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Haïti, perle des Caraïbes, île martyre depuis des siècles Le 12 janvier, Port-au-Prince subit un séisme de magnitude sept sur l'échelle de Richter. Le dernier bilan, provisoire, fait état* de 75.000 morts, 250.000 blessés et d’un million de sans- abri. La ville n'est que dé- combres. Tout manque : l'eau, la nourriture, les soins. N'hésitez pas à exprimer votre solidarité en adressant vos dons au Secours Populaire Français, par virement (CCP 2333 S), en ligne (www.secourspopulaire.fr) ou par chèque adressé au Secours populaire français - Haïti Urgence - BP 3303 - 75123 Paris Cedex 03. * Source : Direction de la protection civile haïtienne 27 janvier 1945 - 65e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz Les gens ont été libérés, l’humanité pasShimon Peres Agir ! Claudie Bassi-Lederman A rrêter le massacre. Enrayer la dynami- que d’un système qui engendre la mi- sère, le chômage, la précarité, la détresse matérielle et morale, qui suscite ou entre- tient l’intolérance, la peur de l’inconnu, la haine et le racisme. Arrêter de financer des expéditions militaires destinées à exporter “la démocratie”. Que reste-t-il de 2009 ? “La crise plané- taire”, “le réchauffement planétaire” aux allures de catastrophes naturelles et qui permettent de passer sous silence les causes de nos difficultés, à savoir les politiques décidées au niveau mondial, au niveau de l’Union européenne et au niveau national, dans un but de rentabilité et de destruction des services publics. Démocratie l’Union Européenne avec 78 millions de pauvres, la France avec 3,7 mil- lions de travailleurs pauvres ! Démocratie lorsque le Pouvoir ne respecte le suffrage populaire que s’il répond à ses attentes : voir le Référendum sur la Consti- tution européenne. Démocratie la Hongrie et les pays Baltes où la liberté d’opinion autorise la haine raciale ! Démocratie quand, de connivence avec ses pairs et dans le cadre de l’OTAN, voire de l’ONU, le chef de l’Etat envoie des troupes faire la guerre pour apporter aux popula- tions… la démocratie ! 2009, dans nos mémoires, cela restera la guerre de Gaza. Le but avoué était d’écraser le Hamas, il est toujours présent. Ce ne fut pas la seule, certes ! Guerre en Afghanistan. Guerre au Yémen ? Sans parler des guerres honteuses ici ou là. Et 2010 ? Les perspectives sont alarmantes. Poursuite du démantèlement de ce qui reste du service public. Davantage d’impôts. Da- vantage de chômage. Médicaments plus chers et moins bien remboursés. Retraites dévalorisées… Persistance des discrimina- tions qui sapent les fondements de notre République. A nous d’agir ensemble pour développer des solidarités, donner vie à l’égalité et à la citoyenneté, reconnaître les droits de tous ceux qui résident sur notre sol. La grève des travailleurs sans papiers a ainsi été un mouvement de grande portée poli- tique, en soi et par le soutien et la solidarité d’une part importante de la population. De- puis toujours, les employeurs sont friands de cette main-d’œuvre étrangère, corvéable à merci car soustraite au Droit du travail et qu’on peut désigner à la vindicte. A nous d’agir, parce que nous avons besoin d’un enseignement et d’une recherche de qualité, de bons médecins, de bons hôpi- taux, de logements décents, de justice - et non de guerres. Agir aussi avec un bulletin de vote, même si les gouvernements découpent sans arrêt la carte électorale. Les voix, ça se compte. Et plus nous serons nombreux à faire savoir au Président de la République que ses choix ne nous conviennent pas, plus il sera obligé d’en tenir compte. On peut tout changer. Les exemples ne manquent pas, en Amérique latine, aux Etats-Unis. Bien des gens de par le monde agissent avec intelligence, cœur et opiniâtreté pour construire une démocratie participative. N° 272 – Janvier 2010 – 28 e ANNÉE Le N° 5,50 € Le mot du Président 2 CYCLE TRE JUIF AU XXIE SIÈCLE ?" Être juif après Gaza E. Benbassa 4 Respecter le contrat laïque R. Azria 4 ÀLIRE Les Arabes et la Shoah D. Vidal 3 L'antisémitisme à gauche O. Gebuhrer 6 Lumière au quatrième R. Wlos 6 SOCIÉTÉ Monsieur Brice, les patrons et le racisme J. Franck 3 Débat en faveur des thèses racistes dénoncé par le syndicat des journalistes SNJ-CGT 3 Le “vénérable” Pie XII PNM 5 HISTOIRE Les philosophes français des Lumières et la question juive [Partie I] F. Mathieu 5 CYCLE "JUIFS DANS LE MONDE" L'Angleterre et ses juifs - Mythes et réalités J-M. Galano 8 CULTURE Joseph Kosma - Itinéraire S. Arfouilloux 7 Invictus de Clint Eastwood et entretien avec Anne Dissez L. Laufer 7 Le 17 janvier 1945, l’Armée rouge a li- béré Varsovie des nazis. Plus de la moi- tié de la population d’avant-guerre, esti- mée à 1,3 millions d’habitants était morte, dont 98% de sa population juive. La ville n’était plus que décombres. Anticipant l’avancée de l’Armée rouge, les SS du camp d’Auschwitz, proche de Cracovie, procèdent à un dernier appel et commencent l’évacuation du camp le 18 janvier 1945. Quelques 60.000 dépor- tés ont entrepris ainsi les dramatiques marches de la mort. Quand le 27 janvier, les soviétiques li- bèrent Auschwitz, ils découvrent 7.000 êtres humains à demi-morts. Ils ont aus- si découvert 350.000 costumes d’hom- mes, 837.000 vêtements de femmes. Et 8.000 kilos de cheveux humains. Traduit de Jewdays (jewishcurrents.org) par N.Mokobodzki úolidarité Entraide Résistance MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E. Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toute les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.

La Presse Nouvelle Magazine 272 janvier 2010

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27 janvier 1945 - 65e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz “Les gens ont été libérés, l’humanité pas” Shimon Peres Respecter le contrat laïque L'antisémitisme à gauche

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Page 1: La Presse Nouvelle Magazine 272 janvier 2010

Haïti, perle des Caraïbes, île martyre depuis des sièclesLe 12 janvier, Port­au­Prince subit un séisme de magnitudesept sur l'échelle de Richter.Le dernier bilan, provisoire, faitétat* de 75.000 morts, 250.000blessés et d’un million de sans­abri. La ville n'est que dé­combres. Tout manque : l'eau, la nourriture, les soins.N'hésitez pas à exprimer votre solidarité en adressant vosdons au Secours Populaire Français, par virement (CCP2333 S), en ligne (www.secourspopulaire.fr) ou par chèqueadressé au Secours populaire français ­ Haïti Urgence ­ BP3303 ­ 75123 Paris Cedex 03.* Source : Direction de la protection civile haïtienne

27 janvier 1945 - 65e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz“Les gens ont été libérés, l’humanité pas” Shimon Peres

Agir !Claudie Bassi-LedermanArrêter le massacre. Enrayer la dynami­que d’un système qui engendre la mi­sère, le chômage, la précarité, la détressematérielle et morale, qui suscite ou entre­tient l’intolérance, la peur de l’inconnu, lahaine et le racisme. Arrêter de financer desexpéditions militaires destinées à exporter“la démocratie”.Que reste­t­il de 2009 ? “La crise plané­taire”, “le réchauffement planétaire” auxallures de catastrophes naturelles et quipermettent de passer sous silence les causesde nos difficultés, à savoir les politiquesdécidées au niveau mondial, au niveau del’Union européenne et au niveau national,dans un but de rentabilité et de destructiondes services publics.Démocratie l’Union Européenne avec 78millions de pauvres, la France avec 3,7 mil­lions de travailleurs pauvres !Démocratie lorsque le Pouvoir ne respectele suffrage populaire que s’il répond à sesattentes : voir le Référendum sur la Consti­tution européenne.Démocratie la Hongrie et les pays Baltes oùla liberté d’opinion autorise la haine raciale !

Démocratie quand, de connivence avec sespairs et dans le cadre de l’OTAN, voire del’ONU, le chef de l’Etat envoie des troupesfaire la guerre pour apporter aux popula­tions… la démocratie !2009, dans nos mémoires, cela restera laguerre de Gaza. Le but avoué était d’écraserle Hamas, il est toujours présent. Ce ne futpas la seule, certes ! Guerre en Afghanistan.Guerre au Yémen ? Sans parler des guerreshonteuses ici ou là.Et 2010 ? Les perspectives sont alarmantes.Poursuite du démantèlement de ce qui restedu service public. Davantage d’impôts. Da­vantage de chômage. Médicaments pluschers et moins bien remboursés. Retraitesdévalorisées… Persistance des discrimina­tions qui sapent les fondements de notreRépublique.Anous d’agir ensemble pour développerdes solidarités, donner vie à l’égalitéet à la citoyenneté, reconnaître les droits detous ceux qui résident sur notre sol. Lagrève des travailleurs sans papiers a ainsiété un mouvement de grande portée poli­

tique, en soi et par le soutien et la solidaritéd’une part importante de la population. De­puis toujours, les employeurs sont friands decette main­d’œuvre étrangère, corvéable àmerci car soustraite au Droit du travail etqu’on peut désigner à la vindicte.A nous d’agir, parce que nous avons besoind’un enseignement et d’une recherche dequalité, de bons médecins, de bons hôpi­taux, de logements décents, de justice ­ etnon de guerres.Agir aussi avec un bulletin de vote, mêmesi les gouvernements découpent sans arrêtla carte électorale. Les voix, ça se compte.Et plus nous serons nombreux à faire savoirau Président de la République que ses choixne nous conviennent pas, plus il sera obligéd’en tenir compte.On peut tout changer. Les exemples nemanquent pas, en Amérique latine, auxEtats­Unis.Bien des gens de par le monde agissentavec intelligence, cœur et opiniâtreté pourconstruire une démocratie participative.

