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Droit & Charia https://droitetcharia.wordpress.com/ Pourquoi apprendre la jurisprudence avec les savants ? Abû Zakariyyâ al-ussaynî al-Shâfiʿî al-Shâmî 25 Chaʿban 1436 12/6/2015

Pourquoi apprendre la jurisprudence auprès des savants ?

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Pourquoi apprendre la

jurisprudence avec les savants ?

Abû Zakariyyâ al-Ḥussaynî al-Shâfiʿî al-Shâmî

25 Chaʿban 1436

12/6/2015

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« À elle seule, la lecture autonome des ouvrages

de jurisprudence ne fait pas de savant »

L’apprentissage avec les chouyoukh est une condition indispensable pour créer

la personnalité juridique de l’étudiant (1). De plus, l’étude auprès des chouyoukh est

validée par une ijaza qui témoigne de la qualité de l’enseignement (2). Enfin, les

ouvrages ne contiennent pas tous les savoirs. Ceux qui apprennent sur le mode de

l'autodidactisme, sans passer par les chouyoukh, se privent des connaissances des

chouyoukh. En effet, les chouyoukh peuvent transmettre parfois des points juridiques

intéressants qui sont absents dans les ouvrages (3). Notons que cette présentation est

limitée aux côtés juridiques et méthodologiques de la fréquentation des savants. Les

côtés spirituels et leurs effets ne font pas objet de la perspective de ces lignes.

1- La méthodologie juridique :

Beaucoup de gens croient qu’en lisant les ouvrages de fiqh, ils deviennent des

savants. En fait, l’apprentissage du fiqh doit passer par l’étude d’une échelle

d’ouvrage - selon un niveau croissant - auprès d’un savant spécialisé en fiqh. Cette

étude habilite l’étudiant à analyser les ouvrages de fiqh d’après la méthodologie de

l’école. En fait, l’étudiant ne peut jamais choisir arbitrairement les ouvrages à étudier,

c’est à son Sheikh de lui déterminer les ouvrages à étudier, à côté de son cursus, selon

son niveau. Quant à l’étude autonome dans les ouvrages de fiqh, elle est réservée pour

ceux qui ont acquis le niveau avancé en jurisprudence. Grâce à ses études auprès des

shuyûkh, l’étudiant ayant atteint ce niveau avancé penchera tout seul vers les ouvrages

pour profiter de l’immense savoir des savants en utilisant les fondements de l’école.

Pire encore, certains autodidactes commencent à enseigner la jurisprudence

d’après leur propre compréhension. Cependant, l’enseignement du fiqh est réservé à

ceux qui ont maitrisé l’école et sa méthodologie. En effet, l’apprentissage auprès des

savants est indispensable pour acquérir une pensée juridique saine et une

méthodologie bien ancrée selon les règles de l’école suivie.

Selon la méthodologie classique, l’étudiant doté d’une ’ijâza ne saute pas les

étapes pour se mettre à enseigner directement. Il doit passer par des stages

d’enseignement où le Sheikh charge l’étudiant de certaines missions d’enseignement

en sa présence. Ces stages octroient l’étudiant les outils d’enseignement et de

transmission de la science d’après la méthodologie classique.

C’est pourquoi l’étude auprès des savants assure une protection de la

communauté contre les pseudo-savants qui se disputent à enseigner ce qu’ils n’ont pas

appris avec les shuyûkh. L’imam Malik fit une recommandation à ses étudiants en ces

termes :

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.ال تحِمل العلَم عمَّن لم يُعرف بالطلب، ومجالسِة أهل العلم :لا ئمالك بُن أنٍس قا أوصى

« Lâ taḥ - ‘ n yuʿr f b -al-ṭalab wa- ujâ s t ’ h - ʿilmi »

« N’apprends jamais l’enseignement d’un homme qui n’est reconnu ni pour avoir tiré

son savoir auprès des véritables gens de science, ni pour les avoir fréquenté »1.

De même, nos shuyûkh décrivent le cas de ces gens en annonçant la règle de

comportement suivante :

» صوابه كثر خطؤه وقلَّ ،من كان شيخه كتابه«

« M n kân š yḫuhu kitâbuhu, kaṯura ḫ t ’uhu w -qalla ṣawabuh »

« Celui pour qui les livres ont constitué le Sheikh, amplifiées seront ses âneries et

diminuée sera sa raison ».

