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1 Comment les artistes musiciens se sont-ils saisis du web ? Irène Bastard, Orange Labs - SENSE Marc Bourreau, Télécom ParisTech Sisley Maillard, Orange Labs SENSE François Moreau, ICI Université de Bretagne Occidentale Livrable ANR réalisé dans le cadre du projet PANIC (ANR-08-CORD-018) Tâche 2.3 « Prescription en ligne et concentration industrielle dans les industries culturelles en France »

Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

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Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

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Comment les artistes musiciens se sont-ils saisis du web ?

Irène Bastard, Orange Labs - SENSE

Marc Bourreau, Télécom ParisTech

Sisley Maillard, Orange Labs – SENSE

François Moreau, ICI – Université de Bretagne Occidentale

Livrable ANR réalisé dans le cadre du projet PANIC (ANR-08-CORD-018)

Tâche 2.3 « Prescription en ligne et concentration industrielle dans les industries

culturelles en France »

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Sommaire

Introduction .................................................................................................................................... 5

Revue de littérature ........................................................................................................................ 6

Méthodologie .................................................................................................................................. 8

1. La construction de l’échantillon ............................................................................................. 8

2. La collecte des informations sur la promotion hors ligne et en ligne ..................................... 9

3. Intérêts et limites de cette méthodologie .............................................................................. 12

I. Le web démocratise-t-il l’accès à la visibilité ? .................................................................... 14

1. La mise en visibilité des « aristocrates » dans le monde hors ligne ..................................... 14

2. La généralisation de l’accès à la visibilité en ligne .............................................................. 16

3. L’affaiblissement des hiérarchies en ligne par rapport à « l’establishment » hors ligne ...... 19

II. Promotion par les artistes et par les audiences actives ....................................................... 24

1. Auto-promotion des artistes .................................................................................................. 24

2. Promotion par les audiences en ligne ................................................................................... 26

III. Visibilité et promotion : quelle efficacité pour les audiences ? .......................................... 31

1. Visibilité hors ligne et audience en ligne des artistes ........................................................... 31

2. Popularité hors ligne et audience en ligne des contenus ...................................................... 33

Conclusion ..................................................................................................................................... 35

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Table des illustrations

Tableau 1a. Graphique 1b : Répartition de l’échantillon par genre musical .................................... 8

Tableau 1c. Ventes totales des artistes l’échantillon entre 2003 et 2010 ......................................... 9

Graphique 2. Présence en ligne par plateforme .............................................................................. 11

Graphique 3 : Courbe de Lorenz de distribution de la promotion dans la presse .......................... 14

Tableau 4. Statistiques descriptives de la variable « Popularité » ................................................. 15

Tableau 5. Répartition des 100ers

artistes les plus couverts par la presse par popularité ............... 16

Tableau 6a. Graphique 6b : Répartition des artistes selon leur déploiement en ligne ................... 17

Graphique 6c. Répartition par genre musical et nombre de plateformes ....................................... 17

Graphique 7. Répartition de la popularité sur les plateformes en ligne ......................................... 18

Graphique 8. Hiérarchie hors ligne et Hiérarchie en ligne ............................................................. 20

Tableau 9. Présence en ligne des artistes non cités dans la presse traditionnelle. ......................... 20

Tableau 10. Représentation relative des genres musicaux sur les plateformes ............................. 21

Tableau 11a. Statistiques descriptives de l’activité des artistes sur Twitter et YouTube .............. 25

Graphique 11a. Visibilité hors ligne et activité des artistes en ligne sur Twitter et YouTube ....... 25

Tableau 12a. Statistiques descriptives de l’activité des audiences sur Amazon et MySpace ........ 26

Tableau 12a’. Statistiques descriptives de l’activité des audiences à travers la blogosphère ........ 27

Graphique 12b. Visibilité hors ligne et activité des audiences en ligne ......................................... 28

Tableau 13. Activité des audiences et des artistes en fonction des hiérarchies hors ligne ............. 29

Graphique 14. Visibilité hors ligne et notoriété sur Facebook et Twitter ...................................... 31

Graphique 14b. Distribution de la notoriété en ligne sur Facebook et Twitter .............................. 32

Graphique 15a. Popularité hors ligne et audience des artistes sur YouTube et LastFm ................ 34

Graphique 15b. Distribution des audiences sur YouTube et sur LastFm ....................................... 34

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Une recherche sur Google de « Lady Gaga » renvoie en 0,22 secondes une estimation de 113

millions de résultats : des actualités issues de la presse ou des annonces de concert, des vidéos

de clips ou des écoutes en streaming, les références officielles de son label Interscope ou des

témoignages dans des billets de blogs, des contenus en lien avec la star ou des « faux »

n’utilisant que la célébrité du nom pour s’attirer des visiteurs. Il ne s’agit pas ici d’envisager

l’ascension d’une icône mondiale de la pop ou de discuter ses performances artistiques, mais

de partir du constat que les millions de résultats proposés par le moteur de recherche résultent

d’une activité en ligne de multiples acteurs qui contribuent à la notoriété de la chanteuse. Si

cette activité permise par le support Internet est particulièrement significative pour les stars,

elle peut constituer une ressource innovante pour la promotion des artistes et de leurs œuvres,

par rapport à la chaîne de valeur industrielle. L’objet de cet article est d’envisager

spécifiquement dans la musique comment les artistes musiciens se sont saisis des outils du

web, qu’il s’agisse des outils de commercialisation des produits comme les sites de commerce

en ligne ou des outils relationnels comme les réseaux sociaux1.

Pour aborder cette question, nous reviendrons en introduction sur la nature des biens

musicaux comme biens d’expérience pour resituer le rôle de la promotion dans le domaine de

la musique, afin d’envisager les déplacements opérés par Internet. Nous présenterons ensuite

la méthodologie que nous avons utilisée dans le cadre du projet ANR PANIC2 pour constituer

un corpus de données étendues dans la durée. Nous décrirons ensuite à travers ces données la

présence des artistes en ligne, et envisagerons la démocratisation de l’accès aux audiences

dans l’univers numérique à travers les indicateurs de visibilité hors ligne et en ligne.

1 Notons dès à présent que cette question ne traite pas de ce que les artistes projettent ou souhaitent de l’utilisation du numérique (pour cela se référer à Bacache et al., 2010), ni de l’impact du numérique et notamment du piratage sur le marché de la musique dans son ensemble

(Bastard et al., à paraître). 2 ANR-08-CORD-018

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Introduction

Comme tout bien culturel, la musique est un bien d’expérience : ce n’est qu’après une phase

de découverte et d’écoute qu’un consommateur peut estimer la valeur qu’il attribue à un titre.

Le paradoxe est alors que, le titre ayant été créé et produit sur un support en amont de l’achat,

le consommateur doit s’acquitter du prix de vente fixé par l’éditeur préalablement à la

consommation du bien. Comment réduire le risque pris par le consommateur pour l’inciter à

débourser son argent avant de juger de l’adéquation du produit avec ses goûts ? Dès les

années 19203, la radio, initialement perçue comme une concurrente cannibalisant la musique

enregistrée, est transformée par l’industrie du phonographe en un outil de promotion : en

diffusant gratuitement des titres, la radio permet au consommateur de former son appréciation

d’un titre et incite ainsi l’achat d’un album complet. Dans la suite de l’industrialisation de la

filière, les éditeurs vont intensifier les budgets de la promotion et les concentrer sur un petit

nombre d’artistes, créant ainsi le Star System (Rosen, 1981). L’intégration verticale de la

chaîne de valeur par les éditeurs n’empêche bien sûr pas les échecs commerciaux, y compris

sur des albums de stars établies, mais amoindrie la prise de risque pour l’éditeur lui-même. La

performance de la promotion est alors facilitée par le développement des médias de masse,

journaux, radio et télévision, qui synchronisent des audiences massives sur des canaux dont le

nombre reste limité. Une seule forme de promotion est restée « artisanale » dans cette phase

industrielle : le bouche à oreille entre les consommateurs (Arndt, 1967). La recommandation

par les paires contribue à la fois à réduire le risque pris par le consommateur à l’achat d’un

titre, au risque d’une certaine homogamie, et à donner à l’œuvre une valeur non pas seulement

économique et esthétique mais aussi sociale, l’album détenu agissant alors comme un

marqueur d’appartenance à une communauté de goûts. L’étude des marchés fait ainsi émerger

des phénomènes de mimétisme et de reproduction des goûts (Bikhchandani, 1992 ; Banerjee,

1992). A l’apogée de l’ère industrielle de la musique enregistrée, la promotion des œuvres

dans les médias de masse constitue donc l’atout maître des labels pour créer les artistes stars,

et la recommandation par le bouche-à-oreille que ce soit d’artistes stars ou d’artistes

confidentiels joue un rôle de fonction sociale. Or l’émergence du web va impacter ces deux

formes de promotion.

Tout d’abord dans la promotion verticale des œuvres, le support Internet démultiplie les

canaux de communication et éclatent les audiences : il ne s’agit donc plus seulement de faire

un média planning en planifiant des spots publicitaires annonçant un concert à venir pour une

semaine donnée et sur un nombre de canaux radio ou de magazines donné, mais bien de

couvrir la diversité des sites, des moteurs de recherche aux sites d’experts en passant par la

vente en ligne, pour envisager de toucher une audience comparable à l’audimat de la

télévision. L’explosion des canaux rend de plus particulièrement complexe et la mise en

œuvre des campagnes, et l’évaluation de ces campagnes4. C’est ainsi que les moteurs de

recherche ou les sites des nouveaux acteurs comme Amazon font leur entrée dans les média

3 Cette partie s’appuie sur PANIC, 2011 4 Ce cas particulier de la promotion de la musique s’inscrit dans le contexte général de la surabondance informationnelle résultant de

l’abaissement des coûts de production induite par le numérique : tout un chacun peut produire un site web à faible coût, y intégrer du contenu

et de la publicité.

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plannings. Les coûts d’affichage de bannières en ligne restant toutefois nettement inférieurs

aux coûts des médias traditionnels, ces nouveaux canaux de promotion sont ouverts pour les

gros éditeurs mais accessibles aussi de manière ciblée à des budgets plus petits. Ensuite,

l’émergence du web 2.0 et des fonctions sociales du web déplacent significativement le

bouche-à-oreille : l’évaluation d’un album peut être faite sur Amazon par un inconnu ; la

plate-forme YouTube centralise des vidéos de concerts (amateurs ou professionnelles)

diversifiant les prises possibles pour un amateur (Hennion et al., 2000) ; les fans Facebook

d’un groupe sont autant d’ambassadeurs de la qualité sociale ou esthétique du groupe, leur

like contribuant à une diffusion virale inégalée dans les médias de masse (Wasik, 2009).

