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Entretiens du dommage_corporel

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Gazette du Palais

Les Entretiens du Dommage Corporel 2014

Science et dommage corporel :

une mise au point pour le juriste

Dimitri PhilopoulosAvocat à la Cour de Paris

Docteur en médecine, Etats-Unis

Observations préalables

Le droit du dommage corporel est envahi par le chi�re et la science

Le juriste en dommage corporel doit s'y intéresser car la technicité vaseulement croître

L'intérêt aurait permis de mettre le doigt plus tôt sur le problème del'in�ation pour le barème de capitalisation

L'intérêt aurait permis de comprendre que les résultats des étudesmédicales sont souvent mal interprétés lors des expertises

L'intérêt aurait permis de noter que les études sur les besoins en tiercepersonne sont souvent de qualité médiocre

Sujets traités

I. Barème de capitalisation et in�ation

II. L'expertise médicale et la médecine fondées sur les faits (EFF et MFF)

III. Exemples de la pratique judiciaire

IV. Les bases de la statistique médicale pour le juriste

V. Côté pratique pour le juriste en dommage corporel

I. Barème de capitalisation et in�ation

I. Barème de capitalisation et in�ation

Imaginons que vous demandez à un actuaire comment construire unbarème de capitalisation

Vous lui dites : � je souhaite raisonner sur la base de 1 euro pour avoirun coe�cient de multiplication �

Vous lui dites également : � je souhaite un taux sans risque à 10 ansdonc la victime va placer son indemnité au taux TEC10 �

Vous lui dites aussi : � je souhaite capitaliser des arrérages versés à la �nde chaque année donc des versements à terme échu �

En�n vous montrez à l'actuaire ce dessin de la capitalisation d'une rentetemporaire de 3 ans allant de 62 ans à 64 ans inclus (jusqu'à la retraite)chez une femme victime et lui demandez son avis

I. Barème de capitalisation et in�ation

L'actuaire vous répond : � les �èches ont toutes la même longueur doncles pertes de gains futurs de cette victime n'augmentent pas chaqueannée �

Vous lui dites : � Mais si, avec le SMIC ! �

L'actuaire réplique : � Donc, le dessin suivant est plus conforme au casde cette victime : �

Vous dites naturellement : � Oui ! �

I. Barème de capitalisation et in�ation

Avec ce même exemple, l'actuaire explique comment capitaliser avec lesparamètres du barème 2013 de la Gazette du Palais

� Calculez le montant d'un euro qui augmente avec l'in�ation (0,96%)pour chacune des N années de la rente : (1 + 0,0096)N �

� Multipliez par le montant d'un euro capitalisé au taux de placement(2,16%) pour chacune des N années de la rente : 1/ (1 + 0,0216)N �

� Multipliez par la probabilité d'être en vie chaque année avec la tableINSEE 2008 : 1 - ((mortalité à l'âge de la victime aujourd'hui - mortalitédans N années) / mortalité à l'âge de la victime aujourd'hui) �

Age Mortalité Probabilité de survie de 62 à 63 ans

1 - ((93111 - 92623) / 93111)

I. Barème de capitalisation et in�ation

Voilà ces chi�res pour notre exemple de la rente temporaire de 3 ans(62-64 ans inclus) chez une femme victime

Le prix de rente est celui du barème 2013 de la Gazette : 2,898

I. Barème de capitalisation et in�ation

Vous lui dites : � Il reste un problème. Les revenus augmentent certesavec l'in�ation (en réalité le Smic) mais les juristes préfèrent un barèmequi capitalise 1 euro. Comment réconcilier les deux ? �

L'actuaire termine : � c'est facile, prenez la di�érence entre les taux deplacement et de l'in�ation (appelée équation de Fisher). Donc pour lebarème 2013 de la Gazette 2,16% - 0,96% = votre taux de 1,20% ! �

Voici le même calcul que sur la précédente diapositive mais avec 1,20% :Le prix de rente est toujours celui du barème 2013 de la Gazette : 2,898

