la fibrose, et l’arrivée, à un moment donné, au stade de cirrhose. Au stade de cirrhose, les patients sont totalement asymptomatiques, mais ils ont des risques au-dessus de la tête, trois épées de Damoclès que sont le risque de faire des hémorragies digestives, le risque d’avoir une perturbation majeure de la fonction hépatique, donc une insuffisance hépatique terminale, et le risque de développer un cancer. Cette période est beaucoup plus courte que la période antérieure où c’était plusieurs décennies, on parle plutôt ici en années. L’histoire naturelle est modifiée par un certain nombre de facteurs, il existe des variations d’une personne à l’autre, il y a aussi des co-morbidités, on retrouve les autres causes de maladies du foie comme l’alcool, le surpoids, le diabète, les autres virus comme le VIH. Tout cela peut moduler ou accélérer l’évolution. Deux points sont essentiels. Le premier est l’avènement de traitements antiviraux efficaces aussi bien dans l’hépatite C, permettant

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d’éliminer le virus, que dans l’hépatite B où l’on peut le contrôler totalement et de façon prolongée, Ils sont en train de modifier radicalement cette histoire naturelle. Cette histoire ne s’appelle d’ailleurs plus naturelle maintenant, c'est une histoire traitée, très différente de l’histoire que nous connaissions jusqu’à la période précédant l’avènement de ces traitements. Le deuxième point important est que le moment où la cirrhose s’est constituée mais où il n’y a pas encore eu de complications est une période critique. C’est la période de cirrhose compensée ou non compliquée, où il faut absolument mettre en œuvre des mesures de prévention ou de dépistage précoce des complications. Nous avons maintenant beaucoup d’éléments qui permettent de réduire les conséquences de ces complications. Dans les trois types de complications, les méthodes de traitement et de prévention vont du très efficace au moins efficace. Le plus efficace aujourd'hui a été le travail de deux décennies, c'est-à-dire la prévention et le traitement des hémorragies digestives. Quand c'est bien fait, c'est très efficace, et cela a considérablement réduit l’incidence des hémorragies digestives. On en voit très peu maintenant, mais quand on en voit elles sont généralement faciles à traiter et c’est devenu une complication beaucoup moins grave qu’auparavant. L’insuffisance hépatique est la complication pour laquelle des progrès récents ont été réalisés. L’arrivée de la greffe a été un événement majeur et la transplantation est maintenant bien rodée. C'est le traitement idéal et radical de l’insuffisance hépatique terminale. Il est clair que les traitements antiviraux sont en train d’influencer fortement cette deuxième complication et dans les années à venir, nous allons probablement voir une réduction de plus en plus importante dans les cirrhoses virales du nombre de personnes qui arrivent à cette insuffisance hépatique terminale. La troisième complication est celle qui nous soucie le plus, à savoir le cancer. C’est celle dans laquelle nous sommes aujourd'hui le moins efficace, même s’il y a aujourd'hui des pistes très importantes pour améliorer l’efficacité. L’incidence du carcinome hépatocellulaire, qui est le cancer primitif le plus fréquent, a très fortement et très rapidement augmenté, en France comme dans tous les pays développés, entre 1980 et 2000. A cette époque, l’incidence et la mortalité, c’était la même chose, car la survie était courte, de l’ordre de quelques mois. Dans une telle situation, il y a autant de gens qui meurent du cancer que de gens chez qui le cancer est diagnostiqué tous les ans. Pendant toute cette période, au grand désespoir des hépatologues, la courbe de survie des patients atteints de cancer primitif du foie était un désastre et montrait la très haute gravité avec 80% de décès à deux ans. Or, depuis dix ans, la situation est en train de changer. Alors que l’incidence du cancer continue à augmenter, la mortalité liée à ce cancer a commencé à stagner au début des années 2000 et est clairement en train de diminuer. Pour la première fois, on constate un découplage entre l’incidence et la mortalité.

Echanges avec la salle De la salle On a parlé de ce fameux pic de mortalité de 2015-2020. Quand on voit qu’un certain nombre d’hépatites sont découvertes de façon fortuite en milieu hospitalier, cela veut bien dire qu’il y a un manque de dépistage. Au niveau du ministère de la Santé, par exemple, nous étions sur une position consistant à dire : nous pensons qu’en 2017 vous serez encore au pouvoir et que vous pourriez donc être ministre de la Santé. Il s’agit de travailler sur le long terme. Tous ces éléments vont être gérés d’une façon ou d’une autre, mais ils se verront surtout après. Y a-t-il des choses à faire pour anticiper ? Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE C’est une question fondamentale. Cela rejoint la discussion que nous avons eue sur les deux niveaux d’intervention : un niveau d’intervention en amont pour le dépistage du carcinome

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hépatocellulaire, et un niveau d’intervention par un centre ultra spécialisé pour la prise en charge thérapeutique de ce type de cancer. Concernant le dépistage, il faut aller dans les centres d’addiction, vers le médecin généraliste, etc.,… C’est vers ce type d’approche mobile, à la fois en termes de technicité et de moyens humains, que l’on avancera. Il faut peut être que des équipes mobiles se construisent. Il faut aller vers le patient. Jean-Claude TRINCHET Si on parle de la cirrhose et de ses complications, le problème est qu’il s’agit d’une maladie asymptomatique. Ce qui signifie que lorsqu’on arrive aux complications cliniques, on est déjà presque à la fin de l’évolution. Quand on annonce le diagnostic de cirrhose à un patient, il s’étonne de ne rien avoir senti. C'est vrai, on ne sent rien, on ne s’en aperçoit pas. C'est-à-dire qu’il faut être vigilant sur les facteurs de risque, aller dans les endroits où l’on peut faire ce dépistage. Les médecins généralistes ont un rôle extrêmement important dans ce screening sur les facteurs de risque et les tests de dépistage. Il faut donc sensibiliser tout le monde et faire des tests. Nous avons vu qu’il existe de nombreuses autres causes de cirrhose pour lesquelles c’est plus compliqué. En ce qui concerne les hépatites, c’est particulièrement simple, on a des tests sanguins simples et pas très coûteux. Il suffit juste d’y penser et de les faire. Une fois le processus enclenché, le reste est assez bien codifié. Le premier pas, c’est vraiment y penser et faire le test. De la salle Avec Pascal, nous ne sommes pas forcément pour un dépistage systématique, mais nous pensons qu’il serait bon qu’un homme à 50 ans fasse un dépistage auprès de son médecin généraliste. Le nombre d’années avant l’évolution en cirrhose est un élément. A la différence du VIH, où les gens ont l’habitude de se dépister dans la majorité des cas. De la salle Je suis membre de SOS Hépatites. J’assure une permanence à l’hôpital de Béziers, et je vois parfois des internes passer dans le service gastro. Je leur ai demandé quel était le nombre d’heures consacrées aux hépatites dans leur cursus. Apparemment, il n’y en a pas énormément. Et je leur dis : vous qui allez être médecin, quand une personne va venir vous voir en se plaignant d’être fatiguée penserez-vous à faire le test au niveau des hépatites. Je suis étonnée parce que tous me répondent que non. Comment passer l’information au niveau des internes qui seront confrontés un jour ou l’autre à ce problème ? Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Le foie souffre d’un manque de communication, sans doute pour des raisons culturelles : l’alcool, le virus etc. Il y a des choses qui ne se disent pas, qu’on ne veut pas dire. C’est un problème de communication très ancien, et la communauté hépatologique a des difficultés à ce niveau. Des combats ponctuels sont menés avec des hauts et des bas. Sur la communication « grand public » ou non grand public, il y a beaucoup à faire. D’autre part, la formation pourrait très certainement être améliorée au niveau régional et au niveau national. Encore une fois, c’est le aller vers. La politique d’information auprès des futurs jeunes médecins généralistes est probablement à améliorer. De la salle C’est vraiment à chacun d’entre vous de mener cette histoire. Après ma transplantation, j’ai eu du diabète, j’ai éradiqué le diabète en l’espace de six mois. Je suis allé voir un diabétologue, et dans son bureau il y avait un truc qui s’appelait test VIH. Je lui ai fait remarquer et il m’a dit que c’était pour ne pas l’oublier. Comment font vos autres spécialistes et intervenants pour ne pas oublier le test des hépatites ? Il y a encore des éléments qui ne sont pas rentrés dans les mœurs et c’est une bataille de tous les jours. Cette année, nous avons dépensé 25% de notre budget sur de la communication grand public et sur une étude IFOP. L’étude IFOP révèle que 80% des Français considèrent qu’ils ne sont pas informés sur les hépatites. La meilleure preuve est que 58% des gens pensent qu’il existe une

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vaccination contre l’hépatite C. Et 20% des gens pensent que l’hépatite C est une aggravation de l’hépatite B. Il y a 5 000 décès par an dus à des hépatites, autant que les accidents de la route, et quand je vois les campagnes INPES, InVS etc. qui sont faites sur toute une série de maladies, je me demande tous les jours combien de morts supplémentaires il va falloir pour que nous ayons une campagne institutionnelle digne de ce nom. Quand nous avons fait la campagne sur les accidentés de la route, nous avons reçu un coup de fil de la DGAS nous disant qu’on n’avait pas le droit de faire une campagne institutionnelle de ce type, que c’était à eux de la faire et que nous aurions dû demander leur avis. De la salle Pour le VIH, on découvre à peu près 30% de personnes au stade Sida. Et pour les hépatites, combien de personnes découvre-t-on au stade cirrhose ? Jean-Claude TRINCHET Il est très difficile de répondre à cette question parce qu’on a une idée du nombre de gens ayant le virus B, ayant le virus C ou en tout cas ayant été en contact, depuis la grande enquête de l’InVS de 2006. Très schématiquement, on sait qu’il y en a environ 300 000 de chaque en France. Après, on ne sait pas très bien. Notamment en France aujourd'hui, on ignore combien il y a de cirrhoses. Personne ne le sait, on estime qu’il doit y avoir plusieurs centaines de milliers de cirrhoses tout compris, cirrhose virale, alcoolique etc., mais il n’y a aucun chiffre. Les seuls chiffres dont nous disposons émanent de deux enquêtes réalisées dans des centres de sécurité sociale : une avec le Fibrotest, une autre que nous avions faite avec la CPAM de Bobigny avec le Fibroscan. Très schématiquement, dans une population comme celle-ci, la prévalence de la cirrhose est de 0,5%, et quand on fait des projections, on doit arriver à 250 ou 300 000 cirrhoses en France. Aujourd'hui, il n’y a aucun registre, et je suis incapable de dire combien sont pris en charge, combien sont diagnostiqués. Je dirais qu’il y en a probablement peu puisque si on regarde le cancer, au moment où l’on fait le diagnostic de cancer, le diagnostic de cirrhose n’était pas pris correctement en charge dans à peu près 80% des cas. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Jean-Claude soulève un point majeur, c'est l’absence totale de registre. La culture cohorte, qui va quand même vers le registre, s'est développée. Le très bon exemple est la cohorte CIRVIR mise en place par Jean-Claude Trinchet. Les choses commencent à bouger, notamment grâce au soutien de l’ANRS et à l’émergence de projets à partir de la cohorte HEPATER. De la salle Il faut savoir qu’en termes d’épidémiologie, qu’il s’agisse des chiffres dont nous disposons en France mais également des chiffres disponibles en Europe ou dans le monde, nous sommes à côté de la plaque. Si je prends l’exemple d’une personne qui décède d’une cirrhose, cette personne avait une hépatite virale, mais l’ignorait. Va-t-on prendre le temps de savoir s’il y avait une hépatite virale avant. Elle n’est pas comptabilisée, par exemple, dans la mortalité. Un co-infecté qui décède va être dans les registres du VIH. La question est qu’aujourd'hui nous n’avons aucun chiffre. C’est vraiment un problème de registre et de données. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Soyons pragmatiques. Pour monter une cohorte, il faut non seulement du dynamisme, mais aussi de l’argent. Jean-Claude TRINCHET L’ANRS a vraiment été partie prenante dans cette initiation de cohorte dans le domaine des hépatites virales et des formes graves, puisque la première cohorte est celle que nous avons initiée, qui s’appelle CIRVIR, mise en place en 2005 avec les premières inclusions en 2006,

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et vitesse de croisière en 2007. Une autre est en train de se mettre en place, HEPATHER, mais c’est tout récent. Je ne connaissais pas l’ANRS, j’ai rencontré des personnes de l’ANRS qui, pour une fois, cherchaient vraiment à faire avancer les choses, à aider, et mettaient de l’argent. Pour l’instant, CIRVIR coûte cher à l’ARNS et ne lui a rien rapporté. On commence à publier. Ils sont capables de réfléchir à long terme. Ce n’est pas fréquent, mais c’est indispensable. Le court terme ne marche pas. Il faut bâtir avec des décideurs qui ne seront plus aux manettes quand nous aurons les résultats. De la salle Marc Bourlière disait à propos de CUPIC que les Allemands prenaient de l’avance sur la France tout simplement parce qu’ils avaient des personnels administratifs qui s’occupaient d’enregistrer les données. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Je pense quand même qu’il y a aussi un phénomène générationnel, certains clochers. Aujourd'hui, on est plus davantage dans un langage transversal. Jean-Claude TRINCHET La mobilisation générale ne se résume pas aux gens qui s’occupent de cela dans leur coin. Nous avons évoqué les complications en précisant qu’au fil du temps on se débrouillait de mieux en mieux avec un certain nombre de complications, mais nous avons aujourd'hui un vrai problème avec le cancer. La courbe de survie du cancer du foie en France sur les dernières décennies est un désastre puisque 80% de décès à deux ans, 10% de survie à cinq ans. C’est un cancer d’une extrême gravité. Les connaissances ont progressé et on a compris que si l’on ne détectait pas les cancers au stade où ils sont encore petits, on n’arriverait jamais à les traiter efficacement. Des études ont été faites qui permettent de dépister chez les personnes à risque, c'est-à-dire les cirrhoses. Quand on a une cirrhose, on est à risque de développer un cancer, et il faut faire une échographie tous les six mois. Ce n’est pas très compliqué. Il s’agit donc de reconnaître la cirrhose et une fois reconnue faire des échographies tous les six mois, et si l’on trouve une boule dans le foie, adresser le patient au spécialiste pour faire l’étape diagnostique, thérapeutique, qui est complexe et de plus en plus complexe au fil du développement des traitements. Mais les étapes sont assez simples. Quand c’est fait dans un hôpital universitaire spécialisé, le résultat est merveilleux puisque 80% des cancers sont au stade curable au moment du diagnostic. Dans la population générale, combien de malades étaient dans un programme de dépistage et combien avaient un cancer curable au moment du diagnostic ? 20%. Où est le problème entre les deux ? Le problème, c’est qu’en dehors des petits cercles de spécialistes, ce n’est pas appliqué. Dans la population générale, les cirrhoses ne sont pas détectées, même quand les malades sont repérés comme ayant une maladie du foie, on ne va pas toujours jusqu’au bout du processus pour savoir s’ils ont une cirrhose ou pas. Même quand la cirrhose est reconnue, les malades ne sont pas suffisamment surveillés, n’ont pas d’échographie au bon rythme, voire pas du tout d’échographie. L’application hors des milieux spécialisés est un vrai problème. Ce qui veut dire qu’aujourd'hui, il y a un véritable problème d’information en France, mais probablement aussi dans la plupart des pays développés. Il faut sensibiliser sur les maladies du foie, dépister les maladies du foie, en particulier virales, parce qu’il y a des tests. Une fois qu’elles sont dépistées, aller jusqu’au diagnostic de cirrhose, et lorsqu’il est confirmé, aller jusqu’au bout de la logique. Faire des échographies, en cas de nodule envoyer le patient en centre spécialisé. En faisant cela, nous passerons de 20 à 80%. Il y a beaucoup de travail, mais il y a une action collective à mener où les associations ont leur rôle, les malades ont leur rôle, les médecins également. Il faut des actions en direction des médecins généralistes qui, pour la plupart, n’ont pas conscience de l’existence du problème. De la salle

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Comment annoncez-vous aux patients qu’ils vont avoir des cures de chimio-embolisation et combien de cures maximum prescrivez-vous ? Jean-Claude TRINCHET Il s’agit de chimio-embolisation artérielle. On est dans le cas d’une tumeur à priori déjà évoluée qui ne relève pas d’autre méthode, notamment chirurgicale, et où l’on va faire une chimio-embolisation artérielle. Nous faisons une première séance et nous regardons ce que cela donne. S’il y a une bonne réponse, nous n’en faisons pas d’autre systématiquement, nous attendons, nous surveillons, et nous en refaisons si nous avons l’impression qu’il y a une reprise évolutive. En revanche, si après la première séance, nous n’avons pas de réponse, nous en faisons systématiquement une deuxième, car nous estimons qu’il peut y avoir eu des problèmes techniques. Et s’il n’y a pas de réponse après la deuxième, nous passons généralement à une autre méthode. En n’oubliant pas que la chimio-embolisation est une méthode efficace sur la tumeur, mais pas bonne pour le foie non tumoral. Il ne s’agit pas de tuer le malade d’insuffisance hépatique pour le guérir absolument de son cancer. De la salle Dès l’instant où l’on commence à aborder la chimio-embolisation ou la transplantation, il faut lâcher prise, car rien ne se passe comme prévu. De vous à moi, j’ai nettement préféré la transplantation à la chimio-embolisation. C'est un ressenti personnel. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Les résultats de la première cure est importante ; elle est évaluée lors de la pratique d’une imagerie vasculaire, essentiellement au scanner à un mois post-chimio-embolisation. L’effet tolérance est parfois surprenant dans un sens comme dans un autre. Ce n’est pas très facile à prévenir, probablement en fonction de la technique, de l’opérateur etc. et on a parfois des mauvaises surprises. En cas de tolérance très difficile, ce peut être un argument pour ne pas répéter les cures et proposer une autre alternative. De la salle Je suis surprise par rapport à que vous avez dit sur la transplantation et l’alcool, et le fait qu’on ne vous avait pas informé. J’ignore si c’est le cas à Paul Brousse. De la salle J’étais un cocaïnomane, j’ai arrêté la cocaïne avec l’héroïne et l’héroïne avec l’alcool. A l’époque, il n’y avait pas de produit de substitution, ni méthadone, ni Subutex. Je sais largement que c’est l’alcool qui a provoqué l’hémorragie interne et la décompensation de ma cirrhose, sauf que dès l’instant où j’ai été traité de mon hépatite, donc après le CHU de Clermont-Ferrand, je n’ai plus bu une goutte d’alcool. Les choses peuvent se faire, mais ce n’est pas si évident. Ne demandez pas à quelqu’un qui est addict d’alcool ou de tabac d’arrêter sa consommation du jour au lendemain, il y a un programme qu’il faut suivre, il faut accompagner les gens. J’ai eu beaucoup moins de problème à arrêter totalement l’alcool que d’arrêter le tabac. De la salle Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’on met le patient sur liste, un contrat est passé avec lui, et il doit être abstinent. Si le jour où il est appelé pour la greffe, il a bu, il n’est pas greffé. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Je connais cette position, on ne va pas rentrer dans le débat. De la salle Je trouve cette position assez dure, car il peut avoir bu pour la communion ou le mariage de sa fille.

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Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Je partage votre sentiment. Ce sont des situations difficiles. Nous avons eu la situation caricaturale quand nous avons mis en place le projet de transplantation chez des patients atteints d’hépatite alcoolique aigue sévère ; sur 30 malades nous avons eu deux rechutes très tardives et très modérées. A mon avis, un comportement addictif récent ne doit pas forcément le désengager d’un programme de transplantation ; ce n’est pas pour cela que le patient va être moins compliant en période post-greffe. Je considère que si la décision a été prise de greffer ce patient, avec son histoire, ce n’est pas le jour de l’appel que l’on doit changer les choses. Tout le monde assume. S’il y a eu un problème d’alcool, on voit ensuite en post-greffe. Il y a eu un engagement de part et d’autre, cet engagement doit être tenu, et après on voit. Jean-Claude TRINCHET On a dit que pour faire mieux, il fallait dépister, mais le dépistage, c'est-à-dire trouver des petits cancers, est quand même conditionné par l’efficacité des traitements. Il y a les traitements palliatifs d’un côté, c'est-à-dire la chimio-embolisation qui est validée, puis le Nexavar, le Sorafénib, premier médicament à avoir fait la preuve qu’il était capable de prolonger la survie et de réduire la propagation des tumeurs. Ce chef de file n’est pas un traitement curatif, mais donne une simple stabilisation et un ralentissement de l’évolution. Certaines réponses sont parfois spectaculaires. Beaucoup de recherches sont menées actuellement. Il y a de la radiothérapie interne, ce que l’on appelle la radio-embolisation, d’autres biothérapies en expérimentation. Généralement, quand il y a beaucoup de méthodes en expérimentation, c'est que celles que l’on a ne sont pas très efficaces. Concernant les traitements curatifs, si nous voulons changer radicalement l’épidémiologie et l’histoire naturelle, il faut aller dépister de plus en plus de tumeurs curables. Il faut les trouver mais en même temps il faut des traitements curatifs de plus en plus efficaces. Il existe actuellement deux types de traitement. Le traitement idéal est la transplantation, qui guérit tout, qui enlève la cirrhose qui est un état précancéreux, qui enlève le risque de cancer et le cancer. Mais c’est limité aujourd'hui par le nombre de greffons réduit et par de nombreuses contre-indications, sachant que cela reste une intervention lourde. Il faut donc trouver d’autres méthodes. Et les méthodes alternatives, ce sont des traitements locaux du cancer. On ne fait pas disparaître la cirrhose, mais on traite la tumeur elle-même. Il y a deux types de traitement : la chirurgie, le traitement de référence, historique, qui consiste à couper un morceau de foie. Il y a des contre-indications relativement nombreuses puisqu’on opère des gens qui ont une cirrhose et qui sont donc à risque de faire plus de complications que s’ils avaient un foie normal. La chirurgie a aussi ses limites. Une seconde méthode de traitement local s’est beaucoup développée ces dernières années, il s’agit de l’ablation percutanée ou destruction percutanée. La méthode la plus fréquente actuellement est la radiofréquence qui consiste à mettre une aiguille dans le nodule de tumeur, de chauffer, de faire passer un courant électrique de grande radiofréquence. C’est une destruction thermique du nodule. Cela fonctionne très bien, mais les méthodes conventionnelles marchent jusqu’à une taille limite d’environ trois centimètres. Actuellement, des traitements d’ablation percutanée alternatifs sont développés dont on espère qu’ils vont permettre de dépasser cette limite de trois centimètres et de fournir un traitement local beaucoup plus efficace qu’actuellement. Pour les grosses tumeurs, le traitement le plus efficace est la résection chirurgicale, mais beaucoup de malades ne peuvent pas être opérés. Une recherche importante est donc en cours pour développer des méthodes, et nous développons à Jean Verdier des méthodes de radiofréquence dites multipolaires qui permettent d’ores et déjà de traiter des tumeurs jusqu’à six à huit centimètres de diamètre. Mieux vaut traiter, bien sûr, un nodule de deux centimètres qu’un nodule de huit centimètres, c'est évident, mais on y arrive.

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Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité d’une offensive pour faire connaître ces maladies, pour qu’elles soient prises en charge correctement, que les gens soient dépistés et que l’on trouve des cancers curables, mais cela signifie qu’il faut des centres capables de maîtriser toutes ces méthodes. Nous plaidons pour le développement et la structuration de centres spécialisés disposant de toutes les disciplines nécessaires, de toutes les techniques, la transplantation, la radiologie interventionnelle, la résection etc., organisées autour de RCP spécialisés. Nous n’y sommes pas encore tout à fait, et un travail de multi lobbying est à faire pour essayer de faire avancer simultanément toutes ces approches. Une approche ne sera rentable que si l’autre avance simultanément. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE La spécificité ou la difficulté de la prise en charge des carcinomes hépatocellulaires, est représenté par le nombre et l’importance de facteurs à examiner par différents spécialistes ; en effet, il n’est pas toujours évident d’apprécier une taille exacte, le nombre de petits nodules, la localisation par rapport à l’arbre vasculaire, ce qui est vascularisé en partie, pas en partie, éventuellement ce qui reste vascularisé après un traitement par radiofréquence plus l’évaluation du degré de maladie hépatique, quel type de maladie hépatique. La prise en charge du carcinome hépatocellulaire d’un malade infecté par le virus de l’hépatite C est probablement différente de celle du carcinome hépatocellulaire post-problème métabolique. D’ailleurs, ce sont peut-être des cinétiques totalement différentes. La prise en charge de la maladie causale doit être aussi prise en compte. Jean-Claude TRINCHET Pour moi, le prototype de ce que je ne peux plus supporter se résume dans un exemple récent. Il y a trois mois, un patient de 42 ans, ayant une cirrhose virale C, une hépatite C connue depuis longtemps, cirrhose diagnostiquée six ans avant, surveillé par échographie pendant six ans. Au bout de trois ans, on trouve un nodule, mais malheureusement le nodule est hyper échogène et le radiologue écrit « angiome ». Pendant trois ans on continue à le regarder et au bout des trois ans, le radiologue constate qu’il y en a partout et dit qu’il y a une thrombose. On voit arriver un patient de 42 ans, qui avait franchi quasiment toutes les étapes, mais on n’est pas arrivé au bout parce qu’une étape a foiré. Pour que cela fonctionne, il faut toutes les étapes, et que toutes les étapes soient performantes. Or, aujourd'hui, on n’est pas performant. Et pas uniquement la France. Il faut une prise de conscience collective dans les pays qui ont les moyens, une chaîne partant de la détection des personnes exposées, leur surveillance adaptée, puis de la prise en charge du diagnostic et du traitement adapté. A l’heure actuelle, nous n’y sommes pas du tout en population générale et nous savons que nous pouvons le faire puisque dans les centres spécialisés on arrive à le faire. De la salle : Au niveau des traitements de l’hépatite C, finalement on a un peu démuni les centres hospitaliers qui ne sont pas des pôles de référence. Il vaut mieux avoir une cirrhose et un cancer et être traité dans un centre expert qu’en province et dans une ville moyenne. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE Il y a les objectifs et il y a les moyens. De la salle J’entends bien, mais à vouloir concentrer les moyens et les spécialistes, est-ce qu’on n’a pas tendance à démunir un certain nombre de centres ? Jean-Claude TRINCHET Il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté. Je pense que le point de départ, c’est d’avoir des centres spécialisés harmonieusement répartis. Mais il ne s’agit pas que le centre spécialisé fasse tout. Aujourd'hui, nous disposons de moyens de communication, comme la téléconférence ou la transmission des images. A partir du moment où un scanner est fait correctement,

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même par un radiologue libéral qui applique le bon protocole et qu’il est transmis éventuellement au centre de référence, il n’est pas nécessaire que tout le monde se déplace et converge au centre de référence. Mais c'est une organisation. Jean-Charles DUCLOS-VALLÉE C'est la nécessité de travailler ensemble. En fonction de ses objectifs, une enveloppe est attribuée à un centre A par rapport à un centre B qui a d’autres objectifs. Le centre A a peut-être besoin d’une machine d’échographie performante, le centre B a peut-être besoin d’un peu d’argent pour mettre en place la radiothérapie interventionnelle. Merci à tous les deux. Fin des débats.