Internet brouille donc la promotion et le bouche-à-oreille traditionnels, alors même que le

changement de paradigme reportant la valeur d’un contenu sur l’attention qu’il suscite rend

d’autant plus critique la visibilité d’un artiste pour sa survie (Kessous, Mellet, Zouinar, 2010).

Ce brouillage profite-t-il aux stars ou aux petits artistes qui ne pouvaient apparaître sur les

médias de masse ? Les artistes sont-ils visibles homothétiquement sur le web et dans les

médias traditionnels ? Comment les artistes se sont-ils assumés « entrepreneur de leur

notoriété » (Beuscart, 2008) en fonction de leur genre musical, de leur label, de leur

ancienneté ? Est-ce qu’Internet démocratise l’accès aux publics pour les artistes ?

Revue de littérature

Ces questions sont motivées par une abondante littérature relative à l’effet d’Internet sur la

consommation de biens d’expériences et le modèle du Starsystem (Rosen, 1981). La théorie

de la Long Tail (Andersen, 2006) formalise l’effet d’Internet selon trois leviers : (i) les stars

seraient diffusées de manière d’autant plus concentrée que le réseau accentue les phénomènes

viraux ; (ii) le fond de catalogues serait stimuler par une meilleure accessibilité dans les

magasins en ligne ; (iii) les biens intermédiaires bénéficieraient de la critique amateur et de la

fragmentation des audiences pour améliorer leurs ventes grâce à un meilleur appariement des

goûts. Les études empiriques sur l’un ou l’autre de ces trois effets, ou sur les trois, sont

nombreuses et aboutissent à date à des résultats contrastés. Nous présenterons de manière

forcément limitée ces travaux, suivant deux entrées : les analyses s’intéressant globalement au

marché et aux ventes de biens en ligne et hors ligne, et celles s’intéressant plus

spécifiquement aux recommandations et à l’activité des audiences.

Les premières analyses sur les ventes de biens culturels ont travaillé sur les ventes

d’échantillon de titres (films, CD, ou livres) ou plus spécifiquement sur les hit-parades.

Benhamou (2008) note pour 693 titres de romans que les ventes en France restent fortement

concentrées, interrogeant la capacité d’Internet à faire évoluer structurellement le marché du

livre. Benghozi (2008), sur les ventes de DVD ou Bounie et al. (2010) sur le top 100 des

livres vendus, observent eux une déconcentration du marché en ligne. Elberse et Oberholzer-

Gee (2008), à partir de données sur les ventes de DVD, vont dans le sens d’une superposition

des modèles du Starsystem et de la Long Tail, notamment en s’intéressant aux invendus ou

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produits de niche. Brynjolfsson et al. (2010) complètent cette observation sur le marché du

livre, en estimant le surplus des ventes des produits de niche. Si ces travaux précurseurs

convergent sur la déconcentration du marché mais divergent sur l’impact global du web, les

travaux plus récents permettent de raffiner les critères envisagés pour détailler les mécanismes

à l’œuvre. Peltier et Moreau (2012), en travaillant sur les données réelles de vente en ligne et

hors-ligne de livres, concluent à l’installation d’un effet de longue traîne limitant la part de

marché des blockbusters dans les ventes en ligne. Benhamou et al. (à paraître), à nouveau

avec les ventes réelles du marché du livre, interrogent les effets de la longue traîne au niveau

des éditeurs et montrent que les parts de marché se redistribuent des grands éditeurs vers les

petits éditeurs en ligne. Cette présentation restreinte montre la diversité des observations

empiriques à partir de données variées, mais tend à admettre globalement l’effet de longue

traîne sur les ventes de biens culturels en général.

Lorsque l’on s’intéresse plus spécifiquement à l’activité des audiences en ligne, c'est-à-dire

commentaires et évaluation par note (ratings), les chercheurs ont mobilisés des données

d’autant plus hétérogènes pour qualifier les effets de la recommandation par les internautes

sur le marché. Globalement, Hu et al. (2009) partent du constat que les notes attribuées par les

audiences aux biens ont une répartition en J (avec principalement des « notes à 5 », quelques

« notes à 1 », mais peu de notes intermédiaires) alors que la distribution des goûts suit une loi

normale. Cette opposition entre l’expérience et l’expression souligne que l’activité des

audiences est différente des comportements d’achat, liée à une connaissance antérieure des

biens (purchasing biais) et à une sur-représentation des avis extrêmes (under-reporting biais).

Une fois admis cette particularité, les travaux sur l’effet du bouche-à-oreille en ligne sur les

ventes n’en restent pas moins inintéressants. Chevalier et Mayzlin (2006) isolent l’effet du

bouche à oreille en ligne en comparant les ventes de deux eCommerçants de livres, et

montrent ainsi un effet positif du rating sur les ventes. Deux approches peuvent alors raffiner

cette observation. La première interroge l’effet des avis négatifs et est traitée par Berger et al.

(2010) avec des données sur le marché du livre. Les auteurs montrent que les avis négatifs

impactent négativement les ventes de biens antérieurement populaires mais contribuent à la

notoriété des biens hors mainstream. La deuxième interroge la répartition de l’activité des

audiences entre produits stars et produits de niche. Dellarocas et al. (2010) montrent que dans

le marché du film, les avis d’internautes ne portent pas sur les biens intermédiaires du ventre

de la Long Tail mais sur les extrêmes.

Cette rapide revue de littérature témoigne de la complexité des travaux sur l’impact du

numérique pour les industries culturelles. Tant l’hétérogénéité des données que la multiplicité

des données observables en entrée des modèles montrent que les problématiques sont loin

d’être résolues. Nous allons voir dans la méthodologie que la particularité de notre approche

est d’aborder globalement de nombreux indicateurs de l’activité des audiences en ligne et de

mettre en regard ces indicateurs avec les éléments sur la consommation des biens. Dans le cas

de la musique, relativement peu traitée par rapport au livre, cette approche induit de remonter

dans la chaîne de la création musicale pour s’intéresser au maillon producteur, c'est-à-dire à

l’artiste musicien. Il convient de noter que nos questions peuvent être envisagées pour

d’autres filières des industries culturelles, et que les autres articles de ce numéro peuvent

éclairer et compléter notre approche.

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Méthodologie

Pour adresser les questions envisagées, l’enjeu consiste à construire un large échantillon

d’artistes qualifiés, et à suivre la présence dans les médias traditionnels et sur Internet de ces

artistes. Nous reviendrons successivement sur ces deux étapes, puis nous conclurons sur les

limites et l’intérêt de cette méthodologie

1. La construction de l’échantillon

L’objectif de cette étape consiste à construire un échantillon de 1000 artistes musiciens. Les

critères pour intégrer un artiste dans l’échantillon ont porté sur l’activité potentielle de la

promotion : nous nous sommes donc intéressés aux artistes sortant un album sur la période

d’observation ciblée. La source utilisée est Amazon US et Amazon France, à travers la page

« sorties ». Seuls les artistes sortant un album « bien d’expérience » (hors remix, compilation,

ré-édition) ont été retenus, sur des genres basiques (hors musique religieuse, musique pour

enfant, etc.). La construction de l’échantillon s’est étalée sur deux mois et demi, du

05/10/2010 au 21/12/2010, pour atteindre le seuil des 1000 artistes visés5. Pour qualifier cet

échantillon d’artistes et estimer sa représentativité, nous avons utilisés deux informations : le

genre de musique pratiquée, et le succès des artistes.

Le genre musical de chaque artiste a été récupéré automatiquement à partir de celui affiché

sur Itunes, lorsque l’artiste disposait d’une page sur la plateforme au moment de la collecte, et

manuellement sur la plateforme d’Amazon sinon. Les 30 genres musicaux répertoriés dans

notre échantillon ont été retraités afin d’obtenir 14 genres musicaux constituant des ensembles

cohérents6. La répartition de l’échantillon en fonction du genre musical est décrite dans le

tableau 1a et le graphique 1b, reportés ci-dessous.

Tableau 1a. Graphique 1b : Répartition de l’échantillon par genre musical

5 Amazon annonçait sur cette période plus de 2500 artistes avec une sortie, mais le filtre « bien d’expérience » nous a amené à en rejeté 1500. 6 Par exemple, nous avons regroupé sous la catégorie « «Musique du Monde » comptant déjà 20 artistes, des catégories plus marginales tels

que « Musique brésilienne », « musique mexicaine », « Salsa et tropiques », et « latino », qui comptaient seulement quelques artistes.

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Concernant le succès d’un artiste, nous avons considéré le total des ventes réalisées par

chaque artiste de l’échantillon sur l’ensemble de ses productions entre 2003 et 20107, grâce

aux données produites par l’institut GfK8. Cet indicateur survalorise les artistes ayant une

ancienneté par rapport aux nouveaux entrants. Le tableau 1c ci-dessous présente les

statistiques descriptives et la répartition de la variable « total des ventes 2003-2010 » :

Tableau 1c. Ventes totales des artistes l’échantillon entre 2003 et 2010

On constate donc que l’échantillon construit intègre une certaine diversité du monde musical à

travers des genres variés, et se compose d’artistes établis comme de nouveaux entrants,

reproduisant une forme de Star System.

2. La collecte des informations sur la promotion hors ligne et en ligne

7 Nous avons agrégé le nombre d’EAN par artistes de la base. Le nombre d’EAN varie entre 0, pour les artistes qui n’ont pas sorti de disque

entre 2003 et 2010, et 195. Les artistes qui affichent des nombres d’EAN les plus conséquents sont, évidemment ceux ayant sorti le plus grand nombre d’albums, mais aussi ceux ayant bénéficié de multiples versionning de leur catalogue (réédition, compilation, best of, édition

luxe, édition limitée, live, etc.). La corrélation entre le nombre d’EAN et le total des ventes entre 2003 et 2010 est positive (0,34) et

significative au seuil de 5%. 8 GFK relève les ventes d’un EAN sur un panel d’environ 15 000 point de ventes, représentatif de la structure nationale des ventes, tels que

notamment des grands magasins spécialisés, des grandes surfaces, de la vente par correspondance ou encore du e-commerce.

