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Zoom sur la communication politique stratégique du Parti Socialiste

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  • Cercle des communicants francophones

    Itw #32

    Crer un slogan, c'est donner du sens, une cohrence, une clart unesquence, une priode. C'est ce travail qui permet aux lus, auxmilitants, aux citoyens de le ressentir et de le porter Valerio Motta a notamment t conseiller communication de la Secrtaire d'Etat Pascale Boistardet a dirig la communication du Parti Socialiste. Il vient de lancer Nemo Claudit, une socit deconseil en communication numrique, corporate, publique et politique.

    La communication politique a beaucoup volu au cours de ces 20 dernires annes.Quelles sont pour vous les trois transformations les plus importantes et quelles sont lesprincipales drives ?

    Valerio Motta (VM) : Les volutionstechnologiques et des usages sont au cur destransformations de la communication politique.La TNT et les box ont conduit audveloppement de chanes dinfo en continupuissantes. Ce mouvement a acclr le tempode la vie politique au cours des annes 2000.C'est ce qui rendit pertinent la stratgied'occupation mdiatique maximale du candidatSarkozy en 2007. Les technologies qu'utilisentces chanes, permettant du direct vido avecdes moyens lgers, ont chang les contenusqu'elles diffusent, au dtriment des changes

    approfondis. Ainsi, si on compare ce qu'tait l'offre de dbats en plateau par rapport aux directs,entre LCI dbut 2000 et BFMTV aujourd'hui, lvolution est frappante. Et les journalistesfabriquent de plus en plus rapidement l'information, ce qui rend de plus en plus difficilel'approfondissement, la vrification, la hirarchisation.

    L'arrive des rseaux sociaux a galement contribu cette acclration du dbat, en permettantl'mergence rapide de sujets dans l'agenda mdiatique ; les ractions et leur visibilit ont tacclres et amplifies. Au point que ce "combat d'opinion" fut mis en scne lors de la dernireprsidentielle avec les fameuses "ripostes parties" que Romain Pigenel a dveloppes. Mais encommunication politique, ces diffrents rseaux, Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat,Periscope, ont un intrt majeur : permettre le lien direct entre un responsable politique et lescitoyens sans l'intermdiation des journaux et chanes. Le revers de la mdaille, c'est l'parpillementdu public sur des rseaux sociaux de plus en plus nombreux, clats et ferms. Assurer une prsencede qualit sur ces espaces va devenir plus complexe.

    Enfin, la rvolution la plus puissante, la plus structurante, mais la moins visible, c'est le travail surles stratgies de communication web et terrain, leur articulation, appuyes sur les bases de donnes.Depuis le milieu des annes 2000, en France comme aux USA, c'est le candidat qui construit la plusgrande base de donnes qui l'emporte chaque prsidentielle. Deux stratgies se firent face en2007, avec la dmarche participative de Sgolne Royal construite par Benot Thieulin, et lesptitions appuyes sur des campagnes adwords de Nicolas Sarkozy imagines par Arnaud Dassier.La dernire l'emporta parce qu'elle fut construite sur une dmarche de temps long. C'est unchangement d'chelle presque industriel qui connut son apoge en 2011 avec une base de donnesextrmement puissante issue des primaires citoyennes et de stratgies de contenu web que nous

    http://nemoclaudit.fr/https://twitter.com/valeriomotta

  • avions mis en uvre sur deux ans au PS. Elle nourrt ensuite la dmarche de porte--porte conduitepar Lieger, Muller et Pons dans la campagne de Franois Hollande. Le nombre de technologiesdployes l'poque est considrable : construction de bases de donnes des bureaux de vote,applications, stylo numrique et reconnaissance optique pour le recueil des coordonnes, audiotel dercolte des rsultats, campagnes publicitaires cibles C'est un effort lourd par rapport ce qu'estla structure des partis et leur taille en France, mais le rsultat fut l : 800 000 coordonnes environen base lors des primaires, 880 000 voix de diffrence au second tour. Le parti qui ne construit pasd'avantage stratgique et technique en matire numrique pendant les deux ans qui prcde laprsidentielle prpare la dfaite de son candidat.

