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N°257 - du 29 mars au 4 avril 2011 Sondomanie : vers une gouvernance des sondages ? (3/3)

Lettre Exprimeo : les nouvelles fonctions des sondages (3/3)

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N°257 - du 29 mars au 4 avril 2011

Sondomanie : vers une

gouvernance des sondages ? (3/3)

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Sondomanie : une gouvernance des sondages ?

La mode actuellement en France est d’effectuer des prévisions à 12 mois dans le cadre de la présiden-tielle. Le rappel instructif Il est instructif de se rap-peler la situation des Etats-Unis à 265 jours du vote (novembre 2007) au niveau des sondages alors publiés et les conséquen-ces qui en étaient tirées. Dans l’Iowa, Hillary Clin-ton arrivait en tête chez les Démocrates avec 29 % des intentions de votes contre 26 % pour Obama et 20 % pour Edwards. C’était un score étonnant car John Edwards avait visité 99 localités de l'Io-wa. Obama avait visité 59 localités et Clinton seule-ment 39. De ce décalage entre le nombre de visites et le score obtenu, les médias titraient sur la «force irrésistible d’Hillary Clinton» ...

Du côté Républicain, Romney creusait l'écart avec 36 % des intentions de votes là où Giuliani re-cueillait 13 % et McCain 6 %. Dans le New Hampshire, Clinton était première dans le camp démocrate (40 %). Elle devançait Obama (22 %) et Ed-wards (20 %). Chez les Républicains, Romney était devant (30 %) suivi par Giuliani (23 %) et McCain (17 %). En Caroline du Sud, Clin-ton était première (41 %), devant Obama (19 %) et Edwards (18 %). Chez les Républicains, Romney (29 %) devance Giuliani (23 %) et McCain (13 %). A partir de ces indica-teurs, la presse titrait qu’Hillary Clinton était à la mode et devait avancer vers une désignation ai-

sée. Côté Républicain, Romney était présenté comme bénéficiant des effets de son reposition-nement (manager et va-leurs familiales) face à Giuliani emporté par des frasques privées et McCain présenté comme trop âgé et trop marqué par Washington donc la «mauvaise réputation» dans l’Amérique profonde. Ce devait être le retour aux acquis des "années Clinton" et cette Améri-que pacificatrice. La pres-se considérait que, sur cette vague démocrate, Hillary Clinton avait «manifestement pris l’as-cendant. Il lui restait seu-lement désormais à éviter l’erreur qui rouvrirait le jeu dans son camp». Un an plus tard, Hillary Clinton n’était même pas sur le ticket démocrate, balayée par la mode Oba-ma et Romney avait dis-paru de la présidentielle à la suite d’une primaire ai-sément gagnée par

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A la mode au bon mo-ment A 365 jours du vote, Obama était largement distancé par Hillary Clinton. Les medias concluaient alors à la «vague Hillary» qui devan-çait Obama de plusieurs dizai-nes de points dans chacune des enquêtes d’opinion. 365 jours plus tard, non seule-ment Hillary n’est pas la can-didate démocrate mais elle ne figure pas sur le ticket démo-crate. L’opinion moderne est changeante. La Obamamania était née ...

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McCain. Cet exemple concret montre combien l’opinion moderne évolue vite et beaucoup. Le rapport des forces évo-lue en permanence. C’est un zapping général qui frappe la citoyenneté comme la consommation. Il n’y a plus idéologie mais sensibilité. Il n’y a plus conviction mais sé-duction. Aucun électorat n’échap-pe à cette évolution géné-rale. L’électorat jeune (18—24 ans) est particu-lièrement sensible à cette nouvelle réalité. Il repré-sente 15 % du corps élec-toral. La mobilité de vote est leur première caracté-ristique. Rien n’est figé ni entre l’abstention et le vote ; ni, en cas de vote, en faveur d’une formation politique. Quand 15 % du corps électoral est d’une telle mobilité, c’est l’en-semble des prévisions qui devient ainsi difficilement programmable. Les nouvelles frontiè-res Dans ce contexte général, quels sont les thèmes qui vont influencer l’évolution de chacune des mentali-tés en France ? Sur le plan intérieur, les gros sujets structurants

sont les suivants : - la définition du rôle de l’Etat : c’est le sujet qui peut faire resurgir un cli-vage traditionnel droite / gauche. - les préoccupations so-ciales peuvent structurer l’élection : un climat de défiance contre le Gou-vernement jugé incapable d’arrêter la montée de la pauvreté, l’accroissement des inégalités et la cristal-lisation de revendications sociales fortes : cher-cheurs, enseignants. - le rejet du style de la politique mise en œuvre par le pouvoir en place peut aussi structurer le vote.

