8

La Presse Nouvelle Magazine N°311 décembre 2013

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Lettre ouverte au président de la république. 72e anniversaire des fusillades du 15 décembre 1941 au cimetière Père Lachaise. Des juifs du Finistère sous l'Occupation Des centaines d’œuvre découvertes à Münich

Citation preview

Page 1: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide

La PNMaborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. La PNMse prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'État d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un État du peuple palestinien.

ISSN : 0757-2395Le N° 5,50 €

N° 311 – Décembre 2013 – 32e année

La progression de l’extrême droite en Francecomme en Europe est très inquiétante. Quand on

connaît la gravité de ce qu’elle peut engendrer, on nepeut que se poser la question : comment la contrecar-rer et faire reculer son emprise grandissante ?Or l’expérience montre qu’il ne suffit pas de brandirles grands principes républicains, bien que cela soitindispensable, ni d’user de superlatifs incendiaires.Ce n’est pas cela qui endiguera sa progression carl’extrême droite se nourrit à la fois de la désespérancesociale et de la reprise ou de la promotion des solu-tions du FN par la droite dite républicaine.Sans parler des faveurs permanentes que les grandsmédias prodiguent à Marine Le Pen depuis qu’enquête de respectabilité, elle a entrepris de camouflerle programme ultralibéral du FN. La dédiabolisationde son image aurait-elle donc suffi à faire de ce partiun parti comme les autres ? Il suffit de gratter le vernispour constater qu’il en va tout autrement. Ainsi Ma-rine Le Pen ne dit-elle rien contre l’objectif queconstitue l’abaissement du coût du travail. Elle ne ditrien non plus contre la charge exorbitante du coût ducapital.Chacun d’entre nous, dans sa vie, dans celle de sonentourage, peut constater l’aggravation de la situationet tout ce qui constitue la mal-vie : chômage, précari-té, panne d’avenir pour la jeunesse, exclusion, in-sécurité sociale, baisse du pouvoir d’achat – bientôtamplifiée par l’augmentation de la TVA –, droit à laretraite remis en cause dans les faits, baisse des dé-penses publiques et sociales, remise en cause des

droits à l’éducation, la formation, la santé, au loge-ment.Les souffrances sont telles aujourd’hui qu’elles ali-mentent l’insécurité et toutes les peurs, le rejet del’autre, le repli individualiste favorisant ainsi la dési-gnation de boucs émissaires, en l’occurrence l’émi-gré, comme si celui-ci était responsable de la cassede l’industrie, de la fermeture d’entreprises ou de la-boratoires…Ajoutons que le renoncement aux promesses dechangement prodiguées pendant la campagne élec-torale présidentielle ruine la confiance du peuple vis-à-vis de la politique, donnant ainsi crédit aux pro-clamations traditionnelles de l’extrême droite :« Tous pourris » !En voulant inscrire dans la Constitution la préférencenationale, devenue aujourd’hui la priorité nationale,le FN montre qu’il reste ouvertement raciste et xéno-phobe et que sa politique est discriminatoire puis-qu’il va même jusqu’à proposer de supprimer l’aidemédicale de l’État aux ressortissants étrangers.La chasse aux Roms et leur stigmatisation ainsi quele traitement inhumain qui leur est infligé est inad-missible. De plus, cela ne peut être sansconséquences sur l’exclusion qui frappe de plus enplus les plus faibles.Avec la crise, avec la médiatisation obsédante du FNet de ses idées racistes et xénophobes, celles-ci ren-contrent un réel écho d’autant que certains « humo-ristes » tels qu’Eric Zemmour vont dans le mêmesens. Les attaques haineuses à caractère raciste de

l’extrême droite ont connu un point d’orgue avec laune de Minute. "Il est plus économique de lire Mi-nute que Sartre. Pour le prix d'un journal, on a à lafois la nausée et les mains sales" disait déjà Des-proges.Or cette campagne haineuse est tout sauf le fruit duhasard. Elle résulte du climat délétère savammententretenu par le FN et vise une ministre de la Répu-blique à la fois parce qu’elle a su prendre des posi-tions courageuses et progressistes en défendantnotamment le projet de loi relatif au mariage pourtous et surtout parce qu’elle femme et noire.Dans le concert des voix qui se sont élevées pourprendre sa défense, on s’étonne de trouver Jean-François Copé dont personne n’a oublié que, pourmobiliser son électorat aux élections législatives ildéclarait : « Quand on vote FN, on a la gauche quipasse… et on a Taubira » ! Quant à Marine Le Penqui se pose en chantre de la laïcité, elle dissimulemal l’anti-islamisme qu’elle exprime à tout proposmais elle demeure bien silencieuse à propos des mi-litants catholiques intégristes, malgré leurs coups deforce lors de rassemblements hostiles au mariagepour tous, à l’avortement ou à certaines manifesta-tions artistiques.Si le recul du FN passe par une bataille sans com-plaisance contre le racisme, la xénophobie, et parl’éducation, il implique surtout l’application de pro-grammes de rupture avec l’austérité et l’annonce deperspectives qui ouvrent la voie du progrès social ethumain. ■

Hommage au Général GIAP P. Jorland 3

Histoire / MémoireLes fusillades du 15 décembre 1941 PNM 2« Gestapo Müller » enterrédans un cimetière juif de Berlin F. Mathieu 6Des centaines d'oeuvresdécouvertes à Munich P.Kamenka 6

Droits de l'hommeLettre ouverte au Pdt de la RépubliqueUJRE 2

Moyen-OrientLe « chant d’amour » deFrançois Hollande D. Vidal 3Quand l’actualité rencontre le 7e art PK 3À propos du livre« Israël - Le nouvel apartheid » O. Gebuhrer 4

FranceNégociations commercialestransatlantiques J. Lewkowicz 3

LittératureLes fantômes de Bostonet l'ombre de la Shoah G. -G. Lemaire 4

CultureCinéma "Le cours étrange deschoses", "Le fondde l'air est rouge" L. Laufer 7Théâtre "La Comédie-Française" S. Endewelt 8CYCLE CINÉMA ET PROPAGANDEIII. Chris Marker L. Laufer 7

Oui, les jeunes s'engagent contre le racisme !Paris, 30 novembre 2013, Marche contre le racisme.

©TRAS

Roland Wlos La résistible ascension

L e r a c i s m e n e p a s s e r a p a s !Paris, 3 décembre 1983 : 100 000 manifestantsconcluent la Marche pour l'égalité des droitset contre le racisme partie de Marseille le 15octobre. Trente ans après, violences policières,crimes racistes, contrôles aux faciès perdurent.

Comme ces jeunes, manifestons notre volontéde nous engager ! Participons activement à toutévénement organisé “contre le racisme et pourl'égalité des droits. Tous ensemble, on arrive”.

(voir en p. 2 la lettre ouverte de l'UJRE)

Page 2: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

2 PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Magazine Progressiste Juiffondé en 1 934Editions :

1 934-1 993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse(clandestine de 1 940 à 1 944)

1 965-1 982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1 982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U. J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZRédacteur en chefOlivier Gebuhrer

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki , Roland WlosAdministration - AbonnementsSecrétaire de rédactionTauba-Raymonde AlmanRédaction – Administration

1 4, rue de Paradis7501 0 PARIS

Tel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

Courriel : luj [email protected] : http: //uj re.monsite-orange.fr

(bulletin d'abonnement téléchargeable)

Tarif d'abonnementFrance et Union Européenne :6 mois 28 euros1 an 55 eurosEtranger (hors U.E. ) 70 euros

IMPRIMERIE DE CHABROLPARISL

aPresseNouvelleMagazine

–ISSN

:0757-2395

PARRAINAGE(10 € pour 3 mois)

J ' OFFRE UN ABONNEMENT À :Nom et Prénom .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Téléphone .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Courriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

BULLETIN D'ABONNEMENTJe souhaite m'abonner à votre journal

"pas comme les autres"magazine progressiste juif.

Je vous adresse ci–joint mes nom, adresse

postale, date de naissance, mèl et téléphone

Souscription* n° 64 - Janvier à mi-novembre 2013Chers amis, vous le savez, notre Presse Nouvelle, seul magazine progressiste, juif et laïque, vit du bénévolat de ses rédac-teurs, des abonnements, des adhésions et de notre souscription qui est permanente. Nous profitons de cette période de find'année pour vous solliciter et reprenons la publication de vos dons, interrompue l'an dernier par la préparation du 70èmeanniversaire de l'UJRE. Merci de votre générosité et de votre soutien.

Jacques Lewkowicz, président de l’ UJRE

(*) saufmention explicite (adhésion, réabonnement ou don), vos règlements sont imputés en priorité en renouvellement d’abonnement, puis endon. Pour rappel, 66% des montants d’adhésion à l’UJRE et des dons sont déductibles de vos revenus. Nous prions nos abonnés de bienvouloir renouveler spontanément leur abonnement pour nous épargner des frais de rappel. Votre PNM vous en remercie d’avance.