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Vendredi 22 novembre 2013

Ouverture Danièle DESCLERC-DULAC, SOS Hépatites Bonjour à tous. Nous allons démarrer cette deuxième journée de notre Forum 2013. Je tiens tout d’abord à remercier Jean-Luc Gibelin, Responsable de la Commission Santé et Protection sociale du Parti Communiste Français, d’être parmi nous aujourd'hui pour ouvrir cette seconde journée. Merci d’avoir mis à notre disposition ce lieu prestigieux et symbolique pour nous de la Fédération SOS Hépatites. Merci également d’avoir pris de votre temps pour être avec nous ce matin, alors que la campagne électorale a déjà démarré. Les hépatites font l’objet d’un immense combat et les personnes atteintes de cette pathologie ont besoin de l’aide de tous, et notamment de nos élus. Jean-Luc GIBELIN, Responsable de la Commission Santé et Protection sociale du Parti Communiste Français A mon tour, je vous remercie d’avoir choisi ce lieu, à la fois symbolique pour vous et pour nous. Quelques mots sur nos orientations et nos choix en termes de santé et de protection sociale puisque c'est la responsabilité qui m’a été confiée à la Direction du Parti Communiste Français, mais également dans le cadre du Front de Gauche où nous avons une commission qui traite de ces questions. La notion de service public est pour nous au cœur de toute proposition concernant les questions de santé. Cela passe par des actes concrets comme celui de la remise en cause de la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires. Vous avez évoqué le besoin des personnes touchées par les hépatites d’avoir des réponses en termes sanitaire, en termes de prévention. Or, cette loi aujourd'hui ne permet pas le développement de la prévention, comme elle ne permet pas le développement de réponses de proximité, ce qui a des conséquences sur l’ensemble des pathologies. La deuxième proposition concerne la démocratie sanitaire. Notre volonté est de tourner complètement et radicalement la page par rapport à ce qui existe aujourd'hui en termes de démocratie sanitaire. Celle-ci a été évoquée pour la première fois avec la loi de 2002, mais elle n’a pas été concrétisée dans la vie quotidienne des patients. Nous souhaitons mettre en œuvre des assemblées tripartites qui interviennent sur des questions de santé, composées de trois collèges. Un collège de que nous appelons les ayants-droit à la santé, dans lequel les associations ont, bien sûr, toute leur place. Un collège des professionnels, qu’ils soient salariés ou libéraux. Et un collège des élus car nous considérons que la santé doit rester une thématique majeure de l’Etat, une mission régalienne de l’Etat. Nous envisageons ces assemblées à trois niveaux. Le niveau local qui peut être celui de la communauté de communes ou du canton en fonction de la réalité du territoire. Le niveau régional, car nous sommes persuadés que les questions de santé ont une cohérence au plan régional. Et le niveau national, car nous tenons à ce que les questions de santé relèvent bien de la responsabilité de l’Etat. Et nous voulons que ces assemblées aient trois missions principales. La première est l’exigence et l’expression des besoins de santé. Dans ce cadre, les associations comme la vôtre, les ayants-droit à la santé, sont les mieux à même d’exprimer ces besoins de santé. On pourrait considérer que cela va de soi et que les besoins de santé sont connus. Nous considérons que ce n’est pas aussi évident et que cette expression des besoins de santé est nécessaire, sachant qu’ils ne sont pas les mêmes selon que l’on est en milieu rural, en milieu périurbain ou en centre-ville. La deuxième mission est de définir et d’apporter des réponses à ces besoins de santé, sachant par exemple qu’il ne peut y avoir un IRM partout. La troisième mission, qui nous semble la plus importante, est celle d’un contrôle démocratique

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des réponses apportées. Cela ne veut pas dire remettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des structures, mais nous considérons que les questions de santé doivent faire l’objet de ce contrôle démocratique par les ayants-droit de la santé. C'est une proposition assez originale par rapport à ce qui existe et nous avons la faiblesse de penser qu’elle correspond à une attente importante des professionnels et des ayants-droit à la santé. Deux éclairages complémentaires par rapport à nos propositions. D’une part, concernant les centres de santé. Dans le cadre des élections municipales, nous nous sommes engagés à promouvoir les centres de santé plutôt que les maisons de santé. Ce n’est pas pour une question de bataille sémantique, mais parce qu’il s’agit d’un concept totalement différent. La maison de santé est, dans bien des cas, une structure financée par le public ou par la protection sociale dans laquelle se poursuit l’activité libérale qui est une des réalités de notre pays que nous ne contestons pas. A aucun moment, nous n’avons demandé la suppression de l’activité libérale. En revanche, nous pensons qu’il faut donner la primauté au service public et que des centres de santé doivent être mis en place, qu’ils soient municipaux, associatifs, mutualistes ou même hospitaliers, puisque la loi HPST permet à des établissements publics de gérer des centres de santé. A la différence de la maison de santé, le centre de santé est une structure financée dans son installation par l’argent public ou l’argent socialisé, mais qui fonctionne dans le cadre du service public. Il ne fonctionne pas à l’acte, c’est le seul lieu où doivent être appliqués les tarifs conventionnés et où il ne peut pas y avoir de dépassement d’honoraires. C'est un lieu qui favorise le travail d’équipe, ce qui est un élément déterminant. Les centres de santé doivent se développer sur le territoire afin d’apporter des réponses de proximité et promouvoir la prévention et l’éducation à la santé. Enfin, une autre de nos propositions est celle du pôle public du médicament car il nous paraît nécessaire de sortir le médicament de la sphère financière. Dans le cadre de ce pôle public, nous proposons la création d’une entreprise nationalisée sur la recherche, la production et la distribution du médicament, pour que soient faites en même temps des recherches sur les besoins de santé tels qu’ils existent sur le territoire et non pas tels qu’ils sont appréciés par la cellule financière de tel ou tel groupe pharmaceutique. Je terminerai par une proposition que la sénatrice Laurence Cohen a eu l’occasion de porter à différentes reprises, à savoir la mise en place, après les élections municipales, d’états généraux de lutte contre les addictions en s’appuyant sur la charte pour une autre politique des addictions. Danièle DESCLERC-DULAC Merci pour ces propos qui font écho aux interrogations de beaucoup d’entre nous. Vous avez employé des termes auxquels nous sommes très sensibles, tels que la démocratie sanitaire, car la démocratie sanitaire, c’est nous, il ne faut pas l’oublier. Si nous souhaitons qu’il y ait des débats publics dans le cadre des combats que nous menons, c'est bien pour éviter qu’on nous impose un certain nombre de clichés ou d’idées préconçues. Dans d’autres instances dans lesquelles je siège et qui sont en lien avec les associations de patients que représente le Collectif Inter-associatif Sur la Santé, ce sont des combats que nous menons. Vous faites allusion à un certain nombre de besoins qui doivent partir du terrain. A ce titre, nous sommes en train de mener un combat sur l’ouverture des données de santé par tous les acteurs de la société civile. La loi HPST a quand même permis de réguler un certain nombre de choses et aux représentants des usagers de siéger dans les instances hospitalières, dans les conseils de caisses primaires, etc. Je passe la parole à Hélène Delaquaize, la Présidente de l’Association Ile-de-France. Je tiens à la remercier car c'est grâce à l’Association SOS Hépatites Ile-de-France que nous sommes reçus ici. Hélène DELAQUAIZE, Présidente SOS Hépatites Ile-de-France

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Je parlerai au nom des malades, puisque SOS Hépatites est une association de malades. Je souhaite remercier toutes les AR qui sont présentes ainsi que les professionnels de santé, du médico-social, sanitaire et des collectivités territoriales - Je tiens à faire part de mon mécontentement car à SOS Hépatites Ile-de-France, nous avions l’intention d’organiser une journée porte ouverte de la « salle de consommation à moindre risque » qui aurait dû ouvrir Porte de la Chapelle pendant ce forum, projet porté par Médecins du Monde et l’association Gaïa. Pour des raisons législatives, le Conseil d’Etat en a décidé autrement. Cette ouverture est repoussée. Depuis notre dernier forum, qui a eu lieu à Rennes, des demandes avaient été faites sur la prévention, la RDR liée aux hépatites et la communication grand public. Nous sommes atterrés par si peu d’avancement. Nous attendons toujours l’accès aux TROD VHC et VHB. La HAS doit les valider. La revue BEH de novembre 2013 fait état d’une prévalence de VHC de 4,8% soit six fois celle de la population générale chez les détenus. Nous souhaiterions que chaque détenu primo-arrivant puisse faire un bilan biologique de recherche VIH, VHC et VHB, à son entrée et à sa sortie. Depuis des années, nous réclamons une campagne nationale de vaccination contre l’hépatite B à destination du grand public. Nous sommes en train de payer notre retard, puisque les associations régionales ont de plus en plus affaire à des malades atteints de l’hépatite B alors que nous avons un vaccin. Nous souhaiterions également qu’une campagne nationale « grand public » sur l’hépatite C soit mise en œuvre par le ministère de la santé. Concernant les traitements, nous avons appris, hier soir, que l’ATU du Sofosbuvir concernera les F3-F4. Par rapport à un traitement qui coûtera 700 € le comprimé, quelle va être la position de la sécurité sociale et des mutuelles concernant le reste à charge ? Peut-être faudrait-il créer des passerelles entre l’hospitalier et la ville, revoir le parcours de soins et impulser des programmes d’ETP hors de l’hôpital. J’ai vu dernièrement que des structures organisent des programmes d’ETP dans certains ACT. Nous sommes pour le « aller vers », sachant que tout le monde ne va pas à l’hôpital. On nous annonce un pic de mortalité due aux hépatites en 2020. Aujourd'hui, nous n’avons malheureusement plus de plan Hépatites. Quelle va être la politique de santé dans les ARS ? Les hépatites commencent à être saucissonnées avec le plan de la MILDT, et pourquoi pas le plan VIH, IST et le plan cancer ? Ce qui voudrait dire moins de visibilité pour les hépatites. A défaut d’un nouveau plan Hépatites, un rapport d’experts hépatites 2013, sous la direction du Professeur Daniel Dhumeaux est en cours de finalisation. Celui-ci ne doit pas être une compensation de l’absence du plan Hépatites. Nous resterons vigilants et le serons plus encore avec la nouvelle loi de santé publique. SOS Hépatites Ile-de-France anime un groupe de parole qui se réunit tous les mois. Une quinzaine de malades viennent pour s’informer et échanger. Des ateliers de Feldenkrais sont également organisés tous les mercredis, accueillant des malades atteints de maladies chroniques. Nous sommes aussi des activistes de la première heure pour la salle de consommation à moindre risque depuis mai 2009. Nous sommes présents depuis dix ans à Solidays. Nous intervenons et organisons des formations auprès des CSAPA et CAARUD sur Paris Ile-de-France. Nous avons un salarié qui fait un travail remarquable auprès de la population migrante, c'est-à-dire que l’hôpital se déplace vers les foyers de migrants. Je tenais tiens à remercier les bénévoles et les membres du bureau de notre association, Michelle Sizorn, Marianne Citron, Patrick Favrel et les salariés de la Fédération SOS Hépatites, dans le soutien des appels à projets. Notre grand pari se résume en six points. Mise en œuvre des recommandations du rapport d’experts hépatites, prévention et dépistage, campagne institutionnelle sur les hépatites, l’accès pour tous aux traitements innovants, un parcours de soins avant, pendant et après le traitement, et une bonne réussite de ce forum. Avant de terminer, je voudrais que nous

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ayons une pensée pour tous ceux qui ne sont plus là, et en particulier pour ceux qui nous ont quittés dernièrement. Danièle DESCLERC-DULAC Merci pour ce témoignage qui montre ton implication dans l’association et le combat que nous menons pour l’ensemble des hépatants de notre fédération. Vous aurez sans doute l’opportunité de poser des questions à Hélène dans la journée par rapport au fonctionnement de l’association de Paris. On dit bien que Paris n’est pas la France, mais Paris peut être un exemple pour d’autres associations. La proximité de grands hôpitaux, de la Fédération, peut être un plus, mais on sait aussi le nombre de personnes qui pourraient bénéficier d’un certain nombre de choses, notamment sur le plan des hépatites dans la région parisienne et c'est la raison pour laquelle nous devons continuer à œuvrer et nous serrer les coudes. Ceux qui nous connaissent peuvent venir et trouver des réponses, mais il y a tous ceux qui, à un moment donné, sont en rupture et que nous devons aller chercher. Je passe la parole à Madame Pfletschinger, Chargée de mission Santé à la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT. Je suis d’autant plus heureuse de la présenter que celui qui nous relie est le Docteur Julien Emmanuelli, qui a été conseillé auprès des ministres sur le plan Hépatites. J’ai eu l’opportunité de travailler avec lui dans nos centres d’examen de santé et de prévention. Elisabeth PFLETSCHINGER, Chargée de mission, MILDT Je représente la Présidente de la MILDT, Danièle Jourdain-Menninger qui aurait souhaité être parmi vous, mais qui a dû représenter la ministre de la Santé à une Conférence internationale sur le cannabis à Stockholm. En son nom, je vous remercie de nous avoir invitées, car les hépatites sont pour nous un enjeu majeur. Le plan gouvernemental a enfin vu le jour après des mois d’élaboration. La santé publique en France fonctionne à partir de plans gouvernementaux. S’agissant de la MILDT, il s’agit du premier plan contre les drogues et les conduites addictives. Il y a donc une petite différence sémantique par rapport au plan précédent. Nous avons souhaité y inclure toutes les addictions, y compris sans substance, et toutes les poly consommations. Il a été long à mettre en place du fait d’importantes concertations avec les associations, les ministères, les élus, les experts. Nous espérons que grâce à cette concertation préalable le plan sera solide, et sa mise en œuvre efficace au niveau des actions qui sont en train de démarrer. Les trois grandes priorités concernent la méthodologie. Nous avons fait en sorte que les actions choisies soient fondées sur des données validées scientifiquement, et nous avons écarté tout à priori idéologique, sachant qu’ils sont nombreux dans le domaine de la drogue. Nous avons voulu aller vers, c'est-à-dire cibler, privilégier, les populations les plus exposées, en premier lieu les jeunes, les précaires, les femmes usagères de drogue qui sont isolées pour diverses raisons, et les personnes qui sortent de prison. Beaucoup de nos mesures systématisent le repérage précoce des addictions chez les jeunes, chez les femmes notamment enceintes pour une prise en charge, y compris avec les médicaments TSO qui font l’objet de nombreuses mesures. La troisième grande priorité est de s’adosser à la loi pour protéger les populations, qu’il s’agisse d’une moindre disponibilité des produits, des ordonnances de complaisance moins importantes, d’une application de la loi HPST contre la vente d’alcool et de tabac aux mineurs. Tout cela fait globalement partie des messages de prévention, c'est-à-dire d’empêchement ou de réduction de la consommation. Les hépatites B et C sont une de nos préoccupations majeures car c'est un des dommages sanitaires les plus importants lié à la consommation de drogue. Pour l’hépatite B, un vaccin est efficace et il faut effectivement accentuer les campagnes de vaccination. Le virus de l’hépatite C se transmet non seulement par les injections, mais également par l’usage de drogue par voie nasale. Nous allons donc développer des outils de réduction des risques dans ce domaine.

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Dans ces matières, le plan gouvernemental a choisi de continuer à renforcer toutes les actions de réduction de risque visant à maintenir cet objectif prioritaire de réduction des pathologies infectieuses. D’étendre les champs de réduction des risques à l’ensemble des produits et à l’ensemble des voies, donc à la voie nasale. De renouveler le parc d’automates pour la distribution de seringues. Un combat me tient à cœur, celui sur la réglementation concernant les déchets d’activités de soins à risque infectieux. En France, il y a une incohérence par rapport à la réglementation sur les seringues des usagers de drogue qui ne sont pas pour l’instant considérées comme des DASRI et ne sont donc pas dans le circuit d’élimination officielle des DASRI. Nous allons également évaluer la pertinence des envois postaux d’outils de réduction des risques et de seringues pour les personnes éloignées des dispositifs. Dans le domaine carcéral, nous souhaitons accompagner la mise à disposition des TSO, qui ne va pas sans la politique de réduction des risques. Ce sont les TSO et la politique de réduction des risques qui contribuent à une diminution des hépatites. Nous souhaitons adapter les stratégies thérapeutiques en déployant l’approche intégrée vers les co-morbidités somatiques, notamment soutenir le dépistage et le suivi du VIH et des hépatites en développant les TROD et les Fibroscan. La MILDT a déjà financé une recherche évaluation sur les Fibroscan qui sont mis à disposition des CSAPA et des établissements pénitentiaires. C'est en voie de finalisation. Nous attendons les résultats de cette étude recherche. Nous souhaitons aussi réduire l’impact de l’injection des médicaments de substitution aux opiacés. Les traitements actuels ne conviennent pas à certains patients qui continuent donc à s’injecter, et nous pensons qu’il faudrait améliorer les prescriptions, notamment de méthadone pour nombre d’entre eux. Une étude a donc a été mise en place pour voir s’il ne serait pas possible d’étendre et de rendre plus accessible ce médicament. Nous voudrions étudier les raisons pour lesquelles les patients s’injectent et voir s’il ne serait pas utile d’avoir d’autres médicaments ou une autre voie que la voie orale pour les usagers de drogue. Nous allons donc soutenir les recherches sur d’autres formes galéniques pour les personnes dépendantes aux opiacés. Enfin, l’approche du plan n’est pas seulement nationale, elle est également internationale. Au sein des institutions internationales, la France porte et promeut une approche équilibrée, globale et solidaire. La prévention et les soins apportés aux usagers de drogue ainsi que les différentes politiques de réduction des risques constituent un axe prioritaire, sans oublier la lutte contre les pratiques qui procèdent également de la moindre disponibilité des produits. Plusieurs initiatives ont vu le jour, notamment un groupe du Conseil de l’Europe, appelé le groupe Pompidou. La France promeut la réduction des risques avec des Etats partenaires de l’Europe de l’Est et la rive sud de la Méditerranée dans un souci de préservation de la santé publique. Nous avons des résultats concrets. Au Maroc et au Liban, par exemple, les traitements de substitution aux opiacés ont été introduits récemment. Le plan gouvernemental entend développer la coopération sanitaire pour faire face aux épidémies de Sida et d’hépatite en tentant notamment d’améliorer la situation en matière de vaccination et de réduction des risques. La MILDT est à votre disposition pour avancer sur tous ces projets, sachant que les actions ne peuvent être intéressantes que si elles sont en lien direct avec la vraie vie, c'est-à-dire vous tous qui êtes au contact quotidien des personnes concernées. Nous travaillons avec le ministère de la Santé, la DGS. Toutes les actions du plan gouvernemental ont été écrites en collaboration avec les ministères, et notamment le ministère de la Santé. Je vous remercie. Danièle DECLERC-DULAC Merci, car je pense que le plan de la MILDT et nous sommes directement concernés compte tenu du fait que nous avons des populations qui sont et dans votre champ et dans le nôtre.

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Echanges avec la salle De la salle Je suis étonné par l’absence totale dans ce rapport de la MILDT de programme d’échange de seringues en prison. La prévalence est six fois supérieure à la population générale. Vous n’êtes pas sans savoir que la majorité des toxicomanes se contaminent au niveau de l’hépatite C dans les premiers temps de leurs injections et de leur consommation, et du coup, les primo-incarcérés sont déjà contaminés par l’hépatite C. Au moment de l’incarcération, il doit absolument y avoir un dépistage, ainsi qu’en sortie de l’incarcération. C'est seulement à ce prix que l’on verra l’incidence de l’incarcération et de l’usage de drogue. J’étais d’autant plus étonné que ce point soit absent du rapport de la MILDT que Marisol Touraine et Christiane Taubira, lors de la visite de la prison de Fresnes en décembre 2012, s’étaient engagées à mettre en place un programme expérimental d’échange de seringues au sein des prisons. Je pense qu’entre cet engagement ministériel et le rapport de la MILDT il s’est passé un certain nombre de choses, notamment le fait que dans les centres pénitentiaires on ne peut rien faire sans les syndicats des gardiens de prison, d’une part, et qui n’y sont pas forcément favorables et sans les directeurs des centres pénitentiaires, d’autre part. Je suppose que vous avez plus ou moins subi ce lobbying. Pour autant, on sait aujourd'hui qu’il y a plusieurs centres pénitentiaires qui, du sol au plafond, c'est-à-dire de la direction du centre pénitentiaire aux gardiens de prison, sont favorables à cette expérimentation. Certains centres vont jusqu’à penser qu’il serait intéressant d’avoir un espace de consommation réservé ou protégé. Je vous demande vraiment de prendre en compte cette affaire et de vous tourner vers les centres pénitentiaires qui y seraient favorables. J’ai particulièrement apprécié la campagne qui a démarré aujourd'hui sur le tabac et qui joue sur un élément fondamental qui est plaisir/dépendance. Cette campagne résonne au sein de toutes les addictions. On oublie trop souvent ce basculement entre le plaisir et la dépendance, et il est vrai pour toutes les addictions, y compris internet. Concernant les produits de substitution, arrêtons les bêtises. Vous n’êtes pas sans savoir que les injecteurs sont des injecteurs et que ce n’est pas parce que certains labos proposent des cachets qui sont quasiment impossibles à concasser et à diluer que les jeunes ne s’injecteront pas. Je vous propose une solution, c'est l’héroïne médicalisée. De la salle En région Auvergne, il n’y a aucun accès pour intervenir dans les prisons. Qu’en est-il de la dépénalisation des drogues illicites ? Elisabeth PFLETSCHINGER Ce n’est clairement pas à l’ordre du jour. Véronique LOUSTAUD-RATTI, Hôpital Dupuytren Limoges Je suis médecin hépatologue au CHU de Limoges. Je me permets de revenir à la charge sur un sujet que vous avez dû aborder hier. Au niveau des hôpitaux, nous avons eu un débasage considérable sur le plan financier qui a remis en cause l’éducation thérapeutique et la prise en charge ambulatoire des patients atteints d’hépatite virale B et C. Le Limousin est une région où la prise est charge est beaucoup centralisée et dans les hôpitaux, dont la plupart sont en déficit, le fait de passer de 500 k€ par an pour financer du personnel s’occupant des malades à 75 k€ a été un problème majeur. Sans compter que nous n’avons pas été avertis, et les mesures pour empêcher les désagréments consécutifs à ce problème n’ont pu être mises en œuvre. Nous nous sommes battus, nous avons obtenu des

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financements par d’autres moyens, mais je pense que ce type de démarche doit se faire avec les associations, et je ne suis pas sûre que l’association SOS Hépatites ait validé ce débasage des centres de référence des hépatites virales, et avec également les personnes qui prennent en charge les patients, et les patients eux-mêmes. J’ai compris qu’il n’y avait malheureusement plus d’argent et que l’argent pris aux centres de référence des hépatites allait être mis ailleurs, mais les hépatites virales sont un vrai problème de santé publique. A une période où de nouveaux médicaments arrivent sur le marché, où il va y avoir une gestion extrêmement difficile et importante de la prise en charge de ces patients, et compte tenu des coûts de ces médicaments, je pense que ce n’est pas le moment de débaser les centres de référence. Mes propos sont un peu agressifs, mais nous l’avons très mal vécu. Elisabeth PFLETSCHINGER La présidente de la MILDT va bientôt rencontrer les directeurs des ARS, et parmi les éléments d’information et d’échange qu’elle va partager avec eux, je ne manquerai pas d’ajouter ce chapitre dans son dossier. Véronique LOUSTAUD-RATTI Je souhaite également souligner que dans certaines régions, il y a peut-être une baisse d’activité, c'est-à-dire une baisse de demandes, mais que la région Centre est dans une situation catastrophique. Nous sommes encore en pleine croissance. Danièle DESCLERC-DULAC Je m’associe tout à fait à vos propos, docteur, nous devons être extrêmement vigilants par rapport aux transferts de subventions. Michel BONJOUR La MILDT a de l’argent. On confisque les maisons, les voitures, l’argent des trafiquants, qui sont les principaux producteurs des substances avec lesquelles les gens se contaminent. A une époque, la MILDT nous aidait à financer des actions de prévention, à éviter le premier shoot, à faire des choses en dépit de la loi de 1970 qui interdit de parler du produit. Il faut supprimer cette loi qui est incompatible avec la prévention et de vraies actions. Il suffirait de prélever un Euro sur les bouteilles d’alcool bon marché et je peux vous assurer qu’il y aurait de l’éducation thérapeutique partout. Il faut s’attaquer à la base du fléau. Il y a de l’argent, qu’on ne nous dise pas que la santé coûte cher, qu’il n’y a pas d’argent. Que l’on confisque l’argent des trafiquants et qu’on le donne à ceux qui se battent. Danièle DESCLERC-DULAC Merci aux trois intervenants qui nous ont consacré de leur temps, fait partager leurs compétences. Des actions sont en marche. Nous devons tous nous emparer de ce « aller vers » et peut-être gagnerons-nous encore un combat.

Atelier n° 1 : Prévention de l’hépatite C et test rapide dans les CSAPA et CAARUD : retour d’expériences

Enregistrement audio inexploitable.

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Atelier 2 : « Traitements : y a-t-il des effets désirables ? »

Véronique LOUSTAUD-RATTI, Hôpital Dupuytren Limoges Pour commenter les effets désirables, j’ai pris un cas pragmatique. Il s’agit d’une patiente âgée de 55 ans, mono-infectée par le virus de l’hépatite C, ayant une consommation franche d’alcool, soit 60 grammes d’alcool pur par jour, six verres de vin ou trois bons apéritifs. Elle a une obésité avec un IMC à 33. Cette patiente n’a aucun autre antécédent, elle est naïve de tout traitement. Elle a appris récemment son VHC et est très motivée pour l’éradication virale. Après avoir réalisé un certain nombre d’explorations, on constate qu’elle est génotype 1b. Sur le plan de retentissement en termes de fibrose, elle a eu deux tests non-invasifs, un Fibroscan et un Fibromètre, qui sont tous deux concordants en faveur d’une fibrose F2. Comme elle présentait des facteurs de gravité de son atteinte hépatique, à savoir la consommation d’alcool et le surpoids, on lui propose de faire une biopsie hépatique qu’elle refuse. L’échographie réalisée montre qu’elle a un gros foie plein de graisse, ce que l’on appelle la stéatose hépatique, et un foie non dysmorphique, c'est-à-dire pas d’argument en faveur d’une fibrose sévère. Notre question est de savoir s’il y a des effets désirables, lesquels vont passer par la guérison virologique. Ce qui compte finalement, c’est comment cela va transformer la vie du patient d’être guéri sur le plan virologique, c'est-à-dire comment cela va améliorer le pronostic vital et comment cela va améliorer les risques de complication liés à la maladie hépatique, mais pas uniquement. Et enfin, comment cela va améliorer la qualité de vie. Nous allons donc aborder ces différents effets désirables. Pour parler de l’amélioration du pronostic vital, nous allons d’abord parler de la mortalité, mais également de l’évolution de la fibrose sévère liée au virus de l’hépatite C. Tout d’abord, la morbidité ou la mortalité et la fibrose extensive. Une très belle étude a été présentée cette année au Congrès américain, réalisée auprès de 530 patients présentant une fibrose extensive. Ces patients ont été traités par bithérapie, PEG-interféron et ribavirine, entre 1990 et 2003, puis ont été guéris et suivis sur une période d’environ huit ans et demi. Cette étude montre clairement que les patients qui n’ont pas été guéris de leur hépatite C, par rapport à une population générale appariée, présentent une augmentation importante de la mortalité, et donc une diminution de la survie. En revanche, la courbe de survie des patients ayant une réponse virologique soutenue, malgré la fibrose initiale, rejoint celle de la population générale non infectée par le virus de l’hépatite C. Il y a donc une régression des lésions chez pratiquement 30% des patients F3 et chez 20% des patients F4. Des trithérapies ont l’AMM. Nous avons une première génération d’anti-protéases associées à PEG-interféron et ribavirine. Une modélisation a été présentée par Sylvie Deuffic-Burban de l’InVS, avec trois hypothèses. D’une part, des patients traités par la bithérapie, d’autre part, des patients traités par la trithérapie, et enfin des patients traités par la trithérapie mais qui ont bénéficié en plus d’une augmentation du dépistage. Quel bénéfice en termes d’incidence cumulative de la cirrhose ? En France, on constate une diminution de 55% de l’incidence cumulative de la cirrhose entre la bithérapie et la trithérapie avec dépistage renforcé, et une diminution de 50% de la mortalité entre la bithérapie et la trithérapie avec dépistage renforcé. C'est vrai aussi pour le Royaume-Uni avec 265% de chance de faire régresser la cirrhose et 265% de chance d’éviter le décès. La France n’est donc pas si mal dotée par rapport à ses voisins européens.

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Une autre étude récente de l’AASLD s’est intéressée à des patients hépatite C naïfs de génotype 1, jamais traités, chez les vétérans américains. Ils estiment parmi cette population 102 800 patients à traiter pour lesquels ils vont proposer plusieurs options thérapeutiques. Première option, une trithérapie PEG-interféron et ribavirine, et une anti-protéase de première génération. Deuxième option, un traitement avec un anti-NSA, c'est-à-dire essentiellement Sofosbuvir en association avec PEG-interféron et ribavirine. Troisième option, les régimes sans interféron. Quelles sont les réponses attendues chez ces patients en fonction des types de traitement proposés ? En cas d’absence de traitement, on est à 0% ; pour la trithérapie de première génération, on est à 70% ; pour la trithérapie avec PEG-interféron ribavirine deuxième génération, on est à 90% de répondeurs ; et pour les régimes sans interféron, on est à 90%. A partir de là, ils ont regardé le taux de patients traités en fonction du type de traitement et quelle est la solution la plus optimale. La solution optimale ce sont 50% des patients traités avec du PEG, c'est-à-dire que plus il y a de PEG, moins on a de chance de traiter les malades. Pour les traitements sans interféron on est à 90% de malades à traiter, c'est-à-dire que moins on va avoir de PEG, plus on va traiter de malades. Les conséquences sont à regarder sur trois niveaux. Le premier niveau, c’est la survenue d’un cancer du foie. Sans traitement, sur ces 102 800 patients, on a 15 000 cancers du foie ; si on traite, il n’y en a plus que 11 000 avec la première génération ; 10 000 avec la deuxième génération et PEG ; 6 000 avec les traitements sans interféron, à condition, bien sûr, de prendre le traitement maximal, c'est-à-dire 90% des patients traités. Même chose en termes de transplantation. 3 000 patients transplantés sans traitement, 1 900 patients transplantés avec trithérapie première génération, 1 600 avec trithérapie deuxième génération et PEG ; et 600 avec traitement sans interféron. En termes de réduction de la mortalité liée au foie, on arrive à moins 30% avec les traitements de première génération ; 39% avec les traitements de seconde génération ; 71% avec les traitements sans interféron. C'est toujours lié au fait que l’on va traiter davantage de patients. Nous avons parlé des effets désirables sur la fibrose et sur la mortalité, nous allons maintenant parler de l’impact des traitements en termes d’effets désirables sur les co-morbidités, en dehors de l’atteinte hépatique. Pour l’illustrer, les courbes de la cohorte dite CIRVIR constituée de patients atteints de cirrhose au niveau national, qui ont soit une cirrhose virale B, soit une cirrhose virale C, compensée, et qui sont suivis pour la survenue d’hépato-carcinome par des ultrasons et qui sont également suivis en termes de survie. La courbe bleue montre une petite diminution de la survie à cinq ans chez les cirrhotiques VHB, et la courbe orange montre une mortalité ou une survie globale moins importante chez les patients ayant des cirrhoses virales C. Est-ce dû au fait que le virus de l’hépatite C est plus agressif que celui de l’hépatite B ? Probablement pas. C'est parce que l’on parle de survie globale et que l’on s’est rendu compte que chez les patients hépatite C, il y a plus de co-morbidités que chez les patients hépatite B, et notamment en termes de co-morbidité vasculaire. Comment les traitements agissent-ils chez les patients ayant des facteurs de risque métaboliques ? Le syndrome métabolique concerne les personnes ayant un surpoids ou une obésité, donc un IMC et surtout un tour de taille augmenté, sachant que l’obésité abdominale est le facteur de risque principal de la survenue d’un diabète, ainsi qu’une hypertension artérielle, et une baisse du bon cholestérol. Ces facteurs de risque peuvent être mesurés, c’est ce que l’on appelle le HOMA, en fonction du degré de sévérité du syndrome métabolique, qui va de 2 à 4. On s'est rendu compte qu’un patient recevant une bithérapie et ayant un HOMA à 4 avait une chance divisée par deux de répondre à la bithérapie. On s’est posé la même question avec les trithérapies. Une étude récente a montré qu’en trithérapie, quel que soit le HOMA, les réponses sont identiques, ce qui signifie que le syndrome métabolique dans la trithérapie avec les analogues de première génération, ici du Télaprévir, n’impactent pas la réponse virologique aux trithérapies.