I. Barème de capitalisation et in�ation

Voilà les mêmes calculs avec un logiciel utilisé par les actuaires

Le prix de rente = 2,898 que l'on utilise 2,16% et 0,96% séparément ou1,20% seul

I. Barème de capitalisation et in�ation

Calculateur de prix de rente en ligne (www.erreurmedicaleavocat.fr)

Ceci permet de personnaliser le préjudice

I. Barème de capitalisation et in�ation

Quelques notions à retenir

Pour des titres sans risque à 10 ans comme le TEC10, les investisseursexigent un rendement net d'in�ation d'environ 1%

Dans des conditions économiques normales, l'in�ation est environ 2%dans la zone euro grâce à la BCE :

Le taux du TEC10 est lié à l'in�ation

Donc, dans des conditions économique normales, le TEC10 se trouve à1% + 2% = 3%

I. Barème de capitalisation et in�ation

Pour ces raisons le taux de capitalisation net d'in�ation se trouvetoujours à 3% - 2% = 1%

Pour le barème 2013 de la Gazette qui prend en compte l'in�ationpartiellement 2,16% - 0,96% = 1,20%

Parce que le TEC10 est lié à l'in�ation, votre choix initial du TEC10importe peu car la di�érence sera toujours environ de 1%

La di�érence entre le TEC10 et le taux SMIC sera toujours environ de 0%

Exemple : avec la crise, le TEC10 s'est trouvé au 1e octobre à 1,25%� Le TEC10 était bas car �n septembre l'in�ation était très faible à 0,3%� Ainsi le taux de capitalisation net d'in�ation se trouve toujours vers 1%

Hier, le TEC10 a encore baissé : anticipation du marché d'une nouvellebaisse de l'in�ation ?

I. Barème de capitalisation et in�ation

Avant la mise en place de la BCE en 1998 l'in�ation était mal contrôlée

Les taux à 10 ans étaient donc élevés car l'in�ation était élevée

Voilà pourquoi les vieux barèmes de capitalisation avaient des taux élevés(outre leur non prise en compte de l'in�ation)

Cette situation ne se verra plus avec le contrôle de l'in�ation de la BCE :le TEC10 ne dépassera plus 3%

TEC10 depuis 1980 In�ation depuis 1980

I. Barème de capitalisation et in�ation

En�n, un prix de rente qui ne tient pas compte de l'in�ation, peut-il êtrelégal alors que :

� D'une part, comme pour la rente indexée, le principe de la réparationintégrale du préjudice nécessite la prise en compte de l'in�ation

� D'autre part, le Smic augmente au moins avec l'in�ation par e�et de la loià savoir art L3231-4 Code du travail :

La Cour de cassation n'a pas encore été saisie de la question relative à lalégalité des prix de rente qui ne tiennent pas compte de l'in�ation

II. L'expertise médicale fondée sur les faits (EFF)

et la médecine fondée sur les faits (MFF)

II. EFF et MFF

L'expertise médicale est devenue factuelle aujourd'hui en vertu del'Expertise Médicale Fondée sur les Faits ou EFF : l'expertisemédicale n'est plus une a�aire d'avis individuels de tel ou tel expert

Médecine & Droit (2013) : les experts Racinet, Mas et Hureau alertentl'ensemble des experts médecins que l'EFF est une exigence aujourd'huipour émettre un avis technique �able lors d'une expertise médicale

B Le juriste en dommage corporel doit donc s'y préparer et connaître lesbases de l'EFF et la conception et l'analyse d'une étude médicale

II. EFF et MFF

D'où vient l'EFF ?

Il faut savoir que la pratique médicale a changé en profondeur depuis ledébut des années 90

Ce changement résulte d'un mouvement dit la Médecine Fondée surles Faits (MFF) (appelée parfois Médecine Fondée sur les Preuves)

La MFF se dé�nit comme : l'utilisation de l'expérience clinique du

praticien, les préférences du patient et les meilleures données

cliniques issues de la recherche validée pour la prise de décision

concernant les soins à prodiguer à chaque patient

II. EFF et MFF

Pourquoi la MFF est-elle nécessaire ? En e�et, les médecins aurient déjàacquis le savoir pour l'exercice de leur métier...

