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THINOTRY LIIIRY, APRÈS AVOIR ÉTÉ L'Aimerai ou Ln dans les années soixante, est devenu l'un des gourous de la cyberculture, défendant l'idée d'un cyberespace ouvert aux expériences individuelles contre tout désir de chercher à le gouverner. VI VI VI o o ENQUÊTE Dis papa c'est quoi a cyber Phénomène de mode ou terreau de la culture des siècles prochains, la cyberculture se conjugue aujourd'hui à toutes les sauces. Sur le terrain, et aussi chez les penseurs du mouvement, nous avons cherché à savoir ce qu'être cyber veut dire. Pas évident. par Delphine Sabbatier

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THINOTRY LIIIRY, APRÈS

AVOIR ÉTÉ L'Aimerai ou Ln dans les années soixante, est devenu l'un des gourous de la cyberculture, défendant l'idée d'un cyberespace ouvert aux expériences individuelles contre tout désir de chercher à le gouverner.

VI

VI VI

o o

ENQUÊTE

Dis papa c'est quoi

a cyber Phénomène de mode ou terreau de la

culture des siècles prochains, la cyberculture

se conjugue aujourd'hui à toutes les sauces.

Sur le terrain, et aussi chez les penseurs

du mouvement, nous avons cherché à savoir

ce qu'être cyber veut dire. Pas évident. par Delphine Sabbatier

culture dd a cyberculture est une ar-

naque !" Etonnant pro-pos de la part d'Alain Le Diberder, initiateur de l'émission télé du même

nom et qui, à ce titre, revendique la paternité du terme en France... Et le responsable des nouveaux pro-grammes de Canal+ de s'expliquer : "La cyberculture a été construite par les médias, pour les médias. C'est un terme pratique parce qu'il fédère des courants de mode. C'est devenu une boîte à chaussures dans laquelle on case tout ce que l'on veut dire. Et c'est là que commence l'escroquerie."

Ce qui est vrai en tout cas, c'est que le mot "cyberculture" et ses dérivés (cybercafé, cyberpunk, cybersexe, cybermonde, etc.) ont fait florès. Le premier cyberpolar français, Les Ra-

cines du mal de Maurice G. Dantec, s'est vendu à des milliers d'exem-plaires ; un étudiant en sociologie a présenté sa thèse sur "La cybercul-ture: les nouvelles technologies et la société contemporaine"; et, référence entre toutes, Le Monde a récemment publié un édito défendant le mouve-ment techno et la culture cyber... Pas supplémentaire dans la reconnais-sance institutionnelle : le Conseil de l'Europe lui-même a commandé à Pierre Lévy, prosélyte des nouvelles technologies, un rapport "pourpenser la cyberculture". Pas de doute, tout le monde veut en être. Mais au fait, ké-zako la cyberculture ?

Phénomène de mode ou pas, nom-breux sont les jeunes, tel Bertrand, croisé dans une soirée "techno-house-tribale", qui y croient dur comme fer,

à la cyberculture. Et parmi tous les autres, il définit sa tribu comme l'ensemble de ceux "qui naviguent sur le Net, qui ont la foi en une techno-logie accessible à tout le monde et en une gratuité des échanges mondiaux".

Transmettre son plaisir Ce samedi soir-là, au Bataclan, les tympans s'affolent au rythme des basses de la musique techno, bour-donnent d'hypnoses auditives. Ber-trand, lui, garde les yeux rivés sur l'écran d'un ordinateur. Il s'affaire dans le but de retransmettre la fête sur Internet. "Sur notre site Fanlive .com, lesJaponais peuvent suivre la soirée avec nous, en direct, c'est ça la culture cyber.Je vis des moments ex-traordinaires et je les transmets, juste pour le plaisir. Nous créons une unité

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mondiale. Internet permet d'échanger des savoir-faire et peut aboutir à des fusions musicales, par exemple."