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Une autre étude parue en 2011 montre que des patients traités avaient une diminution non seulement de la mortalité de cause hépatique, mais surtout une diminution de la mortalité globale, en dehors des causes de mortalité hépatique. C'est-à-dire que le traitement antiviral a non seulement un impact sur la mortalité hépatique, mais également sur les autres causes de mortalité et en particulier la mortalité cardiovasculaire. Dernier impact fondamental, celui sur la qualité de vie du patient. On s’est rendu compte que les patients ayant des hépatites C ont plus de problèmes psychiatriques et notamment dépressifs en l’absence de traitement. On a montré que le virus passait la barrière hémato-encéphalique et on pense donc qu’il y a un impact direct du virus sur le psychisme. Diminution de la qualité de vie liée à l’infection virale en dehors même de la présence d’une maladie grave, c'est-à-dire d’une cirrhose. Que se passe-t-il après guérison ? Un papier publié en 2013 a repris toutes les études qui se sont intéressées à la qualité de vie chez les patients traités. On a analysé la qualité de vie en aveugle de la connaissance du traitement ou pas, et on a démontré qu’il y avait une amélioration de la qualité de vie, et notamment de tous les paramètres de la qualité de vie, c'est-à-dire non seulement la forme physique, mais également tout ce qui est perception de l’état général, vitalité, relations sociales, et tout ce qui est limitation due aux problèmes émotionnels et santé mentale. A l’évidence, tout cela passe par la guérison virologique. Aujourd'hui, même si les trithérapies ont des effets indésirables, elles ont également des effets tout à fait désirables. Quand elles sont arrivées, on a quand même cru au miracle par rapport à la bithérapie. Elles sont imparfaites, mais du temps de la bithérapie, on avait 40% de réponse virologique soutenue chez les patients à génotype 1, qui étaient les plus difficiles à traiter. Avec les trithérapies de première génération, on gagne 30% de réponse chez les patients jamais traités. D’autre part, on peut avoir des effets désirables de ces molécules en raccourcissant le traitement, qui est normalement de quarante-huit semaines. Hormis quelques exceptions, on peut diminuer la durée de traitement à six mois dans différentes circonstances, et en particulier lorsqu’il y a ce que l’on appelle une rRVR, c'est-à-dire que le patient répond virologiquement rapidement à la trithérapie. Pour ce faire, il doit remplir certaines conditions : n’avoir jamais été traité, être rechuteur à une première bithérapie et ne pas avoir de cirrhose. Dans ces conditions, les taux de réponse sont très élevés et ne sont pas différents entre les patients traités six mois et ceux traités douze mois. On peut donc raccourcir les effets indésirables. On peut encore raccourcir le traitement dans une population extrêmement ciblée et passer à trois mois de thérapie, à condition de ne pas avoir de cirrhose, avoir une réponse virologique rapide, c'est-à-dire ne plus avoir de virus à la quatrième semaine de trithérapie, et avoir le génotype de l’IL28B qui permet de prédire la réponse à la bithérapie et à la trithérapie. Si on a un bon génotype de prédiction, IL28B CC et que l’on réunit toutes ces conditions, le taux de réponse est extrêmement intéressant, proche de 90%, avec seulement trois mois de traitement. On a parlé des patients sans cirrhose, des patients naïfs, des patients rechuteurs. Nous allons maintenant parler des cirrhoses. Malheureusement, peu de patients cirrhotiques ont été inclus dans les essais cliniques d’AMM. Quand on a recruté des patients cirrhotiques en échec de bithérapie, on a pu constater que les réponses n’étaient pas si différentes mais que les effets indésirables sont beaucoup plus importants que prévu. Dans la cirrhose avec trithérapie, les effets désirables sont quand même intéressants en termes de réponse, et surtout dans trois populations. Les patients qui n’ont jamais été traités, les patients rechuteurs, et les patients ayant un génotype 1b. Dans le génotype 1, il y a deux sous-types, le 1a et le 1b, et en trithérapie le 1b a une réponse beaucoup plus favorable.

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Qu’en est-il des cirrhoses ? Une étude a été réalisée auprès de patients traités cirrhotiques, naïfs ou en échec, avec du Bocéprévir. Le taux de réponse en cas de fibrose F4 est globalement de 55%, ce qui n’est pas si mal. Si on regarde CUPIC, c'est-à-dire cirrhose en échec, le taux de réponse est assez proche, soit 50%. La différence est considérable en fonction d’un certain nombre de critères de réponse. Les effets désirables sont majeurs pour les patients antérieurement rechuteurs, avec 75% de réponse virologique soutenue même avec une cirrhose, même avec un échec à une bithérapie. En revanche, si le patient est non répondeur à la précédente bithérapie, c'est-à-dire n’a jamais négativé sa virémie sous bithérapie, il y a deux solutions : soit il est répondeur partiel, c'est-à-dire a diminué de plus de 2 logs sa virémie à la douzième semaine du premier traitement de bithérapie et il a 40% de chance d’avoir une réponse virologique décente ; soit il est répondeur nul, et le taux de réponse diminue considérablement, c'est-à-dire qu’il n’a même pas diminué de plus de 2 logs sa virémie à la douzième semaine du traitement après bithérapie. Dans le génotype 1b, on est à 60% de répondeurs, et dans le génotype 1a, à 34% de répondeurs. S’agissant des trithérapies de deuxième génération, nous avons le Sofosbuvir, anti-polymérase de la firme pharmaceutique américaine Gilead ; le Simeprevir, l’anti-protéase de deuxième génération, développée par Johnson&Johnson ; le Daclastavir, anti-MSA. Ces molécules agissent à différents moments du cycle viral et n’ont pas le même impact sur le virus. Ces molécules vont être proposées vraisemblablement pour les génotypes 1 et 4 en AMM, probablement aussi pour les 5 et 6 pour certaines molécules, et en association encore avec le PEG-interféron et la ribavirine. Ces molécules vont permettre de raccourcir les traitements, soit entre trois et six mois, d’augmenter considérablement, par rapport aux premières générations, les effets désirables et de diminuer les effets indésirables grâce à la molécule elle-même et au raccourcissement de la thérapeutique. Il y a deux types d’ATU. D’une part, les ATU de cohorte. Pour le Simeprevir, ce sont les patients cirrhotiques G4 en échec, sachant que cette molécule agit sur tous les génotypes sauf le génotype 3. Pour le Sofosbuvir, les ATU de cohorte étaient jusqu’alors réservées à la greffe. En pré-greffe, les patients sur liste pour lesquels il faut éradiquer le virus avant la greffe. En post-greffe, les patients greffés qui font une réactivation C grave. Autre ATU de cohorte dont on ne connaît pas encore parfaitement les critères et les limites, ouverture pour les patients cirrhotiques pour le Sofosbuvir. On ne sait pas s’il s’agit des naïfs, des échecs de traitement, les patients intolérants, les contre-indications à l’interféron. Et parallèlement, les ATU dites nominatives, au cas par cas, qui vont principalement intéresser les patients qui ont des manifestations extra-hépatiques, par exemple, liées au virus de l’hépatite C, qui ont des complications de cryoglobulines, des intolérances à l’interféron, des échecs d’interféron avec des cirrhoses sévères, qu’on ne peut pas traiter autrement ou remettre dans des essais thérapeutiques, qui ont des co-morbidités etc. Concernant le Simeprevir, six mois de traitement, trois mois de trithérapie plus trois mois de bithérapie, 86% de répondeurs, une seule prise de médicament, une bonne tolérance, pas d’anémie comme avec le Télaprévir et le Bocéprévir, il n’y aura plus que la ribavirine, et une AMM prévisible avec les deux PEG, une action pangénotypique, sauf pour le génotype 3. Comment le patient cirrhotique répond-il au Simeprevir ? On est globalement à 65% de répondeurs virologiques soutenus, c'est-à-dire qu’on augmente assez nettement par rapport aux premières générations. L’association PEG-ribavirine-Sofosbuvir incluant des patients cirrhotiques avec douze semaines de traitement donne des résultats assez impressionnants, mais n’oublions pas que ce sont des essais cliniques. Elle marche sur tous les génotypes, de façon brillante sur les génotypes 5 et 6, avec 100% de répondeurs. Et pour la fibrose, les taux de réponses sont un peu moins bons que chez les patients sans cirrhose, soit 80% contre 92%, mais ces essais thérapeutiques paraissent quand même très prometteurs. Qu’en est-il des génotypes 2 et 3 ? On se rend compte aujourd'hui qu’ils ne sont pas si faciles à traiter et que peut-être maintenant, ils vont être les plus difficiles à traiter. Une

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première étude de phase 2a a montré des résultats miraculeux sur les génotypes 2 et 3 en associant simplement le Sofosbuvir et la ribavirine. Cela marche bien pour les G2, naïfs ou prétraités, mais à condition qu’ils ne soient pas cirrhotiques. Donc un prétraité cirrhotique G2 Sofosbuvir et ribavirine, cela marche moins bien. Et cela ne marche pas bien du tout chez les G3, puisqu’on est à 60% de réponses. Sofosbuvir et ribavirine sur douze semaines, ce n’est pas bon pour les G3. Une première étude française sur les G2/G3 montre des taux de réponse très intéressants, puisqu’en douze semaines, on obtient entre 80 et 97% de réponses, et un peu moins, soit 88%, chez les patients cirrhotiques ayant déjà été traités. Mais globalement, ce n’est pas si mal pour les G2. Pour les G3, on est bien si on allonge le traitement. Au lieu de rester à douze semaines, et d’avoir des rechutes quasi-systématiques, ils ont amendé le protocole et sont passés à vingt-quatre semaines de traitement pour tous les types de patients, mais on n’est pas bien pour les patients déjà prétraités et cirrhotiques, puisqu’on est à 60% et ceci malgré l’augmentation du temps de traitement de douze à vingt-quatre semaines. En résumé, les patients difficiles à traiter sont tous les génotypes 3, même ceux qui ne sont pas en échec, surtout si on veut utiliser une bithérapie seulement douze semaines ; les G2 avec cirrhose prétraitée. Quelles sont les solutions ? En bithérapie Sofosbuvir et Ribavirine, passer à vingt-quatre semaines au lieu de douze semaines. Mais même pour les G3, quand on passe à vingt-quatre semaines, s’ils sont cirrhotiques et prétraités, le taux de réponse est insuffisant, donc on revient à notre PEG pour le moment car on constate que l’association PEG + Sofosbuvir + ribavirine chez des patients naïfs donne 100% de réponses, et chez les patients déjà traités avec ou sans cirrhose, les taux de réponse sont bien meilleurs, soit 83% avec douze semaines de traitement seulement, et l’effet cirrhose s’efface. Et dans le futur ? On aimerait déjà avoir les associations PEG + ribavarine deuxième génération, les ATU sont un progrès, l’association avec le PEG est un progrès, mais les thérapies sans PEG ne sont pas pour demain. Les résultats des modulations des thérapies sans PEG sont très spectaculaires. J’ai pris l’exemple des génotypes 1 avec entre 90 et 100% de répondeurs virologiques soutenus en fonction de la manière d’utiliser ces molécules sans interféron. J’ai listé les différentes molécules développées. Le Sofosbuvir, qui a développé également un anti-MSA comme le Daclastavir, en association Sofosbuvir et Ledispavir. On peut utiliser une anti-protéase avec un anti-MSA, c'est-à-dire l’Asunaprevir et le Daclastavir, mais on peut aussi utiliser trois médicaments dans une seule pilule, une anti-protéase, un anti-MSA et une anti-polymérase développés par la même firme. D’autres études de bithérapie Abbvie, anti-protéase et anti-MSA, ou anti-protéase-anti-MSA et anti-polymérase, et les molécules MSD qui donnent d’excellents résultats en bithérapie. Des essais transversaux, d’un laboratoire à un autre, ont été réalisés. On a associé Simeprevir et Sofosbuvir avec des résultats très prometteurs, et Sofosbuvir et Daclastavir. La politique des laboratoires consiste à développer chacun la pilule qui contiendra leur propre molécule. Comment encore améliorer les réponses chez les patients difficiles ? En continuant d’utiliser la ribavirine. Des essais sont réalisés avec les molécules Gilead, avec le BMS, avec Abbvie et avec les molécules MSD. La question est de savoir comment traiter les patients. Globalement, on doit arriver à un excellent taux de réponse, mais à condition de se donner les moyens. Le plus souvent, on va essayer de faire une bithérapie de deux analogues, mais il y a les patients difficiles. Par exemple, pour les patients cirrhotiques, en échec, de génotype 1, on s’est rendu compte qu’il fallait trois molécules, surtout si l’on veut traiter douze semaines. Il faut associer soit de la ribavirine, soit une autre molécule antivirale. Pour les patients G1 non cirrhotiques, la politique a été d’essayer de raccourcir les traitements, ce qui est intéressant en termes de coût, et de passer à six semaines. Il faut alors trois molécules. L’intérêt de ces molécules est qu’il n’y a pas ou peu d’influence du sous-type.

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La question qui reste en suspens dans ces molécules d’avenir est la problématique de la survenue de mutation de résistance. Je rappelle qu’il s’agit de molécules qui ne sont pas sans PEG. Il y a notamment des anti-protéases qui vont entraîner des mutations de résistance. On en a avec les anti-protéases de première génération. Quand on retraite des malades ayant déjà été traités avec une anti-protéase de première génération avec des molécules autres de deuxième génération, cela n’impacte pas la réponse virologique, mais on ignore ce que cela va donner lorsqu’il y aura une diffusion large de ces molécules dans les populations atteintes d’hépatite. Il faudra donc être extrêmement vigilant. Il y aura des règles de prescription et de surveillance. Michelle SIZORN, SOS Hépatites Paris Ile-de-France Je vais vous parler des effets désirables par rapport à ce que nous entendons des hépatants. Un traitement réussi et la guérison ne sont-ils pas occultés par des effets indésirables ? L’annonce de la guérison se fait généralement six mois après la fin du traitement, et trois mois aujourd'hui avec les trithérapies. Et nous avons déjà occulté une partie des effets indésirables. Nos pensées sont rivées sur la PCR qui nous qualifiera de répondeur ou, hélas, de rechuteur. Il faut remarquer que six mois, c'est souvent le temps qu’il faut à notre corps pour se remettre. Il faut aussi noter que l’annonce de l’indétectabilité du virus permet de mieux supporter le traitement, et ce d’autant plus que l’on aura été indétectable dès le premier mois. Deuxième question : un traitement n’est-il pas l’opportunité de repenser sa vie, ses habitudes, ses comportements ? N’est-ce pas l’occasion de changer ou réorienter sa vie, de lui donner un sens ? Est-ce le traitement ou l’annonce de la présence d’un virus et de sa chronicité qui nous fait réfléchir et repenser à ce qu’il faudrait changer pour s’armer au mieux dans sa lutte contre l’hépatite ? Beaucoup d’entre nous n’attendent pas le traitement pour agir. Moins lever le coude à défaut d’abstinence, surveiller son poids et donc l’équilibre de son alimentation, diminuer si ce n’est arrêter le tabac, refaire un peu de sport, ou à minima faire le plus possible de marche à pied. Il est certain que le traitement avec son cortège d’effets indésirables va aussi influer pour nous adapter au mieux afin d’alléger, si possible, ces effets. Nous mettons de nouvelles stratégies en place pour tenir le temps du traitement. Si au début du traitement on peut se réjouir et considérer la perte de poids comme un effet désirable, lorsque nous nous retrouvons allégés de plus d’une dizaine de kilos, il faut s’adapter et passer à plusieurs petits repas et manger tout ce que l’on arrive à avaler. Certains se ruent sur les sucreries, d’autres sur le salé ou le tout fruit, et ce à n’importe quelle heure. Adieu les bonnes résolutions et l’équilibre de notre alimentation. L’alcool. Les témoignages vont jusqu’à l’incapacité à avaler de l’alcool ou à une sévère diminution des doses, mais il est vrai que l’alcool et le goût de ferraille souvent induit par la ribavirine n’est pas le meilleur des cocktails. Mais d’autres continuent à leur rythme habituel. Le tabac. Les effets indésirables tels que l’anémie, l’essoufflement, la toux, vont nous obliger à diminuer, voire arrêter le tabac, un autre effet secondaire bénéfique de ce traitement. Découvrir dans son environnement social des personnes qui se révèlent être des supports aidants alors que des amis ne le sont pas et nous évitent. Comme quelqu’un l’a ajouté, on peut perdre un mari et retrouver quelqu’un de bien. Ce traitement qui nous isole des autres va être l’opportunité d’une réflexion sur ce que nous sommes, ce que nous voulons faire ou devenir, depuis la programmation de ce voyage dont on rêvait depuis des lustres jusqu’à un engagement social, ou même religieux pour d’autres, en passant par des changements de métier et de patron. Un effet secondaire intéressant aussi du traitement pour ceux qui ont mal dans les articulations, c’est qu’au bout d’un mois d’interféron, on n’a plus mal. En revanche, si à la fin du traitement on n’a pas négativé, la douleur revient. Lors des groupes de parole et des entretiens, nous encourageons les hépatants à consulter un psychiatre ou un psychologue qui les aidera à résoudre certains

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problèmes. L’interféron joue un rôle de catalyseur et les problèmes oubliés resurgissent. C'est comme si des pans de mémoire revenaient. Un boomerang surgit du passé, et j’attire votre attention sur ce point. Nous conseillons aussi de voir un addictologue. Les problèmes de drogue, d’alcool, de tabac, et j’ajouterai l’addiction au jeu. Le plus souvent, l’entourage veut aider, mais ne comprend pas vraiment les modifications de l’humeur, l’énervement pour un rien, et à certains moments l’hépatant rêve d’être seul, tranquille et à son rythme qui n’est plus celui de ses proches. Le groupe de parole est un espace de libre parole et d’échange dans le respect de chacun. Les ressentis du traitement sont différents en fonction des hépatants. A écouter l’autre, les autres, nous apprenons. Informés, nous vivons mieux nos traitements dont nous espérons tous qu’il sera efficace pour bénéficier de l’effet désirable tant attendu : la guérison. Quel rôle l’entourage et la famille jouent-ils dans ces transformations ? Famille et entourage peuvent évidemment aider lorsque l’hépatant a décidé, par exemple, de cesser de fumer, de modérer sa consommation d’alcool, de passer à la substitution. Mais si ce n’est pas l’hépatant qui désire le changement, il y a peu de chance de transformation.

Echanges avec la salle De la salle Je suis étonnée de ce que vous dites à propos des douleurs articulaires. Est-ce que c’est connu ? Mettre les personnes sous traitement révèle des douleurs articulaires et on est obligé de les mettre sous anti-inflammatoires, mais elles s’apaisent après la fin du traitement. Michelle SIZORN Pour moi et une autre personne dans la salle, le fait d’être sous interféron nous calment complètement les douleurs. Véronique LOUSTAUD-RATTI Ce qui est arrivé à Michelle est effectivement relativement exceptionnel, c'est-à-dire que certaines personnes se trouvent mieux sous interféron, mais dans la majorité des cas, il y a une exacerbation des douleurs puisque l’interféron lui-même provoque des phénomènes douloureux musculaires, articulaires, qui font partie des effets secondaires classiques. Et ils vont parfois durer tout le long du traitement. On ne sait pas très bien. Probablement parce qu’il y a plusieurs types de douleurs articulaires. Celles qui sont intimement liées au virus, notamment par le biais des cryoglobulines, par exemple, ce qui peut être amélioré dès que l’on diminue la charge virale ou que l’on éteint la réplication virale. Mais dans la majorité des cas, les douleurs articulaires sont exacerbées par les effets secondaires du traitement. Ces manifestations articulaires sont plus liées à la thérapeutique qu’au virus lui-même. Concernant l’alcool, c'est spectaculaire chez les patients qui s’arrêtent de boire pendant les traitements sous interféron. Mais certains reboivent de plus belle, et ceux qui sont vraiment dépendants de l’alcool ont beaucoup de difficulté à s’arrêter. De la salle Pour ceux qui vont rechuter avec la trithérapie, la situation sera catastrophique, il n’y aura plus d’espoir. Comment va-t-on accompagner ces personnes ? Véronique LOUSTAUD-RATTI Vous parlez des trithérapies de première génération. J’ai pris l’exemple d’une bithérapie par de nouvelles générations associant Sofosbuvir et Daclastavir, mais ce sont des patients qui n’ont pas de cirrhose. Les résultats thérapeutiques montrent qu’on est loin de ne plus avoir d’espoir. Il n’y a pas d’impact des mutations. Dans la deuxième partie de l’étude Lonestar, on constate qu’un retraitement avec du Sofosbuvir et du Ledispavir, on est à 95%, et avec une trithérapie Sofosbuvir, Ledispavir, ribavarine, on est à 95%. Ce sont des traitements de douze semaines, sachant qu’il s’agit de traitements préliminaires. Dans cette étude Lonestar,

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on a 50% de patients cirrhotiques et on arrive malgré tout à 95% de répondeurs. La question va être de savoir ce qui va arriver si l’on voit apparaître à l’usage des résistances avec les molécules de deuxième génération. De la salle Certains hépatants disent que sous interféron, c'est comme si des pans de leur mémoire revenaient. Est-ce que vous liez cela au contexte de vie qui a été modifié ou au traitement en lui-même ? Michelle SIZORN Je dirai que l’interféron libère des pans de mémoire, des choses qui étaient un peu enfouies au fond de soi. Par exemple, quelqu’un qui a joué avec les aiguilles dans sa jeunesse, sous interféron toute cette partie un peu chahutée de sa jeunesse va remonter dans sa mémoire. S’il y a des traumatismes dans l’enfance, ils remontent au moment du traitement. Michel BONJOUR Pour garder son équilibre mental, on a tendance à enfouir des souvenirs désagréables dans un coin de sa tête, et le stress engendré par la maladie et par le traitement fait remonter des choses. Il suffit de voir le nombre de couples chez qui des problèmes se sont révélés, et c’est là aussi que l’on apprécie le conjoint qui a la force de soutenir malgré tout. Je me souviens que lors de mon tout premier traitement à l’interféron, si je voyais un bus d’enfants tomber dans un ravin aux informations, je ne pouvais plus regarder la télé pendant quinze jours, je pleurais, je ne pouvais pas me calmer. C'est la raison pour laquelle il y a des recommandations en la matière, mais il faut être vigilant avec l’interféron. Michelle SIZORN C’est bien pour cela que nous sommes à regarder l’avenir sur les régimes sans interféron. De la salle Vous avez évoqué la bithérapie sans interféron en 2014. Si j’ai bien compris, elle ne s’adresse pas à des patients qui seraient en F2 ou en F1. Véronique LOUSTAUD-RATTI N’oubliez pas que ces associations sans interféron rentrent en phase 3, c'est-à-dire qu’on n’est pas encore en phase 3. C'est la première problématique. Le second point important, c'est qu’avec les deuxièmes générations de produits, vous allez diminuer les durées de traitement avec l’interféron, c'est-à-dire les effets indésirables de l’interféron, de neuf mois, et donc passer à trois mois de thérapeutique. Des études réalisées sur la qualité de vie montrent que sur trois mois de traitement, on n’a pas du tout les mêmes effets indésirables que sur douze mois. C’est déjà un énorme progrès, même s’il y a encore de l’interféron pégylé. Dès qu’il y a un doute, je suis en faveur du maintien de l’interféron pégylé parce qu’il y aura moins de résistance. Sur des traitements plus courts, on a plus de chance d’avoir des réponses, surtout face à un profil difficile à traiter. Il n’y a pas de contre-indication à l’interféron, il vaut mieux un one shot de trois mois que de traîner avec des molécules sans interféron qui, de toute façon, ne sont pas disponibles en association pour l’instant, sachant que pour un patient difficile à traiter, il faudra au moins trois molécules. Dans l’avenir, il est évident que l’interféron va disparaître, mais pas avant trois ans minimum. Une étude a clairement montré l’augmentation des coûts de traitement par rapport aux trithérapies avec du PEG-interféron et de la ribavirine. Et il s’agit là simplement du NS5B + P/R. Si on prend les interférons free et même les associations P/R + analogue de deuxième génération, on passe d’une augmentation de coût de 21 000 $ à 170 000 $ par année de vie gagnée et par individu. La question est à l’étude, mais n’est absolument pas résolue. Aux Etats-Unis, ce sont ceux qui peuvent se payer des assurances privées qui auront la

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possibilité de se soigner. Avec l’arrivée des thérapeutiques sans PEG, le problème essentiel, c'est le coût. Un traitement à base de Sofosbuvir coûte plus de 50 000 €. On peut très bien se dire que l’on traite avec des molécules très chères, très fiables, offrant des taux de guérison de 90 à 100% qui permettent de réduire considérablement le nombre de cirrhoses, le nombre de cancers et de transplantations. Va se poser la question de savoir qui et comment on va traiter dans les pays en voie de développement, sachant que 130 à 170 millions de personnes sont atteintes par le virus de l’hépatite C et sont susceptibles d’être traitées. Celles-là ne sont pas traitées, elles n’ont même pas accès au PEG. Des gens se sont amusés à faire des prospectives par rapport aux génériques, mais il faudra attendre quinze ans pour passer du coût actuel, c'est-à-dire entre 30 et 50 000 € par traitement, à l’objectif de 100 à 150 $ pour douze semaines de traitement. Michelle SIZORN S’il y a moins de cirrhoses et moins de cancers, cela va entraîner une diminution des coûts de santé publique. Je pense que c'est ce paramètre qui pèse dans la balance, plus que la qualité de vie des malades. Véronique LOUSTAUD-RATTI Tout à fait. Pour l’instant, nous n’avons pas suffisamment de données pertinentes. Cela a été fait par les firmes. Elles l’ont fait, par exemple, pour le Sofosbuvir, c'est-à-dire qu’elles ont calculé le coût de leur traitement par rapport au gain pour la santé publique. Néanmoins, il ne faut pas oublier que nos économistes ont souvent une politique à court terme. Or, c'est une politique de santé publique sur quinze ou vingt ans. C'est un problème très complexe. Il faut aussi se mettre au niveau de toutes les pathologies traitées actuellement. En cancérologie, par exemple, il y a des biothérapies qui coûtent très cher, mais qui va bénéficier des traitements remboursés et sur quels critères ? On est en train de donner des AMM pour des molécules qui vont augmenter la durée de vie des patients de cinq à six mois. On donne des coûts considérables pour augmenter la durée de vie parce qu’il y a du lobbying, lobbying de la cancérologie, du VIH. Il faut aussi faire du lobbying pour l’hépatite virale. Michelle SIZORN C'est une très bonne conclusion. Je vous remercie.

Atelier 3 : SCMR et espaces de consommation

Elisabeth AVRIL, Directrice de l’Association GAIA PARIS Je suis responsable de la mission AERLI à Médecins du Monde en tant que bénévole. Le Power Point montre ce que nous aurions souhaité faire sur la salle de consommation qui devait ouvrir le 15 novembre ou le 1er décembre à Paris, et qui n’ouvrira pas tout de suite du fait d’un avis du Conseil d’Etat qui portait plus sur le cadre juridique que sur les objectifs du projet. Il a été dit dans la presse que le Conseil d’Etat était contre le projet, ce qui est faux, le Conseil d’Etat a juste donné un avis sur le fait qu’autoriser des consommations de drogues illicites ou licites dans un lieu financé et soutenu par l’Etat n’était pas en adéquation avec le livret pénal de la loi de santé publique de 2004. Ils ont relevé que cette loi était trop floue pour expérimenter un tel projet et qu’il fallait un texte législatif pour encadrer l’expérimentation. Cet avis qui a été suivi par le gouvernement aurait pu ni être demandé, ni être suivi. C’était donc la stratégie du gouvernement qui s’est prononcé en février 2013 pour l’expérimentation d’un projet et d’une salle à Paris et qui ensuite n’a pas vraiment pris la

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parole sur le sujet jusqu’au mois d’octobre où il a indiqué que le Conseil d’Etat avait donné un avis défavorable au regard de la loi. Il n’y a pas eu un portage politique très important, ils ont été assez discrets sur le sujet. Ils ont laissé la Mairie de Paris et la mairie du 10e arrondissement porter le projet et essuyer les pots cassés, car les mairies devaient se porter candidates ; ce n’était pas le gouvernement qui désignait telle ou telle ville pour expérimenter le projet.

Concernant le contexte de notre projet sur la gare du Nord, notre CAARUD intervient depuis 2008 dans ce quartier. Une scène de consommation s’est développée à partir des années 2006-2007. Nous nous retrouvons avec une population, pour ceux qui fréquentent notre CAARUD, d’environ 2 000 personnes par an, soit une moyenne de 11 000 à 12 000 passages par an. Les personnes que nous voyons sont des poly-consommateurs précaires, des usagers de Skénan par voie intraveineuse, avec des consommations d’alcool et de tranquillisants. Il y a également des consommations de cocaïne et de crack dans d’autres quartiers de Paris, les usagers se déplaçant en fonction des consommations. Dans ce quartier, entre 200 000 à 250 000 seringues sont distribuées chaque année par l’association GAIA, l’association EGO et l’association SAFE qui gère des distributeurs récupérateurs de seringues avec des jetons qui sont disponibles aux urgences de Lariboisière. Nous sommes partis sur une estimation assez basse de 200 à 250 passages par jour d’usagers dans la salle de consommation. Assez basse car vu la population, nous aurions pu atteindre assez rapidement 300, voire plus, de passages par jour. A Genève, qui ne draine pas le même nombre d’usagers, une grosse journée représente 140 passages, et au Luxembourg, ils sont arrivés parfois à 300 passages par jour. Nous n’étions donc pas loin du compte. C’est donc un projet de salle de consommation et de réduction des risques, il ne s’agit pas de s’en tenir uniquement à la consommation. Différentes prestations étaient prévues dans le projet comme l’accompagnement et l’éducation aux risques liés à l’injection, le dépistage, des séances de Fibroscan. Nous faisons également de l’auriculothérapie ; un projet d’insertion professionnelle, travailler avec les dispositifs « Premières heures », c’est-à-dire proposer des petits jobs à l’heure, faire de la récupération de seringues. Il était clair que l’implication des usagers était nécessaire. Nous avons dans l’équipe des usagers bénévoles ou volontaires et il était prévu des embauches d’usagers du quartier qui participent au projet, ce qui nous semblait très important. Nous avons travaillé avec les riverains, la police, la Préfecture de police, et les policiers de l’arrondissement étaient très intéressés par le projet. Nous nous sommes rencontrés une fois par semaine et nous avons eu des séances de formation, ce qui était très intéressant par rapport aux partenaires. Nous n’avons pas l’habitude dans les CAARUD, ni le temps, ni la disponibilité de travailler en proximité avec d’autres acteurs sur le terrain et ils étaient très étonnés du travail que nous menions, ayant des idées fausses sur ce que pouvait faire et offrir comme prestations un CSAPA ou un CAARUD. C’était intéressant d’avancer avec eux sur ces sujets, ils ont réalisé les difficultés du quartier, des personnes qui cumulent les facteurs de précarité et de vulnérabilité, et ils ont estimé que leurs actions de harcèlement policier, de garde-à-vue n’étaient pas très productives. Parfois, des policiers accompagnent des usagers au camion pour que nous les emmenions dans la salle. Nous leur disons donc qu’il n’y a pas de salle. Il était également prévu, pour rassurer les riverains, qu’il y ait une brigade de sécurisation, de proximité d’une vingtaine de policiers qui, eux, vont être engagés. Ils ne seront pas que sur le sujet des drogues, il y a d’autres sujets à traiter dans le quartier et nous allons, à la demande du commissaire de l’arrondissement, continuer la formation de cette brigade et à préfigurer le dispositif. Nous avons rencontré à maintes reprises les riverains, soit dans des réunions d’une cinquantaine de personnes, soit chez eux en individuel, soit dans les brasseries du coin, et contrairement à ce qui a pu être relaté dans les médias, nous n’avons pas rencontré d’oppositions formelles au projet et à ce que nous avions pensé mettre en place. Les gens, puisqu’ils vivent dans le quartier, sont au courant et assez sensibles aux difficultés que cela

