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Séminaire « Les Communs, l'Etat et le Marché comme système » CERSA – 17 juin 2016 Présentation d'une cartographie des communs Myriam Marzio Doctorante en droit public Université Paris I Panthéon Sorbonne – Mutadis

Présentation d'une cartographie des communs

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Séminaire « Les Communs, l'Etat et leMarché comme système »

CERSA – 17 juin 2016

Présentation d'une cartographie descommuns

Myriam Marzio

Doctorante en droit public

Université Paris I Panthéon Sorbonne – Mutadis

PLAN DE L'INTERVENTION

I. Précisions de vocabulaire

- Commons, biens communs, communs, Commun, bien commun

II. Le mouvement contemporain des communs

- Concept

- Structuration

PRECISIONS DE VOCABULAIRE

Des « commons » aux « biens communs »

● L'anglais «  common  » a été attribué au français «  commun  » de Guillaume LeConquérant, issu du latin munus, qui signifie « don » et « contre-don », c'est-à-dire« devoir » (Bollier, 2014).

● L'ancrage des «  commons  » dans les pratiques rurales féodales, en tant queobligations réciproques et usages collectifs protégés par la Magna Carta (1215) et laCharte de la Forêt (1217).

● Une histoire marquée par les «  enclosures acts  », dont le Black Act de 1723, quigénéralise un processus pluriséculaire d'accaparement des terres utiliséescollectivement et de suppression des droits coutumiers dans les campagneseuropéennes, du fait de la « mise en clôture » des champs et des prés.

● Apparition des «  commons » dans la littérature anglo-saxonne, traduit en françaistantôt par « biens publics », tantôt par « biens communs », alternant entre confusionthéorique et réduction des «  commons  » à des biens au sens strict et éludant ladimension institutionnelle du concept.

PRECISIONS DE VOCABULAIRE

Des « biens communs » aux « communs »

● Une volonté de mettre l'accent sur la communauté et les règles degouvernance plutôt que sur la ressource  : insistance sur le fait que leprocessus de gestion d'une ressource la rend commune, elle ne l'est pas ensoi  ;

● Prendre du recul par rapport à la pensée de Elinor Ostrom  : n'importequelle ressource pourrait être mise en commun, et non pas seulement les« Common Pool Resources » ;

● Centralité du processus d'institutionnalisation : faire entendre le lien étroitde l'institution et de la pratique des communs avec l'existence decommunautés non réductibles à un agrégat d'individus intéressés ;

● Se couper de toute référence à la propriété privée, qui doit être mise de côtéselon certains (mouvement des semences) ;

● Centrer la définition sur les actions pour prendre en compte les biensimmatériels que sont les savoirs et les connaissances.

PRECISIONS DE VOCABULAIRE

Des « communs » au « Commun »

● La catégorie de «  commun  » a été diffusée dans le public militant par lapensée politique critique de Michael Hardt et Antonio Negri.

Les communs désignant les «  espaces communs précapitalistes  » détruits parl'avènement de la propriété privée, l'expression «  le commun  » souligne qu'ils'agit d'un phénomène nouveau, dimension cachée du capitalisme et produitepar lui (Dardot et Laval, 2014).

● Selon Pierre Dardot et Christian Laval, le «  commun  » est un principepolitique qui impose de faire de la participation à une même activité lefondement de l'obligation politique.

La logique du commun qui doit prévaloir dans le champ social est celle de laparticipation politique directe dans la décision et dans la gestion de ce qui est« mis en commun ».

PRECISIONS DE VOCABULAIRE

« Commun » et « Bien commun »

● «  Le bien commun est l'équivalent du nous qui tend à reconnaître ledialogue du je et d'un tu  : il provoque, chez ceux qui adhèrent à la mêmecause, le sentiment d'une coappartenance » (Trigeaud, 1990).

● Selon Dardot et Laval, le bien commun désigne en philosophie politique ceque l'on doit rechercher et déterminer ensemble, «  il se confond avec lejuste en tant qu'il coïncide avec l'avantage commun que doit viser ladélibération collective » (Dardot et Laval, 2014).

Le commun est donc « ce principe qui faire rechercher cet objet qu'est le « biencommun » car il faut avoir pris part à une activité de délibération communepour le rechercher et le viser.

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - CONCEPT

Contexte d'apparition des communs

● Fréquence du thème du retour et de la renaissance des communs, sansjustification conceptuelle de la permanence d'un même concept.

● Apparition de la thématique des communs à la conjonction del’altermondialisme, de l'écologie politique et de la défense des services publics,conception défensive dirigée contre l'appropriation du monde :

- La crise écologique et la préservation des ressources naturelles  : les communsnaturels

- Le partage des savoirs et la multiplication des « droits de péage » : les communs dela connaissance

- Les mobilisations urbaines de préservation et de réappropriation de l'espacepublic : les communs sociaux et civiques

● Passage à une conception plus « positive » par la redécouverte de la productivitédu commun liée aux travaux d'Elinor Ostrom.

