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1 Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״לL.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 123 Septembre-octobre 2013 le numéro 2,50€ http://www.liberte-du-judaisme.fr Editorial Cette Lettre ouvre pour notre association l'année 5774. L'année 5573, qui se termine a été marquée par la consolidation de notre association "Liberté du Judaïsme" avec une augmentation notable du nombre de nos adhérents et des abonnés à la Lettre de LdJ. Cette année a également été marquée par la maturation de notre Site internet qui est maintenant régulièrement visité depuis le monde entier. Nos conférences mensuelles, très suivies, nous ont emmenés en Pologne avec Henri Minczeles et les mouvements ouvriers juifs, Jean-Charles Szurek et les combats de Marek Edelman, et à Auschwitz avec Anna Pitoun et un groupe de jeunes juifs et de jeunes tsiganes. Après un passage en France avec Bernard Sadon et Jacques Lazarus nous avons franchi la Méditerranée, pour rendre visite aux femmes tunisiennes avec Albert Maarek, les sables du Sahara avec Jacob Oliel en passant, avec Jean- Claude Lalou, par le Sud Algérien. Andrée Lerousseau nous a fait découvrir la poésie de Nelly Sachs, et Gérard Haddad la nécessité de l'autre. Nous avons appris avec Joëlle Benayoun a entreprendre des recherches dans nos arbres généalogiques, et abordé avec Martine de Koninck et Dominique Renaud les problèmes qui se posent dans nos banlieues. Quand à notre ami Jean Ferrette il nous a parlé de cette calamité récurrente, l'antisémitisme à gauche, avant d'animer une table ronde à propos d'Hannah Arendt et de la responsabilité individuelle. Pour l'année qui vient nous avons retenu comme fil conducteur le thème " Les Juifs et leurs exils" et nous sommes en train de mettre au point le programme complet des conférences. Notre association se porte bien, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas besoin de vous et de votre aide. C'est dans cet esprit que nous serions heureux de recevoir vos suggestions et vos propositions pour enrichir et améliorer nos activités et plus particulièrement notre Site "liberté-du judaisme.fr" et notre "Lettre de LdJ". A l'approche de Roch Hachana, meilleurs vœux à nous tous : Puisse l'année 5774 nous apporter la paix tant désirée. Le Bureau Chostakovitch philosémite "Un Juste parmi les soviets" Nous publions ci-dessous la seconde partie de l'article que notre amie Margaret Cohen a consacré au grand compositeur russe. La tentation de l'antisémitisme est une tradition obligée parmi les artistes russes. Même Dostoïevski, le grand écrivain humaniste, héraut de la religion de l'amour n'y fait pas exception (1) Pour soigner son épilepsie il fait de fréquents séjours à Ems (Allemagne). Dans les lettres adressées à sa femme, il ne manque jamais de manifester son hostilité à l'égard des Juifs : "Ici on ne voit que des sales trognons de youpins, ces boursicoteurs qui font monter les prix" (2) L'engagement de Chostakovitch en faveur de la minorité juive, son intérêt pour la poésie et la musique du shtetl est un cas unique chez les artistes russes. Dès sa jeunesse, il semble avoir une certaine préférence pour les intellectuels juifs. En 1926, il fait la connaissance du musicologue Ivan Sollertinsky, grand spécialiste de Mahler et de Schönberg. Lors de sa mort prématurée, dans une lettre adressée à sa veuve, le compositeur écrit : "Il était mon meilleur ami, le plus cher de tous, je lui dois d'être devenu ce que je suis. Il me sera incroyablement difficile de vivre sans lui". Sa longue collaboration avec Meyerhold est brutalement interrompue en 1940, l'année où le grand homme de théâtre est assassiné et sa femme poignardée.

Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

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Chostakovitch philosémite "Un Juste parmi les soviets" La Symphonie n°13 "Babi Yar" AMOS OZ Entre amis Le mouvement ouvrier juif par Henri Minczeles, Bund

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Page 1: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

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Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״ל

L.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 123 Septembre-octobre 2013 le numéro 2,50€

http://www.liberte-du-judaisme.fr

Editorial

Cette Lettre ouvre pour notre association l'année 5774.

L'année 5573, qui se termine a été marquée par la

consolidation de notre association "Liberté du Judaïsme"

avec une augmentation notable du nombre de nos adhérents

et des abonnés à la Lettre de LdJ. Cette année a également

été marquée par la maturation de notre Site internet qui est

maintenant régulièrement visité depuis le monde entier.

Nos conférences mensuelles, très suivies, nous ont emmenés

en Pologne avec Henri Minczeles et les mouvements

ouvriers juifs, Jean-Charles Szurek et les combats de

Marek Edelman, et à Auschwitz avec Anna Pitoun et un

groupe de jeunes juifs et de jeunes tsiganes.

Après un passage en France avec Bernard Sadon et Jacques

Lazarus nous avons franchi la Méditerranée, pour rendre

visite aux femmes tunisiennes avec Albert Maarek, les

sables du Sahara avec Jacob Oliel en passant, avec Jean-

Claude Lalou, par le Sud Algérien.

Andrée Lerousseau nous a fait découvrir la poésie de Nelly

Sachs, et Gérard Haddad la nécessité de l'autre. Nous

avons appris avec Joëlle Benayoun a entreprendre des

recherches dans nos arbres généalogiques, et abordé avec

Martine de Koninck et Dominique Renaud les problèmes

qui se posent dans nos banlieues.

Quand à notre ami Jean Ferrette il nous a parlé de cette

calamité récurrente, l'antisémitisme à gauche, avant d'animer

une table ronde à propos d'Hannah Arendt et de la

responsabilité individuelle. Pour l'année qui vient nous avons retenu comme fil

conducteur le thème " Les Juifs et leurs exils" et nous

sommes en train de mettre au point le programme complet

des conférences.

Notre association se porte bien, ce qui ne veut pas dire

qu'elle n'a pas besoin de vous et de votre aide. C'est dans cet

esprit que nous serions heureux de recevoir vos suggestions

et vos propositions pour enrichir et améliorer nos activités et

plus particulièrement notre Site "liberté-du judaisme.fr" et

notre "Lettre de LdJ".

A l'approche de Roch Hachana, meilleurs vœux à nous

tous : Puisse l'année 5774 nous apporter la paix tant

désirée.

Le Bureau

Chostakovitch philosémite

"Un Juste parmi les soviets"

Nous publions ci-dessous la seconde partie de

l'article que notre amie Margaret Cohen a

consacré au grand compositeur russe.

La tentation de l'antisémitisme est une tradition obligée

parmi les artistes russes. Même Dostoïevski, le grand

écrivain humaniste, héraut de la religion de l'amour n'y fait pas exception

(1) Pour soigner son épilepsie il fait de

fréquents séjours à Ems (Allemagne). Dans les lettres

adressées à sa femme, il ne manque jamais de manifester son hostilité à l'égard des Juifs : "Ici on ne

voit que des sales trognons de youpins, ces boursicoteurs qui

font monter les prix" (2)

L'engagement de Chostakovitch en faveur de la minorité juive, son intérêt pour la poésie et la musique

du shtetl est un cas unique chez les artistes russes.

Dès sa jeunesse, il semble avoir une certaine préférence pour les intellectuels juifs. En 1926, il fait la

connaissance du musicologue Ivan Sollertinsky, grand

spécialiste de Mahler et de Schönberg. Lors de sa mort prématurée, dans une lettre adressée à sa veuve, le

compositeur écrit : "Il était mon meilleur ami, le plus

cher de tous, je lui dois d'être devenu ce que je suis. Il

me sera incroyablement difficile de vivre sans lui". Sa longue collaboration avec Meyerhold est brutalement

interrompue en 1940, l'année où le grand homme de

théâtre est assassiné et sa femme poignardée.

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En 1943, il se lie d'amitié avec Moïse Vainberg, jeune

musicien génial, méconnu qu'il prend sous sa protection. Vainberg issu d'un shtetl polonais est fils

d'acteurs yiddishs. Plus tard il épouse la fille du célèbre

acteur Solomon Michoëls qui connaîtra une fin tragique

en 1948. Pour Chostakovitch, le Juif persécuté devient le

symbole de la victime de l'injustice. Par un effet de

miroir, il y voyait se refléter le double de son propre destin. Dès 1933, à l’arrivée d'Hitler au pouvoir, la

figure du Juif -sous forme de thème musical- devient

une constante dans son œuvre.

1946-1952 : La lutte contre le formalisme

Pendant la guerre, la surveillance des intellectuels et autres éléments suspects fut relâchée. Après la victoire,

pour purifier le pays, la répression s'impose. Les

tâches sont réparties entre Staline et son principal sbire Andreï Jdanov. Jdanov prend en main la mise au pas

des artistes en orchestrant une violente offensive contre

toute influence de l’Occident C'est un homme jovial, il respire la santé, la bonne

humeur et déteste les pensées négatives. Sa

philosophie : "Nous n'avons aucune raison d'être triste

puisque nous sommes sur la voie vers l'avenir radieux". Sa bête noire est le "formalisme", crime qui peut

conduire au goulag ou à la fosse commune.