    Aujourd'hui, les personnalits politiques deviennent de plus en plus des marques.Qu'est-ce que vous en pensez ?VM : Je nuancerai fortement ce constat. Sans verser dans l'excs, ce ne serait pas ngatif que lesresponsable politiques soignent davantage la communication qu'ils engagent avec les citoyens, enrflchissant sur leur image, leurs messages, leur forme, leur cohrence, leur structuration dans letemps, leurs canaux de diffusion. Avec la stabilit dans le temps qu'une dmarche de marqueinduirait : on ne change pas de logo, de couleurs, d'ides mises en avant chaque saison politiqueou chaque changement de conseiller.

    En ralit, j'ai souvent t au contraire frapp par l'absence de professionnalisme et de rflexionprofonde et de temps long autour des stratgies de communication de certains lus. Et mme departis politiques !

    Quand Marie-Emmanuelle Assidon est devenue, l'poque de Martine Aubry, directrice de lacommunication du PS, j'tais alors responsable du web, il a fallu rebtir les bases d'une marque quin'tait pas en place : une identit visuelle et une charte graphique claire, dploye partout, dessupports et des outils de brand content articuls et structurs (site web, hebdo, newsletters, welcomepacks). Arbitrages budgtaires et de priorits entre les outils internes et les supports destins lavisibilit externe : moins de print interne et plus de web et d'vnementiel externes.

    Vous avez t conseiller communication d'une Secrtaire d'Etat. Comment s'organisaitle travail au quotidien entre vous et le service de communication institutionnel ? VM : Quand j'ai travaill pour Pascale Boistard au Secrtariat dtat aux Droits des femmes, je mesuis attach entretenir un lien troit et continu avec les services de la DICOM des ministressociaux. Nous avions un cadre de runion hebdomadaire, en plus des runions ddies tel ou telprojet. Objectif : faire le tour de l'agenda, suivre la mise en uvre du plan de communication,planifier des actions. Pour brainstormer ou prparer des rflexions en clairant, dans la mesure dupossible, les services sur les enjeux politiques et publics des semaines et mois venir, carl'articulation des temps est pour moi la question la plus difficile : le politique et le cabinet sont sanscesse happs par le "chaud", l'immdiat.

    Pour prparer des oprations d'ampleur, il faut du temps et de la visibilit. Dans une priode o lesressources financires sont de plus en plus limites, il faut s'appuyer sur la force de travail interne,du cabinet politique et des services.

    Donc pour ne pas perdre de temps en go-between fastidieux et rserver les changes cabinets-services lessentiel, nous avons internalis et professionnalis certaines tches au cabinet, avec uncharg de mission imaginatif et polyvalent, Richard Chesneau, qui ralisait notamment certainestches graphiques (dossiers de presse, visuels et infographies rseaux sociaux).

    C'est aussi cette sparation qui permet au cabinet d'tre plus exigeant et prcis dans l'expression del'intention initiale. Nous pouvons tre fiers collectivement de la campagne crative que nous avonslance sur le harclement sexiste dans les transports.

  • Quels conseils donneriez-vous un/une de vos ami(e)s qui vient d'tre nomm(e)conseiller(e) communication d'un ministre ? VM : Je lui dirais dabord de ne jamais avoir peur de dire en interne ce qui ne va pas, comme ce quiva bien. Il faut aussi sortir des habitudes et des chemins baliss. Et surtout avoir laudace de penser la bonne hauteur : la communication dun ministre et dune administration publique cest unmorceau de la parole de la Rpublique.

    Concernant les rapports avec les mdias, j'ai toujours privilgi des relations les plus ouvertes ettransparentes possibles. Cela n'empche pas de rflchir en amont la manire dont une couverturemdiatique peut devenir un point d'appui l'action publique et politique : quand nous avonsmdiatis notre volont d'agir sur le harclement sexiste dans les transports, ou les chiffres sur cesujet, ce fut un point d'appui fort pour faire progresser les ngociations et arbitrages sur le sujet,avant notre campagne de communication elle-mme.

    C'est pourquoi il est important de penser les choses par squences, sur quelques mois, et pasuniquement la semaine. Anticiper ce que pourront tre les papiers, les sujets, en rflchissant, biensr la phrase qui sera reprise, mais aussi aux images d'illustration, aux tmoignages qui pourrontnourrir le traitement mdia et essayer, dans le montage d'un vnement, dune confrence de pressede fournir tout ce qui sera utile aux journalistes vu le peu de temps dont les mdias disposentaujourd'hui. Il faut aussi proposer des contenus web, vidos, infographies, qui pourront tre repristels quels. Cela favorisera toujours la qualit du traitement.

