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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté des Sciences politiques et sociales Département des Sciences Sociales et des Sciences du Travail Année académique 2013.2014 Effets organisationnels et opérationnels de la diffusion des nouvelles méthodes de management sur une institution publique : illustration par la « nouvelle donne » policière Directeur : M. le professeur WILKIN Assesseure : Mme. la professeure SMEETS Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Sociologie à finalité Action Sociale et Diversité culturelle Flavien ROELANDT

La managérialisation de la police Belge

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Page 1: La managérialisation de la police Belge

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté des Sciences politiques et sociales Département des Sciences Sociales et des Sciences du Travail

Année académique 2013.2014

Effets organisationnels et opérationnels de la diffusion des

nouvelles méthodes de management sur une institution

publique : illustration par la « nouvelle donne » policière

Directeur : M. le professeur WILKIN

Assesseure : Mme. la professeure SMEETS

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Sociologie à finalité Action Sociale et Diversité culturelle

Flavien ROELANDT

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Page 3: La managérialisation de la police Belge

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté des Sciences politiques et sociales Département des Sciences Sociales et des Sciences du Travail

Année académique 2013.2014

Effets organisationnels et opérationnels de la diffusion des

nouvelles méthodes de management sur une institution

publique : illustration par la « nouvelle donne » policière

Directeur : M. le professeur WILKIN

Assesseure : Mme. la professeure SMEETS

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en Sociologie à finalité Action Sociale et Diversité culturelle

Flavien ROELANDT

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Police, machine matrice d'écervelés

Mandatés par la justice sur laquelle je pisse

Nique la police !

NTM , Police, Album : J’appuie sur la gâchette, Epic, 1993

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RÉSUMÉ Depuis le milieu des années quatre-vingt, on assiste à un essor important du

mouvement de transformation des administrations qualifié de New Public Management (NPM). La police belge est sommée de se réformer en 2001 après avoir été vivement critiquée au cours des années nonante à l’issue de plusieurs « affaires » désastreuses pour son image auprès de l’opinion publique. Si cette réforme, que nous avons qualifiée de « nouvelle donne » policière, a d’abord affecté les structures, elle sera, quelques années plus tard, complétée par une nouvelle philosophie déterminant les modalités de son action et du fonctionnement de l’organisation policière.

L’objet de cette étude exploratoire est d’examiner les effets de cette « nouvelle donne » policière tant du point de vue de l’organisation de la police que des pratiques des policiers de terrain.

Les résultats montrent, dans le premier cas, que le système administratif policier présente des caractéristiques similaires à celles rencontrées dans les administrations issues du NPM : structure et culture organisationnelles, modes de contrôle et philosophie à la base du service public.

Nous avons acté, au sujet du second fait, le fossé significatif existant entre les discours que tiennent l’institution et les pratiques des acteurs de terrain. Nous avons attribué cette différence à la confrontation entre deux systèmes de valeurs distincts: l’un, porté par l’idéologie de la « nouvelle donne policière », encourage l’institution à formaliser quantité d’aspects de son fonctionnement ; l’autre est propre à la profession, qui souhaite maintenir les ressources (marges de manœuvre, culture professionnelle, logiques informelles au sein du collectif de travail) dont elle dispose.

Enfin, nous avons montré que bien que les pratiques policières ne correspondent pas aux discours que tient l’institution, l’idéologie de la « nouvelle donne » est un puissant levier de légitimation de son action.

Mots clés : Police, New Public Management, NPM, EFQM.

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Page 6: La managérialisation de la police Belge

REMERCIEMENTS Avant toute chose, j’aimerais exprimer ma gratitude la plus profonde aux personnes qui, de

près ou de loin, m’ont permis de mener à bien l’écriture de ce mémoire.

Ainsi, je remercie mon directeur de mémoire, le professeur Luc Wilkin, pour ses conseils

avisés, la liberté de choix qu’il m’a laissée et la confiance qu’il m’a témoigné.

Ma reconnaissance va également aux professeurs Sybille Smeets, Frédéric Schoenars et Jan

Mattijs, qui m’ont fourni de précieuses indications sur l’objet de cette étude à l’occasion de

nos entretiens. Je salue tout particulièrement Carrol Tange pour le long et riche échange que

nous avons eu et qui a nourri nombre de mes réflexions.

Je garde un excellent souvenir du personnel de la zone de police Bruxelles-Ouest et de la

Direction des relations avec la police locale (CGL-X), qui m’a réservé un accueil chaleureux à

l’occasion de mes stages d’observation.

Je voudrais ensuite rendre hommage à ceux sans qui ce travail n’aurait probablement pas pu

voir le jour. A mon grand-père, à qui je dois de m’être accompli en intégrant l’Université et

qui est un exemple de toujours à mes yeux. À ma tendre moitié, Evgenia, qui me soutient

indéfectiblement dans tous mes combats, à qui je suis redevable de m’avoir donné le courage

de terminer ce mémoire et qui a contribué plus que personne à faire de moi l’homme que je

suis. A ma grande sœur, Emeline, pour ses corrections à la fois bienveillantes et minutieuses,

ses réflexions constructives et ses encouragements enthousiastes pour le sprint final. Et enfin

à une amie chère, Anneke, pour ses relectures attentives, ses conseils précieux et sa

motivation communicative à l’occasion de nos discussions matinales à la brasserie de

l’Union.

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Page 7: La managérialisation de la police Belge

GLOSSAIRE CAF Common Assessment Framework

CALog Cadre Administratif et Logistique

CEP Centre d’Études sur la Police

CGL(-X) Direction des relations avec la police locale

CP Community Policing

CP1 Circulaire CP 1 du 27 mai 2003 concernant la définition de l’interprétation du Community Policing applicable au service de police intégré, structuré à deux niveaux

CP2 Circulaire ministérielle CP 2 du 03/11/2004 visant à encourager le développement organisationnel de la police locale axée sur la police de proximité

CP3 Circulaire ministérielle CP3 relative au ’système du contrôle interne’ dans la police intégrée, structurée à deux niveaux (29/03/2011)

DO Domaines d’organisation du travail policier

EFP Excellence dans la Fonction de Police

EFQM European Foundation for Quality Management

FCOP Fonction de police orientée vers la communauté

FGPI Fonction de police guidée par l’information

GO Gestion optimale

H1 Première hypothèse de recherche

H2 Seconde hypothèse de recherche

INK Instituut Nederlandse Kwaliteit

IQ Inspecteur de quartier

ISO International Organization for Standardization

NPM New Public Management

PDCA Roue de Deming : Plan – Do – Check – Act

PEv Phases d’évolution

PP Parties prenantes

PZS Plan zonal de sécurité

Q1 Première question de recherche

Q2 Seconde question de recherche

SSoc Sécurité sociétale

TQ Fonctionnalité « travail de quartier »

ZIP Zone inter polices

ZP Zone de police

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Page 8: La managérialisation de la police Belge

TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ ................................................................................................................................ III

REMERCIEMENTS .............................................................................................................. IV

GLOSSAIRE............................................................................................................................ V

TABLE DES ILLUSTRATIONS ........................................................................................... X

Liste des tableaux .................................................................................................................................................. x

Liste des figures .................................................................................................................................................... xi

INTRODUCTION .................................................................................................................... 1

1. MÉTHODOLOGIE ............................................................................................................. 5

1.1. Introduction .................................................................................................................................................... 6

1.2. Questionnement de départ ............................................................................................................................ 6

1.3. Exploration ..................................................................................................................................................... 6

1.4. Choix d’une problématique ........................................................................................................................... 7

1.5. Questions de recherche .................................................................................................................................. 8

1.6. Construction du modèle d’analyse ................................................................................................................ 8 1.6.1. H1 : La réforme des services de police s’apparente au mouvement de transformation des

administrations qualifié de New Public Management ........................................................................................ 9 1.6.2 H2 : La « nouvelle donne » policière affecte peu la culture professionnelle des policiers ...................... 10

1.7. Choix des sources ......................................................................................................................................... 11 1.7.1. Données existantes ................................................................................................................................. 11 1.7.2. Observations directes ............................................................................................................................. 12

1.7.2.1. Zone de police Bruxelles-Ouest (2011-2012) ................................................................................. 12 1.7.2.2. Direction des relations avec la police locale (CGL-X, 2012) ......................................................... 12

1.7.3. Entretiens ................................................................................................................................................ 13 1.7.4. Journées d’étude ..................................................................................................................................... 13

1.8. Exploitation des sources .............................................................................................................................. 14

1.9. Limites de la recherche ................................................................................................................................ 14 1.9.1. La rupture avec les prénotions ................................................................................................................ 15

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Page 9: La managérialisation de la police Belge

1.9.2. Les méthodes de récolte des données ..................................................................................................... 15 1.9.2.1. Données existantes ......................................................................................................................... 15 1.9.2.2. Observation directe ......................................................................................................................... 16 1.9.2.3. Entretiens ........................................................................................................................................ 17

1.9.3. La complexité du phénomène étudié ...................................................................................................... 18 1.9.4. Le contexte de l’étude ............................................................................................................................ 18

2. LA MANAGÉRIALISATION DE LA POLICE ............................................................. 19

2.1. Introduction .................................................................................................................................................. 20

2.2. Réformer les structures ............................................................................................................................... 20

2.3. La police réformée en quête d’une philosophie commune ........................................................................ 25 2.3.1. La philosophie du Community Policing (CP) ........................................................................................ 25 2.3.2. CP1, la proximité « à la sauce belge » .................................................................................................... 27 2.3.3. CP2, le développement organisationnel ................................................................................................. 28

2.3.3.1. Apports ........................................................................................................................................... 31 2.3.3.2. Limites ............................................................................................................................................ 31

2.4. L’Excellence dans la fonction de police (EFP) ........................................................................................... 32 2.4.1. Introduction ............................................................................................................................................ 32 2.4.2. Présentation ............................................................................................................................................ 33 2.4.3. Notions ................................................................................................................................................... 35

2.4.3.1. Fonction de police orientée vers la communauté (FPOC) .............................................................. 35 2.4.3.2. Fonction policière guidée par l’information (FPGI) ....................................................................... 36 2.4.3.3. Sécurité sociétale ............................................................................................................................ 38 2.4.3.4. Gestion optimale ............................................................................................................................. 39

2.4.4. Discussion .............................................................................................................................................. 43

3. LA THÉORIE DU NEW PUBLIC MANAGEMENT (NPM) ....................................... 44

3.1. Introduction .................................................................................................................................................. 45

3.2. Genèse et évolution historique .................................................................................................................... 45

3.3. Un concept aux multiples visages ................................................................................................................ 46

3.4. Fondements théoriques ................................................................................................................................ 48

3.5. Principes à la base ........................................................................................................................................ 50

3.6. Des effets contrastés ..................................................................................................................................... 55 3.6.1. Sur les structures et les processus ........................................................................................................... 55 3.6.2. Sur les modes de contrôle ....................................................................................................................... 56

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Page 10: La managérialisation de la police Belge

3.6.3. Sur la philosophie à la base du service public ........................................................................................ 58 3.6.4. Sur la culture organisationnelle des fonctionnaires ................................................................................ 60

3.7. Limites ........................................................................................................................................................... 62 3.7.1. Les écueils de la planification absolue ................................................................................................... 62 3.7.2. La vision du changement ........................................................................................................................ 63

3.7.2.1. La temporalité du changement ........................................................................................................ 63 3.7.2.2. L’intentionnalité du changement .................................................................................................... 64 3.7.2.3. L’origine du changement ................................................................................................................ 64 3.7.2.4. La question de l’échelle du changement ......................................................................................... 65 3.7.2.5. Les acteurs du changement ............................................................................................................. 65

3.8. Retour sur notre première hypothèse (H1) ................................................................................................ 65 3.8.1. Structure organisationnelle ..................................................................................................................... 66 3.8.2. Modes de contrôle .................................................................................................................................. 67 3.8.3. Philosophie à la base du service public .................................................................................................. 68 3.8.4. Culture organisationnelle ....................................................................................................................... 71 3.8.5. En conclusion ......................................................................................................................................... 72

4. ENTRE DISCOURS ET PRATIQUES POLICIERS ..................................................... 73

4.1. Introduction .................................................................................................................................................. 74

4.2. Les fondements de la profession policière .................................................................................................. 74 4.2.1. L’inversion hiérarchique ........................................................................................................................ 75 4.2.2. Le processus de sélection, au cœur du travail policier ........................................................................... 76 4.2.3. La hiérarchie des tâches ......................................................................................................................... 77 4.2.4. L’involution des buts .............................................................................................................................. 78

4.3. La « nouvelle donne » idéologique policière .............................................................................................. 78 4.3.1. La combinaison de ressorts symboliques et instrumentaux .................................................................... 78 4.3.2. Une réforme aux objectifs contradictoires .............................................................................................. 79 4.3.3. Les relations avec les usagers ................................................................................................................. 80 4.3.4. La confrontation des rationalités politiques et managériales .................................................................. 80

4.4. Retour sur notre seconde hypothèse (H2) .................................................................................................. 81 4.4.1. La « nouvelle donne » policière ............................................................................................................. 81

4.4.1.1. L’idéologie institutionnelle ............................................................................................................. 81 4.4.4.2. L’idéologie managériale ................................................................................................................. 83

4.4.2. La culture professionnelle des policiers ................................................................................................. 84 4.4.2.1. L’utopie de la transparence ............................................................................................................. 84 4.4.2.2. L’ordre des priorités policières ....................................................................................................... 84 4.4.2.3. Le maintien des équilibres internes ................................................................................................ 84

viii

Page 11: La managérialisation de la police Belge

4.4.3. En conclusion ......................................................................................................................................... 85

CONCLUSIONS..................................................................................................................... 87

DISCUSSION ......................................................................................................................... 89

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 91

ANNEXES ............................................................................................................................... 97

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Page 12: La managérialisation de la police Belge

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Liste des tableaux TABLEAU 1 – CONSTRUCTION DU CONCEPT UTILE POUR TESTER NOTRE PREMIÈRE HYPOTHÈSE (H1) ............................................ 10

TABLEAU 2 – CONSTRUCTION DES CONCEPTS UTILES POUR TESTER NOTRE SECONDE HYPOTHÈSE (H2) ........................................ 11

TABLEAU 3 – LES DATES-CLÉS DE LA RÉFORME DES SERVICES DE POLICE .................................................................................... 20

TABLEAU 4 – COMPARAISON ENTRE LE COMMUNITY POLICING ET LE MODÈLE DE POLICE TRADITIONNEL.................................... 25

TABLEAU 5 – LES TROIS COMPOSANTES DU COMMUNITY POLICING ............................................................................................ 26

TABLEAU 6 – LES CINQ PILIERS DE LA FONCTION DE POLICE ORIENTÉE VERS LA COMMUNAUTÉ (FPOC) ...................................... 28

TABLEAU 7 – LES PARTIES PRENANTES DE LA DÉMARCHE DE DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL ............................................. 29

TABLEAU 8 – LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA DÉMARCHE DE DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL ......................................... 29

TABLEAU 9 – EXEMPLES D’INITIATIVES ENCOURAGÉES À DES FINS DE DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL ............................... 31

TABLEAU 10 – LES QUATRE NOTIONS DE BASE DE L’EXCELLENCE DANS LA FONCTION DE POLICE (EFP) ..................................... 35

TABLEAU 11 – LES CINQ PILIERS DE LA FONCTION DE POLICE ORIENTÉE VERS LA COMMUNAUTÉ (FCOP) .................................... 35

TABLEAU 12 – LES CINQ CARACTÉRISTIQUES DE LA FONCTION DE POLICE GUIDÉE PAR L’INFORMATION (FPGI) .......................... 36

TABLEAU 13 – LES CINQ TYPES DE MESURES DE LA SÉCURITÉ SOCIÉTALE (SSOC) ....................................................................... 38

TABLEAU 14 – LES CINQ PRINCIPES DE LA GESTION OPTIMALE (GO) ........................................................................................... 39

TABLEAU 15 – LES CINQ DOMAINES D’ORGANISATION (DO) DU TRAVAIL POLICIER .................................................................... 40

TABLEAU 16 – LES CINQ GROUPES DE PARTIES PRENANTES (PP) AUXQUELS FAIT RÉFÉRENCE LA GESTION OPTIMALE ................... 41

TABLEAU 17 – LES CINQ PHASES D’ÉVOLUTION (PEV) DE LA GESTION OPTIMALE ........................................................................ 42

TABLEAU 18 – PRINCIPES À LA BASE DU NPM SELON MERRIEN (1999) ...................................................................................... 50

TABLEAU 19 – PRINCIPES À LA BASE DU NPM SELON VISSCHER ET VARONE (2004) ................................................................... 51

TABLEAU 20 – PRINCIPES À LA BASE DU NPM SELON HOOD (1991) ........................................................................................... 51

TABLEAU 21 – CATÉGORIES UTILISÉES PAR DIEFENBACH (2009) POUR STRUCTURER LES PRINCIPES DU NPM ............................. 52

TABLEAU 22 – PRINCIPES À LA BASE DU NPM SELON DIEFENBACH (2009) ................................................................................. 52

TABLEAU 23 – APPAREILLEMENT DES THÈMES PRINCIPAUX EXTRAITS DE NOS LECTURES SUR LE NPM ....................................... 54

TABLEAU 24 – COMPARAISON ENTRE « CONCEPTION CLASSIQUE » ET « CONCEPTION CONTINUE ET SITUÉE » DU CHANGEMENT... 63

TABLEAU 25 – CARACTÉRISTIQUES DU CONTRÔLE POLICIER SELON MONJARDET ........................................................................ 68

TABLEAU 26 – EXEMPLES DES TENDANCES DE LA TRANSFORMATION DE LA PHILOSOPHIE À LA BASE DU SERVICE PUBLIC ............ 69

TABLEAU 27 –DÉCONSTRUCTION DU PROBLÈME DE ROTATION DES EFFECTIFS D’UNE ZP BRUXELLOISE ....................................... A

TABLEAU 28 – COMPARAISON DES CONFIGURATIONS BUREAUCRATIQUE ET PROFESSIONNELLE SELON MINTZBERG ....................... B

x

Page 13: La managérialisation de la police Belge

Liste des figures FIGURE 1 – LES TROIS COMPOSANTES DU COMMUNITY POLICING ............................................................................................... 26

FIGURE 2 – LE DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL DANS CP2 .................................................................................................. 30

FIGURE 3 – LE MODÈLE D’EXCELLENCE DANS LA FONCTION DE POLICE (EFP) ........................................................................... 34

FIGURE 4 – LES CINQ PILIERS DE LA FONCTION DE POLICE ORIENTÉE VERS LA COMMUNAUTÉ (FCOP) ......................................... 35

FIGURE 5 – FCOP + FPGI ......................................................................................................................................................... 36

FIGURE 6 – LES CINQ TYPES DE MESURES DE LA SÉCURITÉ SOCIÉTALE (SSOC) ............................................................................. 38

FIGURE 7 – FCOP + FPGI + GESTION OPTIMALE (GO) .............................................................................................................. 39

FIGURE 8 – FCOP + FPGI + GO + DOMAINES D’ORGANISATION (DO) DU TRAVAIL POLICIER ..................................................... 39

FIGURE 9 – FCOP + FPGI + GO + DO + PARTIES PRENANTES (PP) ........................................................................................... 40

FIGURE 10 – FCOP + FPGI + GO + DO + PP + PHASES D’ÉVOLUTION (PEV) ............................................................................ 41

FIGURE 11 – INVERSION HIÉRARCHIQUE (MONJARDET) .............................................................................................................. 76

xi

Page 14: La managérialisation de la police Belge

INTRODUCTION

1

Page 15: La managérialisation de la police Belge

« Lors des contacts avec le client, chaque collaborateur de

la zone de police a le souci d’offrir un accueil de qualité »

C’est l’inscription qui se trouvait sur le tableau d’une salle de réunion d’un centre de

formation policier où nous escomptions décrocher un stage. Le vocable « clients » y était

utilisé pour désigner les citoyens. Notre curiosité piquée, nous fîmes de cette étrange

découverte le point de départ de notre réflexion.

Nous souhaitions, à l’occasion du stage d’observation obligatoire en première année du

Master en Sociologie, en profiter pour découvrir ce qui se passe de l’autre côté des portes

d’un commissariat. L'interlocuteur avec qui nous avions rendez-vous, le chargé de

communication d’une zone de police bruxelloise, se montra d’emblée assez réservé quant au

fait de donner une suite favorable à notre requête d’observer des policiers pendant six

semaines. Un mois durant, nous fûmes renvoyés par téléphone d’un interlocuteur à l’autre

avant de finalement trouver les mots pour convaincre une autre zone de police bruxelloise de

nous faire confiance.

Profondément réformé, au début des années 2000, suite aux dysfonctionnements criants mis à

jour à l’occasion d’affaires retentissantes (tueries du Brabant, drame du Heysel, affaire

Dutroux-Nihoul et consorts, etc.), le système policier belge ne vise aujourd’hui rien de moins

que l’Excellence organisationnelle.

En nous renseignant sur l’organisation policière, ses missions, ses rouages, son langage, nous

avons découvert une documentation professionnelle épaisse faisant référence à la « police

d’Excellence », à son « organisation apprenante » ou encore au « leadership policier ». A la

lecture de cette lecture professionnelle foisonnante, nous fûmes à la fois intrigué par

l’utilisation que fait la police de concepts que l’on rencontre plutôt dans les entreprises

privées et admiratif de la manière dont ceux-ci formaient un système conceptuel si parfait.

Décidant de prolonger notre immersion policière au travers de la littérature académique, nous

avons constaté que bien qu’elles aient longtemps tenu la communauté scientifique à distance,

les portes des commissariats s’ouvraient peu à peu et laissaient entrevoir un riche et vaste

objet d’étude1.

Lorsque nous fut donnée l’occasion de passer plusieurs semaines en compagnie de policiers

de services et de rangs divers, nous ne manquâmes pas de demander à ceux-ci ce qu’avait

1 BRODEUR, J.-P., La police : mythes et réalités, 2005.

2

Page 16: La managérialisation de la police Belge

changé la réforme des services de police dans leur travail concret (pour ceux qui l’avaient

connue avant). Nous nous enquîmes aussi de la signification qu’ils donnaient au concept de

police d’Excellence. Les réponses variaient très peu entre l’aveu d’un discours sans réel lien

avec la réalité et celui de n’en avoir jamais entendu parler.

Bien que relevé par plusieurs de nos interlocuteurs et mentionné dans la littérature

scientifique, ce « fossé » entre ce que dit faire l’institution policière et ce qu’elle fait

réellement n’a pas donné lieu à des recherches portant spécifiquement sur ce phénomène.

La problématique au centre de notre recherche sera de comprendre ce qu’a changé cette

« nouvelle donne » policière dans l’organisation et dans le travail de la police.

Pour cela, nous répondrons aux deux questions suivantes :

• Q1 : La réforme des polices a-t-elle produit une « nouvelle donne » policière ?

• Q2 : Pourquoi existe-t-il des différences entre l’idéologie et les pratiques policières ?

Pour statuer de manière circonstanciée sur chacune de ces interrogations, nous avons eu

l’opportunité de réaliser un autre stage d’observation, auprès de la Direction des relations

avec la police locale (CGL-X) 2, et nous nous sommes nourri d’autres sources empiriques

telles que des entretiens, des séminaires professionnels thématiques, des journées portes

ouvertes et des récits que font des policiers de la réalité du terrain.

L’apport de cette étude sera d’aller au-delà des discours auto-congratulants que le système

policier tient sur son fonctionnement actuel et d’examiner quelles en sont les contradictions et

les limites. La perspective critique adoptée s’alimentera de divers auteurs anglo-saxons sans

concession sur le sujet des transformations des administrations, bien documenté dans leurs

contrées.

Nous commencerons, dans le premier chapitre consacré à la Méthodologie, par expliciter les

étapes de notre démarche, depuis notre questionnement de départ jusqu’à la construction de

nos hypothèses de recherche. Cette partie sera également pour nous l’occasion d’exposer ce

qui a guidé notre choix de sources et de discuter des limites de notre travail d’investigation.

Dans le second chapitre (La managérialisation de la police), nous expliquerons les raisons et

le cheminement qui ont conduit l’organisation policière à réformer ses structures et à chercher

2 La cellule de la police fédérale chargée d’accompagner méthodologiquement les polices locales qui le souhaitent dans la mise en œuvre des outils managériaux issus de la police d’Excellence.

3

Page 17: La managérialisation de la police Belge

une philosophie commune à toutes ses entités. Nous présenterons à cette occasion les

concepts à la base de ce que nous avons qualifié de « nouvelle donne » policière.

Nous examinerons ensuite, dans le troisième chapitre (La théorie du New Public

Management), si la « nouvelle donne » policière possède des caractéristiques structurelles et

discursives singulières ou si elle est marquée par le sceau du mouvement global de réformes

affectant les administrations qualifié de New Public Management.

Dans le quatrième chapitre (Entre discours et pratiques policiers), nous mobiliserons des

concepts issus de la sociologie de la profession et de l’organisation policières pour expliquer

les causes de l’écart entre le discours que tient l’institution policière sur elle-même et la réalité

du travail de terrain.

Finalement, nous rappellerons les conclusions que nous avons tirées de l’examen de nos deux

hypothèses de recherche et ouvrirons une discussion sur les prolongements envisageables à la

suite de ce travail.