Il exige des intellectuels d'exalter les admirables réalisations du régime. Cette invitation aux mensonges

et au déni de soi devait être doublée par des sermons de

fidélité au Guide bien-aimé.

La répression touche tous les domaines de la vie

culturelle

En 1948 s'ouvre la campagne contre le formalisme en musique. L'Union des Compositeurs se réunit. C'est un

tribunal ou Chostakovitch est l'accusé principal.

Galina Vichnevskaia, le célèbre soprano, l'épouse de Rostropovitch décrit la séance :

"La salle du Conservatoire était bondée. Chostakovitch

assis seul dans une rangée de sièges vides. C'est une

coutume chez nous. Personne ne se met à coté de la victime, comme pour une exécution publique. La seule

différence c'est qu'au lieu de vous supprimer, les

bourreaux ont la magnanimité de vous laisser vivre couvert de crachats. Puis il faut monter en chaire et

battre votre coulpe en trahissant publiquement vos

idéaux ! Et par-dessus le marché il faut encore remercier le Parti et le camarade Staline"

Après ce sinistre cérémonial, le verdict tombe.

Chostakovitch est frappé d'interdit. Plus de concerts,

plus de publications et pour couronner le tout il est privé de son poste au Conservatoire au motif d'

"incompétence professionnelle".

Son fils Maxime raconte "En 1948, j'avais 10 ans. Après le discours de Jdanov, à l'époque où mon père fut

persécuté par tous, on m'a obligé à le condamner lors

de mon examen à l'Ecole de la musique"

Comment ce génie passionné et intègre pouvait-il

survivre dans ce régime dévoyé, ubuesque? Comment pouvait-il créer une œuvre monumentale (145 opus)

dans cette existence sur le fil du rasoir, entre adulation

et mise à mort ? Voila une énigme qui agite encore

historiens et musicologues. Car malgré les humiliations, la comédie de l'auto-flagellation, il continue à écrire "sa

musique" où il exprime ses angoisses, sa révolte, sa

haine de la tyrannie et de l'antisémitisme. En 1948, il achève son concerto pour violon dédié à

David Oistrakh, son frère dans la joie et dans la

tourmente de la création. L'œuvre, dont une partie est traversée par des mélodies populaires juives est

considéré par Jdanov comme l'illustration du

"formalisme dégénéré". La tonalité de tristesse, sa

dissonance, son humour grinçant ne peuvent que troubler la sérénité du travailleur soviétique. Le

concerto est mis à l'index. Il faut attendre la mort de

Staline pour l'interpréter. La même année il achève son cycle de chansons

populaires juives. Ce geste montre le caractère

indomptable du compositeur car au lendemain de la victoire les Juifs deviennent la cible principale de

Staline.

Chostakovitch raconte "En 1948 j'ai acheté un petit

volume de poésie populaire juive. Je pensais que si je mettais ces textes en musique je pourrais faire sentir le

destin tragique du peuple juif. Car je savais que

l'antisémitisme se répandait partout". Ce geste est proprement suicidaire. Avant même sa création

Chostakovitch reçoit une avalanche de menaces, de

lettres anonymes le traitant d'ennemi du peuple, vendu

aux Juifs. Il n'était pas question de la jouer publiquement ; la première n'eut lieu qu'en 1955.

La Symphonie n°13 "Babi Yar"

Je me sens juif

Ici je marche dans l'ancienne Egypte

Ici je meurs cloué sur la croix Et maintenant j'en porte la plaie

Je deviens un cri gigantesque

Au-dessus des milliers d'hommes enterrés là Je suis moi-même chacun de ces enfants.

Je suis moi-même chacun de ces vieillards

Evgueni Evtouchenko

En septembre 1941, 32 000 Juifs furent massacrés à

Babi Yar (Ukraine) par les nazis et leurs supplétifs

ukrainiens. Staline meurt en 1953. La déstalinisation permet de

s'exprimer plus librement. En 1961 Evtouchenko publie

un poème épique consacré à la découverte du charnier

et au destin juif à travers les âges. Il dénonce l'antisémitisme russe et l'interdiction d'évoquer la

Shoah.

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Chostakovitch porte ce texte en musique qui devient la

Symphonie n°13 "Babi Yar". C'est un requiem à la mémoire des victimes de toutes les oppressions. La

musique sombre, funèbre accompagnant le chœur, rend

l'intensité dramatique du poème.

18 décembre 1962. La première est attendue avec impatience. La foule a pris d'assaut le Conservatoire de

Moscou. Le succès et l'émotion du public étaient au

comble.

Le monument érigé en 1991 en mémoire

du massacre de Babi Yar

Khrouchtchev furieux, trouvait le moment inopportun

de s'occuper du destin juif et accusait Evtouchenko

d'antipatriotisme. Ironie du sort, après la chute de

l'Union soviétique, les œuvres les plus jouées sont Lady Macbeth et la Symphonie "Babi Yar".

1948-1953 Persécution des intellectuels juifs

Pendant que Jdanov sévit contre les artistes, Staline

entend débarrasser le pays des éléments "cosmopolites, sans racines".

La répression contre les Juifs taxés de ces tares

commence en 1948 par l'arrestation du Comité

antifasciste juif. Michoels, président du Comité est assassiné. Son meurtre, déguisé en accident, est le

signal d'une campagne d'exclusion. Les théâtres, les

journaux, les associations juifs sont supprimés, suivis de l'anéantissement physique d'une partie de

l'Intelligentsia juive.

La "découverte d'un complot juif" entraîne la déportation ou l'exécution de 219 écrivains, 108

acteurs, 87 peintres, 19 musiciens. Plus tard dans les

nuits du 12-13 août 1952, appelées "Les nuits des

poètes assassinées" 13 écrivains yiddish, parmi les plus importants, sont tués. Parmi eux, Perez Markish, David

Bergelson. Staline vieillissant, malade, rend les

médecins juifs responsables de son état.

Le complot des blouses blanches déclenche une

nouvelle vague d'antisémitisme. Mais les Juifs n’étaient

plus les seuls menacés. Personne n'était assuré du lendemain. Le retour du spectre de la grande purge

(1937-1938) semblait imminent. Mais Staline meurt le

5 mars 1953. Ilya Ehrenbourg écrit: "Nous avions oublié depuis

longtemps que Staline était un être humain. Il s'était

métamorphosé en un dieu tout-puissant, mystérieux. Et

voila, que ce dieu meurt d'une hémorragie cérébrale. Cela paraissait invraisemblable"

Chostakovitch en France

Pendant la guerre froide, l'image de Chostakovitch est

pervertie par l'idéologie ambiante. On ne connaissait pas encore une seule note de sa musique que déjà il

était catalogué comme le compositeur officiel

soviétique, voire le " Chantre de Staline".

Dans les années 1970, grâce aux témoignages des dissidents et la ferveur de ses interprètes, la doxa

commence à faire marche arrière. Les oreilles une fois

dépouillées de l'idéologie, découvrent un des compositeurs majeurs du XXème siècle.

Antoine Goléa (1906-1980) musicologue, animateur

célèbre de France-Musique écrit à propos de la 8ème

Symphonie. : " Il y a au XXème siècle un musicien qui

est peut-être le seul, à vouloir représenter à l'aide de

moyens symphoniques, le drame humain le plus

brûlant, le plus actuel. Le romantisme de Chostakovitch, son ardeur, sa colère et son

enthousiasme expriment le sentiment de toute une

société. Dans ces gigantesques fresques, on entend résonner le sanglot de douleur et le chant d'espoir de

tout un peuple et de l'humanité toute entière".

Les adeptes de l'intégrisme post-sériel ne manquent pas

de mettre quelques bémols. Ainsi Pierre Boulez : "Quant à Chostakovitch, l'ombre de Mahler pèse

lourdement sur lui. Je ne pense pas qu'il y ait

actuellement la nécessité d'un retour à la tonalité. Faire du pseudo-Mahler, est-ce nécessaire ?"

L'opinion tranchante de Boulez qui frise l'arrogance est

compréhensible quand on sait qu'il est fondateur de l'Ircam, temple de la musique électro-acoustique. Dans

cet antre, les lignes mélodiques, les sentiments

exprimés par la musique sont jugés inactuels. Du passé

faisons table rase… Or la musique de Chostakovitch n'est pas né ni ex-nihilo ni des machines. Il était un

admirateur de Mahler, mais n'a jamais fait du pseudo-

Mahler. Il suffit de l'écouter pour reconnaître une personnalité fascinante, complexe, unique.