Pour trois raisons :

1. les sources traditionnelles de l'information médicale comme les livres oul'enseignement ne sont plus à jour dans peu de temps

2. trop souvent les résultats de la recherche clinique ne sont pas intégrésdans la pratique médicale quotidienne

3. trop souvent les habitudes et l'intuition du médecin conduisent àpratiquer des actes médicaux ine�caces voire dangereux

II. EFF et MFF

La médecine fondée sur les faits (MFF) :� s'est développée de manière exponentielle à travers le monde en 20 ans� est devenue une force dominante de la pratique médicale aujourd'hui� traduit l'exigence d'une décision médicale basée sur les meilleures preuvesissues de la recherche clinique (donc une médecine factuelle)

� met �n aux traditions, anecdotes, intuition, théories et pratiquesindividuelles ou de telle ou telle école ou région

� a fait de la médecine une science et non un art

II. EFF et MFF

La MFF se trouve aujourd'hui dans tous les domaines de la santé ycompris l'ergothérapie et l'évaluation des besoins en tierce personnecomme le montre cette monographie du Ministère de la santé

II. EFF et MFF

D'où viennent ces � meilleures preuves � de la MFF et l'EFF ?

D'une hiérarchie des preuves cliniques dite � Niveau de Preuve �

De la force qui en découle dite � Grade des Recommandations �

Deux publications o�cielles ont eu lieu en France en 2010 et 2013 par laHaute Autorité de Santé (HAS)

HAS : Niveau de preuve et gradation des recommandations

II. EFF et MFF

Résumé des � meilleures preuves � :� Grade A (preuve scienti�que établie) = Essai contrôlé randomisé� Grade B (présomption scienti�que) = Etude de cohorte� Grade C (faible niveau de preuve scienti�que) = Etude cas-témoins

Cette hiérarchie des preuves est théorique et pourrait être modi�ée parun biais autrement dit une erreur qui diminue la validité d'une étude etpartant son niveau dans la hiérarchie

Cette hiérarchie est utilisée par les sociétés savantes pour l'élaboration deleurs Recommandations pour la pratique clinique ou RPC : les RPCtraduisent les données acquises de la science médicale

II. EFF et MFF

L'étude de référence est l'essai contrôlé randomisé (ECR)

Un groupe � exposé � (par exemple à un nouveau traitement) estcomparé à un groupe � non-exposé � (qui reçoit un traitement deréférence ou un placebo)

La randomisation des sujets aux groupes comparés est faite selon unmode aléatoire (comme un tirage au sort)

Les ECR sont des études dites expérimentales car la randomisation estune intervention directe du chercheur sur les sujets

La randomisation garantit que les groupes comparés sont équivalents àtous égards (âge, sexe, antécédents...) sauf pour l'intervention évaluée

La randomisation permet de comparer directement les proportions ayantle critère de santé (maladie, handicap etc.) dans les deux groupes

B Problème : la plupart des études ne sont pas des ECR car ils sontchers ou impossibles pour des raisons éthiques

B Problème : ECR ont souvent des e�ectifs insu�sants (puissancestatistique insu�sante) pour mettre en évidence une vraie di�érence

II. EFF et MFF

Représentation de l'essai contrôlé randomisé

II. EFF et MFF

Deuxième niveau de preuve : l'étude (ou enquête) de cohorte (EC)

Un groupe � exposé � (à un traitement ou un facteur de risque) estcomparé à un groupe � non-exposé � appelé aussi le groupe contrôle

Il n'y a aucune randomisation des sujets aux groupes comparés doncl'étude est dite observationnelle

Le chercheur observe les deux groupes pour un laps de temps pour voirquels sujets développeront le critère santé étudié (maladie, handicap etc.)

