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Sous le sceau de l’Université Européenne de Bretagne Université Rennes 2 Ecole Doctorale Sciences Humaines et Sociales Centre de Recherche sur l’Education, les Apprentissages et la Didactique EA 3875 Jouer le jeu Une approche compréhensive de l’efficience éthique Thèse de Doctorat en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives dirigée par Yvon LEZIART et soutenue le 30 Juin 2009 par Frédéric BOZZI Membres du jury Monsieur Marie – Joseph BIACHE, Professeur, Université Clermont-Ferrand 2 (Président du jury) Monsieur Jean GRIFFET, Professeur, Université Aix-Marseille 2 (Rapporteur) Monsieur Philippe SARREMEJANE, Professeur, Université Paris 12 (Rapporteur) Monsieur Yvon LEZIART, Professeur, Université Rennes 2 Bozzi, Frédéric. Jouer le jeu : une approche compréhensive de l'efficience éthique - 2009 tel-00416381, version 1 - 14 Sep 2009

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Une approche compréhensive de l’efficience éthique

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  • 1. Sous le sceau de lUniversit Europenne de Bretagne Universit Rennes 2 Ecole Doctorale Sciences Humaines et Sociales Centre de Recherche sur lEducation, les Apprentissages et la Didactique EA 3875 Jouer le jeu Une approche comprhensive de lefficience thique Thse de Doctorat en Sciences et Techniques des Activits Physiques et Sportives dirige par Yvon LEZIART et soutenue le 30 Juin 2009 par Frdric BOZZI Membres du jury Monsieur Marie Joseph BIACHE, Professeur, Universit Clermont-Ferrand 2 (Prsident du jury) Monsieur Jean GRIFFET, Professeur, Universit Aix-Marseille 2 (Rapporteur) Monsieur Philippe SARREMEJANE, Professeur, Universit Paris 12 (Rapporteur) Monsieur Yvon LEZIART, Professeur, Universit Rennes 2 Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 2. 2 Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 3. 3 REMERCIEMENTS Monsieur LEZIART pour ses exigences quant au travail empirique Messieurs HEAS et RONCIN pour leurs objections AUX Joueurs de prrgionale des clubs de Saint-Brieuc, Pordic, Yffiniac et Goudelin Prsidents des clubs de Saint-Brieuc, Pordic, Yffiniac et Goudelin Membres du Comit Dpartemental de Tennis de Table, en premier lieu Michel Scherlin AUX PARTENAIRES AVISES DE DISCUSSION QUONT ETE Michel GADAL, Directeur Technique National de la Fdration Franaise de Tennis de Table Yves REIGNIER, Directeur Technique De Zone de la Fdration Franaise de Tennis de Table Kenny RENAULT, Conseiller Technique Fdral de la Fdration Franaise de Tennis de Table Robert URIAK, professeur agrg de philosophie Frdric ROUDAU, professeur agrg de philosophie Yann LE GALL, ducateur spcialis Andr MICHEL, sculpteur Sverine RICHARD, photographe Jrome HAMY, graphiste Sylvain ROLLAND, dessinateur pour enfants Jean-Pierre LE GALL, pastelliste Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 4. 4 Jouer le jeu Une approche comprhensive de lefficience thique Si lthique nest pas illusoire, comment comprendre son efficience ? La question ncessite didentifier des complexes objectifs de sens et daction. Il sagit en effet de se placer du ct du corps pour ne plus verser dans lternel dbat idologique qui, prcisment, lude la question. Un travail empirique simpose, que nous engageons dans un championnat dpartemental de tennis de table. Nous ne pouvons au demeurant mettre en relation sens et actions sans penser le plan sur lequel les apposer. La comparaison nave conduit en effet rabattre inconsciemment les lments actionnels sur lunique plan de la reprsentation. Do la ncessaire induction dun plan dapposition partir de la frquentation mthodique du terrain. Cette construction ne peut se faire aux dpends des acteurs, sources du sens thique et des actions effectives, mais doit tre conforme une pistmologie de la complexit et de limmanence. Au terme dune dmarche graduelle qui vise la connexion de la posture et du terrain, nous dterminons ainsi le jeu comme plan dapposition. Jouer le jeu , cest raliser un bien dans et par des actions sportives. En en identifiant les dclinaisons, nous laborons des complexes de sens et daction. Ceux-ci sont dduits selon un principe gnalogique partir des donnes dj collectes. Aprs leur analyse mthodique, nous sommes en mesure de faire une description dtaille du processus defficience qui a cours dans un change type. Nous dfendons par l lide que lthique adjoint au dsquilibre, cur inconscient du mouvement et dimension physiologique de la motivation, une nuance qui lui assure perduration dans un monde de lquilibre institu. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 5. 5 SOMMAIRE TOME 1 Jouer le Jeu : une approche comprhensive de lefficience thique 1- Introduction : la question de lefficience thique p8 1- Le dbat apologie-critique p8 2- Le rejet du plan idologique p12 3- La question de lefficience thique p15 4- Les lusions traditionnelles de la question de lefficience p24 5- Une approche comprhensive p33 6- Le terrain p40 7- Le processus de recherche p44 2- Gnalogie de la question de lefficience thique p49 1- Linterprtation philosophique de laction sportive comme signifiant thique p51 2- Lpreuve dsillusionnante du rel p52 3- La raction critique dans les sciences humaines p54 4- Labandon de la posture critique p57 5- La science descriptive de lillusion dthique p59 6- Le retour au problme de lefficience thique et le glissement de terrain p61 7- Dduction de principes pistmiques p64 3- Epistmologie de la question de lefficience thique p67 1- La ncessaire construction dun plan dapposition p67 2- Le rejet des plans transcendants p68 3- Le plan dimmanence p71 4- Les dterminations minimales de lthique efficiente p75 5- Sujet et monde p82 6- Inconscients et libert p86 7- Cadre thorique : motivation et institution p93 4- Mthodologie : la construction inductive du plan dimmanence p104 1- La frquentation du terrain comme hypothse en acte p104 2- La connexion de la posture et du terrain p107 3- Le systme du jugement comme point de dpart p109 4- La mthode pour sortir du systme du jugement p112 Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 6. 6 5- Le processus effectif de mutation p116 6- Rsultats p119 7- Le plan ludique comme plan dimmanence p131 5- Axiologie : la construction dductive des complexes de sens et daction p137 1- La dtermination de faons de jouer p137 2- La ncessaire compatibilit des faons de jouer p141 3- Gnalogie sociale des faons de jouer p143 4- Dduction des lments axiologiques actualisant les biens sociaux p148 5- Gnalogie existentielle des faons de jouer p155 6- Rsultats : six tables de complexes de sens et daction p168 7- La pertinence des donnes quant au problme de lefficience thique p188 6- Une analyse comprhensive de lefficience thique p192 1- La formulation dune hypothse au sujet de la contagion dun mouvement p192 2- La dfinition du mouvement comme dplacement et sa critique p193 3- Lpaisseur du mouvement humain p194 4- Le mouvement comme dsquilibre p196 5- Lhypothse quant lefficience thique sur les mouvements effectifs p199 6- La mthode du traitement des donnes p203 7- Analyse des donnes et explicitation des rsultats p205 7- Conclusions p224 1- Une conceptualisation de lefficience thique p224 2- Discussion p229 3- Applications p232 4- Gntique de la thse : dsquilibre et thique de la recherche p235 5- Ouvertures p238 6- Une cologie p238 7- Une gyncologie p240 8- Bibliographie p243 1- Ouvrages p243 2- Articles p251 9- Glossaire p257 Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 7. 7 TOME 2 Annexes 1 : entretiens et observations 1- Introduction p2 2- Joueurs et rencontres de prrgionale p3 Distance 1 p4 Distance 2 p23 Distance 3 p39 Distance 4 p47 Distance 5 p72 Distance 3 p79 Distance 4 p81 Distance 5 p82 3- Comit dpartemental p87 Distance 1 p87 Distance 2 p88 Distance 3 p89 Distance 4 p90 Distance 5 p91 4- Club de Goudelin p92 Distance 1 p92 Distance 2 p93 Distance 5 p94 TOME 3 Annexes 2 : vrifications 1- Vrifications des catgories induites de la distance 1 p4 2- Vrifications des catgories induites de la distance 2 p24 3- Vrifications des catgories induites des distances 3 et 3 p34 4- Vrifications des catgories induites des distances 4 et 4 p42 5- Vrifications des catgories induites des distances 5 et 5 p56 6- Vrifications des faons de jouer dduites la distance 6 p65 7- Vrifications des lignes de dveloppement social p105 8- Vrifications des lments idiosyncrasiques p131 Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 8. 