La vie et l'œuvre des deux compositeurs sont

indissociables de l'Histoire. Mahler est le visionnaire d'un monde qui va disparaître, Chostakovitch témoin et

chroniqueur d'un mode disparu.

"Quand je regarde derrière moi je ne vois que

cendres et cadavres" Les dernières années de Chostakovitch furent

assombries par la maladie et la hantise du souvenir de la terreur stalinienne. "La plupart de mes symphonies sont

des monuments funéraires. Trop de gens chez nous ont

péri on ne sait où et nul ne sait où ils sont enterrés.

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C'est ce qui est arrivé à nombre de mes amis. Où peut-

on ériger un monument à Meyerhold ? Seule la musique peut le faire. Je suis prêt à dédier une œuvre à chacune

des victimes. Malheureusement c'est impossible, alors

je leurs dédie toute ma musique"

Chostakovitch meurt le 9 avril 1975. Quand le défilé

passa devant sa dépouille, on découvrit avec émotion

que le mort souriait.

" La musique est une révélation plus haute que toute

la sagesse et toute la philosophie" (Beethoven)

Margaret Cohen

Sources : 1-David I. Goldstein: "Dostoïevski et les Juifs" Gallimard 1975

2-F. Dostoïevski : "Correspondance" Calmann-Levy 1960

3-Krysztof Meyer : "Dimitri Chostakovitch" Fayard 1994

Des histoires dans l' Histoire

Notre amie Nicole E. Serfaty

historienne au LMMCO-INALCO a

bien voulu nous confier un des textes

qu'elle a consacrés aux " Portraits de

Juifs d'Afrique du Nord".

Joseph et Abraham

MAIMRAN

Au milieu du XVIIe siècle, le Maroc était fragmenté en

principautés autonomes, les unes dirigées par des confréries religieuses ou constituées en villes-Etats

(Salé ou Tétouan), les autres, régies par des chefs

militaires ou soumises au pouvoir des sheykh-s hilaliens (Marrakech). Au Tafilalet, ce pouvoir local

était l’apanage des ’Alawites, cousins des Saadiens et

originaires, comme eux, du Hijaz. Moulay Ismail, le second sultan de cette dynastie régnant à ce jour dans le

pays, est considéré comme le plus célèbre des sultans

marocains pour la longévité de son règne et la

complexité de son caractère. Ses nombreuses victoires, son courage inlassable et l’efficacité de ses visées

stratégiques ont suscité le respect, la crainte, la haine et

inspiré aussi de nombreuses créations littéraires dont il fut le héros.

Le recours permanent à des impôts extraordinaires et leur perception brutale par l’armée étant mal acceptés

par la population, le sultan s’est ingénié à trouver des

ressources supplémentaires. Il s’est assuré le monopole

du commerce avec les Européens par l’intermédiaire de prête-noms musulmans ou juifs..

Commencée avec le XVIIIe siècle, la seconde partie du

règne de Moulay Ismail inaugure une période sombre pour la communauté juive dont l’histoire rapportée

longuement par la famille Ibn Danan révèle les périodes

troubles marquées par l’insécurité et l’arbitraire vécus au quotidien par les gens du mellah

(1). La pression

fiscale permanente (2)

et les méthodes d’appropriation

de leurs biens par l’intimidation et la terreur incitent les

notables, avec le nagid (3)

à leur tête, à rendre compte au sultan de l’iniquité de ces pratiques. Ces périlleuses

démarches étaient courageuses car le caractère

fantasque du sultan était aussi manifeste que les rares témoignages de sa mansuétude

(4).

Samuel ibn Danan rapporte que les notables de la

communauté s’étaient rendus chez Moulay Ismail pour plaider leur cause et lui apporter, comme présent, " dix

paires de toile fine de Cambrai". Le sultan constata

qu’on lui en avait subtilisé une demi-paire et décida

alors d’exiger d’eux le règlement immédiat de la dette. Confronté aux intrigues de ses propres fils, le sultan

détourna d’eux son attention mais, poursuit Ibn Danan, "l’irritation du sultan s’étant apaisée, le nagid Abraham

Maimaran retourna auprès de lui et le supplia de pardonner aux juifs. Il acquiesça ...".

L’auteur de cette relation insiste, d’une part, sur les

mauvaises dispositions du prince Moulay Hafid à

l’égard des juifs qu’il considérait comme des délateurs et, d’autre part, sur l’attitude embarrassée des individus

chargés d’exécuter ses mauvais desseins. Il présente ses

serviteurs comme "la bonne conscience" de ce prince perfide qui autorisa quarante d’entre eux à entrer dans

le mellah afin d’exiger de ses habitants une contribution

immédiate d’un quintal et demi d’or qu’ils devaient rapporter avec les têtes de quarante juifs. "Les

serviteurs se mirent en route sans retard, mais chemin

faisant, ils réfléchirent et se dire : qu’allons nous faire

là". L’hésitation de ces hommes à exécuter des ordres aussi impérieux et leur souci d’y surseoir apparaissent

dans le récit d’Ibn Danan comme les marqueurs d’un

respect intercommunautaire minimal (5).

Pour moduler les tensions qui prévalaient dans les

relations de Moulay Ismail avec les Juifs, il y a lieu de

situer la position de deux d’entre eux, Joseph et Abraham Maimran, parvenus à collaborer avec lui et à

jouer un rôle dans la diplomatie marocaine. Avant de

revenir plus longuement sur leur carrière politique,

notons que Moulay Ismail avait eu deux conseillers juifs avant même son accession au trône et qu’il les

avait maintenus par la suite à la cour avec leurs fils, leur

offrant autant les fastes et les honneurs que la disgrâce et la ruine.

La carrière et l’assassinat de Joseph Maimran

Les sources concernant Joseph Maimran sont rares mais

elles attestent unanimement de son importance et de son

influence auprès du sultan. Il cumule la fonction de conseiller avec celle de sheykh al-yihud

(6) à la tête de la

communauté juive ainsi que le mentionne George

Mouette dans sa relation des Conquestes de Moulay Archy : "Mimoran, granc checq des Juifs de tout le

royaume et favory du Roy" (7).

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Dans une lettre adressée aux Etats-Généraux le 8 juillet

1683, le consul Jan Smits Heppendorp déclare que " le-

dit Maymoran, jouit auprès du Roi d’un crédit égal à celui du

grand Colbert en France".

La référence au "grand commis" de Louis XIV(8),

flatteuse, mais sans doute exagérée, confirme la

tendance générale à vouloir assimiler Meknès à Versailles et y trouver absolument matière à

comparaison. Nous pourrions mentionner encore le

témoignage de l’ambassadeur français envoyé au Maroc par Louis XIV, François d’Isarn, qui, dans l’une de ses

lettres datée du 26 juin 1682, mentionne Joseph

Maimran quand il écrit : "Il y a auprès du Roy un Juif qui

le gouverne absolument et qui est fort intéressé." (9).

Des commerçants juifs amstellodamois (10)

et le consul

Heppendorp envoyés en éclaireurs, encouragent les

Etats-Généraux à renouer avec le Maroc des liens distendus depuis le changement dynastique. Ils

confient cette mission à Isaac Bueno de Misquita

(1682) tandis que Joseph Maimran est désigné par Moulay Ismail pour mener les négociations et Joseph

Tolédano, un de ses parents, délégué à La Haye pour

faire ratifier le traité. D’après le consul hollandais,

Joseph Maimran a joué un rôle décisif dans l’élaboration de ce traité avec le concours de son fils

Abraham, mais il reconnaît par ailleurs, que l’action

menée par Tolédano (11)

auprès des Etats-Généraux finit par aboutir à la ratification du traité (mai 1683)

(12).

L’assassinat de Joseph Maimran, devenu trop important

(13) ou exigeant, peut aider également à évaluer

l’étendue de son pouvoir. Pour étayer cet argument,

nous ne disposons que de la traduction française du

récit d’un captif anglais (14)

, contemporain de cet événement, qui considère Abraham Memoran, le

supérieur des juifs, comme un scélérat usant de son

pouvoir auprès de l’Empereur-tyran pour aggraver les peines des captifs chrétiens. Selon Brooks, l’auteur de

ce récit, Moulay Ismail, assiégeant Taroudant, aurait

demandé à Maimran de lui avancer des fonds et, devant son refus d’obtempérer, aurait donné l’ordre à l’un de

ses gardes noirs de le supprimer.