4

Page 18: La managérialisation de la police Belge

1. MÉTHODOLOGIE

5

Page 19: La managérialisation de la police Belge

1.1. Introduction Dans ce chapitre, nous présenterons les différentes étapes de la construction

méthodologique de notre mémoire, allant de nos premiers questionnements jusqu’à la

formalisation de notre modèle d’analyse de données récoltées et à la formulation

d’hypothèses. Nous passerons également en revue les étapes intermédiaires que sont la phase

d’exploration et le choix d’une problématique et d’une question de recherche. Enfin, nous

discuterons des choix que nous avons faits en matière de sources d’information.

Pour structurer les étapes de notre recherche, nous avons trouvé de précieux conseils dans les

deux ouvrages spécialisés suivants : Les ficelles du métier3 et le Manuel de recherche en

sciences sociales 4. La structure du présent chapitre suit d’ailleurs l’ordre des principales

étapes d’une recherche recommandé dans ce dernier ouvrage. Bien que cet ordre soit le plus

approprié pour expliquer la progression globale de notre étude, il ne rend pas compte des

aléas du travail d’investigation, faits d’allers-retours permanents entre chaque étape.

1.2. Questionnement de départ A l’origine, notre choix d’étudier l’organisation policière fut motivé par le désir

d’appréhender la manière dont celle-ci fonctionne, de connaître ce qui se trame derrière le

voile d’opacité qui l’entoure5. Nous souhaitions étudier les transformations à l’œuvre depuis

les années nonante dans les administrations, et l’organisation policière constituait un terrain

pour le moins « exotique » que nous imaginions « sociologiquement immaculé ».

1.3. Exploration Au gré de nos premières lectures, au fil des rencontres avec des professeurs (voir la

section « Choix des sources », en page 13), nous fûmes désenchantés de constater que

d’autres avaient, bien avant nous, déjà frôlé le sol de cette île perdue.

Ainsi, le sociologue français Dominique Monjardet avait déjà théorisé avec précision, dans un

ouvrage dont le titre fait écho à notre question de départ, « Ce que fait la police »6, les ressorts

sociologiques de la profession et de l’organisation policière.

3 BECKER, H., Les ficelles du métier, La Découverte, 2002. 4 CAMPENHOUDT, L.V. et QUIVY, R., Manuel de recherche en sciences sociales, 4e éd., Paris, Dunod, 2011. 5 MONJARDET, D., « Gibier de recherche, la police et le projet de connaître », in Criminologie, vol. 38 (2005), no 2, p. 13‑37. 6 MONJARDET, D., Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, La Découverte, 1996.

6

Page 20: La managérialisation de la police Belge

Quant aux informations que nous commencions à récolter sur l’organisation policière,

principalement au travers de publications à destination du grand public disponibles sur

Internet ou via les sites Internet des diverses zones de police (ZP) locale et de la police

fédérale, elles nous donnaient l’impression que l’organisation policière s’auto-congratulait des

efforts en matière de modernisation et était en passe de pouvoir tirer un bilan positif de sa

réforme.

Pourtant, nos entretiens exploratoires avec des experts ayant suivi de près le processus de

réforme des polices ont tôt fait de nous apprendre que la situation n’était pas aussi idyllique

que le prétendait l’institution. La réforme ayant donné naissance à ce que nous avons appelé

la « nouvelle donne » policière, l’ensemble des corps de police du Royaume ne progressent

pas au même rythme dans son implémentation. Les pratiques réelles des acteurs de terrain

sont parfois encore loin de « coller » aux discours.

1.4. Choix d’une problématique Tout projet de recherche nécessite de choisir une approche, une sélection de traits à

observer d’un phénomène social par essence complexe à saisir.

Les manières d’aborder la police sont nombreuses : l’institution qu’elle incarne, le mandat

que lui confère la société, ses modes d’organisation, le service public qu’elle offre, un groupe

professionnel spécialisé porteur de représentations culturelles qui guident son action, ou

encore les pratiques concrètes des policiers.

De quoi pourrait traiter un mémoire qui a pour titre « Effets organisationnels et opérationnels

de la diffusion des nouvelles méthodes de management sur une institution publique:

illustration par la ‘nouvelle donne’ policière » ? Durant la phase d’exploration, nous avons

relevé deux phénomènes qui ont attiré notre attention.

Il s’agit tout d’abord celui de la « nouvelle donne » policière, produit de la réforme des

services de police. Qu’a changé la réforme dans l’organisation administrative et la profession

policières ? Quels principes et quelles finalités motivent une institution à se réformer ? Ces

transformations sont-elles nouvelles ou s’inscrivent-elles dans la continuité de ce qui existait

déjà précédemment ?

Ensuite, comment expliquer le fossé qui existerait entre les discours que tient l’institution sur

son fonctionnement et les pratiques des policiers ? Ce phénomène est-il bien réel ? Si oui,

comment expliquer qu’il se produise ?

7

Page 21: La managérialisation de la police Belge

Autant d’interrogations qui seront au cœur de notre recherche.

Exposée simplement, notre problématique de recherche sera de comprendre ce qui a changé

avec la « nouvelle donne » policière dans l’organisation et le travail de la police.

Pourquoi choisir cette problématique-ci plutôt qu’une autre ? Il ressort de nos lectures

exploratoires qu’il s’agit là d’un thème pertinent du point de vue scientifique (c’est-à-dire

présentant des indices que ce phénomène est avéré7) et n’ayant pas encore donné lieu à des

investigations spécifiques dans notre pays.

1.5. Questions de recherche Pour opérationnaliser notre problématique de recherche, nous proposons de la

transformer en deux questions de recherche auxquelles nous allons apporter des réponses

provisoires, sous forme d’hypothèses, que nous examinerons dans la section suivante.

Pourquoi deux questions de recherche ? Ce choix nous a paru le plus avisé car notre

problématique porte à la fois sur la transformation de l’organisation policière à l’issue de sa

réforme, et sur l’écart qu’il existerait entre discours et pratiques.

Voici les deux questions de recherche sur lesquelles nous nous pencherons dans les chapitres

suivants :

• Question de recherche 1 (Q1) : La réforme des polices a-t-elle produit une

« nouvelle donne » policière ?

• Question de recherche 2 (Q2) : Pourquoi existe-t-il des différences entre l’idéologie

et les pratiques policières ?

1.6. Construction du modèle d’analyse Pour collecter des informations valables sur ces sujets, c’est-à-dire s’inscrivant dans

une démarche scientifique pertinente, et répondre à nos deux questions de recherche, nous

élaborerons les deux hypothèses suivantes fondées sur nos lectures et observations

exploratoires.

7 Ainsi, en 2007, Sybille Smeets et Carrol Tange, dans une communication à l’International Police Excutive Symposium (IPES/DCAF) intitulée « Le community Policing en Belgique : périphéries de la constitution d’un modèle de travail policier », constatent que « [d]u côté de l’évolution des métiers policiers, si l’on manque indéniablement aujourd’hui de données systématiques, divers indices concordent pour souligner la stabilité des pratiques de terrain, sauf quelques exceptions » in SMEETS, S. et TANGE, C., « Le Community Policing en Belgique: péripéties de la constitution d’un modèle de travail policier », Geneva, CRC Press, 2007, p. 19.

8

Page 22: La managérialisation de la police Belge

La première hypothèse est une réponse provisoire à la première question de recherche (Q1) :

• Hypothèse 1 (H1) : La réforme des services de police s’apparente au mouvement de

transformation des administrations qualifié de New Public Management.

La seconde hypothèse fait, elle, écho à la deuxième question de recherche (Q2) :

• Hypothèse 2 (H2) : La « nouvelle donne » policière affecte peu la culture

professionnelle des policiers.

La première hypothèse sera validée ou infirmée à la fin du chapitre III consacré aux théories

du New Public Management.

La seconde le sera à la fin du chapitre IV, qui traitera de la confrontation des pratiques et des

discours policiers.

Nous commencerons par les passer toutes deux en revue ci-dessous de manière à clarifier ce

que nous entendons par chacun des termes utilisés. En deuxième lieu, nous discuterons de la

nature des données à récolter et nous terminerons par présenter les concepts que nous

utiliserons pour valider ou infirmer lesdites hypothèses.

1.6.1. H1 : La réforme des services de police s’apparente au mouvement de

transformation des administrations qualifié de New Public Management

Par « réforme des services de police », nous faisons référence au processus historique

de modernisation des services de police belges ayant donné naissance à la police intégrée à

deux niveaux (polices locales et police fédérale).

Par « New Public Management » (NPM), nous qualifions l’ensemble de principes et de

méthodes de management issus du secteur privé et transférés dans le secteur public, visant à

moderniser les administrations publiques.

Pour tester cette première hypothèse, et répondre à notre première question de recherche (La

réforme des polices a-t-elle produit une « nouvelle donne » policière ?), nous allons procéder

comme suit. Après avoir passé en revue les effets sur les administrations les plus

communément attribués aux réformes du NPM dans la littérature académique, nous

rechercherons quelles sont les propriétés de l’institution policière qui s’apparentent et/ou

divergent de celles que l’on retrouve dans les organisations marquées du sceau du NPM.

9

Page 23: La managérialisation de la police Belge

Tableau 1 – Construction du concept utile pour tester notre première hypothèse (H1)

Concept Dimensions

Système administratif

Structure organisationnelle

Modes de contrôle

Philosophie à la base du service public

Culture organisationnelle

Nous construisons le concept de système administratif décliné en les dimensions structure

organisationnelle, mode de contrôle, philosophie à la base du service public, culture

organisationnelle, évolution de l’organisation et environnement pour valider ou invalider le

fait que la réforme de la police belge s’inscrive ou non dans le mouvement de transformation

des administrations qualifié de NPM.

1.6.2 H2 : La « nouvelle donne » policière affecte peu la culture

professionnelle des policiers

Par « nouvelle donne » policière, nous faisons référence aux transformations

symboliques (discursives) qu’a connues la police à la suite de la réforme dont elle a fait

l’objet. Nous décomposerons celles-ci en une idéologie que nous qualifierons tantôt

d’institutionnelle, tantôt de managériale.

L’idéologie institutionnelle fait référence à l’ensemble des discours portés par l’institution

policière visant à définir sa place dans la société, le mandat qui lui est conféré par la société et

ses modes d’action légitimes.

L’idéologie managériale8, elle, regroupe l’ensemble des discours portés par l’organisation

policière visant à décliner ses visées stratégiques en objectifs opérationnels, à formaliser les

règles de son fonctionnement organisationnel, et à contrôler l’utilisation qu’elle fait de ses

ressources (humaines, matérielles et financières).

Enfin, nous emprunterons le concept de culture professionnelle des policiers au sociologue

Dominique Monjardet9 dont les dimensions inversion hiérarchique, processus de sélection

discrétionnaire et hiérarchie des tâches et involution des buts nous seront utiles pour

8 DIEFENBACH, T., « The managerialistic ideology of organisational change management », in Journal of Organizational Change Management, vol. 20 (2007), no 1, p. 126‑144. 9 MONJARDET, D., « La culture professionnelle des policiers », in Revue française de sociologie, vol. 35-3 (1994), p. 393‑411.

10

Page 24: La managérialisation de la police Belge

comprendre les implications sur le travail des policiers des deux versants de l’idéologie de la

« nouvelle donne » policière.

Tableau 2 – Construction des concepts utiles pour tester notre seconde hypothèse (H2)

Concepts Dimensions

« Nouvelle donne » policière Idéologie managériale

Idéologie institutionnelle

Culture professionnelle des policiers

Inversion hiérarchique

Processus de sélection

Hiérarchie des tâches

Involution des buts

Pour tester cette hypothèse, et dès lors répondre à notre seconde question de recherche

(Pourquoi existe-t-il des différences entre l’idéologie et les pratiques policières ?), nous

allons confronter les versants institutionnels (CP) et managériaux (Excellence de la Fonction

de Police) de la « nouvelle donne » idéologique policière aux représentations professionnelles

qui sous-tendent les pratiques des policiers de terrain.

1.7. Choix des sources Dans l’élaboration de ce mémoire, nous avons cherché à varier les sources

d’information.

1.7.1. Données existantes

Nous nous sommes nourris à la fois de littérature académique, professionnelle et

institutionnelle.

D’abord, les sources académiques francophones et anglo-saxonnes que nous avons parcourues

nous ont permis de dresser un état de l’art sur les thèmes des réformes des administrations et

du fonctionnement des organisations policières.

Nous avons, dans un second temps, mis à profit les sources professionnelles (publications

diverses de l’organisation policière à destination des policiers, comme le Journal de la Police,

ou du grand public, tels les plans zonaux de sécurité ou la section « Documentation » du site

InfoZone10) pour approfondir les concepts liés au CP et à la Fonction de police d’Excellence.

10 InfoZone, http://www.info-zone.be/home-fr.htm, consulté le 13 mai 2014.

11

Page 25: La managérialisation de la police Belge

En dernier lieu, les sources institutionnelles (composées par exemple de rapports

parlementaires) nous ont renseigné sur l’histoire et la manière dont s’est déroulé le processus

de réforme de la police belge.

1.7.2. Observations directes

Ensuite, nous voulions comprendre ce qu’avaient à dire sur le sujet les principaux

intéressés 11 , à savoir les acteurs policiers de terrain auxquels s’appliquent les nouvelles

normes et ceux qui les rédigent.

Nous avons eu la chance de pouvoir réaliser deux stages d’observation en milieu policier.

1.7.2.1. Zone de police Bruxelles-Ouest (2011-2012)

Il s’agissait d’une étude, dans le cadre du stage d’observation obligatoire durant la

dernière année du Master en Sociologie, sur les facteurs qui poussent les effectifs locaux de la

zone à se détourner de la fonctionnalité « travail de quartier ».

Nous avons eu la chance d’accompagner des policiers des services suivants entre septembre

2011 et janvier 2012 (120h) : équipes d’intervention au cours de trois shifts (30h), cellule de

Contrôle Interne pendant deux jours (16h), inspecteurs de quartier et de garde/accueil à Jette

pendant deux jours (20h) et à Molenbeek durant sept jours (50h).

Cette étude a donné lieu à la remise à l’institution policière d’un rapport d’une cinquantaine

de pages. Dans celui-ci, nous avons mis en évidence quatre dimensions regroupant les

facteurs explicatifs du problème que connaît la zone, à savoir celui de la rotation des policiers

affectés au travail de quartier.

Le tableau qui se trouve en Annexe1 reprend les titres que nous avons donnés aux sections

intégrées dans chaque dimension ; il offrira au lecteur une idée générale du contenu de cette

étude.

1.7.2.2. Direction des relations avec la police locale (CGL-X, 2012)

Notre second stage d’observation nous a amené à accompagner ponctuellement des

policiers de CGL-X lors de déplacements dans deux ZP. Ces policiers avaient pour mission,

dans un cas, de fournir un appui méthodologique concernant le choix d’objectifs stratégiques

11 LE CAISNE, L. et PROTEAU, L., « La volonté de savoir sociologique à l’épreuve du terrain », in Sociétés contemporaines, vol. 72 (2008), no 4, p. 125 ; CHAPOULIE, J.-M., « Everett C. Hughes et le développement du travail de terrain en sociologie », in Revue française de sociologie, vol. 25-4 (1984), p. 582‑608.

12

Page 26: La managérialisation de la police Belge

et leur déclinaison en activités opérationnelles. Dans un autre, ils devaient animer des groupes

de travail thématiques autour des problématiques de la visibilité, de la pro-activité, de

l’accessibilité, du partenariat, du relais d’information et de l’implication des cadres.

Notre présence sur le terrain s’est étalée entre mai 2012 et septembre 2012. Elle aura été pour

nous l’occasion de prendre conscience du besoin d’accompagnement des ZP en vue de

l’appropriation des outils et concepts de la Police d’Excellence, ainsi que d’entendre à

nouveau des témoignages de policiers sur ces thématiques.

1.7.3. Entretiens

Nous avons rencontré des acteurs académiques, parmi lesquels les professeurs

Schoenaers (ULg)12 et Mattijs (ULB)13, qui nous ont apporté un point de vue éclairant sur les

mécanismes de transformation des administrations et leurs effets concrets, de même que la

professeure Smeets (ULB) 14, qui nous a permis, au cours d’un entretien particulièrement

intéressant, d’approfondir le sujet des spécificités propres à l’institution policière. Nous avons

également eu un échange très précieux avec Carrol Tange15, doctorant à l’ULB travaillant lui

aussi sur le thème de la managérialisation de la police belge.

Par ailleurs, en marge ou à l’occasion de nos deux stages d’observation, nous avons complété

ces entrevues par une dizaine d’entretiens semi-directifs avec des acteurs policiers d’horizons

divers. Nous avons ainsi interviewé un chef de corps d’une zone de police tenant un discours

acerbe sur la police d’Excellence, le responsable du recrutement de la police fédérale, des

policiers-consultants (CGL-X) et des policiers de terrain provenant d’horizons divers (certains

en début, d’autres en fin de carrière ; certains affectés au travail de quartier, d’autres encore à

l’intervention).

1.7.4. Journées d’étude

Pour terminer, nous avons assisté à plusieurs événements tels que des

colloques organisés par le Centre d’Etudes sur la Police (CEP) dont ceux dédiés à la

« fonction de police orientée vers la communauté: stop ou encore? » 16 et « la formation

12 SCHOENAERS, F., « Entretien ». 13 MATTIJS, J., « Entretien ». 14 SMEETS, S., « Entretien ». 15 TANGE, C., « Entretien ». 16 Le 26/05/2011, CEP - Centre d’Études sur la Police, http://www.cepinfo.be/activites-historique.php, consulté le 15 mai 2014.

13

Page 27: La managérialisation de la police Belge

policière : retour vers le futur ? »17, mais aussi une journée d’étude traitant du thème connexe

à la réforme, celui de la communication publique en tension 18 . Nous avons également

participé à deux journées d’information sur la police à l’occasion de portes ouvertes (ZP

Namur et Village Policier sur la Place Poelaert lors de la Fête Nationale), qui se déroulent

régulièrement aux quatre coins du pays. Nous avons de surcroît tenu à lire les témoignages19

que donnent à lire certains policiers belges et d’outre-Quiévrain particulièrement à l’aise avec

la plume.

1.8. Exploitation des sources S’agissant des données documentaires, nous avons la plupart du temps réalisé des

tableaux de synthèse des articles scientifiques les plus pertinents à nos yeux pour l’objet de ce

mémoire. Ceux-ci se sont avérés utiles pour reconsolider et structurer les éléments

d’information épars en notre possession.

Par ailleurs, durant nos deux stages, nous avons essayé autant que faire se peut de retranscrire

dans un cahier de notes nos constatations et des commentaires émis par des acteurs avec

lesquels nous étions en contact. Nous avons fait cela à l’issue de chaque session d’observation

ou directement sur le terrain quand cela était possible.

Enfin, nos entretiens les plus approfondis (avec des membres du corps professoral, des

experts sur la question de la réforme et des professionnels policiers en charge de

responsabilités telles que la gestion d’une zone de police) ont fait l’objet d’un enregistrement

sonore au moyen d’un dictaphone. Aucun interlocuteur n’a refusé de se plier à ce dispositif,

moyennant le respect de la confidentialité de certains propos critiques vis-à-vis de

l’organisation policière.

1.9. Limites de la recherche Dans cette section, nous justifierons les choix que nous avons faits en matière de

méthodologie et nous veillerons à ne pas passer sous silence les limites de chaque approche et

le caractère nécessairement imparfait d’une recherche comme la nôtre.

17 Le 22/02/2012 Ibid. 18 Le 16/10/2012 LEGER, M., Colloque « La communication publique en tension », http://www.uclouvain.be/424295.html, consulté le 15 mai 2014. 19 DESFORGES, B., Police mon amour, J’ai lu, 2011 ; DESFORGES, B., Flic : Chroniques de la police ordinaire, J’ai lu, 2007 ; DEVEAUX, J. et LEDUC, J.-J., Vies de Flics Belges, Les Editions de l’Arbre, 2009 ; JACQUES, D., Souvenirs d’un Flic Belge, Arbre Bruxelles, 2009 ; REYNAUD, S., Chroniques de la main courante : Histoires vécues, Bourin Editeur, 2009.

14

Page 28: La managérialisation de la police Belge

1.9.1. La rupture avec les prénotions

Chaque tentative de compréhension d’un phénomène social nécessite, dans le chef du

chercheur, qu’il prenne de la distance vis-à-vis de la connaissance qu’il peut en avoir du fait

de son expérience intuitive du social.

Emile Durkheim, un des pères de la discipline sociologique, utilise dans son ouvrage « Les

règles de la méthode sociologique », le terme « prénotions » pour désigner « des concepts

grossièrement formés […] produits de l’expérience vulgaire […] formés par la pratique et

pour elle»20. Pour Bourdieu, rompre avec le sens commun (la doxa selon les philosophes)

exige de conduire sa recherche avec précaution et de mettre en œuvre des techniques

d’objectivation telles que la mesure statistique, la définition préalable des concepts utilisés ou

la critique du langage21.

L’exigence d’objectivation de notre recherche nous a conduit à définir chacun des concepts

que nous utilisons dans nos hypothèses pour préciser au lecteur le sens que nous attribuons à

chacun d’entre eux. La critique du langage est, pour sa part, au cœur même de notre projet de

recherche qui vise à aller au-delà des discours auto-congratulants que tient l’organisation

policière sur son fonctionnement22.

Ces précautions prises, les limites de cet exercice sont qu’aucune définition n’embrasse la

complexité du réel et que toute définition n’est jamais qu’une sélection des aspects de celui-ci

les plus saillants aux yeux du chercheur.

1.9.2. Les méthodes de récolte des données

Chaque méthode de récolte des données est plus appropriée que d’autres pour l’étude

de certains types de phénomènes. Toutes possèdent également des inconvénients.

1.9.2.1. Données existantes

C’est le cas des données existantes (documentaires et secondaires), d’habitude

utilisées pour étudier les changements sociaux au départ de témoignages directs ou indirects.

Elles se révèlent être particulièrement pertinentes pour étudier les idéologies, les systèmes de

valeurs et la culture dans son sens le plus large23.

20 FERRÉOL, G., Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 1995, p. 202. 21 Ibid. 22 LE GOFF, J.-P., Les illusions du management : Pour le retour du bon sens, La Découverte, 2003. 23 CAMPENHOUDT, L.V. et QUIVY, R., Manuel de recherche en sciences sociales, op. cit., p. 183.

15

Page 29: La managérialisation de la police Belge

Néanmoins, le fait qu’elles ne soient pas récoltées directement par le chercheur ou qu’elles

nécessitent d’être manipulées par lui pour respecter les exigences de sa recherche en font un

matériau fragile du point de vue de sa fiabilité24. De plus, dans la mesure où le chercheur

utilise des données existantes, il est nécessairement dépendant du bon vouloir des auteurs ou

des intermédiaires pour jouir du libre accès à ces données.

Nous avons utilisé tous les outils (numériques) à notre disposition pour accumuler le plus

grand nombre de références de qualité. L’Internet a été d’une grande aide pour rassembler des

articles scientifiques sur la thématique des transformations des administrations. Notons par

ailleurs que nous avons mis à profit un séjour personnel de quelques jours à Édimbourg pour

utiliser les systèmes d’information scientifique de l’Université Herriot-Watt et nous procurer

des références auxquelles nous n’avions pas accès depuis la base de donnée de la bibliothèque

de l’Université Libre de Bruxelles.

Pour finir, nous avons fait une demande d’accès à la bibliothèque du Centre de documentation

et de connaissances policières de la police fédérale25. Celle-ci a été acceptée et nous a permis

de compulser des renseignements utiles en parcourant des publications professionnelles où

l’on peut lire les sujets de discussion internes à la profession. Citons ainsi Info Revue, où nous

avons pu lire des témoignages contemporains de la réforme des services de police ou le

Journal de la Police, publication plus actuelle.

1.9.2.2. Observation directe

Les méthodes dites d’ « observation directe »26 portent sur « […] les comportements

des acteurs en tant qu’ils manifestent des systèmes de relations sociales ainsi que sur les

fondements culturels et idéologiques qui les sous-tendent. » 27 Elles conviennent

particulièrement à l’observation des conduites instituées et des codes comportementaux.

Les inconvénients de ces méthodes sont multiples : la nécessité pour le chercheur de se faire

accepter par le groupe qu’il observe, l’impossibilité parfois d’utiliser une grille d’observation

ou de prendre des notes à la volée, la nécessaire interprétation que fera le chercheur de ce

qu’il verra ou entendra28.

24 Ibid. 25 Rue Fritz Toussaint 8, 1050 Bruxelles 26 BIZEUL, D., « Que faire des expériences d’enquête? Apports et fragilité de l’observation directe », in Revue française de sciences politiques, vol. 57-1 (2007), p. 69‑89. 27 CAMPENHOUDT, L.V. et QUIVY, R., Manuel de recherche en sciences sociales, op. cit., p. 177. 28 Ibid., p. 179‑180.