8 1- Introduction : la question de lefficience thique 1-Le dbat apologie-critique 11- Lapologie En matire de sport, parler dthique est un rflexe. Rares sont les discours qui ne font pas talage des vertus intrinsques lacte de jouer avec son corps, des lignes, des projectiles et les autres. Homo Sporticus convoque et voque quelque chose de fondamental lhumanit, lthique relve du fondamental, donc les deux ont partie lie. Jeu (87) signale ainsi un lien entre leffort dsintress du sportif et limpratif catgorique de Kant : on soblige beaucoup pour jouer, alors quon joue pour jouer. Baillet (01) lui fait cho, pour qui la belle histoire du sport atteste de lexistence dun esprit sportif oeuvrant comme une me ou un principe transcendant et universel . Les tenants du mouvement olympique insistent dailleurs, feignant de demander : o trouve-t-on de manire aussi intense ce qui construit ces valeurs sans lesquelles un homme reste quai toute sa vie ? pour mieux assurer que lthique, devenant le principe fondateur des activits humaines, inscrit les finalits du sport dans le processus universel de civilisation (CNOSF, 06, p168). Au final, on fait comme si tre sportif serait tre moral (Vigarello, 04). On ne va pas jusqu revendiquer lexclusivit morale, mais on met en avant lexemplarit dune saine exigence qui par elle-mme pourrait impulser des mouvements rdempteurs et pacificateurs par del le terrain. La morale inhrente au sport devient ainsi larchtype moral. Do lextrme tendance cultiver des discours proslytes et moralisateurs aux sujets et au sujet du sport. Car sy jouent laccomplissement de chacun dans la joie de leffort et laccomplissement de tous dans la puissante socialisation quil fait natre. Faire du sport, cest apprendre agir en fonction de certaines valeurs (Hotz, 98). Faire du sport, cest apprendre se connatre et se matriser. Faire du sport, cest apprendre connatre les autres et les respecter. Faire du sport rapproche les peuples et lutte contre les guerres (Belmihoud, 06). En rsum, la pratique sportive ncessiterait le recrutement de qualits morales autant quelle dvelopperait les qualits morales. Plus prcisment, on entend que les qualits sociales sont ncessaires pour pratiquer autant que la pratique dveloppe des qualits transfrables la vie sociale. Le sport sert lpanouissement de la personne et du citoyen, de la dignit et du vivre ensemble, de la libert et de lgalit. Lexemple traditionnel de lascension par le sport porte ainsi en lui les deux versants des bienfaits sportifs : russite personnelle dans et par le social, russite du dispositif social dans et par la personne. Srandour crit dailleurs, dans la prface de louvrage du CNOSF (06) qui se veut contribution du mouvement sportif la socit franaise , vouloir affirmer un certain nombre de ralits simples pour que soit davantage reconnu le rle social voire socital du mouvement sportif . Dans cette optique, le recours au nom de Pierre de Coubertin fonctionne comme un signe de ralliement. Adam (07) affirme ainsi que le sport perfectionne et cultive une morale dmocratique qui fait rver lquilibre du plaisir et de la volont, de linitiative et de la solidarit, des mots qui font chos ceux que De Coubertin crit dans la Revue sportive illustre (20) : leffort des muscles et celui de la pense, lentraide et la concurrence, le patriotisme et le cosmopolitisme intelligent, lintrt personnel et labngation de lquipier, assembls en faisceau pour un labeur commun . Jeu voit mme le sport comme contre-socit exemplaire qui ralise lgalit comme prsuppos et constitue une base empirique pour des valeurs comme lgalit. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 9. 9 12- La critique Le revers de la mdaille, cest que dautres sacharnent observer avec autant dardeur que de dsenchantement les ralits sportives : triche et dopage, violence envers lautre et envers soi, morts symboliques et morts relles, caution dun systme conomique ravageur, lieu propice attiser les haines et dclencher les conflits intestins et mondains que les socits tentent lordinaire de gommer. Il sagit ds lors de dnoncer les vidences contrefactuelles : un footballeur nest pas ncessairement un bon pre, un bon patriote, un bon ambassadeur de la paix du seul fait quil dirige magnifiquement un ballon au centre dune quipe et dun terrain. Le discours sportif recle mensonges et manipulations. Ces mots de Coubertin (31) au sujet de la mise en place du mouvement olympique en tmoignent : on se disputait ! Excellent ! Rien de tel pour asseoir un comit que de voir les candidats boxer alentour . Loin des discours hagiographiques, Arnaud (Coubertin, 31) commente dailleurs au sujet du baron : il est calculateur, intrigant, opportuniste, manipulateur. Quun sort contraire sacharne sur lui, il devient dsagrable, capricieux, colreux, vex de ne pas tre reconnu pour ce quil dsire tre , avant de stipuler que sa qute de reconnaissance sociale est une fuite en avant lissue incertaine . Dury (94) rappelle aussi quil voulait faire entrer le sport lcole en dfonant la porte, ou mieux, en la faisant dfoncer par les potaches . La violence du projet peut dailleurs relever du symbolique : par exemple quand le sport contraint la foule sans quelle peroive le sens qui lui est impos (Andrieu, 02). Comme les apologues voquaient le recrutement et le dveloppement de qualits morales, les critiques affirment que les qualits amorales sont ncessaires la pratique autant que la pratique les alimentent. Le sport dveloppe en ce sens la comptition et lagressivit. Il rduit le sujet un automate, une machine produire , et rend le spectateur passif. Ellul (91) signale ainsi que la valeur de la technique rside dans la russite et lagressivit. Brohm (94) confirme, qui note que les rfrences la scientificit conduisent une double rduction : celle du sujet un ensemble de ractions observables dans des situations exemplaires (alors quil est projet existentiel), celle de la corporit la motricit et au mouvement sportif. Bredemeier et Fields (83) euphmisent pour leur part la prtention morale : la dynamique de comptition, la protection confre par les officiels et les rgles et la relative inconsquence des intentions sportives contribuent dcharger les pratiquants de la demande habituelle en matire de moralit (p24). Les discours critiques insistent galement sur la connotation sociale de cette amoralit. Lenfermement et la contrainte sont ncessaires pour pratiquer, pendant que la pratique dveloppe des qualits transfrables, qui plus est ncessaires, la socit capitaliste. Brohm (93) dcrit ainsi lefficience relle de la morale sportive comme transmutation de lhomme en machine produire par le biais dune reformulation du sens de lexistence au service de la civilisation capitaliste. Il cite Coubertin, qui avance le stuggle for life comme loi de la vie scientifiquement dtermine. Le sport napparat donc plus comme prparation la citoyennet, mais bien plutt comme moyen denfermement. A preuve les crises et angoisses du retour la vie sociale chez les sportifs de haut-niveau. Brohm (93) sattache mme montrer le lien historique qui existe entre sport et nazisme : dfil, volont de force, puret, domination en sont autant de signes. Nous pouvons dailleurs en voir dautres dans ces mots de Coubertin que cite Dury (94) : Berlin, on a vibr pour une ide que nous navons pas juger, mais qui fut lexcitant passionnel que je recherche constamment . Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 10. 