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Cercle des communicants francophones « Les citoyens n’ont plus de déférence envers les politiques, ils ne les écoutent plus. Il faut donc inverser le regard de l’écriture médiatique » Maxime Verner, président du cabinet de conseil Hesychia et directeur de la publication de Forwards répond à quelques questions du Cercle des communicants francophones . Lorsque vous avez été candidat à l'élection présidentielle en 2012, à seulement 21 ans, les médias vous ont présenté comme ''le candidat des jeunes''. Comment communiquiez-vous à l'époque ? Quel est votre regard actuel sur la communication politique ? Maxime Verner (MV) : Ayant décidé de mettre le fond au centre de ma campagne, j'ai publié mes 89 propositions dans un manifeste et j’ai fait le tour de la France pour échanger autour. Je l'ai présenté lors de débats, de rencontres avec des acteurs sociaux et économiques, de visites d’usine, d’associations... J’ai refusé les invitations de médias qui voulaient jouer la carte ''sensationnaliste'' du jeune étudiant boursier qui se présente à la présidentielle mais accepté les invitations me laissant la possibilité d’exposer et de débattre de mes idées. J’ai communiqué principalement sur les réseaux sociaux, en publiant mes discours, impressions et idées sur mon site Internet. J’ai également pu communiquer dans la PQR. La communication politique se pense encore comme descendante : comment rendre les réformes plus acceptables, mieux comprises donc plus efficaces ? Mais au fond, les citoyens n’ont plus de déférence envers les politiques, ils ne les écoutent plus. Il faut donc inverser le regard de l’écriture médiatique. Les citoyens doivent eux-mêmes créer des événements politiques, imposer leur agenda médiatique et faire de cette manière la campagne. Les politiques suivront. … et sur ses dérives ? (MV) : Il faut expérimenter, donc faire des erreurs. Si je me présentais de nouveau à l’élection présidentielle - ce qui n’est pas impossible vu l’offre politique que notre pays connaît - et qui ne me satisfait pas, je communiquerai différemment. Je pense que notre pays a besoin d’un discours sur la complexité. Les citoyens ont besoin de comprendre, ils sont prêts à cela. Nous sommes dans une ère d’opportunité démocratique. Il faut refuser de laisser une part de nos libertés en acceptant une société de la survie. Il est nécessaire d'inventer une nouvelle manière d’être ensemble, portée par une nouvelle vision, celle de la France dans le futur. Et c’est à la communication de donner la grammaire de ce travail politique, d’œuvrer à la formation d’un nouveau « nous ». Mais sans homme politique, sans idées et sans valeurs, il n’existe aucune communication, puisqu’il n’y a pas de communion possible hors de l’événement. L'homme ou la femme politique est-il devenu une marque ? Quels sont les grands ressorts actuels du marketing politique en France ? (MV) : Je ne crois pas en ce discours sur le marketing de l’homme politique. Ce qui est primordial, c’est l’offre politique, ce qui est proposé aux citoyens à un moment précis. Evidemment, l’évolution des médias et de la consommation de l’information a modifié les cadres, les formes. On assiste à un retour des grands meetings et à une multiplication de la parole politique, au point de voir des ''sous- fifres'' de partis politiques parler sur les plateaux pour distiller des éléments de langage...

"Les citoyens doivent eux-mêmes créer des événements politiques et imposer leur agenda médiatique"

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Cercle des communicants francophones

« Les citoyens n’ont plus de déférence envers les politiques, ils ne les écoutent plus. Il faut donc inverser le regard de l’écriture médiatique »

Maxime Verner, président du cabinet de conseil Hesychia et directeur de la publication de Forwards répond à quelques questions du Cercle des communicants francophones.

Lorsque vous avez été candidat à l'élection présidentielle en 2012, à seulement 21 ans, les médias vous ont présenté comme ''le candidat des jeunes''. Comment communiquiez-vous à l'époque ? Quel est votre regard actuel sur la communication politique ?

Maxime Verner (MV) : Ayant décidé de mettre le fond au centre de ma campagne, j'ai publié mes 89 propositions dans un manifeste et j’ai fait le tour de la France pour échanger autour. Je l'ai présenté lors de débats, de rencontres avec des acteurs sociaux et économiques, de visites d’usine, d’associations... J’ai refusé les invitations de médias qui voulaient jouer la carte ''sensationnaliste'' du jeune étudiant boursier qui se présente à la présidentielle mais accepté les invitations me laissant la possibilité d’exposer et de débattre de mes idées.

J’ai communiqué principalement sur les réseaux sociaux, en publiant mes discours, impressions et idées sur mon site Internet. J’ai également pu communiquer dans la PQR.

La communication politique se pense encore comme descendante : comment rendre les réformes plus acceptables, mieux comprises donc plus efficaces ? Mais au fond, les citoyens n’ont plus de déférence envers les politiques, ils ne les écoutent plus. Il faut donc inverser le regard de l’écriture médiatique. Les citoyens doivent eux-mêmes créer des événements politiques, imposer leur agenda médiatique et faire de cette manière la campagne. Les politiques suivront.

… et sur ses dérives ?

(MV) : Il faut expérimenter, donc faire des erreurs. Si je me présentais de nouveau à l’élection présidentielle - ce qui n’est pas impossible vu l’offre politique que notre pays connaît - et qui ne me satisfait pas, je communiquerai différemment.

