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Le slow comme résistance rythmique Penser le slow avec Michel Foucault Mireille DIESTCHY Doctorante en sociologie, Télécom Paris Tech « L'homme pressé : impacts et paradoxes socio-spatiaux » 12 ème colloque pluridisciplinaire Doc ’Géo, 09 et 10 octobre 2014, Bordeaux

Le slow comme résistance rythmique Penser le slow avec Michel Foucault

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Page 1: Le slow comme résistance rythmique Penser le slow avec Michel Foucault

Le slow comme résistance rythmique Penser le slow avec Michel Foucault

Mireille DIESTCHY

Doctorante en sociologie, Télécom Paris Tech

« L'homme pressé : impacts et paradoxes socio-spatiaux »

12ème colloque pluridisciplinaire Doc ’Géo, 09 et 10 octobre 2014, Bordeaux

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Contexte

• Slow Food nait en 1989, sous l’impulsion d’un groupe de militants affiliés aux cercles politiques de l’extrême gauche italienne.

• Diffusion du terme slow depuis la fin des années 2000 dans de multiples domaines : Slow science, Slow média, Slow design, Slow cosmétique, etc.

• Formation d’une nébuleuse hétérogène : associations, manifestes, ouvrages, références individuelles.

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Problématisation

• Le slow ne se réduit pas à un désir de

ralentissement.

• Le phénomène slow peut être envisagé comme

une forme de « résistance » au cœur des relations

de pouvoir quotidiennes liées aux rythmes sociaux.

• Il s’agira de penser le slow avec Michel Foucault en

proposant une analyse à partir des notions de

pouvoir, de résistance et d’éthique.

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L’enquête

Dans le but d’analyser ce phénomène, nous avons

réalisé entre 2012 et 2014, dans le cadre d’une thèse

de doctorat, une enquête de terrain par observation

participante au sein de Slow Food Alsace et des

entretiens semi-directifs (n=35) auprès de ceux qui

revendiquent le slow dans les domaines de

l’alimentation, de la cosmétique, du management,

de la recherche scientifique, du design et du cinéma.

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1. Le slow au cœur des relations de pouvoir

1.1 Mobiliser la conception foucaldienne du pouvoir

• Les notions de pouvoir et de résistance, théorisées par Michel Foucault, nous permettent d’analyser le slow dans toute sa complexité.

• Le pouvoir n’est pas une chose que l’on possède mais une relation entre deux individus qui fait que l’un peut orienter la conduite de l’autre.

• Cette approche a le mérite de prendre en compte la complexité du rapport du sujet au pouvoir : loin de n’être qu’une contrainte qui vient assujettir les individus, le pouvoir est un levier de subjectivation.

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1. Le slow au cœur des relations de pouvoir

1.2 Repenser l’histoire des rythmes à partir de la notion de dispositif

• Une approche complémentaire aux théories de la vitesse et de l’accélération : Paul Virilio (1977), Nicole Aubert (2003), Hartmut Rosa (2010), Zawadzki (2002).

• Dans la théorie foucaldienne, la centralité du sujet au cœur des relations de pouvoir, qui en est le produit et tout autant l’acteur, permet ainsi de penser l’existence de points de résistance.

• Il s’agit de concevoir le sujet comme relais du pouvoir pour penser les actes de résistances.

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1. Le slow au cœur des relations de pouvoir

1.2 Repenser l’histoire des rythmes à partir de la notion de dispositif

Le dispositif est « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit »

in FOUCAULT Michel, Dits et écrits, 1954-1988, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, vol. II, 1976-1988, p. 299, texte n°206.

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1. Le slow au cœur des relations de pouvoir

1.2 Repenser l’histoire des rythmes à partir de la notion de dispositif

Un dispositif rythmique :

• Penser la subjectivation plus que le seul assujettissement,

• Une diffusion de normes et de valeurs et non pas

seulement un pouvoir répressif,

• Une incitation à la gestion du temps et à son

optimisation.

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.1 Le slow : une éthique pour résister

• Résister se traduit ici par l’élaboration d’une éthique de vécu du temps qui se veut en décalage par rapport aux normes temporelles de notre modernité.

• L’éthique est définie comme la dimension dynamique et créative des pratiques individuelles d’invention de soi et de résistances aux normes, là où « ce à quoi l’on tient » selon la formule du philosophe John Dewey permet de se constituer comme sujet vis-à-vis d’un ensemble de normes, soit en les suivant, soit en y cherchant une alternative.

Cf. DEWEY John, La formation des valeurs, Paris, la Découverte, 2011.

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.2 La résistance en actes

L’enquête de terrain nous a permis de repérer

plusieurs points de résistance, des nœuds dans

lesquels sont en jeu des relations de pouvoir et au sein

desquels les individus résistent au nom d’une éthique,

c'est-à-dire entendent agir à côté, en décalage par

rapport aux normes temporelles pour en tirer ainsi le

sentiment de maîtriser le temps.