    J'ajouterais que le fait d'tablir des relations de qualit avec chaque autre membre du cabinet etl'administration est prcieux car les demandes les plus difficiles traiter interviennent souvent unvendredi soir ou pendant les congs. Apporter une rponse prcise un journaliste peut ncessiterd'aller un peu au travers des procdures classiques.

    La plupart des institutions publiques ont dsormais un community manager. Chaquepersonnalit politique en a-t-elle galement besoin ? Assiste-t-on selon vous lanaissance d'une nouvelle fonction, celle de community manager politique ? VM : Contrairement une ide relativement rpandue, la plupart des responsables politiques ou deslus sont plutt sous-staffs en matire de communication. Si l'on met part les ministres, lesmaires ou prsidents de trs grosses collectivits, celui qui fait office de CM cumule en gnralplusieurs autres fonctions.

    D'une manire gnrale, si je souhaite plus de professionnalisation de certains mtiers ou de leurpratique, je ne suis pas un fervent partisan de l'hyper-spcialisation, qui dans les faits n'est souventpas possible. Mme quand elle l'est, elle n'est pas toujours souhaitable. Lorsque j'avais rorganis leweb au PS, nous avions d'abord spar les fonctions de CM des fonctions de construction decontenus. Au bout de quelques mois, nous les avons rintgres : c'est plus efficace de ''pusher'' uncontenu que l'on matrise bien parce que l'on en est l'auteur. L'parpillement des rseaux sociauxncessite pourtant des approches spcifiques : faire vivre un compte snapchat est loin de l'approche"site/article/push", souvent utilise sur Facebook ou Twitter.

    Vous avez t galement en charge de la communication du Parti socialiste. Qu'est-cequi est le plus difficile quand on fait la communication d'un parti politique ?VM : Un grand parti politique, en France, c'est une grosse PME d'un peu plus d'une centaine depersonnes, avec un service communication qui en pse un tiers. Nanmoins, le parti a la visibilitmdiatique dune multinationale et subit une couverture plus agressive et des attaques continues !Cela oblige hirarchiser les problmes. Il faut aussi savoir remettre en question ce qui est fait parhabitude sans tre valu, pour aller l'essentiel, l'efficace. Etre sur la brche, toujours dans laveille est essentiel et aussi, l encore, s'assurer de bien articuler les rponses aux demandes

  • politiques et mdiatiques de temps court avec le temps long et les squences.

    Jai toujours pens qu'il fallait donner une cohrence des squences de quelques mois avec desslogans qui les rendent claires et plus faciles porter pour les lus, les militants. Entre 2009 et 2013le PS a dclin "La France qu'on aime", "Il est temPS de changer", "Le changement" (le projet),"Donnons un nom au changement" (les primaires), "Le changement, c'est maintenant"(prsidentielle FH), "Donnons une majorit au changement" (lgislatives), "Le temps duchangement" (la Rochelle), "Tous ensemble, russir le changement" (congrs).

    Autre difficult : quand on passe de l'opposition aux responsabilits, l'intrt mdiatique passe duparti au gouvernement. L, je pense qu'il existe aujourd'hui un chanon manquant entre legouvernement et le parti, pour assurer le soutien aux mesures proposes pendant la campagne unefraction du public plus large que la base partisane : c'est le "Organizing for America" d'Obama etdes Dmocrates qui n'a pas d'quivalent de ce ct de l'Atlantique.

    Comment organiser un meeting politique russi ? Sur quoi faut-il tre vigilant ? VM : Un grand meeting national est aujourdhui un support largement destin au grand public, travers la presse et, must du must, la diffusion tlvise. Et la majorit de ce que l'on retient dundirect ou dun reportage est non-verbal. Donc, il faut soigner absolument l'image vhicule, le''cadre'' pour que l'image qui apparaisse l'cran serve l'orateur, son message et sa diffusion. Il nefaut garder que l'essentiel : un visuel de fond serein, un slogan visible et clair et destin l'extrieuret visible quel que soit l'angle. En travaillant le replay des universits d't de la Rochelle, je mesuis aperu qu'un plan d'angle frquent sur l'orateur rendait visible en arrire-plan une partie un peuconfuse de la salle : des cordons de scurit, des membres du service d'ordre, des journalistesL'anne suivante, nous avons ajout des visuels positionns 45 sur les cts de la scne pour''clarifier'' ce plan.