" Le Nègre fit comme lui fut ordonné ; il épia le Sjak ou

Supérieur des Juifs au moment qu’il se retiroit chez soi, sur un chemin qui traversoit justement un petit bois d’oliviers, où

le Nègre, entre autres compliments qu’il lui fit, feignit d’être

fort réjoui de le voir et, passant ainsi à côté du Juif, il prit

son temps, fit cabrer son cheval par dessus l’autre, tellement

que le Juif tomba à terre et alors, le foulant aux pieds, il lui

écrasa la tête…"

Les mauvais traitements infligés d’ordinaire aux captifs ne semblent pas avoir altéré l’imagination du narrateur-

captif qui, n’ayant sans doute pas assisté à cet assassinat

commis dans un petit bois d’oliviers, n’a pu que transmettre sa propre version des faits à partir

d’informations fournies par la rumeur publique. Face au

manque de témoignages supplémentaires, nous pouvons

également avancer l’hypothèse selon laquelle Joseph

Maimran aurait pu être victime d’un simple accident ou d’une agression mais, l’éventualité de son assassinat,

commandité par le sultan ou l’un de ses courtisans,

demeure tout aussi plausible (15)

. En revanche, le choix

de son fils Abraham comme successeur à la cour est un fait attesté par la réussite de sa longue carrière

diplomatique.

Abraham Maimran, "Conseiller-Nagid"

La plupart des sources européennes atteste le double

rôle tenu par Abraham Maimran, à la fois dans

l’environnement immédiat du sultan Moulay Ismail et

comme nagid au sein de la communauté juive ; elles concordent toutes sur son obstination à s’y maintenir

avec fermeté. Un seul de ces nombreux témoignages,

celui du Père Busnot, donne de lui une indication d’ordre physique et, ne disposant d’aucune

iconographie pour le corroborer, nous le citons pour

n’en retenir que l’image du politicien : " Cet homme est fort disgracié de la nature mais il a

beaucoup d’esprit et une longue expérience ; il est prévenant,

patient, feignant toujours le généreux et le désintéressé."(16)

L’une des premières missions confiées par le sultan à Abraham Maimran (1688) consiste à négocier le rachat

de 200 captifs français pris par les pirates algériens du

Ra’is Bostangi et retenus au Maroc (17)

. Il interviendra à

nouveau pour obtenir la libération de 60 captifs musulmans

(18) retenus au Portugal et, se rendant lui-

même à Mazagan occupée par l’armée lusitanienne (19)

,

il exigera la somme de 60.000 piastres. Sa carrière se poursuit crescendo ainsi qu’en atteste

Jean-Baptiste Estelle (20)

, consul de France à Salé (de

1689 à 1711) : " Le roy de Maroc, voulant favoriser un juif

nommé Maymoran, qui fait ses affaires en son palais de

Miquenet, luy fit don du droit d’un pour cent pour courtage

de toutes les marchandises entrant et sortant de ses ports. ".

Mais il entame véritablement sa carrière diplomatique

et devient important aux affaires extérieures - tout en menant des affaires commerciales

(21) - dans les années

1691-92 en intervenant dans le règlement de la guerre

maritime opposant le Maroc aux Pays-Bas. Maimran, à

l’instar de ses prédécesseurs, les membres de la famille Pallache, marque un net penchant pour cette nation,

ainsi que le note le consul de France (22)

: "Maimoran, Juif du Roy, soutient et appuye de tout son crédit

Messieurs des Etats-Généreaux".

Par ailleurs, Abraham Maimran va tenter d’initier les

membres de l’ambassade de Louis XIV (1693), menée

par François Pidou de Saint-Olon, aux codes d’accès à la cour de Meknès. Le but principal de la mission visait

la conclusion d’un traité de paix assurant la sécurité du

commerce contre les entreprises corsaires et, en second

lieu, le rachat des captifs français retenus par Moulay Ismail.

Page 6: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

6

L’ambassadeur, est déjà connu pour sa participation à

diverses négociations diplomatiques mais "il n’a jamais séjourné en Barbarie " et ne connaît rien ni à ses

traditions, ni à ses mœurs (23)

. Maimran accompagne le

caïd Ahmed ben Haddou pour examiner les articles du

traité de paix mais, devant les exigences des Français et leurs difficultés à se plier aux rites de la communication

diplomatique locale, il convie discrètement le consul à

lui rendre une visite privée. Ce dernier en fait ainsi la relation :

" Le lundy 15 juin, je fus trouver ce juif à sa maison, où

estant, il me fit honnetteté, et, après avoir parlé de plusieurs

affaires, il me tira à part pour me dire que l’arcaîd Amet Adou lui avoit dit de me dire à quoy nous pansions, et si je ne

sçavois pas la coutume, et que, si nous voulions réussir dans

nostre affaire, il falloit commancer à le contenter en luy

donnent une somme d’argent." (24).

L’incapacité de Saint-Olon à franchir ces différentes barrières culturelles et à surmonter les mauvaises

dispositions évidentes du sultan à son égard, a conduit

sa mission à l’échec. Le consul français, Jean-Baptiste Estelle, chargé

d’organiser la rencontre raconte toutes les péripéties

qui ont jalonné sa mission dans un long mémoire (25)

pittoresque qui a retenu notre attention pour les informations précieuses qu’il fournit incidemment sur

la vie et le rôle d’Abraham Maimran à Meknès. Ce

dernier n’intervient qu’au moment où, après douze jours de louvoiements, les deux parties campent

toujours sur leurs positions respectives, le sultan

attendant l’aide française pour reprendre Ceuta aux Espagnols et Saint-Olon s’arrêtant à la seule signature

d’un traité de paix engageant les deux nations. Dès lors,

Maimran joue le rôle de conciliateur et Estelle, qui ne

semble plus pouvoir se passer de lui, s’en va le quérir chez lui, à la "Juifverie" pour faciliter son accès au

Palais (26)

.

En de nombreux endroits de ce récit, il apparaît que Maimran s’adresse directement à Moulay Ismail, non

sans attendre le moment propice pour ne pas essuyer

ses colères et parvenir à ses fins. Lorsque le consul de

France, las de piétiner depuis deux semaines dans l’attente d’une audience pour son ambassadeur, en

demande la raison à Maimran, celui-ci lui répond

" qu’il [le sultan] avoit esté si en colère, depuis le grand matin jusque à ce moment quy le venois de le

quitter, qu’il avoit été impossible de luy parler..".

Deux autres courtisans, Ahmed Haddou ’Attar et

Ahmed Haddou Arriffy, sont chargés par le Palais de

pourvoir aux besoins et aux demandes de l’ambassade

française mais, s’il apparaît clairement que seule l’intervention de Maimran auprès du sultan s’avère la

plus efficace, il y a lieu de noter son absence à

l’audience accordée, de guerre lasse, par Moulay Ismail à Saint-Olon. Après avoir été éconduit par le sultan,

l’ambassadeur français fait un détour par le mellah pour

conter son infortune et Maimran lui confie alors qu’il

s’en était douté "lorsque son roy l’avoit envoyé

chercher, et qu’i luy avoit ordonné de rentrer chez luy". Selon Estelle, cette ambassade avait été sollicitée par le

sultan, bien qu’il s’en défende (27)

, et Maimran, qui avait

été témoin de sa demande initiale, avait été

volontairement écarté de leur ultime rencontre. La réponse de Maimran nous incite à penser qu’il lui

arrivait normalement mais, toujours selon le bon

vouloir du sultan, de siéger à des réunions officielles.

Les mauvaises relations de Moulay Ismail et de la

Hollande résultent des exigences considérables du sultan pour la libération d’une cinquantaine de leurs

ressortissants détenus de façon arbitraire.

Pour tenter d’éviter une rupture préjudiciable aux deux

états et amorcer de nouvelles négociations, Abraham Maimran n’hésite pas à convaincre la mère du sultan,

Lalla ’Aïcha, d’inciter son fils à les poursuivre de

façon prioritaire. En insistant auprès de Moulay Ismail, il finit par le décider à demander aux Etats-Généraux (28)

l’envoi d’un ambassadeur (29)

. A en croire les dires

du consul de France à Salé, Maimran et son cousin détenaient des intérêts suffisamment importants

(30) sur

des navires hollandais pour souhaiter la reprise des

bonnes relations développées par le passé par les deux

nations. En réponse à la lettre du

sultan, la galiote hollandaise,

"Juffrouw Elisabeth", est envoyée à Salé comme

convenu, avec un chargement

de munitions (31)

destiné au

rachat des captifs. Les patientes démarches de

Maimran sont contrariées par

le corsaire salétin ’Abd Allah

ben ’Aïcha (32)

et son fils,

Mohammed Arraïs, qui, dans le même temps,

s’emparent au large des Açores, d’un vaisseau hollandais chargé de 180 tonneaux de vin et des dix-

sept membres d’équipage. Pressé par son conseiller de

libérer ces captifs et par le corsaire de lui régler le

montant de la prise, Moulay Ismail cède à Maimran, et Estelle reconnaît que ce sont les sollicitations de ce

dernier " qui ont fait que le roy de Marroc a envoyé tous les

Holandois à Tetoan pour attendre le consul flamenc" (33).