10 13- La controverse Face ces attaques critiques, les apologues argumentent. Certes la ralit ne correspond pas son idal thique, mais celui-ci intervient comme force rgulatrice de la confrontation. Prenant acte des possibles dviances, les tenants de lolympisme signalent dautre part qu il est indispensable davoir recours une rgulation dans la confrontation : cest le rle de lesprit sportif ou fair play , qui consiste cder pour viter une querelle (CNOSF, 06). Cette rgulation morale sapplique galement au politique : pour tre un vrai sportif, le dirigeant doit dabord tre un honnte homme. Perdre le sens de lhonntet est admettre linjustice, la dloyaut, le trucage jusque dans les licences de sport . Or cette force rgulatrice est ncessairement plastique. Analysant la mythologie de la solidarit sportive, Lefvre (98) prcise ainsi que si le sport nest pas le refuge de valeurs quil prtend tre, la logique antinomique qui le constitue est nanmoins prendre comme une reconnaissance de la complexit du monde. Elle sappuie sur Simmel ( lhomme est ltre de liaison qui doit toujours sparer et qui ne peut relier sans avoir spar ) pour avancer quHomo sporticus spare et rassemble en mme temps. Ds lors, contre lide que le sport revendiqu de haute vertu ne le serait pas par nature, mais par tout un systme de contraintes qui visent assujettir ce corps de lexubrance et de lexcs , Lefvre (97, p77) demande : ne peut-on pas imaginer la morale sportive comme une arme adaptative ? . Le sport est en effet dialogique, donc ne peut accueillir une morale totalitaire. Ehrenberg (91) va en ce sens, qui crit que les discours sportifs ne sont ni vrais ni faux, ils indiquent seulement la plasticit infinie du sport . La moralit, le fondement ou le principe dfiniraient ainsi le vrai sport. Le mme Ehrenberg (91) crit dailleurs : quand [par le sport] on encense les valeurs de lentreprise, ce nest pas la disciplinarisation de la force de travail, mais laction dentreprendre elle- mme . Dans cette perspective, le sport serait lincarnation des valeurs mritocratiques, il ferait la synthse harmonieuse entre concurrence et justice, puisque la justice est le produit de la concurrence : le premier est toujours le meilleur. Le sport est en ce sens spectacle de la juste ingalit : on peut certes constater quil y a des ingalits en acte, mais le plus important est que le principe soit galitaire. Ds lors, les apologues rappellent que le sport doit rester fidle sa vrit : le mouvement sportif est le premier mouvement associatif : association dides, dhommes, dactions. Lactivit doit rester en liaison avec son fondement. Le mouvement sportif se doit de raffirmer son attachement indfectible la continuit de la masse et de llite, et son unicit, au-del des diffrences avec ses composantes (CNOSF, 06). Cest dire quil doit accomplir sa nature galitaire vritable. Jeu (93) signale dautre part que la question est celle de savoir pourquoi on fait du sport, non pas celle de savoir pourquoi on fait faire du sport. La perspective renvoie au sujet. Ds lors Brohm, qui prtend que le sport encourage vivre le jeu sur le mode de la socit comptitive qui opprime les hommes, sous-estimerait la capacit des sportifs se comprendre eux-mmes. Notons en outre que si les foules vont vers quelques dous, ce nest pas en fonction des finalits, mais en fonction du dsir : la critique a beau changer les reprsentations au sujet du sport, lattraction est trop forte, qui appelle laccomplissement du dsir et une nouvelle modification des reprsentations. La philosophie du dsir dont se rclame Brohm ntant dailleurs pas formule, la critique de la critique sy engouffre : Jeu (93) fustige une vague morale du dsir . Dans la ligne de celui-ci, Griffet (97) rtorque la critique que le sport nest pas quune institution : cest aussi un phnomne en volution relevant dune libre adhsion des pratiques, le lieu dune cration dutilisations du corps et dinachvement des thiques. La dsillusion peut dailleurs tre elle-mme cratrice de lien social. Qui plus est le Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 11. 11 progrs social souvent critiqu par Brohm peut tre compris comme consquence dune activit dont le sens se rsume au jugement esthtique, parfaitement subjectif en lui-mme : le sport est pratiqu parce quil plait. Ce qui lie les individus est en ce sens propre leur activit, lintensit de ce qui est vcu : le sport peut tre conu comme base empirique do merge le principe dgalit, puisque se tenir la limite de ses possibilits, l o les chances de russir ou dchouer squivalent, cest tre une limite intensive, l o le sentiment est fort. Le progrs est ainsi la consquence logique de la recherche dmotions soutenues. Face ces arguments, la critique se radicalise. Emerge lide que lidal thique nest rgulateur quen tant que masque. Cest la fonction idologique qui est ici dnonce, en rfrence au marxisme : sur les diffrentes formes de proprits, sur les conditions dexistence sociale slve toute une superstructure dimpressions, dillusions, de faons de penser et de conceptions philosophiques particulires. La classe ouvrire toute entire les cre et les forme sur la base de ces conditions matrielles et des rapports sociaux correspondants. Lindividu qui les reoit par la tradition ou par lducation peut simaginer quelles constituent les vritables raisons dterminantes et le point de dpart de son activit (Marx, 52, p47). On peut encore citer Althusser (71, p238) : lidologie comme systme de reprsentation se distingue de la science en ce que la fonction pratico-sociale lemporte en elle sur la fonction thorique... Les socits scrtent lidologie comme lment indispensable leur respiration . Le sport est ds lors conu comme opium du peuple et les discours comme superstructure. La rfrence Machiavel (99) peut dailleurs sonner la charge de la dmystification du pouvoir de paix reconnu au sport : peut-on remettre le destin de la cit entre les mains de deux champions ? Non, car les vaincus ne pourraient accepter les consquences dune dfaite fictive : si la violence intrinsque au sport est symbolique, la paix laquelle elle doit conduire nest que fictive. Vigarello (04) note en ce sens quon a attribu au sport des qualits intrinsques qui ne sont que des exigences qui le transcendent (par exemple, lgalit comme idal venant du social). Dans cette perspective, Brohm conoit le discours sportif comme prdication idologique, discours performatif qui dcrte existant ses souhaits. Cette pense du dsir affirme la ralit de ses illusions dans un discours qui nonce un corps de valeurs, de jugements de valeurs ou dtalons axiologiques (Weber), en fin de compte une conception du monde. Do la ncessit de dconstruire les ides axiologiques, car elles tablissent une distorsion entre jugement de valeur et savoir empirique. Fougeyrollas (in Brohm, Baillette, 95) affirme ds lors qu il nest de sociologie fondamentale que critique . Le sport ne peut rien en ralit, cest ce quil sagit de mettre jour. Notons certes ltrange transfert sur lefficience sociale du sport : que peut une activit qui ne peut rien pour elle-mme ? Il faut dnoncer le si , mot prfr du sport qui permet de transformer le dsir en valeur, ou encore son ontologie idologique : la comptition serait lexpression de lessence humaine, le sport serait une sublimation de cet instinct ; refuser la comptition, ce serait refuser la vie. Il sagit de dnoncer lhypocrisie des rcuprateurs qui omettent de parler de la fondamentale dimension conflictuelle du sport, presque tous les niveaux de pratique dailleurs, et pas seulement dans le sport spectacle. Il sagit de dnoncer la fonction hallucinogne des discours thiques qui masquent lintrt mdiocre et la plate posture symbolique des beaux parleurs, comblent les vides techniques et les incomptences des rcuprateurs. Moscovici (91) fait en ce sens une rflexion propos des reprsentations sportives : le sport en tant que fait culturel (tant du point de vue anthropologique quthique et axiologique) saffirme dabord par les visions du monde quil vhicule ; or dans le professionnalisme, le corps est transform en pure fabrique nergtique qui refoule toutes les dimensions affectivo- pulsionnelles risquant dentraver le succs. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 12. 