Genre Effectif %

Rock 166 16,9

Electronique 134 13,7

Dance 129 13,1

Alternative 94 9,6

Rap 89 9,1

Jazz 76 7,7

Pop 69 7,0

Autres 59 6,0

Musiques du monde 37 3,8

Metal 35 3,6

RnB Soul 33 3,4

Blues 23 2,3

Country 23 2,3

Classique 14 1,4

Total 981 100

Rock

Electronique

Dance

Alternative

Rap

Jazz

Pop

Autres

Musiques du monde

Metal

RnB Soul

Blues Country Classique

Variable Obs Mq Min. Max. Eff. du Min. Moyenne Ecart-type Coeff. de variation

Ventes 03-10 981 0 0 38 500 000 462 189 534 1 800 032 9,49

Percentile Ventes 03-10

Maximum 100% 38 500 000

99% 4 316 006

95% 257 934

90% 43 213

3ème Quartile 75% 2 441

Médiane 50% 16

1er Quartile 25% -

10% -

5% -

1% -

Minimum 0% -

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La promotion des artistes de l’échantillon a été observée sur une période de 6 mois à partir de

la fin de la construction de l’échantillon, soit jusqu’au 21 juin 2012, à travers différents

indicateurs hors ligne et en ligne. Notons dès à présent une légère perte : sur les 1000 artistes

considérés, seuls 981 ont des données en ligne ; ce sont ces artistes que nous considèrerons.

La présence de l’artiste dans les médias traditionnels s’est concentrée sur deux médias : la

presse et la radio. En ce qui concerne la radio, nous avons collecté le top 60 hebdomadaire des

diffusions de titre publié par le SNEP9. Le top 60 des titres les plus diffusés à la radio pendant

la période d’observation relève 2097 titres, dont 157 titres correspondent à des artistes de

l’échantillon, éventuellement en association ou sur d’autres titres que ceux des sorties. Soit

seulement 7 artistes sur 981. Ce résultat reflète la très faible proportion d’artistes à bénéficier

d’une promotion en radio, dont les stratégies éditoriales visent à atteindre un large public et

assurer un maximum d’audience avec des plages de diffusion limitées. Nous n’utiliserons

donc pas plus avant ces données particulièrement concentrées et limitées pour notre

échantillon.

Pour la presse, nous avons utilisé l’agrégateur d’articles Factiva (« FCT »), collectant

mondialement plus de 30.000 sources de presse10

. Chaque artiste a donc été recherché sur le

moteur de Factiva, avec un filtre limitant la recherche sur les sujets et industries cohérents

avec l’industrie musicale (par exemple : biens de consommation, médias, etc.), pour qualifier

sa présence mensuelle dans la presse mondiale. Après traitement, nous avons décidé d’écarter

les 260 artistes pour lesquels les données collectées apparaissaient trop bruitées11

. Sur cet

échantillon restreint à 721 artistes, 296 artistes n’ont jamais fait l’objet d’un article ou d’une

citation dans la presse, soit 41% de notre échantillon, et environ une centaine d’artistes

suffisent à cumuler la quasi-totalité des citations. Plus précisément, 10 artistes agrègent à eux

seuls les 50% de la couverture presse.

Pour les 425 artistes bénéficiant d’au moins une citation dans la presse, la moyenne mensuelle

des citations sur la période observée de 9 mois, varie de 0,1 à 1 395, avec une moyenne de 35

et un écart-type de 125. (cf. les statistiques descriptives reportées ci-après).

9 http://www.disqueenfrance.com/fr/pag-259838-Radio.html 10 http://www.factiva.fr. Reconnaissons que Factiva n’agrége pas certains titres majeurs en France, comme Le Monde. 11 Les artistes « bruités » ont été éliminés : il s’agit des artistes ayant un nom commun (par exemple : Adele) ou un homonyme dans un autre

domaine (par exemple : dans les courses hippiques).

Statistique Moyenne FCT (oct 10 - juin 11)

Nb. d'obs. 425

Minimum 0,11

Maximum 1 395

1er Quartile 0,6

Médiane 2,4

3ème Quartile 12,8

Moyenne 35

Ecart-type (n) 125

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Enfin, le vaste domaine d’Internet a été observé, en partenariat avec un prestataire technique,

The Metrics Factory12

. En regard de la présence des artistes dans la presse traditionnelle, nous

avons collecté la présence des artistes sur les sites d’amateurs, c’est-à-dire que nous avons

utilisé le moteur Google sur les blogs (Google Blog Search). Le nombre de billets de blogs

publiés par ces publics-promoteurs a été collecté quotidiennement pour chaque artiste. De

même que Factiva, certaines incertitudes sur le périmètre considéré par Google pour définir la

catégorie ‘blog’ rendent la recherche potentiellement inappropriée (les pages albums du site

de la FNAC remontaient ainsi dans ce moteur, alors qu’il ne s’agit pas de blogs). Si la valeur

absolue du nombre de billets de blogs n’est donc pas significative, la comparaison entre les

artistes conserve tout son intérêt. En complément de cette promotion étendue au support web,

nous avons qualifié la présence des artistes sur 10 plates-formes « témoins » de la diversité

des formes de promotion en ligne. Nous avons ainsi considéré13

:

- 4 plates-formes de vente en ligne : Amazon US, Amazon FR, FNAC, iTunes ;

- 2 plates-formes dédiés à la musique : le site lastfm.fr, éditeur compilant différentes

informations sur les artistes et permettant l’écoute de titres en streaming ; le site

myspace.com, réseau social des musiciens ;

- 2 plates-formes vidéos : Youtube et Dailymotion, réseaux sociaux permettant tout

deux de poster et visionner des vidéos amateurs ou professionnels ;

- 2 plates-formes de réseaux sociaux généralistes : Facebook et Twitter ;

Des personnes rémunérées ont renseigné, lors de la construction de l’échantillon, l’URL de la

page de chaque artiste sur chacune de ces plates-formes, quand l’artiste était bien présent,

dans un outil développé par The Metrics Factory. The Metrics Factory a ensuite collecté

quotidiennement sur la période d’observation les méta-données sur le compte de chaque

artiste pour chaque plate-forme : le nombre d’avis des internautes postés sur les plates-formes

de vente en ligne, le nombre de fans sur Facebook, etc. Le détail des indicateurs collectés par

plate-forme est précisé en annexe 1. Nous pouvons d’ores et déjà décrire la présence de notre

échantillon d’artistes en ligne de façon binaire sur l’ensemble des 11 plateformes. Il s’agit de

réaliser une photographie sur la période d’observation de la présence de chacun des artistes de

l’échantillon sur chacune des plateformes, à partir des variables binaires décrivant la présence

avec une page officielle (voir plusieurs pages) ou la non-présence sur chaque plateforme. Le

graphique 2, ci-dessous, décrit les résultats obtenus.

Graphique 2. Présence en ligne par plateforme

12 Start-up issu de l’incubateur de Télécom ParisTech, développant des outils de mesure de la notoriété en ligne et de community management. Nous remercions Rémi Douine et Damien Tremblay pour la mise en œuvre et le suivi des outils de collecte. 13 Une enquête exploratoire auprès de 160 jeunes étudiants a été réalisée en amont à ce dispositif pour tester l’utilisation de ces plates-formes

dans la découverte de nouveaux artistes et l’information sur les sorties musicales ; l’objet de l’enquêté était éventuellement de compléter notre sélection par une plate-forme ne faisant pas partie de notre perception mais de pratiques émergentes par les digital natives. A noter

qu’une partie significative des enquêtés a fait référence à Wikipédia, mais que notre partenaire n’a pu intégrer cette plate-forme dans son

périmètre de collecte.

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Sur les plateformes marchandes Amazon France et Amazon US, la quasi-totalité de

l’échantillon est représenté (respectivement 93 et 98%), reflétant la méthodologie de

construction de notre échantillon. Les deux autres plateformes commerciales d’Itunes et de la

Fnac affichent un plus faible pourcentage de présence (respectivement 63% et 28%), en raison

notamment d’un décalage entre la collecte et la sortie de la nouveauté puisque la page de

l’album a pu être mise en ligne après la sortie, et non pas en anticipation comme sur les

plateformes d’Amazon14

. La très forte présence des artistes de notre échantillon sur la web

radio LastFM (90%) peut s’expliquer par la politique éditoriale de la plate-forme, qui, comme

les plateformes commerciales, prend l’initiative de créer les fiches artistes au lieu de les

laisser gérer par les artistes ou les labels.

Concernant les réseaux et les médias sociaux, nous pouvons noter une présence très

prononcée des artistes sur les réseaux de Facebook (74%) et de Myspace (79%), et une

présence beaucoup plus modérée sur la plateforme de micro-blogging Twitter (38%). Environ

un quart de notre échantillon (24%) utilisent la plateforme de partage et d’hébergement de

vidéos YouTube avec une page officielle, tandis que son homologue française, Dailymotion,

ne parait être utilisée que très marginalement (3%). S’agissant de la présence des artistes dans

la blogosphère, nous constatons qu’environ la moitié de notre échantillon (48%) y apparait

cité au moins une fois, puisque 469 artistes ont fait l’objet d’au moins une remontée par

Google Blog Search.

Un examen rapide des corrélations entre la présence des artistes d’une plateforme à l’autre,

laisse apparaitre des corrélations positives (entre 0,1 et 0,2 en moyenne) et significatives au

seuil de 5% pour toutes les plateformes, à l’exception de celles d’Amazon. Nous pouvons

notamment relever des corrélations d’environ 0,3 en moyenne entre les plateformes Twitter,

Facebook , Myspace, Youtube, et une corrélation supérieur à 0,4 entre Twitter et YouTube15

.