C’est le frère (34)

d’Abraham Maimran qui est chargé de

se rendre à Tanger pour résoudre le délicat problème de l’échange et celui de la vérification des armes

rapportées par les Hollandais. Arrivé au terme d’un

ultimatum de quatre jours, alors que les deux parties ne

se font pas mutuellement confiance sur les modalités du processus d’échange, les captifs restent à terre et

Cornelis Smit fait demi-tour avec son chargement vers

la Hollande, via Cadix. Dans son mémoire du 18 juin 1697, Estelle révèle l’assassinat du frère d’Abraham,

abattu à Salé par le fils de Moulay Ismail, Moulay

Ahmed Addahabi (35)

pour une mystérieuse raison.

Entrée de la ville de Salé

Page 7: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

7

Le consul de France ne cache ni son émotion, ni son

amertume devant une telle cruauté et rend hommage au défunt en ces termes

(36) :

" Ce juif mort estoit l’homme le mieux fait qu’il y eusse en ce

pays, et de beaucoup d’esprit, fort aimé du roy de Maroc. Ce prince, dès qu’il sceu sa mort, fit couper la teste aux Mores

de la garde de son filz pour n’avoir point empeché cette

mort… "

Loin de manifester un souci permanent d’objectivité ou

d’exactitude dans ses nombreux mémoires, Jean-Baptiste Estelle - notre principal informateur sur

Abraham Maimran - réitère quelques réflexions plutôt

admiratives à l’égard du conseiller du sultan. Autrement

dit, le consul atteste avec conviction que son ami Maimran

(37) a le double mérite de résister à un sultan

redoutable et de parvenir à le manipuler. Certes, s’il ne

manque pas de reconnaître son influence permanente sur Moulay Ismail, il témoigne également du souci de

Maimran d’en user afin de protéger les membres de sa

communauté. Ainsi, il raconte qu’un marchand juif de

Salé a fait une banqueroute de 75.000 livres (mai 1696), ce qui a entraîné pour trois commerçants français, une

perte de 20.000 livres. Les infortunés marchands vont

présenter leurs doléances au sultan mais Maimran est présent à ses côtés. Estelle conclut

(38) :

".. ledit Maimoran a fait recouvrer à nosdit marchands 5000

livres, qui est tout ce qui restoit à ce Juif, à ce qu’il dit ; et

c’est avec quoy il s’en sont revenus."

Delacroix : Orchestre juif au Maroc

Vers la fin du règne de Moulay Ismail disparaît

l’institution de la famille judéo-marocaine monocratique, agissant de façon exclusive dans l’orbite

de l’Etat-Makhzen, pour faire place à l’accession au

pouvoir politico-économique d’autres individus, issus de familles et de milieux divers, désireux d’atteindre

conjointement ces hautes sphères. Moïse ben ’Attar et

Reuben ben Quiqui, deux contemporains d’Abraham Maimran ont agit, à son encontre, comme acteurs de la

politique extérieure du pays. Une rivalité sévère les

opposait mais, autant le pouvoir de Maimran restait

circonscrit dans les limites du Palais, autant Ben ’Attar et Ben Quiqui s’investissaient dans le commerce

européen et la conclusion de traités de paix avec

l’Angleterre.

Selon la chronique Dibré ha-Yamim Shel Fas (39)

après

la mort d’Abraham Maimran, Moulay Ismail a donné le titre de nagid de toutes les communautés du pays à Ben

’Attar (1724). Jacob Aben Sur confirme sa nomination

en ces termes :

"Comme il est Rabbin et Nagid, tout le monde lui obéira

ainsi qu’il se doit envers un homme illustre.".

Il meurt l’année suivante et il est remplacé par son

fidèle associé, Reuben ben Quiqui.

Pour estimer l’importance qu’Abraham Maimran

attachait à sa charge de nagid et apprendre les circonstances de sa mort, nous pouvons nous référer à

la qinah (complainte) rédigée par Jacob Aben Sur en

hommage à ce haut dignitaire. Elle est résumée et

annotée par Haïm Zafrani qui restitue à ces éloges funèbres la valeur documentaire - biographique et

historique - qu’elles méritent. Elle révèle que le "nagid

illustre, prince et grand en Israël " (ha-nagid ha-me’ulleh) a été, dans un premier temps, probablement victime

d’une congestion cérébrale et, qu’après avoir retrouvé

l’usage de la parole, il aurait succombé aux applications thérapeutiques douteuses de son médecin musulman

(fin 1722) (40)

.

Ainsi, dès le treizième siècle, les voies d’accès à l’exercice d’une fonction officielle au Maroc passaient

toutes par le commerce international et,

progressivement, par la fonction diplomatique. L’élargissement du terrain d’action offrant

l’opportunité d’y accéder à de nombreuses familles

juives était dû à l’ouverture du pays aux échanges de

plus en plus nombreux avec l’Europe. Ces hommes d’affaires, bénéficiant d’une conjoncture favorable,

agissaient surtout comme délégués du sultan et

traitaient tant avec les représentants consulaires, qu’avec les commerçants européens.

Nicole S. Serfaty Le Lecteur qui voudra en apprendre plus sur les Maimran

pourra consulter le contenu des notes (1à 40) sur notre site

"liberte-du-judaisme.fr"

__________________________

Bureau de L.d.J. Simone Simon Présidente Maryse Sicsu Vice-Présidente Jean Ferrette Secrétaire général Brigitte Thiéblin Secrétaire adjointe Noémie Fischer Trésorière Flora Novodorsqui Trésorière adjointe

Contact L. d. J.: 01 47 66 42 63 ou secretariat2@ liberte-du-judaisme.fr

Site internet : www.liberte-du-judaisme.fr

Page 8: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

8

Lu , Vu et Entendu

AMOS OZ : Entre amis

C’est le dernier livre de huit nouvelles dont celle

"d’Entre Amis" qu’Amos Oz a choisi comme titre (1)

.

Toutes ont lieu dans le Kibboutz d’Yikhat, situé en bordure du

désert. Elles reflètent l’activité des

kibboutzniks, la vie de famille de chacun à un moment où l’idéal de

vie en communauté des premiers

habitants n’est plus le même que celui de ceux qui les ont succédé.

Les questions de principe et de

règlement sont devenues pesantes

et ne sont plus respectées avec la foi du début. Elles traduisent un antagonisme entre les nouvelles

générations et les anciennes.

Nous avons choisi quelques-uns de ces récits pour illustrer notre propos.

-Yoav, le secrétaire du Kibboutz, accomplit son tour

de garde plusieurs fois par semaine. Un soir, à cette occasion, il rencontre Nina, une jeune femme

aujourd’hui mère de trois enfants qui a été son amour

de jeunesse. Elle lui raconte qu’elle vient de quitter son mari, un gros bagarreur et ses enfants. Elle jure de ne

plus retourner vivre auprès de lui qui a fait d’elle une

esclave et lui demande "trouve moi un endroit où dormir cette nuit ". Yoav réfléchit et lui propose de la

faire dormir dans son bureau, dans un aménagement de

fortune. Il faut dire que dans le cadre des fonctions

multiples qui lui incombent, son rôle consiste aussi à aider à régler avec tact et diplomatie les difficultés

personnelles que rencontrent les membres du kibboutz.

Il est inquiet à l’idée de voir Nina rencontrer le lendemain des personnes le soupçonnant d’avoir passé

la nuit avec elle.

- Edna est une jeune fille de 17 ans qui vit en internat ;

sa mère est morte de maladie, son frère a été tué par un

terroriste. Elle vient voir son père Nahum une fois par

semaine et boit en sa compagnie une tasse de café. Il apprend un jour qu’elle est partie vivre avec son

professeur d’anglais, David Dagan qui est un vieil ami.

Il décide d’aller le voir pour le persuader d’interrompre la relation qu’il a avec sa fille. Mais tout oppose ces

deux hommes dépassant la cinquantaine : l’un est plein

d’assurance, bel homme aux tempes grisonnantes, ayant

déjà eu quatre femmes et plusieurs maîtresses, l’autre est menuisier, discret, respectueux des femmes et blessé

dans son amour paternel. L’entretien tourne en faveur

du séducteur qui demande à Edna si elle veut rester avec lui. La réponse est affirmative.

-Youval est un bambin de cinq ans indolent et craintif. Il est le souffre douleur de ses petits camarades de la

Maison des Enfants qui l’ont surnommé Youval-pipi-au

lit. Il y dort tous les soirs, emmené par son père qui le

cajole avant de s’en aller. Un soir les enfants lui arrachèrent de ses mains son canard fétiche et le

rouèrent de coups. L’enfant se débat comme il peut. Le

père vient à son secours et le ramène à la maison. Mais

la mère exige de reconduire l’enfant à la Maison des Enfants car dit-elle "il doit apprendre à se défendre seul

et c’est dans ce cadre que cela se fera".