16

Page 30: La managérialisation de la police Belge

Pour pallier les limites que présentent ces méthodes de récolte d’information, nous avons

cherché à diversifier au maximum les situations d’observation et les types de personnes

interrogées à l’intérieur de l’organisation policière. Nous avons ressenti un phénomène de

saturation des informations récoltées sur la thématique du travail des inspecteurs de quartier à

l’issue de notre stage d’observation dans la ZP Bruxelles-Ouest, ce qui nous conduit à penser

que nous avons rassemblé sur cette matière un corpus suffisant d’informations.

1.9.2.3. Entretiens

Bien plus que les autres méthodes, les entretiens permettent « […] d’accéder à un

degré maximum d’authenticité et de profondeur […] »29 et de découvrir le « […] sens que les

acteurs donnent à leurs pratiques et aux événements auxquels ils sont confrontés »30. Cette

méthode se révèle très utile pour mettre à jour les représentations sociales et les systèmes de

valeurs.

La souplesse que permettent ces méthodes va de pair avec le risque que la discussion dévie du

champ qui intéresse le chercheur. Différents types de cadres existent pour structurer un

entretien. C’est ainsi que nous avons fait le choix d’utiliser des questions semi-ouvertes lors

de nos entrevues avec des membres de la communauté scientifique, pour amener ces derniers

plus directement là où nous voulions en venir sans pour autant restreindre la possibilité de

sortir du cadre que nous avions élaboré et, partant, d’apprendre des choses nouvelles ou de

changer de point de vue sur des choses que nous pensions acquises.

En outre, nous avons combiné la méthode des entretiens de type « questions ouvertes » avec

l’observation directe à l’occasion de nos stages. Les aléas des journées policières types ont

fait que nous disposions souvent de longs moments d’attente entre deux interventions. Nous

avons par conséquent cherché à mettre ces moments à profit en questionnant nos

interlocuteurs sur à peu près tous les sujets liés à leur profession.

Il est vrai que si les méthodes d’entretien s’avèrent utiles pour comprendre le cadre de

référence des acteurs, elles ne mettent pas moins le chercheur dans une position de

dépendance vis-à-vis de son interlocuteur. Voilà pourquoi nous avons cherché à recouper les

informations récoltées lors d’entretiens avec nos propres observations ou celles d’auteurs

ayant publié sur le sujet.

29 Ibid., p. 174. 30 Ibid., p. 175.

17

Page 31: La managérialisation de la police Belge

1.9.3. La complexité du phénomène étudié

Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, l’objet « police » est complexe à

appréhender : parle-t-on de l’institution, de son mode d’organisation, de sa profession, des

discours (policiers) sur la sécurité et l’ordre, … ? Les points d’accroche ne manquent pas. En

optant pour notre problématique de recherche, nous avons fait le choix de nous pencher à la

fois sur les structures, les modes d’organisation, les représentations et les valeurs du système

policier. Si cette approche a le mérite de chercher à faire des liens entre des éléments que

d’autres approches négligent parfois (en préférant s’en tenir à un seul élément), elle nous

oblige à faire certains compromis, à prendre certains raccourcis.

Ainsi manquons-nous certainement de nuances lorsque nous faisons référence à la profession

ou à l’organisation policière comme s’il s’agissait d’un ensemble homogène. A la suite de nos

observations, nous sommes bel et bien conscients du fait qu’on n’est pas policier à Molenbeek

comme on l’est à Durbuy ni même à Ostende. De même, le travail d’un inspecteur de quartier

n’a rien à voir avec celui d’un policier affecté au maintien de l’ordre ni à celui d’un inspecteur

de la police judiciaire. Lorsque nous parlons de culture policière, nous sommes obligés

d’arrondir les angles pour souligner ce qui rassemble et estomper ce qui différencie chacun

des groupes de métiers formant le corps policier.

1.9.4. Le contexte de l’étude

Tout d’abord, nos observations concernent quelques commissariats d’une seule ZP

bruxelloise. Certains pourraient être tentés de dire qu’il ne s’agit de surcroît pas de n’importe

quelle zone, puisqu’elle englobe des communes réputées « difficiles ».

Ensuite, notre présence sur le terrain a eu lieu au cours de la période 2011-2012. Si nous

avons de bonnes raisons de penser que la plupart de nos constats et conclusions sont encore

valables, nous ne pouvons en avoir la certitude.

Par conséquent, il convient de rester prudent et de garder cela à l’esprit avant de généraliser

aveuglement ou de tirer des conclusions trop hâtives au départ des résultats de cette étude.

18

Page 32: La managérialisation de la police Belge

2. LA MANAGÉRIALISATION DE LA POLICE

19

Page 33: La managérialisation de la police Belge

2.1. Introduction Le caractère fragmenté du paysage policier belge a évolué vers davantage

d’intégration à l’issue de sa refonte. Dans ce chapitre, nous chercherons à retracer les grandes

lignes des évolutions qui ont affecté les services belges de police, les raisons à la base des

réformes engagées et les orientations majeures qui sont venues plus tardivement les

compléter.

Dans la première section, nous verrons pourquoi et comment cette transformation des

structures qui a été entamée dans le courant des années quatre-vingt s’est ensuite accélérée

durant les années nonante.

Nous examinerons ensuite les trois orientations majeures que connaîtra la toute nouvelle

police intégrée : renouveau philosophique autour du concept de Community Policing (CP),

des modes d’organisation tendant vers une gestion optimale, jusqu’au concept « holistique »

d’Excellence dans la Fonction de police (EFP).

Enfin, nous passerons en revue les enseignements que l’on peut tirer de ces réformes.

2.2. Réformer les structures Les services de police de missions générales étaient composés, jusqu’à leur réforme,

de trois entités : la police communale, la police judiciaire et la gendarmerie. Si les deux

premières accusent un grand retard chronique de moyens et de professionnalisation de leurs

effectifs, la troisième constituait déjà un corps de police moderne31.

Tableau 3 – Les dates-clés de la réforme des services de police

Dates-clés Evénements

Années 1980 Vague de phénomènes inquiétants

1982 - 1985 Tueries du Brabant

1984 - 1985 Cellules Communistes Combattantes

1985 Drame du Heysel

1988 Rapport de Team Consult

Avril 1990 Rapport de la commission Bourgeois

Juin 1990 Plan de Pentecôte

1991 Emeutes de Forest et de Saint-Gilles

31 BOURDOUX, G.L. et DE VALKENEER, C., La réforme des services de police: commentaire de la Loi du 7 décembre 1998, Larcier, 2001, p. 23.

20

Page 34: La managérialisation de la police Belge

1995 Création des premières zones inter polices (ZIP)

Août 1996 Découverte des corps de Julie et Mélissa

Octobre 1996 Marche Blanche

Avril 1997 Rapport de la commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’affaire Dutroux

Juin 1997 Rapport de la commission Huybrechts

Juillet 1997 Rapport de la commission chargée des questions d’Intérieur du Sénat

Avril 1998 Evasion de Marc Dutroux

Mai 1998 Accord Octopus

Décembre 1998 Loi sur la Police Intégrée (LPI)

Janvier 2001 La police fédérale voit le jour

Janvier 2002 Les corps de police locale sont créés

Au cours des années quatre-vingt, le pays connaît une vague de phénomènes inquiétants d’un

genre nouveau : terrorisme, banditisme organisé, émeutes urbaines, phénomènes sectaires,

réseaux pédophiles, etc. Le système policier belge ne se montre pas à la hauteur des drames

qui secouent le pays. Des manquements graves sont pointés dans le fonctionnement des

services de police 32. C’est ce qui ressort de la commission d’enquête sur les tueries du

Brabant (l’assassinat – non résolu à ce jour, de vingt-huit citoyens entre 1982 et 1985), mais

aussi du désolant spectacle télévisé du drame du Heysel (trente-neuf morts, quatre cent

cinquante blessés en 1985) ou du feuilleton interminable des Cellules Communistes

Combattantes (1984-1985)33.

La publication, en 1988, d’un audit commandé par le Conseil des Ministres à la société suisse

Team-Consult est sans concession à l’égard du système policier belge. L’examen de la

situation des différents services de police est l’occasion de dresser le constat que ceux-ci sont

dans l’incapacité d’optimiser leurs méthodes, organisation et moyens 34 . Le rapport

recommande alors un projet de redéploiement centralisé de l’appareil policier belge sous

l’autorité d’un ministère de la sécurité. Ce rapport donne lieu à une très vive polémique, des

32 ALLARD, V., CUGNON, C., DE BONDT, J., LINERS, A. et SEBILLE, M., Statuts de la police 2012, Kluwer, 2012, p. 13. 33 BOURDOUX, G.L. et DE VALKENEER, C., La réforme des services de police, op. cit. 34 DE VALKENEER, C., Le droit de la police: la loi, l’institution et la société, Larcier, 1991, p. 280.

21

Page 35: La managérialisation de la police Belge

voix se faisant entendre pour critiquer son coût, la faiblesse de ses analyses ainsi que ses

recommandations35.

Durant la première partie de la décennie nonante, notre pays sera le théâtre d’une activité

parlementaire extraordinaire autour de thèmes liés à la sécurité. Les enquêtes parlementaires

se multiplient pour tenter d’apporter des réponses au sentiment partagé d’une insécurité

galopante. L’une des principales investigations concernant la police est menée par la

Commission Bourgeois (chargée de lutter contre le grand banditisme et le terrorisme à la suite

des tueries du Brabant) ; dans les conclusions du rapport qu’elle remet en avril 1990, elle tire

la sonnette d’alarme au sujet de l’utilisation de méthodes de recherche obsolètes et d’une

collaboration entre services de police à ce point mauvaise qu’elle donnait lieu à une escalade

de la concurrence entre lesdits services36.

Le pouvoir politique tente de prendre le problème de la sécurité à bras-le-corps en lançant, le

5 juin 1990, son « plan de Pentecôte ». Bien que celui-ci maintienne les trois services de

police en activité et que la police communale se voit modernisée, le changement majeur

concerne la gendarmerie, qui est démilitarisée et transformée en un service de police

général 37 . Ce plan tentera de mettre un terme aux tensions entre services de police en

développant la concertation et la coordination entre, d’un côté, les autorités administratives et

judiciaires, de l’autre, les services de police générale38.

En ce début d’années nonante, les mesures visant à renforcer l’efficacité et la coordination des

services de police se multiplieront sous l’impulsion du gouvernement fédéral. Citons ainsi, de

manière non exhaustive, les normes minimales d’effectifs policiers calculées pour chaque

commune, le lancement de contrats de sécurité à la suite des émeutes de Forest et de Saint-

Gilles en 1991, une meilleure concertation entre services de police au sein d’une même entité

géographique mono ou pluri-communale au moyen de la création, en 1995, du concept de

« zone inter polices » (ZIP), ou encore l’élaboration de chartes de sécurité chargées d’orienter

l’action policière selon les priorités définies au sein de la zone39.

35 VAN CAMP, R., Mémento des zones de police 2008 structure et foncionnement, Kluwer, p. 14 ; BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management à la police. Entre logiques organisationnelles et attentes sociales. », in Les dossiers de performance publique, Le management des organisations (2009), no 2, p. 54. 36 VAN CAMP, R., Mémento des zones de police 2008 structure et foncionnement, op. cit., p. 14. 37 Historique de la Gendarmerie, http://www.polfed-fedpol.be/org/org_histo_gend04_fr.php, consulté le 15 mai 2014. 38 VAN CAMP, R., Mémento des zones de police 2008 structure et foncionnement, op. cit., p. 14. 39 BOURDOUX, G.L. et DE VALKENEER, C., La réforme des services de police, op. cit., p. 23.

22

Page 36: La managérialisation de la police Belge

Le train des réformes amorcées à ce jour prendra une tout autre allure et ampleur après

l’électrochoc national provoqué par la découverte dans un jardin de Sars-la-Buissière, durant

l’été 1996, des corps sans vie de deux petites filles : Julie et Mélissa. Ces découvertes

macabres en appelèrent vite d’autres encore. Une vague d’effroi et de peine toucha chaque

foyer belge et déferla dans les rues de la capitale (Marche Blanche). En mettant sous les feux

des médias le manque de coordination entre services de police ainsi que la tentation insulaire

de la gendarmerie, l’affaire Dutroux-Nihoul et consorts constitua l’épilogue d’un système

policier à de nombreuses reprises jugé défaillant, resté trop longtemps en jachère au point que

ses efforts entrepris en faveur d’une plus grande coopération entre services ne purent rectifier

son fonctionnement en roue libre. La réforme complète était désormais incontournable.

En avril 1997, la commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’affaire Dutroux relèvera,

dans son rapport une multitude de dysfonctionnements des systèmes judiciaire et policier. Ce

constat fut analogue à celui de la commission (Bourgeois) chargée sept ans plus tôt de faire la

lumière sur les tueries du Brabant. Ne s’arrêtant pas là, la commission en recommande la

refonte intégrale40. La réforme du paysage policier belge devient à ce moment une priorité du

gouvernement prié de mettre fin une fois pour toutes à la « guerre des polices ».

Le gouvernement chargera alors une nouvelle commission « pour une structure de police plus

efficace » de donner suite aux recommandations de réorganisation des services policiers en

proposant un avant-projet de réforme. La commission Huybrechts déboucha, à la fin du mois

de juin 1997, sur la proposition d’une structure unifiée de police présentant deux niveaux : le

niveau fédéral avec une police criminelle unique (reprenant des effectifs de l’ex-police

judiciaire, de la gendarmerie et du service général d’appui policier), et le niveau local

reprenant les effectifs des polices communales et une partie des brigades de gendarmerie

désormais organisés sur base de ZIP et non plus à l’échelle d’une seule commune. Le tout se

fera, de l’avis de treize membres de la commission sur quinze, sous l’autorité d’un seul

patron41.

Au début du mois de juillet 1997, la Commission de l’Intérieur du Sénat propose une nouvelle

structure policière fondée sur le niveau local, avec un niveau fédéral « complémentaire » (rôle

d’appui).

40 Ibid., p. 25‑26. 41 VAN VAERENBERGH, O., « PJ et Gendarmerie réunies dans un service de proximité. Quinze experts proposent une seule police fédérale. », in Le Soir, p. 34.

23

Page 37: La managérialisation de la police Belge

Le 7 octobre 1997, lors de la déclaration de politique générale du gouvernement, le plan de

réforme est annoncé42. Le Conseil des Ministres approuve trois avant-projets de loi préalables

à la réforme mais ceux-ci n’atteignent pas le Parlement car un événement vient perturber

l’agenda gouvernemental. En effet, le 23 avril 1998, Dutroux s’échappe du véhicule qui

l’emmenait au Palais de justice de Neufchâteau. Le pays replongea dans la psychose les

quelques heures qui furent nécessaires pour l’appréhender. Les ministres de l’Intérieur et de la

Justice démissionnèrent. Quelques jours plus tard, le commandant de la gendarmerie « faisait

un pas de côté »43.

Le 24 mai 1998, tant les partis de la majorité (CVP, PS, PSC et SP) que de l’opposition

(VLD, PRL, FDF et VU) signent l’ « accord Octopus » prévoyant la création d’une police

intégrée, structurée à deux niveaux : un niveau local chargé des fonctions de police de base au

sein de chaque zone de police, et un niveau fédéral assumant les fonctions supra-locales,

spécialisées, et d’appui aux polices locales.

Les dispositions prises dans l’accord Octopus esquisseront les lignes directrices du paysage

policier tracé par la Loi sur la Police Intégrée (LPI) du 7 décembre 1998 organisant un service

de police intégré, structuré à deux niveaux. Cette loi servira de socle à la nouvelle structure

policière. La précipitation qui a conduit à son adoption nécessitera un certain temps

d’adaptation des polices locales. La LPI sera bientôt complétée par la promulgation de

nombreux arrêtés royaux et de circulaires visant à clarifier le fonctionnement des organes

locaux fraîchement établis (zones de police, conseils de police, collèges de police, etc.), le

statut du personnel (le fameux « arrêté Mammouth »), les modalités de recrutement, de

formation et de gestion des informations.

L’ampleur de la réforme ainsi que les délais qui lui sont associés exigent rapidement la mise

en place d’instances de préparation, de réalisation et de pilotage de la réforme regroupant des

membres du cabinet des ministres de l’Intérieur et de la Justice, des fonctionnaires, des

experts, des policiers44.

La police fédérale voit le jour le 1er janvier 2001.

Les corps de police locale seront créés un an plus tard.

42 BOURDOUX, G.L. et DE VALKENEER, C., La réforme des services de police, op. cit. 43 VAN CAMP, R., Mémento des zones de police 2008 structure et foncionnement, op. cit., p. 16. 44 Ibid., p. 17.

24

Page 38: La managérialisation de la police Belge

Il ressort de cette revue exhaustive des critiques adressées aux organes policiers qu’ils

connaissaient des dysfonctionnements graves. L’accumulation des « affaires » a fortement

écorné l’image de cette institution et entraîné sa refonte intégrale.

2.3. La police réformée en quête d’une philosophie commune Le paysage policier belge récemment réformé principalement du point de vue de ses

structures ne tardera pas à produire des textes visant à déterminer quels sont ses missions et

principes fondateurs et au nom de quelle philosophie il agit. La section suivante propose un

bref historique des concepts (CP, son adaptation à la « sauce belge », le développement

organisationnel, et l’Excellence dans la fonction de police) qui sont venus apporter aux

nouvelles structures policières une philosophie d’action, une culture organisationnelle et des

exigences de qualité nouvelles45.

2.3.1. La philosophie du Community Policing (CP)

Le concept de CP est apparu à la fin des années quatre-vingt dans la littérature

scientifique anglo-saxonne et nord-européenne. Il fait suite aux critiques adressées, à l’issue

de recherches en criminologie, aux postulats du modèle policier « classique » jugé inefficace

pour lutter contre la criminalité et garantir la sécurité et l’ordre46.

Tableau 4 – Comparaison entre le Community Policing et le modèle de police traditionnel

Modèle de police traditionnel47 Modèle du Community Policing

Attitude réactive Attitude proactive

Approche symptomatique Approche par résolution de problèmes

Application de la loi Plus grande attention portée au sens de l’action policière pour la communauté

Position isolée de la police Fonctionnement en réseaux (« chaîne de la Sécurité »)

45 TANGE, C., « Émergence d’un modèle de community policing “à la belge” ? Analyse de pratiques de terrain à Bruxelles », in Déviance et société, vol. 24 (2000), no 3, p. 255‑274. 46 BRODEUR, J.-P., « Améliorer les politiques de sécurité. Une approche par les problèmes. », in Connaitre la police : Grands textes de la recherche anglo-saxonne, Les Cahiers de la Sécurité intérieure., Institut des Hautes Études de la Sécurité intérieure, 2003, . 47 PONSAERS, P., TANGE, C. et VAN OUTRIVE, L., Regards sur la police: un quart de siècle de recherche sur sur la police en Europe et dans le monde anglo-saxon, 2009, p. 6.

25

Page 39: La managérialisation de la police Belge

L’inventaire des définitions 48 ayant déjà été dressé extensivement dans la littérature

scientifique, nous préférons nous en tenir à une définition conceptuelle simple insistant sur les

trois tendances communes à toutes les variantes du Community Policing : la proximité

spatiale, géographique et temporelle49.

Figure 1 – Les trois composantes du Community Policing

Le tableau ci-dessous reprend quelques illustrations de la manière dont chacune de ces

dimensions se matérialise50 :

Tableau 5 – Les trois composantes du Community Policing

Proximité spatiale Proximité temporelle Proximité relationnelle

Illus

trat

ions

- Décentralisation

- Délocalisation territoriale des moyens d’action

- Déspécialisation

- Programmes de prévention et îlotage51 au niveau local

- Plus grande présence en rue

- Interventions proactives

- Temps de réponse aux appels

- Rapidité des interventions

- Amélioration de l’accueil du public

- Création de bureaux d’aide aux victimes

- S’assurer des qualités individuelles du policier

- Campagnes publicitaires autour de l’image de la police

48 VANDE SOMPEL, R., PONSAERS, P., VANDEVENNE, Y. et VAN BRANTEGHEM, J.-M., Les sources du Community (Oriented) Policing et son application en Belgique, Direction des Relations avec la Police Locale, 2003 ; PONSAERS, P., TANGE, C. et VAN OUTRIVE, L., Regards sur la police, op. cit., p. 12‑24. 49 SMEETS, S. et TANGE, C., « Le Community Policing en Belgique: péripéties de la constitution d’un modèle de travail policier », op. cit. 50 Ibid. ; CARTUYVELS, Y. et MARY, P., « Politiques de sécurité en Belgique. Les limites d’une approche de proximité. », in Déviance et Société, vol. 26-1 (2002), p. 43‑60. 51 « Système de surveillance policière qui consiste à diviser une ville ou un quartier en îlots placés sous le contrôle d’un îlotier » in Le Petit Larousse 2003, Paris, Larousse, 2002, p. 528.

26

Page 40: La managérialisation de la police Belge

L’adaptation de la philosophie du Community Policing dans notre pays fera couler beaucoup

d’encre et suscitera autant d’espoirs en une police plus proche des citoyens que de méfiance à

l’égard des transformations sociétales de fond affectant qu’elle promeut.

2.3.2. CP1, la proximité « à la sauce belge » 52

Si le concept de Community Policing avait déjà été mis en œuvre de manière

spontanée avant la réforme dans certains corps de police, en majorité au nord du pays, le

pouvoir exécutif ne tardera pas à le récupérer et à en donner une définition complète dans la

circulaire ministérielle CP1 (27 mai 2003) concernant la définition de l'interprétation du

Community Policing applicable au service de police intégré, structuré à deux niveaux.

Mentionnons que le rapport académique qui a servi de base à la rédaction de CP1 jugeait

l’ensemble des expériences menées jusque-là de manière « modérément positive »53.

Doter la police réformée d’une culture policière commune à la fois aux deux niveaux et à

l’ensemble des corps de police locale avait pour ambitions de :

- renouveler son image auprès de la population,

- de clarifier sa place dans la société,

- de recentrer ses efforts sur la réponse aux besoins de sécurité et d’ordre,

- et de préserver, voire d’améliorer la qualité de vie globale de la population.

Autrement dit, il s’agissait de tendre vers une « intégration optimale dans la communauté […]

qui permet[te] à la police et à la population locale de coopérer étroitement afin de résoudre

crimes et délits, et [ainsi] d’éviter le sentiment d’insécurité, les désordres sociaux, la

délinquance du quartier »54.

Pour faire en sorte de ne pas intensifier le flou entourant la définition du Community Policing,

le législateur a forgé le concept de « fonction de police orientée vers la communauté »

(FCOP) de manière à mieux distinguer son adaptation par la police belge du concept anglo-

saxon originel.

Celui-ci s’articule autour de cinq piliers :

52 Circulaire CP1 concernant la définition de l’interprétation du Community policing applicable au service de police intégré, structuré à deux niveaux, 2003. 53 PONSAERS, P., TANGE, C. et VAN OUTRIVE, L., Regards sur la police, op. cit., p. 5. 54 Circulaire CP1 concernant la définition de l’interprétation du Community policing applicable au service de police intégré, structuré à deux niveaux, op. cit.

27

Page 41: La managérialisation de la police Belge

Tableau 6 – Les cinq piliers de la fonction de police orientée vers la communauté (FPOC)

Orientation externe

Résolution de problème Partenariat Justification Implication

capable

- Faire partie intégrante de la société

- Connaissance de ce qui s’y passe

- Satisfaire les attentes de la population en matière de sécurité et de qualité de vie

- Identifier et analyser les causes des troubles

- Agir en temps utile plutôt qu’après coup

- La préoccupation de la sécurité regroupe un réseau d’acteurs

- Rendre des comptes sur la manière de répondre aux besoins

- Créer les possibilités d’aborder les problèmes communs de sécurité

2.3.3. CP2, le développement organisationnel55

Le concept de FCOP sera par la suite intégré à la préoccupation plus managériale de

développement organisationnel dans la circulaire ministérielle CP2 visant à encourager le

développement organisationnel de la police locale axée sur la police de proximité.

Ce texte, développé par le groupe de travail QUALIPOL de CGL, se veut dans la continuité

directe de CP1. Il propose de fournir aux ZP un cadre commun permettant de réaliser

l’approche du FCOP à long terme. Ce cadre se fonde sur un modèle de management « qui a

fait ses preuves, en Belgique et au niveau européen, tant dans le secteur privé que dans

certains services de police »56. Il vise à « […] mettre à disposition de tous les services de

police un système de qualité […] » en rappelant que « […] les chefs de corps peuvent

développer leurs corps librement et à leur propre rythme […] » 57.

Le concept de développement organisationnel, au centre de la CP2, est décrit comme « […]

l’effort permanent que chaque service de police doit porter à l’ensemble des domaines de son

organisation et de son fonctionnement afin :

55 Circulaire ministérielle CP 2 visant à encourager le développement organisationnel de la police locale axée sur la police de proximité, 2004. 56 Ibid. II. Mesures. 57 Ibid.