Hommage

Lucienne Nayet, directrice du Musée Natio-nal de la Résistance, nous signale cet in-

téressant ouvrage de Marie Noëlle Postic, DESJUIFS DU FINISTÈRE SOUS L'OCCUPA-TION - Deux ou trois choses que l'on sait d'eux,Éd. COOP BREIZH, 2013, 336 p., 1 3,90 € :La barbarie nazie a frappé les juifs du Finistère,bien que peu nombreux, dans les mêmes pro-portions qu'ailleurs, en France occupée.

À partir d'un travail d'archives, du recueil de té-moignages et d'une réflexion sur l'écriture de la« Shoah », ce sont les étapes de leur persécutionqui y sont décrites. Elles sortent dusilence et de l'oubli des vies dontchacune est restituée dans sonindividualité, sa singularité, sa tra-jectoire spécifique dont la dépos-sédait l'étiquetage collectif "Juif". ■

72e anniversaire des fusilladesdu 15 décembre 1941

Rendre hommage aux fusillés du 15 décembre1941 , "c’est rappeler que le racisme, l’antisémi-tisme, la xénophobie qui ressurgissent sont in-acceptables et que ces propos et ces actes

bafouent la mémoire de tous les otages, de tous les ré-sistants qui ont payé leur engagement de leurs souffranceset de leur vie. Nier l’humanité de l’autre est contraire à ladevise de la République, à la loi, contraire aux valeurs desrésistants, à nos valeurs. "

Samedi 14 décembre 2013 à 15H

au Cimetière du Père-Lachaise

À l'occasion du 72e anniversaire des premières exécutions mas-sives d'otages en France,

Mémoire des Résistants Juifs de la M.O. I. (MRJ-MOI)

l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE)

l'Association des Amis de la Commission Centrale de l'Enfance(AACCE)

vous prient d'assister à l'hommage qui sera rendu aux 95otages, parmi lesquels 52 juifs, fusillés le 1 5 décembre1 941 et à tous les résistants juifs victimes du nazisme

devant le monument d'Auschwitz-Birkenau(97e division, 2e ligne)

Rendez-vous à 14H45 à l'entrée Gambetta(rue des Rondeaux)

Vie des associations

Monsieur le Président de la République,

Madame la garde des Sceaux a été gravementinsultée par des attaques racistes qui la ravalent,en raison de ses origines, au rang d’animal.Nier l’humanité de l’autre est contraire auxvaleurs de la République, ces valeurs humanistesuniverselles qui honorent la France, ces valeursissues de la proclamation des Droits de l’Hommede 1789.Ces agressions racistes, délits punis par la loi,ont insulté une représentante de la République et,par là même, porté atteinte à la République, maisau-delà, à tout citoyen et à toute instanceresponsable du respect des règles émancipatricesqui nous régissent.Notre association a été créée en 1943, dans laclandestinité, pour résister au nazisme et àl’occupation de notre pays. Pour combattre lesfléaux du racisme et de l’antisémitisme, elle a étéfondatrice, dans cette même période, duMouvement national contre le racisme, MNCRdevenu le MRAP, auquel on doit d’être lepremier pays à s’être doté en 1972 d’une loiantiraciste.

Les valeurs humanistes de notre pays sonttoujours les nôtres. Nous sommes inquiets etrévoltés par cette banalisation d’agressions àcaractère raciste, et par les pratiquesdiscriminatoires, insupportables et ignominieu-ses, encore actives à notre époque.Aucune déclaration publique, portant la moindretrace d’atteinte à un être humain en raison de sesorigines, ne devrait être prononcée sans que lesreprésentants de la République ne marquent leurréprobation solennelle, ni sans que despoursuites pénales soient engagées.Il nous paraît tout naturel de nous adresser àvous, Monsieur le Président de la République,pour que cette situation ne perdure pas.Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Présidentde la République, l'expression de notre très hauteconsidération. ■ Paris, le 1 5/11 /2013

Claudie Bassi-Lederman Jacques LewkowiczPdte-déléguée de l’UJRE Pdt. de l’UJRE

On nous signale

Lettre ouverte au Président de la République

Page 3: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

3PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Dès que la nouvelle s’est sue,« Anh Van nous a quittés »,une foule émue a spontané-

ment défilé pendant toute la nuit pourlui rendre un dernier hommage à lamaison funéraire. A l’aube, elle sepressait le long du parcours que, drapédans le drapeau national rouge à l’étoiled’or, le cercueil, hissé sur un attelaged’artillerie devait suivre jusqu’à l’aéro-port de Noi Bai où le trafic avait étémomentanément interrompu. De làdevaient s’envoler un ATR72 portant lenuméro VN103 et un Airbus321 avecl’indication VN1911 , soit respective-ment l’âge du général, calculé selon laméthode vietnamienne et sa date denaissance. Destination Dong Hoi, villequi avait été complètement rasée par lesbombes américaines, dans la provincenatale de Quang Binh. Le cortège allaitenfin gagner le village de Vung Chua,où avait lieu l’enterrement.On estime qu’un demi million de per-sonnes s’étaient massées le long duparcours, foule aussi diverse qu’à Ha-noï où les femmes, les jeunes et bienentendu les anciens combattant(e)sétaient particulièrement nombreux.Sans doute voulait-elle honorer lefondateur de l’armée populaire, celuiqui l’avait menée à des victoiresdécisives, mais aussi l’un des neveuxles plus proches du président Ho ChiMinh et un éminent dirigeant de larévolution vietnamienne, avec laquellele siècle de sa vie s’était jusqu’à cetinstant confondu.Tout poussait Vo Nguyen Giap às’engager : son origine familiale, unpère mandarin pauvre et profondémentpatriote ; ses études à l’école Quoc Hocde Hué, pépinière révolutionnaire entretoutes, puis fait bien plus rare, au lycée

Albert Sarraut de Hanoi ; le bouillon-nement des esprits qui marquèrent auVietnam les années trente ; enfin la ren-contre en Chine avec Ho Chi Minh.Rien cependant ne devait faire de lui unmilitaire, sauf peut-être le patronymeGiap qui lui avait été donné et qui peutse traduire par “cuirasse”, l’intérêt qu’ilavait accordé durant ses études auxguerres de la Révolution française etaux campagnes de Napoléon, les arti-cles qu’il avait consacrés dans la presseprogressiste à la résistance chinoise faceà l’agression japonaise.C’est ce qui aurait poussé l’oncle Ho àlui demander de former, dans l’extrêmenord du pays, les premiers groupes depropagande armée, préparant ainsi lesconditions qui permettraient de saisir le“moment chance”.Celui-ci se présenta à l’été 1945 : leJapon contre lequel le Front Viet Minhavait combattu serait tôt ou tard conduità capituler, avant que les forces fran-çaises ne se reconstituent. Ce fut larévolution d’août, vaste mouvementpopulaire qui souleva l’ensemble dupays contre l’occupant d’un moment,alors que la famine meurtrissait le pays.Les combats, restés limités jusqu’alors,auraient pu s’arrêter là si les autoritésfrançaises n’avaient pas refusé l’indé-pendance, proclamée le 2 septembreplace Ba Dinh à Hanoï. Ils auraient pucesser en 1954 si les Accords deGenève avaient été respectés par lesÉtats-Unis. C’est contraint par la forcedes choses qu’à l’instar de tant de sescompatriotes, le général Giap a dûconsacrer l’essentiel de son existence àla guerre.On ne suivra cependant pas l’un de sesbiographes américains, qui résume cettevie par la formule “La victoire à tout

prix”. Non seulement les dirigeantsvietnamiens ont constamment recher-ché des solutions pacifiques, maisencore Giap a-t-il, à plusieurs reprises,modifié les plans ou cherché à le faireafin de réduire les pertes humaines.Pendant la bataille de Dien Bien Phu,par exemple, contrairement aux con-seillers chinois qui préconisaient derecourir aux vagues humaines, il optapour un siège plus long et une victoireplus certaine.On peut attribuer la victoire d’unebataille à la clairvoyance, à la vista, àl’audace d’un chef militaire, maisl’issue heureuse de guerres aussi lon-gues et complexes que celles que lepeuple vietnamien dut affronter ne peuts’expliquer par le génie d’un seulhomme, fût-il Vo Nguyen Giap. Celui-ci a d’ailleurs accordé autant d’impor-tance à la constitution de l’arméepopulaire, à la formation de ses cadres,au moral des troupes et au travailpolitique qu’à la conduite des combats.Son apport personnel, que les observa-teurs étrangers ont du mal à cerner, futconsidérable. Autodidacte en affairesmilitaires mais homme d’une hauteculture, le général Giap est parvenu,selon nous, à développer les conseils del’oncle Ho, dont les écrits sur cettequestion sont étrangement méconnushors du Vietnam, pour élaborer unethéorie, énoncée dans ses nombreuxouvrages*, et une pratique quedétaillent ses mémoires, de la guerre dupeuple, c'est-à-dire d’une guerrereposant entièrement sur la mobili-sation consciente et multiforme de lapopulation, à l’avant comme à l’arrière.Face à des adversaires incomparable-ment plus puissants en armements, pasd’autre issue-, sur l’articulation perma-