12 La critique senorgueillit en outre dun bilan consquent. Quand Elias et Dunning (94) vont contre lide admise (on la trouve chez Caillois, Huizinga, Coubertin, Bouet) que toute socit a amnag en son sein le sport, Brohm (95) avance que la thorie critique la dit bien avant. Cest arguer dune efficience de la critique : des faits nis il y a dix ans sont agits aujourdhui comme des vidences. Il prcise ainsi qu aux objections de nihilisme nous opposons les bilans La thorie critique a fait avancer la connaissance du sport cent fois plus vite que les dissertations sur les techniques sportives, lthique, la dmocratie galitaire, et bien plus srieusement que les enqutes sur les pratiques sportives des franais Nous scions mthodiquement les branches de larbre sportif en anantissant les unes aprs les autres ses illusions (p14). Ce mouvement critique est n en mai 68, annonc dans un article (sport, culture et rpression) du n43 de la revue Partisans qui prcise lentreprise de dconstruction des principes, catgories, valeurs et finalits du sport bourgeois contemporain. Or Brohm affirme que, depuis, Quel corps ? considre que toute transformation du sport passe par le renversement du capitalisme et ltablissement dautres rapports sociaux, linstauration dautres valeurs : respect, coopration, dveloppement harmonieux, solidarit Une utopie porteuse de sens et despoir. Et lutopie est une force productive (p40). Cette valeur serait ainsi efficiente dans et par sa dnonciation de linefficience des valeurs sportives traditionnelles. 2- Le rejet du plan idologique 21- La valorisation dans le systme du jugement Malgr les prtentions respectives, force est de constater que le dbat reste aportique. La rfrence Coubertin est par exemple elle-mme loccasion de dbats idologiques : soit on dit quil est acteur, pas un rveur, soit on dit quil est surtout penseur abstrait. La pice noue dailleurs une trange intrigue quand on voit les protagonistes donner le change leurs adversaires au point daller dans leur sens : alors quon shabituait une opposition des arguments de raisons et des arguments de cause, dacteur et de structure, de rve et de ralit, ceux qui par got laissent les positions extrmes comme repoussoir moral se laissent aller lamalgame. Les deux positions peuvent en effet tre adoptes successivement pour peu quon veuille sassurer de disposer aux yeux des autres dun discours avis sur la chose sportive. Ainsi des journalistes sportifs du service public qui tantt racontent avec force motion la fabuleuse histoire dun hros du patrimoine, tantt se gaussent sur une annexe de la chane de la navet de ceux qui auraient pu y croire. Et pourtant les oscillations dopinion semblent chaque fois se rclamer dune sincre exigence thique ! Celle-ci devient si plastique quon peut en faire ce quon veut et la plier aux exigences de la situation du moment. Lre moderne est ladaptation, loin des morales rectes de nos anctres. En matire dthique, tout est permis. Nous vivons ainsi sous le rgne du jugement de valeur, systme de socialisation plus puissant que lobjet sur lequel il se prononce. Car mettre un jugement permet chaque fois de se placer du bon ct et dactualiser sa lgitimit le formuler. Juger quelque sportif amoral, cest dvaluer ses actes au nom de principes dont on se rclame, ce qui implique de faire comme si on suivait ces principes alors mme quon en rfrera dautres pour lgitimer telle action dviante. A lexigence de justice invoque pour tel contrevenant succdera le plus naturellement du monde lthique de plaisir, pour peu que le juge soit jug. Juger cest se mettre en valeur, tous le partagent et chacun le cautionne tant quil en sort grandit. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 13. 13 Cette tendance confiner lthique au domaine du jugement se fait galement jour dans un certain nombre danalyses. Quand Sirost (97) propose den revenir aux phnomnes empiriques, ce qui se donne vivre, en bref, aux jugements de faits plutt quaux jugements de valeur , il opre un tel rabattement sur le plan du jugement. Chappuis (99) de mme, qui veut prouver que la vie sociale est effectivement rgie par la solidarit en arguant du fait que nous ne pourrions dnoncer les drives comme drives si ce ntait pas le cas ; cest dire que ce qui est rel, cest le jugement. Philonenko (99), remarquant que la mmoire de lactivit sportive ne cesse de grandir, justifie cette ralit en expliquant que la morale repose sur les techniques denregistrement : le problme, cest justement que le jugement est une ide qui peut oublier les corps exprimentaux. Or le jugement est bien enregistrement en conscience dune ralit vcue ou observe. 22- Le plan commun des deux postures : lide Oprer sur lunique plan du sens, cest soctroyer la possibilit de parler du sens idel. Les apologues le revendiquent dailleurs. Les tenants du mouvement sportif veulent ainsi que le code dthique europen soit un mode de pense, pas seulement un comportement . Coubertin (31) lui-mme voulait scinder lide olympique de ses actualisations ou ralisations. Au seuil de son rcit, il expose cette exigence de sparation de lide et de laction, fustigeant ses interlocuteurs qui ne parvenaient pas saisir [sa] pense, interprter cette chose oublie : lolympisme, et en sparer lme, lesprit, le principe des formes antiques qui lavaient enveloppe (p9). Il fera tout par la suite pour se garder de jamais laisser les Jeux sannexer quelquune de ces foires au milieu desquelles leur valeur philosophique svapore (p58), remarquant en outre que le vrai pril tait dans leffritement de lide olympique (p161). Il dfinit ainsi les membres du CIO comme les trustee de lide olympique qui avaient charge den imprgner les concours , ajoutant que cela ne les rendaient pas comptents pour se substituer aux techniciens dans la conduite mme de ces concours (p71). Cest dire que lesprit olympique est distinct des corps qui laccomplissent. Coubertin impulse encore en 1906 la cration de concours darchitecture, de sculpture, de musique, de peinture et de littrature pour toutes uvres indites directement inspires par lide sportive (p81) : les arts sont autour du sport, et non pas dans le sport. Dury (94), affirmant que cet idaliste parvint raliser nombre de ses ides , fait lui-mme cho cette tendance sparer initialement esprit et corps. La propension donne dailleurs une prise solide aux critiques : quand on parle des corps souffrants, on peut aisment voir les belles ides comme les masques dune pnible ralit. Jeu (93) prtend pourtant que le sport est loccasion de matriser la ralit par la construction de son symbole. Quand lhomme ne peut plus agir directement sur les choses, il agit sur leur symbole pour se sentir chez soi dans le monde. En symbolisant la violence, on se joue delle. Cette pratique nous vient du tribalisme (87). Frazer (36) dcrivait cette magie de la ludicit comme une satisfaction du dsir par une sorte dhallucination motrice : les hommes ont pris par erreur lordre de leurs ides pour lordre de la nature et se sont imagins que parce quils sont capables dexercer un contrle sur leurs ides, ils doivent galement tre en mesure de contrler les choses (p420). Freud (12/13) dfinit galement lart comme domaine o la toute puissance des ides est maintenue : grce lillusion artistique, le jeu produit les mmes effets affectifs que sil sagissait de quelque chose de rel. Cette pratique vise la satisfaction dun dsir qui tourmente. Le refuge dans lidal explique ds lors le mcanisme dvitement du rel. Baudry (in Brohm, Baillette, 95, p301/304) dcrit ainsi la volont de matriser le corps comme lexpression de lespoir de pouvoir sen passer : vaincre le corps, cest se dpasser soi-mme. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 14. 14 De son ct, la sociologie critique est certes une attaque du consensus idologique relatif lapolitisme, langlisme, la puret du sport, mais elle reste une contre-idologie : son activit principale consiste en effet faire une analyse des discours, donc reste uniquement du ct du sens. Caillat (89), reprenant dailleurs les mots de Brohm, prsente ainsi ces analyses : le texte reprsentatif est celui qui permet linterprtation critique des positions idologiques . Il identifie quatre types de textes (fondateurs ou performatifs, techniques, apologtiques, de clbration) et les dfinit comme idologie, cest--dire comme langage imaginaire de la vie relle qui devient lui-mme rel en tant quacte de langage . Il lui faut ainsi sappuyer sur Fauconnet et Mauss : le fond intime de la vie sociale est un ensemble de reprsentations . Les structures matrielles objectives sont totalement doubles par les structures mentales subjectives. Au final, la dmarche verse dans la facilit pistmique : lidologie ne varie gure au cours du temps , elle constitue donc un objet de recherche aisment identifiable. Se placer au niveau du langage ralimente dailleurs les discours dcris, plus que de renvoyer au plan de laction concrte. Nous pouvons dautre part remarquer que les critiques scindent