3. Intérêts et limites de cette méthodologie

14 Un rattrapage a été tenté au cours de collecte sur les deux plates-formes iTunes et FNAC sans qu’il soit suffisamment efficace pour mériter

une modification de la structure de la collecte : un nombre important d’artistes restaient non présents sur ces plates-formes même après la

date de sortie de leur album. 15 Nous observons de plus une corrélation entre la blogosphère et la Fnac de presque 0,4, mais celle-ci ne nous parait pas observer une réalité

de convergence entre ces plate-fome puisqu’elle pourrait refléter le fait que la FNAC a un temps réussi à être intégré au périmètre de

recherches de GBS

98%93%

63%

28%

90%

79%74%

38%

24%

3%

48%

AM us AM fr IT FNA FM MS FB TW YT DM Blogs GBS

En % de l'effectif total (981 artistes)

Page 13: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

13

Cette méthodologie de collecte de données élargies soulève bien évidemment des contraintes

à différents niveaux. A la construction de l’échantillon, le pivot retenu est l’artiste, or un

artiste peut s’associer à un autre pour former un groupe, notamment dans le jazz. Nous avons

considéré que le groupe formait un pivot autonome des deux artistes le constituant, mais

complété les informations sur les deux artistes : par exemple les deux pages Facebook des

artistes ont été observées, considérant que la promotion sur l’album pouvait être diffusée par

les deux artistes. De plus, sur l’ensemble des dix plates-formes Internet, nous avons considéré

la promotion réalisées sur les pages officielles de l’artiste et non pas sur les pages de fans :

ainsi sur Youtube, de nombreuses vidéos peuvent être postées par des fans sans qu’il soit

possible de collecter ces données. Seul GBS donnent donc une estimation du bouche-à-oreille

pur, à l’initiative des consommateurs et non pas des artistes ou labels. A la collecte des

données, l’évolutivité du web a généré de nombreuses discontinuités : certains artistes ont

changé leur page Myspace en page Facebook lors du changement de version de Myspace en

décembre 2010 ; il arrive aussi que des artistes changent leur page sur une même plate-forme,

pour améliorer leur visibilité ; les éditeurs comme la FNAC ou LastFM ont pu créer des pages

artistes ou albums après la collecte. Dans ces trois cas, il n’a pas été possible de compléter la

photo de départ de notre échantillon en modifiant les URL des pages ou en rajoutant les pages

créées par les éditeurs. La collecte des données s’est de plus confrontée aux évolutions des

plates-formes et aux aléas d’un automate ; certaines données n’ont donc pas été collectées sur

toute la période16

, et The Metrics Factory a opéré un lissage des données qui étaient

temporairement indisponibles. C’est pourquoi nous nous intéresserons ici à la présence d’un

artiste sur une plate-forme et non pas à la dimension dynamique de son activité: les valeurs

considérées sont les moyennes et médianes de chaque indicateur sur la période de collecte et

les données disponibles, et non pas leur forme de progression.

Malgré ces contraintes lourdes sur le suivi des données dans la durée, la taille de l’échantillon

de départ et la diversité des plates-formes nous assurent d’une part d’avoir des données piliers

sur lesquelles nous fonder, et d’autre part de garder pour toute analyse un échantillon

d’artistes significatifs. L’originalité de cette base de données fonde donc les perspectives que

nous allons envisager en décrivant la présence des artistes musiciens sur Internet.

16 Notamment LastFM a modifié son interface en mars et les données pour tout l’échantillon ne sont disponibles que jusqu’au 13 mars.

Page 14: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

14

I. Le web démocratise-t-il l’accès à la visibilité ?

La question que nous souhaitons étudier est celle de la hiérarchie entre les artistes construite

par les médias traditionnels et les canaux de la promotion classique du monde hors ligne, au

regard de celles qui se construit et se développe sur les plateformes du web. Nous avons déjà

mis en évidence par la collecte des données l’effet de goulot d’étranglement des médias

traditionnels, de la presse et encore plus de la radio, qui ne rendent visibles qu’une minorité

des artistes de la scène musicale. Le canal du web, via les plateformes commerciales et surtout

celles des réseaux et médias sociaux, pourrait cependant abolir les contraintes du monde hors

ligne en termes de promotion et de mise en avant des artistes les moins couverts par la

promotion classique. Un artiste peut en effet être visible, à travers une page Facebook ou une

fiche Myspace, encore faut-il qu’il se soit saisi des outils Internet et ainsi rendu visible. Il

s’agit de questionner la cohérence entre la hiérarchie construite par les médias traditionnels

entre les artistes, et celle qui se développe sur le web : Internet a-t-il finalement pour effet de

démocratiser l’accès des artistes à la visibilité, renversant ainsi les hiérarchies du monde

traditionnel ?

1. La mise en visibilité des « aristocrates » dans le monde hors ligne

Nous utiliserons le nombre de citations dans les publications de la presse nationale et

internationale collectée pour chaque artiste sur la période d’observation grâce à l’agrégateur

Factiva comme un proxy de la hiérarchie entre les artistes établie dans le monde promotionnel

hors ligne. L’échantillon utilisé est ici restreint à 721 artistes. La courbe de Lorenz obtenue, et

reportée dans le graphique 3 ci-dessous, présente en abscisse la part cumulée des artistes

rangés en ordre croissant du nombre d’articles dont ils ont bénéficié dans la presse, et en

ordonnée la part cumulée du nombre d’articles presse.

Elle met en évidence la forte inégalité de distribution de la promotion par la presse entre les

artistes (coefficient de Gini égal à 0,92). En effet, la mise en visibilité par la presse n’est

assurée que pour une très faible proportion des artistes de notre échantillon. Alors que 296

artistes, soit 41% des artistes, n’ont jamais bénéficié d’un article dans la presse, seulement une

centaine d’artistes totalisent presque l’ensemble des citations relevées. De façon encore plus

prégnante, les 10 premiers artistes concentrent à eux seuls 50% de la couverture presse et les 4

premiers d’entre eux jusqu'à 80%. ??

Graphique 3 : Courbe de Lorenz de distribution de la promotion dans la presse

Page 15: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

15

Afin d’évaluer le degré de popularité accumulée avant la sortie de la nouveauté en 2011 par

chaque artiste, nous avons créé la variable qualitative ordinale «Popularité », à partir des

ventes totales de disque de l’artiste entre 2003 et 2010. Elle synthétise pour chaque artiste,

d’une part, le temps cumulé de présence dans l’industrie, et d’autre part, l’étendue du marché

couvert. La variable « Popularité » est décrite dans le tableau 4 ci-dessous.

Tableau 4. Statistiques descriptives de la variable « Popularité »17

Environ la moitié de notre échantillon, soit 47%, n’a jamais produit et vendu un disque sur la

période 2003-2010, nous supposons qu’il s’agit donc majoritairement d’artistes nouveaux sur

la scène musicale18

. Environ un tiers de l’échantillon, n’a vendu que marginalement des

17 Pour rappel, la certification par un disque d’or est obtenue à partir de 500 000 disques vendus aux Etats-Unis et de 100 000 disques vendus

en France 18 Contrôler par la discographie et la date du 1er album, variables collectées manuellement pour chaque artiste. Pour les artistes de la classe de popularité 1 : 44% dont le 1er album, sorti entre 2010 et 2011, est la nouveauté ; 20% dont le 1er album serait sorti entre 1995 et 2003 et

qui ne semblent pas avoir sorti d’autres albums sur la période 2003-2010 car aucune vente GfK n’a été enregistrée ; 38% dont le 1er album,

pourtant sorti entre 2003 et 2009, n’a pas fait l’objet de ventes enregistrées par GfK sur la période 2003-2010.

5

4

3

2

1

00 100 200 300 400 500 600 700

Po

pu

lari

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Par

t cu

mu

lée

du

no

mb

re d

'art

cile

s p

ress

e

Rang des artistes (croissant)

Classes Borne inférieure Borne supérieure Effectif Fréquence Densité

1 [0; 1[ 462 47% 0,471

2 [1; 10000[ 352 36% 0,000

3 [10000; 100000[ 95 10% 0,000

4 [100000; 500000[ 33 3% 0,000

5 [500000; 38500000] 39 4% 0,000

Page 16: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

16

disques sur la période considérée, soit entre 1 et 10 000 disques, tandis que 10% en aurait

vendu entre 10 000 et 100 000, 3% entre 100 000 et 500 000, et 4% plus de 500 000. Les

observations de la variable « Popularité » ont été reportées sur le graphique 3, au regard du

rang de l’artiste dans le monde hors ligne de la presse. Une courbe de tendance synthétisant

les résultats de la variable « Popularité » en fonction du rang des artistes a été ajoutée pour

faciliter la lecture des résultats (moyenne mobile de période 50).

D’après le graphique 3, l’inégalité de distribution de la visibilité reflète l’inégalité de

distribution de la popularité précédemment accumulée entre les artistes. En effet, les artistes

les plus populaires de l’échantillon (classes 4 et 5), sont quasiment tous parmi les artistes les

plus intensément couverts par la presse. Au contraire, les artistes qui ne bénéficient pas du

tout de cette mise en visibilité, ou seulement très marginalement, sont également parmi les

moins populaires du monde hors ligne (classe 2) ou nouveaux entrants dans l’industrie

musicale (classe 1). En outre, nous pouvons noter une corrélation significative au seuil de 5%

et positive (0,48) entre le nombre d’articles mensuel dans la presse et la popularité déjà

acquise.

Le tableau 5, ci-dessous, présente la répartition des cent premiers artistes les plus cités par la

presse, en moyenne mensuelle: 64% des artistes les plus populaires en termes de vente

accumulées (classe 5) auront la chance de bénéficier d’une couverture intense, alors que

seulement 7% des artistes de très faible popularité (classe 2), et 4% des nouveaux artistes

(classe 1) auront cette chance. Pour ces derniers, les chances d’accéder à la visibilité dans les

médias traditionnels restent donc très marginales. Pour ces quelques « nouveaux artistes »

mis en visibilité, le passage au travers du filtre de la presse pourrait refléter celui déjà opéré

par les maisons de disque et les labels, qui dans la mise en avant de leurs nouveaux talents,

engagent des dépenses de communication, notamment en « relations presse » afin de les

promouvoir auprès de la critique professionnelle.

Tableau 5. Répartition des 100ers

artistes les plus couverts par la presse par popularité

En conclusion, la presse semble pérenniser la visibilité des artistes déjà très populaires en

terme de ventes, et n’offre que très marginalement une chance de promotion aux artistes les

moins populaires ou entrants sur la scène musicale.

2. La généralisation de l’accès à la visibilité en ligne

Pour étudier la visibilité de l’artiste en ligne malgré la multiplicité des plates-formes, nous

avons construit un indicateur synthétique qui agrège simplement le nombre de plateformes en

Popularité Effectif / Effectif total %

1 17 / 462 4%

2 25 / 352 7%

3 23 / 95 24%

4 10 / 33 30%

5 25 / 39 64%

100 / 981

Page 17: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

17

ligne sur lesquelles l’artiste est présent à partir des variables binaires de présence. Le tableau

6a présente répartition des artistes selon le nombre de plateformes sur lesquelles ils sont

présents.