N° 272 – Janvier 2010 – 28e ANNÉE Le N° 5,50 €

Le mot du Président 2CYCLE "ÊTRE JUIF AU XXIE SIÈCLE ?"

Être juif après Gaza E. Benbassa 4Respecter le contrat laïque R. Azria 4

À LIRELes Arabes et la Shoah D. Vidal 3L'antisémitisme à gauche O. Gebuhrer 6Lumière au quatrième R. Wlos 6

SOCIÉTÉMonsieur Brice, les patronset le racisme J. Franck 3Débat en faveur des thèses racistes dénoncépar le syndicat des journalistes SNJ­CGT 3Le “vénérable” Pie XII PNM 5

HISTOIRELes philosophes français des Lumièreset la question juive [Partie I] F. Mathieu 5

CYCLE "JUIFS DANS LE MONDE"L'Angleterre et ses juifs­ Mythes et réalités J­M. Galano 8

CULTUREJoseph Kosma ­ Itinéraire S. Arfouilloux 7Invictus de Clint Eastwood etentretien avec Anne Dissez L. Laufer 7

Le 17 janvier 1945, l’Armée rouge a li­béré Varsovie des nazis. Plus de la moi­tié de la population d’avant­guerre, esti­mée à 1,3 millions d’habitants étaitmorte, dont 98% de sa population juive.La ville n’était plus que décombres.Anticipant l’avancée de l’Armée rouge,les SS du camp d’Auschwitz, proche deCracovie, procèdent à un dernier appelet commencent l’évacuation du camp le18 janvier 1945. Quelques 60.000 dépor­tés ont entrepris ainsi les dramatiquesmarches de la mort.Quand le 27 janvier, les soviétiques li­bèrent Auschwitz, ils découvrent 7.000êtres humains à demi­morts. Ils ont aus­si découvert 350.000 costumes d’hom­mes, 837.000 vêtements de femmes. Et8.000 kilos de cheveux humains.Traduit de Jewdays (jewishcurrents.org) par N.Mokobodzki

úolidarité

Entraide

Résistance

MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toute les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.

Page 2: La Presse Nouvelle Magazine 272 janvier 2010

G. Jamet (Paris) : Chers amis, toutd'abord mes vœux de santé, paix etbonheur à tous. L'année commençantel'a été sous de bons augures car le nu­méro 271 de la PNM m'en rend la lec­ture toujours plus indispensable etrevigorante. (…) À propos de l'encartsur Pie XII (… voici un) courriel d'An­nie Lacroix­Riz, professeure d'histoireà Paris 7, auteure entre autres, de Vati­can,l'Europe et le Reich (…) Son siteapporte des preuves à l'ignominie dePie XII "le pape d'Hitler". (…) Jean­Paul II n'en sort pas non plus indemne.Petit bémol, la critique cinématogra­phique de Laura Laufer est bien sévèrepour le cinéma de la cuvée 2009 tout enlouant Vincere qui pour moi a deux dé­faut majeurs parce que lourds de retom­bées : le pathos qui empêche touteréflexion, et la psychologisation deschefs fascistes, très tendance dansl'histoire aujourd'hui, qui permet d'éli­miner toute référence au système politi­co­économique qui en a permis – et lapermet toujours ­ l'éclosion et le "nousne savions pas". A ce propos, c'est ou­blier le film de la Palestinienne ­ certessorti fin 2008 ­ Le sel de la mer de An­nemarie Jacir et des films françaiscomme Welcome, Walter, Retour en ré­sistance, et celui que les médias et lesgrands distributeurs ont vite mis au re­but : A l'origine de Xavier Giannoli.L'intervention sur A2 de François Clu­zet en faveur de Salah Hamouri y se­rait­elle pour quelque chose, sachantque l'Union des patrons juifs (!) vientd'honorer B. Hortefeux pour ses com­bats contre l'antisémitisme ? Ah,comme notre rédactrice, j'ai omis L'ar­mée du crime... Bien fidèlement.

’année 2009 a étémarquée par des évé­nements d’importancesur lesquels il est bon dejeter un regard rétrospectif afin d’entirer les leçons et d'agir pour que2010 soit meilleure.2009 est caractérisée par la crise is­sue de l’éclatement d’une “bulle”spéculative en 2008. Cette crise si­gnifie pour la plus grande partie dela population : détérioration du pou­voir d’achat, chômage et aggravationdes conditions de vie. On en pré­voyait la sortie pour 2010, laquelleest, à ce jour, encore en attente.La crise trouve son origine dans unsystème économique dont le seulmoteur est l’intérêt privé et le profitfinancier. Ce moteur est malade : ilne permet plus le développementéconomique et social. Cela expliqueen grande partie l’échec de la confé­rence de Copenhague à imposer lerespect de l’environnement.Les différents plans de relanceadoptés ici ou là dans le monde sontd’une efficacité douteuse car ils nes’attaquent pas à la racine du mal : leprofit.Ainsi voit­on en ce début 2010, labulle financière éclatée en 2008 sereformer, entraînant un nouveaurisque de krach. Mais lesconséquences de cette crise sont en­core aggravées par la politique sar­kozyste : recul des aides sociales,coupes claires dans les services pu­blics.Sur le plan international, chacun a entête l’attaque israélienne de Gaza, letrès lourd bilan de celle­ci en vic­times palestiniennes et le blocus quis'en est suivi, empêchant la répara­tion des dégâts causés par Tsahaltandis que le conflit n’a toujours pastrouvé d’issue pacifique depuis plusde 60 ans, faute de volonté politiqueisraélienne.De plus, l’OTAN continue d’inter­venir en Afghanistan tandis que la si­tuation iranienne est plus que préoc­cupante. Certains pensaient, commele jury Nobel, que l’élection de Ba­rack Obama était une promesse depaix. A cet espoir correspond à cejour une grave déception.Dans ces deux domaines, seul l’en­gagement des peuples pour affirmerleur désir de changement et de paixpeut apporter une amélioration.Il faut un fort mouvement socialpour enrayer la crise et préparerl’avenir.Il faut un engagement de la sociétécivile mondiale pour imposer unnouvel ordre international basé surdes relations pacifiques.Exprimer ces souhaits, c’est déjà for­muler les meilleurs vœux possiblespour l’année 2010, que je voudraisheureuse pour chacun de nos lec­teurs. Jacques Lewkowicz

président de l'UJRE

Le mot du Président

Alerte à l ’antisémitismeet aux menées fascistes en Hongrie !Communiqué : L’UJRE proclame sa solidarité avec Vilmös Hanti, président de l’As­sociation antifasciste hongroise ­ MEASZ ­ association de résistants et antifascisteshongrois. Le site d’extrême droite “HUNHIR”, tenu par des membres de la “GardeHongroise”, officiellement interdite, dénonce “les juifs traîtres à la patrie, les suc­cesseurs des terroristes” et déclare qu’il faudra, quant à Hanti, “le pendre par lespoignets et allumer le feu en dessous pour que la graisse tombe goutte à goutte”. Ce­la fait quelque temps que des amis hongrois nous faisaient part d’une inquiétantemontée de l’antisémitisme orchestrée par l’extrême droite. Nous n’avons pu vérifiersi M. Hanti est juif ou non. En tout état de cause, notre solidarité antifasciste lui estacquise. UJRE, Paris, le 30 décembre 2009

Hommage à “Jacques Sylvère” - rédacteur de la Pnh Carnet

sur lesquels il est bon demarquée par des évé­marquée par des évé­marquée par des évé­ Claudine,sa fille

Cypora et Grégory,ses petits­enfants,Adam,son arrière­petit­filsToute sa famille,Tous ses amis,font part avec infiniment de chagrindu décès de

Marcel CERFHistorien de la

Commune de Paris–1871survenu le 1er janvier 2010

dans sa 99e annéeClaudine CERFCypora et Grégory GUTIERREZ

Courrier des lecteurs - Vous réagissez ?

Marcel Cerf nous a quittés. Il avait te­nu la page historique dans la PNH, dontcette année ouvre le 45e anniversaire.L’UJRE se devait d’être présente à sesobsèques. Vice­président de la Sociétédes amis de la Commune de Pa­ris–1871, il était passionnément curieuxde tout, ouvert à tout ; ses yeux pé­tillaient de bonté, d’amour, de tolé­rance. Quand nous lui avions demandéd’écrire quelques lignes sur l’époque dela Naïe Presse, il avait, deux se­maines avant sa mort, écrit ces mots quitémoignent de la fraîcheur, de la jeu­nesse d’esprit d’un homme qui n’étaitplus que souffrance :“Chroniqueur historique à la PresseNouvelle, version française de la NaïePresse, j'ai pris le pseudonyme deJacques Sylvère. A la Presse Nouvelle,j'ai pu apprécier les grandes qualitésrédactionnelles du rédacteur en chef.Ce fin lettré était très estimé de tousses collaborateurs. C'était un hommeaffable et courtois. Il avait une hauteconception de la justice. Loyal et bon, ilsavait, néanmoins, prendre des déci­sions énergiques quand les cir­constances l'exigeaient. IL était, parailleurs, polyglotte et érudit.En 1977, j'ai été missionné par le jour­nal pour me rendre en Israël afin derendre compte de la Conférence inter­nationale pour la paix. Coïncidence ex­ceptionnelle, au même moment, Anouarel­Sadate se proposait de négocier avecl'Etat hébreu dans le respect du droit

Vos dons permettent à l'UJRE de se maintenir au 14 rue de Paradis (loyer mensuel : 1300 €), depoursuivre la publication de la Presse Nouvelle Magazine et d'accueillir nos associations amies :Théâtre Abi Gezint, Choeur Golgevit, Mémoire des Résistants Juifs de la MOI, Amis de la CCE,Jeunes Juifs Laïques. Grand merci !!! Jacques Lewkowiczprésident de l’UJRENom Montant Nom Montant

Total 770(*) sauf mention explicite (adhésion, réabonnement ou don), les règlements reçus sont imputés enpriorité en renouvellement d’abonnement, puis en don. Pour rappel, 66% des montants d’adhésion àl’UJRE et des dons sont déductibles des revenus déclarables. Nous prions les abonnés à la PNM debien vouloir renouveler spontanément leur abonnement, pour nous épargner des frais de relance.Votre PNM vous en remercie d’avance.