2- Le rôle des « ’ijaza » dans la jurisprudence

Le mot « ’ijaza » signifie littéralement une autorisation. Dans les sciences

islamiques, c’est un certificat dont la valeur scientifique se détermine d’après sa

nature qui peut être « ’ijazatu al-riwâya » ou « ’ijâzatu al-dirâya ».

Le premier type est basé sur la riwâya qui signifie littéralement : « narration ».

Cette ’ijâza donne son porteur le droit de transmettre une parole, un hadith, un livre …

Elle est octroyé après le suivi d’une lecture ou d’une récitation d’un ouvrage. Alors,

elle n’atteste d’aucun niveau scientifique et ne donne à son porteur aucune

autorisation d’enseignement. Tout simplement, son porteur est doté d’une possibilité

de transmettre l’objet de la ’ j z , il devient un simple narrateur dans la chaine de

transmission.

Par contre, le deuxième type de ’ijâza, « ’ijâzatu al-dirâya », est basé sur la

notion de dirâya qui signifie littéralement : « avoir les connaissances ». Cette ’ jâz

n’est donnée qu’après un examen pointu et profond dans le contenu du livre. Elle

donne à son porteur le droit d’enseignement et de transmission de son objet. Ce type

d’ijâza est aussi nommée ’ jâz scientifique. Le niveau de l’étudiant se détermine

d’après le contenu de la ’ijâza. Une ’ijâza d’enseignement d’un ouvrage signifie

l’autorisation d’enseigner cet ouvrage, tandis que l’ijâza dans le madhab est donné

suite à l’étude d’un cursus prédéterminé constituant la base de l’école. Cette dernière

’ jâz signifie que son porteur est devenu un mufti d’après l’école. Cependant,

quelques écoles admettent une particularité à ce niveau, par exemple, le degré de ifta’

est donné chez les Shafiite avec l’octroie d’une ’ijâza en Minhâj al-Tâlibîn de l’imam

al-Nawawî ainsi qu’avec l’octroie d’une ’ijâza dans l’école.

La transmission du savoir « de bouche à oreille », par les ’ jâz te scientifiques,

assure la qualité de l’enseignement et évite les contresens et les compréhensions

déformées des textes. Cette qualité de l’enseignement est prouvée par les ijazate qui

1- D’après l’imam Ibn Hajar al-‘Asqalâni: « Liçane al Mizâne », vol.1, p.205.

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assurent l’authenticité de l’enseignement. De même, l’ijaza accordée par le savant

pour habiliter son étudiant à transmettre les enseignements d'un livre

déterminé garantie la transmission par un socle de confiance. L’étudiant est, de droit,

autorisé à enseigner l’ouvrage objet de l’ijaza.

De plus, les deux types d’ijâza, constituent une narration de l’ouvrage d’après

le cheikh jusqu’à l’auteur de l’ouvrage. L’apprentissage avec les chouyoukh oblige

l’étudiant à « contrôler » sa copie de l’ouvrage étudié. La copie doit être corrigée afin

d’être conforme au texte de son professeur qui, avant lui, avait corrigé la sienne

conformément à celle de son professeur jusqu’à remonter à l’auteur de l’ouvrage lui-

même. Ce contrôle assure que la copie devient conforme au texte original rédigé par

l’auteur. L’absence de ce contrôle de la copie signifie que le lecteur adopte une

version selon la narration de la maison d’édition ! Cette correction est indispensable

pour assurer l’authentification de l’ouvrage surtout lorsque les manuscrits de

l’ouvrage sont divergents.

C’est pourquoi le certificat scientifique, « ijâzatu al-dirâya », assure une

authenticité de l’enseignement et du savoir. Nos Shuyûkh disent : « le sheikh n’est pas

celui qui prétend être savant, ni celui que les gens du commun considèrent comme tel.

Le savant est celui qui a été recommandé par des savants qui, à leur tour, ont été

recommandés par des savants, en remontant jusqu’au Prophète – que Dieu prie sur lui

et le salut. Lorsque tu comprends cette règle, ta confusion disparaîtra ».