Sur ces bases, les nouvel-les fractures sont : • professionnelles : la

France qui entre-prend / la France sa-lariée et tout particu-lièrement les profes-sions intermédiaires,

• d’appartenance à un

secteur d’ensemble : secteur privé / sec-teur public,

• - par âges : + de 60 ans / - de 35 ans. Il faut noter enfin une spécificité croissante des 18-25 ans qui s’apprêtent à consti-tuer un vrai front d’opposition à Nicolas Sarkozy. Il faut re-monter à la présiden-tielle de 1988 pour retrouver des cliva-

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ges de ce type. En 1995, le profil de J. Chirac avec une prio-rité de gaullisme so-cial (le concept de la fracture sociale) avait considérable-ment changé par rapport à 1988. En 2007, l’énergie rebel-le de Nicolas Sarkozy avait mobilisé les jeunes. Là, beaucoup paraît réuni pour laisser prévoir des difficultés importan-tes avec l’électorat jeune pour le Prési-dent sortant compte tenu de chiffres an-crés durablement dans les enquêtes.

Un corps électoral en mal d’espoir

Le corps électoral français est d’abord inquiet pour l’avenir. Une inquiétude qui donne naissance mê-me à une réaction qui s’apparente plus au pes-simisme généralisé qu’à la simple inquiétude. C’est un corps social sur-mené qui n’est pas ar-rivé à trouver un juste équilibre entre toutes les nombreuses et souvent contradictoires obligations ou responsabilités dont celles visant à lutter contre la menace du dé-classement, donc un sen-timent très répandu de mal être.

Dans les difficultés, l’opi-nion est à ce jour en ob-servation de la sphère po-litique et non pas en posi-tion de compréhension. Son investissement est faible. Elle est très criti-que. Pour elle, la po l i t i -que c’est souvent le règne de la corruption, des ré-sultats semblables droite comme gauche… C’est donc aujourd’hui un corps électoral en attente d’espoir et d’assurance. Il est certain que le candi-dat qui trouverait le bon contenu et la bonne tona-lité pour changer ce «mauvais moral» franchi-rait une étape décisive sur le chemin de la victoi-re mais aussi modifierait en profondeur l’actuel état d’esprit de l’opinion ; ce qui ne peut probable-ment être le cas qu’à l’oc-casion d’une élection pré-sidentielle.

Trois évolutions impor-tantes

Tout d’abord, tout se pré-sente comme si les fran-çais avaient commencé à se préparer à de vérita-bles changements. L’opinion publique a pro-gressivement construit des repères simples pour les priorités à conduire et l’actualité récente comme

Le FN et les nouveaux seuils ... Les enquêtes d’opinion ont an-noncé une poussée du FN que les cantonales 2011 ont confir-mé parfois même au-delà des perspectives initiales. L’Ifop a publié une note techni-que remarquable sur ce sujet dont il ressort notamment :

« ...Au total, sur les 394 can-tons où il était présent en duel au second tour, le parti de Ma-rine Le Pen passe de 25,2 % au premier tour à 35,6 % au second et en nombre de voix de 623 682 à 899 944 soit plus de 276 000 suffrages gagnés en une semaine. La progres-sion du FN entre les deux tours concerne les bastions histori-ques : + 17,2 points à L’Isle sur la Sorgue dans le Vaucluse, + 17,1 à Guebwiller dans le Haut-Rhin, + 16,9 % au Luc dans le Var ou bien encore + 16 à Canet dans les Pyrénées-Orientales par exemple mais également des terres de conquête : + 15,8 points à Ma-rennes en Charente-Maritime, +15,3 à Lignières dans le Cher ou + 14,4 à Pleine-Fougères en Ille-et-Vilaine. Ces chiffres viennent souligner l’ampleur de la « poussée fron-tiste », ce parti franchissant la barre des 40 % dans pas moins de 83 cantons et dépas-se la barre des 45 % dans les 22 cantons suivants. » Les sondages sont un remar-quable marqueur de grandes tendances. Ils doivent être complétés par des analyses qualitatives et des plongées dans le détail des petits chiffres à l’exemple de l’enquête ci-dessus pour dispo-ser d’une appréciation sérieuse conjuguant les divers outils de connaissance de l’opinion.