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leur pose, mais aussi, pour pas mal d’entre eux, aux difficultés des usagers. Ils ont mis en avant la peur d’avoir des hordes de dealers qui débarquent dans le quartier - c’était le point le plus critique - et souligné la préparation bancale du projet, ce que nous soulignions également, le point noir étant que nous n’avions pas de local adapté à l’activité. A Paris, il est assez difficile de trouver un local. Il existe un terrain de la SNCF où nous pourrions construire un Algeco pour recevoir le public. Dans l’urgence, puisqu’il faut des permis de construire, nous avions prévu d’ouvrir dans des locaux plus petits, ce qui n’était pas optimum, mais nous voulions faire une première phase du projet dans ces locaux, et nous étions déjà en train de travailler sur la partie architecturale de la deuxième phase. Les médias ont relaté les réunions publiques qui ont eu lieu à deux reprises à la mairie du 10e arrondissement où pas mal de personnes, qui n’étaient pas des habitants du quartier, poussaient au scandale avec des arguments relativement grossiers, voire mensongers, certains blogs allant jusqu’à dire qu’il y avait des décès dans les salles de consommation, alors qu’il n’y a jamais eu de décès dans une salle de consommation, à part en Allemagne, mais c’était un choc anaphylactique. C’étaient des séances exutoires pour les opposants politiques, et c’est ce qui est ressorti dans les médias, nous le regrettons. Les riverains posaient également la question de savoir pourquoi nous ne faisions pas cela à l’hôpital. Vu la configuration géographique et le peu de locaux disponibles, nous aurions pu utiliser des locaux désaffectés de l’arrière de Lariboisière, mais l’AP-HP n’a pas souhaité s’engager dans ce projet. Après, il y a les élections municipales, la rénovation du groupe Lariboisière- Fernand Widal ; ce sont des contraintes que nous sommes obligés de prendre en compte dans le projet. La police nous a semblé plutôt favorable au projet et partie prenante. Les policiers de la SNCP également étaient très demandeurs de formations, de contacts. Pour ouvrir, il fallait donc ce décret et une circulaire pénale. Les discussions avec le Procureur, la Chancellerie ont été difficiles, ils ont un discours très archaïque, prônant l’arrestation de tous les drogués qui traînent pour que le problème n’existe plus. C’est un paradigme sur lequel ils fonctionnent depuis quarante ans, mais l’idée de faire une circulaire de non-pénalisation sur un périmètre bien défini avec l’autorisation pour les usagers de transporter une certaine quantité de chaque drogue énoncée, était en cours de réflexion. Le Conseil d’Etat a jugé que par rapport à la loi de 70, même si la consommation de drogues était financée, c’était contraire au principe de la loi française de l’égalité des poursuites et des peines. Car si vous pouvez vous injecter de l’héroïne dans un endroit, et si cinquante mètres plus loin vous vous injectez cette même drogue dans les toilettes, vous n’aurez pas le même traitement judiciaire et cela pose problème. Il existe un cahier des charges national ; nous avons rédigé un règlement de fonctionnement qui a été relu par la Chancellerie et le préfet. Ce qui bloquait, c’était l’anonymat, les mineurs et les femmes enceintes, mais nous sommes arrivés à un accord à peu près correct. Ce n’est pas l’exception qui fait la règle, nous ne recevons pas que des mineurs, c’est assez rare, mais ils se cristallisaient sur des cas particuliers. La MILDT a inscrit la salle de consommation dans son plan, l’idée étant que Paris ne soit plus le cobaye et qu’il y ait deux ou trois autres salles dont Strasbourg. Ils sont clairs sur le fait qu’il n’y aurait pas qu’une salle et ils affirment la volonté de le faire publiquement. Concernant le maire du 10e arrondissement, c’est dans leurs papiers de campagne, ils précisent que si le cadre juridique le permet, ils souhaitent installer un tel dispositif dans leur arrondissement. La mairie centrale également. Après les élections, ce ne seront plus les mêmes, seront-ils toujours du même bord dans quelques mois, nous n’en savons rien et cela pourrait poser un problème important. La DGS, la MILDT, la Justice et l’Intérieur ont quasiment finalisé un texte de loi. Leur idée est de faire un texte législatif autonome qui serait présenté par un parlementaire après les élections pour faire avancer les choses. Un texte législatif précisant la possibilité de faire des lieux de consommation comme cela a été fait au Luxembourg, où ils n’ont pas changé la loi,

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mais fait un texte législatif rattaché qui précise l’autorisation ; que ce texte soit repris dans la loi de santé publique 2014 et que la réduction des risques puisse entrer dans le livret pénal de la loi de santé publique. Le livret pénal, c’est l’alternative aux poursuites, c’est l’injonction thérapeutique qui va vers l’abstinence, mais nous pouvons imaginer que l’alternative aux poursuites pourrait être des mesures de réduction des risques, puisque la réduction des risques ne rentre pas dans le livret pénal. Il serait important que cela puisse être considéré comme une politique de lutte contre les drogues. Nous pouvons imaginer, si tout se passe bien, mener deux à trois expériences. Ce n’est pas le gouvernement qui va présenter un texte législatif mais un parlementaire, après quoi il y aura un débat qui pourra prendre un certain temps. Toujours est-il que la mairie centrale, la mairie du 10e arrondissement, l’association GAIA, Médecins du Monde et certains partenaires sont toujours mobilisés sur le projet. Nous allons poursuivre le travail. Avec les partenaires nous avons fait beaucoup de réunions cette année, notamment avec l’hôpital Fernand Widal pour avoir des circuits de soins courts, des consultations d’évaluation en psychiatrie, sachant que nous avons souvent des usagers en errance qui ne sont pas pris en charge. Il a été prévu une évaluation du dispositif, une partie étude de cohorte quantitative et une partie acceptabilité sociale qui est en train de se faire. Il s’agit d’évaluer le quartier et les riverains, d’avoir des données qualitatives avant l’ouverture du dispositif, pendant et après. Ce qui n’aurait pas pu se faire si nous avions ouvert en décembre puisqu’ils avaient juste commencé le travail d’acceptabilité sociale. Il nous a été demandé pourquoi nous appelions cela une salle de consommation à moindres risques. Nous pouvons l’appeler différemment, mais si cela fait trois lignes, c’est plus compliqué à vendre. Le but n’est pas de faire uniquement une salle de consommation, mais d’impliquer les usagers et qu’il s’y passe d’autres choses, car il y a beaucoup de choses à faire dans ce quartier. Il ne faut pas restreindre cette action au fait que les gens viennent, se shootent et repartent.

Echanges avec la salle De la salle Ne serait-il pas possible de revoir la loi 70 ? Elisabeth AVRIL Nous aurions pu commencer l’expérience sans demander l’avis au Conseil d’Etat. Pour les seringues, Michèle Barzach n’a pas demandé l’avis au Conseil d’Etat et si elle l’avait demandé elle se serait retrouvée face aux mêmes problèmes. S’il y avait eu plus de courage politique, nous aurions commencé, il aurait pu y avoir des recours. L’Association Parents Contre la Drogue a été déboutée de sa plainte au pénal vers le Tribunal Administratif, et le Tribunal Administratif les a déboutés. Les médias ont dit que c’était grâce aux riverains et aux associations que la salle consommation n’avait pas été ouverte, mais ce n’est pas du tout la réalité des choses. Nous aurions pu commencer, cela aurait permis d’avoir un vrai débat avec des éléments concrets, alors que là nous restons dans le fantasme. Evidemment, nous n’allons pas supprimer le problème de la toxicomanie en France avec ces dispositifs. Le Premier ministre ne souhaite pas changer la loi de 70. La Commission parlementaire qui a été demandée par Catherine Lemorton va prendre un certain temps, ils vont faire un constat et nous pourrons avoir des éléments. Je suis d’accord, il faudrait changer cette loi, mais pour l’instant ce n’est pas au programme. De la salle Il faudrait un aménagement de la loi. Elisabeth AVRIL Dépénaliser l’usage, par exemple. De la salle

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Des lois qui font jurisprudence de façon à obliger la France à réfléchir autrement sans remise en cause de la loi de 70 puisque nous ne l’obtiendrons pas sous la mandature de Hollande. De la salle Il faut rester sur la loi de santé publique. Elisabeth AVRIL Sur la loi, sur le décret. C’est relativement flou, en particulier concernant la responsabilité des intervenants. Ce sont des constructions bancales et il faudrait sortir d’une certaine forme d’hypocrisie. Sur l’usage simple il y aurait quelque chose à faire. De la salle Concernant les locaux, vous êtes sur un deuxième projet. Elisabeth AVRIL La SNCF avait mis à notre disposition des locaux un peu plus grands et plus aménageables pour une première phase près du parking et nous avons fait les plans du dispositif définitif. Nous devons nous revoir avec les personnes de la mairie pour continuer à travailler. Nous pouvons faire les plans, mais nous ne pouvons pas lancer un permis de construire et faire des appels d’offre sur un projet qui n’existe pas, nous serons de toute façon bloqués à un moment donné par rapport à cela. La SNCF a été formidable, ils ont fait des réunions avec leur CHSCT, ont eu un vrai courage, sachant qu’ils n’étaient pas obligés de le faire. A l’arrière de Lariboisière, il y a des locaux techniques qui sont vides, mais l’AP-HP a dit que ce ne serait pas possible. Il y a des gens qui prennent des décisions et d’autres pas, la SNCF a bien joué le jeu, et le parking reste en convention avec la mairie de Paris.

De la salle Comment allez-vous lutter contre les messages grossiers des opposants ? Elisabeth AVRIL Nous avons fait je ne sais combien de réunions en individuel, dans des appartements, dans des brasseries, nous avons demandé à rencontrer Parents Contre la Drogue, ils ne veulent pas nous rencontrer. Il est évident qu’en face de nous ils ne peuvent pas dire de stupidités ou de contrevérités. Comme à l’international, que ce soit en Suisse ou en Allemagne, il faut ouvrir et démontrer ; arrive un moment où cela ne sert plus à rien de parler. Nous avons donné un numéro de téléphone aux riverains pour discuter de la salle, pour poser des questions. Nous avons mis en place ce dispositif pour qu’ils puissent avoir des réponses assez concrètes, et je pense que nous allons le faire si on nous en donne les moyens, car pour l’instant nous travaillons à moyens constants. Nous pensions également faire une réunion mensuelle dans la salle avec les riverains, qu’ils aient enfin des interlocuteurs alors qu’avant ils décrochaient leur téléphone pour appeler la police. Les riverains ne comprennent pas cela, et la présence d’intervenants disponibles et en lien avec les usagers est un bon point. Aurélie HAAS, AIDES Depuis deux ans, avec Médecins du Monde et AIDES, nous avons lancé un programme de recherche avec les chercheurs de l’INSERM à Marseille qui nous a permis, tout en protégeant les acteurs de nos structures, de mettre en place des séances d’accompagnement et d’éducation aux risques liés à l’injection sans une seule fois toucher la seringue. Ce qui a permis de créer plus d’échanges pour remettre la pratique de l’injection au cœur des discussions avec les personnes que nous accueillons dans nos structures. Nous avons mené le projet pendant deux ans et nous sommes en train d’analyser les résultats. Début 2014, nous aurons les résultats de l’étude qui vont venir appuyer le projet de la salle de consommation qui doit ouvrir. Nous avons mené cette recherche principalement dans les CAARUD d’AIDES, avec une équipe dédiée de Médecins du Monde à Paris, dans

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17 villes en France. Aujourd’hui, même si la salle de consommation n’est pas ouverte, nous avons des villes en France dans lesquelles les personnes qui injectent peuvent bénéficier d’un lieu sécurisé pour injecter leur produit. C’est une recherche que nous avons menée sous le couvert de l’ANRS, financée par l’ANRS, qui a obtenu l’accord de la DGS, ce qui a permis aux équipes en province de retourner vers les ARS en leur expliquant que nous étions sur un programme d’expérimentation officiel qui permettait de mettre en place l’action. A travers cette recherche nous voulons montrer les effets d’une intervention éducative auprès des personnes qui injectent des produits. Nous mesurons sur une année de recherche des améliorations dans leur pratique d’injection et des améliorations sur l’accès aux soins, vers le dépistage, etc. AERLI est né de deux projets, ERLI du côté de Médecins du Monde, Education aux Risques Liés à l’Injection, et le projet AAI dans AIDES, Accompagnement à l’Injection. Nous avons fusionné les deux projets et fait un projet de recherche avec un protocole assez lourd. Nous nous sommes servis de dispositifs déjà existants, mais nous sommes coincés, sachant qu’une mission dans les structures permet d’innover et d’expérimenter, mais pas d’aller jusqu’à mettre en place une nouvelle intervention chez les professionnels de ces structures. AIDES a décidé de continuer, comme Médecins du Monde. La recherche est terminée, mais nous continuons pour ne pas rompre l’accès aux soins des personnes qui sont entrées dans cette étude. Nous attendons les résultats d’AERLI pour déployer cette intervention dans nos CAARUD et aller vers des expérimentations d’espaces de consommation dans lesquels on ne se focaliserait pas simplement sur l’injection mais sur les autres modes de consommation de produits. Marie DEBRUS, Médecins du Monde Le projet s’inscrit dans la problématique de l’hépatite C. Nous parlons bien de renforcer la capacité des usagers, reconnaître leurs compétences, nous cherchons à faire en sorte qu’ils puissent réduire les risques ; contrairement à une salle de consommation qui travaille sur la question de l’environnement dans lequel a lieu l’injection, nous cherchons surtout à ce qu’ils puissent réduire au mieux les risques liés à leurs pratiques d’injection dans leur propre environnement. Cela a un impact bien plus large que juste l’aspect technique, et être témoin des pratiques de consommation amène à parler de ces pratiques et de quelque chose qui est tabou. Concernant les modalités d’intervention, à chaque fois il y a une phase d’inclusion, les personnes sont demandeuses, il y a un cadre d’action. Il s’agit de partir le plus possible de la demande de la personne et de ses besoins, c’est essentiel. Il y a un consentement et à chaque séance des questions sont posées sur les produits qui ont été consommés dans les dernières quarante-huit heures. Quel produit elle va consommer, ce qu’elle souhaite injecter, quel point d’injection elle souhaite utiliser… pour que nous nous mettions d’accord et qu’il n’y ait pas de surprise une fois que tout est lancé. Il y a des choses que nous pouvons accepter, d’autres pas. S’il y a des points d’injection que nous trouvons trop à risques nous pouvons tenter de négocier pour essayer autre chose. Ce sont des espaces de négociation, c’est discuté. Une fois dans la phase de consommation nous sommes dans l’observation, sachant qu’entre ce qu’on dit faire et ce que l’on fait réellement, il y a toujours un décalage. Cela nous permet d’être au plus près de ce que font les personnes réellement. Il y a également des gestes dont elles n’ont pas conscience. Lors de la première séance, nous sommes dans l’observation principalement et nous faisons un bilan pour voir ce que la personne souhaiterait modifier si elle pense qu’elle est en difficulté ou pas, et nous essayons de nous mettre d’accord sur ce que nous pourrions travailler ensemble. C’est un échange. Ce que recherchent les personnes, c’est de trouver leurs veines, de prendre soin de leurs veines, de réussir à faire leur injection. Cela a un impact sur l’hépatite C car moins elles se charcutent, moins il y a de sang et moins il y a de risques de transmission d’hépatite C. C’est une porte d’entrée différente. En répondant à leur demande, la confiance se crée et si elles constatent que nous leur donnons des conseils ayant un impact direct sur leur pratique et leur

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permettant de mieux consommer, nous pouvons ensuite aborder des choses plus subtiles. L’échange éducatif, c’est quelque chose de partagé, il ne s’agit pas de dire que l’injection est bien ou pas bien, c’est discuté. On ne peut pas changer une pratique de A à Z, nous ne sommes pas dans la recherche d’une injection parfaite, nous sommes dans ce qu’elle est prête à accepter comme risque ou pas. Il faut partir de ce qu’elle est, de ce qu’elle a comme habitude et de ce qu’elle est prête à faire ou pas, c’est sa pratique, ce n’est pas la nôtre. A Médecins du Monde, nous travaillons avec deux structures existantes, GAIA Paris et Sida Paroles à Colombes, l’une étant un dispositif mobile à la gare du Nord et l’autre étant une boutique avec machine à laver, etc., un espace de vie. C’est très intéressant dans la mesure où cela impacte très différemment le projet. A Paris, c’est une population très importante, beaucoup d’usagers, des profils très différents, nous sommes sur le lieu de deal et de consommation, et travailler au projet est très différent que lorsque l’on est dans une boutique loin de la scène de deal et que la présence policière est importante. Nous avons des temps communs de permanence avec le CAARUD de GAIA Paris ; nous sommes garés juste derrière, nous restons plus longtemps, nous sommes présents deux fois par semaine, de 16 heures à 22 heures, soit 12 heures par semaine actuellement. En 2013, 80 personnes ont été suivies, soit 40 nouvelles inclusions en 2013, de 18 à 58 ans, avec des gens en situation de précarité, d’autres pas, des gens qui travaillent. Les habitudes de consommation vont de quelques mois à plus de trente ans de pratique d’injection ; les questions ne sont pas les mêmes en fonction du parcours de vie des personnes. En 2013, nous avons fait plus de 600 accompagnements ; l’année dernière nous en avions fait 500. Nous devons intégrer la salle de consommation pour développer cette pratique en tant que telle, mais cela n’empêche pas que cela puisse se faire un peu partout, dans un camion, etc. Le travail que nous avons réalisé avec Sida Paroles est différent et n’a pas été fait dans le cadre de la recherche. Sida Paroles est situé à Colombes et compte 100 à 150 personnes sur la boutique. A gare du Nord, c’est une population très hétérogène, alors que là, c’est le contraire, c’est une population qui ne bouge pas beaucoup, qui vient de Colombes, Nanterre, Bois-Colombes. Ils se connaissent tous, ils sont issus des bidonvilles de Nanterre, ils viennent du Maroc, d’Algérie, ils ont été frappés par l’épidémie de Sida dans les années 80, il y a eu beaucoup de décès dans les familles dus à l’usage de drogues, aux overdoses, au Sida. Donc pour eux tout ce qui est consommation, et encore plus l’injection, est une pratique tabou, on n’en parle pas, ils peuvent nier le fait qu’ils consomment. Mettre en place ce projet a été très compliqué au départ ; c'est la raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas mener la recherche car le cadre n’était pas adapté et cela ne marchait pas. La première année, nous n’avions que quatre personnes. Nous avons fait quelques accompagnements et les personnes continuaient de consommer, surtout d’injecter dans les toilettes alors que nous voulions les sortir des toilettes. Au début du projet, ils estimaient à 25% les personnes qui pratiquaient l’injection, alors qu’aujourd’hui ils estiment à 40% les personnes qui pratiquent l’injection, sachant qu’ils voient mieux qui injecte et qui n’injecte pas. Les produits sont très différents, c’est plutôt cocaïne et héroïne, cela ne se gère pas de la même façon et nous sommes dans des pratiques très automatisées, très ritualisées. Ce sont des personnes qui consomment depuis longtemps, qui ne sont pas demandeuses de conseils, elles ne sont pas prêtes à parler, elles veulent consommer c’est tout, et elles ne voient pas comment des non usagers, plutôt jeunes par rapport à eux, auraient à dire quelque chose sur leur pratique. Le projet a donc dû s’adapter et nous avons mis en place un cadre différent. Nous sommes plus sur un versant d’accompagnement où l’éducatif se travaille très différemment, de façon plus subtile. Il y a beaucoup plus de phases d’observation, sans forcément beaucoup parler, afin que la confiance se crée. Nous n’avons pas d’inclusion à proprement parler, même si nous allons remettre en place un consentement. Il a fallu trouver un juste milieu, sachant que les personnes sont prêtes à consommer hors des toilettes, mais uniquement pour consommer, et en même temps nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes de

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consommation parce que nous ne sommes pas un espace de consommation dans le sens où nous n’avons pas les moyens de répondre à toutes les demandes, même s’il n’y a que 27 personnes suivies. L’équipe doit gérer l’espace d’accueil, la boutique, les entretiens socio-éducatifs. Nous essayons de faire au mieux, cela reste quelque chose d’individuel ou à deux puisque nous travaillons sur les pratiques de partage et donc sur les risques. Le défi que nous tentons de relever, c’est de faire de l’éducatif quand les personnes au départ ne sont pas demandeuses et ont juste envie de consommer. Cela permet de voir comment un projet de départ peut être adapté, ce qui doit être adapté, jusqu’où aller, ce qui se rapproche plus de ce qui peut se faire en termes d’espace ou de salle de consommation mais à plus petite échelle et tout en gardant ce caractère éducatif. Nous voulons interagir sur les pratiques parce que voir quelqu’un injecter avec des pratiques à risques, qui n’a plus de capital veineux, qui met une heure à s’injecter, ce n’est pas tenable. Nous sommes dans cet entre-deux. En 2013, nous avons réussi à faire 200 accompagnements et nous sommes sur un autre niveau qu’au tout début. Nous sommes toujours dans cette adaptation du cadre, de comment travailler cet éducatif, et nous faisons des séances d’analyse de pratique pour travailler et documenter cela. De la salle Serait-il possible dans un avenir proche qu’une personne fasse de l’éducation aux risques liés à l’injection dans un cabinet médical ? Marie DEBRUS Tout est possible, il faut un minimum de compétences et de connaissances. Nous pouvons imaginer des déclinaisons possibles, il faut que les équipes soient prêtes. De la salle Il y a des CSAPA qui n’ont pas de CAARUD, mais qui travaillent avec des CAARUD et qui font aussi de l’éducation à l’injection. De la salle Le plus grand frein des CSAPA, ce sont les équipes. Accepter de délivrer une seringue, c’est déjà faire un pas, mais accompagner à l‘injection existe dans certains CSAPA. Marie DEBRUS Les usagers témoignent des difficultés qu’ils ont à parler de leur consommation actuelle à leur médecin quand ils sont suivis en CSAPA. Dans l’absolu, c’est possible, cela pourrait permettre de rattraper le retard, mais tous les CSAPA ne sont pas en mesure aujourd’hui de le faire car ils ne sont pas en mesure d’accepter l’usage. Or, ce projet implique d’accepter l’usage et de dire : je peux entendre que tu aies envie de consommer et d’injecter et cela ne me pose pas de problème. C’est indispensable, parce que si nous sommes dans le jugement et que nous considérons que le seul objectif est de sortir les personnes de la pratique de consommation et d’injection et qu’elles arrêtent, c’est incompatible. De la salle A Barcelone, j’ai vu un CSAPA intégré à l’hôpital, avec une entrée séparée, des lits d’hospitalisation, en bas des consultations, et une pièce pour l’injection. Dans beaucoup de CSAPA les intervenants ne voient pas les problèmes qui se posent et les difficultés, ils sont dans un travail sur l’abstinence, ce qui ne laisse pas de place pour le reste. Marie DEBRUS L’avantage de ce type de projet est qu’il peut se faire en dehors d’une salle de consommation, et à partir du moment où les personnes ont des compétences, tout est possible. L’intérêt de ce projet est qu’il peut se diffuser très largement et dans différents types de structures, CAARUD, CSAPA.

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Elisabeth AVRIL Il faut faire s’entrechoquer les cultures entre les CAARUD qui ont plus d’expériences sur la RdR parce qu’ils sont issus des PES, et certains CSAPA, mais pour lesquels il y a aura plus de freins parce qu’on n’est pas dans la même philosophie d’intervention. La mission des CAARUD est d’aller en dehors de leurs locaux, les CSAPA interviennent en prison, il y a un décret, ce qui n’est pas le cas des CAARUD. Pour nos équipes qui sont investis auprès des usagers de drogues depuis longtemps, il a fallu travailler sur les représentations. Même si nous n’avons pas un médecin dans l’équipe, un travail est à faire avec les élus de l’association et si, à terme, nous arrivons à faire s’entrechoquer nos pratiques, nous pouvons imaginer faire de l’accompagnement à l’injection en prison, lié au programme d’échange de seringues. Un programme d’échange de seringues seul ne sert pas à grand-chose. Marie DEBRUS Nous donnons des outils et nous sommes dans l’amélioration des pratiques. Nous travaillons sur la façon d’utiliser les outils, car nous ne pouvons considérer que les personnes, parce que nous leur donnons du matériel, savent l’utiliser. Nous allons plus loin, ce qui enrichit et améliore la qualité de nos messages et de notre pratique de RdR. Nous sommes confrontés au message, comment il est interprété, adapté, et parfois nous nous rendons compte que nous sommes à côté de la plaque. Cela implique d’être dans une dynamique de remise en cause. Ce que nous faisons n’est pas toujours adapté et nous nous en rendons compte. Elisabeth AVRIL Pour la diffusion, il y a la volonté des équipes, leurs compétences et la réflexion qu’elles peuvent avoir sur leur environnement. Il faut avoir une bonne idée de la stratégie que nous allons mettre en place, il ne faut pas mettre les personnes en difficulté et proposer des choses à certains et pas à d’autres. Marie DEBRUS Il faut être clair avec les objectifs que nous nous fixons. Savoir si l’on est sur du quantitatif pour faire en sorte d’accompagner le plus de personnes possible, ou si l’on est sur un travail qualitatif. Quand nous faisons un entretien d’accompagnement à l’injection cela peut durer une heure, voire plus, et pendant ce temps-là nous ne sommes pas avec d’autres personnes. Ce sont des choix, il faut être clair. Médecins du Monde avait fait le choix d’être sur cette approche, il faut que les acteurs se déterminent par rapport à ce qu’ils veulent faire et il ne faut pas vouloir faire tout à la fois. Il y a des usagers qui nous demandent pourquoi nous ne faisons pas de salle de consommation. Il faut savoir répondre, mais nous ne pouvons répondre que si nous avons les idées claires par rapport à cela. Le cadre de ce que nous acceptons, de ce que nous n’acceptons pas, est posé par rapport à l’objectif que nous nous donnons et qui est fixé au départ. Il faut également être clair par rapport à ses limites. Elisabeth AVRIL C’est réalisable en CSAPA. Au début d’AERLI à Médecins du Monde, nous le faisions à Parmentier. C’étaient surtout des personnes du CSAPA, du bus Métha ; les premiers clients d’AERLI étaient des personnes suivies au bus Métha, qui avaient des prescriptions et des suivis médicaux. Il n’y a pas eu de débordement, de problèmes particuliers, nous avons pas mal d’expérience et nous avons bordé la question. Marie DEBRUS Nous parlons de gestion de consommation. Il y a l’aspect technique d’injection, mais aussi l’aspect gestion du nombre d’injections avec les autres produits ou les médicaments. Cet aspect est extrêmement intéressant et faire de l’accompagnement à l’injection permet de remettre ces questions sur la table. Stéphanie CALLET

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Je suis infirmière à Bruxelles dans un centre d’hébergement pour toxicomanes et au quotidien je constate que les usagers n’ont pas un traitement adapté en méthadone, ils s’injectent beaucoup parce qu’ils ont un taux trop bas en méthadone quotidiennement. S’il y avait la possibilité de parler ouvertement de l’injection dans les centres où ils sont prescrits en méthadone, je pense qu’il y aurait une diminution des injections. Elisabeth AVRIL Certains usagers ont un objectif de gestion de leur consommation, ils n’ont pas d’objectif d’abstinence. Il nous arrive d’inscrire des personnes dans le programme méthadone qui travaillent d’autres aspects concernant le social ou autre. Il y en a pas mal qui injectent du Skénan ; c’est un médicament, nous savons ce qu’il y a dedans. Certains usagers souhaitent garder un Skénan par jour, et au bout d’un ou deux ans, ils vont se dire que s’injecter devient un problème, qu’acheter devient un problème, et ils décident de tenter l’expérience de l’abstinence ; à ce moment-là nous augmentons la méthadone. Mais dès le départ, nous le travaillons avec eux, nous ne sommes pas dans l’illusion de croire qu’ils ne consomment plus du tout, ou eux dans l’idée de nous faire croire qu’ils ne consomment plus du tout. Il y a des usagers qui ne sont pas prêts à aller vers l’abstinence, et pour certains la méthadone ne fonctionne pas. Marie DEBRUS Ils n’apprécient pas les effets, certains préfèrent la morphine. Elisabeth AVRIL Il y a des CSAPA qui sous-dosent, mais le fait de pouvoir parler des consommations de la personne sans porter de jugement est plus intéressant que de faire semblant que rien ne se passe. Stéphanie CALLET La prescription de méthadone, c’est officiel et cela fait peur à beaucoup d’usagers. Elisabeth AVRIL Il y a les représentations, les populations intégrant le discours dominant, et les erreurs du discours dominant. A nous professionnels d’expliquer, de confronter, pour que les personnes à qui nous nous adressons aient plus de savoir, connaissent mieux les tenants et les aboutissants et se situent un peu mieux dans le contexte. Sinon, ils répètent à l’envi des phrases toutes faites et des perceptions. Marie DEBRUS Il faudra réfléchir à la question de savoir comment nous répondrons aux personnes que nous n’arriverons pas à toucher via les salles de consommation parce qu’elles ne seront pas dans une grande ville. Comment nous allons répondre aux personnes qui ne fréquentent pas nos structures. Comment nous allons faire pour récupérer ceux que nous ne voyons jamais et qui ont des pratiques encore plus à risques et pour lesquels nous avons des foyers d’épidémie galopante. Il faudra faire avancer la réflexion.

Atelier 4 : Personnes migrantes : Quel accès aux soins ?