Souscription* n° 51 - du 15/12/09 au15/01/10

Alice Gibard (St. Pierre de Chandieu) : Bien que mes courriers n'aient jamaisété publiés, et l'on peut se demander pourquoi, peut­être parce qu'ils ne vousconviennent pas idéologiquement, je persiste cependant puisque vous sollicitezdes témoignages sur l'identité juive, ou ce que signifie être juif pour chacun.[… suit le témoignage ...] Espérant que ces quelques lignes aideront à animer un dé­bat, qui hélas n'en finit pas ! Amicalement tout de même. Chère amie, l'équipe de “bénévoles­intermittents” de notre association et de larédaction de notre journal est parfois débordée de travail, c'est notre seule ex­cuse – mauvaise, nous en sommes conscients – pour ne pas vous avoir répondu.Cette équipe est néanmoins fière de poursuivre la publication de la Pnm et d'œu­vrer à la création du prochain Espace de Mémoire dédié aux résistants juifs dela M.o.i. Sur le “cycle opinions” évoqué, s'il est vrai que notre programmationinitiale 2009/2010 prévoyait de publier l'avis d'un certain nombre de “personna­lités”, et pourquoi pas, la tenue d'un colloque, notre programme est adaptable etvous nous rappelez fort justement que la parole appartient autant à nos lec­teurs... Nous reportons donc la publication intégrale de votre contribution à unnuméro à paraître d'ici fin juin, et consacré au débat alimenté par nos lecteurs ;en vous remerciant d'avance de votre compréhension. La question est : "Être juifau XXIe siècle". Des candidats à la réponse ? A vos plumes ! Pnm

des Palestiniens. Il a effectué un voyagehistorique en Israël. Ma mission decorrespondant pour la PNH a pris unetout autre dimension. Dans l'avion, j'airencontré Mendès­France qui s'était dé­placé pour la circonstance.”La souffrance devenant intenable, iln'en put écrire davantage, nous laissantsur notre faim. Nous aurons l’occasionde revenir sur cette grande figure infini­ment fraternelle. Qu’il suffise de direqu’à l’issue de la cérémonie, l’as­sistance chanta en chœur et à pleinspoumons Le temps des cerises. Uneforme de communion, rare dans un ci­metière, qui nous unit tous dansl’amour de l’humanité et de la dignitéhumaine qui marque l’esprit de laCommune. Jusqu’au bout, Marcel auraeu l’art de partager, de donner...

pour l'UJRE,N. Mokobodzki

2 P.N.M. Janvier 2010

Page 3: La Presse Nouvelle Magazine 272 janvier 2010

Le Syndicat National des Journalistes CGT dénonce un débaten faveur des thèses racistes sur France Télévisions

La direction de France Télévisions a décidé de s’inscrire dans l’infâme débat surl’identité nationale en donnant la parole jeudi 14 janvier sur France 2 au ministredes expulsions Eric Besson face à Marine Le Pen, représentante de l’extrêmedroite.Il est totalement inadmissible pour le SNJ­CGT qu’un tel spectacle ait lieu sur lesantennes du service public qui, comme on le voit déjà dans le cadre de ce débat,servira encore mieux à flatter les mauvais instincts, à stigmatiser l’autre, à dé­noncer l’étranger et faire le lit des thèses racistes et xénophobes que soutient de­puis toujours le FN.Les journalistes de France Télévisions et des autres medias ne seront pas lesfaire­valoir d’un débat aux relents nationalistes, islamophobes et démagogiquesvoulus par le gouvernement Fillon­Sarkozy à la veille des régionales. Tout celan’est pas sans remettre au goût du jour les veilles formules haineuses de "laFrance aux Français"Faut­il rappeler que le racisme n’est pas une opinion mais un délit ?Le SNJ­CGT appelle à ce que ce débat, indigne du pays des droits de l’Homme,soit déprogrammé.Nous appelons les autres syndicats, la profession à se joindre à notre demandede retrait de ce débat.TOUS ENSEMBLE FAISONS ÉCHEC À LA BANALISATION DES IDÉES RACISTES, ANTI­SÉMITES ET XÉNOPHOBES. FAISONS ÉCHEC À UNE ÉMISSION, VÉRITABLE INSULTE AUPEUPLE FRANÇAIS. Montreuil, le 13 janvier 2010

Menschelet Romanska

Du 1er au 21 février, la pièce dudramaturge israélien, Hanokh Levin(1943­1999) explore ce “terribleparadoxe : comme elle est grande, lapetitesse humaine” !Menschel et Romanska, qui se saventêtre le destin l’un de l’autre, ne s’yrésignent pas. L’énergie qu’ils ne met­tent pas à transcender leur conditiond’insecte humain, ils la dilapident ende vaines mesquineries...Mise en scène : Olivier BalazucInterprétation : Daniel KenigsbergHoraires : du 1er au 5 février, du 11 au13, du 18 au 20 à 21h, les dimanche 7,14 et 21 à 17h 30.

Théâtre de la Vieille Grille1, rue du Puits­de­l'Ermite 75005 ParisInformation : 08 99 65 13 55 (N° 899)

Menschelet Romanska

AssembléeGénéraleMerci à tous les adhérentsde l'UJRE de prendre note de notre pro­chaine assemblée générale, le

Samedi 27 mars 2010Partie privéeréservée aux adhérents à jour de leur cotisation15:00 Rapport moral, rapport financier,vote des orientations, divers.Partie artistique - publique et gratuiteInvitez largement, famille et amis !17:00 Extraits du spectacle Dona, Donapar Claude Liberman et ses musiciens[ klezmer & yiddish chanté en français ]suivi du traditionnel pot de l'amitié

À lire

“Les Arabeset la Shoah”dans son dernier livre, Les Arabes et laShoah. La guerre israélo­arabe desrécits*, éclaire cette triste destinée sansrien en dissimuler : ni le degré de lacollaboration du Mufti avec Mus­solini et Hitler, qui l’amènera àapprouver le judéocide ; ni le peude Palestiniens enrôlés sous ledrapeau nazi, quelques dizainescontre 9.000 engagés dans l’ar­mée britannique ; ni, au­delà, lecaractère marginal de ce choixdans le mouvement national pa­lestinien et arabe.Mais Achcar va plus loin : des années1930 au début du XXIe siècle, il cernede plus près qu’on ne l’avait jamais faitl’attitude des Arabes face au nazisme.Impossible de résumer ici, en quelqueslignes, les quelques cinq cents pages decette démonstration argumentée et do­cumentée.Comme dans le cas du Mufti, l’auteurmontre comment, avant­guerre, la lo­gique selon laquelle “l’ennemi de monennemi est mon ami**” poussa unefrange du mouvement national à recher­cher le soutien des dictatures ; et, après­guerre, comment la disparition de la Pa­lestine et l’expulsion de 900 000 dessiens, puis le conflit israélo­arabe quis’ensuivit amena certains dirigeantsarabes à relativiser l’ampleur du judéo­cide, voire à accueillir – comme lesEtats­Unis d’ailleurs ­ d’anciens nazis.Pour autant, démontre­t­il, le négation­nisme, proprement dit, ne s’est pas en­raciné dans des opinions qui n’ontjamais eu de sympathie pour le na­zisme.Voici une dizaine d’années, le grandintellectuel américano­palestinien Ed­ward Saïd écrivait*** : “La thèse selonlaquelle l’Holocauste ne serait qu’unefabrication des sionistes circule ici et làde manière inacceptable. Pourquoi at­tendons­nous du monde entier qu’ilprenne conscience de nos souffrancesen tant qu’Arabes si nous ne sommespas en mesure de prendre conscience decelles des autres, quand bien même ils’agit de nos oppresseurs, et si nousnous révélons incapables de traiter avecles faits dès lors qu’ils dérangent la vi­sion simpliste d’intellectuels bien­pen­sants qui refusent de voir le lien quiexiste entre l’Holocauste et Israël ? ”

Dominique Vidal* Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah. Laguerre israélo­arabe des récits, Sindbad­Actes Sud, Arles, 2009, 528 p., 26 €.** N’oublions pas que l’Organisation sio­niste mondiale conclut avec le gouverne­ment nazi, dès août 1933, l’accord dit de laHaavara, grâce auquel plusieurs dizainesde milliers de juifs allemands purent ga­gner la Palestine avec une partie de leurcapital, sous forme d’exportations duReich. Pis : fin 1940, le Lehi d’Itzhak Sha­mir ­ dit aussi groupe Stern, issu d’unescission de l’Irgoun fondée par Zeev Jabo­tinsky ­ avait adressé au Reich une lettrelui proposant une alliance stratégique. Maisnul, à l’époque, n’imaginait la Shoah…*** Le Monde diplomatique, août 1998.