pour mieux relier, postulent la domination pour mieux librer. Cest ce qui va constituer la pierre de touche des apologues. Remarquant que les effets des champs disciplinaires ont pouss tudier ce qui spare dans lobjet, Pigeassou (04) signale depuis Jeu un regain dintrt pour ce qui constitue lunit du sport : ce qui rassemble est plus important que ce qui oppose . En effet, au del de la diversit des faits et des modes dintervention des acteurs sportifs, un principe gnrique est adopt et partag par ceux qui se rfrent au sport : il sagit du principe dvaluation de lactivit dploye et de ses dclinaisons obliges. Le consensus des consensus repose sur ladoption de ce cadre dinterprtation partag, il participe au reprage des lments constitutifs de lthique. Lthique sportive se dfinit comme lensemble des principes et des codes gnrateurs de sens qui stablit la fois comme rfrence normative et rgulatrice de la sphre sportive et comme enjeu dans la dfinition et la reformulation des fondements de ce qui constitue cette thique . Cest dire quon retrouve dans le jugement moral cette unit que la critique avait fait exploser. Or cest aussi sur ce plan que la critique opre, qui montrera la dconnexion des jugements et des actions effectives. Au final, lidalit du jugement rassemble donc les deux postures plus que ses variations ne les sparent. 23- Labsence de la question de lefficience En fait, le dbat est inefficient parce quil nat dans une posture de linefficience. Ce qui spare initialement les deux vises, cest un a priori sur le lien des valeurs voques et des actions constates : il est tantt vident que les valeurs sactualisent, tantt vident quelles illusionnent sur la ralit des pratiques. Comprenons donc que ce qui les rassemble, cest labsence de la question du lien du sens lacte. Ainsi quand les dirigeants du mouvement sportif en viennent sintresser au problme de lapplicabilit, ils vacuent promptement les exigences thiques pour ne parler que de la loi, laissant justement aux premires le soin futur dadapter la raison au rel et de combler le vide dexistence et dhumanit inhrente toute lgalit. De la mme faon la critique est tourne vers la dnonciation de la dconnexion des actes et des prtentions, sans jamais montrer comment une nouvelle thique pourrait concrtement se raliser une fois le terrain nettoy de salissures idologiques. La question reste chaque fois entire de savoir comment une thique, cristallin de sens, peut avoir quelque influence sur le cours des choses humaines et sportives. Cest dans cette impasse que simmiscent les jugements contraires qui se satisfont deux-mmes. On procde ensuite un vritable voilage de limpens. Les apologues usent dun langage mystrieux : cest la Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 15. 15 magie du sport . Coubertin (09, p2) dsigne la pdagogie sportive comme plan de formation morale et sociale dissimule sous le couvert des sports scolaires . Les critiques, eux, multiplient les discours sur les discours. Pourtant, les deux postures prsupposent lefficience thique, sans quoi elles ne seraient pas tenables. A chaque constat dinefficience thique surgit en effet une nouvelle prtention defficience. La critique rvle par exemple les vraies valeurs du sport, cest--dire celles qui sont prtendument luvre dans les pratiques. Ce faisant, elle met en avant lefficience dautres valeurs comme la rvolution, la critique, la solidarit A linverse, le mouvement sportif se prsente comme modle qui promeut lhomme daction dont senchantent les socits dindustrie, celui sachant vouloir, oser, entreprendre, organiser, gouverner et tre gouvern . Les valeurs censes tre luvre dans la modernit seraient actualises dans le sport. Dans le conflit des valeurs qui sensuit, vritable guerre des Dieux , ce qui rapproche chaque posture et lui permet de sopposer une autre, cest donc justement cette prtention lefficience. 3- La question de lefficience thique 31- La prtention lefficience inhrente toute approche thique Parler dolympisme comme thique en acte, cest prtendre lefficience thique. Coubertin (31) parle ainsi dun de ses collgues, trs comptent en matire sportive, et surtout en esprit sportif (p103). Fleuridas et Thomas (94) rappellent que le serment olympique tient laccomplissement de lthique olympique dans les jeux : le reprsentant des athltes dclare qu au nom de tous les athltes, je promets que nous nous prsentons aux jeux olympiques en concurrents loyaux, respectueux des rglements qui les rgissent et dsireux dy participer dans un esprit chevaleresque , pendant quun juge promet que nous remplirons nos fonctions pendant les prsents jeux olympiques en toute impartialit, respectueux des rglements et fidles aux principes du vritable esprit sportif (p91). Cette comptence thique doit se diffuser dans lordre de la pyramide : pour que 100 pratiquent la culture physique, il faut que 50 fassent du sport. Pour que 50 fassent du sport, il faut que 20 se spcialisent. Pour que 20 se spcialisent, il faut que 5 ralisent des prouesses . Jeu (94) affirme en ce sens que lolympisme nest pas du sport plus de lthique, cest un ensemble conceptuel de pense et de vie. Ds lors, lolympisme contemporain a pour but dadapter les fondements de lolympisme aux ralits daujourdhui. Il ne faut donc pas nier la ralit dans laquelle existe lolympisme car cest dans lhomme et par lhomme que la fte olympique doit se construire. Jeu prconise de se mfier de la construction du personnage de Coubertin comme signe de ralliement : plus il est parfait et idal, plus il sloigne des applications relles. Il faut au contraire identifier les obstacles la ralisation du projet thique que constitue lolympisme (la banalisation de lamoralit, par exemple). Les discours du mouvement sportif font constamment cho cette exigence fondamentale. Pour le CNOSF (06), lenjeu est de sadapter sans renverser ses valeurs . Mais il est certain que la recherche de lefficacit ne peut se faire au dtriment de lthique sportive (p103), ou encore que le recours aux principes ne saurait tre diffr dans un domaine o labsence dthique peut avoir des effets catastrophiques (p122). Au demeurant, on se dsengage vite des consquences nfastes : le sport ne peut tre tenu responsable et supporter les consquences dagissements individuels faits dans un cadre qui ne lui est pas propre . On trouve vite des raisons de ne pouvoir valuer la porte thique : il y a une dilution des actions, dont lvaluation savre parfois complexe au regard de la diversit des Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 16. 16 interlocuteurs hirarchiques . Cest pour cette raison quon verse de nouveau dans lincantation : les associations ont su reprer des besoins sociaux, des services et des modes daction relevant de lintrt gnral (CNOSF, 06). Chovaux et Coutel (03) relatent ainsi les paroles dun entraneur qui prtend redonner des valeurs un club qui avait peut-tre tendance les ngliger , alors mme quest mise jour limpossible cohabitation entre la morale sportive et la passion des spectateurs. Blareau (96) dcrte de mme que lducateur est le lien entre un idal moraliste et le vcu du terrain, il dveloppe chez lathlte le sens de lesprit sportif en imaginant ou en explicitant des phases de jeu renvoyant son essence mme . Et Thrard (07) dcrire : il est ncessaire de redonner ses valeurs au football , dclarait rcemment Michel Platini. Plus quune ncessit, cest une urgence. Et le drame de Catagne doit simposer comme loccasion de passer du verbe laction. Elu prsident de lunion europenne de foot, lancien champion ajoutera un trophe son prestigieux palmars sil parvient mobiliser Etats et Institutions contre les mauvais gnes du ballon rond. Mais redonner un code dhonneur au foot, cest aussi lui insuffler un autre tat desprit. Cela passe sans doute par linstauration de nouvelles rgles dapprentissage, darbitrage, de transfert, de droits de retransmission. Luvre est dampleur, dlicate pour redonner un sens au spectacle. Sans perdre de vue que la crise traverse par le sport roi est sous bien des aspects le reflet dun monde qui peine lui-mme retrouver ses repres . La prtention se fait galement jour en Staps. Blareau (96) crit ainsi : lthique constitue les bases des prescriptions morales Traduite comme science de la morale, lthique serait lart de diriger sa propre