Hommagenente et changeante selon le momententre les différentes formes et pratiques,guérilla, infiltration, siège, affronte-ments directs au niveau de la com-pagnie, du régiment, de la brigade, etc.,sur une vision claire de l’espace, qui estcelui de la nation, et du temps, bien pluslong que celui de l’adversaire, ce quiimplique notamment une attentionconstante pour la logistique, le recours àl’effet de surprise et au contre-pied.On peut faire référence à Napoléon, àClausewitz, à Mao Zedong, à l’artmilitaire soviétique et surtout, commeGiap aimait à le faire, aux traditionsmilitaires du peuple vietnamien.Dans un autre pays, sous un autresystème et avec un autre homme, ungénéral aussi prestigieux et populaireaurait pu jouer une carte personnelle.Napoléon, peut-être, Bonaparte, jamais :telle était l’attitude de Vo Nguyen Giap,que l’on appelait affectueusement AnhVan, soit grand frère Van. D’ailleurs,après avoir quitté ses fonctions deministre de la Défense, il avait étéchargé de superviser le vaste champ dela formation, des sciences et des tech-niques et s’était particulièrement atta-ché à la protection de l’environnement– en 2009, il était sorti de sa retraitepour critiquer le projet d’exploitation engrand des gisements de bauxite desHauts plateaux par des compagnieschinoises.Pour lui, c’était poursuivre le mêmecombat politique vers l’objectif final,faire du Vietnam un pays indépendant,souverain, moderne, fidèle à ses plushautes valeurs, tourné résolument versl’avenir et vivant dans la paix, objectifque trace la devise nationale, « Indé-pendance, liberté, bonheur ». ■* Vo Nguyen Giap, Guerre du peuple, arméedu peuple, Éd. Maspero, 1966, 231 p.

Le siècle de frère Van par Patrice Jorland

Les USA et l’Europe ont décidéd’entamer des négociations envue d’un « Partenariat Trans-

atlantique pour le Commerce etl’Industrie » (PTCI) dont l’objectif estde développer les échanges commer-ciaux.Derrière cet innocent sigle se cache unemanœuvre géostratégique destinée àfaire face à la concurrence chinoise quimenace les intérêts des multinationalesà base US.La force relative de l’économie USétant en baisse, il a paru nécessaire à sesleaders économico-politiques de setrouver un allié, certes partiellementrival, mais dont la faiblesse ne compro-met pas l’hégémonie US, l’objectifétant que l’alliance ainsi réalisée ait unpoids relatif suffisant face à l’ensemblechinois.Si cet accord était conclu, il aurait poureffet d’accroître sensiblement les ex-portations de services européens vers

Négociations commerciales transatlantiques par Jacques Lewkowicz

les USA, et de produits agricoles USvers l’Europe, essentiellement parl’abaissement des barrières réglemen-taires, c’est-à-dire par la modificationdes normes dont le respect permet auxbiens et services d’être l’objet d’uncommerce considéré comme légal parles parties négociatrices.L’estimation de l’impact des obstaclesactuels est imprécise mais considéréecomme équivalente à des droits dedouane compris entre 32 et 52 % de lavaleur des échanges*. Cela dit, il fautnoter que les normes sanitaires US étantmoins sévères aux États-Unis qu’enEurope, notamment en ce qui concerneles OGM, le Pacte se traduirait inévita-blement par l’adoption d’un compro-mis visant à édicter de nouvellesnormes moins protectrices que cellesprésentement appliquées sur le vieuxcontinent.Ce qui aggrave le soupçon d’un « mau-vais coup » porté à l’économie euro-

péenne, c’est le fait que le mandat desnégociateurs, quant aux domaines endiscussion, n’ait pas été rendu public**.De plus, comme des conflits peuventsurgir, il est prévu (c’est la volonté USmais tout porte à penser qu’elle finirapar s’imposer à la partie européenne)que ces derniers soient tranchés non pardes instances judiciaires indépendantes,mais par des organes arbitraux où siè-geront les représentants des multinatio-nales.Cependant, par une lutte acharnée desprofessionnels concernés, la France aobtenu que l’audiovisuel soit exclu desdiscussions : victoire au demeurant mo-deste puisqu’il s’agit d’un simplemaintien du statu quo et non de la miseen place d’une politique européennepositive en faveur de la culture.On ne peut même pas arguer d’unecroissance supplémentaire apportée parle développement des échanges, puis-que ce supplément serait de l’ordre de

0,3 % *, donc assez marginal et profi-terait d’ailleurs plus à l’Allemagne qu’àla France.Seule une Europe orientée par desprincipes démocratiques et tendue versdes objectifs de développement social,environnemental et économique équi-libré pour l’ensemble des pays euro-péens peut réaliser un partenariat avecd’autres ensembles économiques mon-diaux, qui n’implique aucun renonce-ment et soit conforme à l’intérêt mutueldes partenaires.Ce sera là un enjeu fondamental desprochaines élections européennes. ■

* Lettre du CEPII n° 335, sept 2013 : Les enjeuxéconomiques du partenariat transatlantique.

** Il faut noter le remarquable effort d’informa-tion réalisé à ce sujet par l’ouvrage de Patrick leHyaric : Dracula contre les peuples, le grandmarché transatlantique, Éd. de L’Humanité,2013, 202 p., 6 €.

Repères

Page 4: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

4 PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Il faut le voir pour le croire. SansYoutube*, qui le saurait ? A la find’une soirée intime offerte le 17

novembre par le couple Netanyahou àFrançois Hollande et à sa compagne, leprésident de la République a pris la pa-role. « Si l'on m’avait dit que je vien-drais en Israël et qu’en plus de faire dela diplomatie, de la politique, j’auraisété obligé de chanter, je l’aurais fait.Pour l’amitié entre Benyamin et moi-même. Pour Israël et pour la France.Même en chantant aussi mal que jechante, car je chante mal, j’aurais tou-jours trouvé un chant d’amour pour Is-raël et pour ses dirigeants. »Conclusion : « On a passé une trèsbelle soirée, inoubliable. Et maintenanton ne pourra voir que la vie en rose. »C’est dire que même le pronostic denotre excellent confrère du Monde,Benjamin Barthe – qui avait annoncé« un nouvel exercice d’équilibrisme »**– péchait par optimisme.Certes, nombre de journalistes ont peséet soupesé les petites phrases présiden-tielles lâchées à Jérusalem et à Ramal-lah. Et d’observer que, même devant laKnesset, il a effectivement répété : « Laposition de la France est connue : c’estun règlement négocié pour que lesÉtats d’Israël et de Palestine, ayanttous deux Jérusalem pour capitale,puissent coexister en paix et en sécuri-té. » Il a aussi redit aux députés is-raéliens que la colonisation « doitcesser, car elle compromet la solutiondes deux États ».Mais, comme l’observe un participant

au voyage, « aucun discours du pré-sident n’a invoqué le droit internationalcomme fondement de la politique denotre pays ».Significative du déséquilibre de la dé-marche de François Hollande, l’exi-gence formulée à l’égard desPalestiniens que ceux-ci fassent « ungeste ». Pourquoi ? Pour répondre à ce-lui de Benyamin Netanyahou : avoir re-noncé aux 23 000 nouveaux logementsdans les colonies de Cisjordanie et deJérusalem-Est annoncés quelques joursplus tôt par son ministre du logement !Faut-il rappeler que les Conventions deGenève interdisent formellement toutecolonisation, que l’Organisation desNations Unies considère égalementcomme illégale. Le secrétaire d’ÉtatJohn Kerry ne s’y est pas trompé, qui amis Israël en garde contre le risque d’« un isolement croissant »…Conscient de marcher sur des œufs, leprésident de la République a déclaré àRamallah : « Je ne cherche pas unéquilibre, une espèce de parallélismedes formes. Ce que je fais ici en Pa-lestine, ce que j’ai fait hier en Israël,c’est être utile. Je n’ai pas à vouloir enfaire plus pour les uns ou pour lesautres, j’ai à faire plus pour la paix. »Mais c’est justement là que le bâtblesse : quand bien même la démarchede François Hollande aurait été réelle-ment équilibrée, elle n’aurait pas suffi.Car on ne saurait renvoyer dos à dosune puissance occupante et un peupleoccupé. A fortiori lorsque l’occupant enquestion bloque systématiquement un