28

Page 42: La managérialisation de la police Belge

- de satisfaire de mieux en mieux aux exigences et aux attentes justifiées de toutes les

parties prenantes;

- de chercher pertinemment un équilibre entre les exigences et les attentes des différents

groupes de parties prenantes;

- d’obtenir des résultats durables et socialement justifiés;

- d’évoluer pertinemment et par étapes tant dans une même phase de développement

que vers une phase de développement supérieure. »58

Les parties prenantes dont il est question sont, elles aussi, énumérées59 :

Tableau 7 – Les parties prenantes de la démarche de développement organisationnel

Clients (bénéficiaires de services)

Fournisseurs et partenaires Collaborateurs Société

(les tiers)

Direction et financiers

(les donneurs de missions)

Nous ne nous attarderons pas ici sur ce que recouvre chacune de ces catégories de parties

prenantes puisque cette segmentation sera reprise telle quelle dans le modèle d’Excellence

dans la fonction de police (EFP). Nous la découvrirons plus en détail ultérieurement.

Les principes directeurs qui guident la démarche de développement organisationnel sont les

suivants60 :

Tableau 8 – Les principes directeurs de la démarche de développement organisationnel

« Faire les bonnes choses »

« Faire bien les choses »

« Faire mieux les choses »

« Faire faire les choses et les faire

ensemble »

« Leadership audacieux »

Orientation vers le résultat

Transparence sur le plan de l’engagement des personnes et des moyens

Amélioration continue

Collaboration au sein de la « chaîne de la sécurité »

Style d’exercice du pouvoir

La notion de qualité revient à de nombreuses reprises dans ce texte et renvoie essentiellement

ici à la satisfaction du citoyen lorsqu’il rentre en contact avec la police61. L’effort de tous doit

58 Ibid. titre 1.1. 59 Ibid. 60 Ibid. titre 1.3. 61 Ibid. titre 1.4.

29

Page 43: La managérialisation de la police Belge

être de rechercher la « qualité optimale dans l’organisation et le fonctionnement des corps de

police locale, plus particulièrement dans les domaines organisationnels ».

Le développement organisationnel se déploie au cours de cinq phases (activité, processus,

système, chaîne, transformation – qui ne sont par ailleurs pas définies) dont le passage de

l’une à l’autre se fait au terme d’une évaluation de type Deming (cycle PDCA : Plan – Do –

Check – Act).

Le tout est représenté par un schéma récapitulatif62 (ci-dessous) des domaines d’attention du

développement organisationnel :

- la base représente l’organisation ainsi que son fonctionnement

- chacun des trois axes reprend a) les caractéristiques des organisations excellentes63, b)

les piliers de la police communautaire, et c) les différentes phases du développement

organisationnel

- la « roue de Deming » flotte au-dessus de la base afin de rappeler que le passage d’une

phase est le fruit d’une évaluation continue.

Figure 2 – Le développement organisationnel dans CP264

62 ZP BRUXELLES-OUEST, Plan Zonal de Sécurité 2006-2009. 63 EHRENBERG, A., Le culte de la performance, Fayard/Pluriel, 2011. 64 ZP BRUXELLES-OUEST, PZS 2006-2009, op. cit.

30

Page 44: La managérialisation de la police Belge

Le tableau ci-dessous reprend une sélection non exhaustive d’exemples d’initiatives et de

moyens susceptibles d’être mis en œuvre pour coller aux principes précédemment énoncés :

Tableau 9 – Exemples d’initiatives encouragées à des fins de développement organisationnel

- Clarifier la structure

- Culture de la qualité

- Benchmarking interne

- (Auto)-évaluation

- Plan Zonal de Sécurité (PZS) axé sur les objectifs vérifiables

- Atteindre et améliorer normes et standards de qualité

- Formalisation des processus

- Tableaux de bord et de pilotage

- Systèmes de mesure et d’évaluation

- Choix d’un modèle de management EFQM/CAF65

- Échanges d’expériences internes (à la police) ou en dehors de celle-ci

- Accompagnement par un consultant interne ou externe

2.3.3.1. Apports

Les principaux apports de cette CP2 sont la formalisation des initiatives préexistantes

et l’utilisation du plan zonal de sécurité (PZS) comme instrument majeur du développement

organisationnel autour duquel toutes les initiatives gravitent et convergent.

La préoccupation première est de planifier l’organisation et le fonctionnement policiers mais

aussi de veiller à mettre en œuvre une politique policière coordonnée et cohérente.

2.3.3.2. Limites

Citons premièrement le manque de précision entourant certains concepts : que

recouvrent ainsi les différents stades d’évolution que l’organisation policière locale est

enjointe à atteindre ? Quels indicateurs retenir pour mesurer la qualité du travail policier ? On

peut regretter que le texte soit resté muet sur ces deux points précis tant ils sont pourtant

vitaux pour mettre en œuvre les solutions proposées.

Ensuite, le fait que seules les polices locales soient évoquées dans la CP2 explique pourquoi

la police fédérale a longtemps rechigné à s’y reconnaître et à en mettre les préceptes en

œuvre.

Enfin, le modèle, très complexe à saisir, ressemble à une énonciation décousue de bonnes

pratiques managériales dont on peine à percevoir le sens.

65 BERNARD, C., Le Common Assessment Framework (CAF), outil d’évaluation, et le balanced scoreboard (mémoire de fin d’études),ULB, 2010.

31

Page 45: La managérialisation de la police Belge

2.4. L’Excellence dans la fonction de police (EFP)

2.4.1. Introduction

EFQM est l’abréviation de l’European Foundation For Quality Management, fondée

en 1988 par de grandes entreprises européennes telles que Volkswagen, Philips, Renault ou

encore KLM. Cette initiative sera appuyée par la Commission européenne dont la politique en

matière de développement de la qualité ambitionnait de relancer la compétitivité européenne,

le but avoué de ce modèle étant de « stimuler les dirigeants qui souhaitent apprendre, partager

et innover à l’aide du cadre commun qu’est le modèle EFQM d’Excellence »66. Il a donné lieu

à de nombreuses applications au sein des services publics des Pays-Bas en étant, au passage,

légèrement adapté aux spécificités des administrations (INK en 1991, CAF en 2000).

Les services belges de police n’ont pas attendu la réforme, ni même la CP2, pour être animés

par la préoccupation de la qualité de leur travail. Ainsi, avant la réforme, « chacune des 589

polices communales était gérée selon des modalités locales, allant d’une « gestion spontanée »

à la mise en œuvre de modèles comme l’ISO 9001 »67. La gendarmerie avait en cette matière

plusieurs longueurs d’avance puisqu’elle envoyait, dès le début des années nonante, des

officiers à la Vlerick School de l’Université de Gand68. Pour le général Duhaut, le règlement

sur le service général de la gendarmerie, datant de 1963, faisait déjà explicitement mention de

la qualité du travail de police de base69.

Le Plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire70 de 2000 préconisait déjà, aux côtés

d’autres propositions de rapprochement entre secteurs public et privé, l’adoption d’un modèle

de management de type EFQM. La police fédérale est donc très vite devenue membre de cette

fondation et en a dispensé, conjointement à l’Académie de police de Liège, les enseignements

aux zones de police locale71.

S’il est vrai qu’il était déjà fait mention dans la CP2 de 2004 du modèle EFQM, c’est le texte

« Vers l’Excellence dans la fonction de police » de 2007 qui contribuera véritablement à

66 Our history, http://www.efqm.org/about-us/our-history, consulté le 15 mai 2014. 67 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 54. 68 Ibid., p. 55. 69 « On a l’obligation morale de garantir un service de qualité », in Revue de la Gendarmerie, (1997), no 141. 70 CARTUYVELS, Y. et MARY, P., « Politiques de sécurité en Belgique. Les limites d’une approche de proximité. », op. cit., p. 49‑51. 71 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 55.

32

Page 46: La managérialisation de la police Belge

présenter son adaptation à l’institution policière belge (« EFQM Pol Be ou encore EFP »72), à

en définir méthodiquement tous les aspects et à l’articuler aux concepts précédemment

rencontrés de « fonction de police orientée vers la communauté » (CP1) et de « gestion

optimale » (CP2). La notion d’Excellence dans la fonction de police a pour objectif de

chapeauter le tout.

Pour faciliter la lecture de ce travail, nous utiliserons l’abréviation EFP pour désigner le

modèle EFQM Pol Be.

2.4.2. Présentation

L’EFP est la réponse que la police belge entend apporter pour remplir ses différentes

missions: sécurité, qualité de vie, criminalité dans la société, en cherchant à rencontrer le

mieux possible les attentes de ses parties prenantes.

S’il était auparavant question de chercher à assurer un fonctionnement et un travail de qualité

(CP2), il est dorénavant attendu de ne viser rien de moins que l’Excellence.

Le mot d’ordre est l’« intégration » entre services de police locaux et fédéraux: la volonté est

de poursuivre le même objectif et de parler la même langue. Pas étonnant donc que sa portée

s’en trouve renforcée et que la police fédérale n’y échappe cette fois plus73.

Le principe d’autonomie évoqué dans la CP2 est une nouvelle fois rappelé puisque chaque

entité policière peut mettre en œuvre les préceptes dont il est question « librement et à son

propre rythme »74. Il est ensuite rapidement tempéré puisque le commencement d’un nouveau

cycle de politique policière l’année suivante, en 2008, donnant lieu à la rédaction de plans

fédéral et locaux de sécurité faisant le bilan sur les actions menées au cours de la période

écoulée et présentant celles qui auront lieu pour la période à venir, constitue une « opportunité

de mettre en œuvre cette vision » 75.

Ainsi, durant la période de construction graduelle de l’édifice policier, il faudra veiller à

« maintenir l’équilibre entre vision et pragmatisme » et différentes phases d’évaluation auront

72« L’EFQM Police belge consistant en une optimalisation du modèle INK, l’ajout d’une cinquième partie prenante : fournisseurs et partenaires » in ADANS-DESTER, M., « La circulaire CP2 sur le Community Policing : un modèle parmi d’autres? », 2005, p. 7. 73 BRUGGEMAN, W., VAN BRANTEGHEM, J.-M. et VAN NUFFEL, D., « Vers l’Excellence dans la fonction de police », in Politeia, vol. 4 (2007), p. 12. 74 Ibid. 75 Ibid.

33

Page 47: La managérialisation de la police Belge

lieu76. Notons enfin que « […] si l’adoption de ce modèle n’est pas strictement obligatoire

pour les zones de police, le Comité P – service de contrôle de la police – a créé un code

spécifique d’évaluation intitulé ‘défaut d’EFQM’ » 77.

Le modèle EFQM Pol Be est une modélisation complexe (« sept fois cinq notions, reprises

dans quatre notions de base» 78 ) visant à représenter l’ensemble des principes et des

mécanismes devant conduire, lorsqu’ils sont appliqués de manière intégrée, à une plus grande

« sécurité sociétale » à long terme. L’ensemble est associé à une métaphore, celle de la

construction d’une maison.

Figure 3 – Le modèle d’Excellence dans la Fonction de Police (EFP)

76 Ibid., p. 14. 77 Ibid., p. 12. 78 Ibid., p. 58.

34

Page 48: La managérialisation de la police Belge

Le modèle d’EFP repose sur les quatre notions de base 79 suivantes que nous passerons

individuellement en revue dans les prochaines sections :

Tableau 10 – Les quatre notions de base de l’Excellence dans la fonction de police (EFP)

Fonction de police orientée vers la

communauté (FPOC)

Fonction policière guidée par

l’information (FPGI) Sécurité sociétale Gestion optimale

Modèle policier Processus de travail Politique à mener par les autorités

Modèle de management

En conclusion, nous pouvons dire que l’EFP vise à faire la synthèse de principes déjà évoqués

dans CP1 (« fonction de police orientée vers la communauté ») et CP2 (« gestion optimale »,

cycle PDCA, phases d’évolution), à en offrir une définition plus complète et actualisée, ainsi

qu’à présenter les nouveaux concepts de « fonction policière guidée par l’information » et de

« sécurité sociétale ».

Nous commencerons par présenter chacune des quatre notions de base évoquées ci-dessus

avant de nous pencher plus précisément sur celle de « gestion optimale », qui est la plus liée à

l’objet de ce mémoire.

2.4.3. Notions

2.4.3.1. Fonction de police orientée vers la communauté (FPOC)

Cette première notion de base est sous-tendue par cinq piliers :

Figure 4 – Les cinq piliers de la fonction de police orientée vers la communauté (FCOP)

Tableau 11 – Les cinq piliers de la fonction de police orientée vers la communauté (FCOP)

Orientation externe Résolution de problème Partenariat Justification Implication

capable

- Faire partie intégrante - Identifier et analyser les

- La préoccupation

- Rendre des comptes sur la

- Créer les possibilités

79 Ibid., p. 10.

35

Page 49: La managérialisation de la police Belge

de la société

- Connaissance de ce qui s’y passe

- Satisfaire les attentes de la population en matière de sécurité et de qualité de vie

causes des troubles

- Agir en temps utile plutôt qu’après coup

de la sécurité regroupe un réseau d’acteurs

manière de répondre aux besoins

d’aborder les problèmes communs de sécurité

Les piliers de la FPOC, déjà énoncés dans la CP1, visent à définir le style, la finalité et le

cadre culturel de la police belge. Ces principes valent pour toutes les activités opérationnelles

de base et spécialisées. Ils s’appliquent à tous les échelons (local, supra-local, national et

international) du travail policier.

2.4.3.2. Fonction policière guidée par l’information (FPGI)

La deuxième notion de base comporte cinq caractéristiques :

Figure 5 – FCOP + FPGI

Tableau 12 – Les cinq caractéristiques de la fonction de police guidée par l’information (FPGI)

Ciblant les objectifs

Assurant l’échange

Offrant une plus-value

Assurant l’échange

Ciblant les objectifs

- Informations au cœur du travail policier

- Attention portée à la collecte, au traitement et à l’utilisation des informations

- Volonté d’agir en amont des phénomènes ou incidents et pas seulement après qu’ils aient eu lieu

- Les informations recueillies, stockées, traitées et diffusées sont de qualité et utiles

- L’information circule

- L’échange est mutuel (police locale, fédérale, partenaires, autorités, …)

- Définition des services / acteurs les plus aptes à collecter et à transmettre les informations nécessaires

36

Page 50: La managérialisation de la police Belge

La FPGI sert de fil rouge pour l’ensemble des processus policiers. Elle vise à transformer les

données (faits, renseignements ou observations n’ayant pas été interprétés) qui parviennent à

la police en informations (« lorsque l’on a octroyé un sens aux données »), puis en

connaissances (« lorsque les informations sont associées à l’expérience ») permettant de

formuler des objectifs, mener des actions, évaluer leurs effets, les corriger et en fixer de

nouvelles80.

Les collaborateurs policiers chargés de la fonction de police de base, qui sont en contact étroit

avec la(les) communauté(s) sont, à ce titre, un maillon indispensable de FPGI. « Ils sont les

yeux et les oreilles de la police intégrée »81.

L’analyse des renseignements ainsi récoltés permet de déterminer quels problèmes doivent

être traités en priorité et quels sont ceux qui doivent être pris en charge par d’autres acteurs82.

80 Ibid., p. 12. 81 Ibid., p. 26. 82 Ibid.

37

Page 51: La managérialisation de la police Belge

2.4.3.3. Sécurité sociétale

La troisième notion de base consiste en la succession de cinq types de

mesures policières:

Figure 6 – Les cinq types de mesures de la sécurité sociétale (SSoc)

Tableau 13 – Les cinq types de mesures de la sécurité sociétale (SSoc)

Pro-action Prévention Préparation Réaction Suivi

Déf

initi

ons

- Anticiper les problèmes de sécurité, de criminalité et de qualité de vie

- Agir sur les raisons structurelles et indirectes

- Agir sur les causes situationnelles et directes des problèmes

- Limiter les conséquences des problèmes

- Les partenaires de sécurité sont en mesure de réagir d’une manière adéquate

- Intervention réelle lorsque des problèmes sont constatés

- Les mesures à mettre en place pour retourner à la situation ‘normale’

Exem

ples

- Avis sur l’aménagement de l’infrastructure en cas d’insécurité routière

- Effectuer des patrouilles policières

- Mettre en place un réseau d’information de quartier

- Maintenance du matériel

- Formations

- Rédaction de protocoles de coopération

- Constatation de délits

- Assistance en cas d’accident routier

- Fermeture d’institutions

- Offrir un hébergement

- Effectuer une ‘revisite’

- Évaluer le travail de tous les partenaires en cas de catastrophe

Dans ce cadre, l’organisation policière souligne la nécessaire collaboration avec d’autres

acteurs (associations, communautés, enseignement, médias, justice, services communaux)

afin de tendre vers une plus grande sécurité sociétale. Le caractère complexe d’une politique

de sécurité ici rappelé ne se résume pas à prendre des mesures au moment même où un

problème survient.

38

Page 52: La managérialisation de la police Belge

2.4.3.4. Gestion optimale

La dernière notion de base est un modèle de management venant à l’appui des notions

de FCOP et de FPGI. Elle repose sur cinq principes :

Figure 7 – FCOP + FPGI + Gestion optimale (GO)

Tableau 14 – Les cinq principes de la gestion optimale (GO)

Orientation vers le résultat Transparence Collaboration Amélioration

continue Leadership audacieux

- La direction s’assure de la valeur ajoutée des efforts

- Elle veille à rencontrer les attentes des différentes parties prenantes

- Identifier les responsabilités, compétences et moyens internes

- Management et collaborateurs travaillent de manière professionnelle

- Faire coïncider attentes personnelles et objectifs de l’organisation

- « Les structures bureaucratiques sont exclues » 83

- Vérification systématique de l’alignement entre résultats mesurés et objectifs stratégiques

- Les dirigeants sont intègres, dynamiques et persévérants

Une organisation efficace et pertinente accorde une attention constante et simultanée dans sa

gestion optimale aux cinq domaines d’organisation du travail policier :

Figure 8 – FCOP + FPGI + GO + Domaines d’organisation (DO) du travail policier

83 Ibid., p. 34.

39

Page 53: La managérialisation de la police Belge

Tableau 15 – Les cinq domaines d’organisation (DO) du travail policier

Leadership Stratégie et politique

Management des collaborateurs

Management des moyens

Management des processus

- La direction traduit les objectifs de l’organisation dans la réalité quotidienne

- Elle stimule l’amélioration continue

- L’organisation concrétise sa mission dans une stratégie claire

- Cette stratégie se décline ensuite en politique concrète, plans budgets et processus

- Pour réaliser ses objectifs, l’organisation met en œuvre, stimule, soutient et valorise ses collaborateurs

- « Les personnes sont là pour l’organisation mais l’organisation est aussi là pour son personnel » 84

- Affectation des moyens disponibles à la stratégie et à la politique pour exécuter les activités de l’organisation de manière efficace et pertinente

- Identification et maîtrise des processus

- Amélioration et renouvellement là où cela s’avère nécessaire

- Recherche d’un équilibre entre la gestion normalisée (procédures et directives émanant de la direction) et l’autonomie des collaborateurs

La gestion optimale d’une organisation efficace et pertinente recommande de porter une

attention constante et simultanée aux attentes légitimes de cinq groupes de parties prenantes :

Figure 9 – FCOP + FPGI + GO + DO + Parties prenantes (PP)

84 Ibid., p. 37.

40

Page 54: La managérialisation de la police Belge

Tableau 16 – Les cinq groupes de parties prenantes (PP) auxquels fait référence la gestion optimale

Clients (bénéficiaires de

services)

Fournisseurs et partenaires Collaborateurs Société

(les tiers)

Direction et financiers

(les donneurs de missions)

Déf

initi

ons

- « Sous ce vocable, sont compris les (citoyens) clients » 85

- Les bénéficiaires de prestations policières répartis dans différents groupes cibles

- Ceux qui jouent un rôle dans la chaîne de sécurité tant au niveau (supra-) local qu’ (inter-) national

- Des groupes de collaborateurs constitués sur base du sexe, de l’âge, du cadre, du niveau, du grade, … peuvent avoir des attentes différentes

- Ensemble de groupes portés par un intérêt qui ne sont pas en contact ou usagers des services de la police

- Ensemble des autorités judiciaires et administratives tant au niveau local, intermédiaire qu’au niveau régional et fédéral

Exem

ples

- Plaignants

- Victimes

- Riverains

- Services communaux

- Autres corps de police

- Interpol

- Inspecteurs

- Conseillers

- CALog86

- Association de quartier

- Club de football

- Écoles

- Bourgmestre

- Gouverneur

- Procureur du Roi

La gestion optimale doit être comprise comme un processus permanent d’apprentissage

organisationnel. Chaque organisation policière évolue. Cette évolution se fait en passant par

les cinq phases d’évolution suivantes :

Figure 10 – FCOP + FPGI + GO + DO + PP + Phases d’évolution (PEv)

85 Ibid., p. 38. 86 Personnel du cadre administratif et logistique

41

Page 55: La managérialisation de la police Belge

Tableau 17 – Les cinq phases d’évolution (PEv) de la gestion optimale

Orientation vers l’activité

Orientation vers le processus Orientation vers le système Orientation vers la chaîne Orientation par la

transformation

Déf

initi

ons

- Chacun exécute le mieux possible son travail

- Le savoir-faire est valorisé et entretenu par des formations

- L’organisation essaie de remédier aux plaintes formulées à son encontre

- L’organisation produit de la qualité

- Maîtrise des processus primaires (maintien de l’ordre, recherche, aide,…)

- Gestion des moyens à l’aide d’indicateurs de prestations

- Processus améliorés lorsque des failles sont constatées

- Tous cherchent à améliorer l’organisation en tant qu’entité

- Cycle PDCA appliqué aux processus primaires, d’appui et de gestion

- Focalisation sur le client dominante

- Les efforts des partenaires portent sur la valeur ajoutée maximale

- Détermination du partenaire le plus apte à exercer chaque tâche

- L’innovation est encouragée

- Capacité d’anticipation et d’adaptation des activités aux changements

- Vision à long terme

Exem

ples

Produire de la qualité sur le lieu de travail

Produire de la qualité dans ses processus essentiels ou primaires

Produire de la qualité dans l’ensemble de l’organisation

Produire de la qualité grâce à l’ensemble des partenaires concernés

Produire de la qualité grâce à l’anticipation et la réaction aux changements

42

Page 56: La managérialisation de la police Belge

2.4.4. Discussion

Nous verrons dans cette section quels enseignements tirer de l’analyse critique des

concepts de l’EFP évoqués précédemment.

Tout d’abord, ce qui nous a frappé d’emblée après cette extensive énumération de concepts,

c’est l’extraordinaire complexité du modèle de police d’Excellence. Pour rappel, ce dispositif

conceptuel vise à faire la synthèse de tout ce qui existe déjà et a fait ses preuves. Son ambition

n’est pas d’opérer une révolution des pratiques et de l’organisation policière, mais de

permettre que celles-ci évoluent sur base des expériences et des connaissances acquises87. Ce

constat acté, Smeets et Tange posent une question essentielle sur laquelle nous aurons

l’occasion de revenir en détail dans le chapitre IV : comment ce modèle se matérialise-t-il

dans les pratiques policières88?

Ce qui a ensuite attiré notre attention, c’est la disparition partielle ou totale de termes tels que

« service public », « citoyens », « population », « démocratie » et leur remplacement par des

concepts comme « organisation apprenante », « efficacité/efficience », « client », « parties

prenantes », « communautés », … Nous aurons l’occasion de revenir, dans le chapitre III, sur

ce point qui nous semble être symptomatique du changement paradigmatique à l’œuvre.

Ce qui ressort enfin de ce modèle, c’est l’extraordinaire effort fait en matière de formalisation

et de planification des aspects organisationnels et des pratiques policières. L’EFP vise rien de

moins qu’à englober tous les aspects de l’activité et de l’institution policière à des fins de

réajustement permanent des actions vis-à-vis des résultats enregistrés (efficacité) et des

moyens disponibles (efficience) dans une perspective de qualité du service offert aux parties

prenantes.

87 BRUGGEMAN, W., VAN BRANTEGHEM, J.-M. et VAN NUFFEL, D., « Vers l’Excellence dans la fonction... », op. cit., p. 13. 88 SMEETS, S. et TANGE, C., « Le Community Policing en Belgique: péripéties de la constitution d’un modèle de travail policier », op. cit., p. 10.

43

Page 57: La managérialisation de la police Belge

3. LA THÉORIE DU NEW PUBLIC MANAGEMENT

(NPM)

44

Page 58: La managérialisation de la police Belge

3.1. Introduction Dans ce chapitre, nous commencerons par décrire la genèse du concept du New Public

Management (traduit dans la littérature francophone par « nouveau management public » ou

« nouvelle gestion publique », abrévié en NPM ci-dessous), depuis son origine sous la plume

de C. Hood (1991) jusqu’en ses développements les plus récents.

Nous examinerons ensuite quels sont les fondements théoriques sur lesquels il repose ainsi

que ses principes les plus souvent évoqués dans la littérature.

Ceci nous permettra de nous atteler par la suite à l’analyse des effets et des limites de ce cadre

conceptuel permettant de comprendre les administrations.

Nous le clôturerons enfin cette partie en revenant sur notre première hypothèse de recherche.