Tableau 6a. Graphique 6b : Répartition des artistes selon leur déploiement en ligne

La distribution de la présence en ligne en fonction du nombre de plateformes semble suivre

une loi Gaussienne de moyenne m= 6,3 et d’écart-type σ2= 1,9. Suivant les propriétés d’une

distribution gaussienne, 68% de notre échantillon est effectivement présent dans l’intervalle

[m-σ2 ; m+ σ

2], autrement dit est présent sur 6 à 8 plateformes. Ce sont donc les catégories

« intermédiaires », indiquant une présence sur 6 à 8 plateformes, qui concernent la majeure

partie des artistes de l’échantillon, entre 15 et 20% pour chaque modalité. La présence sur la

totalité ou la quasi-totalité des plateformes, 10 ou 11 plateformes, ainsi que sur très peu

d’entre elles, 2 ou 3 plateformes, concernent seulement entre 1 et 5% d’artistes de

l’échantillon.

Pour affiner cette observation, nous avons envisagé que la visibilité en ligne pouvait découler

de phénomènes d’entrainement lié au genre musical de l’artiste. Le graphique 6c ci-dessous,

nous permet d’étudier au sein de chaque genre musical, la distribution des artistes pour les

différents niveaux de déploiement sur les plateformes en ligne.

Graphique 6c. Répartition par genre musical et nombre de plateformes

Genre les plus répandus au sein de l’échantillon

Genre les plus marginaux au sein de l’échantillon

Modalité Effectif %

6 193 20

7 187 19

8 154 16

5 135 14

4 101 10

9 88 9

3 53 5

10 36 4

2 23 2

11 11 1

Total 981 100

0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

20

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11Fr

éq

ue

nce

de

s a

rtis

tes

(%)

Nombre de plateformes cumulées

0

5

10

15

20

25

30

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Rock (17%)

0

5

10

15

20

25

30

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Electronique (14%)

0

5

10

15

20

25

30

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Dance (13%)

0

5

10

15

20

25

30

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Alternative (10%)

0

5

10

15

20

25

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Rap (9%)

0

5

10

15

20

25

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Jazz (8%)

0

5

10

15

20

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Pop (7%)

Page 18: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

18

Nous pouvons observer que le degré le plus faible de déploiement sur les plateformes en

ligne, 2 ou 3 plateformes, concernent plus particulièrement les artistes des genres « Jazz »,

« Pop », « Musique du Monde », et « Classique ». A l’opposé, nous constatons dans les

catégories 10 et 11, indiquant une présence sur la totalité ou la quasi-totalité des plateformes,

une plus grande représentation des artistes « Rap », « Pop », « RnB/Soul », voire

« Country ». La répartition des artistes des genres « Rock », « Electronique », « Dance »,

« Alternative » semble suivre approximativement la loi Gaussienne mis en évidence dans le

graphique 4a, à l’exception d’une sous-représentation ou d’une absence des catégories 10 et

11.

En conclusion, la répartition des artistes par nombre de plateformes cumulées pour les genres

les plus répandus semble suivre en moyenne la loi Gaussienne mis en évidence précédemment

au sein de l’échantillon. Seule une légère déportation de la distribution sur la gauche ou sur la

droite peut être relevée pour certains genres.

L’autre critère envisagé pour expliquer la présence en ligne d’un artiste sur de nombreuses

plates-formes est sa popularité, utilisé précédemment pour évaluer sa visibilité hors ligne. Si

l’on observe effectivement que les artistes les plus populaires sont déployés sur un grand

nombre de plateformes, probablement le fruit des stratégies de promotion des labels et des

maisons de disques, nous pouvons cependant noter qu’il n’existe pas de corrélation

significative entre la popularité accumulée hors ligne et la présence sur chacune des

plateformes, comme le démontre le graphique 7 ci-dessous.

Graphique 7. Répartition de la popularité sur les plateformes en ligne

0

5

10

15

20

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Musiques du monde (4%)

0

5

10

15

20

25

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Metal (4%)

0

5

10

15

20

25

30

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

RnB Soul (4%)

0

10

20

30

40

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Country (2%)

0

10

20

30

40

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Blues (2%)

0

5

10

15

20

25

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Classique (1%)

Page 19: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

19

En effet, seules les plateformes commerciales de la Fnac et de Itunes se distinguent en offrant

un espace relativement plus important aux artistes déjà populaires qu’aux nouveaux artistes,

au regard de leur présence au sein de l’échantillon19

.

Cette première observation sur la visibilité des artistes montre une déconcentration de la

visibilité en ligne : le canal web permet effectivement aux artistes d’être présents sur des

plates-formes diversifiées, ce que les média traditionnels ne pouvaient proposer vu les

contraintes de temps d’antenne et d’espace. Cette visibilité est individuelle par artiste, mais

relève aussi de pratiques collectives impulsés par le genre musical des artistes : le jazz est

sous-visible du fait des associations multiples et variées dans la production mais du coup se

concentre sur Myspace ; le rap et autres genres moins élitistes de musique mobilisent des

pratiques alternatives et investissent par exemple les paltes-formes YouTube et Twitter,

optimisant ainsi leur visibilité sur de nombreuses plates-formes. La visibilité en ligne

témoigne tout de même de stratégie éditoriale des plates-formes, aux bénéfices des biens

« grand public » plutôt que des produits de niche.

3. L’affaiblissement des hiérarchies en ligne par rapport à « l’establishment » hors ligne

Pour répondre à la question de la démocratisation de la visibilité, il nous faut maintenant

comparer les deux formes de visibilité envisagées : les artistes visibles dans la presse sont-ils

les mêmes que ceux visibles en ligne, où le web redistribue-t-il les cartes ?

19 Mais nous avons déjà relevé certaines limites propres à ces plates-formes dans la collecte des données.

47% 47% 47%

33%

22%

44% 44%41% 41% 41%

7%

36%

36% 36% 36%

42%

42%

37% 38%

39% 38%32%

26%

42%

10% 10% 10%

13%

19%

11% 10%11%

9%

9%

22%

11%

3% 3% 3%

5%

7%

4% 4%4%

5%

6%

7%

4%

4% 4% 4% 6%11%

4% 4% 5%8%

11%

37%

7%

Réparition pop.

AM US AM FR IT FNA FM MS FB TW YT DM GBS

Niveauxde

popularité

(croissant)

5

4

3

2

1

Page 20: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

20

Face à la « hiérarchie hors ligne » de la visibilité, nous avons reporté pour chaque artiste le

niveau de sa visibilité en ligne, synthétisée par le nombre cumulé de plateformes sur

lesquelles l’artiste est présent (cf. partie I.1). Une courbe de tendance (moyenne mobile de

période 50) a été ajoutée pour faciliter la lecture des résultats. Les résultats sont présentés

dans le graphique 8 ci-dessous.

Graphique 8. Hiérarchie hors ligne et Hiérarchie en ligne

Dans une certaine mesure, l’intensité du déploiement de la présence en ligne semble refléter la

hiérarchie construite hors ligne entre les artistes, et en effet, la corrélation entre le nombre

d’articles dans la presse traditionnelle et le nombre de plateformes sur lesquelles l’artiste est

présent est positive (0,47) et significative au seuil de 5%.

Cependant, le web semble aussi capable de produire une certaine démocratisation de l’accès à

la visibilité auprès du public, et ainsi à la promotion, puisque les 41% d’artistes de

l’échantillon à n’avoir jamais été cités par la presse traditionnelle au cours des 6 mois

d’observation sont pourtant présent sur 6 plateformes en moyenne (cf. tableau 9, ci-dessous).

Tableau 9. Présence en ligne des artistes non cités dans la presse traditionnelle.

11

10

9

8

7

6

5

4

3

2

1

0

1

0 100 200 300 400 500 600 700

Pré

sen

ce e

n li

gne

(no

mb

re d

e p

late

form

es c

um

ulé

es)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Par

t cu

mu

lée

du

no

mb

re d

'art

icle

s p

ress

e

Rang artistes

Page 21: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

21

Nous avons pu noter que la corrélation entre la popularité précédemment accumulée dans le

monde hors ligne et le nombre de plateformes en ligne ou les artistes sont présents apparait

significative et positive (0,42) au seuil de 5%, comme l’était celle relevée avec la presse.

Comme pour la visibilité en ligne, nous pouvons chercher à identifier si cette mise en

visibilité en ligne pouvait être un effet impulsé par un ou plusieurs genres musicaux. Le

tableau 10 ci-dessous présente, pour chaque plateforme, le rapport entre le pourcentage

d’artistes du genre musical x présent sur la plateforme et le pourcentage d’artistes du genre x

au sein de l’échantillon. Un ratio équivalent à 1, signifie donc que la proportion d’artistes du

genre x est la même sur la plateforme qu’au sein de notre échantillon.

Tableau 10. Représentation relative des genres musicaux sur les plateformes

Nous pouvons d’abord constater que la proportion des genres musicaux sur Amazon France et

Amazon US reflète de façon évidente la construction de notre échantillon et explique que

l’ensemble des coefficients soient relativement proche de 1.

S’agissant des deux autres plateformes commerciales, La Fnac et Itunes, nous ne pouvons pas

constater de surreprésentation évidente d’un genre musical sur Itunes, même si les artistes

« Rap » semblent sensiblement plus représentés que des artistes « Métal ». Au contraire, la

plateforme de la Fnac semble laisser plus de visibilité aux artistes des genres musicaux

« Rap », « Rock », « RnB / Soul », et « Blues » (bien que plus marginal au sein de

l’échantillon), au détriment de ceux liés au genre « Dance » et « Classique » (genre plus

marginal également).