« processus de paix » moribond, voiremort.Déjà, en 2010, Benyamin Netanyahouavait sabordé les négociations lancéespar Barack Obama en mettant fin aumoratoire sur la colonisation. Et depuis,il n’a accepté aucune des demandes del’Organisation de libération de la Pa-lestine (OLP) en vue d’une reprise destractations, à savoir l’acceptation de laperspective d’un État palestinien vrai-ment indépendant, dans les frontièresd’avant la guerre de 1967, avec Jérusa-lem-Est pour capitale et une solutionjuste du problème des réfugiés. Malgrécette fin de non recevoir, les négocia-teurs palestiniens ont cédé aux pres-sions de John Kerry et sont revenus à latable de négociation en échange de lalibération de quelques dizaines de pri-sonniers – qui auraient dû l’être dès1993, lors des accords d’Oslo. Mais,nouvelle provocation, les autorités is-raéliennes ont accompagné chaqueélargissement de l’annonce de milliersde constructions en territoire occupé…« Nous romprons avec l’indulgence ex-cessive du gouvernement français en-vers le pouvoir israélien à qui nousdirons qu’il devra quitter rapidementles territoires colonisés***. » Ainsis’exprimait… Laurent Fabius, le 9 oc-tobre 2010, devant la Convention natio-nale du Parti socialiste****. Le minis-tre des Affaires étrangères est-il frappéd’amnésie, ou bien d’un dédoublementde personnalité ? À moins qu’il nejouisse plus d’aucune influence sur leprésident de la République ? Si le texte

de ladite Convention inspirait la poli-tique de la France, nul doute que celle-ci, au lieu de jouer sur les mots, feraitpression sur le gouvernement israélienafin qu’il se plie au droit international.Même l’Union européenne l’a compris,dont la décision de ne plus étendre auxproduits des colonies les avantagesd’Israël en vertu de l’accord d’associa-tion a retenti comme un coup de ton-nerre à Tel-Aviv.Palestine, Iran, Syrie : un nouveau filrouge semble guider la politique fran-çaise. Autrefois, on reprochait volon-tiers à Nicolas Sarkozy de s’aligner surGeorge W. Bush. Tout se passe commesi François Hollande imitait son pré-décesseur. Sauf qu’entretemps, BarackObama a été élu et réélu. L’Élysée et leQuai d’Orsay le savent-ils ? Ils donnentl’impression d’imiter encore les néo--conservateurs… ■* www.youtube.com/watch?v=y3DRjD8qoKA** 15 novembre 2013.*** http://www.europe-israel.org/2010/10/le-ps-presente-son-programme-de-politique-etran-gere-israel-doit-quitter-les-territoires-coloni-ses/

**** NDLR1 On trouve sur Internet le "Texte dela Convention nationale du 9 octobre 2010, lire§1 .2.2, alinea 4.

NDLR2 Dominique Vidal est historien et jour-naliste, co-auteur de Les Cent clés du Proche-Orient (Éd. Fayard, Paris, 2011).

Moyen-Orient

Le « chant d’amour » de François Hollande par Dominique Vidal

Le 35e festival des TroisContinents de Nantes n’a pasfailli à sa tradition : donner à

voir les questions posées à l’Afrique,l’Asie et l’Amérique latine au traversdu media cinématographique. Le pal-marès décerné en 2013 en est le reflet.Le prix du public a récompensé unfilm iranien, « Bending the rules » deBehman Behzadi au moment mêmeoù l’accord de Genève sur le dossiernucléaire iranien venait d’être concluentre l’Iran et les cinq membres duConseil de sécurité des Nations Uniesplus l’Allemagne.En présentant son film à Nantes, l’au-teur a souligné l'importance des événe-ments qui venaient de se dérouler surles rives du lac Léman. « Cela a été lafête à Téhéran où la population est res-tée branchée sur les réseaux sociauxpour suivre les informations sur l’ac-cord », a-t-il souligné affirmant que cettenouvelle « est à la fois joyeuse et triste »dans un pays « où la jeunesse est prête àfaire la fête pour un tel événement ».

Pour le réalisateur, cet accord « a unlien avec mon film où la peur et l’espoirsont mêlés ». Évoquant les conditionsde réalisation de son film, BehmanBehzadi a souligné « avoir attendu unan pour pouvoir tourner » ce sujet.Cette fiction en forme d’allégorie re-trace la vie d’une troupe de théâtrecomposée de jeunes étudiants et étu-diantes invitée à participer à un festivalà l’étranger. Cette invitation va provo-quer un véritable drame cornélien : direou non la vérité à leurs familles. Laplupart des membres de la troupe ontdécidé de mentir. Seule l’héroïne vadire la vérité à son père qui refuse de lalaisser partir. Sous la fable, l’auteur metl'accent sur le conflit de génération quiéclate au grand jour entre les étudiantset le père de la jeune actrice, révélantles tensions de la société iranienne entreun patriarcat marqué par le traditiona-lisme et la jeune génération éprise demodernité et de créativité. De là à y voirune illustration des rivalités politiquesentre conservateurs et réformistes au

Festival des Trois Continents

Quand l’actualité rencontre le 7e artpouvoir à Téhéran, il n’y aurait pourcertains qu’un pas à franchir.Les deux premiers prix du festival ontégalement été décernés à des films ve-nus d’Asie. Le 1er prix (la Montgolfièred’or) a été attribué au film japonais « Aurevoir l’été » de Koji Fukada. Le met-teur en scène a voulu ici filmer la vie degens paisibles dans leur quotidienneté ensoulignant les contradictions entre lespropos des adultes et leurs comporte-ments face aux jeunes qui refusent lescompromissions de leurs aînés. Unquotidien qui se déroule sur fond decrise écologique provoquée par les fuitesde la centrale de Fukushima après letsunami meurtrier qui a frappé le Japonen 2011, faisant plus de 18 000 morts.Le 2e prix est revenu au documentairede 3h 47 du réalisateur chinois WangBing ' Til Madness Do Us Apartconsacré à l’univers d'un asile psychia-trique de la province du Yunnan. Despolitiques y sont enfermés dans des lo-caux délabrés où la déshumanisationfrappe tous les résidents. ■ PK

Hommage de laVille de Paris àM. le Professeur

Haïm-VidalSephiha

La Ville de Paris vient de rendre un sin-gulier hommage à notre ami le ProfesseurHaïm-Vidal Sephiha en lui remettant parl’entremise de Madame Anne Hidalgo,première adjointe au maire, la médaille deVermeil de la Ville de Paris. Dans sondiscours, Madame Anne Hidalgo soulignel’œuvre considérable de Haïm-Vidal Se-phiha qui fait de lui « l’incarnation mêmede la culture judéo-espagnole, une culturevivante, le gardien de cette mémoire. » Cemessage humaniste qu’il délivre est pourune « Parisienne née en Andalousie unesource puissante d’inspiration. »Né en 1923, déporté à Auschwitz, profon-dément affecté dans ses liens familiauxpar le nazisme et sa politique d’extermi-nation, Haïm-Vidal Sephiha se consacre, àla suite de la mort de sa mère en 1950, àl’étude du judéo-espagnol et à sa placedans l’héritage et le patrimoine culturels etlinguistiques mondiaux. Mieux, il veille àce que cette langue reste vivante. Pari dif-ficile, pari tenu.La PNM, fière de compter parmi ses lec-teurs et soutiens constants une personnali-té comme celle de Haïm-Vidal Sephiha,s’associe pleinement à cet hommage et luitémoigne toute son admiration.La PNM qui compte son fils comme l’unde ses principaux contributeurs lui adressesa profonde et respectueuse affection.Omenaje de mosotros, la PNM, ke tam-byen kontenuymos. ■

Page 5: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

5PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Sous le titre Israël, le nouvelapartheid, est paru récemmentun livre aux Éditions Les liens

qui libérent, dont l’auteur, Michel Bô-le-Richard, fut collaborateur au quoti-dien Le Monde. On en commente icil’orientation générale ; les aspects do-cumentaires ou stylistiques serontquasi absents de ce qui suit.Les conditions d’une paix juste et né-gociée au Proche Orient sont connuesdans leurs grandes lignes et nous ne lesrappelons que pour autant qu’ellessoient indispensables à notre propos.• L’État d’Israël est légitime sur le ter-ritoire de Palestine dans les frontièresd’avant 1967.• L’État d’Israël doit en conséquencecesser toute occupation de territoiresn’appartenant pas aux frontières re-connues internationalement. En par-ticulier toutes les « colonies »israéliennes implantées dans les ter-ritoires dévolus à l’État de Palestinepar les résolutions de l’ONU doiventêtre démantelées.• Jérusalem est une capitale partagéeentre deux États reconnus par l’ONU,Israël d’une part, la Palestine d’autrepart.• Le droit au retour des réfugiés pa-lestiniens, imprescriptible en sonprincipe, doit faire l’objet d’une so-lution juste et négociée.Ces conditions sont celles qui furentdéterminées lors de ce qui fut appelé leProcessus d’Oslo, interrompu par l’as-sassinat de Yitzhak Rabin. Elles furentrappelées lors des négociations avor-tées de Taba.