New York, le 29 novembre 1947 :l’Assemblée générale des Na­tions unies décide de partagerla Palestine en un Etat juif, un Etatarabe et une zone internationalepour Jérusalem et les Lieuxsaints. Mais le monde arabe re­fuse cette décision. Pourquoi,demande­t­il, le génocide desJuifs, perpétré en Europe par lesnazis avec la complicité de nom­breux gouvernements, devrait­ilêtre “réparé” aux dépens desPalestiniens, qui n’en portent aucuneresponsabilité ?A cette question, les propagandistes is­raéliens répondent de longue date enexcipant le personnage de Hadj Amineal­Husseini. Issu d’une des deuxgrandes familles palestiniennes, nomméGrand Mufti par la puissance manda­taire britannique, il se retournera contreson “parrain” au point de passer le grosde la Seconde Guerre mondiale à Romeet Berlin. Dans les Balkans, il ira jus­qu’à créer une Légion SS musulmane.Franco­libanais, professeur à la Sc­hool of Oriental and African Studies del'Université de Londres, Gilbert Achcar,

LE SNJ-CGT COMMUNIQUE Société

Monsieur Brice, les patronset le racismeMonsieur Brice est ministre de l'Inté­rieur. L'Union des Patrons Juifs deFrance (UPJF) l'a honoré récemmentd'une distinction, reconnaissant danscet humaniste un pourfendeur du ra­cisme et de l'antisémitisme. On ne peutqu'applaudir. Je m'autorise toutefoisquelques bémols dans l'admiration :Un comparse du chanoine Nicolas, lemaître de tous les Français, ne peutrien refuser au patronat, quelle que soitsa forme.L'UPJF n'est pas un syndicat mais un or­ganisme de combat raciste, prenantpour cible tout ce qui est arabe et pa­lestinien. Les opposants à Netanya­hou, les partisans de la paix auProche­Orient, les musulmans detoutes obédiences sont des antisémites,les immigrés, les progressistes sont des

antisémites. Monsieur Brice est contrecet "antisémitisme" là.Il est aussi contre le racisme anti­mu­sulman. La preuve : lors de l'Universi­té d'été de son parti (l'UMP), il a serréla main d'un jeune arabe. En ajoutantfinement : "Un, ça va. Les problèmesarrivent quand ils sont nombreux".Joignant le geste à la parole, lorsqu'ilétait ministre de l'Immigration, il seplaisait à faire du chiffre en expulsantbeaucoup de "ces gens­là". Je note queson successeur, Monsieur Éric le sur­passe.Buvant le calice jusqu'à la lie, j'aiconsulté le site de l'Union des PatronsJuifs. Le style et le fond m'ont, àquelques mots près, ramené en 1942,au sortir de l'adolescence. C'est vrai­ment la lie. Jacques Franck

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Secrétaire de rédactionGestion des abonnementsRaymonde StaroswieckiRédaction – Administration14, rue de Paradis75010 PARIS

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Être juifaprès GazaComment être juif aujourd’huiaprès Gaza ? Je me pose cettequestion non seulement entant que Juive vivant en diaspora,mais aussi comme une fille d’Israël,qui a grandi dans ce pays et qui a dé­jà assisté à d’autres exactions gravesà l’endroit des Palestiniens.Cette question aurait certes pu êtreposée en maintes autres circon­stances. Mais peut­être aujourd’huiplus que jamais, devant le monde quia vu défiler les images d’horreur desoffensives israéliennes contre Gaza,devant l’immense empathie ressentieface aux destructions et au meurtrede centaines de civils palestiniens,700 au moins sur les 1400 tués, faceaux privations, aux humiliations etaux mauvais traitements infligés parune armée pourtant présentée par sonministre de la Défense,l’ex­travailliste Ehud Ba­rak, comme l’armée laplus morale du monde,peut­être aujourd’hui, plusque jamais, garder le si­lence reviendrait à accep­ter l’inacceptable.Les Juifs qui ont subi per­sécutions, pogromes etplus tard, pendant la Se­conde Guerre mondiale,anéantissement, ont le devoir de seposer tous les jours cette questions’ils souhaitent encore regarder ceuxqui les entourent droit dans les yeux,sans avoir honte.Être juif n’est pas seulement adhérerà une foi, observer une pratique,mais avant tout, surtout dans unmonde largement sécularisé, assumerune position éthique, qui rend co­responsable de tout acte, non seule­ment venant de soi, mais aussid’Israël comme Etat, tant le judaïsmed’aujourd’hui ne se conçoit plus sansl’attachement à ce pays.L’Holocauste et Israël sont les deuxmarqueurs identitaires de la plupartdes Juifs de diaspora et pour cetteraison, ceux­ci ont le devoir de criti­quer Israël et la manière dont il amené cette guerre inhumaine contreGaza.Le soutien à Israël ne peut qu’êtreexigeant, pour que ce pays continueà exister. Cette exigence n’a rien àvoir avec un soutien inconditionneldu Hamas ou du terrorisme.C’est avec la même intransigeanceéthique qu’il convient d’inciter lesforces politiques palestiniennes, ycompris le Hamas, à continuer dedemander, avec force et conviction,et aussi bonne volonté, la créationd’un Etat palestinien indépendantdans les frontières de 1967. La sur­vie d’Israël lui­même en dépend.

C’est à la diaspora juive de deman­der aux Etats dont ils sont les ci­toyens, surtout en Europe, de sortirde la pesante culpabilité qui lesécrase en raison de l’Holocauste etde regarder avec plus de clair­voyance du côté palestinien.Il ne sert à rien d’enterrer le rapportde Richard Goldstone, devenu traîtreau judaïsme parce qu’il a dénoncé cequi s’est passé pendant les offensivescontre Gaza, y compris les crimes deguerre. Le même rapport necondamne­t­il pas aussi, pour crimesde guerre, le Hamas, qui n’a cesséd’envoyer ses roquettes vers le sudd’Israël, mettant en danger la vie decivils innocents ?Israël a perdu pour la première foisla guerre des médias. C’est mainte­nant qu’il est urgent de revenir auxfondements de l’éthiquejuive, sauf à accepter unregain croissant d’anti­sémitisme.

Si Israël représentait hierla sécurité pour ceux quiavaient vécu la catastro­phe des années noires deguerre, et pour leurs des­cendants, aujourd’hui letabou de l’Holocauste asauté (et ce, depuis la se­conde Intifada) et rien n’arrêtera lavague antisémite qui gonfle si Israëlcontinue dans la voie de l’inhumanité.Israël est en grande partie res­ponsable de la montée d’un nouvelantisémitisme. Celui­ci est certes in­tolérable et rien ne le justifie. Mais lefait est qu’il se confond avec la cri­tique virulente des dérives inaccep­tables de cet Etat, mettant dans lemême sac Israéliens et Juifs. Et si Is­raël souhaite encore compter avecl’aide et le soutien de la diasporajuive, il est temps qu’il change sonmode d’action. L’amour aveugle desJuifs pour un Israël devenu autistepourrait bien faiblir face au rejetdont ils sont la cible aujourd’huidans les pays dont ils sont citoyens àpart entière.Être juif, c’est avant tout avoir ce re­gard porté sur soi et sur autrui pourétablir invariablement la balanceentre soi et le monde. Le nationa­lisme effréné est son ennemi mortel,l’universalisme son salut.

Esther Benbassa31/12/2009

www.estherbenbassa.netNDLR Esther Benbassa est Directriced’Etudes à l’École Pratique des Hautesétudes (Sorbonne, Paris), spécialisted’histoire des juifs et d’histoire contempo­raine, intellectuelle publique. Elle vient depublier Etre juif après Gaza (Paris, CNRSÉditions, 2009), 4 €.

Cycle opinions : être Juif au XXIeme siècleRespecter lecontrat laïqueCycle opinions : être Juif au XXIeme siècle

Régine Azria est sociologue, chercheuse au Centre d'études interdisciplinaires desfaits religieux (CEIFR) de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).Existe­t­il à vos yeux une communau­té juive de France?Je récuse le terme de communautéjuive. C’est un déni des acquis dela Révolution française. L’existencedes institutions communautaires estautre chose. Elles sont d’ailleurs di­verses, elles n’ont pas les mêmesfonctions et les mêmes orientationsidéologiques. Beaucoup de juifs enFrance ne se reconnaissent pas dansle terme de communauté juive,même si l’on peut affirmer qu’il y aconsensus, par exemple, contrel’antisémitisme.Cette notion de communauté est unenotion piège. Ceci est le résultatd’ailleurs de la séparation en Francede l’Église et de l’Etat, de la laïcité.Pour autant il n'est pas question denier la réalité d'un judaïsme organiséen France.Peut­on parler de retour du phéno­mène religieux parmi les juifs deFrance ?C’est un phénomène qui est lié àl’histoire du judaïsme en Francemarqué, notamment après la guerred’Algérie, par la montée du ju­daïsme traditionnel venant des juifsd’Afrique du Nord, qui avaient unepratique plus culturelle quecultuelle. Il est clair que certainsquartiers des grandes villes ont étémarqués par ce phénomène avec laréapparition et la visibilité d’une viejuive collective.Ce genre de pratique avait connu unnet recul après la guerre, d'une partparce que les juifs pratiquants parmiles juifs ashkénazes (boutiquiers,tailleurs etc.) étaient très minori­taires et d'autre part, parce que leurspratiques étaient davantage tournéesvers le politique.L’arrivée des juifs d’Afrique duNord a redonné vie à un nouveautype de “rue juive”, avec une volon­té d’être plus visible. Ceci s’ex­plique aussi par le travail effectuépar les loubavitch auprès des séfa­rades et notamment auprès desjeunes.Il faut aussi prendre en comptel’élection en 1981 du rabbin Siratpuis celle du rabbin Sitruk. On estainsi passé d'un Consistoire relative­ment modéré religieusement et con­sensuel, au rigorisme. Ce change­ment de cap a été marqué égalementpar l'ouverture d’écoles juives ultra­religieuses, venant en parallèle de lacrise de l’école publique et de la mul­tiplication des incidents inter­com­munautaires dans les quartiers“sensibles” de plusieurs villes.

La prise de conscience identitaire ausein de la population juive de Frances’est faite progressivement et acommencé par rapport à Israël. Lebesoin de se montrer juif à l'exté­rieur, dans la rue, éventuellement enmettant une kippa, la volonté d’af­ficher son identité notamment aprèsla Guerre des Six jours, alors qu’au­paravant la pratique était plutôt : juifchez soi, citoyen au dehors.Y a­t­il dans le phénomène reli­gieux une recherche d'idéal en rai­son de la perte des valeurs dans lessociétés modernes ?