conduite ou, par extrapolation, celle des autres , ou encore : thique du sport = morale applique . Arnaud (00) fait galement tat de ces prtentions : les principes et les valeurs du sport permettent de sorienter dans une activit peu familire motionnellement et topographiquement. Dans cette prospection, lidologie assumerait une triple fonction : cognitive (de construction de la ralit sociale), axiologique (dorientation dans cette ralit partir dun certain nombre de valeurs) et conative (dinfluence sur les conduites) . Wahl (04), qui demande si le football est le dernier vecteur dintgration, se dpartit des navets et pose la question du rsultat, mais appelle ne pas verser dans le pessimisme et appartient lui-mme au conseil rgional de lthique qui veille au respect des valeurs dans le sport . La dficience morale peut dailleurs tre conue comme simple apparence, masque de lefficience relle. Duret crit en ce sens (in Duret, Bodin, 03) : ne plus accepter de se soumettre en toutes occasions aux dcisions de larbitre revient dfendre son autonomie morale. Le sport sert alors de moins en moins linculcation de la discipline et de plus en plus la construction de soi dans un processus dindividuation . Il faut dailleurs remarquer quen matire dthique, la prtention lefficience va bien au-del des discours sportifs. Elle se fait jour partout. Les discours publics et politiques, qui ne sont certes pas avares de contenus thiques, en font tat. Le Prsident de la Rpublique Franaise proclamait dans un journal tlvis en novembre 2006 : les principes de la Rpublique ne sont pas des mots. Ils sont une force qui porte la nation tout entire. Il faut donc les apprendre. Il y a lducation civique lcole, o on apprend les valeurs . Le code dthique europen prtend pour sa part diffuser des directives claires dfinissant les comportements conformes ou contraires lthique et veiller ce que des encouragements ou sanctions cohrents et adapts soient dispenss dans toutes les formes . En 2004, le parlement europen dcide la cration de lanne europenne de lducation par le sport et vise utiliser les valeurs vhicules par le sport pour accrotre les connaissances et savoir- faire de la jeunesse . Voulant aborder les valeurs en France, un enquteur de lINSEE (03, p557) crit : les valeurs sont des objets sociaux dlicats approcher, car intriorises et pas toujours conscientes. Pourtant, elles orientent fortement les actions et jugements des Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 17. 17 personnes . Malgr le fait quelles soient difficiles approcher , ce qui pourrait mettre en doute quon puisse savoir quelles orientent les actions, ce savoir semble ainsi assur. Les discours philosophiques et de sciences humaines vont dailleurs parfois dans le mme sens. Pour Nussbaum (01), chacun doit tendre laccomplissement de soi, cest--dire mettre sa vie en accord avec ses ides : lchec est une sorte de mort. Chesterton avait comme adage : toute pense qui ne devient parole est une mauvaise pense, toute parole qui ne devient acte est une mauvaise parole, tout acte qui ne devient fruit est une mauvaise action . Faisant cho Weber qui oppose morale de conviction et morale de responsabilit, cest-- dire intentions pures et anticipation des consquences de laction, Pettit (04) oppose promouvoir une valeur et honorer une valeur, signalant que dans la promotion, on peut utiliser des moyens qui nhonorent pas la valeur. Certes Weber reconnat aux actions rationnelles par rapport aux valeurs une double dimension : subjective (le sujet adhre par conviction aux fins poursuivies) et objective (les actes, relations entre le sujet et le but valoris). Mais la seule vraie morale est pour les deux lthique de responsabilit, o le moyen immane de la fin. La mme vidence quant la dimension efficiente de lthique vritable se fait jour dans les mots de Dortier (98) : rarement mises en valeur de faon explicite, les valeurs sont pourtant omniprsentes, car elles dterminent fortement nos actions et le regard que nous portons sur le monde . Il cite Rokeach (73) pour qui la valeur est une croyance persistante quun mode spcifique de conduite ou un but de lexistence est personnellement ou socialement prfrable un autre , ou encore Weber (93) : le processus de raisonnement moral de lindividu est le vhicule servant activer, filtrer et traduire les valeurs personnelles en comportement . Riffault (98) affirme dailleurs que cette proccupation est historiquement marque : sappuyant sur une enqute sur les valeurs des franais faite dix ans dintervalle, elle interprte lindividuation des comportements comme le signe dune motivation avoir des responsabilits, et le pragmatisme comme celui de lengagement concret plus que le got des grandes ides gnrales. Tout discours thique prtend ainsi tre plus quun simple discours : il porte en lui la prtention lefficience de ce dont il parle. Ceci vaut dailleurs pour les discours critiques. Si nous disons que formuler un principe thique et sy tenir est un principe thique, nous devons donc demble remarquer qu la source de cela, il y a un principe thique qui affirme que laction doit tre lie lide. Dans un jargon aristotlicien, la prtention revient dire que lthique est certes thortique, mais aussi praxis, et encore poesis : lthique cre certaines actions, ces actions tant elles-mmes praxis. Pigeassou note en outre que cette prtention saccrot historiquement : lthique est initialement thorie raisonne du bien, qui se fonde sur des choix axiologiques et sorganise autour de principes fondamentaux pour se constituer en pense normative, puis devient ensemble dlments de rfrence vise prescriptive et normative pour guider les comportements et les conduites de lhomme, enfin elle est thique du dsir, intgre laction de lhomme. 32- La ncessit de la question de lefficience thique Il nous semble donc tonnant que la forte prtention thique ne pousse pas mrir une conscience plus aigu du problme de lefficience. Ceci vaut spcialement pour le milieu sportif. Son activit consiste en effet dgager un lieu privilgi pour laction, certes codifie par des rgles et dtermine par nombre de facteurs techniques, mais dont les consquences lui sont directement rapportes. Le terrain nest pas un lieu pur, retir, immuable comme les apologistes voudraient croire, mais il demeure un espace-temps concentr et m au rythme de laction humaine. Ds lors toute prtention thique, qui justement est axiologique, devrait se Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 18. 18 pencher sur les moyens de formuler des noncs soucieux de rgir directement laction. Il y a dailleurs un enjeu thique cette ncessaire prise de conscience : si le mouvement sportif ny regagne pas lautonomie qui lui est si chre, il risque fort dtre rcupr par des pouvoirs publics qui lui apportent certes plus de loi pour pallier ses dviances (procs, perquisitions policires), mais par l-mme redfinissent son identit profonde, son tre et ses devoir-tre. Apparat donc une ncessit sociale et politique pour le mouvement sportif de se poser la question de lapplicabilit de lthique, ou linverse de la formulabilit dune thique applicable. La question est galement pertinente lchelle de lindividu. La pratique sportive se veut en effet libert daction, et le sujet revendique que laction sportive lui appartienne en propre. Or cette libert appelle lobligation dy mettre du sens, la ncessit de sautodterminer, en ranon de lautonomie gagne dans les luttes sociales et spirituelles et grce aux progrs techniques. Il nous semble ainsi globalement tonnant que lexigence de matrise du sens des actions effectues ne soit pas plus rpandue : mme quand on se sent dpossd, partant quon a des raisons de douter de son existence comme tre thique, aucune crise nappelle une profonde rflexion. Certes, nous pourrions penser avec Morin (90, p107) que ds quune action est entreprise, elle chappe lintention. Lenvironnement sen saisit dans un sens qui peut tre contraire lintention initiale . Mais un tel constat renvoie justement la question de savoir jusquo laction peut appartenir lacteur, et en amont en quoi elle peut lui appartenir. A moins de penser quil est constitutif de lhumanit de savoir que le sens de son action chappe son pouvoir, ou relve dun inconscient quelle a trop peur de sonder. Mais alors quoi bon formuler