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vendredi 11 septembre 2015 Les travaillistes tentés par un virage à gauche avec Jeremy Corbyn d Le nouveau chef de la gauche britannique, élu par les adhérents du parti lors d’un scrutin qui a duré un mois, sera connu demain. d Contestataire de la politique centriste menée par le New Labour de Tony Blair, le député Jeremy Corbyn, qui se proclame « socialiste », est bien parti pour devenir son nouveau leader. LONDRES - Correspondant La Croix Annoté Eric LEGER Jeremy Corbyn est la nouvelle pop star de la politique britannique. À sa montée sur la scène du théâtre Civic de Chelmsford, ville forte du Parti conservateur peuplée de 168 000 ha- bitants, la plupart des 450 spectateurs se lèvent et l’applaudissent à tout rompre, interrompant le discours de l’un de ses collègues. Avec sa barbe grise désordonnée, sa chemise blanche rayée de ines lignes roses et marron, son tricot de corps blanc, son pantalon de coton et ses sandales beiges, cet homme de 66 ans n’a pour- tant pas le look du jeune premier. Alors que les supporteurs du Parti travailliste ont pu voter jusqu’à hier pour élire leur prochain leader, les rares sondages publiés au cours des deux derniers mois donnent élu fa- cilement celui qui se déinit comme un « travailliste socialiste ». Comment, trois mois après la dé- faite des siens lors de la dernière élec- tion générale, Jeremy Corbyn se re- trouve-t-il en position pour prendre la tête du deuxième parti britannique ? « Contrairement aux quatre autres candidats, il apporte une autre voix, très éloignée du consensus, estime Matt Bridger, un informaticien installé dans la ile. Et si c’est la première fois que je me rends à une réunion politique, c’est aussi parce que son discours me paraît cohérent. » Non consensuel ? « Il faut être fort et courageux pour changer la mu- sique », répond à La Croix Jeremy Corbyn, député de la circonscription londonienne d’Islington Nord depuis 1983. « Je veux renationaliser les com- pagnies de production d’énergie, le service postal, les compagnies ferro- viaires et de nombreux autres services publics vendus au privé contre l’inté- rêt des Britanniques. Je veux aussi mettre in à cette politique d’austérité qui n’a fait qu’augmenter les inégalités et s’en prend toujours aux plus pauvres. » Son projet économique phare consiste en la création d’une banque nationale d’investissement « pour construire des logements sociaux et des infrastructures de transports et relancer l’industrie et la manufacture ». Face à lui igurent la blairiste Liz Ken- dall, considérée comme la plus à droite et donc la principale menace pour les conservateurs, la sociale- démocrate Yvette Cooper et l’homme de gauche Andy Burnham. Si la première estime que « le Parti travailliste doit être autant passionné par la création de richesse qu’il l’est de la redistribution de la richesse », les deux autres se ressemblent fortement, après avoir multiplié les postes mi- nistériels entre 2007 et 2010 lorsque Gordon Brown était premier ministre. Tous leurs supporteurs et la plupart des élus du parti l’airment en tout cas : choisir Jeremy Corbyn rendrait le Labour inéligible en 2020 et assu- rerait le maintien des conservateurs au pouvoir. Au meeting de Chelmsford, la plu- part des gens n’ont guère ces consi- dérations électoralistes en tête. La plupart n’ont pas voté travailliste lors de la dernière élection générale, et certains depuis bien longtemps. « De- puis la création du New Labour par Tony Blair, il y a trop d’alignement entre le Parti travailliste et le Parti conservateur, il n’y a pas assez de dif- férences entre leurs idées et leur poli- tique », poursuit Matt Bridger. L’irruption de Jeremy Corbyn dans la course à la direction du pays leur a rendu espoir. Leur regard brille et leurs visages s’animent à l’énoncé de son nom. « Son arrivée est un vrai soulagement pour tous les militants silencieux qui grâce à lui se font en- tendre pour la première fois en Angle- terre depuis des décennies », avoue Ken Jener, qui travaille au sein du principal syndicat de l’éducation. « Sa présence dans la lutte pour la tête du parti est un accident mais son succès est le résultat de trente ans d’implica- tion dans le mouvement social, que ce soit les actions pour la Palestine, contre la guerre, le nucléaire, etc. » Cet engagement multiforme lui a fourni l’image d’un homme juste et vrai. Un atout en cette époque où les politiciens sont surtout perçus comme calculateurs et sans conviction pro- fonde. Sera-ce suisant pour l’em- porter ? Réponse demain, à l’annonce des résultats. TRISTAN DE BOURBON Jeremy Corbyn (au centre) pourrait devenir demain le nouveau leader du Parti travailliste. « Je veux mettre fin à cette politique d’austérité qui n’a fait qu’augmenter les inégalités et s’en prend toujours aux plus pauvres. »

Au-delà...du miroir !