Donc on parle d'une enquête prospective autrement dit longitudinale(moins exposée à biais car la collection des données intervient avant laconnaissance du critère de santé étudié)

B Sans randomisation les groupes comparés ne sont plus équivalents àtous égards

B En conséquence, il n'est plus acceptable de comparer les groupesdirectement mais seulement après un ajustement statistique

II. EFF et MFF

Représentation de l'enquête de cohorte (EC)

II. EFF et MFF

Troisième niveau de preuve : Etude (ou enquête) cas-témoins (ECT)

Un groupe � atteint � d'une maladie, handicap etc. (les cas) estcomparé à un groupe � non-atteint � (les témoins)

Comme pour l'enquête de cohorte, aucune randomisation des sujets auxgroupes comparés : l'étude est observationnelle

Le chercheur note l'exposition des sujets dans le passé donc on parled'une enquête rétrospective (plus exposée à biais car la collection desdonnées intervient après la connaissance du critère de santé étudié)

B Sans randomisation les groupes comparés ne sont plus équivalents àtous égards (comme pour l'enquête de cohorte)

B En conséquence, il n'est plus acceptable de comparer les groupesdirectement mais seulement après un ajustement statistique

II. EFF et MFF

Représentation de l'enquête cas-témoins (ECT)

II. EFF et MFF

Au total :� Sans randomisation les groupes comparés peuvent être di�érents sur desfacteurs (dits facteurs de confusion) liés à la survenue du critère desanté étudié

� Cette di�érence est une erreur systématique (un biais) par opposition àune erreur d'échantillonnage (le hasard)

� Exemple :I Un groupe peut être plus âgé qu'un autre ce qui faussera les résultats

d'une étude sur le lien entre un facteur de risque et une maladie si l'âgeest aussi un facteur de risque de cette maladie

I Dans cet exemple, l'âge est un facteur de confusion

Graphique d'un facteur de confusion

III. Exemples de la pratique judiciaire

II. Exemples

La MFF est un rempart contre le phénomène dit de la � Science

Poubelle �

Il s'agit d'études qui ne répondent pas aux exigences de la MFF

Donc, ces études ne doivent pas être citées par des experts

III. Exemples

La revue de Donohoe (ici rapportée par la SOFMER) est une remise encause des critères diagnostiques (et même l'existence...) du syndrome dubébé secoué (SBS)

L'incompréhension de la SOFMER devant l'étude de Donohoe (2011)

L'étude était analysée par un groupe d'experts en MFF au colloqueinternational du SBS à Paris voici quelques mois

� Résultat : cette revue a négligé d'inclure des études importantes� Raison : la stratégie de recherche électronique était insu�sante par oublide mots clés importants

III. Exemples

Temps moyen passé par des parents avec des enfants bien portants

Lavigne G. Revue Française du Dommage Corporel (2013, n◦ 3)

Un échantillon de l'Insee donne des résultats inférieurs

Lavigne (échantillon : convenance) Notre analyse (échantillon : national)

III. Exemples

Voici une réanalyse de l'enquête emploi du temps de l'Insee pour lesenquêtés sans activité professionnelle

Résultats supérieurs (surtout pour le temps domestique et les trajets) carprise en compte des activités secondaires et exclusion des enquêtés avecemploi du temps incompatible avec la bientraitance

Données Insee Notre réanalyse de ces données

III. Exemples

Etude descriptive des besoins en tierce personne

La méthodologie n'est pas explicite ou transparente

Le nombre de sujets n'est pas rapporté

Aucune indication de l'incertitude de la moyenne d'un échantillon àl'autre (erreur d'échantillonnage)

Association Handiface (2001)

III. Exemples

Il y a aussi un con�it avec des études plus rigoureuses sur le plan de laMFF comme celle de Blanes, Carmagnani et Ferreira dans la revueinternationale Moelle Epinière (2007)

La MFF aide à évaluer ces études pour leur validité (absence de biais)