des principes thiques ? Nous devons peut- tre penser avec Nietzsche que nous navons que lillusion pour ne pas mourir de la vrit . Pourquoi tant daveuglement propos des choses censes rendre les choses senses ? Il semble donc que la question philosophique du sens et de la valeur simpose pour qui prtend agir de faon thique. Les tenants de lolympisme sentent dailleurs la ncessit de poser la question de lefficience dans cette double perspective. Jeu (94) crit que la recherche sportive ne doit pas dire que le comment, mais aussi le pourquoi : le sens . Cest dire la ncessit de passer de la question comment a fonctionne ? comment confrer notre dmarche une valeur humaniste ? Jeu, During, Pringarbe, Rodenfuser (Jeu, 94), quand ils distinguent entre une vraie et une fausse morale dans le sport , notent que la morale ne peut tre un ensemble de rgles de conduite appliquer sans conditions. On ne peut toutefois renoncer en parler. Tout le problme est donc dlever le dbat un niveau suffisant pour que les discours ne soient pas seulement des vux pieux. Lerreur est de concevoir des morales extrieures, car la critique est alors facile, qui elle-mme oublie que si le sport est rcupr, cest quil y avait quelque chose rcuprer. Pour disposer dune vraie morale, il faudrait allier positivit de la loi et libert de conscience : cest dans le dpassement dialectique de la contradiction quil faut rechercher le sens de la responsabilit morale du sportif . Les auteurs ont conscience des manques : le problme, cest quon ne prcise pas et quon narticule pas aux pratiques les valeurs ducatives, de dsintressement, duniversalit . Paillou conclue ainsi (Jeu, 94) que les humanistes doivent procder avec mthode, cest--dire lier en un mme mouvement ide- agir-objectifs, moins de cantonner lagir de lagitation. Biache (97) note dautre part que cette proccupation tait celle de Pierre de Coubertin. On peut sen assurer la lecture de ces mots : si certains systmes sont meilleurs, il nen est pas de parfait : en somme ils valent surtout par ceux qui les appliquent (Coubertin, 09). Ce sont en fait les postures actuelles qui la passent sous silence. En effet, Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 19. 19 lattitude conservatrice dfinit le sport par ses origines et na de cesse daccuser les dviances ce fondement, pendant que lattitude moderne juge les pratiques laune des valeurs contemporaines. Or de telles conceptions, par dfaut danalyse, ne rpondent pas la question de lthique sportive Le sport na de valeur thique que sil substitue au jugement des actes et des pratiques lanalyse philosophique de la technique . A linverse, Coubertin propose une philosophie dusage qui mle jugements globaux et prceptes de conduite, non pas un systme cohrent de pense. Il fait une analyse technique du corps proche dun Mauss (36) avanant que la qualit du geste sprouve dans les diffrentes modalits du mouvement du corps, qui devient lui-mme instrument. Andrieu (02) note linverse que Coubertin est un philosophe, il sintresse aux valeurs sans se soucier de lapplication . Ainsi la rvolution pdagogique initie en 88 sest essouffle en dix ans, laissant place aux anciennes traditions gymniques, parce quil ny avait pas de lien entre les penseurs et les enseignants, alors que ceux-ci auraient d appliquer la rforme. Les dbats sur les moyens restent infructueux, alors que cest une proccupation majeure des enseignants. Dailleurs, Coubertin soppose au matrialisme ambiant : lathlte cisle son corps pour honorer les dieux. Mais cest quand Coubertin lui-mme va devenir utilitariste que le sport va se rpandre. Andrieu (02) ressitue ds lors le dbat idologique : sy oppose des conceptions du sport comme vanit, alination, alibi politique ou comme cole de courage, de dsintressement ou subordonn une hygine militaire. Citant Leclercq ( on a dj discouru sur le sport et ses valeurs sans saccorder ), qui faisait cho Jeu ( on ne tient pas les mmes choses pour essentielles, il y a donc invitablement des divergences et des conflits ), Andrieu rappelle que ce dbat dide est originel. Ainsi on a imagin tort que le sport tait porteur de valeur en soi, or le sport nest quune orientation de lactivit humaine et cest lorientation qui donne sens, donc pour comprendre le sport, il faut le replacer dans son temps et comprendre toutes les influences qui veulent orienter le sport suivant des idologies propres . Cest donc bien le dbat idologique qui empche de poser la question de lefficience, mais cest galement le caractre aportique de celui-l qui commande de poser celle-ci. De la mme faon, les approches philosophiques font tat de la ncessit de la question. Considrant la qute dexcellence comme valeur prtendue du sport ( cest un exemple pour le reste de la communaut datteindre lexcellence in Robert, Simon, 85, p150), Galvin (95) remarque demble que pour asseoir cette phrasologie, il faudrait mener une tude qui puisse identifier les effets de valeur prsums de la pratique sportive, et prouver le lien causal pratique-effet de valeur. Ajoutons demble quil faudrait montrer le lien entre effet de valeur et pratique. Pharo (04) met en avant que malgr lacceptation moderne des diffrentes morales, malgr le cosmopolitisme moral, le problme reste aujourdhui entier de trouver une rgle daction commune. Il objecte dailleurs Ogien, pour qui le rapport aux valeurs nest pas une cause de laction, seulement une faon de les rationnaliser (in Canto-Sperber, 96), que la question nest pas de savoir si on peut expliquer laction par les valeurs, mais bien de comprendre comment elles influencent laction. La ncessit se fait galement pressante la lecture de Freud (14, p164) : le moi joue le mme rle que le clown qui, par ses gestes, cherche persuader lassistance que tous les changements qui se produisent dans le mange sont des effets de sa volont et de ses commandements . Poser la question thique, cest arrter le cirque et rclamer une vritable efficience. Foucault renverse certes la question, qui demande comment les acteurs se font sujets de leurs actes effectifs : comprendre le travail thique, cest comprendre les processus de subjectivation. Mais la faon dont les acteurs se font sujets remodle laction elle-mme, cest ce qui occasionne les avances sociales et la reformulation dinterdits. Notre question se Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 20. 20 situe au niveau de ce dtail : quest-ce que remodle lthique dans laction ? Dans un mme renversement de perspective, Blackburn (93) prconise de ne pas seulement dnoncer les non- sens ou montrer que telle ralit nest que le produit de telle autre, mais aussi expliquer pourquoi nos noncs ont un sens : nous faisons comme si les ralits que dcrivent nos discours sont bien l, nous sommes capables de mimer les engagements propres au ralisme. Or les noncs moraux ne sont pas seulement les descriptions dguises de nos motions. Nos noncs ne dcrivent pas des motions, ils les expriment : quand nous les formulons, nous enregistrons nos engagements vis--vis de certaines valeurs dont lorigine est subjective, mais que nous formulons si et seulement si nous sommes capables de concevoir un point de vue partag avec les autres. Lthique est donc rgulation des sentiments humains. Or dans les deux cas, ces processus intrieurs nont de sens que dans leur connexion au monde par laction. 