-Comment permettre à Hénia Kalish d’envoyer son

fils Yoram en Italie faire des études d’ingénieur ? Son

oncle y habite et s’engage à le prendre en charge. Mais il faut pour cela l’autorisation de l’Assemblée des

membres du kibboutz et de son secrétaire. Or tout choix

d’études supérieures ne s’effectue que s’il correspond

aux besoins du kibboutz. Mais le fils ne recherche qu’une seule chose "quitter le kibboutz pour un an ou

deux, pour un ailleurs". On retrouve cette idée dans

plusieurs romans d’Amos Oz dont "Un juste repos" où Jonathan quitte sa femme et sa petite fille pour aller

vivre dans le désert, un lieu de réflexion lui permettant

à son retour de mieux décider de son avenir.

-Osnat est lingère dans la lingerie du kibboutz ; son

mari vient de la quitter pour vivre avec Ariella,

préposée au poulailler. En dépit de cette situation, les deux femmes qui se connaissaient auparavant

continuent de se fréquenter. Un jour Ariella reçoit une

lettre d’Osnat lui faisant quelques recommandations à propos des médicaments à prendre par son mari pour

ses maux d’estomac. Ariella, reconnaissante, lui répond

"je me sens proche de toi". Osnat, après en avoir pris

connaissance, range cette lettre au fond d’un tiroir.

-Tsi Provizor est un célibataire âgé de 55 ans qui lit le

journal de bon matin en sélectionnant les nouvelles sur les catastrophes mondiales ou sur les péripéties des

femmes victimes de violences. C’est un jardinier

ordonné, méticuleux, connu pour son dévouement au travail qui attire le respect mais dans son dos on

l’appelle "l’ange de la mort". Il fait la connaissance de

Louna, une institutrice veuve qu’il fréquente ; ayant eu

un jour un geste déplacé à son égard, il décide de ne plus la voir. Louna désespérée quitte le kibboutz pour

les Etats-Unis où elle rejoint sa sœur tandis que Tsi

continue d’arroser les fleurs du jardin de l’unique femme qui se soit intéressée à lui.

Tous les personnages de ce roman inspirent de la sympathie à l’auteur et attirent notre compassion.

Amos Oz décrit un univers clos sur lui-même où les

membres du kibboutz n’ont pas de vie privée et où la

liberté individuelle est fortement restreinte. Les contraintes de la vie en commun deviennent de plus en

plus insupportables. De nos jours le kibboutz a

fondamentalement changé.

Armand Levy

1) Amoz Oz : "Entre amis" - Nouvelles Gallimard 2012

Page 9: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

9

Voyages

Sudètes J'ai été faire un tour aux pays des Sudètes. C'est une région

dont on a beaucoup parlé à la fin des années 1930, et si les

Sudètes ne furent qu'une des étapes vers la seconde guerre mondiale, elles en furent une des principales.

Après la première guerre mondiale, lors du dépeçage de

l'empire austro-hongrois, un territoire où vivaient près de 3

millions de germanophones fut donné à la Tchécoslovaquie.

Terrain rêvé pour Hitler et le pangermanisme. Après avoir

annexé l'Autriche en mars 1938 sous les applaudissements

de la majorité des Autrichiens, Hitler se mit à soutenir les

mouvements des Sudètes qui réclamaient l'autonomie, à

défaut de se joindre immédiatement au grand Reich

allemand. Les nazis ne pouvaient pas rester sourds aux appels

de leurs "frères de sang" et comme la Grande Bretagne et la

France préférèrent ne pas voir, cela a donné, le 30 septembre 1938, les accords ou plutôt la capitulation de Munich. Le

lendemain même, la Wehrmacht entrait en Tchécoslovaquie

et occupait les lieux, là aussi sous les applaudissements des

germanophones.

Quelques semaines plus tard, le 9 novembre, c'est la "Nuit de

cristal" et les nazis du coin s'en donnèrent à cœur joie. A

Marienbad (Marianské Lazné) et à Karlsbad (Karlory Vary) on

ne peut voir que les lieux où se trouvaient les synagogues

qu'ils ont complètement détruites. Par contre, celle de Pilsen

qui était restée sous contrôle tchèque, à quelques kilomètres

de la nouvelle frontière imposée, est toujours debout. C'est une des plus grandes d'Europe et elle appartient à la petite

communauté juive encore existante à Pilsen qui l'utilise pour

les services religieux mais aussi pour des concerts et des

manifestations profanes.

En 1945 quand ces territoires sont de nouveau revenus à la

Tchécoslovaquie, il a été demandé, parfois rudement, à ces

trois millions de germanophones, qui vivaient là depuis des

siècles, de quitter les lieux.

Avant de quitter l'ex-pays des Sudètes je suis passé à Terezin

(Therensienstatd), cette ville que les nazis avaient vidée de

ses Tchèques pour la remplir de Juifs. Près de 140 000

enfants, femmes et hommes juifs y passèrent, 30 000 environ

y moururent et plus de 87 000 furent envoyés, ensuite, dans

les camps d'extermination de Pologne.

Parmi ces derniers, 1 260 enfants de Bialystok, la grande

ville du nord-est de la Pologne qui arrivèrent, probablement

par erreur, à Terezin le 24 juillet 1943 et en repartirent le 5

octobre 1943 pour être assassinés à Auschwitz.

Je n'ai pas réussi à m'apitoyer sur le sort des Allemands

déplacés. Isidore Jacubowiez

Lu , Vu et Entendu

The ballad of the weeping spring Prenez un acteur à mine de gangster (Uri GAVRIEL,

détenteur d’un Ophir Award), entouré de "gueules" pas

possibles, une atmosphère de western spaghettis à la Sergio

Leone (avec son made in Ennio Morricone) mâtinée de

tziganes, des relents des "7 Samouraïs" et des "7 Mercenaires" (mais là, ils sont 9 !), dans un décor de vieilles

bâtisses de pierres galiléennes, dans les années 60-70.

Ajoutez-y de très belles voix (Ishtar et Adar GOLD),

beaucoup d’émotion, un zeste de dérision avec des situations

cocasses à la Comedia del’Arte, et surtout une superbe

musique classique orientale, la vraie musique "Mizrahi" qui

se joue sur des instruments perses comme le tar (luth perse),

le kamanshah (violon perse) et le oud, une musique qui vient

d’Ouzbékistan, d’Afghanistan, d’Inde ou d’Iran et qui est très

peu connue en Israël…

Et vous aurez "The Ballad of the Weeping Spring " (" La

Ballade du Printemps" en français) : un film "extra-

ordinaire", un moment de magie, qui vous emmènera dans un

univers "enchanteur ", hors du temps et du lieu…

L’histoire ? Pleine de sentiments, de camaraderie, c’est en

quelque sorte le road-movie de Yossef TAWILA, un ex-

musicien de renom qui a raccroché son instrument après un

accident de voiture qui a coûté la vie à deux de ces

compagnons et laissé sa maîtresse handicapée. A la demande

du fils de son ami qui se meurt d’un cancer, Yossef va essayer de reconstituer "l’Ensemble Turquoise", leur

ancienne formation musicale, dans le but de jouer pour la

première fois en public "בלדה" לאביב הבוכה "Balada Le’Aviv

Ha’Bocha" qu’ils avaient composée ensemble des années

auparavant.

Ce film, un vrai petit bijou, réalisé par Benny TORATY

(dont les parents sont venus d’Iran en 1950) a déjà reçu

quatre prix au Festival International de Jérusalem en 2012 et

prouve, à mon avis, l’arrivée à maturité du cinéma israélien ;

c’est un vrai film de fiction, loin des problématiques politico-

militaro-socio-religieuses habituelles au cinéma israélien. Nous avons eu l’occasion de le voir lors du dernier festival

du cinéma israélien à Paris où il a obtenu un franc succès.

J’en suis sortie émerveillée, les yeux pleins de belles images

(souvent en clair-obscur), les oreilles charmées par les

musiques ; cette "ballade" restera longtemps gravée dans mes

souvenirs comme un vrai moment de plaisir

cinématographique que je souhaite partager avec le plus

grand nombre de personnes possible.

Yaël Raine

Pensez à régler dès à présent votre cotisation ou votre abonnement à la Lettre de L.D.J, pour l'année 5774

(Septembre 2013 à août 2014). Si vous le pouvez, faites un don à

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Il peut être déductible de vos impôts. Un certificat CERFA

vous sera délivré. Envoyez vos chèques à notre trésorière :

Noémie Fischer 119 bis rue d'Avron 75020 Paris

Page 10: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

10

Musiques Prélude à l'après-midi d'un Mohn

En prélude à cette journée du début juin marquée par le retour du soleil et de la chaleur nous profitons d’une

promenade accompagnée au Parc de Sceaux où une petite

jeune femme nous guide dans le parc à la découverte des

aménagements paysagers réalisés au 17ème siècle par Le

Notre autour du château-musée du 19éme. Pendant une bonne

heure nous découvrons les cascades, la vue sur le grand

canal, les parterres de gazon et la terrasse des pintades qui

seront aménagés prochainement en parterres de broderie

conformément à l’aspect du 18ème siècle.