5 heures contre 11 heures

III. Exemples

Contrairement à d'autres, l'étude de Hernan et coll. (ici rapportée dansune publication du Ministère de la Santé) a montré un lien entre lasclérose en plaque et le vaccin contre le virus de l'hépatite B

Hernan et coll., VVHB et risque de SEP. Neurology (2004)

Les commentateurs ont été mé�ants car il s'agit d'une étude cas-témoins(Niveau C dans la classi�cation de la MFF)

B Néanmoins l'étude pourrait su�re pour retenir des présomptionsgraves, précises et concordantes par un juge (art. 1353 du code civil)

Exigences d'une politique vaccinale de masse 6= art. 1353 du code civil

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Il y a deux types de statistique :1. Statistique descriptive : description de l'échantillon (exemple : la

moyenne d'heures de tierce personne de 30 victimes avec paraplégie haute)2. Statistique inférentielle : inférence de l'échantillon à la population cible

(exemple : limites de la même moyenne d'heures au niveau de toutes lesvictimes avec paraplégie haute en France).

Les lois de probabilité comme la courbe de Gauss (courbe en cloche)jouent un rôle important dans la statistique inférentielle

Statistiques descriptive et inférentielle

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Les études médicales sont a�ectées par deux types d'erreurs :

1. Erreur d'échantillonnage (le hasard) : la statistique conventionnelleanalyse ce type d'erreur par la statistique inférentielle qui permet de fairele lien entre l'échantillon et la population comme on vient de le dire

2. Erreur systématique (un biais) : la statistique conventionnelle n'analysepas ce type d'erreur dont il existe deux grandes catégories

I Biais de sélection : Di�érences systématiques dans les pro�les de risqueentre groupes en raison des méthodes de leur sélection

I Biais d'information : Di�érences systématiques entre groupes en raisondes erreurs de la classi�cation ou de la mesure des données

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

La statistique médicale est divisée en deux familles

1. Statistique fréquentiste : utilisation de nos données pour faire uneinférence sur la vraie valeur dans la population cible

2. Statistique bayesienne : utilisation des connaissances antérieures quiseront modi�ées par nos données pour permettre l'inférence dans lapopulation cible

Vaste majorité des études médicales utilisent la statistique fréquentiste

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

1◦ type d'inference statistique est le test d'hypothèse avec la valeur P

La valeur P (omniprésente dans les études médicales !) permet dedéterminer si une di�érence observée entre deux groupes est réelle ousimplement le fruit du hasard

La valeur P est la probabilité d'obtenir des résultats aussi extrêmes (ouplus) que les nôtres sous l'hypothèse d'une absence de di�érence entreles deux groupes comparés (dite � l'hypothèse nulle �)

P < 0,05 (qui est le seuil souvent retenu) permet de rejeter l'hypothèsenulle et de dire qu'il y a une di�érence signi�cative entre les groupes

B Il faut se mé�er d'une valeur P ≥ 0,05 car elle ne permet pas deconclure à une absence de di�érence entre groupes surtout si l'échantillonest petit (autrement dit s'il y a un manque de puissance statistique)

Inférence avec la valeur P

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Le seuil de P < 0,05 (95% de chances qu'il s'agit d'une vraie di�érenceet non pas le hasard) pourrait être approprié quand la santé est en jeu

Mais est-il approprié pour la justice quand l'indemnisation d'une victimeest en jeu ?

De fait, contrairement au médecin, le juge peut retenir la certitude dulien de causalité par des présomptions graves, précises et concordantes

Ces présomptions traduisent uniquement une probabilité élevée, disons àtitre d'exemple 80%

L'avocat de la victime peut le plaider devant le juge ou sinon réanalyseravec son médecin conseil des données avec un seuil de P < 0,20 pourvoir si les résultats de l'étude deviennent signi�catifs

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

2◦ type d'inférence statistique est l'estimation

Toute estimation (moyenne, médiane, corrélation, association etc.) esta�ectée d'une incertitude car calculée à partir d'un échantillon