Olivier LEFEBVRE, COMEDE La problématique du demandeur d’asile, c'est qu’un quart d’entre eux ont subi des tortures et plus de la moitié des violences, selon les définitions de l’OMS. Les premiers pas dans les soins se passent au niveau associatif. Une personne qui n’a aucune protection maladie va

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se faire renvoyer de partout, y compris des permanences d’accès aux soins de santé qui normalement devraient faire leur travail, mais qui ne prennent que des personnes assurables, et encore pas toutes. En ce qui nous concerne, nous proposons très rapidement un bilan de santé, un dépistage à la personne qui vient nous voir. Nous faisons du dépistage de l’hépatite B, de l’hépatite C, du VIH. La deuxième infection chronique, ce sont les maladies infectieuses, dont trois-quarts sont les hépatites, et nous avons très peu de VIH. Le premier diagnostic, c’est de très loin le psycho-traumatisme, avec des définitions précises qui correspondent à la névrose traumatique, plus ou moins la dépression. C’est la pathologie la plus importante devant les maladies infectieuses et arrive en troisième position les maladies cardiovasculaires. Quels sont les critères de vulnérabilité ? Aucune personne à qui se confier, peu francophone, vivant à l’hôtel ou à la rue, squat dans le couloir d’un foyer migrant, aucune ressource propre, se nourrir une fois par jour, domiciliation administrative à Paris, pas de protection maladie. C’est la situation type que nous rencontrons. Ensuite, c’est la convocation à la préfecture, l’autorisation provisoire de séjour d’un mois, durant lequel ils doivent envoyer à l’Office français de Protection des Réfugiés leur dossier. Ce n’est pas un mois, mais trois semaines, ce qui est un motif de blocage, un piège, et donc un récépissé de trois mois sans droit au travail. Après quoi la personne devient régulière, et qui dit régulière dit CMU. En ce qui nous concerne, nous pratiquons un bilan de santé gratuit grâce à une convention avec la Ville de Paris et sur le plan social notre objectif est de l’orienter et de l’inscrire dans le cycle du droit commun. Donc demande de CMU, France Terre d’Asile pour demander un centre d’accueil de demandeur d’asile, Pôle Emploi parce qu’ils ont le droit à l’Allocation Temporaire d’Attente. Nous nous intéressons à la femme et au pays d’origine, aux problèmes liés à leur vie maritale et personnelle. Nous faisons des bilans de confirmation dans l’attente d’une protection maladie, la notion importante étant l’admission immédiate. Il y a possibilité pour tout travailleur social, tout médecin, de faire une demande de protection en admission immédiate. C’est par opposition à l’aide médicale d’Etat où il n’y a aucune possibilité d’admission immédiate, mais une possibilité d’instruction prioritaire uniquement signée par un médecin. Nous sommes capables de lui donner des médicaments, de le prendre en charge avec un interprète, ce qui aide au niveau d’une psychothérapie. Il y a tous les obstacles qu’ils sont incapables de gérer et pour lesquels nous devons intervenir systématiquement. Nous faisons donc un bilan de confirmation. L’un des critères de vulnérabilité est qu’ils ne parlent pas français ; or, pour comprendre et se déplacer c’est important. Nous organisons des séances d’éducation thérapeutique avec interprète et intervention du service social, puis bilan exhaustif, non accessible sans protection maladie. L’admission immédiate et l’urgence, ce n’est pas la même chose. Admission immédiate, c’est que l’on veut éviter l’urgence. S’il s’agit d’une urgence, nous l’envoyons aux urgences, nous ne nous posons pas la question, mais nous ne pouvons pas attendre trois ou quatre mois pour connaître la charge virale, pour savoir comment va son foie. Enfin, le demandeur d’asile a l’attestation papier CMU. J’insiste sur le côté papier, car la moitié des pharmacies et des médecins refusent l’attestation papier, parce qu’il n’a pas de carte Vitale. Ces patients ont par définition très peu de numéros définitifs parce qu’il manque la fiche d’Etat Civil ou l’extrait de naissance tamponné pour avoir un numéro 1 ou 2. Cela améliore son accès aux soins, mais il va être rejeté de quelques laboratoires, de quelques centres de radiologie, et par des médecins parce qu’il n’a pas la carte Vitale, ce qui est illégal. De la salle Concernant la CMU, si nous l’adressons à un hôpital public, une circulaire stipule que tous les actes qui ne sont pas pris en charge pour un malade avec la sécurité sociale sont pris en compte. Tout ce qui n’est pas pris en charge par la nomenclature peut être pris en charge. C’est compliqué, il faut accompagner la personne, et le fait d’avoir un médiateur santé est un plus. Olivier LEFEBVRE

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Je voulais revenir sur les termes que l’on entend, que ce soit dans les milieux professionnels ou dans les médias, sur les migrants, immigrés, tous ces mots qui sont employés pour désigner les mêmes personnes. Les migrants, les immigrés, c’est le langage des Nations Unies, c’est un langage dit démographique repris par les instituts démographiques. L’étranger, le réfugié, c’est un langage juridique. Quand on parle d’exilé, il y a la notion d’impossibilité de revenir au pays d’origine avec les conséquences psychologiques et sociales qui en découlent. Le demandeur d’asile, l’étranger malade, c’est un langage administratif, c’est en Préfecture que l’on parle ainsi. Les sans-papiers clandestins, c’est un langage politique. Des sans-papiers, je n’en connais pas, ils n’ont peut-être pas les bons mais ils en ont plein. Les clandestins, par définition, on ne sait pas qui ils sont, c’est typiquement politique. Dans le langage médiatique, on parle souvent des réfugiés sans papiers ou des demandeurs d’asile clandestins. Nous, nous parlons d’une même et seule personne, c’est le migrant, avec un point important qui est que le migrant en séjour précaire, c’est celui qui n’a pas les ressources pour se soigner en France. Sont exclus d’emblée les touristes et les migrants en France depuis moins de trois mois qui ont les moyens de se faire soigner. Sié DIONOU, COREVIH IDF et SOS Hépatites Ile-de-France Je suis médiateur de santé au sein du COREVIH Ile-de-France. Le ministère de la Santé a parcellé le territoire français en COREVIH dans le cadre de la prise en charge des personnes ayant le VIH. En Ile- de-France, il y a cinq COREVIH et je fais partie du COREVIH Ile-de-France Centre qui regroupe l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l’hôpital Saint-Antoine, Tenon et Trousseau. Le territoire sanitaire regroupe donc le 18e, 20e, 13e, 11e et 12e. Cette collaboration se fait avec l’association SOS Hépatites. Je vais vous présenter un exemple du service de médecine interne de la Pitié-Salpêtrière où se trouve un centre de dépistage gratuit et anonyme VIH, hépatites, autres pathologies, que nous avons développé pour permettre à la population originaire d’Afrique sub-saharienne d’avoir accès aux soins. C’est une population qui n’a pas accès au dépistage. Des études ont montré au sein des centres de dépistage, sur tout le territoire français, que cette population ne se fait pas suffisamment dépister. 11% des dépistages réalisés dans les CDAG concernent des émigrés, et sur ces 11%, 40% sont originaires d’Afrique sub-saharienne. Ils n’ont pas accès à la prévention. Des études ont montré que cette population ne se présente pas dans les centres de dépistage après des prises de risques. Le ministère de la Santé précise que tout le monde doit avoir accès au dépistage. Un certain nombre de personnes vivent avec l’hépatite B et ne le savent pas, 30 000 personnes vivent avec le VIH et ne le savent pas, donc il faut les dépister et diminuer la quantité de virus dans la communauté. Il faut aller dans les foyers pour proposer un dépistage à ces personnes. Nous avons commencé avec notre casquette VIH, et les personnes n’acceptaient pas de se faire dépister. Nous avons utilisé une autre méthodologie. Nous avons commencé à rédiger un projet CDAG et SOS Hépatites, sous la responsabilité du CDAG qui a le personnel médical formé. Nous avons fait un travail en amont avec le personnel soignant, les infirmières et les médecins, pour les sensibiliser à l’approche spécifique de cette population. Je suis moi-même originaire d’’Afrique sub-saharienne, je connais cette culture, ce qu’il faut dire, ce qu’il faut éviter, ce qu’il faut faire, ne pas faire, ce qui peut les conduire à se refermer sur eux-mêmes. J’ai rencontré les assistantes sociales pour renforcer le système de PASS. Nous savons que cette population a d’autres problèmes de santé, peut-être plus importants que le VIH et les hépatites, ce sont les maladies cardiovasculaires. Nous devions donc partir d’une approche de santé globale. Il y a beaucoup d’hypertendus, de diabétiques, des taux de cholestérol élevés. L’hôpital a été d’accord. La grande majorité de ces personnes n’a pas de couverture sanitaire. La question était de savoir si nous dépistions quelqu’un qui a un VIH, une hépatite, un diabète, une hypertension, si nous pouvions développer le système de PASS pour les prendre en charge et les

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accompagner pour avoir une aide médicale. L’hôpital a donné son accord. Pour que la population dans les foyers adhère à notre démarche, il fallait les impliquer dans cette démarche. Dans les foyers, des délégués représentent les résidents. J’ai présenté le projet à la direction et nous avons signé une convention avec AFTAM et organisé une formation des soignants, des infirmières aux tests rapides, une prise de sang au bout du doigt avec des résultats sur place. Il fallait former les délégués à ces pathologies que nous venions dépister dans les foyers. Nous les avons formés en leur expliquant ce qu’étaient le VIH, l’hypertension, le taux de cholestérol, le diabète, comment les éviter et où se soigner pour qu’ils comprennent ce que nous venions faire au foyer et qu’ils puissent relayer l’information au niveau du foyer, aux moments propices, lors des repas à la cantine ou au cours des prières surtout. Nous avons créé des outils adaptés à cette démarche. Des affiches ont été apposées pour faire de la publicité dans les foyers. Les foyers nous ont indiqué que nous pourrions rencontrer le maximum de personnes le vendredi à partir de 18 heures. Nous avons négocié avec l’hôpital pour que les infirmières, les médecins, puissent sortir de l’hôpital et venir dans les foyers jusqu’à 20 heures ou le samedi. Les affiches précisaient que l’hôpital se déplaçait avec des soins gratuits, anonymes, des médecins, des infirmières, des médiateurs. Nous avons fait cela pendant trois semaines avant que l’hôpital se déplace. Nous nous posions la question de savoir si les gens allaient adhérer. En fait, nous n’avons pas pu dépister le tiers des volontaires. Nous en avons dépisté 137 dans un premier foyer, puis 108 dans un deuxième foyer. Nous nous sommes rendu compte que les gens adhéraient au dépistage par une approche de santé globale. En premier lieu, une infirmière prend la tension et présente le parcours de soins en précisant qu’ils peuvent faire le test du VIH, des hépatites, du cholestérol et de la glycémie et chacun est libre de choisir le TROD qu’il souhaite faire. Il n’est pas obligatoire de tout faire, mais ils ont accepté de tout faire et nous constatons que nous rencontrons plus de problèmes de pathologies cardiovasculaires que de VIH et d’hépatites. L’une des promesses était de les accompagner dans le système de soins. Tous ceux qui ont été dépistés ont intégré la Pitié-Salpêtrière. S’ils avaient des papiers, ils voyaient le médecin traitant, et ceux qui n’avaient pas de papiers sont venus chez nous au CDAG en médecine interne. Nous avions renforcé le système de PASS. Certaines personnes qui étaient là depuis cinq ans ne savaient pas qu’elles pouvaient demander une aide médicale. Ils vivent dans les foyers comme dans les villages, ce sont des personnes qui souvent ne connaissent pas la capitale de leur pays. Certains ne savaient pas qu’au bout de trois mois, il était possible de demander de l’aide médicale. Nous avons signé également une convention avec la Mairie de Paris, la mairie du 13e arrondissement, pour mettre les vaccinations à jour pour ceux qui veulent voyager, aller en vacances. Nous allons donc dans le milieu de vie des personnes, nous les dépistons et nous les intégrons dans le système de soins, mais on ne doit pas se limiter à cela, il faut surtout les maintenir dans le système de soins. Pour les intégrer et les maintenir dans le système de soins, nous avons mis en place des actions de médiation culturelle. J’ai mis en place des actions individuelles de consultation, de médiation et des ateliers pédagogiques en fonction des thèmes que nous abordons, co-animés avec le personnels sur place, et c’est la population qui choisit le thème en fonction de la pathologie. Ces consultations individuelles avec les patients ou avec leur entourage permettent d’identifier leurs besoins, les difficultés, les facteurs facilitant ou limitant qui feront que nous pourrons les garder dans le système de soins et qu’ils puissent être observant. Il faut également clarifier les émotions. Connaître sa séropositivité à un VIH ou à une hépatite crée des émotions et il faut les exprimer. Il faut organiser le parcours de soins qui est défini avec les soignants, expliquer la prise en charge, l’organisation des soins. L’organisation n’est pas la même qu’au pays, il faut prendre les rendez-vous, on ne peut pas venir sans rendez-vous, il faut respecter la prise de sang, et faciliter les échanges qui sont les ateliers pédagogiques, que les anciens, ceux qui ont déjà une expérience dans la maladie, puissent accompagner ceux qui viennent se faire dépister.

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C’est une stratégie d’adaptation à la situation pour l’expliquer à son mari, à sa femme, à ses enfants, etc. Le médiateur est une interface entre deux acteurs, les soignés et les soignants. Quand je termine avec les soignés, je reviens vers les soignants pour qu’ils puissent se comprendre. Nous avons donc mis en place des actions individuelles et collectives avec les soignants, ce qui me permet d’expliquer ma demande de médiation auprès des médecins, des infirmières, des assistantes sociales, d’expliquer la problématique à laquelle est confrontée cette population. Avec l’équipe d’éducation thérapeutique, je les accompagne en fonction du besoin, de la représentation du patient par rapport à sa maladie et à son traitement. Quand un patient ne vient pas au bout de trois ou quatre mois, nous tentons de voir ce qui se passe pour qu’il puisse réintégrer le système de soins. J’ai mis en place des staffs pluridisciplinaires, médecins, assistantes sociales, infirmières, psychologues, et nous parlons des patients uniquement originaires d’Afrique sub-saharienne pour lesquels nous rencontrons des difficultés par rapport à leur prise en charge. Concernant les résultats. Tous les pays de l’Afrique sub-saharienne sont représentés, même l’Afrique du Nord, des Algériens qui souhaitent rencontrer le médiateur pour certaines situations. Le motif de recours à la médiation se fait par rapport à la compréhension du traitement de la maladie. La personne entre pour un problème d’observance et nous constatons qu’il y a des problèmes administratifs. La médiation, l’éducation thérapeutique, la prise en charge, améliorent la qualité de vie de ces patients. Nous constatons une amélioration de l’accès à la prévention, au dépistage de cette population, une amélioration de la qualité de la prise en charge de ces patients. Nous avons développé le procédé éducatif ; nous avons réalisé des ateliers vie affective et sexuelle avec des hommes africains, des femmes africaines réunis autour de la même table, nous parlons de sexe, de procréation. Nos limites, c’est que ce n’est pas reconnu par l’Assistance Publique. Je travaille au sein de l’AP, mais le poste de médiateur n’est pas reconnu. Les infirmières et les médecins ont du mal à récupérer les heures quand ils sont dehors jusqu’à 20 heures, cette démarche n’est donc pas intégrée à l’AP et nous ne sommes pas autorisés à utiliser les tests rapides de VIH. En conclusion, la médiation est devenue incontournable dans la prévention au dépistage, l’accès aux soins, la prise en charge de cette population. Olivier LEFEBVRE Je suis médecin généraliste pour les exilés, c’est ma dix-septième année. Le COMEDE est une association loi 1901, fondée en 1979, située à l’hôpital de Bicêtre qui gère un centre de santé, un centre ressources qui gère deux centres ressources, une permanence téléphonique, et qui est un observatoire intéressant des exilés et des migrants en situation précaire. Nous travaillons étroitement avec la CIMADE, notamment à Aubervilliers. Certains d’entre vous connaissent peut-être le guide du COMEDE, qui est mis à jour régulièrement sur le site de l’INPES, et le format papier est prévu l’an prochain. Concernant les migrants d’Afrique de l’Ouest, il y a encore quelques années on intégrait dans les migrants et les étrangers, les Italiens, les Portugais, les Polonais qui représentent l’écrasante majorité des migrants en France, mais avec l’Union européenne ils ont disparu des chiffres. La deuxième vague, c’est la population maghrébine, qui s’est également intégrée ; elle est donc davantage insérée dans le droit commun, même s’il persiste encore des problèmes. La population que nous voyons actuellement en grande difficulté et en grande vulnérabilité, ce sont les ressortissants d’Afrique sub-saharienne, d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Centrale, sans oublier l’Asie du Sud, le Bengladesh et le Pakistan, le Sri Lanka et depuis quelques années l’Europe de l’Est avec les pays de l’ex-URSS, Géorgie, Ukraine, etc., qui sont en grande précarité et qui font partie des demandeurs d’asile qui arrivent en France.

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Je vais vous présenter l’exemple d’un de nos patients types qui passe par de multiples phases et nous allons pouvoir aborder les différentes possibilités d’accès aux soins pour ce patient. C’est un cas que nous rencontrons tous les jours. C’est quelqu’un qui arrive dans un centre de santé, le COMEDE, qui a été orienté chez nous. Il s’est souvent fait renvoyer du service public. La question est de savoir si un étranger qui arrive en France avec un visa ou sans visa peut se faire soigner en France. C’est une vraie question, c’est une question quotidienne à la permanence téléphonique. Durant les trois premiers mois, on est considéré comme touriste, quels que soient les revenus, la seule chose prise en charge étant éventuellement une grosse urgence, l’appendicite ou un important traumatisme. Il s’agit du Fonds de soins urgents et vitaux, avec toutes les difficultés pour l’obtenir. On ne peut donc pas avoir de protection maladie dans les trois premiers mois de présence en France. De la salle Sur le CHU de Rennes nous avons des migrants de l’Est, ils arrivent par la Croix-Rouge et ils sont pris en charge. Olivier LEFEBVRE Il y a une exception, ce sont les demandeurs d’asile. Dès lors que vous faites une demande d’asile vous êtes exempté des trois mois, pour les autres ce n’est légalement pas possible. On parle de la Croix-Rouge, du COMEDE, de Médecins Sans Frontières, mais je parle ici du dispositif de droit commun et ce n’est pas possible, sauf urgence. Nous allons donc voir les différentes possibilités après trois mois de présence en France. Nous avons des exilés qui ne peuvent pas retourner au pays, notamment des demandeurs d’asile. Initialement ce sont des demandeurs d’asile dont nous savons que la moitié a subi des violences et un quart des tortures. Ils arrivent en France, ils font une demande d’asile. Nous savons que pour 80% d’entre eux, la demande d’asile va être rejetée, mais ils vont rester en France. Donc, la problématique du migrant précaire avec ou sans papier nous concerne également. Les demandeurs d’asile restent le tronc commun, mais nous avons toutes les personnes sans titre de séjour et tout migrant qui, en situation précaire, peut venir au COMEDE sans être forcément demandeur d’asile. Un exemple classique, un stéréotype, celui d’un jeune homme de nationalité guinéenne, plus ou moins francophone, dont la langue natale est le poular, peul de Guinée, marié, deux enfants, en France depuis janvier 2010. Il a fui son pays après une détention, des tortures, en raison de son militantisme et il nous consulte pour la première fois en 2010 sur les conseils d’un compatriote. Ce peut être sur les conseils d’une autre association, mais les compatriotes orientent plus facilement. Je passe sur les motifs de consultation, beaucoup de cicatrices, il ne va pas bien. D’abord, nous allons lui proposer un bilan de santé gratuit de dépistage grâce à une convention avec la Mairie de Paris, un laboratoire de la DASS. Sur le plan social, aucune personne ressource ou à qui se confier, peu francophone. Il a dormi dans la rue, à l’hôtel, il squatte actuellement dans le couloir d’un foyer de migrants, aucune ressource propre, mange une fois par jour, pas d’adresse, une domiciliation administrative et pas de protection maladie. Sur le plan administratif ou juridique, il y a eu une convocation à la préfecture en vue d’une demande d’asile, il est donc régulier en France, il est demandeur d’asile, il relève de la CMU dès qu’il a sa convocation. Il a ensuite son APS, Autorisation Provisoire de Séjour d’un mois sans droit au travail. Le dossier doit être envoyé à l’Office français de Protection des Réfugiés et des Apatrides pour les demandeurs d’asile, et le récépissé de trois mois sans droit au travail ; il devient régulier et on peut l’insérer dans le système de droit commun. Sur le plan médical, nous lui faisons un bilan de santé gratuit. Ce qui nous intéresse notamment, ce sont les hépatites en raison de la forte prévalence dans les pays d’origine de ces patients et notamment des Guinéens. Sur le plan social, nous allons essayer de l’intégrer dans le droit commun, demande de CMU, transfert d’asile pour le logement, inscription dans le dispositif national d’accueil, Pôle Emploi parce qu’il peut justifier de

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l’Allocation Temporaire d’Attente. Il faut savoir que l’hépatique B représente les trois-quarts des maladies infectieuses. La première infection chronique que nous rencontrons, c’est le psycho-traumatisme, ce qui est logique, puis les maladies infectieuses. L’hépatite B, l’hépatite B+, l’hépatite C représentent 77% des maladies infectieuses que nous rencontrons, et en troisième position les maladies cardiovasculaires. Dans ce cas précis, les hépatologues ont répondu qu’il y avait une infection par l’hépatite B, mais ils ont oublié les deux autres diagnostics qui allaient avoir une importance sur la prise en charge du VHB. Sur le plan médical, nous ne pouvons pas trancher entre une personne qui porte son virus et qui n’a aucune complication, et une personne qui a une hépatite chronique. Nous apprenons que le père de cette personne est décédé d’un cancer du ventre, nous refaisons le bilan pour confirmer, car c’est une obligation qui va nous faire gagner du temps dans l’attente d’une protection maladie. Nous l’avons envoyé à la sécurité sociale pour avoir cette protection maladie, et notion d’admission immédiate, qui n’est pas la notion d’urgence. La CMU peut se demander en admission immédiate, et n’importe quel travailleur social ou n’importe quel médecin peut faire la demande d’admission immédiate. Cela ne marche pas la plupart du temps, mais permet d’intervenir directement ensuite. Les urgences, ce sont les urgences, l’admission immédiate est faite pour empêcher l’urgence, c’est l’argument choc au niveau de la sécurité sociale, c’est-à-dire que l’on attend qu’il soit suffisamment malade pour payer tous les frais. C’est un argument qui fonctionne. Le bilan confirmé, nous avons gagné un peu de temps, mais nous somme ennuyés parce que son bilan hépatique n’est pas tout à fait normal. Nous échangeons avec lui sur l’infection dans sa langue maternelle, avec un interprète professionnel. Il faut vraiment des professionnels de l’interprétariat, c’est très important. Nous lui proposons des séances collectives et individuelles avec interprète à SOS Hépatites. Michel Bonjour intervient chez nous pour ces séances. Intervention du service social, bilan exhaustif non accessible sans protection maladie et psychothérapie. Ce sont toutes les interventions qu’il faut réaliser au fur et à mesure. L’attestation papier CMU arrive enfin, nous avons gagné un peu de temps, sauf qu’avec une attestation papier, il y a beaucoup de refus de soins. Nous pouvons commencer à faire les prescriptions en ville de son bilan. Parallèlement, l’officier de l’OFPRA lui a demandé un certificat médical pour prouver les tortures. Rejet de l’OFPRA, et même si l’on fait des certificats à l’OFPRA, on nous répond toujours que le certificat médical n’a aucune valeur probante. Refus du laboratoire, du centre de radiologie sous le prétexte qu’il n’a pas la carte Vitale ou qu’ils ne prennent pas la CMU. Finalement, il arrive à se débrouiller et à nous ramener les résultats de ses examens. Nous sommes encore plus ennuyés parce que sur le plan médical nous sommes très limite, il a une indication pour aller encore plus loin et faire des explorations de son foie. Il a la CMU, je l’adresse en service d’hépatologie, il rencontre le spécialiste qui refait le même bilan et qui lui prescrit le Fibrotest et le Fibroscan. J’ai rappelé le médecin, et le chef de service lui a donné rendez-vous en hôpital de jour où on a pu tout lui faire tous les examens. Il y a d’autres possibilités car certains CAARUD ont des pôles de Fibroscan, et certains peuvent le faire gratuitement. Il a un score A1F1, et donc surveillance régulière. Ce qui nous avait mis la puce à l’oreille malgré ce profil plutôt favorable, c’est que son père était mort d’un cancer du ventre, ce qui arrive souvent en Afrique sub-saharienne et en Afrique de l’Ouest, donc une contamination première enfance. Il porte ce virus depuis sa naissance et il y a donc un risque plus élevé d’apparition de cancer. Nous décidons de le surveiller - éducation thérapeutique, psychothérapie -, il attend de passer devant la Cour nationale des Droits d’Asile, la deuxième instance pour son asile. Sa demande d’asile est rejetée et au niveau administratif, c’est une bascule, c'est-à-dire que de la régularité il passe à l’irrégularité avec un avis d’expulsion, et l’obligation de quitter le territoire français. Au niveau social, suppression de l’Allocation Temporaire d’Attente, risque d’expulsion du foyer. Dans les foyers, si on n’a pas du tout d’argent, on n’est de moins en moins le bienvenu. Au niveau médical, il ne pourra plus se soigner.

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Sur le plan administratif, ayant une hépatite B, il répond au droit au séjour pour raison médicale. C’est une demande de carte de séjour Vie Privée et Familiale, selon la loi du 11 mai 1998, dite loi RESEDA. Ce n’est pas de l’humanitaire. Les deux critères sont l’absence de troubles à l’ordre public et la résidence habituelle. Les trois points dits médicaux sont la nécessité d’une prise en charge médicale, le risque d’exceptionnelle gravité en l’absence de prise en charge et le défaut d’accès effectif au traitement dans le pays d’origine. La personne doit répondre à ces cinq critères. Or, pour l’hépatite B, il faut une évaluation médicale sur la pertinence, une évaluation juridique, le travail social qui va intervenir, et on l’envoie au praticien hospitalier pour l’évaluation de la pertinence médicale, la rédaction du certificat médical non descriptif, la rédaction du rapport médical et l’assistance sociale du service hospitalier. Tout cela quand on peut se le permettre, car la plupart du temps cela reste compliqué et nous devons intervenir pour expliquer au praticien hospitalier que la maladie est grave. Nous allons nous faire aider. Nous avons des indicateurs pour les hépatites B et C. Pour l’accès aux soins dans le pays d’origine, souvent très mauvais dans les pays en voie de développement, il y a des critères, des indicateurs. Il y a également une instruction de la Direction Générale de la Santé qui parle du VIH et des hépatites en expliquant qu’il n’y a pas de possibilité en cas de retour dans les pays en développement de se faire soigner et qu’il faut leur donner un titre de séjour. Cette circulaire est une instruction, elle n’a pas valeur de loi, elle n’est parfois pas respectée par le médecin de l’Agence Régionale de Santé qui est seul juge. Actuellement, la moitié des patients ont une carte de séjour pour cette raison. Pour l’autre moitié, nous devons nous battre parce qu’il y a des refus. Quoi qu’il arrive, il faut se battre, et ce quelle que soit l’hépatite.

Echanges avec la salle De la salle Quand ils sont guéris, on les renvoie chez eux ? Olivier LEFEBVRE On ne guérit pas d’une hépatite B, d’une hépatite C oui. De la salle Pour l’hépatite C, ils sont renvoyés chez eux ? Olivier LEFEBVRE Oui, après six mois, on les renvoie et on ne peut pas les aider sur ce plan-là. De la salle Nous avons eu le cas d’un patient guéri qui était très menaçant envers le médecin parce qu’il n’acceptait pas d’être guéri et d’être renvoyé. Olivier LEFEBVRE S’il est guéri, il est guéri. Nous rappelons le médecin qui finalement donne son accord, il comprend le sens de la démarche et l’assistante sociale accepte finalement de faire le travail. Evidemment rejet, comme une fois sur deux, de sa demande de titre de séjour au motif que bien que cela soit grave et qu’il nécessite une prise en charge médicale, il peut bénéficier du traitement dans son pays d’origine. Ce rejet est assorti d’une nouvelle obligation de quitter le territoire. Il n’a plus de CMU, il dort régulièrement dans la rue puisqu’il a été mis dehors, il est sans titre de séjour. AME en instruction prioritaire, l’aide médicale Etat pour tous les patients qui peuvent justifier de trois mois de présence en France, qui ont vocation à rester en France, qui n’ont pas d’argent. Les médecins seuls peuvent faire la demande de l’instruction prioritaire. Ce n’est pas l’admission immédiate de la CMU ; en fait ils s’engagent à ce que le dossier soit étudié en premier. Donc recours au contentieux. Nous allons devant le juge avec l’avocat et l’aide juridictionnelle, levée du secret médical avec la rédaction d’un certificat médical détaillé. C’est la première fois que le secret médical est levé

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devant le juge. Neuf mois plus tard, première instance, sachant que cela peut aller jusqu’à un an, le juge annule la décision préfectorale et enjoint la préfecture de donner à Monsieur une carte de séjour temporaire d’un an avec droit au travail. C’est assez rare, la plupart du temps les juges annulent l’obligation de quitter le territoire, mais demandent à la préfecture de revoir la demande. Actuellement, la surveillance est maintenue, il a intégré un hébergement stable en CHRS, il a trouvé du travail, il paye sa mutuelle puisqu’il n’a pas la CMU complémentaire. Il y a toujours des problèmes au pays, sa femme et ses enfants n’ont pas pu, faute de moyens financiers, faire les tests. Tout va bien, jusqu’au prochain renouvellement, bien sûr. Le facteur culturel en refus de soins est mis en avant. Je considère que c’est un refus de soins complet. C’est surtout un manque d’informations. C’est maîtrise d’inscription dans le système de droit santé commun, donc accès au droit, protection maladie, titre de séjour, consultation avec l’interprète. L’éducation thérapeutique est vraiment cruciale. L’objectif pour nous, le corps médical en premier lieu, mais également toutes les personnes qui participent à l’aide apportée à ces patients, c’est d’assurer la continuité du soin. Déontologiquement pour le médecin, il faut revenir à la base et mettre de côté les idéologies parfois nauséabondes. Sur ce parcours, le médecin seul ne peut rien faire, l’assistante sociale seule ne peut rien faire, le travail se fait en réseau, de façon pluridisciplinaire. Chacun de notre côté nous n’y arriverons jamais quand on voit le parcours nécessaire pour un seul patient. Gérard PONSET, SOS Hépatite Champagne-Ardenne Nous avons un CAARUD et des ACT. Nous avons rencontré pratiquement la même situation, avec des difficultés par rapport aux papiers à mettre en ordre, aux demandes, car cela avait été initié par l’hôpital sur Paris avec une orientation vers une ACT et nous avons attendu en tant que structure médicosociale que les papiers soient faits, puisque la demande avait été engagée par l’assistante sociale de l’hôpital. C’est un peu difficile, car ensuite nous devons essayer de régler ce problème de papiers qui est primordial, plus que la notion de soins qui peut parfois être différée. La notion de réseau est évidente, on ne peut pas faire seul, et le COMEDE a apporté son aide au niveau juridique. Nous avons demandé en préfecture quelle était la démarche à faire et nous sommes tombés sur des fonctionnaires peu efficaces. Ce sont les mêmes qui donnent l’autorisation et qui expulsent. Ce travail de réseau est donc vraiment important. Olivier LEFEBVRE Nous avons recensé 637 obstacles à l’accès aux soins sur 263 personnes. Un quart concerne le problème de langue, le dossier traçabilité, 22% des erreurs de procédure des centres de sécurité sociale dans le délai de traitement supérieur à deux mois, 11% de dossiers perdus et 35% d’erreurs de droit par la sécurité sociale. Erreurs très diverses, 8% de refus d’admission immédiate, 8% de régularité de séjour et 18% d’obstacles au sein du dispositif de soins, refus de soins en ville, rupture de droits, dysfonctionnement du PASS et de l’hôpital. Nous n’avons pas parlé des PASS, mais c’est une catastrophe. Ce sont des droits, ce n’est pas de l’humanitaire, je tiens à cette notion, nous sommes en France, c’est du droit et on peut l’exiger. La différence est importante. Le titre de séjour pour raison de santé est gravement menacé car la situation se durcit. Ce que Monsieur Sarkozy avait rêvé, Monsieur Vals est en train de le faire. Nous avions eu une première restriction quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur qui était de remplacer l’accès aux soins dans le pays d’origine par le traitement effectif, la disponibilité. Nous avons réussi à le contourner, ce qui n’a pas eu un grand impact. A présent, c’est beaucoup plus grave, car uniquement les urgences vitales auront un titre de séjour. C’est-à-dire que l’on supprime tout ce qui concerne les maladies chroniques, nous allons revenir à la situation d’avant Monsieur Pasqua. C’est une très mauvaise nouvelle. Le ministère de la Santé nous a alertés car ils sont très inquiets.