Devant la crise des valeurs, il estsûr qu’il y a recherche de certi­tudes, d’encadrement. La crise desgrandes idéologies a créé un vide.Le fait que les mariages entre juifset non juifs soient monnaie couranteplaide pour une ouverture, une sécu­larisation. C’est un signe important.L’image de la Nation et de la laïcitéa changé en France depuis la grandevague de 68 qui a provoqué untélescopage dans la société en heur­tant le concept de la “nation, une etindivisible”.La société française s’est découverteplurielle, phénomène auquel ellen’était pas préparée.Ces changements vont de pair avecl’attachement des juifs français àl'égard d'Israël. L'image de ce pays achangé : on est passé de l’idée de re­fuge contre l’antisémitisme après ladeuxième guerre mondiale, à Israël,terre de la promesse messianique.En France, on peut pratiquer sa reli­gion comme on le veut et c’est plusfacile pour un juif que pour un mu­sulman. Il n’est pas dangereux de sedire juif en France.Il y a d’ailleurs de plus en plusd’écoles religieuses confessionnelleset de ce qu’on appelle au Canada les“accommodements raisonnables”pour garantir aux élèves et étudiantsjuifs pratiquants, le respect du shab­bat ou de kippour. Le Consistoirenégocie par exemple avec l’Educa­tion Nationale pour éviter de fixerles examens lors des fêtes juives.La République et la laïcité, contrai­rement aux idées reçues, ne sont pasmenacées par ces pratiques, pour au­tant que les “pratiquants” respectentde leur côté le contrat laïque. Régine Azria

Propos recueillis parPatrick Kamenka* Régine Azria, Le Judaïsme, La Découverte,Coll. Repères, Paris, 2003, 128 p., 9,50 €

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plus détestable qui ait jamais souilléla terre”, “une horde de voleurs etd’usuriers” ; mais concède tout demême qu’au moins, ils n’ont pas étéanthropophages : “C’eut été la seulechose qui eut manqué au peuple deDieu pour être le plus abominable dela terre”.Voltaire, antisémite ?Tout de même non, car il se disculpeen dressant un tableau des sévicesque le monde chrétien a fait subiraux Juifs : “Ma tendresse pour vousn’a plus qu’un mot à vous dire. Nousvous avons pendus entre deux chienspendant des siècles ; nous vousavons arraché les dents pour vousforcer à nous donner votre argent ;nous vous avons chassés plusieursfois par avarice, et nous vous avonsrappelés par avance et par bêtise ;nous vous faisons payer encore dansplus d’une ville la liberté de respirerl’air ; nous vous avons sacrifiés àDieu dans plus d’un royaume ; nousvous avons brûlés en holocaustes :car je ne veux pas, à votre exemple,dissimuler que nous ayons offert àDieu des sacrifices de sang humain.”On a cherché à expliquer la partialitéde celui qui reste le pourfendeur dufanatisme, de celui pour qui la“philosophie” doit favoriser l’espritde tolérance. Il faut peut­être remon­ter, pour cela aux années 1750­1753que Voltaire passe à la cour de Frédé­ric II à Berlin et Potsdam. Voltairequi accumule une fortune colossaleen spéculant sur l’approvisionnementdes armées eut une histoire fraudu­leuse d’achat et de vente de titresconfiés à un banquier juif, Hirschel.Un procès entre les deux hommess’ensuivit. L’affaire étant plus qu’em­brouillée, les juges prussiens impo­sèrent un accord que Voltairen’accepta pas. Celui­ci falsifia des do­cuments et cria haut et fort qu’ilavait été trompé, ce qui mit FrédéricII, sourcilleux en matière de (sa)justice, dans une telle colère qu’ilécrivit en français une comédie versi­fiée, Le Procès de Tantalus, pastichedu procès Voltaire­ Hirschel où l’unétait dépeint comme un gredin etl’autre comme une fripouille.L’Esprit des lois, œuvre majeure deMontesquieu après Les Lettres per­sanes, dont certaines idées, telle la sé­paration des pouvoirs, seront reprisesdans les constitutions américaine etfrançaise, est un texte fondateur desprincipes de tolérance, qui contientune idée nouvelle, révolutionnaire : ilconvient de ne pas juger les Juifs,mais de se juger par les Juifs. À l’en­

contre du scepticisme de nombre deses contemporains, il ne considèrepas les religions comme des va­riantes d’une même erreur fon­damentale, mais, examinant celles­cien tant qu’institutions, il leur recon­naît l’utilité d’un appareil idéolo­gique structurant, car “on tientbeaucoup aux choses dont on estcontinuellement occupé.”Le judaïsme cultive, selon lui, lesdeux caractères essentiels d’une reli­gion : un culte riche et un fonds éle­vé. On peut faire changer de religionun “peuple barbare” en raison de lasuperficialité de celle­ci ; en re­vanche, la religion juive est tropforte, trop distincte des autres, pourqu’on puisse obtenir des conversionsfaciles : même éloigné par les per­sécutions de sa pratique religieuseoriginelle – Montesquieu pense aux“Nouveaux Chrétiens” – un Juif luireste lié. Cette distinction, la religionhébraïque la doit, pense­t­il, au faitqu’elle est première, fondatrice :“La religion juive est un vieux troncqui a produit deux branches qui ontcouvert toute la terre, je veux dire leMahométisme et le Christianisme ;ou plutôt c’est une mère qui a engen­dré deux filles qui l’ont accablée demille plaies : car, en fait de religion,les plus proches sont les plusgrandes ennemies. Mais, quelquesmauvais traitements qu’elle en aitreçus, elle ne laisse pas de se glori­fier de les avoir mises au monde ;elle se sert de l’une et de l’autrepour embrasser le monde entier, tan­dis que d’un autre côté sa vieillessevénérable embrasse tous les temps.”Lors, Montesquieu dénonce àmaintes reprises les exactions com­mises par les Chrétiens à l’endroitdes Juifs. Entre autres : “Ce qui sepassa en Angleterre donnera uneidée de ce qu’on fit dans d’autrespays. Le roi Jean ayant fait empri­sonner les Juifs pour avoir leur bien,il y en eut peu qui n’eussent aumoins quelque œil crevé. Ce roi fai­sait ainsi sa chambre de justice. Und’eux, à qui on arracha sept dents,une chaque jour, donna dix millemarcs d’argent à la huitième. HenriIII tira d’Aaron, juif d’York, quatorzemille marcs d’argent, et dix millepour la reine. Dans ces temps­là, onfaisait violemment ce qu’on fait au­jourd’hui en Pologne avec quelquemesure. Les rois ne pouvant fouillerdans la bourse de leurs sujets, àcause de leurs privilèges, mettaient àla torture les Juifs, qu’on ne regar­dait pas comme citoyens.” François Mathieu

Le “vénérable”Pie XII“Le B'nai B'rith a décidé de menerune action contre le projet de béatifi­cation de Pie XII. Le BBF* a écrit auNonce Apostolique de France, rédigéun communiqué de presse et lancé lapétition ci–dessous : Contre la béatifi­cation de Pie XII ­ Le B'nai B'rith, Or­ganisation non gouvernementale juive,humaniste et pluraliste, a pris con­naissance de la signature, le 19décembre par le Pape Benoît XVI, dudécret déclarant Pie XII, Pape de 1939à 1958, “vénérable” compte tenu de“ses vertus héroïques” en vue de sabéatification. Il est avéré historique­ment qu'à l'époque dramatique où lepeuple juif subissait la barbarie nazie,le Pape Pie XII, autorité suprême de lachrétienté a, par son silence et sa pas­sivité apparente à l'égard de ce drame,laissé implicitement mais en pleineconscience s'accomplir les crimes na­zis. Nous demandons d'attendre jusqu'àce que l'ouverture des archives du Va­tican ait pu faire la lumière sur l'atti­tude de Pie XII avant d'envisager sabéatification. Le B'nai B'rith appelle àsigner cette pétition : http://contrela­beatificationdepiexii.bbpetition.org”* BBF : B'naï B'rith de FranceNous avons publié dans la PNM dedécembre le communiqué del'Ujre exprimant, face à la procédurede béatification du pape Pie XII,colère et indignation, les archives duVatican concernant cette période étanttoujours fermées... La béatification dece “vénérable serviteur de Dieu” se­rait d'autant plus contestable qu'à sonattitude envers les juifs, il faut ajouterla passivité dont il a fait preuve et lesliens qu'il a entretenus avec le pou­voir nazi. Faut­il rappeler qu'il aconfié au futur Paul VI le soin d'or­ganiser la “filière des rats”, grâce àquoi nombre de criminels de guerrenazis sont allés reprendre du serviceen Amérique latine ? Pnm

Lusur lesite duCrif

Les philosophes français des Lumières et la question juiveDe l’antijudaïsme au décret de la Constituante qui accorde aux Juifs la citoyenneté

Ie partie

Histoire

Alors qu’au XVIIe sièclel’Église avait réussi àcontenir et brider le mouve­ment humaniste du XVIe, le XVIIIese caractérise par une détestation dela religiosité qui avait prévalu ausiècle précédent. Pour combattrel’Église et, plus généralement lechristianisme, on attaque les livresauxquels celui­ci se réfère, notam­ment l’Ancien Testament, d’où unantijudaïsme qui est en contradictionavec l’esprit de tolérance professé et,dans une certaine mesure, avec leslégers progrès accomplis dans letraitement politique réservé à lacommunauté juive essentiellementlocalisée en Alsace, en Avignon et àBordeaux.