Ces négociations avortèrent notam-ment du fait de nouvelles exigences is-raéliennes.On lit souvent dans les publicationsrécentes que « le processus d’Oslo estmort » ; le livre dont nous parlons nefait pas exception et le souligne à l’en-vi. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie-t-ilque les conditions posées à Oslo soientdésormais caduques ? Le livre ne nousle dit pas et ne nous apporte à cetégard aucune lumière. Il développe,page après page, parfois de façon répé-titive, les éléments qui fondent sontitre. Il ne s’agit pas d’un nouvel apar-theid mais du nouvel apartheid. Ladiscussion sur la terminologie n’estpas notre propos ; on s’y enferre rapi-dement et elle ne mène sûrement pas àune paix juste et négociée.Les sanctions internationales vis-à-visde l’État hébreu de divers ordres récla-mées ou suggérées par l’auteur ne fontpas l’objet de notre commentaire et sepassent d’ailleurs parfaitement du qua-lificatif « apartheid » ; beaucoup sontlégitimes sans y avoir recours.Mais surtout, le livre fait de la politiqueisraélienne un continuum totalementpensé dès l’origine, de Ben Gourion àNetanyahou, Yitzhak Rabin ne faisantpas exception. On pourrait arrêter lalecture à ce point.L’extrait suivant de la déclaration d’in-dépendance de l’État hébreu nousdispense de tout commentaire :« L’ÉTAT D’ISRAËL sera ouvert àl'immigration des juifs de tous les paysoù ils sont dispersés; il développera lepays au bénéfice de tous ses habitants;

il sera fondé sur les principes de liber-té, de justice et de paix enseignés parles prophètes d'Israël; il assurera unecomplète égalité de droits sociaux etpolitiques à tous ses citoyens, sansdistinction de croyance, de race ou desexe; il garantira la pleine liberté deconscience, de culte, d'éducation et deculture; il assurera la sauvegarde etl'inviolabilité des Lieux saints et dessanctuaires de toutes les religions etrespectera les principes de la Chartedes Nations Unies. »On est donc en droit de se demanderquel objectifpolitique poursuit ce livre ?Il ne peut pas s’agir d’obtenir par uneargumentation serrée les sanctionsinternationales auxquelles s’exposel’État d’Israël en poursuivant sa poli-tique ni celles qui visent spécifique-ment nombre de ses dirigeants accusésde crimes contre l’humanité et contrelesquels une instruction est en coursauprès du Tribunal International de laHaye.Les forces de paix en Israël ? Celles–cisont à peine mentionnées et si elles lesont c’est avec mépris. Nous ne discu-terons pas ici la question de leur fai-blesse actuelle ; d’abord, il n’en a pastoujours été ainsi et en outre on aime-rait savoir en quoi cet état de fait re-grettable est un élément à charge.Le livre traite d’Israël comme un bloc ;on devine lequel.Le livre ne va pas jusqu’à exprimer lathèse selon laquelle il faut délégitimerIsraël en tant qu’État mais il lui esttangent. Quelque part il est écrit que« la décision de l’ONU était une er-

reur » ; sans doute en va-t-il de mêmedes États-Unis d’Amérique créés il estvrai sans l'accord de l’ONU ?Je ne peux en conséquence que consi-dérer ce livre comme extrêmementdangereux, nourrissant la haine,important en France les termes d’unconflit qui n’est pas le sien mais quiévidemment la concerne au premierdegré.La question de l’influence de la poli-tique française pour peser de façonnon équivoque sur les termes d’unepaix juste et négociée n’est pas abor-dée.Les équivoques des États arabes vis-à-vis de cette question ne le sont pas nonplus, pour ne rien dire du soutien in-défectible – soumis récemment à destentatives de révision – de la part desUSA.Ce livre ne sert pas la paix. Il nourritau contraire l’idée que la paix commetelle est une illusion. Il ne s’agit pas den’importe quelle paix ; nous en avonsrappelé les termes au début de notrecommentaire.Qu’il soit permis de penser que cettepaix-là, juste et négociée reste pos-sible, qu’il faut la promouvoir etqu’elle finira par s’imposer en dépit detoutes les difficultés, et que dans untemps indéterminé mais que l’on peutsouhaiter proche, on se demanderacomment un tel conflit a pu perdurerplus d’un demi-siècle. Ce sera le motde la fin. ■

Point de vue

Puis Pauline fait la connaissance d’unhomme alors qu'elle flâne dans lalibrairie de Blake. Et lui aussi lui faitdécouvrir Boston, toujours dans uneperspective livresque. En somme, lacôte Est des États-Unis se transformeen un lieu où l’histoire compte relative-ment peu et où le présent paraît effacé.Ce n’est d’ailleurs pas vrai car le livrerelate justement ce que le présent sait dece passé glorieux qui remonte de fil enaiguille, presque jusqu’aux Pères pèle-rins et à l’introduction du puritanisme.Patricia Reznikov se révèle vraimentdouée pour ce genre d’aventure qui estune enquête sur les traces des maîtresde la littérature et sur ce que leurs écritsfont apparaître d’un lieu commeBoston, qui est aussi privilégié parHenry James. Et ce n’est pas une pro-menade de santé car Pauline découvrepeu à peu la personnalité étrange deGeorgia et son histoire d’émigrée juivequi a laissé derrière elle la plus grandepartie de sa famille, ce qu’elle ne par-

vient pas à surmonter, même avec letemps et la distance : et en outre, elleprovoque une profonde attirance chezun érudit rencontré dans la librairie deBlake, qui finit par tomber amoureuxd’elle.Les habitants de Boston prennent euxaussi corps et âme. C’est écrit avec unemerveilleuse fluidité et tout semble siévident alors que rien ne l’est, ni lestyle ni les faits relatés.C’est un roman remarquable, sansdoute le meilleur de tous ceux que j’aipu lire cette saison. La Lettre écarlatesert de point de départ – et aussi d’arri-vée car Blake en décode la terriblehistoire – mais certainement pas de pré-texte à ce livre, où par cercles concen-triques, celle qui vient du VieuxContinent finit par embrasser une partconsidérable de la culture américainedes origines.Elle nous enseigne ce qu’il en est restédans de rares monuments et surtoutdans l’esprit des Américains. Sans

jamais succomber à une tentation quiserait celle de faire la leçon : tout est liéaux caprices et aux fantasmes – lessiens et ceux qui la guident dans unBoston devenu presque imaginaire.Il y a un roman dans le roman : celui deGeorgia, qu’elle découvre un jour ha-billée de manière étrange et outrageu-sement grimée. Celle-ci lui narre alorsson histoire : dans sa jeunesse, alors quela guerre menaçait, étant juive d’origineallemande, elle laisse derrière elle unegrande partie de sa famille, entre autresune petite fille dont le souvenir val’obséder toute sa vie. Et son accoutre-ment bizarre est un surprenant effetd’identification avec cette dernière.Les meurtrissures profondes de ce quis’est joué dans la vieille Europe, la nar-ratrice les retrouve à Boston, de l’autrecôté de l’Atlantique.Ce roman est très beau et très émou-vant. Il nous montre que Patricia Rez-nikov a atteint sa maturité dans l’art duroman. ■

* Patricia Reznikov, La Transcendante, Éd. Albin Michel, 2013, 286 p., 1 9 €.

Littérature

Dans son précédent roman, Lanuit n’éclaire pas tout (prixCazes-Lipp, 2011), Patricia

Reznikov nous avait entraînés dans ununivers poétique, qui se révélait être levéritable sujet de son œuvre.Le même phénomène se produit aveccette nouvelle fiction qui est tout aussioriginale et passionnante que la pre-mière.Pauline, l’héroïne de La Transcen-dante*, se rend à Boston pour marchersur les traces de ses grands auteurs, enparticulier de Nathaniel Hawthorne,l’auteur de la Lettre écarlate. Deux fi-gures très singulières, Georgia, d’abord,puis le libraire Blake, lui servent alorsde cicérones. Georgia est ce qu’on ap-pelle une excentrique. Mais elle connaîtbien sa ville et fait découvrir à la narra-trice quantité de lieux liés à cet auteur età son œuvre mais aussi à d’autres :Herman Melville, David Thoreau,l’auteur de Walden ou la Vie dans lesbois.