Vivre dans l'échange De son petit coin sombre, Bertrand aperçoit à peine les gogo-danceurs des "Nuits Blanches" qui envahissent la scène. Echassiers, voltigeurs, cra-cheurs de feu, cyberclowns, ces "trou-badours de l'an 2000", comme ils se définissent eux-mêmes, multiplient les accoutrements visuels pour ce qu'ils aiment appeler des "performan-ces fantasmagoriques". En coulisses, Ulrik et KKO, le noyau dur des "Nuits Blanches", se préparent physique-ment et psychologiquement à leur show : "Les organisateurs de soirées font appel à notre troupe pour créer une atmosphère surréaliste. Nous nous mé-tamorphosons en person-nages sortis tout droit de l'univers cyber." Maquil-lage outrancier blanc et rouge, hardes en faux cuir moyenâgeuses et plate-formes argentées, le tout mâtiné d'érotisme ten-dance sado-maso, ils re-créent un futur de bric et de broc entre Orange Mé-canique, Mad Max et Star Wars... "Nous faisons en sorte que le public plonge dans un état de véritable rêve éveillé."

Dans la salle, on croise des regards brillants, des vêtements synthétiques, des cheveux fushia, quel-

ques sourires genre guimauve fluo, corps perchés haut sur des talons compensés. Amateurs éclairés de techno, mais cybernautes de circons-tance... On est obligé d'écouter de la techno pour faire partie du mouve-ment cyber ?, a-t-on envie de crier au milieu du maelstreem sonore. "Ça veut dire quoi au juste, 'cyber'?", s'in-terrogent, mais guère plus d'une se-conde, les night-clubbers. Phrases ac-coudées au bar : "La techno ouvre au cyber, mais ce n'est pas automatique."

POUR BERTRAND,"tTRE CYBER",

C'EST VIVRE DES MOMENTS INTENSES

et les faire partager gratuitement, par exemple en transmettant en direct sur son site Fanlive.com des soirées techno, simplement pour le plaisir d'échanger.

"Ceux qui disent cela ne savent pas ce qu'est la techno, s'indigne Philippe, créateur de l'association Dream Es-cape, qui vient de présenter un pre-mier site européen de ventes on-line de CD virtuels. Notre premier instru-ment est l'ordinateur. Et c'est le numé-rique qui influence notre mode de pen-sée: nous travaillons essentiellement en échantillonnant des séquences mu-sicales. Du coup, la notion de domaine public qui régit la cyberculture est très forte. Par définition, nous vivons dans l'échange et le partage." Philippe revendique aussi idées et bonnes in-tentions : "Sur le Net, on échange des idées, gratuitement. On aborde les re-lations entre personnes de façon très différente. Peu importe quel boulot tu fais dans la vie, ce qui compte, c'est ce que tu aimes. Peu importe la tête que

tu as ou ton âge, on te juge sur les résultats. C'est le rê-ve américain dans le sens où chacun part à chance égale. L'idée de base, c'est : j'ai des idées et elles sont pas plus connes que les au-tres ! " Cet état d'esprit, Philippe l'attribue volon-tiers à toute la tribu cyber. Michael, le deuxième las-car de Dream Escape, sort un moment la tête de son écran pour raconter com-ment le Web a changé sa vie: "Avant, j'étais ce qu'on peut appeler un informati-cien.rétais un garçon très renfermé. Depuis que j'ai découvert le Net, je me suis

BEHREND EUREZIOS

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ouvert au monde et je me sens nette-ment mieux dans ma peau et dans ma têtefy ai appris le respect, le goût pour l'art ainsi qu'une façon très zen de vi-vre". Pour lui, son histoire s'inscrit dans celle de sa génération : "Le mou-vement est né d'un dé-sespoir, de la fin d'une quelconque croyance en la télévision et la politique. Alors, on a cherché un lieu où la diffusion de l'informa-tion serait ouverte à tout le monde, un lieu où l'on puisse vraiment choisir ce que l'on a envie de voir, écouter, découvrir."

La revanche des seventies?

Echangu. partage, rcalisatIon de soi et mise en doute des rouages de la so-ciété. Pour un peu, on croirait enten-dre les discours de mai 68 et du Power Flowers. Avec un brin de subversion porté en boutonnière. Il n'est que de se balader sur Internet pour voir que l'on y touche du doigt une forme mo-derne de contestation sociale. Les cy-berpunks reprennent les idées anar-chistes de leurs aînés seventies et, au détour de magouilles électroniques, s'amusent à détourner les lois habi-tuelles du marché. Exemple : faites ami-ami avec un cyperpunk et il vous dévoilera son e-mail ultraconfiden-tiel grâce auquel vous pourrez char-ger vos disques préférés. Beau pied de nez à l'industrie du disque... à condi-tion d'aimer les Sex Pistols ! On lit aussi régulièrement de longs articles sur la philosophie des hackers, ces pi-

rates du Web qui défient les sites mis sous le sceau du Secret Défense.