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les déclarations fracas-santes n’inversent pas si-gnificativement cet ordre. Ensuite, l’opinion publique est manifestement en at-tente de protection. Dans cette période où apparais-sent en permanence de nouvelles menaces y compris celles auxquelles nous n’avions jamais son-gé, l’opinion publique as-pire à la création de nou-velles formes de protec-tion. A l’opposé de ces valeurs, l’opinion publique rejette tout ce qui peut s’apparenter aux conflits, à des approches rugueu-ses, à l’énergie trop cli-vante. Ce climat est pro-bablement un vrai défi pour la candidature de Ni-colas Sarkozy dans la lo-gique d’une candidature

de rassembleur. Il doit corriger rapidement et si-gnificativement son pou-voir d’évocation qui s’est beaucoup éloigné d’un tel climat tout particulière-ment dans sa façon de traiter certaines formes d’exclusions interprétées comme sources de violen-ces. Enfin, dernier trait carac-téristique, les blocs élec-toraux se constituent sur des bases nouvelles transversales qui tradui-sent des attitudes com-munes devant la vie (mode de vie et système de valeurs) et qui, à ce jour, vont s’agréger d’a-bord pour dire non. La désacralisation du dis-cours politique a libéré l’espace pour l’émergence

du «citoyen justicier». Toujours sceptique et mé-fiant, ce citoyen ne croit pas aux visionnaires et aspire d’abord à éviter «le pire». C’est cet état d’es-prit qu’il ne faut pas bra-quer. Dans ce contexte, le discours doit plutôt s’or-ganiser autour d’un ni continuité ni rupture mais transformation dans la douceur et dans la flexibi-lité. Cette ambiance conduit à une nouvelle offre politi-que. Bien davantage, avec cette ambiance, les citoyens sont entrés en résistance à l’égard de la politique. La saturation a bien été atteinte. Le be-soin général de nouveau-té s’est développé.

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L’opinion de crise La crise à créé deux grou-pes très différents : - ceux qui entendent s’a-dapter à elle, - ceux qui la refusent. Cette volonté ou cette ca-pacité d’adaptation face à la crise, à ses conséquen-ces, aux modifications im-posées structurent désor-mais les mentalités col-lectives. 5 groupes se dégagent : - «les hussards de la modernité» : leur men-

talité est celle de la mo-dernité, de la technologie, de la liberté individuelle. L’Etat est une contrainte. La communication est un outil efficace. C’est par l’économie que l’humanité avancera. La postmoder-nité sera un combat per-manent. Ils sont prêts à l’affronter et se sentent une âme de gagnant. - «Les matérialistes» : la modernité ne les attire pas mais ils ont le senti-ment qu’ils parviendront quand même à «tirer leur épingle du jeu». Ils ac-ceptent l’évolution mais cherchent à en modérer certains impacts qu’ils ju-

gent nocifs. - «Les nostalgiques» : la modernité est suppor-table si elle s’accompagne d’un retour à certaines anciennes valeurs : ordre, respect de la famille, res-pect des Nations… - «Les hors jeux so-ciaux» : ils refusent les nouvelles règles. Pour eux, la modernité c’est la décadence et la destruc-tion de l’être humain. La modernité est menaces et peurs généralisées. Il n’est pas question d’har-monisation mais d’unifor-misation contre nature et contre culture. L’écono-

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- quel présidentiable va offrir l’offre et le style de nature à rassembler plu-sieurs de ces groupes ? Là est le véritable tour-nant de la présidentielle 2012. Pour l’instant, les sondages quantitatifs res-semblent davantage à de l’imagerie pour animer la pré-présidentielle. Mais les tournants inter-viendront lorsque les of-fres seront connues tant en matière de contenus que de candidats.

mie les agresse parce qu’elle oublierait systé-matiquement l’homme. - «Les héritiers des ac-quis» : ils pensent que les ajustements sont né-cessairement douloureux donc il faut les différer, il faut demander des «sacrifices» à d’autres qui sont nécessairement mieux lotis qu’eux. C’est la mentalité des rem-parts. Toute remise en cause des acquis est in-juste, injustifiée et néces-site une réaction de soli-darité tribale. Cette grille qui va du groupe 1 qui accepte le

mieux l’adaptation au groupe 5 qui résiste le plus contre l’adaptation. La présidentielle française 2012 va dépendre du poids respectif de chacun de ces trois groupes. Mais bien davantage, trois questions vont impacter ce premier tri : - est-il possible selon les sujets d’appartenir à plu-sieurs groupes ? - quelle offre politique va assurer la synthèse per-mettant d’agréger plu-sieurs groupes ?

Editeur : Newday www.exprimeo.fr

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2012 : la nouvelle idéologie : le style ! 9

Tim Pawlenty a lancé son co-mité politique pour 2012. Mitt Romney organise ses 15 dîners de levées de fonds pour affirmer une puissance de tir grâce à un «trésor de guerre» sans rival possible. Jon Huntsman publie la liste de ses premiers collaborateurs dans le cadre de son équipe pour 2012. … Le combat est engagé. Mais l’enjeu ne paraît plus être le programme mais ...le style.

Parution le : 5 avril 2011.