Voltaire, philosophe anticlérical, estle tenant d’un antijudaïsme qui en­tend démasquer la Bible pour saperles fondements de l’Église. La Bibleest pour lui un tissu de plagiats :“Les Juifs firent […] de l’histoire etde la fable ancienne ce que les fri­piers font de leurs vieux habits ; ilsles retournent et les vendent commeneufs le plus chèrement qu’ilspeuvent.”Il se régale ainsi, avec l’ironie qu’onlui connaît, d’une liste d’empruntsaux Phéniciens, aux Égyptiens, auxChaldéens, à la mythologie grecque,entre autres. Dire que la Bible est lepoint de rencontre de toutes les my­thologies, c’était pour Voltaire luiôter ses origines divines, son statutde livre saint. Par ailleurs, Voltairevoue aux Juifs une hostilité qui setraduit par la reprise de clichés, cari­catures et accusations en vigueur de­puis le Moyen Âge. Il explique, parexemple, les métiers ambulants quedoivent pratiquer certains Juifscomme une persistance de “leur va­gabondage dans le désert”. Et accu­mule les qualifications les plusoutrancières : la nation juive est “la

François Marie Arouet, dit Voltaire (1694­1778)

Charles­Louis de Secondat, baron de La Brède etde Montesquieu, dit Montesquieu (1689­1755)

[ à suivre ]

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à propos du livre“L’antisémitisme à gauche” de Michel DreyfusCe qui suit est le condensé d’une critique beaucoup plus complète qu’on trouvera sur le site de l'UJRE (rubrique PNM). Nous prions l’auteur de l’ouvrage et nos lecteursayant accès à Internet de se référer au texte complet. [Pour les autres, texte adressé à la demande ]Le livre dont il s’agit est écritpar une plume clairement degauche. On devrait louer l’au­teur de traiter d’une question sem­blable aujourd’hui, aussi douloureusequ’elle soit : tout doit être ouvert,l’élan d’une gauche nouvelle est à ceprix. L’auteur met l’eau à la bouche encitant les hallucinants anathèmes pro­férés lors de la dernière assemblée duCrif par son Président dont l’Histoirea déjà oublié le nom. On s’attend ainsià un travail majeur.Or sa lecture m’a plongé dans unmalaise croissant et la brièveté rela­tive de cette chronique ne traitera quede ce qui l’a provoqué. L’auteur deces lignes a parfaitement consciencedu biais qu’il introduit, ce faisant .L’ouvrage est celui d’un historien.Toute prétention à le critiquer sur saméthodologie devrait être de ma parta priori exclue. On ne peut cependants’interdire l’observation suivante : lesréférences sont nombreuses, étayées ;mais la règle change relativement auPcf. Pourquoi cette exception ? Là, lescitations, références sont (trop) rare­ment de première main ; l’auteur nes’est­il pas posé la question de l’alté­ration que cela pouvait introduire dansson étude ?Trois remarques ici :Le rapport à Marx du mouvementouvrier français est étrangement étu­dié. L’auteur y fait certes de nom­breuses références. Il s’arrêtelonguement sur un écrit du jeuneMarx , “A propos de la question jui­ve”. Que cet écrit fasse partie du sujetest hors de doute. Est­il possible avecles yeux d’aujourd’hui de faire cettelecture avec “attention et probité”comme le dit l’auteur qui cite RobertMandrou ? Or la question est dans lefait que la démarche de Marx tellequ’elle s’affirmera année après annéeconsiste à nourrir une conception phi­losophique et politique des connais­sances scientifiques les plus avancéesde son temps : l’antisémitisme ne peuttrouver place dans ce discours. D’oùvient alors qu’en lisant le livre, onpuisse avoir le sentiment que chezl’auteur subsiste un doute ? Il secontente d’apporter des regardscontradictoires au sujet d’un antisémi­tisme possible chez Marx.Seul comme parti politique, le Pcfse porta à la tête du combat sansmerci contre le fascisme, seulcomme Parti, il dénonça Munich.Il commit d’autres actes significatifsavant que ne soit signé le Pacte germa­

Pointde vue

no­soviétique dontMichel Dreyfus ou­blie de préciser qu’ilfut précédé d’uneconférence militairetripartite entre leRoyaume­Uni, laFrance et l’URSS, con­férence qui avorta parla faute exclusive dela France et de la Grande–Bretagne.Si l’on parle du Pacte, alors il faut toutdire : ou bien la question de l’anti­sémitisme est traitée en l'isolant del’ensemble des questions politiquescentrales qui déterminent le sort de lacivilisation humaine ; ou bien l'on re­fuse cette problématique qui expose àune étude complètement biaisée .Et c’est bien là le problème que Mi­chel Dreyfus ne résout pas. Le Pcf seposa ces questions à n’en pas douter.On ne pourrait comprendre qu’il aitcréé la MOE, plus tard la MOI, et àl’intérieur d’icelle une section juive,s’il ne s’y était pas confronté, mêmede façon partielle et très insatisfai­sante. Pour Michel Dreyfus, la créa­tion de ces organes reste une énigme.Son traitement de l’UJRE est parfaite­ment méprisant, sans aucune ombrede justification.Il ne semble pas mesurer la psycholo­gie des acteurs de l’époque. Ces im­migrés juifs, la plupart pauvres, issusde l’Est européen où la seule perspec­tive consistait à finir éventuellementpendus à un croc de boucher,n’avaient qu’une envie : en finir avecune identité qui les condamnait aumieux aux ghettos dont ils fuyaientl’étouffement. Ils cherchaient de l’airet le trouvèrent en France, mais seule­ment au sein du mouvement démocra­tique, spécifiquement au Pcf auquel ilsdonnèrent nombre de dirigeants à tousniveaux.Mais il faut aller au bout : page 213,l’auteur cite Georges Marchais dansl’Humanité assorti d’un commentairede Cohn Bendit. L’auteur dit à ce su­jet que le mouvement étudiant sera“scandalisé par ce propos”.De quel “propos” s’agit­il ? De celuique Cohn­Bendit prête à “l’intentionsupposée” de G Marchais, du “pro­pos” que G Marchais n’a jamais te­nu ? Et quel “épisode” ne sera jamaisoublié sinon celui d’une parfaitemanipulation ? Aucun parti sinon lePcf ne se sera vu traîné ainsi dans laboue pour antisémitisme. Il est vraique les autres sont blancs commeneige à cet égard ; ce n’est pas ce quedit Michel Dreyfus. Mais alors pour­quoi cette piqûre de rappel ?

Troisième remarque et conclusion :Michel Dreyfus répète à de nom­breuses reprises que les “dérapagescommunistes” ne font pas doctrine.C'est à son honneur. Il est douteuxqu’il ait réalisé que l’antisémitisme estun corps étranger absolument à tout cepour quoi le Pcf se bat ; corps étran­ger au marxisme, corps étranger àTOUS les écrits de Lénine sans excep­tion, corps étranger à tout ce que de­vrait être une pensée de gauche. Parcontre, Michel Dreyfus le note detemps à autre, l’antisémitisme est uncourant de droite et d’extrême droite.Toutefois ce constat est insuffisant. Lalutte à mort contre le judéo­bolché­visme est l’un des éléments centrauxdu nazisme et cela ne se trouve nullepart dans le livre de Michel Dreyfus.

Sans doute, le Pcf n’en prit pasconscience comme il eût été indispen­sable, ni n’en prit conscience à temps.Malgré ses faiblesses ici soulignées, lelivre de Michel Dreyfus, s’il manque lecoche d’une réplique sans appel auprésident du Crif, est un avertissement.L’auteur de cette critique en est con­vaincu : il ne s’agit pas de voir que leventre est fécond ; le fait que l’anti­sémitisme soit étranger absolument àtout ce que représente le Pcf est main­tenant une question qu’il ne peut plusconsidérer comme allant de soi.

Critique d'Olivier Gebuhrer* Michel Dreyfus, L'antisémtisme à gauche ­Histoire d'un paradoxe de 1830 à nos jours,La Découverte, coll. Sciences Humaines, Pa­ris, 348 p., 23 €.

“Lumière au quatrième”de Rosette AlezardNotre amie Rosette Alezard a publié récemment un livre émouvant : “Lu­mière au quatrième”. Au fil des pages, elle égrène les souvenirs de cequ’elle a vécu. Comme beaucoup d’autres enfants juifs dans les années40 le feront sans doute, j’y ai trouvé beaucoup de similitudes avec ce que j’aivécu moi­même. En particulier durant ces années où nous devions nous cacherpour échapper au destin tragique promis par l’occupant nazi et ses complices vi­chystes. Les épisodes qui relatent cette période sont d’autant plus mémorablesqu’ils nous montrent comment la mobilisation des habitants d’un village a parti­cipé au quotidien à cette action de solidarité.

L’action de ces femmes et de ces hommes qui n’ont pas ménagé leur peine ens’engageant comme ils l’ont fait pour sauver des juifs et, au­delà des résistants,des communistes… constitue une facette importante de la Résistance bien sou­vent sous­estimée et non prise en compte comme telle. Ce qu’ils ont fait avecmodestie et en dépit des risques encourus, ils l’ont fait par bonté et générosité.Bien souvent, c’était le fait de gens simples qui, aux heures les plus noires, ontcourageusement relevé le défi de l’humanisme contre la barbarie. En sauvant neserait­ce qu'une vie, ils ont du même coup sauvé l’honneur de leur pays ­ auxantipodes de l’action et du débat sur l’identité nationale, initiés par le tandemEric Besson et Nicolas Sarkozy qui, eux, déshonorent notre pays, notamment,mais pas seulement, lorsqu’ils renvoient des Afghans dans leur pays en guerre.Ce que l’auteure raconte, non sans humour et en restituant ses réflexions en­fantines sur ce que fut la vie avant les années terribles, en dit long sur son vécuquotidien et celui de sa famille.Ce qui frappe au travers des séquences qui forment son récit, c’est que les diffi­cultés dues à la pauvreté, les privations, la promiscuité… n’ont jamais altéré leursens de la dignité ni l’espoir qui n’a jamais cessé de les habiter, grâce à quoi ilsont toujours été partie prenante de la vie sociale et culturelle.De retour à Paris, Rosette retrouve son quartier populaire du 11ème et les rap­ports conviviaux de ses habitants et voisins ; la joie des retrouvailles n’estom­pant pas le vide laissé par les êtres chers qui ne sont pas revenus.Sans grandiloquence et avec beaucoup de délicatesse, Rosette nous livre un té­moignage original en nous relatant le sort d'une jeune française juive com­muniste. Témoignage particulièrement bienvenu en ces temps où le pouvoircherche à nous opposer les uns aux autres pour mieux déconstruire tout ce quifonde la raison d’espérer.Rosette a eu l’heureuse idée de joindre le texte autobiographique que sa mèreChaja écrivit en 1963 et qui donne à voir la situation des juifsdans cette Pologne d’hier que d’aucuns appellent le yiddishland.Le livre refermé, l’on a envie de dire : “Merci, Rosette, pour tonlivre, véritable témoignage vrai et sincère d’un monde dont lestares, sont, sous d’autres formes, restées fondamentalement lesmêmes et qu’il nous faudra bien changer”. Roland Wlos* Rosette Alezard, Lumière au quatrième, suivi de La petite ouvrière de Var­sovie par Rosette Alezard – Chaja Zilbertin, Publibook, 2009, 175 p., 20 €