De fait, la culture cyber plonge ses racines au début des années 70, et ses gourous sont plutôt des quinqua-génaires issus de ce mouvement-là.

Si le mot "cybercultu-re" n'apparaît qu'en 1985, via un roman culte de science fic-tion, Neuromancien, dû à la plume vision-naire de William Gib-son, la référence reste Thimothy Leary, ex-

professeur à Havard, écrivain, théo-ricien, humoriste, philosophe, poète ou provocateur, c'est selon... Celui qui fût l'apôtre du LSD, mort l'an passé "en direct" (ses analyses médicales étaient diffusées sur le Net au jour le jour), défendait l'idée que "cyber vient du grec "kubernetes", signifiant "pilote". Du coup, le mouvement s'ins-crirait, selon lui, dans une "tradition socratique et platonicienne d'indépen-dance et d'individualisme", loin du "gu-bernator"latin du temps des Romains qui signifie "gouverner". Latinistes et hellénistes apprécieront. Pas si facile. D'autant que la cyberculture s'expri-me dans un lieu, le cyberespace, ou, plus prosaïquement, Internet, dont la mythologie n'est pas si reluisante : sur son berceau se penchèrent, en guise de bonnes fées, des militaires ; le premier voeu était de flatter la pa-ranoïa née de la guerre froide ; et au-jourd'hui, les princes charmants sont les plus gros consortiums améri-cains... Un joli conte qui ne promet.

en définitive, d'engendrer que du business sonnant et trébuchant.

La réalité est cruelle ? On peut se consoler en allant chercher la vérité ailleurs. Et retrouver, pourquoi pas, de plus lointaines définitions. Celle, par exemple, du mathématicien Nor-bert Wierner, qui définissait dès 1948 la "cybernétique" comme "l'étude du processus de commande et de commu-nication chez les êtres vivants, et, par extension, dans les machines et les sys-tèmes sociologiques et économiques".

• 30 millions d'amis internantes Internet est aujourd'hui un symbole majeur du cyberes-

pace. Son histoire remonte à 1969, lorsque le ministère de

la Défense américain décida de construire Arpanet, soit

un réseau conçu pour résister

en cas d'éventuelle guerre nucléaire. Très rapidement, ce réseau se scinda en deux :

d'un côté, Milnet, réservé aux militaires; de l'autre, un nou-

vel Arpanet, civil celui-là.

En 1972, Arpanet, devenu Internet, rassemble une qua-

rantaine d'ordinateurs; en 1984, il en connecte plus de mille. Jusqu'à 1986, où le

réseau est branché sur les lignes publiques de transmis-

sions. En 1994 apparaissent enfin les premières images vidéo transmises par le réseau.

"L'histoire d'Internet est un beau rêve américain", écrivit

en 1995 Thierry Platon dans le

magazine "Planète Internet". "Celui d'une expérimentation militaire qui s'est transformée

en monstre tentaculaire chao-tique et anarchique: un cyber-

espace aux trente millions de

ramifications."

"Le cyber renoue avec la tradition platonicienne de l'individualisme." Thimothy Leary

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Une définition que reprend d'ailleurs le Petit Larousse. Une version officiel-le, donc, que Thimothy Leary refu-sait tout net. Pour lui, elle sous-en-tend que l'esprit de l'homme serait sous contrôle extérieur, et, pire, sous l'oeil d'une machine. C'est BigBrother.

Le philosophe Pierre Lévy, auteur en 1994 de L'intelligence collective -Pour une anthropologie du cyberespa-ce, a lui aussi vu l'intérêt de prendre du champ par rapport aux définitions institutionnalisées. A le suivre, le cy-berespace serait un nouveau milieu de communication, de pensée et de travail dans lequel tout élément d'in-formation se trouve en contact vir-tuel avec n'importe quel autre et avec tout un chacun... Ça donne déjà plus envie. Et dans son nouvel ouvrage, La Cyberculture, il tord le cou au com-plexe militaro-industriel du Net en

rappelant l'étroit rapport qui existe entre les développements technico-industriels et la naissance de grands courants culturels. Pour lui, "l'émer-gence du cyberespace est le fruit d'un véritable mouvement social". Et de dé-finir les trois mots d'ordre de la nou-velle génération : "Interconnexion, création de communautés virtuelles, intelligence collective".