La guide nous montre ensuite le petit château du début 17ème

agrémenté d’un petit bassin et d’une fontaine en coquillages puis le joli pavillon de l’Aurore du 17ème,

l’ancien potager du château de Colbert et l’Orangerie

construite par Hardouin-Mansart. Agréable promenade

organisée par le Conseil général du 92 et suivie par une

cinquantaine de personnes admiratives et curieuses.

Après ce prélude agreste, je me dirige vers un lieu

émouvant et caché dans la partie occidentale du parc, le

Mémorial consacré aux Juifs des Hauts de Seine déportés

entre 1942 et 1944 "le Pupitre des étoiles". Ce Mémorial

comportant 12 sculptures sans visages en fonte brute (les douze tribus d’Israël) accompagnées de la liste des déportés

par commune a été inauguré en 2006 par le président du

Conseil général et Nicolas Sarkozy, alors Ministre de

l'Intérieur, et réalisé par le sculpteur Christian Lapie dans

une clairière où la présence de bouleaux évoque les paysages

des camps d’Europe orientale.

Cela me rappelle la sculpture érigée dans un square de

Saint-Maur (94) par Pierre Lagénie pour évoquer la

mémoire d’enfants juifs raflés et déportés de la Varenne-

Saint Maur à Auschwitz et inaugurée en 2000 par

J.L.Beaumont, maire de Saint-Maur (1).

Dans ce lieu exceptionnel un concert du Trio "Norr A

Moll" dirigé par Lionel, le fils de notre ami I. Jacubowiez

est donné devant une centaine de personnes. Ce fut un

moment intense et magique au milieu des bouleaux

signifiants : des chants dits et chantés avec sensibilité par

Caroline, en argentin, anglais, français, arabe, yiddish, étaient

accompagnés par des clarinettes, des saxos, des flûtes, une

guitare, un violon et un violoncelle ; en tout sept musiciens

dont un extraordinaire saxophoniste de jazz américain

improvisant un solo de saxo, et la création par Lionel de deux

morceaux à la clarinette. Un bel ensemble, jazzy par moment, traditionnel ailleurs, qui a rendu un bel hommage aux

déportés disparus pendant la guerre. Sous un ciel tantôt

couvert, tantôt lumineux avec juste quelques gouttes de pluie,

les musiciens nous ont transportés hors du temps dans une

ambiance porteuse de mémoire ; qu’ils en soient remerciés.

Michel MOHN

(1) Voir l’article consacré aux Orphelins de la Varenne-

1941/1944 dans le n°56 de la Lettre de LdJ.

Feuilles mortes et Grands boulevards

C'est une bonne idée qu'a eue Jeff Cohen, Professeur au

Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, de

vouloir rendre un hommage simultané à deux musiciens de

talent qui font partie de notre patrimoine.

Ces deux musiciens ont en commun d'être des exilés, et c'est

en cela qu'ils intéressent particulièrement LdJ qui a choisi l'exil comme thème de réflexion pour l'année 2013-2014.

L'un, Joseph Kosma, Juif hongrois, est né en 1905 à

Budapest, l'autre, Norbert Glanzberg, Juif polonais, en

Galicie en 1910. Tous les deux quittent leur pays natal

pour l'Allemagne qu'ils sont tous les deux contraints de fuir :

Kosma en 1933, Glanzberg en 1938. Ils se réfugient à Paris

mais doivent de nouveau partir lorsque les nazis occupent le

nord de la France. S'ils sont encore vivants après la guerre

c'est qu'ils furent protégés et cachés par des amis fidèles du

monde du spectacle, Prévert pour Kosma ; Marie-Paule

Bell et Edith Piaf pour Glanzberg.

Nous avons déjà parlé de Norbert Glanzberg dans la Lettre de LdJ n° 110 (mai-juin 2011). C'est le moins connu des deux et

pourtant qui n'a pas fredonné "Padam, Padam, Padam" ou

j'aime à flâner sur les "Grands Boulevards" que Piaf et

Montand ont rendu célèbres ?

Kosma lui a beaucoup fait dans la musique de films, mais

c'est aussi lui qui a composé la musique "Des feuilles

mortes" qui se ramassent à la pelle et de "rappelle-toi

Barbara" comme il pleuvait sur Brest ce jour-là, pendant que

Prévert en écrivait les paroles.

A cet hommage, Jeff Cohen a tenu à associer des chants mis

en musique par Glanzberg mais écrit par trois antinazis allemands : Johanna Kirchner, Adam Kuckoff et Ernst

Münzinger.

Johanna Kirchner a été une antinazi de la première heure.

Réfugiée en France et livrée aux Allemands par le

gouvernement de Vichy, elle fut exécutée le 9 juin 1944. La

ville de Francfort-sur- Rhin a créé une médaille qui porte son

nom.

Adam Kuckhoff, dramaturge et homme de lettres était lui

aussi un antinazi de la première heure. Résistant actif lié à la

section berlinoise de "L'orchestre Rouge" (1) il fut arrêté en

septembre 1942, condamné à mort et exécuté en 1943. Son nom associé, à celui de son épouse, Greta, a été donné à une

place de Berlin.

Ernst Muzinger, Allemand de Lettonie était au départ un

nazi. Il fut, pour cela, expulsé de Lettonie en 1933.

Lieutenant dans la Wehrmacht, il était sous les ordres de

l'amiral Canaris. Impliqué dans le complot contre Hitler de

juillet 1944, il fut assassiné par les nazis en avril 1945 dans

une prison de Berlin.

Tous les trois, avant de mourir, ont écrit quelques textes.

C'est sur ces textes que Norbert Glanzberg a posé sa musique

et ce sont ces chants douloureux que nous ont délivrés les

élèves de Jeff, Elsa Dressing, une franco-danoise et Florian

Hill, un allemand.

Il s'agissait d'un concert unique, et nous avons demandé à

Jeff Cohen, s'il comptait récidiver. Il m'a été répondu qu'il

n'en savait rien, mais qu'il me préviendrait au cas où…Nous

ne manquerons pas de faire suivre.

I.J

1) Pour en savoir plus sur "l'Orchestre rouge" dirigé par Leopold Trepper on peut lire le livre éponyme de Gilles Perrault –Fayard – 1967. Léopold Trepper-Domb était un Juif né en Galicie polonaise

Page 11: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

11

Echos des conférences de L.d.J.

Mercredi 5 juin 2013

Hannah Arendt et la question de la responsabilité

C'est sous forme d'une table ronde que LdJ a consacré une

soirée à "Hannah Arendt et la question de la

responsabilité" en rapport avec la sortie du film de

Margarethe Von Trotta. Une table ronde réussie avec une très

large participation et des échanges passionnants – voire passionnés.

Le film se limite essentiellement à la

période du procès Eichmann à Jérusalem

(1960-1963) et la controverse qui s’en

suivit. La présentation que donne

Hannah Arendt d’Eichmann non comme

un monstre, mais comme un " rouage de

la machine totalitaire", et sa thèse sur

" la banalité du mal" suscitent encore

polémiques et division. Il en est de même sur sa thèse sur la

nocivité des Judenrats,(1) Cette thèse qui n’occupe d'ailleurs que peu de place dans son livre a été depuis battue en brèche

par les récits des résistances juives longtemps ignorées.

Comme son nom l'indique la table ronde, n'as pas voulu

reprendre les controverses où tout, ou presque, a déjà été dit,

mais a voulu se focaliser sur le thème de la responsabilité

individuelle. Pour sa défense Eichmann avait argué qu'il

n'avait fait qu'obéir à des ordres, ce à quoi Hannah Arendt a

répondu : tout homme est responsable de ses actes et le

devoir d'obéissance ne saurait se substituer à cette

responsabilité. Pour enfoncer le clou et renforcer sa

démonstration Hannah Arendt n'a vu en Eichmann qu'un

homme quelconque, un petit bureaucrate, un homme comme chacun de nous. Si c'est bien le cas chacun de nous pourrait

bien, dans certaines conditions, devenir un petit Eichmann.

C'est sur ce "chacun de nous" que porte une partie du débat.

Nous pouvons tous, être à un moment donné, soumis à une

autorité, quelle qu’elle soit, scientifique, politique,

intellectuelle qui nous imposerait de faire taire notre propre

entendement et notre morale en devenant un "exécutant" qui

ne pense plus par lui-même.