Statistique Présence en ligne (nb)

Nb. d'observations 296

Minimum 2

Maximum 10

Eff. du minimum 13

Eff. du maximum 1

Amplitude 8

1er Quartile 4

Médiane 6

3ème Quartile 7

Moyenne 5,6

Ecart-type (n) 1,83

Coefficient de variation 0,33

Genre Am. US Am. FR Itunes Fnac LastFM MySpace Facebook Twitter YouTube DailyM. Blogs GBS Presse FCT

Rock (17%) 1,00 1,01 0,94 1,21 0,99 1,13 1,14 0,85 0,86 0,44 1,04 1,02

Electro (14%) 1,02 1,03 1,04 0,88 1,03 1,00 0,86 0,68 0,44 - 1,21 0,78

Dance (13%) 1,02 1,02 1,07 0,64 1,02 1,02 0,98 0,93 0,39 - 0,95 0,67

Alternative (10%) 1,00 1,00 1,00 1,14 1,04 1,19 1,19 1,28 1,29 0,77 1,03 1,21

Rap (9%) 0,90 0,97 1,33 1,53 1,03 1,07 1,13 1,70 1,78 6,12 1,28 1,08

Jazz (8%) 1,00 0,92 0,95 0,80 0,90 0,65 0,73 0,59 0,77 - 0,75 0,90

Pop (7%) 1,02 0,97 0,93 0,83 0,98 0,94 1,04 1,36 2,12 2,11 1,04 1,13

Musique monde (4%) 1,02 0,99 1,04 0,77 0,93 0,72 0,84 0,85 1,02 - 0,74 1,03

Metal (4%) 0,99 1,08 0,59 1,02 1,04 1,16 0,85 0,60 1,55 - 0,72 0,46

RnB Soul (3%) 1,02 0,95 1,16 1,52 1,04 1,11 1,07 1,59 1,77 2,20 1,08 1,49

Country (2%) 1,02 1,03 0,90 1,25 0,96 1,16 1,24 1,82 1,81 3,16 1,19 1,61

Blues (2%) 1,02 1,03 0,90 1,40 1,01 0,94 1,00 0,34 0,18 - 0,82 1,44

Classique (1%) 1,02 1,08 1,03 0,51 0,95 0,54 0,97 0,37 0,60 - 0,75 0,57

Autres (6%) 1,02 1,02 0,79 0,61 0,96 0,82 0,85 0,98 0,71 - 0,68 1,33

Page 22: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

22

Sur la radio en ligne LastFM, la répartition des genres musicaux semble refléter leur

répartition au sein de l’échantillon, expliquée en partie par le taux élevé de présence sur la

plateforme de 90%. Sur le réseau social dédié aux musiciens, Myspace, ce sont plus

nettement les artistes liés aux genres musicaux « Jazz » et « Musique du Monde », (voire le

genre moins répandu « Classique ») qui apparaissent nettement sous-représentés,

contrairement aux artistes du genre « Alternative » relativement plus présent sur la

plateforme. Des observations assez similaires peuvent être faites concernant le réseau social

Facebook. Sur le site de micro-blogging Twitter, la sur-représentation ou la sous-

représentation concernent quasiment l’ensemble des genres musicaux : « Electro », « Jazz »,

«Métal», « Blues » et « Classique » paraissent relativement moins présents que

« Alternative », « Rap », « Pop » « Rnb/Soul », et « Country ». De façon similaire sur

YouTube, certains genres musicaux semblent très nettement surreprésentés: « Rap »,

« Alternative », « Pop», « Metal », « Rnb/Soul », et « Country », en opposition aux genres

« Electro », « Dance », « Blues » et « Classique », sous-représentés par rapport à leur

répartition dans l’échantillon. La plateforme de Dailymotion, bien que très peu fréquentée par

nos artistes (3% des artistes présents sur la plateforme), semblent surtout plébiscités par des

artistes « Rap ». La blogosphère semble porter une attention plus grande aux artistes « Rap »,

« Electro », et « Country », tandis que les genres musicaux « Métal », voire « Blues » et

« Classique » apparaissent relativement moins représentés.

Dans le monde hors ligne, la presse quotidienne semblent favoriser le genre « Alternative », et

les genres les moins répandus tels que « Rnb/soul », « Country », et « Blues », et au contraire

laisser moins de place aux artistes des genres « Electro », « Dance », « Métal » et

« Classique ». Concernant le canal de la radio, les 7 artistes de notre échantillon dont les

titres ont été les plus diffusés lors des six mois d’observations sont 5 à appartenir au genre

musical « Rap », et 2 au genre musical « Pop ».

Si nous nous concentrons sur les genres musicaux aux effectifs les plus importants : « Rock »

(17%) , « Electro » (14%), « Dance » (13%), et dans une moindre mesure « Alternative »

(10%), « Rap » (9%), « Jazz » (8%) et « Pop » (7%), nous observons nettement que le genre

« Rap » parait surreprésentés sur l’ensemble des plateformes en ligne (Itunes, Fnac, Twitter,

YouYube, Dailymotion, blogs). Même si nos données sont assez marginales, le canal de la

radio semble faire écho à cette surreprésentation des artistes « Rap » contrairement à ceux que

l’on peut observer dans la presse traditionnelle. Le genre « Jazz » se distingue également

puisqu’il apparait uniquement sous-représenté sur l’ensemble des plateformes en ligne non

marchandes (Facebook, Myspace, Twitter, YouTube) ainsi qu’au sein de la blogosphère. A

l’exact inverse, le genre « Alternative », est lui surreprésenté (+20%) sur toutes les

plateformes en ligne non marchandes (Facebook, Myspace, Twitter, YouTube) ainsi qu’au

sein de la presse traditionnelle. Les autres genres exhibent moins de caractéristiques

spécifiques. La proportion d’artistes « Rock » sur l’ensemble des plateformes parait

représentative de leur répartition au sein de l’échantillon, tout comme celles des artistes

« Dance » à l’exception d’une plus faible représentation sur YouTube et dans la presse hors

ligne. Les artistes « Electro » semblent seulement sous-représentés sur les plateformes de

Twitter et de YouTube, et dans une moindre mesure dans la presse hors ligne contrairement à

Page 23: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

23

leur couverture par la blogosphère. Enfin, les artistes « Pop » sont nettement sur-représentés

sur les plateformes vidéo, YouTube et Dailymotion, et dans une moindre mesure sur Twitter.

En conclusion, nous avons pu observer une certaine démocratisation de l’accès à la visibilité

dans le monde en ligne quelque soit le niveau de popularité précédemment accumulée par

l’artiste, par rapport à la visibilité offerte dans le monde hors ligne lorsqu’elle est soumise aux

goulots d’étranglement des canaux de promotion traditionnels telle que la presse. Cette

démocratisation ne semble pas attribuable à des pratiques propres à certains genres musicaux

mais bien généralisée. Cependant, il ne suffit pas d’avoir une page Facebook visible pour être

vu en ligne, encore faut-il l’animer pour conquérir de nouvelles audiences. Nous allons donc

maintenant envisager l’activité suscitée par cette présence en ligne des artistes.

Page 24: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

24

II. Promotion par les artistes et par les audiences actives

L’activité en ligne peut être envisagée en deux étapes : la première est celle impulsée par les

artistes, la deuxième est celle relayée par les publics eux-mêmes. Cette activité témoigne de la

particularité du web comme nouveau canal de communication : elle constitue le levier de

deux des trois effets de la longue traîne, en tant que nouvelle forme de promotion

potentiellement non concentrée par des ressources rares.

De même que hors ligne un artiste peut multiplier les concerts pour faire parler de lui mais en

ciblant les scènes qui lui sont accessibles et qui correspondent à son public, un artiste en ligne

peut être actif sur Facebook en postant des statuts sur sa pratique musicale, sa création, ou

même sa personnalité. Nous nous intéresserons donc aux plates-formes non éditoriales (hors

Amazon, Fnac, ITunes et LastFM) où l’artiste ou sa maison de disque est en charge de

l’édition et de la publication. La même question de démocratisation se pose que pour la

visibilité : est-ce que les « artistocrates », stars du mainstream sont actifs en ligne et

bénéficient de leur notoriété pour démultiplier leur visibilité, ou est-ce que le web modifie les

hiérarchies établies hors ligne en permettant aux « tiers états » (peu populaire ou nouveaux)

de se mettre en scène ?

Ensuite, les fonctions web 2.0 ont développé les dispositifs permettant au public de prendre la

parole : commentaires sur les plates-formes commerciales, mais aussi sur les réseaux sociaux

ou sur les contenus, sont autant d’espaces créés pour l’expression des fans mettant en œuvre

une activité des audiences. Encore faut-il que ces fans et audiences « daignent » commenter

ou liker, avec tout ce que la réflexivité de ces pratiques implique. Avec ou sans pseudo,

l’expression d’un avis sur un artiste dans un espace visible constitue une nouvelle forme de

prise de parole et embarque de nouveaux marqueurs sociaux : est-ce qu’il vaut mieux

commenter un artiste phare pour être sûr de pouvoir discuter avec son réseau social ou poster

un billet de blog sur un artiste inconnu pour se singulariser ? Certaines particularités du

bouche-à-oreille en ligne (eWOM) ont été mises en évidence par Dellarocas, Gao et Narayan

(2010). Dans une étude empirique au sein de l’industrie cinématographique, ils évaluent

l’impact de la popularité d’un film au box-office sur la propension moyenne d’une population

à contribuer aux critiques en ligne d’un film après sa consommation. Ils concluent que les

individus ont une préférence à contribuer aux critiques des films « obscurs », les moins

populaires et disponibles du marché, mais qu’ils sont également plus enclins à commenter

des films exhibant déjà un grand nombre de commentaires en ligne.

1. Auto-promotion des artistes

Nous utilisons ici le nombre moyen de billets postés quotidiennement sur Twitter (les

« tweets ») et le nombre moyen de vidéo postées quotidiennement sur YouTube par l’artiste,

comme des variables proxy de son activité sur ces plateformes. Suivant la même

méthodologie qu’utilisée précédemment, nous avons reporté en face des rangs de la mise en

visibilité offerte par la presse, les variables d’activité des 721 artistes sur les plateformes en

ligne, de Twitter et de YouTube. Les résultats sont reportés dans le graphique 10b ci-dessous,

Page 25: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

25

et le tableau 11a ci-après présente les statistiques descriptives des variables d’activité sur les

deux plateformes.