Les fantômes de Boston et l'ombre de la Shoahpar G.-G. Lemaire

à propos du livre "Israël - le nouvel apartheid" par Olivier Gebuhrer

Page 6: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

6 PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Heinrich Müller, SS-Grup-penführer,* chef de laGestapo, avait fait partie des

quinze dignitaires nazis de haut rang,réunis autour de Reinhard Heydrichet d’Adolf Eichmann, ce dernier entant que chef du département des« affaires juives » de la Gestapo, etchargé ce jour-là de prendre lesnotes, dans une luxueuse villa desbords d’un lac berlinois le 22 janvier1942. Pour Hitler, la Conférence deWannsee, qui dura moins de deuxheures, devait instaurer le contrôletotal de la SS sur l’extermination dupeuple juif. Dit autrement, cesquinze hommes décidèrent ce matin-là de la « solution finale de laquestion juive ».La guerre terminée, l’on perdit satrace. Pendant des décennies, Hein-rich Müller figura sur les listes desnazis les plus recherchés, notammenten tête de celle du « chasseur de na-zis », Simon Wiesenthal, qui, au dé-but des années 1990, espérait encorele dénicher. On le supposa à KarlovyVary (Karlsbad) en Tchécoslovaquie,puis on crut l’avoir aperçu en Al-banie, au Panama et en Argentine.La CIA dut même déclarer, aprèsune longue enquête, qu’aucun de sesservices n’avait eu contact avec« Gestapo Müller », comme il avaitété surnommé, son patronyme étanttellement répandu.Le mystère de la disparition deHeinrich Müller fut tel qu’il inspirapendant des décennies des cinéasteset des romanciers, dont récemmentl’écrivain belge Paul Colize qui,avec Un Long Moment de silence**,vient de recevoir le Prix Landerneaudu Polar 2013.Roman que tout cela, car, après delongues recherches, l’historien Jo-hannes Tuchel, directeur du Mémo-rial de la Résistance allemande, peutassurer que « Gestapo Müller » a étéenterré en août 1945 dans une fossecommune du… cimetière juif deBerlin-Mitte, dans l’ancien quartierjuif des Granges, anonymement avecd’autres cadavres.Pour Tuchel, Müller doit, après lesuicide d’Hitler le 30 avril, avoir re-connu que la situation était déses-pérée et s’être en conséquencesuicidé. Il appuie son dire sur le té-moignage d’un familier disant que,dans la nuit du 2 mai, Müller auraitévoqué son suicide prochain ; ainsique sur le témoignage archivé d’unfossoyeur déclarant avoir identifié enaoût le cadavre.

« Gestapo Müller » enterrédans un cimetière juif de Berlin

parFrançois MathieuMais jamais plus, cet homme ne de-vait être interrogé. Pas plus qu’undénommé Walter Lüders, membre dudernier carré hitlérien qui, dans lesannées cinquante, dit avoir vu le ca-davre de « Gestapo Müller » dans lesjardins de la chancellerie.Des documents historiques montrentqu’en août le cadavre du criminelnazi avait été identifié lors de l’ex-humation de corps contenus dansune tombe provisoire à proximité duministère de l’aviation du Reich. Lecadavre portait un uniforme de gé-néral avec, dans la poche intérieuregauche, son carnet militaire avec saphoto.En 1827, le cimetière juif de laGrosse Hamburger Strasse, devenutrop petit, avait été fermé. Le philo-sophe de la Haskala, les « Lumièresjuives » allemandes, Moses Men-delssohn y était enterré. En 1943, lesnazis en firent un camp de transitpour 55 000 juifs berlinois envoyésensuite à Auschwitz et There-sienstadt, puis, un an plus tard, ledétruisirent, déterrant les ossements,le creusant pour en faire un abriantiaérien et dressant les pierrestombales pour le renforcer. De latombe du philosophe, il ne restequ’une pierre restaurée.Plus de 2 500 cadavres extraits desruines environnantes y furent ense-velis dont, on peut aujourd’hui enêtre sûr, celui de Heinrich Müller,l’un des acteurs primordiaux du ju-déocide perpétré par les nazis.En 1887, l’écrivain et journaliste au-jourd’hui oublié, Julius Levy aliasRodenberg, avait décrit ce cimetière :« La profonde mélancolie de ce jourd’automne repose sur cet endroittranquille rempli de pierres verti-cales, avec des fleurs pelées et desfeuillages fanés accumulés sur lestombes affaissées. De tous côtés, unmur et des maisons enferment le ci-metière, le haut clocher de l’égliseSainte-Sophie y jette un regard, et lebruit de la ville, assourdi, se mêleaux bruits des bâtiments environ-nants. » ■

* Troisième grade d’officier général dansle corps des officiers généraux SS qui encomptait six.

** Paul Colize, Un longmoment de silence,Éd. Manufacture delivres, 480 p., 20,90 €

Histoire

mandes qui, sous le feu des critiquesd’associations juives irritées par lalenteur des opérations d’identification,ont ouvert un site (www.LostArt.de)où sont visibles certaines des pièces.La découverte de ce trésor pose laquestion de la spoliation des biensdont furent victimes les populationsjuives d'Europe dans les années 40,suite à la politique "d’aryanisation"économique qui permit, en France,avec la complicité active du régime deVichy, d’ "éliminer toute influencejuive dans l’économie nationale" (loidu 22 juillet 1941).En France, une mission d'étude sur laspoliation des Juifs de France, dite« mission Mattéoli », a été créée en1997 par Alain Juppé, Premier mi-nistre, et présidée par le résistant JeanMattéoli.Cette décision faisait suite au discoursde Jacques Chirac, le 16 juillet 1995,pour le 53e anniversaire de la Rafle duVel’ d’Hiv, au cours duquel le pré-sident de la République reconnaissaitque le Régime de Vichy avait secondéle gouvernement allemand dans la po-litique nazie de la solution finale.Le rapport Mattéoli évaluait à 1 ,35milliard d’euros le montant des con-fiscations dont ont été victimes lesJuifs. Sur les 100 000 œuvres d'artayant été spoliées, 45 000 ont été res-tituées à leurs propriétaires, selon laMission. ■

Un trésor de 1406 œuvres d’artprincipalement volées auxjuifs par les nazis a été dé-

couvert à Munich près de 70 ans aprèsla fin de la Seconde Guerre Mondiale,dans l’appartement d’un octogénaire,Cornelius Gurlitt, fils d’un collection-neur d’art qui avait collaboré avec lerégime hitlérien.Parmi les dessins, tableaux, lithogra-phies figurent des œuvres de l’écolefrançaise dont Picasso, Chagall, Re-noir, Toulouse-Lautrec, Delacroix,Daumier, Courbet, Matisse, mais aussid’artistes allemands comme EmilNolde, Carl Spitzweg, August Macke,Max Liebermann, et Otto Dix.Ce trésor, estimé à un milliard d’euros,comprend un portrait de femme peintpar Chagall jusque-là inconnu, ainsiqu'un autoportrait du peintre allemandOtto Dix.Nombre de ces œuvres ont été voléespar les nazis à des familles ou à descollectionneurs juifs, contraints de fuirl’Allemagne ou les pays occupés parla Wehrmacht, ou lors de leur déporta-tion. La saisie de ce butin au domicilede Cornelius Gurlitt, révélée par lemagazine allemand Focus, pose néan-moins de nombreuses questions. Eneffet, Gurlitt, « un solitaire sans pro-fession », n'a jamais été inquiété par lapolice ou la justice, alors qu’il se ren-dait régulièrement dans une galerie enSuisse pour monnayer les pièces decette fabuleuse collection.Il a été interpellé à la suite d’un banalcontrôle douanier qui a conduit la po-lice dans l’appartement de l'octogé-naire où se trouvaient les œuvresamassées par son père HildebrandGurlitt. Ce dernier, un marchand d’artlié aux nazis, avait acheté dans les an-nées 30 et 40 des tableaux confisquésaux juifs du fait de l'aryanisation deleurs biens, ou vendus par des famillesjuives fuyant le régime hitlérien. Il futchargé en outre par le ministre de laPropagande, Joseph Goebbels, devendre à l’étranger l’«  art dégénéré  »que possédaient les musées allemands.A la fin de la guerre, Hildebrand Gur-litt avait réussi non seulement àéchapper aux poursuites mais aussi àconserver la très riche collection voléeprincipalement aux familles juives.Il est décédé dans les années 50 sansque les autorités de Bonn se soientjamais intéressées à son passé.Une historienne de l'art, Meike Hoff-mann, professeur de l’Université deBerlin, a été chargée de rechercher lespropriétaires des tableaux, ou leursdescendants, par les autorités alle-

L'exposition "art dégénéré" organisée en 1938à Munich par les nazis

Spoliation de biens juifs

Des centaines d'œuvresdécouvertes à Munich

par P. Kamenka

ÀvoirLe film

"Annonces" de Nurith Aviv est visible àParis au cinéma Les 3 Luxembourg,jusqu'à la fin du mois de décembre.

Sept femmes confient à la caméraleur lecture des Annonces faites à

Hagar, Sarah et Marie dans L’AncienTestament. A partir de leur propre sensi-bilité et vécu, ces annonces lesentraînent sur les pas de la mythologie,l’histoire de l’art, la psychanalyse et lereligieux. Une exploration documen-taire qui conduit à interroger aussi bienles débuts de l’image dans le mondechrétien que de la poésie dans la Grèceantique. ■ LL

Page 7: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

7PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Chronique

de

Laura La

ufer

ÀvoirPlanète Marker• Centre Pompidoujusqu’au 22/12 :films, vidéos, con-férences, exposi-tion…

• En salles : Le fondde l'air est rouge,Sans soleil, LevelFive, Lettre de Si-bérie - La Jetée,Junkopia, Di-manche à Pékin,Vive la baleine

• Éd. Arte, coffretPlanète Marker, 14films en 10 DVD(20 h.), 79, 99 €.