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vendredi 11 septembre 2015

Les travaillistes tentés par un virage à gauche avec Jeremy Corbyn d Le nouveau chef

de la gauche britannique, élu par les adhérents du parti lors d’un scrutin qui a duré un mois, sera connu demain. d Contestataire de la politique

centriste menée par le New Labour de Tony Blair, le député Jeremy Corbyn, qui se proclame « socialiste », est bien parti pour devenir son nouveau leader.

LONDRES - Correspondant La Croix Annoté Eric LEGER

Jeremy Corbyn est la nouvelle pop star de la politique britannique. À sa montée sur la scène du théâtre Civic de Chelmsford, ville forte du Parti conservateur peuplée de 168 000 ha-bitants, la plupart des 450 spectateurs se lèvent et l’applaudissent à tout rompre, interrompant le discours de l’un de ses collègues. Avec sa barbe grise désordonnée, sa chemise blanche rayée de ines lignes roses et marron, son tricot de corps blanc, son pantalon de coton et ses sandales beiges, cet homme de 66 ans n’a pour-tant pas le look du jeune premier.

Alors que les supporteurs du Parti travailliste ont pu voter jusqu’à hier pour élire leur prochain leader, les rares sondages publiés au cours des deux derniers mois donnent élu fa-cilement celui qui se déinit comme un « travailliste socialiste ».

Comment, trois mois après la dé-faite des siens lors de la dernière élec-tion générale, Jeremy Corbyn se re-trouve-t-il en position pour prendre la tête du deuxième parti britannique ? « Contrairement aux quatre autres candidats, il apporte une autre voix, très éloignée du consensus, estime Matt Bridger, un informaticien installé dans

la ile. Et si c’est la première fois que je me rends à une réunion politique, c’est aussi parce que son discours me paraît cohérent. »

Non consensuel ? « Il faut être fort et courageux pour changer la mu-sique », répond à La Croix Jeremy Corbyn, député de la circonscription londonienne d’Islington Nord depuis 1983. « Je veux renationaliser les com-pagnies de production d’énergie, le service postal, les compagnies ferro-viaires et de nombreux autres services publics vendus au privé contre l’inté-rêt des Britanniques. Je veux aussi mettre in à cette politique d’austérité

qui n’a fait qu’augmenter les inégalités et s’en prend toujours aux plus pauvres. »

Son projet économique phare consiste en la création d’une banque

nationale d’investissement « pour construire des logements sociaux et des infrastructures de transports et relancer l’industrie et la manufacture ». Face à lui igurent la blairiste Liz Ken-dall, considérée comme la plus à droite et donc la principale menace pour les conservateurs, la sociale-démocrate Yvette Cooper et l’homme de gauche Andy Burnham.

Si la première estime que « le Parti travailliste doit être autant passionné par la création de richesse qu’il l’est de la redistribution de la richesse », les deux autres se ressemblent fortement, après avoir multiplié les postes mi-

nistériels entre 2007 et 2010 lorsque Gordon Brown était premier ministre. Tous leurs supporteurs et la plupart des élus du parti l’airment en tout cas : choisir Jeremy Corbyn rendrait le Labour inéligible en 2020 et assu-rerait le maintien des conservateurs au pouvoir.

Au meeting de Chelmsford, la plu-part des gens n’ont guère ces consi-dérations électoralistes en tête. La plupart n’ont pas voté travailliste lors de la dernière élection générale, et certains depuis bien longtemps. « De-puis la création du New Labour par Tony Blair, il y a trop d’alignement entre le Parti travailliste et le Parti conservateur, il n’y a pas assez de dif-férences entre leurs idées et leur poli-tique », poursuit Matt Bridger.

L’irruption de Jeremy Corbyn dans la course à la direction du pays leur a rendu espoir. Leur regard brille et leurs visages s’animent à l’énoncé de son nom. « Son arrivée est un vrai soulagement pour tous les militants silencieux qui grâce à lui se font en-tendre pour la première fois en Angle-terre depuis des décennies », avoue Ken Jener, qui travaille au sein du principal syndicat de l’éducation. « Sa présence dans la lutte pour la tête du parti est un accident mais son succès est le résultat de trente ans d’implica-tion dans le mouvement social, que ce soit les actions pour la Palestine, contre la guerre, le nucléaire, etc. »

Cet engagement multiforme lui a fourni l’image d’un homme juste et vrai. Un atout en cette époque où les politiciens sont surtout perçus comme calculateurs et sans conviction pro-fonde. Sera-ce suisant pour l’em-porter ? Réponse demain, à l’annonce des résultats.

TRISTAN DE BOURBON

Jeremy Corbyn (au centre) pourrait devenir demain le nouveau leader du Parti travailliste.

« Je veux mettre fin à cette politique d’austérité qui n’a fait qu’augmenter les inégalités et s’en prend toujours aux plus pauvres. »

Eric LEGER
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