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - CONCEPT

Une définition basée sur trois critères

● Définition issue des travaux de David Bollier, reprise couramment par les acteursdu mouvement des communs  : «  les communs sont la combinaison d'unecommunauté déterminée et d'un ensemble de pratiques, valeurs et normessociales mises en œuvre pour gérer une ressource » (Bollier, 2014).

→ Une ressource matérielle ou immatérielle : le type de ressource ne constitue pas lecritère de reconnaissance des communs à lui seul, mais le contexte contemporain apermis d'identifier trois types de ressources se réclamant des communs : lesressources naturelles, les connaissances et les savoirs, les espaces publics et urbains. ;

→ Une communauté d'acteurs  : une porosité entre une recherche académiquepluridisciplinaire, des acteurs militants et associatifs, des rhétoriques politiques ;

→ Un ensemble de règles sociales : au-delà des 8 règles du modèle institutionnel degestion des ressources communes de Ostrom, un accent mis sur le « commoning ». Lacondition critique pour créer un commun résidant dans la décision d'unecommunauté de s'engager dans des pratiques sociales visant à gérer une ressourcepour le bénéfice de tous.

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - CONCEPT

Des catégorisations liées au type de ressource - I

● Projet « Remix the commons » du Réseau francophones autour des biens communs :

- Biens communs culturels  : mode, culture locale et ancestrale, musique, communs spirituels et religieux,sports, tourisme, art de rue, ...:

- Communs de la connaissance  : Internet, éducation, bibliothèques, domaine public, science, droits depropriété intellectuelle, universités, accès libre, science ouverte, ...

- Communs globaux  : atmosphère, biodiversité, haute mer, sécurité alimentaire, pollution déchets toxiques,santé publique, rivières transfrontalières, ...

- Communs infrastructures  : radio publique, communication sans fil, routes, aéroports, parking, contrôle devitesse, activité portuaire, ...

- Communs traditionnels : agriculture, pêcheries, pâturages, organisation villageoise et sociale, eau et irrigation

- Communs urbains : logement, jardins communautaire, trottoirs, silence et bruit, habitat partagé, sans abris,sécurité, ...

- Marché en commun : capitalisme, bourses d'échange, économie du don.

- Médecine et santé en commun  : hôpitaux, résistance antimicrobienne, budget de la santé, service de santépublique, ...

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - CONCEPT

Des catégorisations liées au type de ressource - II

● L'Assemblée francophone des communs a établi la catégorisation suivante :

- Communs de la connaissance : éducation, culture.

- Communs des ressources naturelles : agriculture, écologie, énergie.

- Communs de l'espace public et de la mobilité : urbanisme, ruralité.

- Communs de la santé et du bien-vivre : intergénérationnel, accès aux soins.

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - CONCEPT

Des catégorisations liées à la finalité de la ressource

● Classification des communs proposée par David Bollier (Bollier, 2014) :

- Les communs de subsistance : communs traditionnels constitués autour de ressourcesnaturelles (forêts, pêcheries, pâturages et estives, terre arable, gibier, eau, ...) ;

- Les communs des peuples indigènes : alignement des valeurs et des pratiquescommunautaires sur la réalité des écosystèmes locaux (« Pachamama », Terre Mère) ;

- Les communs sociaux et civiques : jardins partagés, écovillages, AMAP, consommationcollaborative et urbanisme « peer to peer » ;

- Les activités économiques fondées sur les communs : hybridation de tous les communsavec l'Etat et le marché. Aménagement de frontières formelles et de normes éthiques deprotection (ESS) ;

- Les communs sous garantie publique et les communs globaux : rôle de facilitateur descommuns joué par l'Etat pour élargir le dialogue citoyen en matière de conception et demise en oeuvre des politiques publiques (parcs nationaux, recherche scientifique,domaine public, ...)

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - CONCEPT

Quelles approches des communs ?

● Une tension entre une approche essentialiste qui confère aux communs une valeurintrinsèque et par défaut, aboutissant à des «  inventaires à la Prévert  » de ce queserait ou non les communs  ; et une approche constructiviste qui confère auxcommuns une valeur liée à leur caractère de construit social et adresse une critiqueforte au risque de réification des communs.

● Une distinction entre les « réformateurs », qui promeuvent les communs commevecteurs de protection des droits fondamentaux, en mettant en avant la dynamiqueparticipative et une volonté radicale de démocratisation de l'Etat  ; et les « anti-étatistes », qui promeuvent les communs comme rupture radicale par rapport auxdichotomies public/privé et Etat/marché, refusent l'idée hiérarchique en faveurd'un modèle collaboratif et participatif, cultivent une version pour un discourssubstantialiste sur le commun, et oeuvrent au dépassement de la logique del'appropriation (Audier, 2015).