L'intervalle de con�ance (IC) donne les limites de cette estimationdans la population

L'IC à 95% indique que sur 100 échantillons, 95 des IC calculéscontiennent la vraie moyenne de la population

B Comme la valeur P, l'IC analyse uniquement l'erreurd'échantillonnage (erreur aléatoire) et non l'erreur systématique(biais) : l'IC est en réalité plus large

Inférence statistique avec l'IC

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Analyse statistique d'un essai randomisé : calcul d'un e�et relatif

Example : 33.513 parturientes randomisées entre groupes surveillés avecet sans monitorage électronique foetal (MEF)

Comparer les nombres de décès périnataux dans les deux groupes

Décès périnatalnon oui

Monitoragenon 16.607 57oui 16.799 50

Calculs sont directs grâce à la randomisation :� Risque relatif (RR) = risque de décès avec MEF/risque de décès sansMEF = (50/(16.799+50)) / (57/(16.607+57)) = 0,87

� Odds ratio∗ (OR) = odds de décès avec MEF/odds de décès sans MEF =(50/16.799) / (57/16.607) = 0,87. ∗OR obligatoire pour ECT

� Interprétation : dans le groupe avec monitorage, il y a une réduction derisque et de odds de décès de 13% (RR = OR = 0,87)

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

S'il s'agissait plutôt d'une étude de cohorte ou une étude cas-témoinsl'analyse doit être di�érente

Cette analyse di�érente tient à l'absence de randomisation nécessairepour créer deux groupes identiques

Donc il est di�cile d'attribuer les di�érences au seul e�et du monitorage

Peut-être les accouchements étaient plus risqués dans le groupe sansmonitorage ce qui pourrait expliquer le taux de décès plus élevé dans cegroupe (un accouchement risqué serait donc un facteur de confusion).

En conséquence, pour créer deux groupes identiques sans randomisationon utilise le plus souvent à un modèle statistique

B Un modèle statistique calcule un paramètre (RR ou OR) à lamoyenne des groupes comparés pour un facteur de confusion (exemple :la moyenne d'âge des groupes comparés) ce qui supprime son in�uencedonc son e�et de confusion

Ceci est appelé un contrôle (ou ajustement) statistique

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Exemple d'un modèle (calculs avec le logiciel statistique R)

Il s'agit d'une étude de cohorte sur plus de 11 millions de naissances

Deux groupes sont comparés pour le critère de la mortalité néonatale :monitorage électronique (ME) c/ auscultation intermittente (AI)

On voit ici le modèle et les valeurs P

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Rappel : ME comparé à l'AI pour le critère de la mortalité néonatale

On voit les odds ratio (OR) ajustés pour 7 facteurs de confusion

On voit les intervalles de con�ance à 95% donnant les limites de l'OR auniveau de la population

IV. Statistique médicale : les bases pour le juriste

Mêmes résultats avec un autre logiciel statistique (STATA)

Il n'existe pas de formule mathématique proprement dite pourl'estimation des paramètres : donc, les logiciels statistiques modernesutilisent une méthode itérative dite maximum de vraisemblance

V. Côté pratique pour l'avocat

en dommage corporel

V. Côté pratique pour l'avocat en dommage corporel

Réanalyser les études s'il en est besoin avec votre médecin conseil

Faire publier la réanalyse et la communiquer à l'expert

Exemple : étude sur l'association entre le taux de césariennes (TDC) etun marqueur de sou�rance foetale (un pH très bas) dans deux maternités

Valeur P non signi�cative (0,92% pour TDC moins élevé vs 0,77% pourTDC plus élevé) : auteur conclut à tort à aucune di�érence

En e�et, la limite inférieure de l'intervalle de con�ance à 95%(0,62-1,14) calculé lors de notre réanalyse montre une réduction de 38%de pH très bas dans le groupe avec le taux de césarienne plus élevé