3- Le rôle des chaînes de transmission dans le fiqh : particularité de

l’école chafiite

Le Prophète Salla Allah ‘alayhi wassallam a dit : « Certes Allah n’enlève pas

la science en la retirant de la poitrine des savants, mais il l’enlève avec la mort des

savants jusqu'à ce qu’il ne reste plus de savants » (rapporté par Tirmidhi). Ce hadith

prouve explicitement que ce sont les savants qui conservent la science et non pas les

ouvrages.

Les savants chafiites ont donné aux chaînes de transmission une attention

particulière. Contrairement aux règles générales, les savants chafiites

adoptent oralement certaines opinions de l’école à partir des chaînes de transmission

sans mentionner le choix de ces opinions dans les ouvrages de l’école. Notons

cependant que ces chaînes ne présentent pas de nouvelles opinions absentes des

ouvrages de l’école, mais elles attestent de ce que les chouyoukh ont choisi parmi les

opinions fortes de l’école, sans toutefois que ce choix soit adopté dans les ouvrages de

l’école. Ces choix sont transmis d’après les chouyoukh, de l’un à l’autre, jusqu’aux

grands savants de l’école. Généralement, l’objectif de ces choix particuliers est

l’élargissement des choix et des débats afin de faciliter aux gens.

Parmi ces opinions soutenues et choisies par les chaînes, nous trouvons

l’autorisation de faire le tayammum avec tout ce qui est pur. Ainsi, l’opinion adoptée

dans l’école est la restriction du tayammum à la terre (turab). Donc, contrairement à

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ce que la majorité croit, le tayammum par tout ce qui est pur est une opinion choisie

dans l’école. Cette opinion est choisie par nos shuyûkh d’après leurs chaînes de

transmission. Mon cheikh m’a dit : « nous demandions à notre cheikh sur certains de

ses choix – en croyant qu’ils lui étaient propres – il nous répondait que ce n’est ni son

propre choix ni mentionné dans les ouvrages de l’école, mais qu'il a plutôt été

transmis de bouche à oreille (muchâfahatan) d’après les savants ». Le résultat de cette

transmission est l’adoption de l’autorisation de faire le tayammum par tout ce qui est

pur contrairement à l’avis choisi dans les ouvrages de l’école parmi les diverses

opinions de l’école sur le sujet.

Par conséquent, celui qui essaye d’apprendre la jurisprudence tout seul perd

une partie de cette science.

Conclusion :

La voie de la science est ouverte à tout musulman afin d’apprendre et de

s’élever en savoir. Cependant, il faut bien choisir quoi étudier en jurisprudence et avec

qui étudier. Le choix du programme dépend du niveau de l’étudiant tandis que le

choix du professeur dépend de sa formation. Il ne faut chercher à apprendre qu’auprès

d’un savant spécialiste, on n’apprend pas la science des fondements de la

jurisprudence auprès d’un historien ou d’un spécialiste en science de hadith, ni le

hadith auprès d’un juriste… De même, il faut aussi respecter la spécialité entre les

écoles juridiques. Un juriste hanafi ne doit pas enseigner du fiqh chafii ou maliki.

Sinon, les résultats catastrophiques du dépassement de la spécialité se manifestent par

des fautes graves. Les savants affirment sur ce sujet ce qui signifie :

ائبعجم في غير فنه أتى بالمن تكل

« Man takallama fî ḡayri fannihi a’atâ bil-ajâ’ib »

« Celui qui parle hors de sa spécialité présente des avis fantaisistes »2.

De plus, la jurisprudence dépend toujours de la qualification du professeur et

son habilitation à enseigner correctement. Cela assure la qualité et l’authenticité de

l’enseignement donné qui se prouve par l’ijaza scientifique. Nous constatons que le

professeur doit avoir une autorisation d’enseignement de l’école ou au moins de

l’ouvrage objet d’étude.

Concluons par la demande à Allah Le plus Puissant de nous guider et de nous

élever en science et en foi.

Dieu est plus Savant.

Abû Zakariyyâ al-Ḥussaynî al-Shâfiʿî

2- Tirée de la parole de l’imam Ibn Hajar al-‘Asqalâni: Fath al-Bârî, vol.3, p.584.