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De la salle Sommes-nous un pays plus accueillant que les autres, est-ce mieux en Angleterre par exemple ? Olivier LEFEBVRE La France, c’est plutôt pas mal, l’Angleterre et l’Allemagne également. En Allemagne, il est apparemment plus facile de se faire soigner. Nous rencontrons des personnes qui viennent d’Allemagne et pour lesquelles il n’y a pas eu de soucis. En revanche, il y a un lien très important entre la police et les médecins. Un médecin ne soigne pas une personne qui n’a plus de titre de séjour, la police vient dans le service chercher la personne, c’est interdit. En France, cela ne pourrait pas se faire, mais en revanche, la personne qui est malade va être prise en charge en Allemagne. En Allemagne, ils sont plutôt bien traités au niveau de l’accès aux soins, de la protection maladie, mais dès qu’ils deviennent irréguliers la police intervient directement à l’hôpital ou au cabinet du médecin avec interdiction de continuer les soins. Dans notre pays, il est plus facile d’avoir le titre de séjour, mais difficile de se faire soigner. En Europe, je pense que la France n’est pas mal placée malgré tous les obstacles, quelqu’un qui est gravement malade peut se faire soigner. Nous avons survolé le problème des migrants précaires, tous les droits ouverts aux migrants précaires et tous les obstacles. Sié DIONOU Quand j’ai commencé à intervenir, je me suis rendu compte qu’il y avait un problème culturel, celui des représentations, mais pour la majorité des cas c’était dû au fait que l’on n’écoutait pas les personnes. Ce n’était donc pas un problème culturel, mais un manque d’écoute.

Nouveaux traitements : Faut-il être patient ? Gilles PIALOUX, AP-HP Tenon Je voudrais citer tout d'abord une petite anecdote sur Christian Trepo. Comme vous le savez, il est l'un des tous premiers scientifiques de la co-infection, et la première fois que je suis allé à la Conférence mondiale sur les hépatites, en me voyant arriver, il m'a dit : « Il y a même des infectiologues qui se déplacent, ce doit être grave l'hépatite C ». J’ai travaillé avec tous les laboratoires et aujourd'hui tous sont impliqués dans le traitement de l'hépatite C. La situation aujourd'hui sur les nouveaux traitements de l'hépatite C est compliquée. Et je rappelle que la meilleure façon de ne pas être patient dans le VHC, c'est la prévention et la réduction des risques. Les données épidémiologiques dont je dispose sont assez anciennes, elles datent de 2007, et sur le VHC en population globale, les chiffres ont été revus à la baisse. Ces données indiquent 232 000 personnes PCR positives, donc répliquantes, nécessitant un traitement, et 367 000 personnes avec des anticorps parmi lesquelles très certainement beaucoup ont été traitées. On peut constater que la co-infection diminue, probablement du fait de l'affinage des chiffres et peut-être de la diminution des données incidentes de VHC, mais il faut se méfier car il existe des populations parmi lesquelles les contaminations incidentes sont importantes chez les patients VIH. L'augmentation de la part des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes est très marquante dans la répartition des groupes de transmission dans la co-infection VIH-VHC. Cette augmentation est très nette, elle est passée de quelques pour cent en 2004 à 13%, voire 19% et même 29%, selon les données FHDH, Vespa ou Prospecth. Deux mécanismes très différents sont à l'origine de cette augmentation. D'une part, le phénomène émergeant de pratiques d'injection dans un cadre sexuel, qui a été rendu public par sa partie la plus visible qui est le « slam » ; d'autre part, ce que nous connaissons depuis fort longtemps, c'est-à-dire des pratiques très insertives et très contaminantes entre hommes. Dernier élément qui me paraît intéressant et qui va peser également, même si un

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certain nombre de laboratoires nous vendent déjà une molécule pangénotypique, ce sont les modifications de répartition des génotypes. Dans la population VIH, nous avons un génotype 1 prédominant, un génotype 4 en augmentation dans les cas incidents dans les transmissions homosexuelles, et un génotype 3 en diminution. J'aimerais revenir sur un point central concernant le thème « Etre patient avant les DAA ». Je pense que l'on a trop attendu et que trop de patients sont passés à côté des traitements disponibles. Certes, l'on ne peut pas faire marche arrière, mais pour moi c'est un vrai scandale. Je pense, et je le répète surtout ici à Sos Hépatites, qu’un certain nombre de patients vont mourir avant d'avoir accès à des traitements sans interféron, c'est-à-dire que par comprimés durant douze semaines, ce que l'on nous vante et qui est effectivement prévisible. Les DAA, Direct Acting Antiviral, s'opposent à l'interféron qui avait un effet indirect, à la Ribavirine qui avait un effet indirect, mais les molécules actuelles disponibles comme le Télaprévir et le Bocéprévir sont déjà des DAA. On a l'impression d'une fausse deuxième génération, mais c'est en fait la suite de ce qui a été ouvert avec les inhibiteurs de protéase. Paris-Match titrait « One pill a day for to-morrow », une pilule par jour demain, mais ce n'est pas tout à fait si simple que cela et ce n'est pas tout à fait pour demain. Un certain nombre de molécules sont lancées, des inhibiteurs de polymérases, des inhibiteurs de NS5B, NS5A, de nouveaux inhibiteurs de protéase, toutes ces molécules arrivent en rang serré et probablement en rang assez dispersé. Cette slide, que Marc Bourlière actualise régulièrement, montre une sorte de constellation où quand on part de la périphérie vers le centre on va vers la commercialisation. Il n'y a que deux traitements commercialisés, tout près du centre de la constellation, c'est le Télaprévir et le Bocéprévir et, comme vous le savez, le Sofosbuvir arrive dans la foulée, et probablement une autre dans la foulée. J'ai repris le terme d’Act Up « combien de divisions pour ceux et celles qui attendent ? ». Divisions dans les équipes de soins englobe aussi bien les CSAPA que les centres d'excellence de l'hépatite C. Combien de patients attendent, pour ne parler que de ceux qui sont dépistés ? C'est très difficile à calculer, mais quand on compare ce que l'on appelle la cascade dans le VIH, qui compare la France et les Etats-Unis, à chaque étape il y a une déperdition beaucoup plus importante aux Etats-Unis du fait de leur système de mauvaise couverture sociale des patients, surtout pour les plus précaires. En France, on part des 145 000 VIH+, on arrive à un taux de contrôlés virologiques de 56%, ce qui n’est pas mal. Pour l’anecdote, la Côte d'Ivoire est à mi-chemin entre les données françaises en termes de VIH contrôlé et les Etats-Unis qui se trouvent être un pays en voie de développement en matière de VIH et VHC. Si on part des 3,2 millions d'Américains porteurs chroniques de l'infection à VHC, et que l’on fait cette même cascade, on a seulement 50% de diagnostiqués, 30% adressés à un spécialiste, 7 à 11% traités, et 5 à 6% de réponses virologiques soutenues, guéries. Une autre étude américaine publiée récemment montre les patients éligibles dans les essais et c'est tout à fait saisissant puisque que l’on arrive seulement à 39% de patients éligibles à qui il faut une couverture sociale, pas de co-morbidité, pas d'alcool etc. Et là aussi, on arrive à 3% de réponse virologique soutenue. En France, une étude déclarative réalisée en 2012 auprès des prescripteurs montre qu’environ 45% des personnes sont en attente d'un traitement, soit 211 000 patients en France dont un tiers est en attente d'un meilleur traitement. Cette attente est donc forte et nous savons que globalement il n'y a quasiment plus de prescriptions de traitements depuis des mois dans les services spécialisés, à part quelques exceptions pour les patients les plus cirrhotiques, et encore... Les données européennes de 2011, en termes de prévalence, de VHC diagnostiqués, de prises en charge suivie et de patients traités, montre que sur 232 000 virémiques, on compte 4,7% de traités, ce qui me paraît très peu, mais cela fixe un peu le paysage dans lequel nous

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nous trouvons actuellement, avec des pays où c'est encore plus compliqué, probablement l’Espagne et le Royaume-Uni pour des raisons de contrainte économique, lesquelles ne vont pas s 'améliorer. Traiter le VHC ce n'est pas seulement avoir une réponse virologique soutenue. C'est faire régresser la fibrose, éliminer les facteurs de risques extra-hépatiques, rénaux, du système nerveux central, cardiovasculaires. C'est quitter les soins et ne pas les quitter avant d'être en régression totale de fibrose, c’est un point central. Lors des réunions sur les modélisations, il est important de savoir que non seulement on ne va pas avoir 100% de réponse virologique soutenue, mais pas non plus 100% de réponse histologique soutenue. C'est-à-dire que les patients vont quitter le domaine du suivi virologique mais ne vont pas quitter forcément le suivi hépatique parce que tous les traitements n'entraîneront pas de régression de fibrose. Et je rappelle que les molécules les plus modernisées sont actuellement sans données sur l'histologie. Améliorer la qualité de vie, traiter une maladie de système, être coût-efficace, et induire un traitement comme outil de prévention, comme dans le VIH, sachant que moins il y aura de virus circulant dans une communauté pour le VHC, moins il y aura de contamination. On sait que traiter, c'est supprimer l'inflammation. Plus important encore, et nous le savons depuis longtemps, une réponse virologique soutenue est associée à une réduction de la mortalité. Ce qui est plus nouveau, c'est que chez les mono-infectés et chez les co-infectés il y a une réduction de la mortalité non seulement hépatique mais également extra-hépatique, et cela va jusqu'au cancer de la prostate. En termes de mortalité d'origine hépatique ou transplantation hépatique, on constate que la réponse virologique prolongée donne une courbe écrasée, et sans réponse virologique prolongée la courbe croît dans le temps. Idem pour l'une des complications majeure qui est le carcinome hépatocellulaire, idem pour les régressions de la cirrhose, idem pour l'histologie, c'est -à-dire que lorsque l'on observe les patients prétraité et le score évalué par biopsie dans cette étude, on voit qu'un certain nombre de patients sont F3-F4, donc cirrhotiques et vont le rester, mais certains vont passer du F4 au F2, et les plus chanceux, très peu représentés, passeront du F4 au F1. Donc même si nous sommes dans un système d'éradication virale, nous ne sommes pas dans un modèle d'éradication totale de la maladie hépatique. En France et en Angleterre, des chercheurs ont modélisé le scoré comme impact, et l'on sait par ces modélisations qu’il est possible de diminuer considérablement la mortalité en augmentant le nombre de personnes dépistées puis traitées. Deux illustrations récentes chez le mono-infecté et le co-infecté montrent que nous sommes dans une maladie de système, qui ne touche pas seulement le foie. Mais cela n'a pas fait beaucoup bouger les hépatologues « pur jus » sur les indications de traitement. Ces données de 2012 chez le mono-infecté montrent qu'une réponse virologique soutenue entraîne une diminution significative des atteintes extra-hépatiques, des atteintes cardiovasculaires, des atteintes néphrologiques, et il manque les atteintes neurocognitives qui sont également corrélées à l'hépatite C. C'est très spectaculaire. On constate une diminution de la mortalité extra-hépatique, des maladies circulatoires, cardio-circulatoires, et même une diminution du risque de cancer de l'œsophage et de la prostate. Dans la co-infection, on retrouve exactement les mêmes éléments, avec une diminution bien sûr de la mortalité liée au foie, mais aussi de la mortalité liée au Sida, et même de la mortalité non liée au VIH et non liée au VHC. A ce jour, il n'y a pas encore de nouveaux DAA, même s'ils vont arriver, alors que fait-on aujourd'hui ? Qui traiter ? Les critères sont les mêmes que ceux pour la co-infection ; globalement il y a la barre des F2 avec toute la problématique du rapport bénéfice/risque. S’y ajoute maintenant le facteur économique, mais globalement on sait qu’il y a des facteurs de risque d'aggravation du VHC que sont l’âge, le sexe masculin, l’insulino-résistance, une forte activité inflammatoire, des manifestations extra-hépatique qui ne sont pas seulement la cryoglobulinémie, ainsi que d'autres facteurs connus de progression comme le tabac, le

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haschich à forte dose, l'alcool bien sûr, et j'en passe. Et également dans l'indication risque de transmission qui commence à poindre. Peut-être que les personnes à très bas seuil et à très haut risque d’échange et de contamination peuvent se voir proposer un traitement dans une indication préventive. Et critère essentiel, la motivation du patient. C’est toujours cette histoire de balance entre l’efficacité et les effets indésirables, ce qui devrait s’arranger avec les nouvelles molécules. Ce ne sera pas le cas pour le problème du coût, et la notion de progrès thérapeutique à court terme est extrêmement difficile à évaluer. Il ne faut pas oublier les co-morbidités, et parmi les patients en attente de traitement, doivent passer en priorité, sur les ATU quand il y en a mais surtout sur les traitements disponibles actuellement, ceux qui comptent tous ces facteurs de progression de la fibrose, que sont la stéatose, les co-infections, l'alcool. Ce ne sont pas des facteurs de passe-droit, mais de diminution de l'attente. Autre point et vieux sujet hépato-centré, c'est bien d'évaluer la fibrose, nous avons de nombreuses techniques pour le faire et nous le faisons très bien, mais il y a des patients chez qui nous ne pouvons pas prédire la fibrose tout simplement parce qu’au moment où l'on fait la mesure, ils sont F2 et lorsqu'on les revoit quelques mois plus tard ils sont F3 ou F4 sans que nous ayons pu le prévoir. Et cette petite proportion de patients qui ne sont pas linéaires dans la fibrose sont extrêmement compliqués à dépister. Ce message à faire passer, qui n’est malheureusement entendu ni par les associations de patients ni par les prescripteurs, est qu'il y une plage disponible, qu’il y a encore des patients qui peuvent avoir accès aux traitements disponibles actuellement, même s’ils sont très lourds, Bocéprévir plus PEG-interféron plus Ribavirine, ou Télaprévir plus PEG-interféron plus Ribavirine. J’ai pris CUPIC parce que ce sont les données dans la vraie vie et non pas les essais de phase 3 ou les essais d’enregistrement. On voit que cela donne des réponses chez les rechuteurs essentiellement, soit 54% de réponses virologiques à S12, qui est considérée maintenant comme la définition de la réponse virologique soutenue, et 74% pour le Télaprévir, également chez les répondeurs partiels. Evidemment, il subsiste une problématique chez ceux qui n'ont pas répondu à un traitement préalable, ce qu'on appelle les « répondeurs nuls ». Cela veut dire que sur un calendrier que nous avons du mal à fixer, et qui pour certains va jusqu'à 2016, nous devons accepter ce type de traitement. Les patients sous-traités sont en attente de quoi ? J'ai choisi une illustration qui montre bien le problème « I feel like I'am waiting for something that will never happen », « je sens que je suis en train d'attendre quelque chose qui n'arrivera jamais ». Des molécules vont arriver de toutes parts, à tel point qu'il n'y aura pas de place pour tout le monde. Toutes les firmes du VIH et même d'autres sont dessus. Certaines ont quatre, cinq, six ou sept molécules, voire même des associations que j'appelle « incestueuses », c'est-à-dire des associations de deux ou trois molécules à l'intérieur du même laboratoire, tout cela mis dans une gélule unique. C’est vrai que c'est très spectaculaire. Il y a tous les inhibiteurs de protéase, cela commence par les deux médicaments commercialisés, Télaprévir et Bocéprévir, puis avec tous ceux qui arrivent, Le plus avancé puisqu'il est en ATU est probablement le Simeprevir de Janssen qui a une très bonne efficacité, tout seul ; le Faldaprévir aussi est très avancé. Il m'a été expliqué que chimiquement c'est la première génération, et que la seule à changer complètement de physionomie et de chimie était la dernière de Merck, mais je ne sais pas si c'est exact. En tout cas, sous prétexte que les deux sont commercialisées, il ne faut pas dire qu'il y a première génération et seconde génération. Ensuite, il y a les inhibiteurs de polymérase NS5B avec le fameux Sofosbuvir, la firme achetée 11 milliards par Gilead dont elle attend un retour sur investissement légitime. La molécule de Roche est loin derrière. Les inhibiteurs de NS5B sont nombreux, chez Gilead, chez Abbott, chez Boehringer, chez Vertex. Les inhibiteurs de NS5A, avec celle qui est probablement la plus avancée parce que l’ATU est ouverte, personnalisée, contrairement à l’ATU de cohorte du Sofosbuvir qui est extrêmement restreinte sur la greffe, qui est la Daclatasvir. Et d'autres molécules arrivent encore. Je ne sais s'il y aura de la place pour tout le monde, mais nous espérons qu'il y aura des traitements pour tout le monde.

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En ce qui concerne les essais, la phase 2 avec le Sofosbuvir est très spectaculaire. Lorsque l'on regarde la réponse virologique soutenue à 24 semaines, on est dans les cohortes à 96%, 97% ou 98%. Ce qui a lancé l'engouement pour ces nouvelles molécules, d'autant plus qu'elles sont très faciles à prendre. Un autre essai de phase 2 du Sofosbuvir, avec ce que l’on appelle l'effet « palissade », c'est-à-dire que tout le monde a une réponse virologique soutenue, c'est-à-dire qu’on a l'impression que tout va marcher, mais il faut attendre les essais de phase 3. Et lorsque l'on regarde les essais de phase 3, on n’est plus dans l'effet « palissade ». On obtient de très bons résultats dans Neutrino à 90% mais pas pour tous les génotypes. Dans Fission, c'est le génotype 2/3, c’est déjà moins bon, avec 67% de réponse. La molécule est moins efficace. Et il ne faut pas perdre de vue que l'Interféron est encore associé au Sofosbuvir, ainsi que la Ribavirine dans ces essais. Si l'on regarde l'essai de phase 3 Positron chez les patients intolérants à l'Interféron ou inéligibles, on est à 78%. Et enfin, concernant Fusion, le dernier essai de phase 3 chez les prétraités, on est entre 50% et 73%. Mais ce sont des traitements de douze semaines, et pour ceux qui ont vécu quarante-huit semaines, c'est incomparable. Donc cela reste de l'interféron mais sur douze semaines, et avec des taux de réponse bien supérieurs, hormis pour certains patients cirrhotiques, à ce que l'on obtient avec la trithérapie et les inhibiteurs de protéase disponibles. Ajoutons à cela que le profil de tolérance de cette molécule et des autres est très satisfaisant et on a très peu d'arrêts pour intolérance, ce qui tranche totalement avec ce que l'on avait dans les essais de PEG-interféron et Ribavirine. Nous passons dans Fission à un rapport de 1 pour 10 en termes d'arrêt pour effets secondaires sévères. Il est difficile de faire un prédictif, mais essayons de voir ce qui se profile. Ce que tout le monde attend ce sont les traitements sans interféron. Soit un DAA plus Ribavirine, soit deux ou trois DAA, soit même deux ou trois DAA inclus dans un même comprimé plus de la Ribavirine, et avec des traitements dont certaines firmes annoncent non pas 12 semaines mais 8 semaines, et d'autres 24 semaines, comme c'est actuellement le cas pour une certaine ATU. Mais il faut être très prudent et surtout prévoir pour les prescripteurs et les personnes atteintes une période où il y aura toujours la possibilité de « s'organiser », c'est-à-dire de prendre un médicament en AMM qui sera disponible bientôt, et d'avoir une ATU pour une autre. C'est exactement ce que les gens vont faire. Ces associations de deux ou trois DAA fonctionnent très bien. Un essai Lonestar avec Sofosbuvir plus Ledipasvir et plus ou moins Ribavirine montre que l'association à 8 semaines permet d’obtenir 100% de réponse sur les génotypes 1, naïfs essentiellement, mais également 100% de réponse chez les patients en échec d'inhibiteurs de protéase, ce qui est très spectaculaire, sauf chez les cirrhotiques où l'on observe seulement 55% de réponse. Pour Sofosbuvir et Daclatasvir, association qui va aussi se développer, les résultats sont tout à fait spectaculaires, sur de petits effectifs certes mais avec des réponses virologiques soutenues autour de 95 à 100%. Sofosbuvir avec la molécule de Janssen, le Simeprevir plus Ribavirine, dans l’essai Cosmos, on est également autour de 90 à 100%. On revient avec des génotypes 1 et chez des patients naïfs, y compris F3/F4, donc là il y a peu d'impact de la cirrhose. Daclatasvir plus Asunaprévir, molécule de BMS, donnent à peu près les mêmes résultats. Pour les molécules de Merck, on est à peu près au même niveau de réponse avec deux DAA plus la Ribavirine. Certains n’ont pas besoin de Ribavirine. Concernant le calendrier, le Sofosbuvir est prévu pour cette année. Les doubles ou triples DAA sans PEG pangénotypiques sortiront probablement en 2015. Et je le répète, de nombreux patients attendent depuis longtemps et sont dans des états qui ne permettront pas forcément l'accès à ces molécules. Pour terminer, une diapositive de Vincent Mallet, qui montre le traitement idéal sous forme de cubes : dosage simple, très efficace, oral, pangénotypique, pas d’effets secondaires. Peut-être que nous y arrivons mais, selon cette dernière diapositive de Christian Trepo, il y a des populations prioritaires dans lesquelles figurent le VIH, les stéatosiques, les patients ayant une insulino-résistance, les F3, les hommes de plus de 50 ans...

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Et la question du coût ? Nous connaissons le coût d'une transplantation hépatique, autour de 130 000 dollars, le coût d'un carcinome hépatocellulaire autour de 21 000 dollars. Si l'on regarde les coûts indirects, comme l'absentéisme qui est très important, notamment avec les traitements à l'interféron, c’est énorme. Dans le système de soins également. C'est modélisable peut-être aussi pour le VIH avec les nouvelles molécules, pour le VHC. Quand nous aurons des molécules bien tolérées, terminées la visite hebdomadaire le premier mois, les visites mensuelles, prescription d'EPO, prescription de stimulateurs de plaquettes, etc. Donc même si ces nouvelles molécules sont à des prix exorbitants actuellement, elles sont coût-efficaces. La rumeur chiffre à 11 000 € par mois l’ATU de Simeprevir, et 19 000 € pour le Sofosbuvir. Ce qui ne veut pas dire que ce sera le prix de vente. Le problème numéro un ce n'est pas que les firmes soient dans un retour sur investissement, que je trouve logique compte tenu de l'enjeu, mais je crains qu’à cause des pouvoirs publics on aille vers des AMM économiquement contraintes. Ce qui signifie que l’on pourra traiter un patient VHC à 120 000 ou 180 000 € le traitement, mais il ne sera pas question de traiter des F0 ou F1. C’est un vrai débat. Quant à l'article 39 du Code de Santé publique qui modifie le passage de l'ATU à l'AMM avec probablement un impact sur l'attente des médicaments qui n'auront pas eu d'ATU, plusieurs associations dont l’AFEF ont alerté les pouvoirs publics. Merci à vous.

Echanges avec la salle Marianne L’HENAFF, TRT5, CHV Pour les médicaments qui ne seraient pas accordés une fois l'AMM obtenue pour les F0-F1, comment la sécurité sociale pourra-t-elle vérifier cela ? Elle va demander un Fibroscan à chaque fois ? Gilles PIALOUX Je pense qu'un certain nombre d'hôpitaux, dont Bichat, ont été contrôlés sur les prescriptions d’antirétroviraux et notamment sur les prescriptions d’antirétroviraux hors AMM. Par exemple, pour le VIH, l'Eviplera a une AMM chez les patients naïfs, il est prescrit à 90% en switch. La sécurité sociale peut dire dans un système contraint : « Prouvez-moi que ce patient était naïf », ce qu’on peut ne pas faire. Bien entendu, ce ne sera pas au moment de la délivrance, mais au moment des contrôles des centres prescripteurs ou des pharmacies prescriptrices. Cela a été le cas avec d'autres produits, où les hôpitaux ont dû rembourser des traitements hors AMM. Michelle SIZORN, SOS Hépatites Paris Ile-de-France Il y a un contre-exemple, les hépatologues prescrivent du Neorecormon, les infectiologues eux préfèrent prescrire autre chose et ils ne se font pas taper sur les doigts. Gilles PIALOUX C'est vrai. Nous, nous sommes les « voyous » dans le VIH avec les ATU, mais je ne pense pas que cela va durer. De la salle Le coût-efficacité est posé. Or, je perçois qu'actuellement les hépatologues doivent faire attention aux coûts. On est vraiment sur du traitement F3/F4 et on laisse tomber les autres. Et si on parle de coût il faut parler des populations traitées. Et l'on peut se demander si on va donner des traitements aussi onéreux à des usagers de drogue. C'est une vraie question. Gilles PIALOUX Effectivement c'est une vraie question, et quand je disais économiquement contraints, j’aurais dû dire socio économiquement contraints. C'est-à-dire que nous ne savons pas où vont être délivrées ces molécules. Est-ce qu’elles vont l'être dans des centres experts où il faudra aller d’abord pour avoir une évaluation de la fibrose avant d'avoir une indication au traitement, est-ce qu’elles vont l'être en ville ? La question centrale est claire : cette attente, ces bons résultats, et toutes ces molécules, vont-ils modifier globalement la problématique

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de l'épidémie du VHC en France ? Est-ce que cela va faire entrer les personnes que l'on dépiste même avec des TROD, des Fibroscan, dans les CSAPA, sachant que l'on n'arrive jamais à les faire entrer dans le système de soin parce qu’il y a quatre mois d’attente pour avoir un rendez-vous à Bichat ou à Tenon, et quand elles arrivent aux urgences il y a six heures d'attente. Je ne sais pas si l'attractivité de ces traitements va permettre aux plus précaires d'être à la fois dépistés et traités. Danielle DESCLERC-DULAC Madame la Ministre a tout de même présenté sa stratégie nationale de santé, et le troisième volet concerne les inégalités sociales. Et quand j'entends vos propos, si l'on ne prend pas en compte ce genre de chose, que va-t-on mettre dans les inégalités sociales ? C’est peut-être là que nous, associations, devons faire remonter toutes nos interrogations, parce que c'est dans ce troisième volet que cela va se trouver. Michel BONJOUR Effectivement, nous associatifs devons développer un maximum d'arguments. On a fait beaucoup de choses hors AMM. Personnellement j'ai sept traitements à mon actif, et cela n'a pas fonctionné. Qui peut nous dire « continuez à vous amuser », « essayez l'interféron pendant deux ans » ? Combien cela va coûter à la sécurité sociale ? Nous devons être à même de donner des arguments et de mettre les usagers de drogue dans le lot. Gilles PIALOUX : Nous travaillons sur un projet de dépistage par les TROD du VHC entre autres, du VHB, dans un CSPA, dans un centre HFH et dans un centre de trans, c'est toute une organisation pour que les personnes dépistées sur ces centres excentrés communautaires puissent rentrer dans le système de soins. Mais il ne s'agit là que d'un essai. Je pense qu'effectivement nous allons devoir trouver des moyens pour faire entrer ces gens dans le système de soins. Et le milieu associatif va devoir se battre aussi afin que les non F2 et les non F3-F4 aient accès à ces traitements. Cela risque d'être compliqué, car même les hépatologues ne sont pas convaincus. De la salle Il est paradoxal de constater que l’on n’a jamais autant parlé de l'hépatite C que depuis que l’on a une foultitude de molécules. En clair, l'hépatite C est très rentable pour les laboratoires, et de fait, l'hépatite B est totalement annihilée. On sait aussi, vu le nombre de molécules et le nombre de produits qui vont sortir, qu’il va y avoir très peu d'élus. Gilles PIALOUX Il n'y aura pas de place pour tout le monde effectivement et de plus, cette logique du prix est aberrante. Normalement le prix est fixé aussi par rapport au volume de prescriptions. Donc si certaines molécules sont destinées à ne traiter que les F3/F4, le prix va évidemment être exorbitant par rapport à la recherche et développement. Alors que si on est dans une politique de facilité et d'augmentation du dépistage communautaire, des tests, y compris à domicile, et que l’on augmente donc le nombre de personnes qui entrent dans le flux du système de soins, ce n'est plus quelques dizaines de milliers de personnes qui seront traitées mais quelques centaines de milliers. Et prix n'est plus le même. Il me semble donc que cette question n'est pas du tout réglée alors qu'elle semble l'être. Michelle SIZORN Vous disiez que le Sofosbuvir avait coûté très cher, mais il ne faut pas oublier que le laboratoire en question avait acheté deux molécules, et qu'ensuite une molécule a été tout de suite éjectée. Pourquoi faut-il amortir le coût sur une seule des molécules ? Karine BELONDRADE Je vous remercie.