Question : Est-il légitime de généraliser le cas d' Eichmann

et de la Shoah à des situations autrement moins dramatiques?

D'ailleurs Eichmann n'était-il, en quelque sorte, qu'un "bourreau de bureau" ? Alors que toutes ses actions et en

particulier, la déportation des Juifs Hongrois dont il a pris

l'initiative et la réalisation en main ne montre-t-il pas le

contraire ?

La discussion a porté sur le rôle des Judenrats(1) et la

perversité des nazis confiant l’administration d’une

population à ceux qu'ils allaient assassinés. Elle a également

porté sur la situation actuelle en France où un agent de la

fonction publique a le droit légal de refuser d'exécuter un

ordre s'il considère qu'il est de nature à compromettre

gravement l'intérêt public et sur le difficile usage de la

liberté : Certains Allemands se sentaient responsables de leur obéissance comme de leur… désobéissance ! Combiner

passion de la liberté et sens de la responsabilité, ont constitué

une part importante de l’originalité de la pensée d’Hannah

Arendt.

Danièle Weill-Wolf

(1)

Les Judenrats (Conseils juifs en allemand) étaient des corps administratifs créés dans les ghettos juifs sous l’autorité directe des

nazis ; ils étaient les intermédiaires entre les nazis et la population.

Mercredi 12 juin 2013

Le mouvement ouvrier juif Pour la dernière conférence de l’année Henri Minczeles est

venu nous présenter "le mouvement ouvrier juif en Pologne et

Russie". Henri est devenu historien

lors de sa retraite en présentant une

thèse en 1984 à l’E.H.E.S.S. et a

publié plusieurs ouvrages sur les

Juifs de Pologne et sur Vilnius.(1). Le

mouvement ouvrier juif en Europe

orientale est né plus tard que le

mouvement ouvrier en Europe occidentale du fait d’une

industrialisation plus tardive.

L’importance de la population juive en Pologne et en Russie

au 19ème siècle s’explique par l’immigration juive encouragée

par les rois de Pologne au 17ème siècle. Au 19ème siècle est

créée par le pouvoir tsariste une "zone de résidence" dont les

Juifs n'ont, en principe, pas le droit de sortir sauf autorisation

spéciale. Dans cette zone les Juifs gardent une autonomie

religieuse et culturelle. Durant la seconde moitié du 19ème

siècle les Juifs sont relativement bien traités sous Alexandre

II avant de subir les terribles pogroms qui déclenchèrent l’immigration vers les Etats-Unis.

En 1897, 5,2 millions de Juifs vivent dans la "zone de

résidence" et plus de 600 000 en dehors de la zone (100 000

Juifs en France au même moment). Une classe ouvrière s’est

crée à travers de petites entreprises textiles juives à Varsovie,

Odessa, Vilnius… Le Bund naît à Vilnius en 1897 :

internationaliste, yiddishisant et marxiste, c’est un parti de

jeunes qui connaît un développement important pour

atteindre 30 000 adhérents en 1905. Le Bund qui tient à

conserver sa spécificité juive est critiqué à la fois par Lénine

(leader des bolchéviks) et Martov (Leaders des menchéviks). L’intelligentsia juive parle russe, le peuple parle yiddish.

Des caisses de solidarité, des mouvements de jeunesse et des

écoles en yiddish sont créés par le Bund ; en parallèle le

sionisme s’implante avec le 1er Congrès sioniste de Bâle qui

recommande l’utilisation de l’hébreu. Après la Révolution

d'Octobre 1917 les organisations juives disparaissent en

URSS, mais subsistent en Pologne où cohabitent des

bundistes, des communistes et des sionistes. Après 1939 et la

double invasion de la Pologne, le Bund cherche l’appui de

l’URSS mais ses dirigeants sont emprisonnés par Staline

tandis qu’Hitler assassine la population juive de Pologne (200 000 survivants sur une population de 3 millions de

Juifs) H. Minczeles explique qu’une civilisation judéo-

polonaise a disparu pendant la dernière guerre mondiale mais

que l’idéal du Bund a survécu. Le yiddish connaît un certain

renouveau en France et récemment en Pologne à l’Université (cf. la conférence de Szurek en avril sur Marek Edelman)

La discussion a porté sur l’origine du yiddish, sa littérature

d’avant guerre et sa persistance actuelle malgré la diminution

drastique de locuteurs. On rappelle l'existence d'une presse en

yiddish après la guerre, " la standardisation" de la langue en

1925 à Vilnius à partir du yiddish "litvak". Par ailleurs il est

souligné que des groupes d’autodéfense avaient été créés en

réaction aux pogroms de la fin 19ème en Russie aussi bien par

le Bund que par d’autres organisations juives. En conclusion, une conférence vivante suivie d’une discussion animée

durant laquelle notre conférencier a répondu avec

compétence aux questions d’un public passionné.

Michel Mohn

Page 12: Liberte du judaisme 123 septembre octobre 2013

12

Compléments à la conférence d'Henri Minczeles

1- Quelques ouvrages d'Henri Minczeles:

- Le mouvement ouvrier juif. Les origines, 2010, Ed. Syllepse

- Une histoire des Juifs de Pologne, 2006, Ed. La Découverte

- Vilna,Wilno,Vilnius. La Jérusalem de Lituanie 1993, Ed. La

Découverte

2-La zone de Résidence telle que délimitée par le pouvoir

tsariste.

Source : H. Minszeles: Histoire générale du Bund 1995 Ed.Austral

Activités de LDJ

Cercle de Lecture Dimanche 6 octobre 2013

" La famille Karnovski" de Israël Joshua Singer

Denoël 2008 – Traduit du yiddish Avec la participation de Monique Charbonnel qui a traduit le

livre.

Dimanche 26 janvier 2014

"Voyage en l'an mil" de A.B.Yehoshua Calmann Levy 1998 – Traduit de l'hebreu

Le dimanche 23 mars 2014

"Némésis" de Philippe Roth

Gallimard 2010 – Traduit de l'américain

Notifiez votre participation au : 01 46 55 73 83

Assemblée générale L'assemblée générale de LdJ aura lieu le

mercredi 20 novembre à 19 heures au

13 rue du Cambodge Paris 20éme.

Venez et participez à la vie de votre association

Conférences Le thème général qui a été retenu pour l'année 5774

(2013-2014) est : "Les juifs et leurs exils : ombres et lumières"

---------------------------- Mercredi 11 septembre 2013

Gérard Haddad : Psychiatre, Psychanalyste :

La psychanalyse a-t-elle quelque chose à dire sur le

travail humain ? Mercredi 9 octobre 2013

"L'immigration juive aux Etats-Unis dans la première

moitié du 20éme siècle" avec la projection d'extraits du film

"Santa Fe" deuxième volet de la trilogie de "Welcome in

Vienna" d'Axel Corti (1985) et des lectures de lettres tirées

du livre d'Isaac Metkzer "Estimable rédacteur en

chef…60ans de lettres d'immigrés juifs en Amérique" (Seuil 2007)

Mercredi 13 novembre 2013

Charles Leselbaum, Maître de conférences à l'université de

Paris-Sorbonne

"Deux figures exceptionnelles dans l'Histoire du Judaïsme

Portugais" :

- Le capitaine Carlos Barros Basto Benroch (1887-1961) et la

Communauté juive du Portugal. - Le juste de Bordeaux, le Consul Aristide de Souza Mendes (1885-1954) qui sauva 30000 Juifs grâce à ses visas." Mercredi 11 décembre 2013

Guershon Essayag, Chargé d'études et recherches historiques à Paris Sorbonne

"Les Juifs après l'expulsion d'Espagne ; La communauté de

Tétouan au nord du Maroc, les retrouvailles avec les Espagnols

à la fin du 19ème

siécle". Mercredi 15 janvier 2014 Marie-Noëlle Postic présentera son livre : "Sur les traces perdues

d'une famille juive en Bretagne" et Julien Simon son prolongement théâtral " La vie comme la vie" _______________________

Les conférences débutent à 19 heures. Ouverture des portes à 18 h 45. Elles sont suivies d'un débat et se tiennent au 13 rue du Cambodge Paris 20ème

Visitez notre Site : "Liberte-du-judaisme.fr" Vous pourrez y écouter ou réécouter les conférences des années écoulées.

Pour être informé en temps réel de nos activités et participer à des échanges et discussions avec d'autres lecteurs de la Lettre de L.d.J. , inscrivez-vous à YahooGroupe Courrier-LdJ. Si vous êtes intéressé, signalez-le par mail à :

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La Lettre de LdJ. Septembre-Octobre 2013 Rédaction et administration

13 rue du Cambodge 75020 Paris

Directrice de la publication: Simone Simon

Comité de Rédaction : Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn,

Simone Simon, Isidore Jacubowiez, Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris

Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584