Espace virtuel, vrai commerce

A ce propos, ohn Perry Barlow, qui parcourt le monde pour défendre In-ternet, explique : "Nous sommes en train de dessiner le futur, dans le sens le plus littéral du terme (...)Je pense qu'il y a quelque chose dans la nature d'In-ternet qui tend à créer un environne-ment ouvert et libre, mais je n'en suis pas certain... pas assez, en tous cas, pour me dire que ça se fèra tout seul (...) Nous de-

vons faire avancer une culture qui soit naturellement résistante aux tenta-tions de l'autoritarisme et de l'enferme-ment". Philippe Quéau, le nouveau directeur des programmes informa-tiques de l'Unesco, est depuis vingt-cinq ans une des têtes pensantes de la cyberculture dont le salon Imagina, créé dès 1984, fut l'un des principaux vecteurs de propagation au niveau mondial. Et lui n'hésite pas à parler (l'humanisme : "L'esprit cyber est par définition partageur". Virtuellement, par essence. "Il est vrai que cela de-vient fàcile d'être généreux quand on n'est pas lié à la ma téria li té. Internet vé-hicule la notion du bien commun. Et ce-la jusque dans ses normes informa-tiques. Désormais, une norme n'a de la valeur que si tout le monde la partage."

Seul hic au joli tableau : au-delà des thuriféraires du cyberspace, le grand mouvement culturel annoncé pour le siècle prochain semble plutôt vé-hiculé par des cybernautes ressem-blant davantage à des businessmen à la pointe de la technologie qu'à des rêveurs perdus dans des mondes vir-tuels. L'un développe des -home-stu-dio" (studio d'enregistrement chez soi), l'autre créé ses disques, ses sites-et ça marche ! Le cyberespace est bourré de cyberentrepreneurs... Mi-

FRAC! AU CYBIRESPACE, PHILIPPE IT

CRÉATIIIRS DE L'ASSOCIATION

Dream Escape, ont trouvé un lieu où il est possible de vraiment choisir ce que l'on a envie de voir, écouter, découvrir, un lieu où leur histoire personnelle s'inscrit aussi dans celle d'une généra-tion confrontée au désespoir et à la fin de la croyance en la politique.

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chael, rencontré au Mix Move, salon techno-cyber qui s'est tenu à la Porte de Versailles, est le seul à se reconnaî-tre un gourou. En l'occurrence Mark Pesce, l'inventeur du Virtual Reality Modeling Language (VRML), le lan-gage qui permet de simuler un uni-vers 3D sur un écran 2D tout en con-servant la logique de navigation du Web. Une référence plutôt pragma-tique. Quant à Philippe, notre créa-teur de l'association Dream Escape, il s'énerve tout rouge quand on lui de-mande s'il s'estime intégré à un mou-vement culturel: "Il faut arrêter de de-mander aux jeunes ce qu'ils pensent, contre quoi ils sont et pour quoi ils mili-tent. Nous sommes différents, c'est tout".

"Les acteurs de la cyberculture n'ont pas le recul nécessaire pour conceptua-liser ce qu'ils vivent, justifie ici Philip-pe Quéau. Normal : c'est aux médias,

aux philoso-phes ou aux sociologues

de cette culture de de le faire... Eux, ils ont le nez dans le

le futur? Un ou deux guidon, et le

micros peut-être r plus souvent moins de la trentaine !"

"C'est tant mieux!, s'emporte même Alain Le Diberder, qui a pourtant dé-passé la quarantaine... Il était temps d'arrêter la persécution des soixante-huitards s'esclaffant à tout va que, de-puis eux, rien n'a été inventé ! Le cyber, c'est comme un ouvre-boîtes. Dans un univers vierge, le monde &Internet, avec des outils dont la génération pré-cédente n'a pas su s'emparer, une géné-ration bâillonnée par le tir de barrage des soixante-huitards est en train de trouver un terrain d'expression."