“Lumière au quatrième”

de vuCulture

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Entretien* avecAnne Dissez Que pensez­vous du film ?Eastwood a bien compris le contexte où la très grande majorité des Blancs avaientune trouille bleue, comme lors du départ des colons d’Algérie en 1962. En réalité,le contexte international était différent et c’était mal connaître le peuple et toutesles négociations qui avaient eu lieu avant entre l’ANC et les différents pays commeles Etats­Unis, la Grande­Bretagne... Les pays occidentaux exigeaient qu’il n’y aitpas de procès de Nuremberg ou de règlements de compte. Même en Afrique duSud, aujourd’hui, on magnifie les luttes des townships et on passe sous silence lerôle de la pression internationale sur le régime.Le portrait qu’Eastwood fait de Mandela, que j’ai rencontré professionnellement,est très juste. Cet homme qui est le père de la nation, à l’humanité visible, est enmême temps un homme de parti respectant les décisions de l’ANC.Quand la Coupe du Monde de rugby en 1995 a commencé, avec la volonté politi­que de Mandela d’admettre l’équipe, plus les Springboks gagnaient, plus les Noirss’y intéressaient. Au moment de cette finale, on avait l’impression que les oiseauxs’étaient tus. Il y avait un silence ! Je vais à Soweto, la ville était un désert. Quandil y a eu le coup de sifflet final, ça n’a été qu’une immense clameur dans toutel’Afrique du Sud !Le plus important a été la CommissionVérité et Réconciliation, fruit d’une né­gociation entre les divers mouvementssud­africains ainsi qu'avec certains paysétrangers.La commission a effacé beaucoup detraces, ou élucidé des actes du passé.Desmond Tutu a mené ça, leur deman­dant de dire pardon, et traduit au tribu­nal des gens de l’extrême droite et desservices spéciaux ou même des gens del’ANC.La lutte a été tellement dure en 1985­1986. Il fallait conquérir le terrain. Ças’est fait à la serpe et c’était une vraieguerre.La réconciliation ne peut être qu’unprocessus à long terme et doit passer pardes choix sociaux. Propos recueillis parLaura Laufer* Extraits ­ Version intégrale de l'entretiendisponible sur le site : www.lauralaufer.com

Invictus deClint EastwoodLa libération il y aura bientôt vingt ans de Nelson Man­dela, leader du Congrès National Africain (ANC),après vingt­sept ans de prison et son élection en 1994 à latête de l’Etat sud­africain marquent de manière irréver­sible la fin du régime raciste, le terrible Apartheid.Quelques mois plus tard, l’historique victoire des Spring­boks, équipe de rugby adorée des Blancs et haïe des Noirs,lors de la coupe du monde de rugby, fut un des symbolesde La Naissance de cette nation.

C’est ce qu’a parfaitement compris Clint Eastwood. Ni hagiographie, ni bio­graphie, Eastwood se concentre sur son sujet : montrer comment Mandela,arrivé à la Présidence, profitera de l’occasion que lui offre ce match pourlancer sa politique de réconciliation.Eastwood est ici porté par sa foi en une action et des personnages quid’ailleurs le méritent : ténacité et courage pour Mandela et Pienaar, capitainedes Boks, incarnés par les excellents Morgan Freeman et Matt Damon.Et le film, dès l’ouverture, annonce la couleur : les Noirs jouent au footballsur un terrain de fortune quand de l’autre côté de la route, les Blancs jouentau rugby sur un terrain entretenu et parfaitement protégé.Ce qui s’oppose ici, marche par deux : Noirs ­ Blancs, Mandela ­ Pienaar ;football ­ rugby ; garde rapprochée noire de Mandela et blancs nervis des an­ciens services spéciaux. Au début, chacun joue séparé. Au final, tousmarchent ensemble. Ce qui compte en sport comme en politique, c’est defaire équipe. Le tout est d’y croire.Comme ses personnages, le film avance, sincère, vrai, émouvant et malgréles raccourcis inévitables dans une fiction de deux heures, plutôt bien docu­menté. Eastwood a visé l’essentiel en un tir juste. Droit au but ! Laura Laufer

Joseph Kosmal'itinéraire d’un musicien engagé

Culture

Trait d’union entre Miles Daviset Bertolt Brecht, entre la mu­sique savante et les traditionspopulaires, la musique de JosephKosma, juif hongrois né en 1905 àBudapest, imprime une marque du­rable autant dans la chanson quedans la musique de cinéma, pour les­quelles il saura inventer des formesnouvelles. Mais le com­positeur des Feuillesmortes est aussi un mu­sicien classique.Au conservatoire deBudapest, qui luidélivre son diplôme decomposition et de di­rection d’orchestre en1926, Kosma croise Bé­la Bartók. Il est ensuitede passage à Berlindans les années 1930 en tant quechef d’orchestre assistant de l’OpéraNational, après un départ forcé de laHongrie. Grâce aux contacts qu’ilnoue avec Bertolt Brecht et HannsEisler, à sa formation classique sesuperpose le goût pour une musiqueempruntant aux chansons leur légè­reté et leur ancrage dans vie, enmême temps qu’un engagement auxcôtés du peuple.Mais l’Allemagne vit ses dernièresheures de liberté. En 1933, fuyant lespersécutions des juifs, des artistes etcréateurs, de tous ceux qui ne seralliaient pas à l’idéologie et l’esthé­tique nazies, il émigre en France.Kosma s’associe alors à un groupede jeunes gens menant une vie liber­taire, parmi eux Jean­Louis Bar­rault, Jacques Prévert, RobertDesnos, Darius Milhaud et ArthurHonegger.Exilé, Kosma est contraint de gagnersa vie immédiatement. Il le fait sanstrahir ni la poésie ni la musique,avec des chansons et des musiquesde film. Prévert le présente à JeanRenoir et une collaboration s’établitavec d’abord Le Crime de M. Langeen 1935, puis La Grande Illusion, LaBête humaine, La Règle du Jeu.Kosma sait poser son style, dans le­quel la musique participe à laconstruction d’un univers en mêmetemps que la lumière, les décors et laphotographie. Grâce à la protectionde Prévert, il continue à travaillerdans la clandestinité pendant laguerre, écrivant notamment la mu­sique des Visiteurs du soir en 1942.L’abondance des musiques de filmréalisées après guerre est impression­nante, il remporte en 1951 le prix dela meilleure partition musicale à

Cannes pour Juliette ou La Clé desSonges de Marcel Carné.La collaboration avec les poètes luivaut un succès durable : Desnos,Aragon, Queneau… Prévert publieson recueil poétique Paroles en1946. Le succès de ce volume estimmense. Kosma met en musique ungrand nombre de textes, dont cer­tains font ainsi le tourdu monde Barbara,Chanson des escar­gots qui vont à l’en­terrement, En sortantde l’école…

Les témoignages surle musicien le pré­sentent comme unbourreau de travail.Lui­même racontequ’il composait aupiano des jours entiers sans bouger.Son œuvre s’illustre aussi par despièces classiques, parmi lesquellesde la musique de chambre : Troismouvements pour flûte et piano, Duopour contrebasse et piano.Il aborde la création lyrique avec desœuvres qui célèbrent des luttes so­ciales, comme la Ballade de celuiqui chanta dans les supplices, sur untexte d’Aragon dédié à Gabriel Péri.Sa passion pour le chant choraltrouve à s’exprimer dans la chro­nique en sept tableaux de la Com­mune de Paris : À l’assaut du ciel, en1951, une fresque musicale sur destextes d’Henri Bassis, pour la cho­rale populaire Guy Môquet.Fort de cette expérience, il décide decomposer un opéra sur les Canuts deLyon, tisserands en soie qui furentvainqueurs des forces de l’ordre etmaîtres de la ville en 1831, avec surleurs drapeaux la fière devise :“Vivre en travaillant…”. Sur un li­vret de Jacques Gaucheron, cet ora­torio est créé à Berlin en 1959.Un Amour électronique, opéra­bouffeen un acte écrit spécialement pour lesJeunesses musicales de France, faitl’objet d’une tournée dès 1960. Joué àBudapest en 1963, il dénonce lui aus­si les hommes réduits à l’état de ma­chine. Les Hussards, en 1969, annéede sa mort, poursuivent son renouvel­lement du genre de l’opéra.Musique authentiquement populaire,l’œuvre de Kosma amorce une récon­ciliation avec la composition clas­sique contemporaine. Avec Prévert,Kosma a donné des ailes mélodiquesà la poésie, Schubert n’en avait­il pasfait autant en son temps ?

Sébastien Arfouilloux

Joseph Kosma (1905­1969)

Qui est Anne Dissez ?Ancienne animatrice d'unMouvement Anti­Apartheiden France, dans les années1980. Journaliste pour RFI deux ans enAlgérie qu'elle a dû quitter menacéepar les islamistes.Grand reporter en Afrique du Sud, ellea écrit dans de nombreux journaux(l'Humanité ­ sous un pseudonyme, LaCroix, Le Monde, Marianne) et parlésur de nombreuses antennes (FranceInfo, France Inter, France Culture,RFI, A2, FR3...)Elle écrit toujours dans Le Mondediplomatique et vit en France depuis saretraite prise il y a cinq ans. Elle serend encore en Afrique Australe et estrégulièrement invitée en Afrique duSud où elle séjourne au moins deuxmois par an.