Notre réanalyse des données l'étude de Pommereau et collègues

V. Côté pratique pour l'avocat en dommage corporel

Autre exemple : l'étude de cohorte de Chen et collègues (déjà citée) de11 millions de naissances qui a montré une réduction de risque desconséquences de la sou�rance foetale avec monitorage électronique

Des médecins conseils d'assurance ont prétendu que ces résultatsseraient la conséquence d'un biais dû à certains facteurs de confusion

Notre réanalyse a montré que les résultats n'étaient pas modi�és par uncontrôle (ajustement) statistique pour ces facteurs de confusion

Notre réanalyse des données de l'étude de Chen et collègues

Extrait : contrôle de 6 facteurs de confusion

V. Côté pratique pour l'avocat en dommage corporel

Ressources en ligne :� Deux organisations dédiées à la MFF (et donc l'EFF)� Les adresses de ces sites francophones sont notées dans la bibliographie� Les organisations COCHRANE et MINERVA publient des synthèsesqualitatives (dites revues systématiques) et quantitatives (ditesméta-analyses) des essais randomisés et dans une moindre mesure desétudes observationnelles

V. Côté pratique pour l'avocat en dommage corporel

Pour approfondir :� Livres utiles aux avocats et leurs médecins conseils� Ces références sont notées dans la bibliographie

Tous niveaux Niveau plus élevé

V. Côté pratique pour l'avocat en dommage corporel

Une liste de véri�cation

X L'avis technique de l'expert doit avoir une base scienti�que (EFF)

X Donc des études validées et non la théorie ou l'expérience personnelle

X Exigez de l'expert une bibliographie d'études annexée à son pré-rapport

X Déterminez le niveau de preuve de ces études (ECR, EC ou ECT)

X Une valeur P ≥ 0,05 nécessite examen de la taille de l'échantillon et l'IC

X Déterminez si les IC montrent une incertitude dans l'avis de l'expert

X Déterminez si tout modèle inclut les facteurs de confusion importants

X Déterminer si un biais d'information ou de sélection compromet l'étude

X Recherchez si l'étude a été analysée par la COCHRANE ou MINERVA

X Pour cas complexes, demandez un expert en épidémiologie/biostatistique

X Demandez l'aide d'un médecin conseil compétent en statistique médicale

X Communiquez toute réanalyse des données à l'expert et pour publication

Références pour cette intervention

1. Philopoulos D. Monitorage foetale et la mortalité néonatale. J Gynecol Obstet BiolReprod 2014 ; http ://dx.doi.org/10.1016/j.jgyn.2014.07.003

2. Philopoulos D. Comparaison des taux d'acidose néonatale sévère. J Gynecol ObstetBiol Reprod 2014 ; 43 :70

3. Philopoulos D. Hamonet C. Méthodologie de l'estimation du besoin en tiercepersonne. J Readapt Med 2005 ; 25 : 167-78

4. Philopoulos D. D. Philopoulos répond à l'article : Est-il possible de prévenir l'IMOC.Gynecol Obstet Fertil 2008 ; 88 :14-16

5. Racinet C, Mas J-L, Hureau J. L'expertise médicale fondée sur les faits. Médecine &Droit 2013 ; 167-174

6. Haute Autorité de Santé. Niveau de preuve et gradation des recommandations debonne pratique. Etat des lieux. Saint-Denis La Plaine : HAS ; 2013.

7. Straus SE, Richardson WS. Médecine fondée sur les faits. Elsevier, 3e éd., 2007.

8. Ancel T. Statistique Epidémologie. Maloine, 3e éd., 2006.

9. Bouyer J, Hémon D, Cordier S, Derriennic F, Stücker I, Stengel B, Clavel J.Epidémiologie : principes et méthodes quantitatives. Inserm. Lavoisier, 2009

10. Millot G. Comprendre et réaliser les tests statistiques à l'aide de R : Manuel debiostatistique, De Boeck, 2e édition, 2011.

11. Sites Cochrane (www.cochrane.fr/) et Minerva (www.minerva-ebm.be/fr/home.asp)