Reste le grand, le vrai bonheur des jeunes gens d'aujourd'hui à fréquen-ter les ordinateurs. Beaucoup de cy-bernautes l'avouent : "Tant que j'ai des micros autour de moi, je suis heureux." Au point que c'en est presque un leit-motiv. Et le jeune thésard d'expli-quer que la cyberculture est précisé-ment une tentative d'humanisation d'une technologie froide et a priori

La lutte des classes sur Internet En juin 1996, la Confédération

internationale des syndicats

libres (C151) ouvre un site sur

Internet et donne naissance

aux premiers cyberprolos.

Un an après, la CISL jette les

jalons d'une cyber-Internatio-

mile des travailleurs : "Il faut

savoir retourner les armes

(des multinationales) qui, les

premières, se sont servies des

nouvelles technologies de l'in-

formation pour doper la mon-

dialisation, et aussi leurs pro-

fits", lit-on dans le journal

"Le Monde syndical".

Apparemment, Internet est

devenu un moyen de pression

efficace sur le patronat. Les

cyberprolos peuvent inonder

de courriers électroniques les

grands patrons, poser des cy-

berpiquets de grève, ou encore

appeler en ligne au boycotta-

ge de certaines sociétés. Seul

bémol à cette aventure, selon

la CISL : "C'est ici le monde du

spontané, avec les inévitables

petits grains de folie qui font

le charme des médias... mais

qui font aussi parfois grincer

les rouages de la communica-

tion syndicale, traditionnelle-

ment verticale".

étrangère, voire hostile. Pour lui, la nouvelle génération part du constat qu'il est impossible d'échapper aux machines ; elle aurait donc décidé d'en faire une source de plaisir, de communication et de spiritualité, s'appropriant la technologie de façon créative. Ce que Marshall Mc Luhan, dans La Galaxie Gutenberg, pointait déjà lorsqu'il définissait les techno-logies comme un prolongement de nos sens... A partir de là, lorsque l'on naît avec une console vidéo dans les mains, que deviennent les écrans si-non un prolongement de l'enfance ?

Un bonheur, malgré tout, qui se transforme rapidement en besoin vital... Ce que Thimothy Leary tra-duisait par un "appétit pour les don-nées numériques, toujours plus, tou-

jours plus vite (..) Le cerveau a besoin d'électrons et de stimulants autant que le corps a besoin d'oxygène. Les nutri-tionnistes calculent nos besoins quoti-diens en vitamines. Il est temps que les psybernéticiens établissent la liste de nos besoins quotidiens en matière d'in-formations numériques". Assumant sans réserve l'inédite situation créée par les nouvelles technologies, ce gé-nial démiurge pousse le cyberbou-chon jusqu'à formuler une véritable cosmogonie contemporaine. A l'en croire, de même que "la créature ma-rine des origines a dû s'inventer une nouvelle écorce pour affronter la vie sur la terre", le passage à l'ère cyber-culturelle - qu'il préfère appeler "cy-beria" - va nous obliger à "utiliser les outils numériques pour coloniser du-rablement le cyberespace".

Sur les traces du futur

Des outils qui, pour Philippe Quéau, signent la naissance d'un nouvel al-phabet - le numérique - et d'une nou-velle imprimerie - les réseaux -, en charge d'établir un nouveau modèle de civilisation. Eh quoi ? des outils pour faire une culture ? Pour les ar-chéologues, c'est évident. Dominique Baffier, auteur du Dictionnaire de la Préhistoire, rappelle à ce sujet que les cultures du paléolithique se définis-sent par rapport à l'évolution des ou-tils utilisés par les hommes. "La pre-mière raison est que ce sont les seules choses qui nous restent de cette épo-que..." Et de s'amuser à se projeter en imagination dans l'avenir : "Que res-tera-t-il de nous dans quelques dizaines de siècles ? Tout le savoir du monde porté sur Internet, un réseau immaté-riel ? Quand on voit comment les pa-rois des grottes ont eu du mal à résister au temps ! Peut-être, alors, qu'il ne nous restera que quelques ordinateurs à étu-dier... Les archéologues font avec ce qu'ils ont. Et peut-être que notre monde actuel sera défini à partir de un ou deux vieux micros...". Mais là, seules les chroniques du futur diront si, aux alentours de l'an 2000, l'homme in-venta la culture de l'immatériel. Et quelles traces celle-ci laissa. ■

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