Je pense que notre pays a besoin d’un discours sur la complexité. Les citoyens ont besoin de comprendre, ils sont prêts à cela. Nous sommes dans une ère d’opportunité démocratique. Il faut refuser de laisser une part de nos libertés en acceptant une société de la survie. Il est nécessaire d'inventer une nouvelle manière d’être ensemble, portée par une nouvelle vision, celle de la France dans le futur. Et c’est à la communication de donner la grammaire de ce travail politique, d’œuvrer à la formation d’un nouveau « nous ». Mais sans homme politique, sans idées et sans valeurs, il n’existe aucune communication, puisqu’il n’y a pas de communion possible hors de l’événement.

L'homme ou la femme politique est-il devenu une marque ? Quels sont les grands ressorts actuels du marketing politique en France ?

(MV) : Je ne crois pas en ce discours sur le marketing de l’homme politique. Ce qui est primordial, c’est l’offre politique, ce qui est proposé aux citoyens à un moment précis. Evidemment, l’évolution des médias et de la consommation de l’information a modifié les cadres, les formes. On assiste à un retour des grands meetings et à une multiplication de la parole politique, au point de voir des ''sous-fifres'' de partis politiques parler sur les plateaux pour distiller des éléments de langage...

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Y a-t-il en France une ''Berlusconisation'' de la vie politique ? Comment voyez-vous l'élection présidentielle de 2017 ?

(MV) : Berlusconi n’est pas un homme politique, c’est un symbole, un cheval de Troie. Et c’est justement cette ère de la transparence forcée qui a donné aux citoyens une peine supplémentaire : voir sans comprendre n’est pas voir. Je crois que 2017 sera le climax de cette dérive de la communication politique, initiée dès 1974. Si Depardon retournait un film sur la campagne de Juppé par exemple aux prochaines présidentielles, nous verrions à quel point la communication politique a évolué non pas dans l’esprit des politiques, mais dans celui des citoyens, qui savent décrypter et donc repoussent ces tactiques.

Pour autant, n'y a-t-il pas un danger à mettre en scène sa vie privée ?

(MV) : La vie privée d’un homme politique n’a aucun intérêt dans l’espace public. Elle créé une ''hystérisation'' de la vie politique qui a donné lieu à la plus formidable ''entreprise de ridiculisation'' de la fonction présidentielle depuis ''les chrysanthèmes''. Le livre de Valérie Trierweiler est un signal : l’homme politique est mort en France. Les citoyens vont se réapproprier le corps politique, je le crois, et il est temps.

Quels sont pour vous aujourd'hui les outils de communication politique les plus performants ? Et quels seront les outils de demain ?

(MV) : Les outils doivent permettre de relier les personnes qui peuvent l’être, qui ont du sens à l’être. Ce sont des facilitateurs, des interfaces. Mais le premier outil, c’est la conscience. L'important, c'est la rencontre entre les personnes, que cette rencontre soit physique ou digitale. Ensuite, je crois que la politique a besoin de mémoire et d’analyse. Pour cela, Internet change tout, car tous les discours et les propositions peuvent être disponibles, archivées, tracées, débattues en ligne. Je crois de moins en moins à la télévision, et pour moi la radio et la presse régionale sont les médias politiques par excellence, et le resteront.

Est-ce qu'il vous arrive d'analyser la communication de certaines personnalités politiques étrangères ? Si tel est le cas, pourriez-vous citer 3 dispositifs de communication innovants qui vous ont marqué ?

(MV) : L’utilisation que fait Renzi de Twitter est innovante, mais cela ne change rien au regard que portent les Italiens sur ses réformes. Obama quant à lui avait inventé une véritable iconographie, une forme nouvelle de communication politique. C’est le politique-Instagram. Aujourd’hui, sa communication est néanmoins confrontée à la réalité des faits. Quant à Podemos en Espagne, c'est un mouvement dont la manière de communiquer présage de l’avenir de la politique. Il faut parler simplement, expliquer la complexité du monde d’aujourd’hui et de demain en la rendant accessible à tous, sans la renier ni la mutiler. Nous attendons tous une déflagration dans la communication politique telle qu’un écrivain comme Céline l’a imposée à la littérature en recréant un langage parlé dans l’écrit qui rende toute son émotion au texte. Le rendu émotif littéraire doit trouver son pendant, son ''rendu politique'', dans le sens du pouvoir des idées sur la vie.

Comment l'homme politique de demain devrait-il communiquer ?

(MV) : Il doit dire sa vérité, et pour cela il doit la chercher. La politique est un geste, un acte de courage, la poursuite d’une éthique. Si les hommes politiques ont une vie intérieure foisonnante, cela s’entendra et inspirera. La première méthode, c’est donc de se nourrir de tout et, pour cela, d’être curieux, de comprendre tous les aspects et toutes les couches de la culture et toutes les façons de vivre dans son environnement.

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Les outils suivront mais le plus important dans le discours politique, c’est le discours justement, son articulation, son sous-texte, son souffle. Un travail sur les formes et la dynamique devrait être fait par tous les aspirants politiques, qui ne font que reproduire les discours creux et ampoulés de leurs aînés. Malraux n’aurait été qu’un vulgaire hâbleur, un ramassis de bla-bla pathétique, s’il n’avait pas son vécu, son Musée imaginaire. C’est cela qu’il faut recréer, le goût de l’aventure, pas la pâle copie, et le Verbe reprendra du sens, de le saveur, transmettra de nouveau des valeurs, et la communication politique reprendra tout son sens purement social. Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en janvier 2015

Le Cercle vise à faire progresser la communication publique et politique dans le monde francophone. Il se veut être un espace de dialogue, de partage d'expériences et de valorisation de tous.

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