Tableau 11a. Statistiques descriptives de l’activité des artistes sur Twitter et YouTube

Graphique 11a. Visibilité hors ligne et activité des artistes en ligne sur Twitter et YouTube

La distribution de l’activité en fonction de la visibilité hors ligne, telle que reportée dans les

graphique 11b, ne nous permet pas de conclure à une éventuelle relation entre l’activité en

ligne des artistes et leur accès aux canaux de promotion traditionnels, ce que confirme

Echantillon 721

Nb d'artistes présent sur Twitter 301

Nb d'artistes absents sur Twitter 420

Percentile Nombre de tweets

Maximum 100% 30 005

99% 19 472

95% 8 498

90% 3 901

3ème Quartile 75% 1 280

Médiane 50% 325

1er Quartile 25% 48

10% 3

5% -

1% -

Minimum 0% -

Moyenne 1 654

Ecart-type 4 062

Estimation des Quantiles pour les artistes présents sur Twitter

Activité des artistes sur Twitter

Echantillon 721

Nb d'artistes présent sur YouTube 191

Nb d'artistes absents sur YouTube 530

Percentile Nombre de vidéos postées

Maximum 100% 415

99% 170

95% 76

90% 57

3ème Quartile 75% 28

Médiane 50% 11

1er Quartile 25% 3

10% 1

5% 1

1% -

Minimum 0% -

Moyenne 23

Ecart-type 41

Activité des artistes sur YouTube

Estimation des Quantiles pour les artistes présents sur YouTube

35

30

25

20

15

10

5

0

No

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0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Part

cu

mu

lée

du

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mb

re d

'art

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s p

ress

e

Rang des artistes (croissant)

450

400

350

300

250

200

150

100

50

0

No

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re d

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10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Part

cu

mu

lée

du

no

mb

re d

'art

icle

s p

ress

e

Rang des artistes (croissant)

Page 26: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

26

l’absence de corrélation significative entre le niveau de visibilité hors ligne et le niveau

d’activité de l’artiste.

En effet, pour les 301 artistes présents sur Twitter, nous n’avons pas obtenu de corrélations

significatives entre le nombre de « tweets » et le rang de la visibilité hors ligne ou le nombre

de citations dont ils ont fait l’objet dans la presse. De manière similaire, nous n’avons pas

relevé de corrélation significative entre le nombre de vidéos postées et la mise en visibilité par

la presse pour les 191 artistes présents sur YouTube.

Néanmoins nous pouvons noter que les artistes n’ayant pas accès aux canaux de promotion

traditionnel ont un niveau d’activité sur les plateformes en ligne sensiblement proche à celui

des artistes les plus visibles du monde hors ligne. Or, nous pouvons supposer que le coût de

cette activité promotionnelle sur les plateformes n’est pas le même pour des artistes déjà très

populaires et visibles, dont les activités de communication et de gestion de la réputation en

ligne sont largement prise en charge par les labels et maisons de disque (Bacache et al., 2009),

que pour des artistes moins populaires qui n’ont pas accès aux canaux traditionnels et assurent

leur auto-promotion sur les plateformes.

2. Promotion par les audiences en ligne

Nous reportons cette fois face aux rangs de mise en visibilité par la presse, les variables

d’activité des audiences sur les plateformes en ligne pour chacun des 721 artistes de

l’échantillon.

Nous mobiliserons ici les données disponibles sur les plateformes d’Amazon US, de

MySpace, ainsi que les données collectées par Google Blog Search. Pour les artistes présents

sur les plateformes sus-citées, nous utiliserons les moyennes quotidiennes de commentaires

écrits par les audiences sur Amazon et sur MySpace, ainsi que le nombre moyen de citations

collectées quotidiennement à travers les blogs.

Les résultats sont reportés dans les graphique 12b ci-dessous, et les tableaux 12a et 12a’

présentent les statistiques descriptives des variables d’activité des audiences sur les trois

plateformes.

Tableau 12a. Statistiques descriptives de l’activité des audiences sur Amazon et MySpace

Page 27: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

27

Tableau 12a’. Statistiques descriptives de l’activité des audiences à travers la

blogosphère

Echantillon 721

Nb d'artistes présent sur Amazon US 713

Nb d'artistes absents sur Amazon US 8

Percentile Nb de commentaires

Maximum 100% 217

99% 93

95% 27

90% 10

3ème Quartile 75% 2

Médiane 50% 0

1er Quartile 25% 0

10% 0

5% 0

1% 0

Minimum 0% 0

Moyenne 5

Ecart-type 19

Activité des audiences sur Amazon US

Estimation des Quantiles pour les artistes présents sur Amazon US

Echantillon 721

Nb d'artistes présent sur MySpace 575

Nb d'artistes absents sur MySpace 146

Percentile Nb de commentaires

Maximum 100% 1 838 831

99% 296 632

95% 34 840

90% 10 455

3ème Quartile 75% 2 245

Médiane 50% 566

1er Quartile 25% 69

10% 0

5% 0

1% 0

Minimum 0% 0

Moyenne 12 323

Ecart-type 88 289

Activité des audiences sur MySpace

Estimation des Quantiles pour les artistes présents sur MySpace

Echantillon 721

Nb d'artistes présent dans la blogosphère 332

Nb d'artistes absents dans la blogosphère 389

Percentile Nb de citations

Maximum 100% 154

99% 120

95% 46

90% 17

3ème Quartile 75% 6

Médiane 50% 1

1er Quartile 25% 0

10% 0

5% 0

1% 0

Minimum 0% 0

Moyenne 8

Ecart-type 21

Activité des audiences dans la blogosphère

Estimation des Quantiles pour les artistes présents sur blogosphère

Page 28: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

28

Graphique 12b. Visibilité hors ligne et activité des audiences en ligne

250

200

150

100

50

0

No

mb

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10%

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30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Part

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mu

lée

du

no

mb

re d

'art

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Rang des artistes (croissant)

2 000

1 800

1 600

1 400

1 200

1 000

800

600

400

200

0

No

mb

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om

me

nta

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30%

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90%

100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Pa

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pre

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Rang des artistes (croissant)

180

160

140

120

100

80

60

40

20

0

No

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30%

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100%

0 100 200 300 400 500 600 700

Pa

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les

pre

sse

Rang des artistes (croissant)

Page 29: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

29

D’après les graphiques 12b, l’activité des audiences en ligne, mesurée par les commentaires

écrits sur les plateformes et les billets postés sur les blogs, semblent se concentrer plus

intensément sur les artistes déjà les plus couverts par la presse dans le monde hors ligne.

En effet, sur la plateforme d’Amazon US, où 99% des artistes de l’échantillon sont

représentés (713 artistes), la corrélation entre le nombre de commentaires en ligne et le

nombre d’articles presse est significative et positive (0,42). De même, sur la plateforme

MySpace qui rassemble 80% de l’échantillon (575 artistes), et à travers la blogosphère qui

couvre 46% des artistes (332 artistes), nous avons relevé des corrélations significatives et

positives (respectivement de 0,2 pour MySpace et de 0,6 dans la blogosphère).

Nous avons synthétisé les résultats obtenus quant à l’activité des artistes et des audiences sur

le web en fonction de la visibilité des artistes dans les canaux de promotion traditionnel, dans

le tableau 13 ci-dessous. Il présente la part cumulée de chaque variable d’activité pour les

10% d’artistes les plus cités et pour les 50% d’artistes les moins cités par la presse

traditionnels.

Tableau 13. Activité des audiences et des artistes en fonction des hiérarchies hors ligne

Les plateformes proposées sur le web apparaissent comme de nouveaux canaux de promotion

et de mise en visibilité dont se sont emparés les artistes, quelque soit leur accès à la visibilité

dans le monde hors ligne, et quelque soit le niveau de popularité qu’ils ont déjà accumulée

auprès du public au cours de leur carrière à travers les ventes de leurs précédents disques.

Cette mobilisation des canaux du web dans la gestion de leur réputation et de leur promotion

se traduit, d’une part, par un déploiement de leur présence sur plusieurs plateformes en ligne

(cf. la distribution gaussienne de moyenne 6,3 et d’écart-type 1,9), et d’autre part, par leur

activité sur ces plateformes lorsqu’ils ont la possibilité d’animer un profil et de proposer des

contenus en ligne (tels que le micro-blogging sur Twitter et la mise en ligne de vidéos sur

YouTube), que cette promotion soit le fruit de stratégies d’auto-promotion ou de stratégies de

communication des labels et maisons de disque.

articles Presse commentaires Amazon commentaires MySpace citations Blogs vidéos sur YouTube tweets sur Twitter

Echantillon total 0,1% 4% 4% 4% 29% 31%Popularité moy.

Artistes présent sur la plateforme 0,1% 4% 5% 10% 38% 45%Popularité moy. 1,4 1,4 1,5 1,4 1,4 1,4

Echantillon total 90% 60% 64% 56% 35% 24%Popularité moy.

Artistes présent sur la plateforme 90% 60% 63% 42% 13% 17%Popularité moy. 3,3 3,3 3,3 3,6 4,2 3,7

Part cumulée du nombre de…

10% des artistes les plus cités dans la presse

50% des artistes les moins cités dans la presse

1,4

3,3

Page 30: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

30

En outre, l’activité des audiences, mesurée par les commentaires écrits sur les plateformes et

les billets postés sur les blogs, se concentre toujours sur les artistes les plus visibles et

populaires du monde hors ligne, sans profiter particulièrement aux artistes écartés des canaux

de la promotion traditionnel, pour lesquels pourtant, les plateformes du web offrent un espace

d’échange et de discussion auparavant inexistant pour leurs publics. Les contenus générés par

les audiences, supposés favoriser la démocratisation de la prise de parole et la promotion des

artistes ignorés par les médias de masse, apparaissent pourtant exacerber la focalisation de

l’attention produite par ces médias sur un petit nombre d’artistes déjà très populaires.

Finalement, la démultiplication des canaux de promotion et des sources d’accès à la visibilité

nous renvoie aux problématiques soulevées par l’économie de l’attention, qui dans un monde

ou l’information est devenue abondante et accessible, place la rareté de l’attention au centre

des préoccupations.

Page 31: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

31

III. Visibilité et promotion : quelle efficacité pour les audiences ?

La démocratisation de l’accès à la visibilité et l’investissement des artistes dans leur auto-

promotion garantissent-elles pour autant l’attention des audiences, et la construction d’une

notoriété en ligne pour les artistes écartés des canaux de promotion traditionnelle ? Quelle est

l’efficacité de la visibilité et de la promotion en terme notoriété et de consommation finale ?

Nous analysons l’articulation entre démocratisation de la visibilité et promotion en ligne, par

rapport aux hiérarchies du monde traditionnel, à travers deux questions.

D’une part, la démocratisation de la visibilité signifie-t-elle une démocratisation des

audiences en ligne lorsque nous appréhendons ces audiences comme un public de « fans » ?