3.2. Genèse et évolution historique Ce concept a fait son apparition dans la littérature académique sous la plume de C.

Hood89 il y a maintenant une vingtaine d’années. L’auteur tentait de trouver un fil rouge

caractérisant les mutations de fond qui affectaient les services publics britanniques dans le

courant des années quatre-vingt. Aujourd’hui encore, le concept est toujours très présent dans

la littérature anglo-saxonne et est régulièrement mobilisé sur le Vieux Continent pour

désigner les évolutions similaires qu’ont connues également nos services publics. Le

mouvement du NPM est à la fois radical et total par son envergure et son intensité. Il touche

tous les services publics, constitue un phénomène global toujours croissant, aux prétentions

universelles et donnant lieu à une multitude d’études empiriques au point de perdre en clarté

et en lisibilité90

Bien que le terme de NPM soit aujourd’hui plus utilisé que jamais, le sens qu’il revêt a

sensiblement évolué entre son acte de naissance et la réalité des institutions publiques du

début du XXIe siècle. Pour mieux en cerner les contours, un passage par l’histoire des

différentes phases de maturation du concept de NPM s’impose. C’est ce qui sera détaillé ci-

dessous.

89 HOOD, C., « A Public Management for All Seasons? », in Public Administration, vol. 69 (1991), no 1, p. 3‑19 ; HOOD, C., « The “new public management” in the 1980s: Variations on a theme », in Accounting, Organizations and Society, vol. 20 (1995), no 2-3, p. 93‑109. 90 DIEFENBACH, T., « New Public Management in public sector organizations: the dark sides of managerialistic enlightenment », in Public Administration, vol. 87 (2009), no 4, p. 892.

45

Page 59: La managérialisation de la police Belge

Au départ, au début des années nonante, il s’agissait de caractériser l’évolution des styles de

management et des structures 91 des administrations d’antan, fréquemment jugées trop

bureaucratiques et inefficaces. L’idée dominante à l’époque, sous-tendue par de nombreux

courants théoriques issus des sciences politiques et économiques et reprise ensuite par la

vulgate managériale 92 , est de conscientiser les acteurs politiques et administratifs sur la

situation jugée critique de nos administrations. L’Etat-providence et la bureaucratie

wébérienne doivent être réformés en raison de leurs effets pervers (culture de la dépendance,

faible étendue de la qualité, inefficience, coûts croissants)93. Le contexte délétère (à cause de

l’explosion de la dette publique et de la perte de confiance des citoyens) des années quatre-

vingt aidant, il s’agissait là d’une opportunité pour les responsables politiques de « reprendre

en main » les commandes des administrations en vue d’accroître leur propre légitimité94. Le

discours sur la nécessaire modernisation des services publics, porté par certains réseaux

d’experts-marchands de solutions toutes faites et entendu par une classe politique aux abois

qui s’en fera le porte-voix, conduira donc à substituer des mécanismes de transformations

centrales aux traditionnelles et procédurales machines bureaucratiques que sont les

administrations95. C’est la Grande-Bretagne qui, la première et sous l’impulsion des idées

néo-libérales du gouvernement Thatcher, servira de laboratoire à l’adoption, à

l’implémentation et à la promulgation des idées du NPM96. Les États-Unis d’Amérique et le

Canada feront également partie du peloton de tête des réformateurs de l’Etat, avant d’être

rejoints par la Nouvelle Zélande, l’Australie et enfin l’Europe continentale.

3.3. Un concept aux multiples visages97 En ce début des années quatre-vingt, la forme que prennent les réformes issues du

NPM est pour le moins « néolibérale » ; il s’agit de parvenir à un amincissement étatique au

91 LAPSLEY, I., « New Public Management: The Cruellest Invention of the Human Spirit? », in Abacus, vol. 45 (2009), no 1, p. 3. 92 Voir section consacrée aux fondements théoriques du NPM 93 MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique : un concept mythique », in Lien social et Politiques, (1999), no 41, p. 95 ‑ 103 ; DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 905 ; CROZIER, M., Le phénomène bureaucratique, Édition : Seuil., Paris, Seuil, 1971. 94 MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique... », op. cit. 95 LAPSLEY, I., « New Public Management... », op. cit., p. 5. 96 Ibid., p. 3 ; KERAUDREN, P., « Entre nouveau management public et gouvernance : les spécificités de la réforme de l’administration centrale en Grande-Bretagne », in Politiques et management public, vol. 17 (1999), no 1, p. 59‑92. 97 Cette section reprend largement les conclusions de l’histoire de l’introduction du NPM qu’en fait Philipe Bezes dans BEZES, P., « Le renouveau du contrôle des bureaucraties. L’impact du New Public Management », in Informations sociales - Caisse nationale des allocations familiales, vol. 6 (2005), no 126, p. 26‑37.

46

Page 60: La managérialisation de la police Belge

travers des politiques de réduction des dépenses publiques, de la privatisation et du retrait

progressif de l’Etat d’un certain nombre de domaines. Les tenants du NPM préconisent

l’externalisation et la « débureaucratisation » par privatisation et mise en concurrence.

La doctrine du NPM dénonce ensuite les lourdeurs hiérarchiques des bureaucraties et l’inertie

de leur fonctionnement. Elle préconise de renforcer l’autonomie et la liberté des gestionnaires,

d’alléger les formes de contrôle, de faire preuve de davantage de redevabilité (accountability)

vis-à-vis des usagers et d’encourager la participation des agents publics à la réforme de l’Etat.

Cette seconde variante place le citoyen-usager au centre des réformes. Les idées en vogue à ce

moment-là sont celles de qualité, d’ « organisation apprenante », de libéralisation, d’esprit

d’entreprise, de dérèglementation, etc.

Au cours des années nonante, la théorie du NPM prend une nouvelle orientation inspirée de

théories d’économie publique plébiscitées à cette époque (détaillées dans la section suivante).

Aux principes de retrait de la sphère de compétences publiques et d’autonomie des

administrations vient s’ajouter l’idéal d’un meilleur contrôle par la classe politique. Les

préconisations réaffirment donc la primauté de l’acteur politique sur le fonctionnaire. Les

contrôles se renforcent par le biais de nominations politiques des postes clefs au sommet des

administrations et par la multiplication des formes de contractualisation entre niveaux

hiérarchiques en vue de formaliser l’engagement des hauts fonctionnaires et de clarifier les

attentes des politiques à leur égard en termes d’objectifs à atteindre. Les administrations sont

redevables à la fois envers leurs autorités et envers les usagers.

Depuis, la tendance au contrôle s’est renforcée par l’introduction dans les administrations

d’outils de gestion issus du secteur privé 98 . La mise en place d’appareils de recueil et

d’analyse de données se rapportant à des indicateurs préalablement définis se généralise. Les

tenants du NPM se font alors les chantres d’un certain déterminisme techniciste (néo-

taylorisme) comme unique horizon de gestion des administrations. Les moyens mis en œuvre

à l’occasion de ce tournant managérial sont nombreux : la généralisation des contrats

d’objectifs – pour la plupart quantitatifs, l’introduction de la comptabilité analytique (calcul et

comparaison des postes de coûts), la mesure de la performance des agents et des services, la

recherche constante de l’Excellence ou de la qualité, la multiplication des indicateurs en tous

genres, la comparaison entre unités (benchmarking), les systèmes d’incitations financières sur

base du mérite, la rédaction de charte des usagers de l’organisation, etc. Les modes de

98 HOGGETT, P., « New Modes of Control in the Public Service », in Public Administration, vol. 74 (1996), no 1, p. 9‑32.

47

Page 61: La managérialisation de la police Belge

contrôle de l’organisation prennent alors la forme d’un pilotage des administrations à distance

(steering at distance) censé renforcer l’autonomie des gestionnaires en même temps que le

pouvoir des élus. Les termes du contrôle administratif traditionnel tels que dérivés de la

bureaucratie idéal-typique changent eux aussi radicalement. Les principes ex ante (règles) qui

constituent le cœur du modèle bureaucratique d’antan sont remplacés par des contrôles ex

post reposant sur le calcul et le contrôle des coûts ainsi que sur la surveillance des réalisations

des activités (mesure de la performance). Les contrôles de régularité sont tendanciellement

remplacés par des contrôles d’efficacité99 et d’efficience100. Les contrôles des moyens font

place aux contrôles des résultats. Les préceptes diffusés par les tenants du NPM véhiculent de

nouvelles conceptions politiques, économiques et gestionnaires du contrôle de

l’administration.

3.4. Fondements théoriques Le NPM puise ses racines dans de nombreux courants théoriques issus de la sociologie

des organisations, des théories économiques et des pratiques de gestion de firmes privées.

Les travaux, au cours des années soixante et septante, de théoriciens des organisations tels que

Merton, Blau, Selznick, Gouldner ou Crozier ont vivement dénoncé les dysfonctionnements

du modèle bureaucratique wébérien alors encore très présent dans les administrations :

« cercles vicieux », ritualisme bureaucratique, localismes, inflation des règles impersonnelles,

tendance à la centralisation, démotivation de l’encadrement subalterne, etc. Le modèle

bureaucratique wébérien apparaissait alors comme bloqué, gangréné de l’intérieur, incapable

d’apprendre de ses erreurs, condamné à retomber dans les travers qui jetaient sur lui le

discrédit.

Il se nourrit ensuite des théories issues du champ de l’économie publique telles que la théorie

du Public Choice (Niskanen), celles des coûts de transaction (Williamson) ou de l’agence

(Jensen et Meckling). Celles-ci attirent l’attention des décideurs politiques sur les travers de la

trop grande autonomie laissée aux administrations : extension continue et utilisation

discrétionnaire des budgets publics, responsables politiques et administratifs incapables

d’opérer des choix rationnels car prisonniers du flux d’information délivré par les niveaux

inférieurs, poursuite d’intérêts de certains (maintien de l’administration) au détriment de

l’intérêt de tous (missions de l’administration), incapacité d’améliorer l’efficience et

99 Confrontation des objectifs avec les résultats obtenus 100 Confrontation des moyens utilisés et des résultats atteints, comparaison avec d’autres unités administratives (voire firmes privées ou étrangères)

48

Page 62: La managérialisation de la police Belge

l’efficacité des services par manque de signaux (indicateurs), pas de prise en compte des

transformations de l’environnement (globalisation, compétition des firmes privées), etc. Ces

théories sont apparues dans un contexte de fuite en avant des dépenses publiques et n’ont pas

eu de peine à trouver une oreille attentive auprès de gouvernements qui voyaient là une

occasion de justifier leur difficulté (voire leur incapacité) à mettre en œuvre de manière

durable les décisions annoncées.

Le NPM se fait également la caisse de résonance de best practices et autres modes

managériales successives des firmes privées : principe de qualité totale, « zéro défaut »,

recherche de l’excellence, comptes à rendre, contractualisation de l’engagement des

employés, plus grande autonomie dans l’exécution des tâches, recherche d’une plus grande

efficacité et efficience, ou encore évaluation des résultats.

De nombreux concepts du NPM ont certainement été introduits pour de bonnes raisons,

partant d’une critique du paternalisme, de l’Etat-providence et de la « culture de la

dépendance » (Newman 1998), d’une forte déception de l’étendue de la qualité et de

l’efficience des services fournis par les administrations, ils nourrissaient alors l’espoir,

compréhensible, que les services publics peuvent être rendus de manière bien plus appropriée

et efficace que les bureaucraties « traditionnelles »101.

Le NPM est un modèle théorique initialement descriptif102, parfois normatif agrégeant un

ensemble hétérogène d’axiomes – Hood parle lui-même de « véritable puzzle doctrinal » à

vocation générique 103 , tirés de théories économiques, de prescriptions managériales, de

descriptions de pratiques expérimentées à l’occasion de réformes (notamment dans les pays

anglo-saxons) et de rationalisations doctrinales réalisées par des organisations transnationales

(OCDE, Banque Mondiale, …)104. Une des caractéristiques des réformes inspirées du NPM

(et qui semble venir du modèle lui-même) est le flou qui les entoure. Ce flou permet aux

réformes de se diffuser en signifiant des choses différentes à des publics distincts, il les rend

appropriables et en fait des « idéologies molles » selon le bon mot de Bruno Jobert105.

101 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 905. 102 L’article de Hood de 1991 ne constitue ni un modèle normatif ni un modèle pour le changement, il s’agit d’une réflexion sur ce qui se passe en Grande-Bretagne dans les années quatre-vingt. 103 Hood, 1991, cité dans BEZES, P., « Construire des bureaucraties wébériennes à l’ère du New Public Management ? », in Critique internationale, n° 35 (28 août 2007), no 2, p. 18. 104 BEZES, P., « Le renouveau du contrôle ... », op. cit. 105 Cité dans DE MAILLARD, J., « Réformes des polices dans les pays occidentaux », in Revue française de science politique, Vol. 59 (7 janvier 2010), no 6, p. 1206.

49

Page 63: La managérialisation de la police Belge

3.5. Principes à la base De nombreux auteurs ont pourtant tenté de faire la synthèse des principes qui

caractérisent le NPM. Au vu de l’hétérogénéité des directions qu’ils ont prises, nous avons

jugé utile, tout d’abord, de chercher à rattacher chacun des principes qu’ils avancent à une ou

plusieurs thématiques centrales. Au terme de cet exercice, nous serons en mesure d’établir un

tableau faisant la synthèse des principes avancés par ces auteurs et qui servira à alimenter la

réflexion que nous conduirons sur la pertinence de notre première hypothèse (H1) pour

répondre à notre première question de recherche (Q1).

Ci-dessous, nous commencerons par présenter les principes du NPM tels qu’avancés par

quatre auteurs.

Merrien (1999) 106 distingue huit principes :

Tableau 18 – Principes à la base du NPM selon Merrien (1999)

Principes avancés par l’auteur Thèmes centraux

1 La création de marchés ou quasi-marchés dans les secteurs appartenant autrefois à la catégorie économique des biens publics de nature monopolistique - Privatisation

2 La distinction entre les rôles de fournisseur de services [l’administration] et de décideur [politique]

- Séparation des fonctions politiques et administratives

3 La substitution des agences fonctionnelles autonomes (contrats de prestations et budgets globaux) aux services - Spécialisation

4 Le remplacement des procédures hiérarchisées par des procédures contractuelles ou semi-contractuelles - Contractualisation

5 L’encouragement de la rivalité entre agences publiques et privées - Orientation vers le marché

6 Le principe de la responsabilisation des agences à l’égard de leurs clients, de leurs financeurs publics directs (Etat) et indirects (les contribuables)

- Reddition de comptes

- Transparence

7

La mesure des performances des agents publics, l’introduction des critères de compétence et de performance en lieu et place de l’ancienneté pour déterminer leur niveau de rémunération. Les « top managers » font leur entrée à la tête des administrations

- Responsabilisation

- Evaluation

106 MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique... », op. cit., p. 98‑99.

50

Page 64: La managérialisation de la police Belge

8 Les usagers sont des clients qui doivent pouvoir orienter leur choix en fonction de la qualité des services et de leur prix

- Développement du marketing public (enquêtes, sondages, etc.)

De Visscher et Varone (2004)107, pour leur part, en listent six :

Tableau 19 – Principes à la base du NPM selon Visscher et Varone (2004)

Principes avancés par l’auteur Thèmes centraux

1 Séparation de la prise de décision stratégique (qui relève du pouvoir politique) de la gestion opérationnelle (qui est sous la responsabilité de l’administration)

- Séparation des fonctions politiques et administratives

2 Orientation des activités administratives en fonction des produits/services à fournir plutôt que des règles procédurales à suivre

- Gestion par les résultats

3 Réduction de la hiérarchie, cure d’amincissement à destination des bureaucraties, décentralisation de certaines tâches administratives et délégation de la gestion au niveau le plus bas (selon le principe de subsidiarité)

- Décentralisation

- Déconcentration

- Aplanissement organisationnel

- Responsabilisation

4 Le recours à des mécanismes de type marché dans la production de biens et services d’intérêt général

- Orientation vers le marché

5 Création de la transparence sur la qualité et les coûts des prestations administratives - Transparence

6 Implication des usagers (ou clients) dans la définition et l’évaluation des prestations administratives - Marketing public

Hood, dans son article de 1991, fait quant à lui état de sept caractéristiques108 :

Tableau 20 – Principes à la base du NPM selon Hood (1991)

Principes avancés par l’auteur Thèmes centraux

1 Le découpage du secteur public en des unités distinctes organisées par produits - Décentralisation fonctionnelle

107 DE VISSCHER, C. et VARONE, F., « La nouvelle gestion publique “en action" », in Revue internationale de politique comparée, vol. 11 (2004), no 2, p. 180. 108 Cité par LAPSLEY, I., « New Public Management... », op. cit., p. 3.

51

Page 65: La managérialisation de la police Belge

2 La généralisation de la contractualisation des prestations administratives - Contractualisation

3 L’utilisation du stress comme style de management dans le secteur public - Management

4 La recherche de l’efficience dans l’usage des ressources - Optimisation des ressources

5 La présence d’un management de proximité visible

- Aplanissement organisationnel

- Management

6 L’établissement de standards de performance et de succès mesurables, explicites et formels

- Contrôle

7 L’accent mis sur le contrôle des résultats

Dans un article plus récent (2009), Diefenbach109 discerne pour sa part seize éléments à la

base du NPM répartis en cinq catégories :

Tableau 21 – Catégories utilisées par Diefenbach (2009) pour structurer les principes du NPM

Catégories Intitulés

I Environnement d’activités et objectifs stratégiques

II Structures et processus organisationnel

III Management de la performance et systèmes de mesure

IV Management et managers

V Employés et culture d’entreprise

Tableau 22 – Principes à la base du NPM selon Diefenbach (2009)

Principes avancés par l’auteur Cat. (auteur) Thèmes centraux

1 La plus forte pression extérieure, environnement plus complexe et changeant

I

- Transformation de l’environnement

2 Le constat que l’organisation n’a d’autre alternative que de changer selon des tendances qui la dépassent

- Transformation de l’environnement

3 L’orientation vers le marché : la marchandisation des services sous le slogan « en avoir pour son argent » (value for money)

- Privatisation

- Orientation vers le marché

109 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit.

52

Page 66: La managérialisation de la police Belge

4 L’orientation vers les parties prenantes : l’influence des divers groupes de parties prenantes

- Marketing public

5 L’orientation clients : considérer la prestation de services du point de vue des clients

- Reddition de comptes

6 La recherche d’une plus grande efficience organisationnelle, efficacité et productivité au moyen d’indicateurs de mesures

- Gestion par les résultats

- Contrôle

7 La réduction des coûts, des effectifs, le recours à la concurrence, l’externalisation, la privatisation des services

- Optimisation (ressources humaines et financière)

- Orientation vers le marché

- Externalisation / Privatisation

8 La décentralisation et réorganisation des unités organisationnelles, l’adoption de structures plus flexibles, la réduction des niveaux de hiérarchie

II

- Décentralisation

- Aplanissement organisationnel

- Spécialisation

9 L’attention portée à l’optimalisation des processus - Optimisation

(processus)

10 L’usage de concepts managériaux largement acceptés comme outils de management stratégique et opérationnel

- Management

- Planification stratégique

11 La mise en place de systèmes de mesure et de contrôle permettant l’évaluation systématique des aspects individuels et collectifs de la performance au moyen d’indicateurs de performances standardisés

III

- Contrôle

- Gestion par les résultats

12 Le souhait d’une amélioration de l’efficience, de la productivité et de la qualité des services fournis par les travailleurs

- Optimisation (qualité des services)

- Gestion par les résultats

13 L’établissement d’une « culture du management » : celui-ci est défini comme une fonction distincte de l’organisation IV

- Culture organisationnelle

14 Le constat que les managers ont le monopole des fonctions managériales dans l’organisation

- Organisation du travail

15 L’exaltation des principes d’autonomisation (empowerment) et de subsidiarité. Il est en outre attendu du personnel qu’il développe des attitudes « business-like », voire entrepreneuriales V

- Management

- Responsabilisation

16 Les discours sur le leadership et le souhait d’établir une nouvelle culture d’entreprise

- Culture organisationnelle

53

Page 67: La managérialisation de la police Belge

Au terme de cette analyse, nous pouvons remarquer que les auteurs s’accordent sur une série

de principes communs et se montrent plus originaux quant à d’autres. Pour y voir plus clair,

notre classification en thèmes principaux prend tout son sens. Après avoir recensé les thèmes

principaux que nous avons attribués aux principes de ces quatre auteurs, nous décidons

d’appareiller ces thèmes principaux selon la proximité qu’ils entretiennent avec l’objet

auxquels ils réfèrent.

Conscients du caractère hautement subjectif de cette démarche, nous décidons cependant de

ne pas y renoncer car elle fournit une structure intéressante pour la section suivante consacrée

aux effets qui découlent de l’application de ces principes.

Ci-dessous, le produit de notre exercice d’appareillement des thèmes principaux extraits des

lectures des tableaux des principes du NPM avancés par Merrien (1999), Visscher et Varone

(2004), Hood (1991) et Diefenbach (2009) :

Tableau 23 – Appareillement des thèmes principaux extraits de nos lectures sur le NPM

Structure et processus

- Aplanissement organisationnel

- Décentralisation

- Déconcentration

- Organisation du travail

- Planification stratégique

- Spécialisation

- Transformation de l’environnement

Modes de contrôle

- Contrôle

- Evaluation

- Gestion par les résultats

- Management

- Optimisation (processus, qualité des services, ressources humaines et financières)

Philosophie à la base du service public

- Contractualisation

- Externalisation / Privatisation

- Marketing public

- Orientation vers le marché

- Privatisation

- Reddition de comptes

- Séparation des fonctions politiques et administratives

- Transparence

Culture organisationnelle - Culture organisationnelle

- Responsabilisation

54

Page 68: La managérialisation de la police Belge

En conclusion, nous pouvons dire que ce qui frappe dans cette revue extensive des

caractéristiques que prêtent certains auteurs au NPM, c’est l’étendue du phénomène dont les

ramifications affectent à la fois

la structure des administrations,

les modes de contrôle qui pèsent sur elles,

la philosophie du service public à leur base

ainsi que la culture organisationnelle des fonctionnaires qui y œuvrent.

Nous verrons plus en détail ci-dessous à quels effets bénéfiques et pervers peut conduire la

mise en œuvre de certains principes au cœur du NPM sur ces quatre éléments.

3.6. Des effets contrastés

3.6.1. Sur les structures et les processus

Partant du constat que les administrations ne peuvent plus faire abstraction de

l’environnement mouvant et complexe dans lequel elles s’inscrivent, le NPM prône qu’une

plus grande attention portée à leur milieu les pousse à chercher un plus grand alignement avec

les besoins du marché, à accroître leur transparence vis-à-vis de leurs parties prenantes et à

améliorer la qualité des services offerts aux citoyens-clients110

Deuxièmement, les administrations « modernes » se doivent d’être plus flexibles et plates

(processus de décentralisation). La compartimentalisation (silotage) doit céder place à de plus

importantes collaborations interdépartementales. L’heure est à l’abolition de la bureaucratie.

Les effets escomptés sont de parvenir à une prise de décision plus rapide, une meilleure

circularité de l’information, une réduction de l’ « esprit de clocher » ainsi qu’à une

amélioration sensible de la qualité et de la performance des services administratifs.

Pourtant, alors que la bureaucratie est tant décriée dans les discours des partisans du NPM, il

nous semble pour le moins paradoxal que la mise en œuvre de ce mouvement en crée

davantage. Aussi, force est de constater que quand la décentralisation se fait sur le plan

opérationnel, elle s’accompagne bien souvent d’une centralisation des activités jugées

cruciales pour l’organisation (définition des orientations stratégiques, politiques, financières,

de performance, planning,…) 111 . Ceci vaut également pour la multitude de démarches

110 Ibid., p. 4. 111 Ibid., p. 7.

55

Page 69: La managérialisation de la police Belge

entreprises visant à la formalisation des processus au cœur des administrations, qui débouche

sur une quantité importante de nouvelles règles et de procédures venant s’ajouter à la masse

de celles préexistantes. Les processus de formalisation, d’intégration et de coordination des

différentes parties sont le pendant de la décentralisation ; ils génèrent de nouvelles couches de

bureaucratie entièrement dédiées au contrôle et à la régulation interne112. Ce résultat contraste

pour le moins avec les objectifs que le NPM prétend atteindre113.

3.6.2. Sur les modes de contrôle

Le NPM encourage les administrations à adopter des modes de contrôle issus des

entreprises privées, réputées plus rigoureuses (via par exemple l’utilisation des standards de

qualité, la diffusion de bonnes pratiques, le Balanced Scorecard, l’intensification des

collaborations avec des organismes d’audit extérieurs)114. L’inflation de contrôles à laquelle

se livrent nos administrations permettrait de mieux mesurer, suivre et évaluer les aspects

cruciaux de la performance individuelle et collective; ils devraient également conduire les

administrations à accroître leur efficience, leur productivité, la qualité des services qu’elles

offrent, et leur performance de manière générale.

Objectifs précis, seuils à atteindre, indicateurs de performance, mesure en temps réel, …

autant d’outils de gestion qui tirent leur légitimité du processus d’objectivation qui consiste à

mettre en chiffres, en faits prétendument « objectifs » et dans un langage aux allures

scientifiques, des pans entiers de la vie organisationnelle. Il y a pourtant derrière cette

démarche une sorte d’évacuation de la manière dont sont fixés les objectifs que poursuit

l’administration, un gommage des jeux de pouvoir qui y sont pourtant à l’œuvre. Ainsi donc,

l’exercice n’est plus de débattre au sujet des objectifs à atteindre collectivement et donc de la

pertinence et de la finalité que poursuit une administration. Il est aujourd’hui plutôt de trouver

comment optimiser la transition entre l’état actuel du service rendu par une administration et

un état X ou Y qu’elle devra atteindre demain. Le « pour quoi » disparaît au profit du seul

« comment ». La critique du système n’a plus droit de cité, elle ne peut plus se faire qu’à

l’intérieur de celui-ci, en respectant scrupuleusement les règles qui le régissent. Le risque est

grand que de tels systèmes acquièrent une telle autonomie qu’ils échappent à toute forme de

contrôle. Un paradoxe de plus.