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.2 La résistance en actes

1) Les interviewés dénoncent et entendent résister aux rythmes imposés par le monde marchand et le monde industriel. Dans ce but, ils valorisent l’adoption d’un temps « juste », c'est-à-dire respectueux des êtres et des choses. Le mode de résistance est ici centré sur le ralentissement.

• Il s’agit de : réduire leur consommation, faire plus lentement et de donner du temps, « faire moins, mais faire mieux ».

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.2 La résistance en actes

2) La promotion du slow se traduit également par la recherche d’un « bon rythme ». Ici, ce n’est plus tant le ralentissement qui importe que le choix des rythmes, qu’ils soient rapides ou lents. Le « bon » rythme est celui qui est respectueux des singularités des êtres et des objets face à une recherche constante d’optimisation du temps et face à la standardisation de l’industrie.

• Il s’agit : d’adapter le rythme aux spécificités de chacun, de

valoriser les imperfections et les erreurs, d’adopter des rythmes non nécessairement productifs et de s’extraire des flux.

• Un rapport au temps distinctif.

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.2 La résistance en actes

3) S’esquisse ici un autre nœud de résistance autour de la question de la continuité temporelle. Il s’agit pour les personnes rencontrées d’élargir l’horizon, dans le sens où le passé et le futur doivent être pris en considération.

• Il s’agit : d’être « responsable », d’« anticiper », de penser la « durabilité » et le « long terme » notamment en ce qui concerne l’environnement.

• Egalement de préserver un passé considéré comme un réservoir de savoirs anciens, qui sont autant de ressources face à cet avenir incertain et quelque peu idéalisé.

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.2 La résistance en actes

Cette prise en compte du long terme doit être conciliée à la recherche de verticalité liée à l’intensité du vécu. Il s’agit, pour les personnes rencontrées, de ne pas être dans la superficialité associée à l’instantanéité permise par les outils numériques et vivement critiquée, et de ne pas vivre l’instant en étant tendu vers l’après, mais d’être entièrement présent à ce qu’ils font, dans une « profondeur », une « verticalité ».

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.3 Du gouvernement de soi à la responsabilisation

• La résistance n’est pas une libération,

• Aux lieux même de la résistance se nouent d’autres relations de pouvoir, autrement dit : les individus se défont d’une contrainte pour se trouver pris dans une autre.

• Comme l’explique Gilles Deleuze, cette subjectivation ne reste pas hors du pouvoir : « le rapport à soi ne restera pas la zone réservée et repliée de l’homme libre […]. Le rapport à soi sera saisi dans les relations de pouvoir, dans les relations de savoir. Il se réintégrera dans les systèmes dont il avait commencé par dériver » in DELEUZE Gilles, Foucault, Paris, les Éd. de Minuit, 2004, p. 110.

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2. Le slow : de la résistance à la responsabilisation

2.3 Du gouvernement de soi à la responsabilisation

1) Le gouvernement de soi : modération de ses propres

besoins, contraintes fortes, apprentissage difficile et

travail sur soi.

2) La responsabilisation : des structures économiques et

étatiques s’appuient sur les résistances des individus

pour gouverner. L’éthique slow comme résistance se

trouve finalement prise dans un autre dispositif de

pouvoir centré sur la question environnementale.

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Conclusion 1) En résumé :

• Le phénomène slow peut être analysé comme une résistance au cœur d’un dispositif rythmique. Les individus qui se réclament du slow entendent remettre en question des normes et des valeurs liées au temps.

• Cette résistance se manifeste dans des actes quotidiens par lesquels les individus tentent de prendre le pouvoir sur les rythmes, avec toutes les contradictions et tensions que cela implique.

• Ces actes de résistance se trouvent pris à leur tour au cœur de relations de pouvoir.

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Conclusion 2) Pour conclure :

• Quelle singularité du phénomène slow défini comme contre-conduite au cœur d’un dispositif rythmique ?

• Il s’agit de replacer le slow au cœur d’une généalogie des faits de résistances. Tout au long de notre modernité et depuis que s’est mis en place un dispositif axé sur les relations de pouvoir liées aux rythmes, émergent des résistances : luddisme, romantisme, « retour à la nature »…

• Une telle mise en perspective historique permet ainsi de restaurer la conflictualité de l’histoire : les normes temporelles ne s’instaurent pas sans résistance, sans l’apparition d’éthiques alternatives dont le slow est l’une des manifestations actuelles.

Page 19: Le slow comme résistance rythmique Penser le slow avec Michel Foucault

Ce diaporama a servi de support à la communication de Mireille DIESTCHY à l'occasion du 12e colloque Doc'Géo, qui s'est déroulé à Pessac (Gironde) les 9 et 10 octobre 2014.

Ce document est mis à disposition sous les termes de la licence ouverte, dont le texte est dispo nible sur le site de la mission ETALAB.

Le slow comme résistance rythmique

Penser le slow avec Michel Foucault