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Hépatites B et C chez les injecteurs et les consommateurs de crack Marie JAUFFRET-ROUSTIDE, InVS (Saint-Maurice) et CESAME (Paris) Bonjour à tous, je remercie les organisateurs de SOS Hépatites de me donner à nouveau cette année l'occasion de présenter des données sur les usagers de drogue. Je suis sociologue à l'Institut de Veille Sanitaire, à l’Inserm, et je vais vous présenter les dernières données de l'enquête Coquelicot, initiée en 2001 avec Julien Emmanuelli, ainsi que quelques données sur le modèle français de réduction des risques. L'usage de drogue, parfois intraveineuse comme vous le savez, constitue le facteur de risque majeur de transmission de l'hépatite C en France, qui se fait par le biais du partage du matériel d'injection, seringues et petit matériel. Depuis quelques années, nous avons également mis en évidence que d'autres modalités de consommation, et en particulier le partage des pipes à crack en verre, pouvaient également constituer des facteurs de transmission de l'hépatite C. Au niveau européen, la France s'est longtemps caractérisée par une prévalence de l'hépatite C élevée, qui atteignait 60% dans les dernières données épidémiologiques de 2004, et nous pouvions dire que le modèle français de réduction des risques avait été efficace sur la transmission du VIH mais que cette efficacité était beaucoup plus nuancée sur l'hépatite C. Ma présentation va se faire en deux temps. Nous allons d'abord nous interroger sur la situation épidémiologique actuelle concernant les épidémies du VIH et surtout de l'hépatite C au sein des usagers de drogue en France. Et pour mettre en perspective, je présenterai des éléments d'ordre plutôt sociologiques sur les forces et les faiblesses du modèle français de réduction des risques, afin de comprendre pourquoi nous avons une moindre efficacité sur la réduction des risques de l'hépatite C que dans d'autres pays. Concernant l'enquête Coquelicot de 2011, quelques rappels sur la méthodologie. Il s'agit d'une enquête de séroprévalence, réalisée en 2004 puis en 2011. Elle est multi-sites puisque réalisée sur Lille, Strasbourg, Marseille, Paris et Bordeaux. En 2004 nous avions travaillé sur la notion de ville et en 2011 nous avons élargi à la notion d'agglomération, et de plus nous avons inclus deux départements, la Seine-et-Marne et la Seine-Saint-Denis. C'est une enquête réalisée avec un plan de sondage, ce qui lui permet d'être représentative de la population des usagers de drogue pris en charge dans des structures spécialisées dans ces agglomérations et départements. Nous tirons au sort dans la quasi-totalité du dispositif spécialisé des usagers de drogue volontaires pour participer à l'enquête. Le critère d'inclusion étant d'avoir injecté ou sniffé au moins une fois dans sa vie, c'est donc une enquête qui ne porte pas uniquement sur les usagers actifs mais sur des usagers qui ont pu être exposés à l'hépatite C ou au VIH par le biais de ces modalités de consommation. Nous proposons un questionnaire en face à face aux usagers de drogue dans ces structures. Ce questionnaire est passé par des enquêteurs extérieurs aux structures afin de limiter les biais de déclaration, et chaque usager est invité ensuite à effectuer un auto-prélèvement de sang au bout du doigt déposé ensuite sur un buvard, ce qui permet d'avoir des données de séroprévalence biologique objectivée et pas seulement des données déclaratives. En 2011, nous avons inclus 122 structures, 1 568 usagers de drogue ont participé à l'enquête, ce qui représente 75% des usagers, soit un très bon taux de participation, et sur ceux-ci 92% ont accepté le prélèvement sanguin. Concernant les 25% de non-répondants, ils ont les mêmes caractéristiques en termes de sexe, d'âge et de répartition géographique. Les objectifs de cette enquête sont d'estimer la prévalence du VIH et du VHC chez les usagers de drogue, de caractériser la population de ces usagers en France d'un point de vue

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sociodémographique, de décrire les situations à risque liées à la consommation de produits et à la sexualité, et également d'explorer certains déterminants psychosociologiques à la prise de risque, puisqu'à ce volet épidémiologique l'on adjoint un volet socio-anthropologique que nous venons tout juste de démarrer. Et l'objectif pragmatique de l'enquête est également de contribuer à l'évaluation de la politique de réduction des risques. Nous pouvons observer tout d'abord que la très grande majorité des usagers sont des hommes, à 79%, l'âge moyen est de 39 ans, ce qui correspond à un vieillissement de la population des usagers de drogue par rapport à 2004, date à laquelle la moyenne était de 36 ans. Il y a toutefois 16% des usagers qui ont moins de 30 ans. Nous voyons également que c'est une population marquée par une très grande précarité puisque 18% des usagers vivent dans un squat ou dans la rue, et globalement nous avons la moitié des usagers de drogue qui n'ont pas de logement stable. 79% d'entre eux ne travaillent pas, et 57% ont été incarcérés au moins une fois au cours de leur vie. Concernant les produits consommés au cours du dernier mois, l'enquête montre au niveau national une prédominance de l'usage de crack ou de free base qui est le premier produit illicite consommé après le cannabis. 33% des usagers déclarent avoir consommé l'un de ces produits au moins une fois au cours du dernier mois. 28% ont consommé de la cocaïne et 19% de l'héroïne. On constate donc une prédominance des stimulants parmi les principaux produits consommés. On observe également une très forte consommation de médicaments puisque 37% des usagers déclarent avoir consommé des benzodiazépines et 32% des hypnotiques. Déjà en 2004, lorsque nous avons présenté les données de l'enquête Coquelicot, il s'avérait que le crack et la free base étaient les premiers produits illicites consommés en dehors du cannabis. Mais il nous a longtemps été expliqué que ces produits étaient des produits essentiellement parisiens. Donc pour l'enquête 2011 nous avons posé une question supplémentaire sur la consommation non seulement au cours du dernier mois mais au cours de la vie. Et là nous pouvons observer que dans la totalité des villes où l'enquête a été réalisée, le taux de consommation de crack et de free base est relativement important puisque même dans les villes où nous avons les prévalences les plus basses en termes de consommation, qui sont Marseille et Strasbourg, nous avons quand même plus d'un tiers des usagers qui ont consommé ces produits au moins une fois dans la vie. Paris est certes la ville la plus concernée, élargie aux deux départements d'Ile de France, Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis, avec 8 usagers sur 10 qui déclarent en avoir consommé au cours de leur vie, mais d'autres villes comme Bordeaux ou Lille ont des prévalences de consommation de ces produits très importantes également. Ces données viennent donc remettre en cause un certain nombre d'idées reçues qui laisseraient supposer que seuls Paris et l'Ile-de-France sont concernés. Certes Paris et la Seine-Saint-Denis se distinguent, avec plus de 40% des usagers qui en ont consommé par voie fumée au cours du dernier mois, mais on observe que Lille est très marquée également puisque plus d'un tiers des usagers en ont consommé. Les prévalences sont un peu plus basses pour Bordeaux et Marseille, avec 10% des usagers, et il n'y a que Strasbourg où la prévalence est nulle pour la consommation au cours du dernier mois. Au-delà de la consommation de produits illicites nous nous sommes intéressés également aux traitements de substitution et à la manière dont les usagers d'héroïne peuvent être substitués. Nous observons qu'en 2011 à l'instar de 2004 nous avons une très bonne couverture en termes de substitution, puisque les trois quarts des usagers déclarent être sous traitement de substitution au cours des six derniers mois, seulement 10% d'entre eux sont substitués hors cadre médical, ce qui signifie que 90% des usagers de l'enquête prennent leurs traitements soit dans un CSAPA soit auprès d'un médecin généraliste. Lorsque l'on regarde la répartition en termes de traitement de substitution, nous voyons clairement une prédominance de la méthadone, pour 64% des usagers, versus 38% sous

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buprénorphine et 3% sous sulfate de morphine. Il faut rappeler que, les usagers étant recrutés dans le dispositif spécialisé, il est normal d'avoir une prédominance de la méthadone. Si nous avions fait l'étude chez les médecins généralistes, nous aurions une répartition différente, avec prédominance de la buprénorphine. Les données concernant la prévalence du VIH et du VHC montrent pour le VIH un chiffre de 10% et 44% pour le VHC. On observe une stabilité pour le VIH liée certainement à un vieillissement de la population des usagers de drogue et à une meilleure survie, et pour l'hépatite C on observe une diminution. La prévalence du VIH et de l'hépatite C augmente avec l'âge, on voit ainsi que chez les usagers les plus jeunes, ceux âgés de moins de trente ans, la prévalence du VIH est quasi nulle, et celle de l'hépatite C très basse, à 9%, alors qu'en 2004 nous avions déjà 28% des moins de trente ans contaminés par le VHC. Ce sont donc des résultats plutôt encourageants du point de vue de l'épidémie. Si l'on regarde les séroprévalences du VIH et de l'hépatite C par ville, on observe un chiffre élevé dans la plupart des villes pour l'hépatite C, seules Bordeaux et Lille se distinguent par une prévalence plus basse. Mais ce résultat est à interpréter avec précaution, car ces deux villes sont celles pour lesquelles la moyenne d'âge est la plus basse. Lorsque l'on regarde en analyse multi-variée et que l'on ajuste sur l'âge, on voit que pour le VHC il n'y a qu'une ville qui se distingue vraiment des autres, c'est Marseille, par une prévalence du VHC beaucoup plus élevée qu'ailleurs et pour le VIH, celle qui se distingue vraiment des autres c'est Lille, puisque la prévalence est nulle. Pour terminer sur les études épidémiologiques, après avoir présenté des données plutôt optimistes avec une baisse de la prévalence du VHC, voici quelques données beaucoup plus préoccupantes concernant les pratiques d'injection, les pratiques à risque de contamination. Pour les pratiques d'injection, 65% des usagers déclarent avoir injecté au moins une fois au cours de leur vie, ce qui correspond à ce que l'on observait en 2004, et parmi eux, 36% déclarent avoir injecté au moins une fois au cours du dernier mois. Si l'on compare ces résultats selon l'âge, il est préoccupant d'observer que chez les usagers de moins de trente ans, la pratique d'injection est plus importante que chez les plus âgés, puisque 53% des moins de trente ans ont injecté au cours du dernier mois, versus 33% chez les plus âgés. Et le résultat le plus préoccupant dans cette enquête Coquelicot ce sont les pratiques à risque dans le domaine de l'injection, puisque 26% des usagers déclarent avoir partagé leur seringue au moins une fois au cours du dernier mois, et 43% déclarent avoir partagé le petit matériel, coton, cuillère, ou autre préparation. Pour la seringue cela correspond à un doublement des pratiques à risque par rapport à 2004. Un résultat plus positif concerne le partage de la pipe à crack, même si ce niveau de partage reste élevé, à 57%, on observe une nette diminution puisqu'en 2004 nous avions 80% de niveau de partage parmi les usagers. Quant à l'exposition aux risques dans le cadre de la détention, parmi les usagers de drogue incarcérés au moins une fois au cours de leur vie -57% d'entre eux- un usager sur dix déclare avoir injecté au moins une fois en détention. Je précise, concernant toutes ces données qu'il s'agit là d'analyses préliminaires de l'enquête Coquelicot, qu'il faut être prudent quant à la comparaison entre les données 2004 et 2011, puisque pour pouvoir vraiment comparer ces deux éditions, des traitements statistiques complémentaires sont en cours, et en particulier sur la standardisation des données. Mis à part cette précaution méthodologique, nous pouvons quand même noter un fléchissement de la séroprévalence de l'hépatite C, puisque nous passons de 60% à 44%, et notamment chez les plus jeunes usagers puisque nous passons de 28% de contaminés en 2004 à 9% en 2011. Je vous ai montré précédemment des différences entre les villes concernant la prévalence du VHC. En ce qui concerne le VIH, Lille se caractérise par une séroprévalence nulle, ce qui est lié certainement au fait que dans cette ville la population des usagers de drogue est un peu plus jeune, et également par une tradition de la consommation par voie fumée. A

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Marseille, à l'inverse, la prévalence est plus élevée que dans les autres villes, cela peut s'expliquer par un vieillissement de la population et par une tradition de la consommation par injection, surtout pour les générations d'usagers des années 1970-80 qui ont été largement contaminés. Pour conclure sur ces données épidémiologiques, d'un point de vue sociodémographique, l'on observe un vieillissement et une précarisation plus importantes des usagers, les produits les plus consommés sont les stimulants, c'est un processus déjà observé en 2004 mais qui se renforce. Un autre point concerne l'importance des pratiques d'injection chez les plus jeunes et le fait que les pratiques à risque liées à cette injection ont beaucoup augmenté, en particulier pour le partage de la seringue qui a doublé. Le résultat plus positif concerne la diminution du partage de la pipe à crack, liée certainement à un essai d'intervention qui a été mené quelques mois avant la mise en place de l'enquête, avec la diffusion de kits base, de nouveaux kits de prévention du VHC chez les usagers de crack. L'ensemble de ces données, nationales et locales, incite à rester vigilants sur la prévention du VIH et de l'hépatite C chez les usagers de drogue. Je vais maintenant mettre en perspective ces résultats avec des données plus sociologiques concernant les forces et les faiblesses du modèle français de réduction des risques. Nous sommes confrontés à un paradoxe français, puisqu'au niveau international, la France est souvent présentée comme un modèle concernant une partie de la réduction des risques, c'est-à-dire les traitements de substitution, pour lesquels nous avons le meilleur taux de couverture. Il s'agit là de la force de notre modèle. En revanche, la France a choisi un modèle faible de la réduction des risques, d'une part en maintenant l'interdit et la pénalisation de l'usage de drogues, contrairement à d'autres pays européens. D'autre part notre modèle valorise une forme exclusivement médicalisée de la réduction des risques, basée uniquement sur le traitement médicamenteux de la dépendance. C'est un modèle en fait qui se désintéresse du contexte social de consommation, et qui de fait favorise la stigmatisation des usagers de drogue et leur exposition au risque VHC. On observe également en France une réticence vis à vis des innovations en matière de réduction des risques, ce qui peut être l'une des explications du maintien des pratiques à risque élevé. Dans le dernier rapport interministériel sur les drogues et les toxicomanies nous observons un silence total autour du programme d'échange de seringues en prison alors que, comme les données épidémiologiques l'indiquent, un usager sur dix parmi ceux ayant déjà été incarcéré a injecté en prison. On observe également en France des hésitations concernant les salles de consommation médicalement supervisées, en particulier avec la décision négative du Conseil d'Etat, alors que ces mesures de réduction des risques ont été expérimentées avec succès dans de nombreux pays étrangers. On observe une absence de prise en compte d'exposition au VHC des usagers de crack, malgré les résultats positifs de l'enquête sur les « kits crack ». Enfin, on observe une difficulté à faire évoluer les kits d'injection actuellement disponibles alors que ceux qui sont financés par les pouvoirs publics ne permettent pas de réduire efficacement l'exposition au risque VHC, en particulier en l'absence de filtre stérile dans ces kits. D'ailleurs concernant ces kits de crack et d'injection, le bureau des pratiques addictives de la Direction Générale de la Santé avait commandité à l’InVS et à l’Inserm, l'évaluation de nouveaux kits, qui a été faite. Un rapport a été rendu sur les kits crack en janvier 2012, et un rapport a été rendu au Bureau des Pratiques Addictives sur les kits d'injection en juillet 2013. Nous espérons donc que ces deux rapports pourront faire évoluer les outils de diminution des risques à disposition des usagers de drogue très prochainement. Concernant cette faiblesse du modèle français, en 2010 la déclaration de Vienne a demandé aux Etats de fonder leur politique publique en matière de drogue sur des preuves scientifiques et non sur des idéologies, et la France a encore du mal à intégrer ces évidences et considère que ce qui a été efficace ailleurs ne sera pas adapté au contexte

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français, d'où les hésitations que j'ai évoquées. Il est donc indispensable aujourd'hui que la France puisse mettre en œuvre une véritable politique de santé publique incluant une version forte de la réduction des risques, qui s'oppose à la répression d'usage, qui s'appuie sur des bases scientifiques, pour plus d'efficacité dans la lutte contre l'hépatite C chez les usagers de drogue. Pour terminer, je tiens à remercier tous les usagers de drogue, les professionnels des centres qui ont participé à l'enquête Coquelicot, les enquêteurs pour la passation des questionnaires, le CNR VIH de Tours et en particulier le professeur Francis Barin pour le volet biologique de l'enquête, et l'ensemble de mes collègues de l'Institut de Veille Sanitaire et de l’Inserm qui ont été impliqués sur cette enquête, et l'Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites pour son soutien financier et scientifique sur l’enquête Coquelicot. Je vous remercie.

Echanges avec la salle Karine BELONDRADE Merci beaucoup pour cette intervention très argumentée par rapport à nos préoccupations à SOS Hépatites. De la salle Concernant la baisse de prévalence, il est compliqué d'asseoir des résultats uniquement sur une donnée de prévalence, alors que nous n'avons pas totalement le profil de cette population. Y a-t-il un excès de décès, par exemple, ce qui implique forcément moins de prévalence. Nous manquons de données d'incidence. Marie JAUFFRET-ROUSTIDE Nous allons avoir des données d'incidence, elles seront probablement disponibles début 2014. Dans le cadre de cette enquête Coquelicot, nous travaillons avec l'une de mes collègues sur cette question et avec Stéphane Chevalier, du CNR hépatique, nous avons utilisé les buvards pour regarder chez les usagers qui étaient anticorps négatifs pour l'hépatite C s'il y avait de l'ARN, et grâce à cette méthode nous allons pouvoir estimer l'incidence du VHC. Et nous allons également utiliser une autre méthode avec une biostatisticienne de l'InVS, Lucie Léon qui travaille sur cette question, afin de faire de l'incidence à partir de la comparaison de deux enquêtes de prévalence. Nous pourrons donc avoir prochainement des données sur l'incidence de l'hépatite C. Je précise que l'un des critères d'inclusion dans cette enquête est également d'être francophone pour avoir un niveau de compréhension suffisant par rapport au questionnaire. Or, en faisant l'inventaire des structures susceptibles de participer, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait des files actives, notamment sur Paris, qui étaient composées, pour près de la moitié d'entre elles sur certaines structures, par des usagers russophones. Nous avons donc décidé, en 2013, grâce au soutien financier de l'ARS, de faire une enquête spécifique sur les usagers de drogue russophones avec exactement la même méthodologie. Nous allons fusionner les deux bases de données et il est possible que nous obtenions alors une augmentation de la prévalence tant du VIH que du VHC. Les données dont je vous ai fait part ne concernent donc que les usagers francophones. De la salle Pourquoi les « crackers » sont-ils si peu dépistés ? Marie JAUFFRET-ROUSTIDE Ils sont dépistés. 90% des usagers de drogue ont déjà été dépistés pour l'hépatite C, qu'ils soient « crackers » ou « injectés ».

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Michel BONJOUR Qu'est ce qui fait qu'en France la politique est différente de celle d'autres pays d'Europe ? J'ose donner une petite explication : ces autres pays n'ont pas cette attitude politique consistant à faire de la morale mal placée. Les pays ayant un socle protestant sont beaucoup plus rationnels, comme par exemple à Zurich. Et c'est la même chose en ce qui concerne la dépénalisation ou l'avortement. Nous nous heurtons toujours à des gens qui veulent faire de la morale et qui préconisent de mettre les drogués en prison. Mais il n'y a pas de bataille réelle pour leur faire comprendre qu’ils sont des dinosaures. Marie JAUFFRET-ROUSTIDE J’ai une analyse un peu différente. Peut-être que la religion joue, mais il y a une autre explication qui est que, contrairement à d'autres pays européens, la France a une culture de santé publique beaucoup plus récente. C'est donc difficile de mettre en avant des arguments de santé publique, si bien que sur l'usage de drogue ce sont encore aujourd'hui des arguments moraux qui prennent le dessus. Un autre élément, que je qualifie de modèle faible de réduction des risques, est qu'en France l'usage de drogues est interdit par la loi. Nous sommes le pays ayant la législation quasiment la plus répressive d'Europe, et le fait que ce soit interdit rend extrêmement compliquées des politiques efficaces de santé publique et vient gêner même les pouvoirs publics. Nous venons de le voir avec les salles de consommation médicalement supervisées, tout le monde était prêt, la MILDT, la Mairie, la Direction Générale de la Santé, tout le monde s'attendait à ce que cette salle soit mise en place, puis la décision du Conseil d'Etat montre qu'il y a une contradiction entre la loi française et cette logique de santé publique, malgré le référentiel de réduction des risques inscrit dans la loi de santé publique et qui aurait dû normalement protéger ce type d'action. On voit là les limites de la répression d'usage et de l'interdit légal. Au niveau international, de nombreuses publications montrent que plus le pays est répressif plus il y a de pratiques à risques chez les usagers de drogue. Et la France, en raison de la stigmatisation et de la mauvaise estime de soi des usagers de drogue liée à cette répression, a un niveau extrêmement élevé de pratiques à risques. Karine BELONDRADE Merci pour cette étude très approfondie.

L’accès au traitement dans les pays pauvres Danièle DESCLERC-DULAC Le Docteur Maud Lemoine est hépatologue. Elle travaille beaucoup en Afrique et est actuellement sur un projet de recherche opérationnelle sur le traitement de l’hépatite B et le cancer du foie (PROLIFICA). La prise en charge des hépatites virales dans les pays pauvres est aussi une de nos préoccupations. Maud LEMOINE, Medical Research Council, The Gambia Unit, West Africa, Imperial College, London Je vous remercie de m’avoir invitée dans ce forum pour débattre de ce sujet avec Chloé Forette de Médecins du Monde. Il est essentiel de parler de la prise en charge des hépatites virales dans les pays pauvres, dits à ressources limitées. Pour démarrer cette présentation, je souhaite évoquer rapidement deux histoires cliniques qui m’ont frappée ces deux dernières années puisque j’ai travaillé en Gambie pendant deux ans. Fatou est une patiente gambienne âgée de 37 ans, qui s’est présentée à ma consultation l’année dernière pour un épanchement péritonéal. L’échographie a révélé un foie typiquement cirrhotique. Le diagnostic a été rapide et aisé, il s’agissait d’une cirrhose décompensée due au virus de l’hépatite B. Fatou a donc été hospitalisée le 6 novembre et elle est décédée deux jours

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après d’une maladie terminale du foie. Cette histoire est malheureusement assez banale en Afrique sub-saharienne. Cette patiente avait eu six grossesses antérieurement, durant lesquelles elle n’a jamais été dépistée pour l’hépatite B ; elle n’a jamais été vaccinée, elle n’a jamais été évaluée pour la maladie hépatite, donc jamais traitée et elle est décédée trop jeune. Abdou, patient de 26 ans, s’est également présenté à notre consultation pour une masse abdominale fin septembre 2013 avec une sérologie de l’hépatite B positive. Ce jeune homme est décédé très peu de temps après d’un carcinome hépatocellulaire extrêmement volumineux de quatorze centimètres développé aux dépens d’une hépatite chronique virale B. Ces deux histoires sont extrêmement banales en Afrique sub-saharienne mais aussi en Asie du Sud-est. Et je voudrais vous expliquer aujourd'hui pourquoi ces histoires sont banales, pourquoi elles sont scandaleusement inacceptables et comment on peut remédier à cet état de fait dans les pays pauvres. L’OMS estime que 350 millions de personnes sont infectées par le virus de l’hépatite B, 170 millions par le virus de l’hépatite C, donc beaucoup plus que les 34 millions d’individus infectés par le VIH. Les hépatites virales et la co-infection avec le VIH sont également extrêmement fréquentes. L’épidémie frappe majoritairement les pays d’Afrique sub-saharienne, mais également les pays d’Asie du Sud-est. Pays que l’Agence des Nations Unies pour le Développement classe comme pays pauvres, dits à ressources limitées. Ils sont classés selon un index de développement humain, prenant en compte le niveau d’espérance de vie, d’éducation et de revenus. Dans les pays figurant en marron sur la carte, qui regroupent plus de 50% de la population mondiale, les dépenses de santé n’excèdent pas 35 dollars par an et par habitant. A contrario, les pays riches dépensent plus de 3 000 dollars par an et par habitant et alors qu’ils regroupent à peine 10% de la population mondiale, ils consomment à eux seuls 90% de la production pharmaceutique. Cet état de fait pourrait expliquer aussi la problématique de la prise en charge de l’hépatite virale dans les pays en développement. Les infections chroniques virales B et C sont des maladies silencieuses, elles évoluent vers la cirrhose sans aucun symptôme, et les personnes touchées se sentent donc rarement malades. Malheureusement, au moment où les symptômes apparaissent il s’agit en général d’une cirrhose décompensée ou d’un carcinome hépatocellulaire, et la symptomatologie révèle la plupart du temps une maladie tardive pour laquelle peu de choses sont possibles, en tout cas dans les pays pauvres. C'est la raison pour laquelle j’insisterai sur la prévention et le dépistage de ces infections. Enfin, les hépatites virales sont une cause majeure de décès dans le monde. A elles seules, elles sont responsables d’un million de décès par an, 60% des cas de cirrhose, 75% des cas de carcinome hépatocellulaire, et je rappelle que le cancer du foie est le cinquième cancer au monde. Malheureusement, ces décès surviennent majoritairement dans les pays pauvres, les pays à ressources limitées cités tout à l’heure. A titre d’exemple, en Afrique le carcinome hépatocellulaire est une cause importante de décès, c'est le premier cancer chez l’homme, le troisième cancer chez la femme après le cancer du col de l’utérus principalement lié à l’infection à papillomavirus et le cancer du sein. Les virus de l’hépatite B et C sont les principales causes de ce cancer avec l’hépatite B en tête qui représente 60% des cas de carcinomes hépatocellulaires en Afrique. Nous avons des données relativement similaires en Asie du Sud-est où le cancer du foie est le deuxième cancer chez l’homme, le cinquième chez la femme, et là aussi les hépatites virales sont les principales causes de carcinome hépatocellulaire. Autre élément d’information important, ces cancers affectent des sujets relativement jeunes, avec un âge moyen de présentation du cancer du foie lié à l’hépatite B estimé à 40 ans dans les pays à ressources limitées. Ces données sont peu réjouissantes et sont certainement la combinaison de plusieurs facteurs, à la fois un défaut de dépistage et de prévention, une absence d’accès aux

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traitements, mais aussi une inertie politique désastreuse, à la fois au plan international et national. En termes de prévention, il n’existe malheureusement pas de vaccin aujourd'hui contre l’hépatite C, mais il existe un vaccin contre l’hépatite B disponible depuis 1982, extrêmement efficace, et l’OMS a mis en place un programme d’immunisation mondiale depuis 1991. En pratique, la couverture vaccinale reste toutefois encore très insuffisante et en particulier dans les pays en développement. Les données combinées de l’OMS et de l’UNICEF montrent qu’en Asie du Sud-est, la couverture vaccinale n’est même pas de 50% et atteint péniblement 70% en Afrique. Un article récent de 2012 confirme ces données. Figurent en rouge sur cette carte les pays d’Afrique sub-saharienne dans lesquels la couverture vaccinale reste inférieure à 80%. Autre information importante, la première dose de vaccin en Afrique sub-saharienne reste donnée très tardivement, à la sixième ou à la huitième semaine de vie et non immédiatement à la naissance comme recommande. Le dépistage est également très insuffisant pour plusieurs raisons. Le dépistage est non systématique chez les patients VIH, il n’est pas fait systématiquement chez les femmes enceintes. L’OMS estime que moins de 50% des banques de sang en Afrique sub-saharienne sont testées pour l’hépatite B et l’hépatite C. Je vous rappelle qu’en Afrique sub-saharienne, la contamination pour l’hépatite B se fait essentiellement dans la petite enfance, de la mère à l’enfant et de l’enfant à l’enfant, et pour l’hépatite C la contamination est plutôt nosocomiale du fait du défaut de dépistage des banques de sang ou d’une hygiène hospitalière insuffisante. Enfin, ce dépistage est souvent payant et cher. D’autre part, il existe dans ces pays très peu ou pas de moyens d’évaluation de l’infection ou de la maladie hépatique, tout simplement parce que les laboratoires sont peu équipés, la charge virale est très rarement réalisée dans ces pays et lorsqu’elle est réalisable, elle est extrêmement chère. On a très peu de médecins formés à l’hépatologie et peu d’outils diagnostiques, d’échographie, les marqueurs non-invasifs de fibrose. La biopsie du foie est un examen invasif, cher et pas très bien adapté au contexte local, avec des médecins anatomo-pathologistes peu formés à l’histopathologie hépatique. L’autre obstacle important dans ces pays est l’accès aux traitements qui est quasi-inexistant. Concernant l’hépatite B, deux molécules sont aujourd'hui disponibles dans ces pays à des prix génériques, essentiellement par le biais du Fonds Mondial. Il s’agit du 3TC ou de la Lamivudine. Cette molécule n’est pas très chère, mais est associée à un risque de résistance très élevé, si bien que ce traitement n’est pas recommandé en première ligne. Le traitement recommandé est généralement le Tenofovir, excellente molécule disponible par le biais du Fonds Mondial, également active sur le VIH. Malheureusement, cette molécule est aujourd'hui réservée aux patients co-infectés VIH/VHB. La campagne de World Hepatitis Alliance 2012 dénonce le fait que l’accès au traitement antirétroviral est discriminant dans ce pays et qu’il est parfois préférable d’être infecté par le VIH pour pouvoir accéder au traitement antiviral B, ce qui est tout à fait aberrant et scandaleux. En Afrique sub-saharienne, il n’existe aujourd'hui qu’un seul programme d’accès au traitement de l’hépatite B, qui est le programme dont je m’occupe pour la Gambie (PROLIFICA). Ce programme a également été mis en place au Sénégal. Pour plus d’information, je vous invite à consulter le site internet www.prolifica.eu. Pour l’hépatite C, je souhaite souligner un point. Il n’y a actuellement aucun traitement pour l’hépatite C dans ces pays, en tout cas en Afrique sub-saharienne, c’est un peu moins vrai en Asie du Sud-est. En juillet 2013, l’OMS a finalement inscrit l’interféron pégylé sur la liste des médicaments essentiels, mais les prix restent encore élevés. Et surtout, je ne suis pas certaine que le traitement par interféron pégylé soit le meilleur traitement pour les pays d’Afrique sub-saharienne. Il faut rappeler qu’il s’agit d’un traitement injectable, qui doit être conservé entre 2 et 8°, ce qui pose problème dans ces pays. Il faut également pouvoir gérer les effets secondaires, qui sont extrêmement nombreux, avec notamment l’anémie qui va nécessiter des transfusions sanguines dans des pays où la sécurité transfusionnelle reste

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très précaire. Et enfin, on sait bien que les patients africains ne sont pas de très bons répondeurs à la bithérapie pégylé associant l’interféron pégylé. Enfin, l’obstacle au traitement, c’est aussi l’aspect financier, sachant que les coûts sont souvent inaccessibles pour ces pays. En 1995, l’OMC a mis en place les accords sur la protection intellectuelle, les droits de la propriété, l’ADPIC, qui protègent pendant vingt ans les produits pharmaceutiques et donc bloquent l’accès à des molécules génériques. L’industrie pharmaceutique justifie ses brevets en disant qu’ils sont indispensables pour la recherche et le développement, mais il est important de rappeler que 90% de ces investissements vont encore une fois bénéficier à seulement 10% de la population mondiale, qui est la population la plus riche. Les pays les plus pauvres ne bénéficient donc pas de ces investissements. L’industrie pharmaceutique n’est pas l’unique responsable de ce manque d’accès au traitement dans les pays pauvres. Ces dernières années, on a vu une inertie politique internationale et nationale presque terrifiante. C'est-à-dire que les hépatites virales ont été totalement oubliées, elles n’ont jamais été mentionnées dans les objectifs du millénaire, elles n’apparaissent même pas dans la liste des maladies négligées, si bien qu’elles ont été complètement oubliées par l’Agenda international. Ce constat est vrai jusqu’en mai 2010, date à laquelle l’OMS se décide enfin à voter une résolution pour lutter contre les hépatites virales. Il faudra attendre fin 2012 pour voir apparaître le premier groupe de réflexion organisé par l’OMS pour la mise en place de guidelines sur la prise en charge de l’hépatite C, et il y a quelques mois a également été mis en place par l’OMS un groupe de réflexion pour la prise en charge de l’hépatite B. A l’échelle nationale, il existe également très peu de recommandations des gouvernements, peu de mobilisation. Une étude conjointe de l’OMS et de Word Hepatitis Alliance démontre que seulement 50% des pays à ressources limitées ont mis en place des recommandations nationales sur les hépatites virales, seulement 17 pays d’Afrique sub-saharienne, et les auteurs soulignent également que ces recommandations sont souvent très incomplètes. Enfin, l’absence d’accès au traitement est souvent justifiée par des problèmes financiers, une crise économique insoutenable. Lorsque certains Etats occidentaux sont capables de dépenser 900 milliards de dollars au nom de la démocratie et de la justice, on peut se demander s’il n’y a vraiment pas d’argent pour mieux financer la santé dans ces pays. Je ne voudrais pas terminer sur cette note pessimiste car je pense que nous vivons aujourd'hui une véritable révolution technologique et thérapeutique, mais également politique, et cette révolution pourrait transformer le paysage actuel et pourrait notamment bénéficier aux pays les plus pauvres. Depuis quelques années, des outils très innovants ont été mis en place, adaptés aux pays à ressources limitées. On a aujourd'hui des tests de dépistages rapides qui permettent de dépister la population très aisément à l’échelle communautaire sans forcément avoir recours à une prise de sang et une sérologie dans un laboratoire équipé. On a également des moyens rapides, non-invasifs pour évaluer la maladie hépatique, des papiers buvards pour recueillir une goutte de sang et doser la charge virale ou génotyper le virus. On dispose de machines comme le Fibroscan et son appareil portatif qui permettent également d’évaluer la maladie hépatique dans des centres de santé à l’échelle communautaire. C’est ce que nous utilisons, par exemple, dans notre projet en Gambie, et cela marche très bien. Par ailleurs, l’hépatite C vit une véritable révolution puisque pour la première fois il est envisagé de d’éradiquer l’hépatite C dans les pays riches grâce à un traitement qui permettrait de guérir presque 100% de la population. Le congrès qui s’est tenu à Washington il y a quelques semaines a confirmé ces taux de réussite extrêmement satisfaisants chez les patients infectés par l’hépatite C, et on pourrait enfin se passer d’interféron pégylé. Ces nouvelles molécules extrêmement puissantes, utilisables sans interféron, sont probablement