112 BEZES, P., « Le renouveau du contrôle ... », op. cit. 113 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 7‑8. 114 Ibid., p. 8.

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Page 70: La managérialisation de la police Belge

Par ailleurs, cette volonté de mesurer sous toutes les coutures les administrations ne va pas

sans autres effets délétères, au nombre desquels le fait de ne braquer les projecteurs que sur

certaines activités de l’organisation, en laissant de côté – voire en supprimant – celles qui sont

plus difficiles à évaluer (faute d’indicateurs quantitatifs la plupart du temps) ou que l’on juge

trop peu « profitables » pour l’organisation. De plus, certains auteurs critiquent ces dispositifs

de mesure car les résultats positifs qu’ils enregistrent sont cantonnés aux seules activités

réellement mesurables et quantifiables. Est-ce pour autant que toutes celles qui ne le sont pas

ne profitent guère à la collectivité ? On peut raisonnablement en douter. Pensons par exemple

aux formes de coopération, au partage des connaissances, à la justice, la dignité, l’égalité, la

qualité de vie, la sécurité, la liberté, la participation, la confiance, …115 Pensons aussi aux

effets pervers qui naissent des stratégies que mettent en place les acteurs pour chercher à

contourner de tels dispositifs de mesure. L’intelligence des acteurs les conduit rapidement à

installer des conduites stratégiques visant à atteindre les objectifs … sur papier seulement.

Dans la mesure où le fait de « maquiller » les chiffres pour « faire bonne figure » est un

travers dans lequel l’on tombe facilement, aux dires de nombreux interlocuteurs policiers116,

se pose naturellement la question de l’utilité d’un système de contrôle alimenté par des

données tronquées. Nous pourrions émettre l’hypothèse que les usages de tels systèmes de

mesure de données diverses peuvent se comprendre moins du point de vue de leur utilité

gestionnaire que de celui de la légitimité qu’ils confèrent aux organisations qui les utilisent117.

Quelques auteurs ont des mots très durs pour qualifier ce recours grandissant à des dispositifs

de mesure de type quantitatifs basés sur des indicateurs chiffrés. Plusieurs remettent en

question l’idée selon laquelle ces dispositifs accroissent la performance globale des

administrations, certains arguant même qu’ils auraient par surcroît tendance à la faire

diminuer118. Pour Vincent de Gaulejac, les entreprises qui choisissent cette solution de facilité

courent le risque de développer une « quantophrénie aigue » (maladie de la mesure). Elles ne

sont plus au stade où elles cherchent à mesurer plus pour comprendre, mais bien à celui où

115 Ibid., p. 9. 116 Alfred Sauvy dit quelque chose de très semblable : « Les chiffres sont des innocents qui avouent facilement sous la torture ; mais cette facilité même leur permet ensuite de reprendre vite leurs aveux. Que l'emploi de statistiques soit une façon de mentir n'est que trop évident, mais c'est le cas de tous les modes d'expression, parole, écriture, photographie, cinéma, etc. Chacun d'eux, dirait Joseph Prudhomme, est un moyen de dire la vérité et au besoin de la travestir. Ce n'est pas l'instrument qu'il faut incriminer, mais celui qui s'en sert ; un marteau peut servir à enfoncer des clous, mais aussi à défoncer un crâne. Jamais encore un juge d'instruction n'a traduit un marteau en cour d'assises. » in SAUVY, A., Mythologie de notre temps, Payot, 1971. 117 HUAULT, I., « Paul DiMaggio et Walter W. Powell. Des organisations en quête de légitimité », in Les grands auteurs en management, EMS., 2002, . 118 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 5.

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Page 71: La managérialisation de la police Belge

elles ne comprennent seulement que ce qui est mesurable. L’action de « comprendre » la

manière dont fonctionne une organisation se limite alors à isoler les seuls paramètres et

variables qui se plient le plus aisément au processus d’objectivation et à faire comme si tout

ce qui ne peut être mesuré n’existe pas119.

De plus, décider de ne mesurer que les aspects jugés les plus pertinents ou les plus faciles à

isoler pour l’organisation conduit à en laisser d’autres de côté. Ainsi, les mesures de

performance, d’efficience, de productivité, … ne donnent qu’une compréhension partielle de

ce qu’est la performance, l’efficience ou la productivité de l’organisation.

En somme, mesurer correctement un phénomène ne veut pas dire le comprendre.

3.6.3. Sur la philosophie à la base du service public

Si elle peut sembler, a priori, une bonne chose pour des organisations bien souvent en

situation de monopole pour les services qu’elles rendent120, l’ « orientation vers le marché »

nous semble nettement moins enviable lorsqu’elle produit un changement de l’ethos du

service public au profit d’une marchandisation (ou économisation) des services rendus à la

collectivité. Le risque encouru par nos administrations est de substituer la valeur de l’argent à

celle du bien-être public121.

L’ « orientation clients » est certainement l’aspect le plus saillant des mutations en cours. Le

terme « client » a remplacé celui de « citoyen » et on se demande encore ce qu’il signifie

réellement. S’il est vrai que les visages et les attentes des usagers des services publics ont

évolué depuis une vingtaine d’années et que les administrations doivent faire face à de

nouveaux défis en matière d’adaptation de leur offre de services, était-ce bien nécessaire d’en

faire des « clients » ? Car ce changement sémantique est plus profond qu’il n’y paraît.

Premièrement, il transforme les fondements à la base des revendications des usagers, les

faisant passer d’une conception philosophique et générale (l’intérêt collectif) à une conception

119 GAULEJAC, V. de, La société malade de la gestion : Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Points, 2009, p. 70‑71. 120 La police est, à cet égard, un exemple de choix puisqu’il s’agit de l’institution étatique par excellence en charge du monopole de la contrainte physique légitime – (cf. Weber, 1963). Monjardet tempère cette définition en faisant remarquer que la police fonctionne quotidiennement moins souvent à la force qu’à la force symbolique ou à la représentation de la force. La parcimonie dont devrait faire preuve la police s’agissant de faire usage de la force (physique) s’explique par le phénomène selon lequel l’usage de la force a tôt fait de montrer ses limites. Et l’auteur de proposer une définition complète de la police : « l’institution en charge de détenir et de mettre en œuvre les ressources de force décisives dans le but d’assurer au pouvoir la maîtrise (ou régulation) de l’usage de la force dans les rapports sociaux internes » in MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 20. 121 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 4‑5.

58

Page 72: La managérialisation de la police Belge

marchande et individuelle (la satisfaction)122. Avec cette citation, Diefenbach (2009) nous en

fournit une illustration éclatante : « Le langage des acheteurs et vendeurs, producteurs et

consommateurs, n’appartient pas au domaine public ni aux relations que ce langage implique.

Les docteurs et les infirmières ne ‘vendent’ pas les services médicaux ; les étudiants ne sont

pas ‘clients’ pour leurs professeurs ; les policiers ne ‘produisent’ pas d’ordre public123. La

tentative de faire rentrer ces relations dans le modèle marchand porte atteinte à l’éthique du

service public, dégrade les institutions que ses membres incarnent et ôte la notion de

citoyenneté commune d’une part de sa signification »124. Les citoyens sont bien plus que des

mandants, des électeurs, des clients ou des consommateurs125.

Deuxièmement, les citoyens devenus « clients » sont mis à contribution au profit des

administrations de demain. Ils sont impliqués dans la production des informations les

concernant et/ou la résolution des problèmes qu’ils rencontrent, ainsi que dans l’évaluation

des prestations dont ils bénéficient 126 . Si le processus de mise en œuvre des politiques

publiques était autrefois descendant, hiérarchique et unilatéral, il est aujourd’hui plutôt basé

sur des connaissances poussées (au moyen des enquêtes d’opinion, des tendances sur les

réseaux sociaux, des réunions d’information publiques, …) de ce que sont les attentes des

citoyens, dans une approche globale (« réticulaire » ou « en chaîne »), en encourageant la

participation active de ces derniers127 Par conséquent, la relation entre la fonction publique et

les citoyens se voit profondément transformée.

Troisièmement, lorsqu’évolue la conception du service public, le fondement sur lequel repose

l’Etat évolue tout autant du fait du lien étroit existant entre la problématique du service public

et celle de l’Etat128. On passe tendanciellement du « service public » fondé sur l’affirmation

de prérogatives et de responsabilités publiques constitutives de droits pour l’usager, au service

des publics visant la satisfaction d’usagers considérés comme des clients129. En outre, la

légitimité « primaire », fondée sur le droit, se voit progressivement complétée (remplacée

pourrait-on dire, dans les discours du moins) par une légitimité « secondaire » faisant

122 Ibid., p. 5. 123 FAVRE, P., « Quand la police fabrique l’ordre social », in Revue française de science politique, Vol. 59 (7 janvier 2010), no 6, p. 1231‑1248. 124 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 6. 125 BOURGON, J., « Un gouvernement flexible, responsable et respecté », in Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 73 (1 mars 2007), no 1, p. 16. 126 DUBOIS, V., « Politiques au guichet, politique du guichet », in Politiques publiques, vol. 2 (2010), p. 268. 127 BOURGON, J., « Un gouvernement flexible, ... », op. cit., p. 19. 128 MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique... », op. cit. 129 DUBOIS, V., « Politique au guichet, politique ... », op. cit., p. 267.

59

Page 73: La managérialisation de la police Belge

référence à la qualité des services offerts et à l’efficience des deniers publics130. Cela peut

donner naissance à une situation dans laquelle les résultats et la satisfaction des clients

prennent le pas (dans les discours toujours) sur la légalité et le respect des procédures

formelles131. Les priorités affichées par l’administration se renversent. A contrario, lorsque

l’on considère l’intérêt public comme différent de l’intérêt particulier, le rôle de l’Etat est de

veiller à contribuer, définir et à atteindre l’intérêt public132. L’Etat-providence, contre lequel

s’est construit le NPM (ne l’oublions pas), s’effrite à mesure qu’on réduit le périmètre des

missions qu’il assurait jusque-là133. Le mouvement à l’œuvre n’est pas unidirectionnel mais a

plutôt tendance à dualiser les missions de service public : d’un côté les services gérés suivant

des normes d’efficacité gestionnaire, et de l’autre, les services visant à assurer des fonctions

sociales134.

3.6.4. Sur la culture organisationnelle des fonctionnaires

Il ressort de notre revue de la littérature que la mise en place et la diffusion des

principes issus du NPM profitent plus à certains acteurs qu’à d’autres. Tous ne sont pas logés

à la même enseigne.

Examinons tout d’abord ceux que Merrien (1999) qualifie de « chantres du management »135.

Aux dires de l’auteur, ils peuvent faire leur carrière ou renforcer leur position dans

l’organisation grâce aux concepts, méthodes et compétences managériales136. Adopter les

attitudes et la rhétorique managériales, c’est marquer son appartenance idéologique à un

groupe et en défendre les intérêts spécifiques pour en faire croître la capacité d’influence137.

Bien que la présence de consultants dans les administrations soit antérieure à l’apparition du

NPM, les mutations de fond qui traversent les administrations ont donné une impulsion forte

aux activités de conseil en management dans la sphère publique 138 . La plus-value

qu’apportent ces consultants aux administrations fait l’objet de vives discussions. Dans le

camp des penseurs les plus critiques, certains vont jusqu’à les qualifier de marchands ou de

130 DE VISSCHER, C. et VARONE, F., « La nouvelle gestion publique ... », op. cit. 131 MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique... », op. cit. 132 BOURGON, J., « Un gouvernement flexible, ... », op. cit., p. 19. 133 DE VISSCHER, C. et VARONE, F., « La nouvelle gestion publique ... », op. cit. 134 DUBOIS, V., « Politique au guichet, politique ... », op. cit., p. 269. 135 Il dit d’ailleurs d’eux qu’ils forment une « communauté épistémique » in MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique... », op. cit. 136 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 901‑902. 137 Ibid., p. 903. 138 LAPSLEY, I., « New Public Management... », op. cit., p. 6.

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Page 74: La managérialisation de la police Belge

vendeurs139, d’autres disent avoir des réserves quant à leur capacité à être des agents d’un

quelconque changement140. Lapsley (2009) attire notre attention sur l’utilisation de l’expertise

chez ces consultants publics qui est davantage symbolique qu’instrumentale141. Ils forment un

bataillon d’apôtres de la légitimation. Diefenbach (2009) va lui encore plus loin en dénonçant

l’arrivée d’une « nouvelle génération de managers tous-usages » 142 qui accorde

de l’importance au management « pour l’amour du management » et qui tend renforcer le

fossé séparant ceux qui planifient, organisent, coordonnent et contrôlent le travail de ceux qui

l’exécutent143.

Viennent ensuite les collaborateurs à la base des administrations, particulièrement ceux qui

sont en contact direct avec les usagers dans les relations dites de « guichet ». Ils voient

retomber sur eux la responsabilité de devoir arbitrer les questions de mise en œuvre laissées

dans le flou total par les réformes édictées dans les hautes sphères administratives144. Il

semblerait, assez paradoxalement, que l’intense activité de planification, qui est censée aider à

cadrer les actions mises en œuvre par chacun, fait endosser aux derniers maillons de la chaîne

le poids de juger in fine de ce qu’il convient de faire145. Dubois (2010) parle à ce sujet de

« ruse de la mise en œuvre » pour qualifier cette déresponsabilisation « en cascade » 146 qui

force la responsabilisation croissante 147 et le renforcement du pouvoir discrétionnaire des

agents de terrain. En somme, on demande aux « petites mains » de traiter techniquement ce

qui n’a pas été tranché politiquement, et donc de « fabriquer », bon gré mal gré, les politiques

139 « In the booming business of management consultancy, there is no shortage of glossily packaged analytical techniques of varying degrees of power and reliability being peddled to ill-informed clients by pushful salesmen » cité dans Ibid., p. 7‑8. 140 SORGE, A. et VAN WITTELOOSTUIJN, A., « The (Non)Sense of Organizational Change: An Essai about Universal Management Hypes, Sick Consultancy Metaphors, and Healthy Organization Theories », in Organization Studies, vol. 25 (9 janvier 2004), no 7, p. 1205‑1231. 141 LAPSLEY, I., « New Public Management... », op. cit., p. 8. 142 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 902. 143 Ibid. 144 DUBOIS, V., « Politique au guichet, politique ... », op. cit., p. 274‑275. 145 Ibid. ; LIPSKY, M., Street-Level Bureaucracy: Dilemmas of the Individual in Public Services, Russell Sage Foundation Publications, 2010. 146 Ce mécanisme se produit d’ailleurs bien en amont de celui décrit ci-dessus. Les hommes politiques sont des stratèges qui élaborent des visions, objectifs globaux, valeurs essentielles puis abandonnent ensuite la conduite du navire aux gestionnaires in POLLITT, C., « Vers une “nouvelle” théorie de l’administration publique », in Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol. 73 (1 mars 2007), no 1, p. 41. 147 DUBOIS, V., « Politique au guichet, politique ... », op. cit., p. 281.

61

Page 75: La managérialisation de la police Belge

publiques 148. On retrouve là un trait saillant des évolutions actuelles du travail, à savoir

l’augmentation conjointe de l’autonomie individuelle et du contrôle149.

En définitive, le NPM prône l’ « implication capable » (empowerment) ou la « pro-activité »

de tous et à tout bout de champ. Il s’agit là d’un vœu pieux car cette nouvelle culture

entrepreneuriale épuise les collaborateurs qui doivent suivre « pro-activement » les multiples

initiatives de changement lancées parfois de front. Que dire aussi des ratés qui produisent un

scepticisme généralisé sur la possibilité de conduire le changement au sein des

administrations 150 ? « Résister au changement» ou marquer son mécontentement vis-à-vis

d’un énième projet de modernisation des administrations apparaît aux yeux des promoteurs du

NPM comme la justification de la nécessité de procéder à de nouvelles initiatives. En un mot,

les ratés du système l’entretiennent, le système est auto-référencé (self-referential)151, il se

replie sur lui-même, il est indépassable152.

3.7. Limites Dans cette partie nous examinerons quels sont les obstacles aux réformes des administrations

engendrées par le NPM.

3.7.1. Les écueils de la planification absolue

Il ressort de notre revue de la littérature que les réformes ne donnent pas toujours les

résultats escomptés. Ce constat que l’on pourrait croire aller de soi en étudiant l’histoire des

réformes administratives inabouties ou désastreuses semble pourtant souvent échapper aux

gestionnaires des administrations. Merton, déjà en 1936, disait que « l’action délibérée des

agents de la réforme peut donner naissance à des résultats aux conséquences inattendues »153.

Les plans sont des représentations projectives ou explicatives du déroulement d’actions; ils

peuvent également servir de cadres pour l’action, mais jamais ils ne déterminent

mécaniquement ni entièrement nos actions154. Il existe donc une différence fondamentale, un

écart parfois abyssal, entre ce qui est prévu dans le plan et ce qu’en font réellement les

148 Ibid., p. 277. 149 Ibid., p. 278‑279. 150 MERRIEN, F.-X., « La Nouvelle Gestion publique... », op. cit. 151 LAPSLEY, I., « New Public Management... », op. cit., p. 4. 152 DIEFENBACH, T., « New Public Management ... », op. cit., p. 904. 153 Cité dans LAPSLEY, I., « New Public Management... », op. cit., p. 4. 154 BOFFO, C., « Changement continu et situé : théorie et implications pratiques », in Cahier de Recherche, vol. 01 (2003), p. 4.

62

Page 76: La managérialisation de la police Belge

acteurs ; entre les pratiques formelles et informelles ou « canoniques » et « non-

canoniques »155. C’est souvent cela que l’on qualifie à tort de « résistance au changement ».

Le lien entre plans abstraits et pratiques des acteurs est complexe et commence à s’éclaircir

dès lors que l’on change de regard sur ces plans pour ne plus les considérer comme des

dispositifs mécaniquement générateurs d’actions mais plutôt comme un cadre structurant les

ressources que pourront mobiliser les acteurs pour aller, ou non, dans son sens156.

Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ces phénomènes dans le chapitre III.

3.7.2. La vision du changement

La manière dont on envisage le changement en dit long sur la façon de concevoir les

organisations157. La plupart des réformes induites par le NPM se base sur une conception dite

« classique » (ou normative) du changement. Nous verrons, à la suite de Boffo (2003), que

celle-ci n’est pas la seule et qu’une approche performative rend mieux compte des

dynamiques transformationnelles au sein des administrations.

Tableau 24 – Comparaison entre « conception classique » et « conception continue et située » du changement

Conception classique du changement

Conception du changement continu et situé

Discontinu Permanent

Délibéré Émergent

Radical Incrémental

Facteurs déclencheurs Pratiques quotidiennes (situées)

Macro Micro

3.7.2.1. La temporalité du changement

Premièrement, dans la conception classique du changement, celui-ci survient à la suite

d’un accident, il est une chose extraordinaire, il crée de l’instabilité158. Cette conception a été

largement remise en question à cause du constat de plus en plus actuel que les mouvements

perpétuels de l’environnement des organisations sont devenus la norme et non plus

l’exception. Une conception plus dynamique du changement semble devoir s’imposer. C’est

155 Ibid., p. 6 ; MOUHANNA, C., « Faire le gendarme : de la souplesse informelle à la rigueur bureaucratique », in Revue française de sociologie, vol. 42 (2001), no 1, p. 31‑55. 156 BOFFO, C., « Changement continu et situé ... », op. cit., p. 6. 157 Ibid., p. 9. 158 Ibid., p. 10.

63

Page 77: La managérialisation de la police Belge

ce que proposent les tenants du changement continu pour lesquels celui-ci n’aurait en fait ni

début ni fin, serait permanent et représenterait l’état normal des organisations159.

3.7.2.2. L’intentionnalité du changement

Deuxièmement, le changement peut se voir comme le résultat d’une stratégie délibérée

de certains acteurs (le plus souvent appartenant au sommet hiérarchique de l’organisation) ou

comme le résultat agrégé, émergeant, d’un ensemble plus large d’acteurs160.

3.7.2.3. L’origine du changement

Les réformes que connaissent les administrations sont le plus souvent présentées

comme survenant à la suite d’un événement particulier ou d’une suite d’événements qui ont

contraint les administrations à réagir161. Qu’on songe au cas très particulier de la réforme des

polices dans notre pays : tous seront d’accord pour reconnaître que l’affaire Dutroux (et plus

particulièrement son évasion du Palais de justice de Neufchâteau en 1998) a constitué un

événement déclencheur donnant lieu à la transformation du paysage judiciaire et policier

belge. L’aveu d’impuissance des forces de l’ordre public résultant de la fuite d’un homme

(aussi détestable soit-il) était-il réellement le facteur déclenchant d’une telle transformation

des institutions policières et judiciaires ? Nous avons vu, dans le chapitre II présentant la

réforme des polices, que celle-ci est le produit de nombreux autres événements, de jeux

d’acteurs divers, de consensus à rechercher et que l’annonce de la réforme n’a certainement

pas suffi à changer les pratiques (loin de là). Pour Trosa, « il ne peut y avoir de

bouleversement radical, sauf à des moments privilégiés où une coalition de politiques et de

fonctionnaires, dans un moment de forte légitimité et d’unité de gouvernement, peut créer un

consensus autour du changement. En dehors de ces rares cas, le changement intervient par des

mesures progressives qui paraissent ainsi parfois disparates »162. Selon Visscher et Varone

(2004), pour qu’une réforme fonctionne, elle doit reposer sur une volonté politique et/ou

administrative, faire l’objet d’une appropriation de ses finalités par les acteurs de terrain ainsi

que d’un accompagnement de ses mesures de mise en œuvre163.

159 Ibid. 160 Ibid. 161 Ibid., p. 11. 162 TROSA, S., « À propos de la deuxième édition de l’ouvrage de Christopher Pollitt et Geert Bouckaert : Public management reform : a comparative analysis », in Revue française d’administration publique, vol. 119 (19 janvier 2007), no 3, p. 559. 163 DE VISSCHER, C. et VARONE, F., « La nouvelle gestion publique ... », op. cit., p. 181.

64

Page 78: La managérialisation de la police Belge

3.7.2.4. La question de l’échelle du changement

Lorsque l’on évoque le changement, il est important de préciser de quelle échelle nous

parlons. La conception du changement la plus souvent mobilisée se base sur une échelle très

large (macro) et considère ce moment comme une brisure, une transformation radicale de

l’ordre des choses qui prévalait jusque-là. A l’échelle des acteurs, le changement se comprend

davantage comme un mouvement permanent, incrémental au point que les acteurs eux-

mêmes, tout engagés qu’ils sont dans l’action, en ont rarement la conscience164.

3.7.2.5. Les acteurs du changement

Le changement serait, par conséquent, le fruit d’un alignement entre l’existence chez

les acteurs politiques d’un intérêt à agir et la lente percolation des nouvelles manières d’agir

dans les pratiques quotidiennes situées des acteurs administratifs. Cette conception nous paraît

préférable aux autres, bien souvent plus réductrices de la complexité des mécanismes sociaux

à l’œuvre dans tout processus de changement organisationnel.

En guise de conclusion, nous sommes d’avis que comprendre les mutations que connaissent

les administrations dans une perspective de changement continu nécessite donc de regarder ce

que font concrètement les gens à chacun de leurs niveaux. Cette optique tend à réhabiliter

certaines catégories d’acteurs, particulièrement ceux qui appartiennent aux niveaux les plus

bas des administrations, car ils jouent un rôle crucial de transformation ou non en une réalité

des plans échafaudés par les hautes sphères administratives et politiques165. Les pratiques de

terrain de ces acteurs constituent l’essence même du changement166.

3.8. Retour sur notre première hypothèse (H1) Au terme de la description d’un certain nombre de notions précédemment exposées

dans ce chapitre, nous pensons avoir en main un suffisamment d’éléments pour nous

permettre de valider ou d’invalider notre première hypothèse de recherche.

Pour rappel, elle était la suivante :

H1 : La réforme des services de police s’apparente au mouvement de transformation des

administrations qualifié de New Public Management

164 BOFFO, C., « Changement continu et situé ... », op. cit., p. 10‑11. 165 Ibid., p. 11. 166 Ibid., p. 12‑13.

65

Page 79: La managérialisation de la police Belge

Nous renvoyons le lecteur au chapitre Méthodologie (en page 9) pour la définition des termes

qui la composent.

Cette hypothèse visait à répondre à la question de recherche suivante :

Q1 : La réforme des polices a-t-elle produit une « nouvelle donne » policière ?

3.8.1. Structure organisationnelle

Bien qu’elle puisse parfois en avoir l’apparence, la police n’est pas une bureaucratie

au sens strict du terme167. Le sociologue Dominique Monjardet va également dans ce sens.