● Une conception « pragmatique »  : principe d'action d'inspiration humaniste, quirésout de manière itérative le problème posé  ; qui se distingue d'une conception« holistique » : idéologique, systématique, selon laquelle le commun est une solutionquasi générale à toutes les questions de politique et de gouvernance (Picard, 2015).

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - STRUCTURATION

Le « Réseau francophone autour des biens communs »

● Le Réseau travaille à faire connaître les biens communs en France et dans lafrancophonie, notamment à travers une liste de diffusion.

- 2009  : Présentation du « Manifeste pour la Récupération des Biens Communs » àl'occasion du Forum Social Mondial à Bélem au Brésil.

- 2012  : Appel pour la constitution d'un réseau de promotion des communs parl'association VECAM

- 2013  : Organisation de « Villes en Biens Communs », festival pour explorer, créer etfaire connaître les communs, inspiré de Brest en Biens Communs de 2009

- 2015  : Organisation du « Temps des Communs », festival de 15 jours dédié auxcommuns.

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - STRUCTURATION

Les Assemblées des Communs francophones

● Les assemblées sont constituées à l'échelle locale des «  porteurs de communs  ».Elles ont pour objectif :

- De répertorier et diffuser les actions liées aux communs, d'aider à mettre en lien les communs, de définir etgouverner les mutualisations entre communs.

- De gérer la relation aux collectivités et institutions pour définir au cas par cas le cadre de ses actions et desactions de la collectivité.

- De coordonner et populariser l’accès, la défense contre les enclosures et le développement des communs surleur territoire, en élaborant puis en faisant vivre démocratiquement une charte sociale des communs.

- De donner des avis sur les communs qu'elle protège et de tracer les choix des élus politiques qui ont signé lepacte démocratique.

- D'animer le débat sur les questions des communs, d'organiser des événements et rencontres sur le sujet quila concerne.

- De faire le lien avec la Chambre des Communs qui organise les activités économiques autour des communs.

- D'arbitrer les différends autour des communs.

Source : http://assembleedescommuns.org/objectifs-assemblees-communs/

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - STRUCTURATION

La Chambre des Communs

● «  Espace neutre de confiance pour la production, le développement et lapréservation des communs par les acteurs économiques », aux missions variées :

- Informer, échanger  : informer les acteurs économiques sur les enjeux économiques et sociauxliés aux communs, comprendre les applications d'un modèle de communs dans son activitééconomique, mutualiser les bonnes pratiques ;

- Produire, préserver : accompagner la création de communs émergeant de l'activité économiquedes membres de la chambre, les démarches de participation et de gestion collective des acteurséconomiques dont l'activité est liée à l'usage d'un commun, former à l'usage et produire desméthodes et outils liés à la préservation et la production de communs ;

- Coopérer  : définir et mettre en œuvre la gouvernance des ressources, assurer la neutralité desparticipations à la gestion collective des communs, assurer le pilotage et la médiation d'actionsautour des communs ;

- Concerter  : assurer la légitimité et la légalité des actions entreprises par la chambre envers lasociété civile et l'acteur public, garantir et faciliter la ré-appropriation des communs, organiser ledébat entre les partis-prenantes.

Source : http://chambredescommuns.org/presentation/

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS – STRUCTURATION

« Partenariat tripartite »-

By Simon Sarazin Collectif Catalyst / Anis (Simon Sarazin) [CC0], via Wikimedia Commons

LE MOUVEMENT CONTEMPORAINDES COMMUNS - STRUCTURATION

L'expérience italienne● Des "indignados" espagnols du M-15 au "benicommunismo" italien.

● Comission Rodotà - 2007 : préparation du projet de loi constitutionnelle portant sur lamodification des normes du Code civil en matière de biens publics. Définition desbiens communs comme des biens dont l'utilité est liée à l'exercice des droitsfondamentaux ou pouvant représenter un objet de jouissance collective.

● Indignation populaire liée à l'approbation du décret Ronchi-Fitto par legouvernement de Silvio Berlusconi en 2009, obligeant à une mise en compétition de tousles services publics locaux, notamment d'eau potable.

● Référendum sur la privatisation de la gestion de l'eau des 12 et 13 juin 2011 : 26 millionsd'italiens refusent cette transformation. A Naples, Acqua Bene Comune Napoli est créée pour gérer les services hydriques selon une gouvernance écologique et participative.

● Occupation du Teatro Vallo à Rome à partir de 2011, rédaction de statuts etcréation d’une fondation pour considérer la culture comme un bien communinaliénable, à disposition des citoyens et géré par eux.

● Charte signée dans 40 villes, dont Bologne : « règlement de collaboration entre citoyenset collectivités locales pour régénérer et faire vivre les commun urbains ».