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les mieux adaptées aux pays pauvres et on espère un jour avoir accès à ces molécules pour traiter les malades dans les pays à ressources limitées. Enfin, un mot sur la déclaration de Doha de 2001 pour vous dire que les prix excessifs générés par l’industrie pharmaceutique et ses brevets ne sont pas une fatalité, et c'est aussi grâce à l’énergie considérable déployée dans la lutte contre le VIH. La déclaration de Doha permet aujourd'hui de déclarer une maladie comme un problème de santé et d’obtenir des molécules à prix générique. Chaque pays a le droit de déclarer une maladie comme une urgence de santé publique, et cette déclaration permet de générer des licences obligatoires pour obtenir une molécule à un prix abordable. L’Inde illustre parfaitement l’utilisation de cette déclaration de Doha avec le carcinome hépatocellulaire. Considérant qu’il s’agissait d’un problème majeur de santé publique sur son territoire, l’Inde a donc pu génériquer le Sorafenib, l’unique chimiothérapie orale du cancer du foie qui coûte 4 000 € par mois dans les pays riches, et la commercialiser à 150 € par mois. Il est possible de mobiliser l’industrie pharmaceutique grâce à la lutte contre le VIH/Sida. A titre d’exemple, cette initiative permet aux industries pharmaceutiques d’enregistrer un produit à prix générique et de recevoir en contrepartie une compensation financière en fonction de l’impact qu’elle va produire en matière de santé publique. Gilead est un exemple de firme pharmaceutique impliquée dans l’accès au traitement pour les pays à ressources limitées. On l’a très bien vu avec le Ténofovir, par exemple, accessible à prix générique dans ces pays, et qui pourrait devenir accessible grâce au soutien de Gilead pour les patients mono-infectés par l’hépatite B. Enfin, Gilead a également ouvert la porte sur un possible accès aux nouvelles molécules antivirales C extrêmement puissantes que j’ai évoquées, et ces molécules pourraient être un jour accessibles par le biais de leurs access programs. La trithérapie était inabordable en 2000, la couverture antirétrovirale était extrêmement faible en Afrique au début des années 2000, mais aujourd'hui les prix ont chuté et la couverture a dépassé 50% dans les pays d’Afrique sub-saharienne. La lutte déployée contre l’épidémie de VIH/Sida est certainement un modèle dont les hépatites virales devraient s’inspirer. Enfin, la dépendance économique des pays africains n’est pas forcément liée aux pays occidentaux, et j’ai trouvé un exemple intéressant de collaboration économique entre le Brésil et l’Afrique. En 2000, le président Lula a signé un contrat avec le Mozambique pour la mise en place d’une industrie de fabrication d’antirétroviraux à prix générique. Le monde est en train de changer et il est possible que ces pays pauvres développent davantage de partenariats avec les pays émergents. On pourrait imaginer qu’un jour les traitements des hépatites virales soient également produits par des pays comme le Brésil et l’Inde. Enfin, la société civile est en action depuis quelques années contre les hépatites virales. C'est un phénomène assez récent qui modifie le paysage actuel. Pour résumer, l’accès au traitement des hépatites virales exclut malheureusement encore les populations des pays pauvres, qui sont les plus endémiques pour les hépatites virales B et C qui sont les causes majeures des carcinomes hépatocellulaires. Néanmoins, il n’y a pas de traitement sans dépistage et il me semble urgent d’améliorer la prévention et le dépistage de ces hépatites. Tout cela est probablement possible parce que nous avons aujourd'hui à disposition de nouveaux outils diagnostiques, de nouveaux traitements extrêmement puissants, aussi bien pour l’hépatite B que pour l’hépatite C. Par ailleurs, un nouveau paysage politique s’est dessiné ces dernières années. Tous ces facteurs devraient permettre d’améliorer l’accès au traitement, en tout cas pour les pays à ressources limitées. Mais cela ne pourra se faire qu’avec le soutien des populations et des gouvernements locaux, des agences internationales de santé et des compagnies pharmaceutiques. J’en profite pour remercier l’équipe avec laquelle je collabore en Gambie, et toutes les personnes que j’ai pu rencontrer en Europe et en Afrique qui m’ont permis d’élaborer une réflexion sur ce sujet. Je vous remercie.

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Chloé FORETTE, Médecins du Monde Maud et moi-même avons énormément d’angles communs, que ce soit pour hépatite B ou l’hépatite C. Sur la question de l’accès, il n’y a pas de recette nouvelle. Ce sont beaucoup d’expériences de la lutte contre le VIH/Sida qui nous permet d’avoir un peu d’espoir pour un accès plus large au traitement. Je parlerai spécifiquement de l’accès au traitement de l’hépatite C dans les pays pauvres pour les usagers de drogue qui s’injectent, des personnes qui ont très peu accès aux traitements. Pourquoi ce plaidoyer à Médecins du Monde ? Médecins du Monde n’est pas MSF et nous n’avons pas vraiment d’expérience dans ce type de gros plaidoyer mondial, mais cela s'est imposé concrètement à nous. Médecins du Monde mène des programmes de réduction des risques depuis vingt-cinq ans en France, une dizaine d’années à l’international. Nous faisons des tests rapides dans nos missions, notamment en Afghanistan, en Géorgie, en Tanzanie et en Birmanie, et on peut savoir si quelqu’un a été exposé au VHC mais on ne peut pas étudier l’évolution de la maladie et on ne peut surtout pas donner de traitement, et c'est la raison pour laquelle depuis trois ans Médecins du Monde s’est fixé comme priorité l’accès au traitement hépatite C pour les usagers de drogue. 185 millions de personnes ont été exposées au virus de l’hépatite C. 3 à 4 millions de personnes sont nouvellement infectées chaque année, et près de 500 000 personnes meurent chaque année de maladies du foie liées à l’hépatite C dans le monde. La plupart des personnes infectées par l’hépatite C vivent et meurent dans les pays pauvres. Le VHC touche les populations les plus vulnérables de par son mode de transmission, en premier lieu les usagers de drogue, mais également les personnes co-infectées, et c’est d’autant plus dramatique que l’on constate une véritable accélération du VIH qui entraîne la détérioration du foie. C’est donc un réel enjeu. On sait qu’il y a des interactions médicamenteuses, que le suivi est lourd pour les personnes co-infectées. L’hépatite C est en train de devenir une des causes majeures de mortalité chez les personnes co-infectées. Chez les usagers de drogue par voie intraveineuse, 67% des injecteurs sont à priori infectés par l’hépatite C et on estime à 90% les nouvelles infections liées à l’usage du matériel souillé. On a du mal à évaluer du fait d’une absence de datas, mais à priori dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, moins de 1% des usagers de drogue par voie injectable sont sous traitement, alors que ce sont les plus touchés. Les barrières de l’accès au traitement sont l’invisibilité des besoins au traitement puisqu’il n’y a pas d’accès au dépistage. On ignore combien de personnes ont besoin de traitement. Le fait que la prise en charge soit complexe peut être aussi une barrière. De même que l’absence de volonté politique et le coût exorbitant des traitements. Dans les pays intermédiaires ou à ressources limitées, 10% seulement des personnes vivent dans des zones où ils pourraient avoir accès à du dépistage, 90% des gens ne peuvent même pas aller se faire dépister. C'est encore plus dramatique pour les usagers de drogue qui voient souvent leur pratique stigmatisée, voire criminalisée. Je l’ai constaté en Afghanistan où ils étaient rejetés des hôpitaux. La stratégie consiste à documenter ces besoins pour essayer de chiffrer. Médecins du Monde a lancé une étude transversale en octobre 2012 où nous avons un programme de RdR à Tbilissi en Géorgie depuis trois ans auprès des usagers injecteurs, sachant qu’environ 25 000 personnes s’injectent à Tbilissi, 47 000 dans le pays. En population générale, la prévalence est de 9%. Nous avons fait des entretiens individuels, des Fibroscan, du génotypage, grâce à quoi nous avons réussi à documenter et à établir à 22% le nombre de personnes testées ayant besoin de traitement immédiatement. Aux dernières nouvelles, sur ces 50 personnes, cinq sont déjà mortes. L’interféron est un traitement long, mais ce n’est pas un traitement à vie. Le suivi est lourd, il y a des effets secondaires et on peut se demander si le personnel médical est suffisamment formé. En Afghanistan, par exemple, il y a un psychiatre pour tout le pays. De récentes études et modélisations dans les pays pauvres montrent que les taux de réponses aux

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traitements sont similaires à ceux des pays riches et similaires que ce soit en population générale, où parmi les usagers de drogues - actif ou non. Il faut également tordre le cou au préjugé concernant le taux de réinfection. L’argument souvent avancé est qu’on ne peut pas soigner les usagers de drogues parce qu’ils vont se réinfecter. Finalement, le taux est assez faible, entre 1 et 5%. Dans la foulée de l’enquête menée en Géorgie, l’objectif de Médecins du Monde est maintenant de proposer un programme de traitement des personnes identifiées via l’enquête transversale pour montrer qu’il est faisable de traiter les usagers de drogues, y compris actifs, dans les pays à ressources limitées. Je ne pense pas que le Sofosbuvir soit disponible dans ces pays avant 2017-2018, mais une prise en charge orale sur un laps de temps beaucoup plus court, ne tenant pas compte du génotype, facilitera de fait une prise en charge dans ce type de contexte. La résolution OMS de 2010 est une arme supplémentaire pour les représentants de la société civile, et les ministères de la Santé des différents pays peuvent s’y référer. Néanmoins, depuis trois ans, on ne constate pas vraiment d’avancée. Les nouveaux traitements sont dans les pipelines et sortent au fur et à mesure, mais il n’y a pas eu de choc particulier. Les hépatites virales entraînent autant de décès que la tuberculose, la malaria ou le VIH/Sida, et en termes d’investissement, nous sommes loin du compte pour l’instant. Une des grandes avancées de la résolution de l’OMS était la création du département Hépatites, mais seulement quatre personnes travaillent sur l’ensemble des hépatites, et par rapport aux ressources humaines dédiées à la tuberculose ou au VIH, on est là aussi loin du compte. Très peu de bailleurs internationaux s’intéressent pour l’instant à l’épidémie d’hépatites. Le Fonds mondial finance trois programmes de co-infection : un en Géorgie, un en Macédoine, et très récemment en Ukraine. Ils concernent une centaine de patients dans les pays. Notre argument est de dire qu’énormément d’argent a été investi pour sauver des gens sur le VIH, et que beaucoup vont mourir de l’hépatite C si on ne les soigne pas. Les gouvernements sont très démunis par rapport à cette épidémie, qui est asymptomatique. Il y a peu de tests, pas de visibilité, et c’est à la fois facile pour eux de ne rien faire, et difficile de savoir quoi faire. Les guidelines de l’OMS pour ces pays sont sortis il y a très peu de temps, sur l’usage de drogues ils sont sortis il y a six mois. L’usage de drogues implique d’avoir des programmes de réduction des risques conséquents. On estime que deux seringues sont distribuées par mois et par personne, ce qui est très insuffisant. Une étude de modélisation a montré qu’une approche de RdR combinée, c'est-à-dire mise sous traitement, distribution de dix seringues par jour aux usagers et possibilité d’être sous méthadone, permettrait de réduire l’incidence de 75%. Il y a très peu de programmes de traitement. Ceux qui veulent avoir accès aux traitements dans ce pays doivent payer de leur poche, et les traitements étant très chers, cela les oblige à faire des choix de vie, à vendre leur voiture, leur appartement, pour se soigner. L’objectif de Médecins du Monde est de profiter de l’expérience d’acteurs aguerris sur les questions de propriété intellectuelle, de réseau, de lobbying, qui ont travaillé pendant vingt ans contre le VIH/sida, et de les engager dans le plaidoyer pour les traitements contre l’hépatite C, sachant que les acteurs de RdR sont peu au fait de ces questions mais connaissent bien l’hépatite C. En 2012, nous avons lancé avec Treatment Action Group, TAG, groupe d’activistes américains, la hepCoalition, suite à une réunion organisée à la Conférence internationale de Washington. Il s’agit d’un ensemble de principes et de revendications pour accroître l’accès aux traitements. Nous avons commencé à lancer des campagnes, notamment la campagne Missing Margaret Chan, la directrice de l’OMS, pour l’amener à prendre des positions plus fermes et concrètes sur la question de l’hépatite C. Cette pétition a plutôt eu du succès puisqu’en un mois, à la veille de la Journée mondiale des hépatites, nous avons réuni 4 000

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signatures. Un rendez-vous est prévu avec Margaret Chan. A l’occasion de la Saint-Valentin, nous avons adressé des cartes « Ayez du cœur, sauvez mon foie » aux dirigeants des laboratoires Merck et Roche. Beaucoup d’actions sont conduites également au niveau national, mais l’idée est d’essayer de regrouper les acteurs de la société civile au niveau international. Le coût des traitements est le problème essentiel. Selon une étude de Sidaction sur les coûts de la prise en charge de l’hépatite C, étude en cours sur quatre pays : 90% du coût de la prise en charge, humaine, médicale, diagnostique, sont liés au coût du traitement. Le prix de vente du traitement dans les pays à revenu faible et intermédiaires va de 18 000 $ à 2000 $ en Egypte. Les malades sont obligés de recourir à des emprunts pour pouvoir se soigner car le coût du traitement équivaut à dix fois le PIB, sachant que dans la plupart de ces pays, il n’y a pas de couverture maladie. Les produits font l’objet d’un brevet, il y a donc un monopole, et les laboratoires ne se gênent pas pour pratiquer des prix élevés même dans des pays non solvables. Au Vietnam, par exemple, environ 250 personnes par an peuvent se payer un traitement PEG-interféron. Actuellement, 11 traitements sont en phase 3. A priori, 70% devraient arriver sur le marché, et 22 nouvelles molécules sont en phase 2. Au total, une dizaine arrivera donc sur le marché. En termes de coût, c'est pire avec les nouveaux traitements. En France, le comprimé de Sofosbuvir coûte 666 €, soit 56 000 € pour douze semaines de traitement. Aux Etats-Unis, la FDA devrait approuver le 8 décembre prochain le Sofosbuvir. Le prix du traitement est estimé à 85 000 $, et en 2014 il devrait rapporter à Gilead 1,85 milliard de dollars pour 22 000 personnes traitées. Les brevets doivent courir jusqu’en 2026-2031. On est dans la même situation que pour la lutte contre le sida il y a quinze ou vingt ans. Comment lever les barrières ? En s’inspirant des succès de la lutte contre le sida. A partir du moment où il y a compétition entre les médicaments de marque et plusieurs génériques, on peut arriver à faire baisser le coût des traitements et donc augmenter l’accès. On a vu des baisses de près de 99% sur certaines trithérapies. Début 2000, 5% des malades dans les pays pauvres avaient accès aux traitements, contre 50% à l’heure actuelle. Il faut soutenir la production de PEG-interféron biosimilaires. Certains sont déjà commercialisés, notamment en Egypte qui est le pays ayant la plus forte épidémie avec des taux de 10 à 20% de personnes infectées par l’hépatite C. De 2002 à 2004, le traitement est vendu 11 000 $, Merck et Roche s’étant mis d’accord. A partir de 2004, Minapharm, industrie privée égyptienne, a mis son Reiféron sur le marché, ce qui a permis de faire baisser le prix. Aujourd'hui, on est à 40 $ par injection. Les laboratoires de marque se sont alignés, étant à 45 $, et je pense qu’il y aura encore plus de baisse. On sait que le coût pour la production et la distribution du PEG-interféron oscille entre 5 et 10 $. Les nouvelles molécules sont plus faciles à copier, puisque ce sont des molécules de synthèse que l’on connaît. Un système de pré-qualification OMS est déjà mis en place. Une étude très intéressante, réalisée par Andrew Hill, est sortie lors de l’IAS de Kuala-Lumpur. Il a modélisé à partir des ARV et est arrivé à un coût de production et de distribution du Sofosbuvir de 68 à 136 $ pour douze semaines. Des premiers succès ont été remportés dans cette lutte contre l’hépatite C. En novembre 2012, une association a déposé une demande d’opposition de brevet auprès de la cour indienne et a obtenu gain de cause puisque le brevet de Pegasys a été rejeté. Les génériqueurs indiens peuvent donc produire de l’interféron pégylé. En juin 2013, après mobilisation des associations, l’inscription de l’interféron pégylé sur la liste des médicaments essentiels de l’OMS, sachant qu’il reste trop cher. En septembre 2013, Unitaid a lancé un appel à projet pour financer des programmes modèles de prise en charge pour les personnes co-infectées VIH/VHC dans les pays à ressources limitées. Enfin, une nouvelle

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résolution de l’OMS sur les hépatites virales est prévue en 2014, ce qui peut être l’occasion de gagner du terrain.

Echanges avec la salle De la salle En dehors du problème des médicaments dans ces pays, il y a quand même des suivis spécialisés, notamment de l’hépatite B. En Algérie, ils ont commencé à mettre en place des PCR dans plusieurs endroits. Maud LEMOINE C’est tout à fait juste. Il existe toutefois des alternatives. En Gambie, nous avons un projet de dépistage de l’hépatite B à l’échelle communautaire, d’évaluation de la maladie hépatique, et d’intervention thérapeutique. Nous avons dépisté jusqu’à présent presque 5 500 personnes et nous avons une cohorte de 1 000 personnes. C'est donc faisable. Mais il faut une machine de PCR, et c’est effectivement un obstacle pour le suivi du traitement des patients. Quand je dis que l’on assiste à une révolution technologique, c'est une réalité. Il y a des outils aujourd'hui. Nous sommes aujourd'hui en contact avec des gens qui essaient de mettre en place un Point-of-Care Test pour mesurer la charge virale. L’idée est d’aller dans un village, dans un centre de santé, de proposer un test rapide, de mesurer la charge virale. L’objectif de ces programmes de recherche est d’essayer de minimiser la prise en charge et de l’adapter au contexte local. Avec les nouvelles molécules dans le traitement de l’hépatite B, on n’aura probablement plus besoin du suivi de la charge virale. Ce sont des molécules tellement puissantes qu’il ne sera même pas nécessaire de faire un génotypage. Peut-être une charge virale au début pour être sûr de traiter les répliquants. Comme l’expérience du VIH/Sida l’a parfaitement démontré, il faut non seulement pouvoir former des médecins mais aussi pouvoir déléguer aux infirmiers, qui ont été très bien formés avec l’accès aux antirétroviraux. Je travaille avec un infirmier en Gambie qui s’occupe maintenant de la gestion des malades. Je ne vois quasiment plus les malades sous traitement sauf en cas de problème. Et l’observance est très bonne dans notre cohorte. Chloé FORETTE On peut également utiliser les installations qui existent déjà pour le VIH. Quand nous avons mené l’enquête transversale en Géorgie, par exemple, nous avons amené le premier Fibroscan portatif. Il y a toujours des solutions. De la salle Je me souviens qu’avait été mis en place dans le cadre du VIH le groupe Esther. Est-ce qu’il vous aide sur le terrain pour informer, former ? Maud LEMOINE Leur directeur général en France est très investi dans la lutte contre les hépatites virales, et nous sommes justement en train de monter ensemble un réseau de prise en charge de l’hépatite C. De la salle Et l’IMEA également ? Maud LEMOINE L’IMEA également. Tout cela plutôt dans les pays francophones, en tout cas en Afrique. Pour revenir à ce qu’a dit Chloé à propos de l’interféron pégylé, il faut être très prudent car il y a différents terrains d’action. Il y a des patients d’Asie du Sud-est qui sont de bons répondeurs, de même qu’en Afrique, mais ce sont aussi des malades qui n’ont pas de bons marqueurs virologiques et génotypiques, et c'est à prendre en compte. D’autre part, j’ai

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assisté à des discussions extrêmement houleuses, et je considère qu’il faut garder des objectifs ambitieux. Je crois à l’accès au Sofosbuvir, même si cela va être très difficile. Néanmoins, on risque de voir arriver des molécules dont le nord ne veut plus. Je pense au Télaprévir et au Bocéprévir, et Merck cherche déjà à liquider ses stocks. Il faut donc être prudent et garder des objectifs thérapeutiques, même si je comprends que c’est bien de pouvoir offrir une bithérapie pégylée en Géorgie, par exemple. Une méta-analyse montre que la bithérapie est faisable. C’est donc à mettre en balance. Tu as évoqué la D4T, la DDI, molécules dont plus personne ne voulait au nord et qui ont quand même fait des dégâts. Maintenant, on se bat pour avoir des traitements de seconde ou troisième ligne. Chloé FORETTE Il y a la dynamique pour faire comprendre aux acteurs RdR tous les enjeux par rapport à la propriété intellectuelle, au fait de pouvoir faire baisser le prix des traitements. Même avec le Sofosbuvir, il y aura toujours le PEG-interféron pour certains génotypes, et on n’est pas prêt de s’en débarrasser. Entre PEG-interféron et rien, le choix est fait. Maud LEMOINE Pour ton information, le Sofosbuvir est en cours de fabrication dans une industrie indienne. Chloé FORETTE C'est la raison pour laquelle il faut se méfier du côté compassionnel des laboratoires. Le Patent Pool permet à des pays extrêmement pauvres d’avoir accès à des traitements peu chers contre des licences volontaires, sauf que cela a privé de traitement un certain nombre de pays, notamment à revenus intermédiaires, sachant que l’hépatite C touche beaucoup les pays intermédiaires qui vont donc être les « dindons de la farce ». Je me méfie beaucoup des approches compassionnelles. Pour eux, c’est une rampe de lancement, de communication. Maud LEMOINE Je fais partie du Comité d’experts du traitement de l’hépatite C à l’OMS et quand on évoque l’accès aux nouvelles molécules dans les pays pauvres, ils nous disent qu’il n’y a pas d’essai thérapeutique et pas de données, et qu’on ne sait donc pas si le Sofosbuvir marche. Il y a encore des discussions interféron standard versus interféron pégylé. Il y a différents angles d’attaque. C’est bien aussi d’avoir des projets thérapeutiques, de négocier avec l’industrie pharmaceutique, de démontrer que c'est faisable, que l’on peut traiter les malades et que c’est coût/efficace. De la salle Vous avez évoqué la mortalité des femmes enceintes, en prenant l’exemple d’une patiente qui a accouché six fois, qui avait l’hépatite B et qui est décédée de cette hépatite B. Il serait intéressant de savoir si les enfants sont touchés ou non. Y a-t-il en Afrique des pays plutôt exemplaires en termes de dépistage, de mise sous traitement des femmes enceintes avant l’accouchement, de vaccination de l’enfant dès la naissance, et sur lesquels s’appuyer pour étendre les bonnes pratiques ? A-t-on une idée de mortalité ou de l’incidence de la contamination sur des femmes enceintes ou mère/enfant ? Maud LEMOINE La transmission materno-infantile concerne essentiellement les pays d’Asie du Sud-est tout simplement parce que les mères en Asie sont plutôt infectées par un anti-VHB positif avec de très fortes charges virales. La vaccination et la prévention materno-infantile sont donc meilleures en Asie. En Afrique sub-saharienne, nous avons mené une enquête et interrogé nos collègues hépatologues. Le premier problème est qu’il n’y a pas de dépistage des femmes enceintes. Des données confirment que la transmission en Afrique se fait essentiellement de l’enfant à l’enfant. Néanmoins, nous disposons de très peu de données qui ont vérifié le taux de transmission materno-infantile. Dans notre cohorte, nous pensons

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que cette transmission existe, mais elle reste à confirmer. Enfin, le gros problème en Afrique, comme dans d’autres pays à ressources limitées, c'est que beaucoup d’Etats ont mis en place la vaccination contre l’hépatite B, mais que cette vaccination en pratique n’a pas lieu le jour de la naissance. La première dose est injectée à six semaines. Une étude publiée au Laos, par exemple, a montré que seulement 70% des enfants recevaient une dose à la naissance, et je parle des grandes villes. Dans les villages, où les femmes accouchent en plus à la maison, c'est plus compliqué. De la salle Dans les pays d’Afrique sub-saharienne où vous êtes présents, envisagez-vous de développer des diagnostics par sérologie pour une prévention précoce, surtout de l’hépatite B qui est la première cause de mortalité ? Maud LEMOINE Le projet dont je m’occupe concerne le dépistage de l’hépatite B, mais pas à partir de sérologies. Ce sont des tests rapides dont nous sommes en train de valider la sensibilité. Ils semblent marcher assez bien. Nous espérons pouvoir répliquer ce modèle dans d’autres pays. Les histoires que je vous ai racontées sont très fréquentes, nous avons eu plusieurs femmes enceintes non dépistées, des jeunes hommes non dépistés avec un carcinome hépatocellulaire. Danièle DESCLERC-DULAC Nous pouvons remercier nos deux intervenantes qui nous ont montré tout le travail qui reste à faire et je retiendrai votre message sur le fait que la société civile doit se mobiliser. Sachez que la Fédération SOS Hépatites est tout à fait en phase avec vos démarches.

Clôture Danièle DESCLERC-DULAC, SOS Hépatites Pour clore ces deux journées de forum, je partirai du thème qui a été évoqué par notre Président absent physiquement mais présent par la pensée quand il écrit : « Un dépistage pour tous et une prise en soins pour chacun ». Je suppose qu’il évoquait une prise en charge de soins pour tous, et j’ajouterai qu’elle doit se faire à plusieurs titres. Cette prise en charge doit d’abord être administrative et financière car si les gens n’ont pas accès aux soins, je ne vois pas très bien comment ils peuvent se soigner et prendre des traitements. Et nous avons vu le coût des traitements, même en France. Médicale, car il s’agit de toujours trouver un médecin à proximité qui peut faire les tests de dépistage. Et enfin sociale. C’est une maladie silencieuse, mais on fait souvent des amalgames par rapport aux toxicomanes. Mais une fois réunies ces différentes conditions, on voit que le parcours est souvent difficile, même en France pour faire écho à ce qui peut se passer ailleurs, notamment en Afrique ou en Asie. La route est parfois longue et pour SOS Hépatites, au travers de tout ce qui a été évoqué durant ces deux jours, on mesure que des évolutions ont eu lieu, ont été acquises, mais que le combat doit se poursuivre. Je voudrais ne citer que quelques exemples un peu à la Prévert. Le dépistage généralisé, notamment auprès des publics fragilisés, au plus près des lieux où ils peuvent être rencontrés pour les hépatites. La possibilité de disposer de TROD. Souhaitons que la Haute Autorité de Santé fasse connaître dans les meilleurs délais la position qu’elle prend par rapport à ce dépistage. L’ouverture à titre expérimental de salles de consommation à moindre risque. On espérait aujourd'hui pouvoir visiter une salle qui avait été proposée par la municipalité parisienne, mais ne nous y trompons pas. Elles doivent être mises en place avec des actions identifiées, en amont et en aval, par des professionnels formés. La pérennisation et le développement de l’éducation thérapeutique du patient avec

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les moyens financiers indispensables pour que l’on puisse poursuivre les actions engagées qui ont fait la preuve de leur efficacité pour les patients concernés. A également été évoquée durant ces deux jours la possibilité du développement de l’éducation thérapeutique en ambulatoire, point sur lequel nous devrions travailler. La nécessité de reconnaître et de valoriser le travail des bénévoles des associations qui, au quotidien, connaissent les attentes et les besoins des hépatants et, au-delà de tous, les usagers du système de santé. Cette approche permanente nécessite un minimum financier pour avoir une aide logistique, des locaux, permettant de mener à bien les actions. Cette liste à la Prévert n’est pas exhaustive. Nous ne sommes pas seuls. Pascal Mélin a souligné le travail réalisé par le Collectif Inter-associatif Sur la Santé, indiquant que les malades étaient prêts à relever le défi et à s’identifier en guides sanitaires dans la mission de représentants d’usagers. Je peux témoigner du rôle du collectif en étant Présidente en région et Secrétaire générale au CISS national où je représente la Fédération SOS Hépatites. Souhaitons que le rapport d’experts présenté par le Professeur Daniel Dhumeaux ne reste pas qu’au niveau de recommandations mais qu’en regard des décisions soient prises au plus haut niveau pour leur réalisation. Nous avons salué très positivement la présence de Benoît Vallet, nouveau Directeur général de la Santé qui a d’ailleurs souligné divers points évoqués dans ma liste : les TROD, la généralisation et la simplification de la vaccination contre l’hépatite B, le développement des ACT, la recherche, et les salles de consommation à moindre risque, de même que les actions conjointes entre les soignants et les patients. La santé publique ne doit pas être sacrifiée à la crise économique que nous vivons. Quelques mots sur les ateliers qui ont été largement suivis grâce à l’animation par des professionnels qui ont accepté d’être avec nous et des bénévoles qui nous ont fait partager, les uns et les autres, leur expérience et leur vécu. Cette complémentarité complice ne peut être qu’un enrichissement partagé. Monsieur Gibelin, responsable de la Commission Santé et Protection sociale du Parti Communiste Français, au-delà de nous avoir accueilli dans ce lieu symbolique, nous a fait partager la politique du Front de Gauche en des termes qui nous parlent : service public, démocratie sanitaire, mettre ensemble les ayants-droit à la santé, les professionnels, les élus, et qu’il appelle une assemblée tripartite. Il a décliné les missions et deux éclairages qui lui apparaissent fondamentaux : les centres de santé et un pôle public du médicament. Madame PFLETSCHINGER de la MILDT a repris les trois grandes orientations au Plan avec le « aller vers » qui doit nous permettre de travailler en transversalité avec notre Fédération. Permettez-moi de conclure en remerciant l’Association SOS Hépatites Ile-de-France, sa Présidente Hélène Delaquaize et son équipe, la Fédération, tous nos intervenants qui, chaque année, nous assurent de nouvelles acquisitions pour continuer nos activités. Merci à tous les participants pour leur attention soutenue. Sans eux SOS Hépatites resterait une mer asséchée ; avec eux, les vagues reviendront pour mieux traiter tous ceux qui peuvent rester sur la plage. Dans la stratégie nationale de santé, voulue par Madame le Ministre, nous pouvons espérer que les hépatants trouveront une réponse à leurs attentes dans les préoccupations pointées durant ces deux journées. Et je voudrais adresser un merci tout particulier au Docteur Annette Colonnier, Médecin responsable des risques infectieux et hépatiques à la DGS, qui est restée très présente durant notre Forum pour voir les travaux réalisés par notre Fédération. Bon retour à tous. A bientôt de se retrouver. Hélène DELAQUAIZE Je voudrais également remercier Catherine Chardin de la DGS. Fin des débats.

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