Pour lui, bien que l’organisation ait les apparences d’un modèle très rigide d’autorité, à base

d’ordres, de commandements ou de discipline, « [elle] ne peut fonctionner efficacement que si

l’organisation informelle y instaure des mécanismes de coopération et d’échanges fondés sur

la reconnaissance mutuelle et d’une interdépendance fonctionnelle très étroite »168.

Henry Mintzberg a, pour sa part, mis en lumière les configurations idéales-typiques

auxquelles peuvent être rattachées toutes les organisations. Le tableau situé en Annexes

(annexe 2)169 met en vis-à-vis les deux configurations qui nous semblent le plus correspondre

aux caractéristiques d’une organisation policière locale.

A la lecture de ce tableau, nous pouvons conclure que la configuration organisationnelle d’un

corps de police locale est de type hybride car elle emprunte des caractéristiques des

configurations bureaucratiques et professionnelles.

D’un côté, elle comporte principalement des caractéristiques de la configuration

professionnelle :

Standardisation des qualifications à l’issue de la formation policière ;

Départementalisation par output avec les fonctions de police de base ;

Forte différenciation horizontale car chaque fonction de base donne lieu à des

« métiers » différents ;

Marché complexe où il faut tenir comptes des attentes de chaque communauté

d’intérêts ;

167 De nombreux chercheurs ont étudié les organisations bureaucratiques et ont proposé une définition de ce phénomène. Les principaux sont Max Weber (1922) et Michel Crozier (1971). Nous nous référerons aux théories de Mintzberg car, plutôt que de nous perdre à confronter les caractéristiques de ce mode d’organisation avec celles de l’organisation policière, nous préférons, sans trop nous appesantir là-dessus, voir quelles sont les différences entre ce type d’organisation et d’autres (le type d’organisation professionnelle ici en l’occurrence). 168 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 97. 169 Issue de NIZET, J. et PICHAULT, F., Comprendre les organisations: Mintzberg à l’épreuve des faits, Presses Universitaires de France (PUF), 1999, p. 232‑234.

66

Page 80: La managérialisation de la police Belge

De l’autre, des caractéristiques de type bureaucratique subsistent toujours :

La coordination du travail par standardisation des procédés lorsque les policiers

doivent suivre des procédures établies ;

Liaison des unités reposant sur des mécanismes de planification.

3.8.2. Modes de contrôle

Notre revue de la littérature au sujet des principes à la base du NPM (en page 54) nous

a permis de faire ressortir, pour la dimension « modes de contrôle », les évolutions suivantes :

intensification des contrôles et de l’évaluation, prégnance plus forte des enjeux gestionnaires

et recherche de l’optimisation des processus, de la qualité des services, des ressources

humaines et des moyens financiers.

Les évolutions que connaît l’organisation policière en la matière vont tendanciellement dans

un même sens, celui d’un déplacement des modes de contrôle portant traditionnellement vers

les moyens à mettre en œuvre vers des résultats tangibles à atteindre. Ces impératifs se

trouvent matérialisés par la fixation de normes minimales de fonctionnement ou la rédaction

de plan d’objectifs (PZS) à atteindre localement endéans une certaine période.

Notons au passage qu’une des particularités de l’organisation policière tient au fait que les

sources de son contrôle diffèrent de la plupart des organisations. Ainsi, « […] les contrôles

hiérarchiques sont peu opérants au regard du contrôle collectif du groupe de travail sur ses

membres, fondé sur la norme informelle du groupe […]»170.

Pour Dominique Monjardet, l’organisation policière est soumise à l’imposition simultanée

d’une obligation de moyens et d’une obligation de résultats. La première est formelle, stricte

et contrôlée de multiples façons. La seconde est traditionnellement plus informelle,

tangentielle et aux contrôles plus indirects. Ceux deux obligations se marient en même temps

pour peu que les résultats obtenus soient parfaitement alignés avec les moyens engagés. Dans

la réalité du travail policier, « la logique des moyens s’oppose explicitement à celle des

résultats […] Le strict respect des moyens prescrits a un effet négatif sur les résultats obtenus,

la recherche exclusive de résultats supérieurs conduit à s’affranchir des moyens autorisés »171.

L’alternative au risque de commettre une faute étant celui de subir un échec, en pratique il est

170 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 139. 171 Ibid., p. 202.

67

Page 81: La managérialisation de la police Belge

plutôt question de déterminer le niveau de risque acceptable. De cette tension naît les

caractéristiques du contrôle policier :

Tableau 25 – Caractéristiques du contrôle policier selon Monjardet172

La préoccupation permanente d’être « couvert »

La boulimie de « paperasse »

La superficialité des contrôles organisationnels

Bref, la bureaucratisation et l’échappement à ses responsabilités

Les modes de contrôle à la base du fonctionnement policier semblent, au terme de l’examen

que nous en avons fait, aller dans le sens des idées du NPM et, dès lors, tendre vers une plus

grande obligation de résultats.

3.8.3. Philosophie à la base du service public

Notre revue de la littérature au sujet des principes à la base du NPM (en page 54) nous

a permis de faire ressortir, pour la dimension « philosophie à la base du service public » les

évolutions des activités administratives suivantes : intensification de la privatisation et de

l’externalisation, mise en concurrence des entités administratives, contractualisation des

prestations administratives, séparation des fonctions politiques et administratives, marketing

de l’action publique et nouveaux enjeux de reddition de comptes.

L’Excellence dans la Fonction de Police illustre on ne peut mieux ce mouvement de

transformation des fondements sur lesquels repose l’action administrative. On y retrouve

toutes ces tendances à des degrés divers :

172 Ibid.

68

Page 82: La managérialisation de la police Belge

Tableau 26 – Exemples des tendances de la transformation de la philosophie à la base du service public

Tendances Exemples

Privatisation / Externalisation

L’organisation policière ne remplit plus certaines tâches dont elle avait auparavant la charge comme la circulation aux sorties d’écoles, le contrôle des stationnements payants, ou le service d’ordre à l’intérieur des enceintes sportives ou encore les patrouilles de vigilance.

Cela a transformé des métiers comme celui de gardiens de la paix (stewards, assistants de prévention et de sécurité, …) et a contribué à l’essor des firmes des sociétés de sécurité privée (gardiennage, surveillance d’évènements, …).

Orientation vers le marché

La référence au marché est très présente dans le modèle d’Excellence dans la Fonction de Police. Tout y est présenté en termes de satisfaction des attentes des parties prenantes ou de maîtrise efficiente des processus et des ressources. Les concepts de « citoyen », de « service public » ou de « démocratie » sont relégués au second plan.

Contractualisation des prestations

administratives

Elle se produit à deux niveaux : vis-à-vis des autorités de tutelle et à l’intérieur même des administrations.

La première est incarnée par les plans zonaux (et nationaux) de sécurité dans lesquels sont fixés les objectifs à atteindre pour une période de quatre années.

La seconde a lieu quand l’administration tend à remplacer des emplois jadis statutaires par des contrats de travail. C’est le cas à la police, comme dans la plupart des autres administrations, où des tâches autrefois prises en charge par des policiers en uniforme sont désormais assurées par des CALog. Notons qu’ils bénéficient, depuis 2007, d’un statut propre173.

Autre exemple : le chef de corps, qui assume la direction d’une police locale, est désigné comme tel à la suite d’une élection et avec un mandat de cinq années.

173 DGS/DSJ, Nouveau statut CALog, Police fédérale, 2007.

69

Page 83: La managérialisation de la police Belge

Séparation des fonctions politiques et

administratives

Les autorités locales siègent dans les deux organes que sont le Collège de police et le Conseil de police 174 . Ceux-ci ont comme compétences le pilotage de la politique policière ainsi que la gestion du personnel, des finances, des marchés publics.

Dans une zone pluri-communale, chaque Bourgmestre dispose d’un nombre de voix proportionnel à la contribution financière de sa commune à la zone.

En pratique, les jeux politiques sont très forts et chacun tente de mettre à l’agenda les préoccupations de ses électeurs. Le résultat est parfois que la stratégie manque d’un fil conducteur et ressemble à un patchwork de bonnes intentions.

Une fois que les instances collégiales ont décidé du cap à suivre, c’est au chef de corps de s’assurer que le navire est bien à flot et que tous s’activent pour le faire arriver à bon port.

Marketing de l’action publique

La satisfaction des attentes des parties prenantes donne lieu à des techniques d’enquête sur le sentiment d’insécurité dont les résultats servent à déterminer contre quels phénomènes lutter en priorité.

Les plans zonaux de sécurité abondent en tableaux et chiffres tous plus encourageants les uns que les autres et qui montrent que tel phénomène ou tel autre est en voie d’être totalement maîtrisé. Tout ceci mérite bien entendu d’être pris avec la plus grande précaution, car la diminution d’un certain type de délits n’est pas toujours le fruit de l’action policière.

Tout aussi problématique est le lien entre sentiment d’insécurité et insécurité réelle.

Enjeux de reddition de comptes

L’organisation policière cherche à renforcer sa légitimité au moyen de la démonstration, faite à ses autorités de tutelle et aux citoyens qui prennent le temps de lire ses rapports d’activité, qu’elle gère efficacement et en toute transparence l’utilisation qu’elle fait des deniers publics.

Ces nouveaux impératifs d’efficience et de transparence viennent s’ajouter à ceux du respect de lois et diverses réglementations auxquelles l’institution obéit et qu’elle est chargée de faire respecter.

La philosophie à la base du service public semble profondément remise en cause par les

réformes du NPM au profit d’une plus grande référence faite au marché.

174 Collège de Police et Conseil de Police, http://www.policelocale.be/5341/fr/college-de-police-et-conseil-de-police.html, consulté le 15 mai 2014.

70

Page 84: La managérialisation de la police Belge

3.8.4. Culture organisationnelle

Notre revue de la littérature au sujet des principes à la base du NPM (en page 54) nous

a permis de faire ressortir, pour la dimension « culture organisationnelle », les évolutions

suivantes : changement de culture organisationnelle et responsabilisation des policiers.

A la suite des travaux de Dominique Monjardet, que nous aurons l’occasion de détailler dans

le chapitre IV, nous savons que la profession policière est profondément marquée par un

système de valeurs où, pour simplifier, se trouvent aux deux extrémités ce qui est du « vrai »

travail policier (versant répressif, crime fighting, intervention) et ce qui ne l’est pas (versant

préventif, social, proximité).

Cette différenciation entre les « vrais policiers » et les « assistants sociaux en uniforme » est

encore bien ancrée dans les mentalités. Une explication à cela pourrait être que la division du

travail policier en fonctionnalités de base (travail de quartier, accueil, intervention, assistance

policière aux victimes, recherche locale, maintien de l’ordre, sécurité routière) ne fait que

renforcer ces différences. Pourtant, lorsque l’on observe le travail quotidien d’inspecteurs de

quartier, on peut douter du caractère « sans risque » de leur métier. A pied, au milieu d’une

cité difficile ou fonçant à tombeau ouvert vers le lieu d’une infraction en cours, la nature des

risques change mais le risque ne disparaît jamais, il est au fondement même du métier de

policier.

L’organisation policière, comme toute autre organisation, cherche à canaliser les efforts de ses

travailleurs dans une même direction. Pour cela elle rédige des Mission Statements, se nourrit

du texte « Vision » de son Chef de Corps et s’interroge sur ses Valeurs. Ce dernier point peut

même donner lieu à des brainstormings comme ceux auxquels nous avons pu assister lorsque

nous avons accompagné CGL-X dans le cadre d’un appui méthodologique dans une ZP du

Brabant Wallon.

Un de nos professeurs, Alain Eraly, a l’habitude de dire : « Une culture d’entreprise, ça ne se

décrète pas !». Nous partageons son avis et sommes sceptiques quant au pouvoir de

transformation des représentations les plus profondément ancrées dans la culture policière

qu’aurait l’affichage des valeurs, même sur chaque mur du commissariat.

Les textes à la base de la « nouvelle donne policière » portent en eux les prémices d’un

changement culturel profond de la profession policière. Citons par exemple un changement de

référentiel de travail, l’attention portée à la qualité, à l’efficacité des actions et à l’utilisation

efficiente des moyens, ou encore la plus grande responsabilisation de tous. Si des efforts

71

Page 85: La managérialisation de la police Belge

importants sont faits en matière d’homogénéisation des représentations policières, notre

présence sur le terrain nous a appris que les référentiels professionnels varient encore très

fortement d’un service à l’autre.

En définitive, la mise en œuvre de réformes issues du NPM semble s’accompagner d’un

renouveau des représentations professionnelles.

3.8.5. En conclusion

A la question de savoir si la réforme des polices a produit une « nouvelle donne policière »

(Q1), nous répondons par l’affirmative et validons l’affirmation selon laquelle la réforme des

services de police s’inscrit pleinement dans le cadre du New Public Management (H1).

Quelles conclusions tirer à présent ?

La réforme des services de police est du « même tonneau » que celles issues du NPM

Le système administratif policier possède la plupart des caractéristiques que l’on

retrouve dans les administrations mettant en œuvre les principes du NPM

Le NPM s’est immiscé dans chaque dimension du système administratif policier

(structure et culture organisationnelles, modes de contrôle, philosophie à la base du

service public)

Les réformes portées par NPM ne sont pas seulement des réformes techniques (visant

à améliorer le fonctionnement global des administrations), mais véhiculent aussi de

nouvelles conceptions du rôle des institutions et du service public

72

Page 86: La managérialisation de la police Belge

4. ENTRE DISCOURS ET PRATIQUES POLICIERS

73

Page 87: La managérialisation de la police Belge

4.1. Introduction Dans ce chapitre, nous chercherons à répondre à notre seconde question de recherche

(Pourquoi existe-t-il des différences entre l’idéologie et les pratiques policières ?). Nous

commencerons par présenter des notions issues de la sociologie de la police et de la

sociologie des organisations qui nous serviront ensuite à infirmer ou à valider notre seconde

hypothèse.

Pour rappel, celle-ci était la suivante :

La « nouvelle donne » policière affecte peu la culture professionnelle des policiers

4.2. Les fondements de la profession policière Dans la pratique quotidienne de leurs activités, « […] les policiers n’agissent pas en

conservant constamment à l’esprit le plan zonal de sécurité et les plans d’action qui en

découlent … » 175 . Notre propre expérience de stage dans plusieurs services d’une ZP

bruxelloise nous a amené à constater qu’un nombre important de policiers de terrain disent ne

pas comprendre ou n’avoir jamais entendu parler de la police d’Excellence, ceci alors que ce

module fait partie de leur formation. La situation est, semble-t-il, meilleure chez les officiers

puisque leur rang nécessite une compréhension et une maîtrise suffisante du modèle EFP pour

collaborer à la rédaction du PZS. Cette connaissance est, de plus, nécessaire pour accéder à

des responsabilités stratégiques.

Le fait que certains manient ces discours sur la police Excellente et que d’autres y soient

étrangers renforce probablement l’image du fossé qui existe dans les mentalités policières

entre ce qui se passe dans les bureaux et ce qui a lieu sur le terrain176. Tout ceci se retrouve

dans le propos suivant, entendu à de nombreuses reprises de la bouche de policiers de terrain,

et bien résumé par l’un de nos interlocuteurs : « C’est un truc d’officiers, une gesticulation de

bureau »177.

175 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 58. 176 Constat lui-même fait par Bottamedi : « Les observations montrent aussi l’existence d’un décalage voire d’une déconnection entre le management et le travail de terrain, comme si ces deux mondes avaient acquis une relative autonomie qui les amène à se tolérer. » in Ibid., p. 65 ; voir également VANDEVENNE, Y., « “Un fossé entre théorie et pratique”. CGL évalue le community policing », in Le Journal de la Police, (novembre 2005), no 9, p. 26‑31. 177 TANGE, C., « Entretien », op. cit.

74

Page 88: La managérialisation de la police Belge

La réforme s’est bel et bien produite au niveau des structures et des discours de l’institution ;

néanmoins, en dépit des efforts consentis pour constituer un cadre référentiel commun, la

stabilité des pratiques semble rester aujourd’hui encore une réalité178.

La sociologie des professions et la sociologie des organisations peuvent nous aider à

comprendre cette situation.

4.2.1. L’inversion hiérarchique

En premier lieu, nous pourrions avancer que les efforts de formalisation du

fonctionnement policier souhaités par l’EFP se heurtent au désir des opérateurs de terrain de

maintenir le pouvoir discrétionnaire (contrôle de zones d’incertitudes dans le vocabulaire

crozerien 179 ) dont ils disposent du fait de leur qualification professionnelle et du faible

encadrement dont ils font l’objet.

Le volet « collaboration » de la gestion optimale invite le management et les collaborateurs à

coopérer « de manière professionnelle en faisant coïncider les objectifs personnels et

organisationnels »180. Nous avons des doutes sur la faisabilité de cette suggestion au regard

des travaux de Dominique Monjardet, qui souligne la très grande autonomie (marges de

manœuvre) des policiers de terrain et la faiblesse de l’encadrement hiérarchique qui, souvent

« […] occupé par des tâches administratives, la gestion des effectifs, la rédaction de rapports,

des fonctions de représentation, etc., n’a pas la possibilité, ni parfois le goût de s’exercer de

façon opérationnelle et d’assurer un réel commandement et contrôle du travail »181.

Si bien que cette situation, dans laquelle « les initiatives cruciales émanent du bas »182 et où

« [l]e rôle de la hiérarchie sera de transcrire/traduire les choix du bas de façon à les rendre

compatibles avec les cadres réglementaires et les ‘politiques’ définies par le haut » 183 ,

donnera naissance à ce que Monjardet qualifiera d’« inversion hiérarchique ».

178 « Du côté de l’évolution des métiers policiers, si l’on manque indéniablement aujourd’hui de données systématiques, divers indices concordent pour souligner la stabilité des pratiques de terrain, sauf quelques rares exceptions » in SMEETS, S. et TANGE, C., « Le Community Policing en Belgique: péripéties de la constitution d’un modèle de travail policier », op. cit., p. 19. 179 CROZIER, M. et FRIEDBERG, E., L’acteur et le système: Les contraintes de l’action collective, Seuil, 1992. 180 BRUGGEMAN, W., VAN BRANTEGHEM, J.-M. et VAN NUFFEL, D., « Vers l’Excellence dans la fonction... », op. cit., p. 34. 181 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 163. 182 Ibid., p. 89. 183 Ibid.

75

Page 89: La managérialisation de la police Belge

La figure suivante donne à voir ce mouvement bidirectionnel entre le sommet stratégique et la

base opérationnelle, au centre duquel se trouve la hiérarchie qui joue véritablement un rôle

d’interface.

Figure 11 – Inversion hiérarchique (Monjardet)184

En conclusion, nous pensons que la formalisation importante que prône le modèle d’EFP a

toutes les chances de se heurter à la crainte de la base opérationnelle de voir diminuer son

autonomie ou d’être contrainte de dévoiler ou d’abandonner certains aspects informels

pourtant indispensables au collectif de travail.

4.2.2. Le processus de sélection, au cœur du travail policier

Pour Dominique Monjardet, le travail de la police ne connaît pas de limite185. Les

tâches policières englobent à la fois les demandes que lui adresse le public (sécurité

publique), les événements qui nécessitent son intervention (lutte contre le crime) et les

missions prescrites par ses autorités (maintien de l’ordre)186. Pour l’auteur, cet ensemble de

tâches dépasse considérablement la capacité de n’importe quelle entité policière. Dans la

pratique, « ce qui constitue et organise concrètement le travail, c’est le processus de sélection

auquel il faut recourir inévitablement et dont découleront les tâches réellement

accomplies187 ».

184 Ibid. 185 « Il n’y a pas, et de quelque façon il ne saurait y avoir, de délimitation du travail policier » in Ibid., p. 39. 186 Ibid. 187 Ibid.

76

Page 90: La managérialisation de la police Belge

Pour le sociologue, c’est l’imprévu (l’événement singulier), très présent dans le quotidien

policier, qui nourrit ce processus de sélection. On comprend dès lors qu’il est malaisé de

planifier une activité policière si fragile aux aléas. Monjardet donne pour cela un exemple

éclairant : « […] telle politique judiciaire fédérale élabore des plans d’action à l’équerre,

aussitôt bouleversée par une inopinée affaire politico-financière, accaparant des moyens

exceptionnels. Pendant ce temps, les contrôles routiers programmés dans une zone de police

sont reportés afin de faire face à une série d’incendies volontaires »188.

Enfin, les priorités des uns peuvent aussi ne pas correspondre à celles des autres. La

« hiérarchie des priorités » devient enjeu de débats, voire de conflits 189 . Elle révèle les

rapports de force qui existent entre les acteurs ou groupes d’acteurs policiers. Reconnaître que

tel type d’événement est plus pertinent aux yeux de la police qu’un autre revient à promouvoir

sa propre vision de ce que sont les tâches légitimes, à définir ce qui est le « vrai » travail

policier190.

4.2.3. La hiérarchie des tâches

Comme nous l’avons vu dans le chapitre II, le modèle de CP est apparu à la suite de

plusieurs itérations (première importation du concept anglo-saxon, initiatives diverses de

« police de proximité », « police communautaire », FCOP …). Ceci n’a probablement pas

aidé à rendre le CP clair aux yeux des policiers. Il ressort de notre expérience de terrain qu’il

règne chez beaucoup de policiers affectés à l’intervention une confusion entre la philosophie

du Community Policing et la fonctionnalité de base de TQ (travail de quartier).

Ainsi, la prévention, de manière générale, se voit dénigrée aux yeux de bon nombre de

policiers affectés aux services d’intervention. « Faire de la proximité » n’est pas pour eux du

« vrai » travail policier, celui-ci renvoyant invariablement aux aspects les plus dangereux de

la profession (la « chasse », protéger les « faibles », arrêter les « méchants », les cas de

confrontations physiques…). Les tâches les plus valorisées sont celles qui entrent en

résonance avec la représentation répressive du rôle du policier. Les moins valorisées sont

celles où ils ont moins de chance de faire une « belle affaire » ou encore celles qui ne laissent

pratiquement aucune initiative (comme être posté à l’accueil du commissariat ou affecté au

maintien de l’ordre).

188 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 57‑58. 189 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 40. 190 Ibid., p. 43.

77

Page 91: La managérialisation de la police Belge

Monjardet use du concept de « hiérarchie des tâches » pour qualifier ce système de

valorisation symbolique différenciée.

4.2.4. L’involution des buts

Le travail policier est traditionnellement l’instrument de la justice et du pouvoir

politique. Cette définition en creux des tâches policières conduit le groupe professionnel

policier à tenter de redéfinir en permanence les buts et les moyens de son action191. C’est le

cas, selon l’auteur, lorsque « […] les mécanismes par lesquels la police substitue aux fins qui

lui sont prescrites le développement des moyens par lesquels elle est censée les atteindre [et

que, par exemple,] […] l’information devient une fin en soi »192.

L’auteur appelle cela l’« involution des buts ». Ce phénomène permet de comprendre

pourquoi « […] [l’] ensemble des pratiques policières concrètement observables n’est plus

pour une bonne part assignable à des choix policiers (définition d’objectifs, de stratégies,

affectation des moyens correspondants, etc.) mais ressorti à d’autres logiques »193.

Porté à son paroxysme, ce phénomène de retournement de l’instrumentalité policière sur elle-

même risque de l’enserrer dans un cercle fermé et de renforcer son opacité194.

4.3. La « nouvelle donne » idéologique policière

4.3.1. La combinaison de ressorts symboliques et instrumentaux

Les réformes qualifiées de NPM partagent la propriété centrale d’affecter à la fois les

dimensions instrumentales et symboliques des administrations195.

Du point de vue instrumental, les administrations sont vues comme des systèmes neutres,

rationnels et techniques qui nécessitent d’être perfectionnés en vue d’atteindre une plus

grande efficacité. Cette conception faussement « neutre » des administrations tend à diluer ce

qui en fait leur spécificité : leurs valeurs, conceptions professionnelles et éthiques.

Du point de vue symbolique, ces réformes offrent aux gouvernements et aux responsables

policiers des ressorts symboliques politiquement intéressants en termes de renforcement de

191 Ibid., p. 150. 192 Ibid., p. 215. 193 Ibid., p. 150. 194 Ibid., p. 217. 195 DE MAILLARD, J., « Réforme des polices dans ... », op. cit., p. 1228.

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Page 92: La managérialisation de la police Belge

leur légitimité, tels que le « meilleur contact avec la communauté » ou « la police qui coûte

moins mais travaille plus ».

La « nouvelle donne » policière n’échappe pas à cette règle. Son volet managérial (EFP)

relève principalement du premier type, son volet institutionnel (CP) du second.

4.3.2. Une réforme aux objectifs contradictoires

Selon Trosa, bon nombre de réformes issues du NPM se basent sur des objectifs

contradictoires. Ceux-ci n’apparaissent peut-être pas immédiatement, mais tôt ou tard ils se

font jour196.

Ainsi, les deux versants de la « nouvelle donne » policière que sont les idéologies

institutionnelle et managériale convoient des objectifs différents, voire incompatibles entre

eux.