Le fond de l’air est rougefilm de 1977 remonté en 1998 par Chris Marker

La composition de ce film de trois heures sefonde sur un crescendo. Un leitmotiv d’images(mains, mouvement de foules, forces derépression) s’oppose ou s’associe à d’autresimages et sons, jouant de contrepoint, choc,analogie, alternance ou métaphore pour tisser unevision synthétique de la matière historique. Lemontage dissout toute objectivité des images auprofit de leur mutation en pensée. La premièrepartie, Les Mains fragiles, retrace l’élanrévolutionnaire en deux temps : Du Vietnam à lamort du Che et Mai 68 et tout ça. La deuxièmepartie, Les Mains coupées, montre après 1968,l’anéantissement des espoirs en deux temps : Duprintemps de Prague au programme commun etDu Chili à… quoi, au fait ?Le film explore les traces laissées par l’élan révo-lutionnaire puis par les défaites.

Il y évoque, dans cet ordre l’écrasement desguérillas, l’occupation de la Tchécoslovaquie, latragédie chilienne, le psychodrame de la Bandedes quatre en Chine, la terrible répression auMexique, les dictatures d’Amérique latine.Chris Marker mesure le temps qui a passé :« L’espace d’une jeunesse, des mots inconnussont nés : boat people, sida, thatchérisme,ayatollah, territoires occupés, cohabitation et cesigle qui remplace URSS et que d’ailleurspersonne n’arrive à retenir, CEI. Le rêvecommuniste a implosé. Le capitalisme a gagnéune bataille, sinon la guerre. »Pourtant l’espoir dicte à Marker, le mot de la findans sa version remontée en 1998 :« La sophistication des armes permet de réduireles espèces ; en 1977, on tuait des loups pourlimiter la population à un chiffre acceptable. Unepensée consolante cependant, quinze ans après, ily avait toujours des loups. » ■

Un film franco-israélien deRaphaël Nadjari

Le cours étrange des choses

Saul (Ori Pfeffer) et Simon (Moni Moshonov)

Chris Marker fut un créateurmajeur, tout à la fois cinéaste,photographe, romancier, poète,

vidéaste, humoriste, créateur du filmd'essai et d’œuvres multimédia,explorateur, globe-trotter, auteur d’uneœuvre immense. Son art fut aussid’engagement et c’est à cet aspect quenous nous limitons, la mort dans l’âme.En 1953, il coréalise avec Alain ResnaisLes statues meurent aussi sur l’Artnègre que l’Occident méprise et pille,film interdit en raison de son anticolo-nialisme. Marker part filmer là où ilvoit l’émergence de sociétés nouvelleset l’espoir d’un futur meilleur :Dimanche à Pékin (1956), Lettre deSibérie (1958).Cuba si (1961) montre, enthousiaste, lanouvelle société cubaine et se voitinterdit pour antiaméricanisme.Description d’un combat (1960)s’intéresse au jeune État d’Israël. DèsLettre de Sibérie, Marker interroge sesimages et joue sur les variations de senscréées par le montage sonore :1 . Iakoust, (…) est une ville moderne,où les confortables autobus sont mis àla disposition de la population (…).Dans la joyeuse émulation du travailsocialiste, les heureux ouvrierssoviétiques (…) s’appliquent à faire delaYakoutie un pays où il fait bon vivre !2. Iakoust, à la sinistre réputation, estune ville sombre, où tandis que lapopulation s’entasse péniblement dansdes autobus rouge sang (…) Dans laposture des esclaves, les malheureuxouvriers soviétiques, (…) s’appliquentà un travail bien symbolique : lenivellement par le bas !3. À Iakoust, où les maisons modernesgagnent petit à petit sur les vieuxquartiers sombres, un autobus moins

Culture

Saul a pris l’habitude de courirchaque fois que le stress lesubmerge, une manière comme

une autre de fuir les conflits d’une viequi ne le satisfait pas.Tout incident prend pour lui desproportions démesurées et déclencheangoisse et oppression : un chieninoffensif qui l’approche, un ordinateurdysfonctionnel, un poisson au marchétombé au sol, sur lequel il glisse puischute, se croyant paralysé un temps.Saul a la quarantaine ; séparé de sa filleet de sa femme, il a rompu les liensavec son père qui vit à Haïfa et qu’iln’a pas vu depuis des années.Il décide brusquement de rendre visiteà ce dernier. Au cours de ces retrou-vailles, ses états d’âme varieront.D’abord vient le rejet d’un mode de viedifférent du sien puis, peu à peu, Saul

se transforme et finira par accepter lesautres, les aimer et par là, s’accepterlui-même.Réalisé avec efficacité et précision,joué avec justesse, ce film sur le mal-être évite tout narcissisme et se laissevoir, fluide et vivant dans sa capacité àcréer des personnages authentiques etdans la succession des choses de la vieordinaire qu’il nous montre. ■

Un fils en révolte

Thomas Harlan était le fils deVeit Harlan, l’auteur du filmde propagande antisémite Le

JuifSüss dont Goebbels exigera qu'ilsoit montré à tous les corps de lapolice et des SS pour affermir lahaine antijuive.Ce film vaudra à Veit Harlan dansl’Après-Guerre d’être inculpé de com-plicité de crime contre l'humanité. Letribunal, présidé par un ancien nazi,l’acquittera tout en qualifiant le film« d’acte d’agression contre les Juifs ».Thomas Harlan décrit dans ces pages lefardeau d’une culpabilité que jamais sonpère n’a reconnue, et ses conséquencessur la vie de ses sœurs. Celles-ciépouseront des Juifs rescapés de ladéportation, rompront tout lien avec leurpère et tenteront de changer leur nom dejeune fille. L’une d’elle, devenue vétéri-naire, se donnera la mort en s’injectantdes produits pour chiens.Thomas Harlan fera le choix de garderson nom mais traquera, durant toute savie, les traces du fascisme. Pour établirles responsabilités d’anciens criminelsnazis, il part en Pologne communiste,puis en URSS et trouve dans les archi-ves des preuves accablantes contre desmilliers d’anciens bourreaux devenus

notables, vivant paisibles enAllemagneet occupant souvent de hautes fonctions.Ses dénonciations font scandale.Au cours de ses recherches, ThomasHarlan sera le premier à découvrirl’existence du camp d’extermination deChelmo. Il remettra tous ses documentsau procureur général de Francfort, maisla R.F.A lui confisquera son passeport etl’interdira de séjour. Parti à Capri auprèsde son père mourant, il espère luientendre dire un aveu qui ne viendrajamais. Thomas part ensuite au Portugalaux côtés de la Révolution des œilletsqui l’enthousiasme. De retour enAllemagne, il reprend ses recherchessur l’histoire nazie. Il tournera deuxfilms, écrira des romans et des pièces dethéâtre, tous hantés par l’obsession dunazisme et ses spectres. Dans Veit,Thomas Harlan dresse le procès du ci-néaste et de son film Le juifSüss, évo-quant les conséquences des crimes dupère. Ses pages sont écrites comme unhurlement de haine et derévolte contre le nazisme. ■

* Thomas Harlan, VEIT - D’unfils à son père dans l’ombre duJuif Süss, Éd. Capricci, 2013,148 p., 15 €.

Cycle Cinéma et propagande

III . Chris Marker

* Patricia Reznikov, La Transcendante, Éd. Albin Michel, 2013, 286 p., 1 9 €.

bondé que ceux de Paris aux heuresd’affluence (…). Avec courage etténacité, et dans des conditions trèsdures, les ouvriers soviétiques (…)s’appliquent à embellir leur ville, qui ena bien besoin. Marker dans ce filmdémontre aussi que « l'objectivité nonplus n'est pas juste » et s’avère plusfausse que les points de vue partisans.En 1968, il crée la coopérative Slon-Iskra (Slon signifie éléphant en russe ;Iskra (étincelle) salue la mémoire dujournal marxiste de Lénine etPlékhanov). Le Manifeste de SLONproclame : " Slon est né d’une évidence,que les structures traditionnelles ducinéma, par le rôle prédominantqu’elles attribuent à l’argent, consti-tuent en elles-mêmes une censure pluslourde que toutes les censures."Slon produit Loin du Vietnam (1967)

tourné par Agnès Varda, Joris Ivens,Jean-Luc Godard, Alain Resnais,William Klein en soutien à la lutte delibération nationale du peuplevietnamien.Slon-Iskra lance les groupes deréalisation Medvedkine appelés ainsi enhommage à Medvedkine, ancien de laPremière Armée de Cavalerie deBoudienny passé au service de lapropagande de l’Armée rouge etfondateur du Ciné-train en 1930. Celui-ci équipé d’un studio de cinémaparcourait l’URSS, filmant le peuple etle pays et montrait aussi auxpopulations le résultat de ce travail. Lesouvriers des groupes Medvedkine aidés

de Marker, Godard ou Bruno Mueldisposent des outils nécessaires pourfilmer leur lutte et leurs espoirs.À bientôt, j’espère (1968), premier desfilms tournés par les groupesMedvedkine, relate la grève dansl’usine de textiles Rhodiacéta deBesançon et interroge aussi le mode devie capitaliste. Marker coordonneraainsi une dizaine de films sur les luttesouvrières ou internationales (droitsciviques aux USA, résistance auxdictatures en Amérique Latine, Prin-temps de Prague…). Leur qualitéd’écriture et l’expérience qu’ilsconstituent les rendent incontournableset précieux dans l’histoire du cinéma.