Autrement dit, l’accès à la visibilité rend-il possible la construction d’une image et d’une

notoriété en ligne pour des artistes écartés des canaux traditionnels ? Nous étudierons cette

première question sur les plateformes de Facebook et Twitter.

D’autre part, la démocratisation de la visibilité signifie-t-elle une démocratisation des

audiences lorsque nous considérons les consommations en ligne de contenus, audio ou vidéo,

par les audiences? Cette consommation est-elle distribuée de façon moins inégalitaire entre

les artistes que la distribution de la popularité accumulée dans le monde hors ligne au travers

des ventes de disques, ou reflète-telle encore les hiérarchies du monde hors ligne ? Nous

traiterons cette seconde question sur les palteformes de YouTube (contenu vidéo) et de

LastFm (contenu audio).

1. Visibilité hors ligne et audience en ligne des artistes

Afin d’étudier cette première question, nous analysons la répartition des audiences sur deux

plateformes du web qui offrent l’opportunité aux artistes de promouvoir leur image: Facebook

et Twitter, et utilisons le total des audiences de l’artiste sur Twitter (les « followers ») et sur

Facebook (les « fans ») comme variables proxy de la notoriété en ligne de l’artiste. Nous

comparons ensuite leur notoriété sur ces deux plateformes à la hiérarchie du monde hors ligne

en terme de visibilité, telle qu’établie par la presse traditionnelle.

Les graphiques 14, ci-dessous, présentent le niveau de notoriété des artistes sur les

plateformes de Facebook et Twitter en fonction des rangs établis dans le monde hors ligne par

la presse.

Graphique 14. Visibilité hors ligne et notoriété sur Facebook et Twitter

Page 32: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

32

Comme nous pouvons le constater, la notoriété sur les deux plateformes semblent être le reflet

de la hiérarchie établie par la presse en termes de visibilité. Les audiences, fortement

dispersées et inégalitaires, restent assurées par la centaine d’artistes les plus couverts par la

presse. Les audiences maximales, qui se détachent très nettement du reste de l’échantillon,

sont systématiquement assurées par les artistes cumulant le maximum d’articles dans la

presse. Seul un très petit nombre d’artistes parvient à accéder à une certaine notoriété en ligne,

somme toute très marginale, sans bénéficier d’une quelconque visibilité dans la presse (pour

les artistes des rangs 1 à 296).

Ces résultats sont confortés par l’observation des courbes de Lorenz de distribution de la

notoriété sur Facebook et sur Twitter, reportés ci-après dans les graphique 14b.

Graphique 14b. Distribution de la notoriété en ligne sur Facebook et Twitter

Facebook

30

25

20

15

10

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Par

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Rang artistes

Page 33: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

33

Nous pouvons observer une forte inégalité de distribution de la notoriété en ligne entre les

artistes sur les chacune des plateformes, que ce soit pour les 539 artistes présents sur

Facebook ou les 294 artistes présents sur Twitter (à partir de notre échantillon de 721 artistes).

Cette inégalité apparait aussi prégnante que l’inégalité de distribution de la visibilité dans la

presse (cf. graphique 8a.) : en effet, si 10% des artistes totalisait à eux seuls 90% de la

couverture presse, environ 6% des artistes sur Facebook et 10% des artistes sur Twitter

suffisent à cumuler 90% de l’audience totale sur chacune des plateformes.

Les graphiques 8a et 8b nous permettent donc de conclure sur le fait que l’attention des

audiences en ligne se concentre sur les artistes les plus visibles du monde hors ligne, ceux qui,

par ailleurs, sont déjà les plus populaires en termes de ventes accumulées.

En conclusion, la démocratisation de la visibilité sur les plateformes du web ne semble

garantir nullement, pour les artistes écartés des canaux de promotion traditionnels, l’attention

des audiences dans la construction d’une notoriété. Ainsi, il semblerait que les hiérarchies

établies dans l’univers hors ligne soient encore loin d’être bouleversés.

2. Popularité hors ligne et audience en ligne des contenus

Nous nous intéressons cette fois à la popularité en ligne des artistes, mesurée par les

consommations de contenus en ligne par les audiences, et à son rapport avec leur popularité

hors ligne.

Au même titre que les ventes totales de disques entre 2003 et 2010 nous renseignent sur un

degré de popularité déjà accumulée ou non dans le monde hors ligne par les artistes (cf. partie

I.1), le nombre d’écoutes sur la web radio LastFm (de « plays ») et le nombre de vues des

vidéos mises en ligne sur le média social YouTube, nous renseignent sur leur degré de

popularité en ligne. Nous avons construit la courbe de Lorenz représentant la distribution de la

popularité hors ligne en utilisant le total des ventes de disques passées entre 2003 et 2010

pour les 981 artistes de l’échantillon, et nous avons reporté pour chaque artiste, en fonction de

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Rang des artistes (croissant)

Page 34: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

34

son rang de popularité hors ligne, le nombre de ses vues sur YouTube et des ses écoutes sur

LastFm. Les résultats sont reportés dans le graphique 15a ci-dessous.

Graphique 15a. Popularité hors ligne et audience des artistes sur YouTube et LastFm

Seulement 3% des artistes de l’échantillon suffisent pour totaliser 90% des ventes de disques

entre 2003 et 2010 ; et ce chiffre peut être ramené à 6% si nous écartons de l’échantillon les

462 « nouveaux » artistes dont les ventes de disques entre 2003 et 2010 sont nulles.

Nous constatons, ici encore, que les audiences maximales sur YouTube et sur LastFm restent

au bénéfice des artistes des rangs de popularité les plus élevés du monde hors ligne, même si

très marginalement, quelques nouveaux artistes ou des artistes de popularité moindre

parviennent toujours à assurer des audiences non négligeables autour de leurs contenus en

ligne.

Les graphiques 15b, reportés ci-dessous, présentent la distribution des audiences des contenus

vidéo pour les 235 artistes présents sur YouTube, et celle des contenus audio pour les 886

présents sur LastFm.

Graphique 15b. Distribution des audiences sur YouTube et sur LastFm

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Page 35: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

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Nous constatons que 11% des artistes présents sur YouTube et 12% des artistes présents sur

LastFm cumulent 90% de l’audience sur chacune des plateformes. Si la distribution des

audiences sur les contenus en ligne apparait très légèrement moins inégalement répartie entre

les artistes que dans le monde hors ligne, les hiérarchies déjà établies ne semblent toujours pas

être véritablement remises en question.

Conclusion

En conclusion, nous avons pu observer que l’accès à la visibilité offerte par les plateformes en

ligne permettait aux artistes d’échapper au gatekeepers de la promotion traditionnel que sont

les médias hors ligne telle que la presse.

Pour autant, cette démocratisation de la visibilité ne semble pas se traduire par une

démocratisation des audiences en ligne, que ce soit en terme de mobilisation des audiences

autour de l’artiste et de son image en vue de construire une notoriété en ligne (comme sur

Facebook et Twitter), ou en terme de consommation des contenus audio et vidéo par les

audiences (comme sur LastFm et YouTube). Finalement, l’inégalité de distribution des

audiences en ligne semblent toujours refléter les rapports et les hiérarchies du monde

traditionnel.

Le « salut » viendra-t-il d’une plus grande activité des artistes sous la forme de l’auto-

promotion et d’une mise en scène de soi, ou par une activité déportée sur les audiences

prenant le relais des labels ? Les deux formes de promotion en ligne semblent encore

émergentes et timides. Le Tiers-Etat a donc encore probablement une part d’apprentissage des

dispositifs et des pratiques à développer, en plus de leur pratique musicale pour les artistes et

dans le cadre d’une pratique amateur pour les audiences.

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Rang des artistes (croissant)

Page 36: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

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PenguinGroup.

Page 38: Comment les artistes musiciens ce sont ils saisis du web ?

38

Annexe 1 : liste des indicateurs par artiste collectés sur chaque plate-forme

AM AM_URL_album Nombre d'URL album collectées sur Amazon

AM_Reviews Nombre de commentaire sur l'album sur Amazon.fr

AM_Notes Note de l'album sur Amazon.fr

AM_SalesRank Rang de l'album dans les meilleures ventes

Amazon.fr

AMUS AMUS_URL_album Nombre d'URL album collectées sur Amazon US

AMUS_Reviews Nombre de commentaires sur l'album sur

Amazon.com

AMUS_Notes Note de l'album sur Amazon.com

AMUS_SalesRank Rang de l'album dans les meilleures ventes

Amazon.com

FNA FNA_URL_album Nombre d'URL album collectées sur Fnac

FNA_Reviews Nombre de commentaires sur l'album sur la FNAC

FNA_Notes Note de l'album sur la FNAC

IT IT_URL_album Nombre d'URL album collectées sur Itunes

TW TW_URL_artiste Nombre d'URL artiste collectées par la qualification

sur Twitter

TW_Followers Nombre de followers de l'artiste sur twitter

TW_Following Nombre de following de l'artiste sur twitter

TW_Listed Nombre de listes de l'artiste sur Twitter

TW_Tweets Nombre de tweets postés par l'artiste sur Twitter

FB FB_URL_artiste Nombre d'URL de l'artiste sur FB

FB_Fans Nombre de fans de l'artiste

YT YT_URL_artiste Nombre d'URL de l'artiste sur YT

YT_Videos Nombre de vidéos postées par l'artiste sur YT

YT_Subscribers Nombre d'abonnés de l'artiste sur YT

YT_Visits Nombre de visites de la page YT de l'artiste

YT_Views Nombre de vues des vidéos sur la page YT de

l'artiste

YT_Friends Nombre d'amis de l'artiste

YT_Subscriptions Nombre de groupes auxquels l'artiste est abonné

DM DM_URL_artiste Nombre d'URL DM de l'artiste

DM_Videos Nombre de vidéos postées par l'artiste sur DM

DM_Views Nombre de vues des vidéos sur la page DM de

l'artiste

MS MS_URL_artiste Nombre d'URL MS de l'artiste

MS_Friends Nombre d'amis sur la page MS de l'artiste

MS_Comments Nombre de commentaires sur la page MS de l'artiste

FM FM_URL_artiste Nombre d'URL FM de l'artiste

FM_Listeners Nombre de "suiveurs" de la page FM de l'artiste

FM_Plays Nombre d'écoutes de l'artiste sur FM

FM_Comments Nombre de commentaires sur la page FM de l'artiste