Tout d’abord, contrairement aux discours managériaux qui se disent neutres, ils véhiculent

des valeurs très fortes. Par exemple, nous pourrions très bien considérer que la tolérance zéro

est une des formes extrêmes et radicales du CP197. Une société fortement intégrée, où tous

seraient « partenaires », a toutes les chances de devenir intransigeante vis-à-vis du moindre

comportement déviant de la norme. Ce comportement sera ressenti comme déviant par une

majorité ou une minorité très active de citoyens-partenaires. S’ensuit sa dénonciation et

l’intervention systématique de la police qui quitte son rôle d’intermédiaire dans les rapports

sociaux. Une autre variante consisterait à ce que la proximité se mue en un « […] travail

social indifférencié qui a perdu sa référence centrale à la loi (le policier devient moniteur de

sport, animateur de club de jeunes, visiteur de personnes âgées, etc.) »198. Ces exemples

illustrent la frontière ténue qui existe entre des conceptions différentes de la police de

proximité et la manière dont celle-ci peut se transformer en une police répressive199.

Que dire aussi de la volonté policière de poursuivre simultanément les objectifs d’une

meilleure efficience et d’une plus grande qualité200 ? Pour Trosa (2006), il s’agit là d’une

incompatibilité classique mais fondamentale entre les deux exigences201.

196 TROSA, S., « À propos de la deuxième édition... », op. cit., p. 559‑560. 197 Cet exemple nous a été livré par Caroll Tange lors de notre entretien 198 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 139. 199 LOUBET DEL BAYLE, J.-L., « Police et proximité ou le paradoxe du policier », in Les Cahiers de la sécurité, (2008), no 4, p. 144. 200 TRUYEN, E., « Mettre l’accent sur la qualité. EFQM Pol Be: de la théorie à la pratique (1ère partie) », in Le Journal de la Police, (avril 2007), no 4, p. 21‑24.

79

Page 93: La managérialisation de la police Belge

4.3.3. Les relations avec les usagers

Les discours sur l’amélioration des relations avec les usagers et la réforme de l’Etat ne

sont pas nouveaux (on en trouve des traces dès 1880 et dans les années 1940)202. Ce qui

change, c’est la tendance nette à la marchandisation de la relation avec les citoyens qualifiés

de « clients ». Celle-ci pose, comme nous l’avons vu au chapitre III, le problème du

changement de la philosophie à la base du service public. Elle crée aussi des attentes vis-à-vis

de l’institution policière comme évoqué ci-dessus. Que faire si la dissymétrie entre les attentes

des citoyens et la capacité de l’institution policière à y répondre se fait plus grande?

En pratique, la police est encore très loin de prendre en considération les aspirations

citoyennes203. Dominique Monjardet (1996) use du vocable « tiers absent » pour qualifier la

manière dont la demande sociale (sécurité publique) passe à la trappe au profit du pouvoir

(maintien de l’ordre) et de la profession (lutte contre le crime) lorsqu’il s’agit d’orienter

l’action policière204. Ne surestimons pas non plus l’intérêt qu’ont les citoyens à s’engager

dans une relation de partenariat avec la police. Claude Bottamedi nous met en garde en disant

que « […] les partenaires ne manquent pas de décevoir » 205 On le voit, la situation est

problématique à plusieurs égards.

4.3.4. La confrontation des rationalités politiques et managériales

Au regard du fonctionnement décisionnel d’une ZP, il est permis de douter de

l’alignement des stratégies des chefs de corps et de celles des organes que sont le Collège de

police et le Conseil de police.

L’opposition entre la « rationalité managériale » du chef de corps qui cherche à accroître

l’efficience et l’efficacité de son organisation, et la « rationalité politique » du Bourgmestre,

au centre de jeux de pouvoirs complexes, vient grandement tempérer l’autonomie gestionnaire

du chef de corps206. Ainsi donc, par exemple, « […] le chef de corps prônera des contrôles de

vitesse aux endroits ‘objectivement dangereux’ tandis qu’un bourgmestre privilégiera des

201 TROSA, S., « À propos de la deuxième édition... », op. cit., p. 557. 202 DUBOIS, V., « Politique au guichet, politique ... », op. cit., p. 267. 203 MOUHANNA, C., La police contre les citoyens ?, Champ social Editions, 2011. 204 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 267. 205 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 64. 206 SCHOENAERS, F., « Comment gérer la police dans une période de changement? », in Revue française de gestion, vol. 3-4 (2002), no 139, p. 43.

80

Page 94: La managérialisation de la police Belge

lieux en fonction des demandes de citoyens ou de ses ‘électeurs’, parfois indépendamment de

problèmes particuliers »207.

Ce rapport entre logique managériale et logique politique, favorable à cette dernière, est

renforcé par le fait que le chef de corps voit son mandat octroyé et renouvelé par les

bourgmestres qui siègent au Conseil de police. Bref, il est loin d’être en position de mettre en

œuvre un « leadership audacieux » comme le suggère la dimension « gestion optimale » de

l’EFP.

L’autonomie communale ayant été renforcée lors de la réforme des polices, le Bourgmestre

dispose, au Conseil de police, d’une capacité de vote proportionnelle à la contribution de sa

commune au budget de la ZP 208 . La capacité d’orientation des priorités policières des

Bourgmestres est très importante alors que « les décisions du Conseil de police se prennent

généralement de manière consensuelle, sur le mode du sous-entendu, du non-dit afin d’éviter

des conflits et de permettre opportunément des réciprocités, des dons et contre-dons […] »209

4.4. Retour sur notre seconde hypothèse (H2) Au terme de ce chapitre dédié à la compréhension du jeu des différences entre

idéologies et pratiques policières, nous estimons avoir suffisamment d’éléments en main pour

pouvoir valider ou invalider notre seconde hypothèse de recherche.

Pour rappel, elle était la suivante :

H2 : La « nouvelle donne » policière affecte peu la culture professionnelle des policiers

Nous renvoyons le lecteur au chapitre Méthodologie (en page 10) pour la définition des

termes qui la composent.

4.4.1. La « nouvelle donne » policière

4.4.1.1. L’idéologie institutionnelle

Le Larousse Illustré de 2003 définit une institution comme un organisme visant à

maintenir « un ensemble de règles, régi par le droit, en vue de la satisfaction d’intérêts

collectifs » 210 . Selon la même source, une idéologie est « un ensemble plus ou moins

207 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 60. 208 Ibid., p. 59. 209 Ibid. 210 Le Petit Larousse 2003, op. cit., p. 551.

81

Page 95: La managérialisation de la police Belge

systématisé de croyances, d’idées, de doctrines influant sur le comportement individuel ou

collectif »211.

Ce que nous retenons de ces deux définitions, c’est qu’une institution est un organisme

collectif, assurant la régulation sociale et obéissant lui-même à des règles visant à satisfaire

les intérêts de la collectivité, et qu’une idéologie est un discours à forte tonalité symbolique.

La combinaison des deux termes pour former celui d’idéologie institutionnelle nous semble

pertinente pour parler des efforts que fait l’institution policière pour se doter d’une

philosophie commune aux deux niveaux (local et fédéral) en vue de légitimer son action, de

mieux délimiter l’étendue de son mandat et de clarifier sa place dans la société. Ce travail de

réflexion a donné naissance à ce qui deviendra le Community Policing (ou FCOP).

A nos yeux, le socle sur lequel repose cette idéologie institutionnelle est de replacer la police

au centre des rapports sociaux. Son pilier « orientation externe » est on ne peut plus explicite :

« La police ne se trouve pas face à la société, elle en fait partie. Elle est intégrée dans la

société. Elle prend rapidement et complètement conscience de ce qui ‘se vit et se trame’ en

matière de sécurité, de criminalité et de viabilité dans la société et elle s’y adapte. Lors de la

définition des priorités de sécurité/de fonction de police, elle tient en particulier compte des

attentes de la population/communauté(s) »212

Cette ambition n’est pas mince et suggère d’accepter au moins deux prédicats.

Premièrement, une police « plus proche des citoyens » sera nécessairement plus réactive et

efficace.

Deuxièmement, il est du devoir de l’institution de satisfaire les attentes diverses de la

population en matière de sécurité et de s’assurer que les objectifs stratégiques de

l’organisation sont alignés avec la demande sociale en vue de répondre à ses besoins213.

Que dire à présent de la validité empirique de la philosophie du CP ?

Avant tout, comme nous l’avons déjà dit, que la plupart des policiers que nous avons

rencontrés confondent le CP et le TQ. Tous deux font l’objet de représentations dévalorisantes

dans la profession policière. Le manque de définition claire et concrète des objectifs et des

211 Ibid., p. 526. 212 BRUGGEMAN, W., VAN BRANTEGHEM, J.-M. et VAN NUFFEL, D., « Vers l’Excellence dans la fonction... », op. cit., p. 19. 213 Le pilier « justification » va encore plus loin en suggérant que les « […] communautés déterminent à la fois le contenu et les priorités de la fonction de police […] » in Ibid., p. 81.

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Page 96: La managérialisation de la police Belge

spécificités du travail de quartier n’arrange pas les choses. La polyvalence des agents est

souvent considérée comme une absence de qualification.

Ensuite, l’organisation policière s’est, semble-t-il, fourvoyée si elle comptait impulser un

changement de mentalités en prenant pour analogie la tâche d’huile. L’idée initiale, selon

Carrol Tange, était de prendre un noyau d’agents de quartier et de « faire tâche d’huile »,

c’est-à-dire d’étendre les valeurs de proximité au reste de l’organisation. Bien qu’occupant

une position dévalorisée dans l’échelle de valeurs policières, l’inspecteur de quartier (IQ) était

présenté comme le fer de lance de la réforme. Et notre interlocuteur de conclure :

« S’imaginer qu’on allait changer les choses à partir de l’IQ, c’était avoir une poutre dans

l’œil »214.

4.4.4.2. L’idéologie managériale

Le chapitre III consacré aux théories du NPM abonde en signes de l’adoption

tendancielle de principes managériaux par les administrations. L’EFP, dans son volet gestion

optimale, ne déroge pas à la règle. Que dire de la planification des activités policières,

accompagnée de la fixation d’indicateurs de performance (KPIs 215 ), de la recherche de

moyens de concilier efficacité et efficience, ou encore du grand bond permanent en avant au

nom de l’amélioration continue ?

Premièrement, la maîtrise des processus organisationnels semble plus capricieuse que ne le

laissent penser les modélisations de l’EFP. C’est le cas pour la mesure de la performance de

pans entiers de l’activité policière (travail de quartier, accueil, aide aux victimes).

Deuxièmement, la diversité du travail policier a bien du mal à rentrer dans les grilles de

lectures managériales. Pour Dominique Monjardet, « [l]e postulat selon lequel toute activité

policière peut être ‘codée’, au sens strict du terme, c’est-à-dire rattachée à une fonction ou

mission identifiable de l’institution policière, est tout à fait questionnable »216.

Enfin, l’effort que consacre la discipline managériale à dissocier, mesurer, contrôler chaque

rouage du système policier n’est-il pas voué à l’échec dans une organisation où l’imprévu et

les aspects informels du travail font partie de l’ADN de la profession ? Il est pourtant bien

acquis en sociologie des organisations que toute organisation possède deux versants. L’un,

formel, recouvre l’ensemble des règlements, systèmes et politiques clairement établis et

214 TANGE, C., « Entretien », op. cit. 215 Key Performance Indicators 216 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 93.

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Page 97: La managérialisation de la police Belge

légitime l’organisation sociale d’un collectif de travail. L’autre, informel, est le produit non

légitimé de l’interaction sociale implicite entre les membres d’un groupe de travail. Les deux

sont interdépendants. Pour Monjardet, « [i]l n’y a pas d’organisation formelle sans

organisation informelle et donc sans opacité ni inertie »217.

4.4.2. La culture professionnelle des policiers

4.4.2.1. L’utopie de la transparence

La transparence organisationnelle interne que prône l’EFP est, de notre point de vue,

un vœu pieux. Nous faisons ici référence au phénomène d’inversion hiérarchique par lequel

ce qui transite entre la base opérationnelle – dont on a vu précédemment qu’elle jouissait

d’une très grande autonomie dans son travail – et le sommet de l’organisation est toujours

« traduit » (médiatisé) par le corps hiérarchique intermédiaire. Comment pourrait-il être

question de transparence des informations alors que, ascendantes ou descendantes, celles-ci

sont filtrées ou retravaillées ?

Pour Monjardet, l’organisation risque bien de perdre contact avec la réalité tant « […] la

pratique constante du codage par la hiérarchie peut conduire celle-ci – lorsqu’elle ne dispose

pas d’une expérience réelle du terrain (et c’est souvent le cas) - à identifier le code et la

pratique, à s’auto-intoxiquer par le code » 218 . En résumé, « […] plus l’utopie de la

transparence est frénétique, comme dans le taylorisme et l’organisation scientifique du travail,

plus elle suscite freinage et opacité »219

4.4.2.2. L’ordre des priorités policières

La détermination des priorités policières par le sommet de l’organisation change peu le

fait que l’événement imprévu, au cœur de la réalité policière fondamentale, donne lieu dans le

chef de l’agent à un processus de sélection des tâches qu’il accomplira réellement parmi le

vaste ensemble des tâches susceptibles de le concerner.

4.4.2.3. Le maintien des équilibres internes

La police est traditionnellement l’instrument de la justice et du pouvoir politique.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’involution des buts se produit lorsqu’on

217 Ibid., p. 17. 218 Ibid., p. 95. 219 Ibid., p. 200.

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Page 98: La managérialisation de la police Belge

constate que l’instrumentalité policière se retourne sur elle-même et le maintien de ses

équilibres internes.

Une manière d’expliquer l’écart entre discours et pratiques policières pourrait être

d’envisager, à la suite de C. Bottamedi, que le système policier tend à se rééquilibrer selon ses

caractéristiques premières à l’issue de « […] quelques turbulences nommées ‘Community

Policing’ ou ‘EFQM’ […] »220.

4.4.3. En conclusion

Aucune administration n’est vierge de toute réforme. Selon Monjardet, « [i]l n’y a pas

de police ‘presse-bouton’ que son chef (directeur de police, ministre, maire, pouvoir)

actionnerait à loisir, dans une transparence entière et avec une parfaite adéquation entre

intention et résultat » 221 . Ce décalage semble être une constante dans l’histoire des

administrations et impose de rompre avec l’idée qu’il existe un lien mécanique entre les

réformes entreprises et les effets qui en découlent222.

A la question de savoir pourquoi il existe des différences entre l’idéologie et les pratiques

policières (Q2), nous validons l’affirmation selon laquelle la « nouvelle donne policière »

affecte peu la culture professionnelle des policiers (H2).

Bien qu’il existe des zones de police « vitrines »223 de l’idéologie de la « nouvelle donne »,

nous avons pu constater que la police d’Excellence ne parle pas aux policiers de terrain, pas

plus que le CP. La fuite en avant de l’organisation dans des modélisations théoriques poussées

et manquant d’ancrage dans les pratiques semble lui faire oublier les réalités fondamentales de

la profession policière224. Elles sont ce que Brunsson appelle des « mécanismes d’espoir »

comme support au déni de l’échec du projet de réforme225.

Quelles conclusions tirer à présent ?

La « nouvelle donne » policière se heurte au pouvoir discrétionnaire dont disposent

les acteurs de la base opérationnelle

220 BOTTAMEDI, C., « L’EFQM comme modèle de management ... », op. cit., p. 65. 221 MONJARDET, D., Ce que fait la police ..., op. cit., p. 34. 222 DE VISSCHER, C. et VARONE, F., « La nouvelle gestion publique ... », op. cit., p. 201. 223 C’est le cas de la ZP Bruxelles-Nord selon qui est régulièrement citée en exemple 224 HENDRIX, Y., « Manager ou apprenti sorcier? Confrontation de la démarche EFQM aux réalités de terrain », in Le Journal de la Police, (juin 2008), no 6, p. 22‑23. 225 DUMEZ, H., « La mécanique de l’espoir vue par Nils Brunsson : réformons pour être (enfin) rationnels », in AEGIS Le Libellio d’, vol. 3 (2007), no 2, p. 4‑9.

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Page 99: La managérialisation de la police Belge

La « nouvelle donne » policière renvoie une image peu valorisée du travail policier

aux yeux des professionnels

La « nouvelle donne » policière semble faire abstraction des logiques informelles

pourtant au cœur de toute organisation

La « nouvelle donne » policière est un puissant levier de légitimation de l’action

policière

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Page 100: La managérialisation de la police Belge

CONCLUSIONS

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Page 101: La managérialisation de la police Belge

Il est temps à présent de conclure notre étude et de passer en revue les résultats de notre

recherche.

Avec notre première question de recherche, nous nous demandions si la réforme des services

de police avait produit une « nouvelle donne » policière (Q1). Après avoir, au terme du

chapitre III, validé notre première hypothèse, nous avons été en mesure d’avancer que la

modernisation des services belges de police s’inscrit bel et bien dans la lignée des

transformations qui affectent les administrations qualifiées de New Public Management

(NPM). Dès lors, il s’est avéré que le système administratif policier possède la plupart des

caractéristiques que l’on retrouve dans le terreau idéologique du NPM.

Nous avons également montré que ces transformations se sont immiscées dans chacune des

dimensions du système administratif policier (structure et culture organisationnelles, modes

de contrôle, philosophie à la base du service public).

Ensuite, nous avons souligné qu’il est insuffisant d’appréhender ces réformes en des termes

strictement techniques (c’est-à-dire visant à améliorer le fonctionnement global des

administrations), car elles introduisent de nouvelles conceptions du rôle des institutions et du

service public.

Partant du constat qu’il existe une différence significative entre les discours que tient

l’institution sur ce qu’elle fait et les pratiques réelles des acteurs policiers, nous nous sommes

demandé à quoi pouvaient être dues ces différences (Q2).

Nous avons conclu que cela était le fruit de la confrontation entre deux systèmes de valeurs

opposés : l’idéologie de la « nouvelle donne » policière et la culture professionnelle des

policiers. Nous avons montré que cette opposition provient de l’effet cumulé de plusieurs

phénomènes.

Avant toute chose, il apparaît que la « nouvelle donne » policière va dans le sens d’une

réduction du pouvoir discrétionnaire dont jouissent les acteurs de la base opérationnelle.

Ensuite, il ressort qu’elle véhicule une image dévalorisée du travail policier auprès des

professionnels. Par ailleurs, elle semble faire abstraction des logiques informelles pourtant au

cœur de tout collectif de travail. Enfin, son utilité réelle semble surtout résider dans le surcroît

de légitimité qu’elle confère à l’action policière.

En somme, la logique managériale impulsée par l’organisation, désireuse de renforcer sa

légitimité, se heurte au système de valeurs des professionnels à la base de l’organisation,

soucieux de préserver leurs marges de manœuvre et leurs conceptions du métier de policier.

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Page 102: La managérialisation de la police Belge

DISCUSSION

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Page 103: La managérialisation de la police Belge

Cette recherche a mis en lumière les contraintes empiriques qui peuvent tenir en échec les

plus élaborés des discours gestionnaires. Elle invite les chercheurs et les praticiens à être

attentifs aux écarts parfois importants qui peuvent exister entre les discours et ce qu’en font

les acteurs, entre la théorie et la pratique, entre le dire et le faire.

Les administrations possèdent des traits caractéristiques qui rendent malaisée l’importation de

modèles « clés en main » en provenance des entreprises privées. Selon Santo et Verrier

(2007), « [i]l n’y a pas de différence de méthode, ni même de différence de nature dans le

choix des outils entre secteur public et secteur privé, il y a différence d’intention : naïveté des

administrations à penser qu’en changeant les mots, en manipulant les images, l’on changerait

l’organisation elle-même et la façon de diriger … » 226 . Le risque que courent les

administrations à user de tels artefacts est de brouiller le sens de mots pourtant essentiels tels

que « service public », « citoyenneté » ou « démocratie ».

Dès lors, comment expliquer que des administrations continuent à se faire les porte-voix de

discours gestionnaires pourtant aux antipodes de la réalité ? Nous avons vu qu’il s’agissait là

d’une manière de chercher à renforcer leur légitimité.

Nous pensons que d’autres moyens d’améliorer le fonctionnement des administrations et les

rapports qui les lient aux citoyens existent et sont préférables. Citons par exemple ceux

consistant à prendre le temps d’évaluer les réformes déjà engagées ou ceux invitant les

administrations à consacrer plus d’efforts à faire en sorte que les professionnels de la fonction

publique soient demandeurs de changements et se les approprient effectivement227.

Le complément naturel de cette recherche serait d’aller plus loin que de se limiter à pointer les

contradictions propres au modèle policier belge. Ainsi, il nous paraîtrait tout à fait pertinent

de faire l’inventaire des initiatives menées localement (la « débrouille » des acteurs de terrain)

permettant de surmonter ces obstacles et de parvenir à un changement réel des pratiques.

226 SANTO, V.-M. et VERRIER, P.-E., Le management public, Édition : 3e édition., Paris, Presses Universitaires de France - PUF, 2007, p. 45. 227 BEZES, P., DEMAZIÈRE, D., LE BIANIC, T., PARADEISE, C., NORMAND, R., BENAMOUZIG, D., PIERRU, F. et EVETTS, J., « New Public Management et professions dans l’État : au-delà des oppositions, quelles recompositions ? », in Sociologie du Travail, vol. 53 (juillet 2011), no 3, p. 293‑348.

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Page 104: La managérialisation de la police Belge

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Page 110: La managérialisation de la police Belge

ANNEXES

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TABLE DES ANNEXES Annexe 1 ................................................................................................................................................................. A Annexe 2 ................................................................................................................................................................. B

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Annexe 1 Tableau 27 –Déconstruction du problème de rotation des effectifs d’une ZP bruxelloise228

Dimensions Titres des sections

Dimension professionnelle

- L’échelle des valeurs

- Le changement de visage de l’Inspecteur de quartier (IQ)

- Le statut des jeunes IQ bruxellois, la triple sanction :

Loin de chez soi

La période de détachement

Faire du travail de quartier, le « sale boulot »

- Le pouvoir discrétionnaire de l’IQ

- Un « danger relativisé »

- La double mise à l’épreuve de l’IQ

- Les qualités d’un IQ

Dimension sociétale

- Le rôle de médiateur social

- Les conflits de rôle de l’IQ, le paradoxe policier

- Le quartier, un espace avant tout « humain »

- L’implication de l’IQ

- Ce qui se joue dans la relation policiers-citoyens

- L’instrumentation des policiers

- Les coulisses du théâtre policier

- Les vertus de la patrouille pédestre

Dimension environnementale

- Un environnement « hostile »

- La défiance des jeunes « beurs » à l’égard des policiers

- Les quartiers de Molenbeek et leurs « habitants »

- Le rôle du bourgmestre

Dimension organisationnelle

- Manque d’encadrement

- Manque d’indicateurs de la performance et des résultats

- Le sentiment de « manquer de moyens »

- Surcharge de travail pour les IQ restants

- La déspécialisation croissante, les « fusibles » du quartier

228 Issu de Nizet et Pichault, p.232-234

A

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Annexe 2 Tableau 28 – Comparaison des configurations bureaucratique et professionnelle selon Mintzberg229

Configuration bureaucratique Configuration professionnelle

1. C

once

ptio

n de

la st

ruct

ure

- Division du travail Forte tant sur la dimension verticale qu’horizontale

Faible sur la dimension verticale ; forte sur la dimension horizontale

- Coordination du travail entre opérateurs

Par standardisation des procédés ou des résultats

Par standardisation des qualifications

- Qualification des opérateurs

Faible Élevée, importance particulière à la compétence spécifique

- Mode de départementalisation

Par input À la fois par input et par output

- Taille des départements (span of control)

Grande Généralement grande

- Différenciation Forte sur la dimension verticale Forte sur la dimension horizontale

- Liaison entre unités Exclusivement des mécanismes qui reposent sur la formalisation : planification des activités ou contrôle des performances

Essentiellement des mécanismes reposant sur les relations interpersonnelles : postes de liaison et comités permanents

2. F

acte

urs d

e co

ntin

genc

e

- Âge Vieille Peu spécifique

- Taille Grande Peu spécifique

- Technologie Moyennement élaborée : production de masse

Peu spécifique

- Marché Stable, simple Stable, complexe

3.

But

s - Mission et/ou système Prédominance des buts de système comme buts opérants ; les buts de mission peuvent être

Différents buts de mission correspondant aux préoccupations des

229 NIZET, J. et PICHAULT, F., Comprendre les organisations, op. cit., p. 232‑234.

B

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officiels : dans cette éventualité, il y a décalage entre buts officiels et buts opérants

différents groupes d’opérateurs

- Degré d’opérationnalité Très élevé La variété des buts des professionnels se traduit en buts organisationnels peu opérationnels

- Système de buts Modérément intégré ; certaines tensions sont possibles entre différents buts de système, de même qu’entre certains buts de système et certains buts de mission

Conflictuel : conflits entre les buts des différentes catégories de professionnels

4. P

ouvo

ir

- Localisation du pouvoir Chez le sommet hiérarchique et chez les analystes de la technostructure

Principalement chez les professionnels et dans le bas de la ligne hiérarchique ; le sommet stratégique exerce une influence en gérant les conflits

- Attitudes des autres acteurs Les opérateurs sont non impliqués ; ils le deviennent par le biais des syndicats, qui exercent plus de pouvoir que dans les autres configurations

Les propriétaires sont réduits à la non-implication et les associations de travailleurs sont inexistantes ou non impliquées (à l’exception des associations professionnelles)

C