Page 8: La Presse Nouvelle Magazine N°311  décembre 2013

8 PNM n° 3 1 1 – Décembre 201 3

Nous nesavons pas assez que la Co-médie-Française possède une

bibliothèque-musée où l’on trouve detrès nombreuses archives. Celle-ciabrite la mémoire d’une troupeconstituée en société depuis 1681*Jacqueline Razgonnikoff**, qui l’alonguement fréquentée puisqu’elle y aclassé et étudié les archives pendanttrente ans, retrace depuis 1799***l’histoire de la salle Richelieu, de laMaison de Molière, tant du point devue historique, évolutif, architectural,esthétique, que sous l’angle de latroupe des comédiens, metteurs enscène et administrateurs, de ses règleset de sa gestion.On y retrouve les noms de tous les co-médiens-sociétaires, des auteurs,metteurs en scène. On y parle del’évolution des répertoires qui ontessuyé les marques des censuressuccessives en fonction du régimepolitique. On y voit les campagnes detravaux, les mutations architecturaleset technologiques. Les reproductionssont magnifiques, le livre contientbeaucoup d’informations, et le toutdébute par une préface de MurielMayette, administratrice générale de laComédie-Française.

Pour JacquelineRazgonnikoff, comprendre le théâtre,c’est comprendre le contextehistorique et l’histoire sociale.Elle rend compte des diverses épo-ques, celle de 1789 à 1799, époquetroublée qui a vu la dispersion desComédiens-Français par la Révo-lution, la scissionentre le théâtre de laNation restée d’espritmonarchiste et lethéâtre de la Répu-blique autour deTalma, jusqu’à lareprise par Sargeret dece dernier théâtre dontl’architecture seramodifiée.Marqué par la censure,le théâtre français dansla période de 1799 à1825 « entre empire etmonarchie » verracomme nouveau propriétaire le Ducd’Orléans.Réfection de la salle, réparations exté-rieures et sécurisation des lieux serontmis en avant.Beaucoup d’autres époques sontévoquées, dont celle de 1825 à 1847« au cœur des batailles romantiques »,

avec la célèbre bataille d’Hernani, lerenouvellement du répertoire, et lesdébuts de Rachel jeune tragédienne.Là encore, des réaménagements ontlieu, salle, organisation de la troupe…Les relations sont précisées entre lepouvoir et la nomination d’unadministrateur. Gaz et nouveau moyen

de chauffage font leurapparition.La période 1914-1946décrit les activités dela comédie françaisependant les heuressombres de la der-nière guerre mondialeet de l’Occupation.Les comédiens y ontcontinué de jouer, yont monté des spec-tacles sous une cen-sure bien connue. Uneliste des noms descomédiens, directeurs,

metteurs en scène, techniciens estdonnée. Il est fait allusion à desrésistants et à ceux qui ont collaboré.On y parle de l’exclusion de comé-diens juifs et d’une crise interne. Unnoyau de résistants sous la férule dePierre Dux participe à la libération deParis dans le secteur Rivoli.

La Comédie-Française possède dansson foyer et musée de très nombreuxbustes, tableaux, objets, gravures liés àtoutes ces époques, certains sontrégulièrement exposés.Un livre vraiment passionnant qui nemanquera pas d’intéresser les ama-teurs éclairés comme les esprits cu-rieux. ■

* L’acte de société, historiquement àl’origine de la troupe, est statué ennombre de parts qui détermine larétribution des sociétaires et lesmodalités de leur retraite qui sontrevues au fil des siècles. Il établitégalement les obligations et règles àsuivre relatives à l’organisation internede la société dont une bonne partie estencore en vigueur aujourd’hui, ainsique la hiérarchisation des emplois.

** Historienne du théâtre, auteureégalement d’Eloge de la critique

*** Jacqueline Razgonnikoff, LaComédie-Française Le théâtre de larue de Richelieu de 1799 à nos jours,Éd. ArtLys, 2013, 239 p., 35 €, envente en librairie, par Internet, et à laComédie-Française, 2 rue de RichelieuParis 1°.

La Comédie-Française

LA BONNE ÂME DU SE-TCHOUAN DEBERTOLT BRECHT, dans unemise en scène de Jean Bellorini auxAteliers Berthier (Odéon-Théâtre del’Europe)*

Une bonne âme très contemporaine,avec deux des comédiens, KaryllElgrichi et François Deblock, à l’énergieépoustouflante. Un spectacle tout en puissance etsensibilité. Un auteur qui n’a pas pris une ride.Preuve que notre société est toujours malade de« l’économique » et que l’âme humaine se débattoujours dans ces grandes questions de la dureté denotre monde, de l’égoïsme dans les rapportshumains, mais aussi de l’espoir d’un mondemeilleur et solidaire. Comment penser le bon et lepartage sans tomber dans l’utopie, vaste question !Le spectacle fait surgir la poésie du délabrementet de la violence du monde. Et la musique deMacha Makeïeff est belle. Jean Bellorini estmulti-talentueux (son, mise en scène, costumes,scénographie, lumières) et grand directeurd’acteurs. Sa mise en scène lui a valu le prix de larévélation 2012 décerné par le syndicat de la cri-tique. ■

RAVELDE J. ECHENOZ dans une mise en scène deAnne-Marie Lazarini auxATHEVAINS** (Paris 11°)

Un texte magnifique porté par des comédiens à lahauteur, une mise en espace et en dialogue intelligenteet originale autour de la vie étrange (tourmentée) ducompositeur de musique Maurice Ravel. Ce spectaclea reçu deux prix du syndicat de la critique 2013. ■

LE SYSTEME RIBADIERDE GEORGESFEYDEAU dans une mise enscène de Zabou Breitman à la Co-médie-Française (Théâtre duVieux-Colombier)***

Sur une note plus légère, cettemise en scène campe un Feydeauà la perfection. Les comédienssont impressionnants de virtuosité et on ritbeaucoup. ■

LAPRINCESSEAU PETITPOISD’ANDERSENdans une miseen scène deÉdouard Signolet

au Studio-Théâtre de la Comédie-Française****

Un spectacle original pour tous à partir de 8 ans,inventif, moderne, amusant, qui détricote anti-conte et conte initiatique. Les enfants comme lesparents (ou grands-parents) adorent. ■

Jusqu'au :* 15 décembre : 1 rue André Suarès / 14 Bd.Berthier, 01 44 85 40 40** 31 décembre : 65 bis rue Richard Lenoir, Paris 11°,01 43 56 38 32*** 5 janvier : 21 rue du vieux colombier Paris 6°,01 44 39 87 00**** 5 janvier : Galerie du Carrousel du Louvre,place de la pyramide inversée, 99 rue de Rivoli,01 44 58 98 58

RETOURSURLES DAMNÉS DE LATERRE ETLAJOURNÉE FRANTZFANON (cf. PNM 310)

La journée Frantz Fanon a été un franc succès. Il yavait tellement de monde que le Tarmac a dûinstaller de nombreux spectateurs dans le halld’accueil avec écran de transmission. ChristianeTaubira a été ovationnée. Tout était d’une hautetenue et les questions dans la salle ont été trèspertinentes. Rue 89 qui animait les débats en arendu compte sur son site. Toute la critique a saluéle spectacle de J. Allaire, Les damnés de la terre.On y relève la sensibilité, la puissance des images,la note d’espoir. La pensée de Frantz Fanon estincarnée par des comédiens talentueux ; elletraverse leurs corps et nous interpelle dans notrechair. Et la scénographie est effectivementintéressante et forte. ■

On vous les recommande !

Chers lecteurs, vous êtes plusieurs à nous

avoir écrit, nous vous remercions et nous

réagirons dans les prochains numéros.PNM"Ravel" joué par Michel Ouimet. Artistic Athévains

Crédit photo Cosimo Mirco Magliocca

CréditphotoBrigitteEnguérand

Culture

Courrier des lecteurs

Chronique

de

Simone

Endewelt

CréditphotoLOT