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Cycle “Juifs dans le monde”

L’Angleterre et ses juifs - Mythes et réalitésPas de pogromes en Angleterre,pas d’Affaire Dreyfus non plus.Pas de controverses majeures, etdès le XIXe siècle un premier mi­nistre, Disraeli, qui se réclamera tou­jours avec ostentation de sesorigines… De grandes familles cé­lèbres et respectées, le plaidoyer poi­gnant du pourtant détestable Shylockdans Le Marchand de Venise, l’accueilfait dès le XVIIIe siècle à tant de réfu­giés venus d’Europe centrale : l’An­gleterre n’aurait­elle pas constituépour les juifs un havre de paix, uneterre d’exception ? La réalité est autre­ment plus contradictoire et plussombre.Il est bon de commencer par une bana­lité de géopolitique : insulaire, àl’écart des grandes invasions et desgrands courants migratoires qui ont fa­çonné le reste de l’Europe, longtempsorientée en priorité vers ses propresfrontières intérieures (Écosse, Irlande,Pays de Galles) et vers la viabilisationdans la douleur d’un système politiqueoriginal (Grande Charte, guerre desDeux Roses, “Glorious Revolu­tion”…)*, la Grande­Bretagne a été,depuis l’accomplissement de son uni­té, un pays où les décisions politiquesont toujours été commandées par despréoccupations économiques, et parti­culièrement commerciales. Le “prag­matisme”, “l’empirisme”, voire le “li­béralisme” qui sont souventrevendiqués par les Anglais commeleur marque de fabrique, exprimentdans l’ordre des idées cette subordina­tion des principes aux calculs d’inté­rêts. Que la Grande­Bretagne ait étépar ailleurs un pays fortementchristianisé n’a rien changé à cette su­bordination : l’anglicanisme, imbriquédans les autres structures étatiques, aété un instrument au serviced’un consensus national fa­vorable aux intérêts d’uneopulente gentry.Les juifs sont arrivés en An­gleterre avec Guillaume leConquérant. Au XIIe siècle,ils sont expulsés en tantqu’éléments allogènes.Quand, en 1655, Cromwellconvoque à Whitehall uneconférence pour décider deleur réadmission, le débat,derrière un assaut de ré­férences bibliques, voit s’opposer deuxconceptions antagoniques de l’écono­mie : les antijuifs plaident pour lemaintien d’un statu quo dans leséchanges et voient dans le dynamismeéconomique des juifs un facteur de dé­stabilisation, alors que les autres ap­pellent de leurs vœux la libéralisationdes échanges, la concurrence et l’ou­verture à de nouveaux marchés.Réinstallés dans la société britannique,les juifs connaîtront une émancipationpolitique parallèle à celle des juifs deFrance. Avec deux différences capi­

tales cependant : la première est quel’accès (graduel) aux droits et libertéspublics se fera, dans ce pays où les ré­volutions sociales ne furent jamais àl’ordre du jour, au profit d’une éliteriche et conservatrice (sur les six pre­miers députés juifs à la Chambre descommunes, cinq étaient conservateurs,trois étaient de la famille Rothschild) ;la deuxième est que, une fois acquis,ces droits et ces libertés ne serontjamais remis en cause.On a invoqué, pour expliquer le “philo­sémitisme” anglais, un certain paral­lélisme entre deux cultures religieusesnourries de références constantes àl’Ancien Testament, entre desstructures familiales et sociales valori­sant le passé et la tradition, un intérêtpartagé pour le commerce… Ces argu­ments sont ambigus car, à supposerqu’ils soient fondés, ils pouvaient toutaussi bien expliquer une concurrence,et s’agissant du commerce, les adver­saires de la réadmission des juifs nes’étaient pas fait faute,nous l’avons vu, de lesemployer. Il sembleplus raisonnable depenser que la disper­sion même des juifs,liée à leur fort senti­ment identitaire, ait étéperçue comme un atoutpotentiel, pouvant faci­liter l’accès des capi­taux britanniques à desmarchés difficilementaccessibles, et tout par­ticulièrement à ce Moyen­Orient,plaque tournante à mi­chemin desIndes, où dès le XVIIe siècle les mi­lieux d’affaires étaient conscientsqu’une partie décisive allait se jouer.Les Anglais avaient compris très tôtque la religion est un vecteurdu commerce ; et tout unpan de leur pratique poli­tique, extérieure commeinstitutionnelle, dérive de cetaxiome.

C’est pourquoi il ne fautpeut­être pas se hâter demettre au compte de “l’ex­centricité anglaise” l’accepta­tion par les élites dirigeantesdes stupéfiantes professionsde foi philosémites de Dis­raeli, futur premier ministreconservateur, qui, converti par sonpère à l’anglicanisme, n’en professaitpas moins en termes péremptoires la“supériorité des sémites” sur les“Francs au nez plat”. Loin d’être desprovocations gratuites, ces proposavaient pour fonction, et ont eu pour ef­fet, d’agir à la façon d’un aiguillon surun capitalisme auquel il s’agissait d’in­suffler en permanence hardiesse et es­prit de conquête.L’apport idéologique et culturel desjuifs a été valorisé dans l’exacte me­sure où il se doublait d’une promesse

de développement économique et d’en­richissement matériel. Le respect deces grandes familles juives, en générald’origine portugaise ou italienne, lesAguilar, Pereira, Ricardo, Montefiore,Marks (l’enseigne Marks & Spencerest restée l’enseigne juive par excel­lence), Saphir, Lindsay, etc., distingued’abord de grandes réussites économi­ques.Pour résumer, on peut dire que le Shy­lock de Shakespeare, méchant et mal­heureux, symbolisait encore le juifmédiéval, acteur économique mineur.Le juif non plus redouté mais écouté,décideur politique et stimulant cultu­rel, incarné par la puissante figure deDisraeli, apparaît en contrepoint d’uneréussite économique, intellectuelle etpolitique nationale dont il est le sym­bole et même l’incarnation.Certes, les sentiments troubles àl’égard des juifs, mélange d’angoisse,de cruauté et de séduction, ont existéen Grande­Bretagne comme ailleurs :en témoigne toute unelittérature populaire,certains personnagesdes romans de Di­ckens ou de WalterScott. Ainsi dans Oli­ver Twist, le célèbreFagin, personnage si­nistre des bas­fondslondoniens qui obligeune bande d’orphelinsà commettre toutessortes de petits délitsqui conduiront nombred’entre eux à la pendaison**. Mais cessentiments n’ont jamais eu d’expres­sion politique, à la différence de laFrance ou de l’Allemagne, si l’on ex­cepte peut­être le début des années1930, où la crise économique de 1929et ses terribles répercussions socialesont pu alimenter un temps les thèses ra­cistes et fascistes d’Oswald Mosley,personnage complexe passé du conser­vatisme traditionnel au travaillisme,puis fondateur, sous les auspices deMussolini, de la British Union of Fas­cists qui fustigeait à la fois le “capita­lisme juif”, l’immigration et lemouvement ouvrier et qui organisasous le nom de “chemises noires”, unimportant réseau paramilitaire directe­ment copié sur le modèle italien. Tenta­tive éphémère au demeurant, parce queles cercles dirigeants, abrités de toutemenace révolutionnaire, élaboraient dé­jà la politique proche­orientale qui al­lait aboutir à la déclaration Balfour et àla création d’un home juif en Palestinesusceptible d’asseoir, au détriment no­tamment de la France, le poids des inté­rêts britanniques dans cette région dumonde.Voilà ce que recouvre en fait le “philo­sémitisme” anglais. Une contre­épreuve nous en est fournie par le com­portement des divers gouvernementsbritanniques après l’accession de Hit­

ler au pouvoir.Défiants à l’é­gard d’une nou­velle vague d’­immigration jui­ve venue de l’Estet qui, comme enFrance, était es­sentiellementune immigrationouvrière où setrouvaient beaucoup d’éléments politi­sés et combatifs, soucieux au moinsdans un premier temps de ménager lenazisme, ils fermèrent les frontièresaux réfugiés juifs venus d’Allemagne,sans s’opposer toutefois à l’adoptionde leurs enfants par les familles an­glaises qui en feraient la demande.C’est ainsi que des centaines de fa­milles furent séparées, les parents res­tés en Allemagne ayant fait, en touteconnaissance de cause, le choix desauver la vie de leurs enfants. J.M. Galano

* NDLR Magna Carta : Grande Charte deslibertés (1215) - Guerre des Deux Roses :1425­1455) - Glorious Revolution (1688): Guillaume d’Orange chasse le roi JamesII (Stuart)** Fagin sera pendu lui­même, et Dickens ledépeint alors comme pitoyable autant quemonstrueux. Ce personnage a beaucoupintéressé le cinéma, notamment Alec Gui­ness et Roman Polanski. A noter la bandedessinée de l’Américain Will Eisner Faginle juif (Delcour 2004), qui s’efforce de re­placer le personnage de Fagin dans lecontexte social de l’époque.

BenjaminDisraeli(1804­1881)

Un prêteur juif anglais

Arthur James Balfour(1848­1930)

Le saviez­vous ?“Déclaration Balfour” : lettre ouver­te adressée le 2 novembre 1917 parArthur James Balfour, alors ministredes Affaires étrangères du Royaume­Uni, à Lionel Walter Rothschild,proche de Chaïm Weizman, alorsprésident de la Fédération Sioniste :“Cher Lord Rothschild, J'ai le plaisirde vous adresser, au nom du gouver­nement de Sa Majesté, la déclarationci­dessous de sympathie à l'adressedes aspirations sionistes, déclarationsoumise au cabinet et approuvée parlui. Le gouvernement de Sa Majestéenvisage favorablement l'établisse­ment en Palestine d'un foyer nationalpour le peuple juif, et emploiera tousses efforts pour faciliter la réalisationde cet objectif, étant clairement en­tendu que rien ne sera fait qui puisseporter atteinte ni aux droits civiqueset religieux des collectivités nonjuives existant en Palestine, ni auxdroits et au statut politique dont lesJuifs jouissent dans tout autre pays.Je vous serais reconnaissant de bienvouloir porter cette déclaration à laconnaissance de la Fédération sio­niste.”Furent­ils “clairement entendus” cesderniers mots, qui ne sont pas sansactualité ?

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