    Matriser l'image diffuse est un atout, notamment parce qu'avec la multiplication des chanes ilserait irraliste, dangereux et perturbant de laisser des JRI accder tous les coins d'une scne etd'une salle. Il faut donc passer beaucoup de temps penser aux plans, la ralisation, aux camraset la scnarisation.

    La ralisation de clips est un appui important pour galvaniser le public : j'ai t marqu par ledcompte vido d'une centaine de secondes, nonc par des militants aux 4 coins de la France avantle dvoilement du rsultat de Nicolas Sarkozy et son discours au congrs de la porte de Versailles en2007 : cela donnait une force et une solennit un moment statutaire. L'enthousiasme d'une foule,visible limage, passe aussi par la distribution de drapeaux, de goodies.

    J'ajouterai que faire le lien entre le meeting et l'action en ligne est utile pour la viralit du message :hashtag visible, diffusion de tweets dans le meeting et incitation agir en ligne, recueil decoordonnes, diffusion en direct et sur les rseaux sociaux dmultiplient l'effet de la runion.

    A l'poque o vous tiez la tte de la communication du Parti socialiste, qu'est-ce quece parti offrait en matire de communication aux candidats en campagne ?VM : Une offre trs rode s'est mise en place aux diffrentes lections, avec un niveau d'utilisationvariable selon le degr de localisation des campagnes. Un candidat aux lgislatives fait unecommunication plus proche de celle du parti qu'une liste aux municipales. Mais, au-del de tous lesargumentaires, nous dployions des kits, avec logos, visuels, tracts et affiches modifiables outlchargeables, une plateforme de blogs de campagne, souvent des clips nationaux mais adaptsaux enjeux de l'lection locale. Nous avons galement ouvert aux candidats et aux militants l'accs des donnes assez pousses en matire d'analyse lectorale sous forme de cartographie interactive.

    De plus, nous rendions le plus possible visibles les initiatives prises par les campagnes locales, avecun journal en ligne quotidien de chaque lection, en plus des articles et contenus utilisables comme

  • des arguments partageables. Ainsi, pour renverser, aux rgionales de 2010, l'ide que le PS taitdivis et la droite rassemble, nous avons lanc, en confrence de presse, une google map desdivisions de la droite sur le terrain, invitant les internautes contribuer. Le travail de bases dedonnes tait galement au service de nos candidats : nous avons l'poque des lgislatives 2012,mis disposition une interface leur permettant d'adresser directement des newsletters formates lapart du fichier national correspondant leur circonscription. Enfin, nous avons men tout un travailde formation la campagne en ligne en particulier.

    Dans le cadre de vos fonctions, vous tes trs souvent amen travailler avec desjournalistes. Qu'est-ce qu'ils attendent d'un communicant ? Qu'est-ce qu'il faut faireet ne pas faire ?VM : J'ai aujourd'hui une agence de communication politique, publique et corporate tourne vers lesstratgies numriques, Nemo Claudit. Quand j'change avec des journalistes, j'applique au fondtoujours les mmes ides. Les journalistes ont toujours besoin de plus d'informations pour remplirleurs colonnes et leurs flux. Leur mtier est de plus en plus difficile.

    Il faut donc d'abord leur rpondre vite avec prcision, en tant toujours un facilitateur, et ensoignant le contact et l'change humain : c'est essentiel pour qu'une confiance s'tablisse, pourpouvoir ensuite comprendre les attentes de chaque journaliste et pouvoir enfin lui proposer desexclusivits qui correspondent ses besoins.

    Passer du temps aussi pour clairer les journalistes qui vous suivent rgulirement sur la dmarche,l'tat d'esprit, le sens. Aprs, au final, je pense qu'on est dans des principes de base de relationshumaines : respecter sa parole, tre transparent sur la relation, ne pas "vendre" ce qu'on a djdonn... S'il faut parfois se battre et renvoyer des ascenseurs pour obtenir une couverture, je ne meretrouve pas dans les descriptions dcrivant notre mtier comme le rgne du cynisme et de lamanipulation. Cela ne me parat pas tre le gage de relations durables et de qualit.

    Interview ralise par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en octobre 2016

    Le Cercle vise faire progresser la #ComPublique et la#ComPol dans le monde francophone. Cest un espace dedialogue, de partage d'expriences et de valorisation de tous.

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