33- Le sens de la question de lefficience thique Le problme philosophique de lefficience est clairement pos par Livet (05, p9) : dans quelle mesure peut-on considrer une personne comme responsable des changements quelle a produit dans le monde ? Le problme, cest que si laction est une transformation entre une intention et un mouvement, entre une reprsentation interne et un comportement externe, alors laction doit mettre en branle un processus causal, mais elle dclenche ce processus au nom de buts, fins, valeurs qui sont des raisons de laction. Or comment relier raisons et effets par un processus causal ? Une justification ne fonctionne pas comme une cause, elle est roriente rtrospectivement ; une raison est dirige vers le futur comme justification anticipe. De plus, si une raison est une cause, alors meilleure est la raison, plus efficiente devrait tre la cause, ce qui nest pas le cas. Sappuyant sur Davidson (33), Livet (05) formule le problme : y a- t-il un autre type de causalit qui ne se rduise pas la causalit vnementielle et dont la nature nous permettrait de comprendre la nature de lagir ? Si nous remontons de cause en cause, nous ne trouverons jamais un agent. Pourtant, nous prouvons un fort sentiment de responsabilit . Davidson remplace alors agent par agentivit pour penser cette causalit spcifique. Si la question est celle du type de lien du sens laction, cest certes dans un ordre causal o lthique serait la cause et laction serait leffet. Au demeurant, la spcificit du lien doit nous retenir de nous laisser aller aux logiques dominantes, abstraites ou parfaites pour le dfinir. Car si nous en rfrons une logique formelle de type mathmatique, il semble vident que lchec certain de la comprhension du lien nous conduira basculer de nouveau dans lidologie ou la contre-idologie. Si linverse nous en rfrons une logique concrte, par exemple une causalit mcanique (le vent pousse la porte, qui pivote sur ses gonds), nous basculons galement dans quelque chose de trop rigide pour parler de lhumain, du vcu. La logique dont nous parlons ne peut tre ou de sens ou daction, elle est ncessairement de sens et daction. Peirce crit en ce sens quil faut comprendre la croyance en rapport avec laction, pas avec le rel. Mais il ne sagit pas de dsubstancialiser laction au point den faire une simple ide. Nous refusons dutiliser des expressions comme agir en fonction de certains valeurs , qui masquent le problme par des mots. Laction peut en effet se faire sans connexion la valeur, dans un processus o seul le sujet se reprsente que laction a trait la valeur. Il nous faut donc mthodiquement douter tre en possession du type de lien qui existe entre sens et action. Il est ds lors ncessaire douvrir les possibilits. Dj, notons dans la tradition la rfrence des rgimes de causalit diffrents : Aristote distingue entre causalit Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 21. 21 efficiente et finale, certains parlent de logique qui accepte la contradiction, Maffesoli dtermine lmotion comme cause de la socialisation, qui agit par contagion, Austin parle de la performativit. Cette dernire est dailleurs trs intressante. Nous ne la retenons pas en tant que telle, nous la refusons avec Brohm. Dans une expression comme il faut respecter la personne , la personne est en effet le sujet qui respecte, donc il y a double performativit : le sujet doit respecter le sujet pour linstituer, cest un cercle vicieux. Mais nous retenons le performatif titre dexemple dune nouvelle efficience. Pour parler de causalit spcifique, nous pouvons encore citer Paillard (86) : il ny a pas dincompatibilit entre la conception dune organisation nerveuse base sur lexistence de circuits anatomiquement dfinis et ltonnante plasticit de ses manifestations : grce au principe de la rtroaction rgulatrice, la machine peut cesser dtre un systme de transformations aveugle aux effets dtermins une fois pour toutes . Cest parler dune causalit circulaire. Plus que la mtaphore ou les simples rapports isomorphes, Paillard note que les thmes de la pense, du langage, de la perception, de lmotion affirment la filiation du moteur au psychique. Comment le cerveau peut-il plus quil ne contient dj ? Cest toute la question de la cration thique qui nous occupe. Hume (48, 4me section) porte le problme au plus haut point. Il distingue entre relations dides et choses de fait. Grce aux premires, on arrive une certitude, mme si rien dans le monde ny correspond. Par le biais des secondes, on peut arriver une certitude, mais le contraire peut aussi tre accept par lesprit. Cest dire que la pratique que nous avons du monde et dans le monde repose sur des infrences qui ne sont pas rationnellement fondes. Hume lexplicite dans lexprience de la boule de billard : il ny a rien dans lexprience qui prouve que le mouvement de la boule A est cause du mouvement de la boule B, leffet est entirement diffrent de la cause donc on ne peut linfrer de la cause. Ds lors, si une cause peut tre lie une infinit deffets, pourquoi privilgier une liaison dtermine ? Il y a pourtant bien un fondement nos connaissances empiriques : cest lhabitude. Linduction nest pas fonde rationnellement, mais elle fonctionne presque toujours. Cette gnalogie de la causalit aboutit un scepticisme probabiliste. Or nous avons des raisons dadopter cette posture sceptique au sujet de lthique. Au demeurant, si on intgre lhumain dans lexprience, comme propulseur de la boule et non plus comme simple observateur, alors on ne peut plus dpossder lhumain de son efficience. Or lui-mme se la reprsente comme thique. Nous avons donc la ncessit de penser lefficience de lthique : dire que cest lhabitude ne dit rien sur son rgime spcifique. Au contraire, penser lefficience thique ncessite de concevoir lthique comme quelque chose qui influe sur laction en tant quelle lui appartient. Il faut donc en rfrer une causalit spcifiquement humaine quand on parle dthique. Quelle causalit ? revient poser la question quelle humanit ? . Cette question de la gnalogie, rflexe nietzschen, ne vaut pas pour elle-mme, mais dans le but de comprendre le mode defficience de celle-l. Il sagit de rintroduire la libert dans lexplication causale. La question qui nous occupe est ainsi celle de savoir comment lthique opre dans le rel de laction humaine. Il ne sagit pas dexpliquer par les causes, mais dtudier cette causation , en comprendre le rgime spcifique. Il ne sagit pas de savoir do vient la morale (Journet, 07), mais bien plutt de saisir o va la morale. Lide thique est probablement sujette des dperditions dnergie, mais elle fait quelque chose quil nous faut dailleurs comprendre avant de mesurer son impact. Do lutilit dun lexique spcifique : nous parlons defficience, en nous appuyant sur la dfinition quen donne le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (cr en 2005 par le CNRS) : (philosophie) capacit d'une cause suffisamment forte ou puissante pour produire un effet . Lthique efficiente est celle qui agit effectivement. La catgorie ou valeur efficiente est la valeur qui saccomplit Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 22. 22 dans laction. Il ne sagit aucunement de dire que cest une vraie valeur, puisque toutes les fausses valeurs sont galement efficientes (lillusion cre ce dont elle est illusion). Dailleurs mme si on remarque au sujet des reprsentations thiques certaines fractures ontologiques et sociologiques, il y a une efficience relle, mme pour les illusions ; donc ce sont les reprsentations initiales qui sont biaises, et faire un concept de lefficience thique cest se proposer de rduire la fracture. Parler defficience thique nest en ce sens pas plus abstrait que de parler de forces sociales (tradition sociologique) qui oeuvrent concrtement. Il va donc falloir identifier une catgorie efficiente et des actions effectives afin dmettre une hypothse au sujet du type defficience qui est luvre en ce cas. Cette dmarche fait cho celle de Jullien (96) qui entreprend de passer de la question de lefficacit, imprgne de volontarisme, celle de lefficience : il ne sagit plus de faire une psychologie du vouloir, mais une phnomnologie de leffect. Leffet est trop souvent causal et explicatif, leffect concerne la dimension opratoire de leffet, ce qui le rend effectif. 34- Les enjeux de la question de lefficience Lenjeu dune telle tude, cest dabord de distinguer le faire-comme-si du faire-au- mieux, pour ne pas risquer de laisser les deux attitudes se confondre, laissant le terrain libre toutes sortes de ptitions de principe qui ne sont souvent rien dautre que les piphnomnes de postures intresses. Le faire-au-mieux sied dailleurs lactivit sportive. Il contient en lui la possibilit de lchec thique autant que celui de laction cense en dcouler. Le faire- au-mieux met distance le monde des vidences o les intentions thiques ne peuvent prtendument pas chouer, justement par le fait mme quelles sont tragiquement dlies de laction effective. Quand on place lthique en un tel ciel dgag des doutes du monde, on croit lencenser et en fait on lui retire tout : une efficience possible. Tout homme lapparence pure peut sen rclamer. Faire comme si, cest intgrer sa fonction de lextrieur en se parant des traits de la vertu, cest donc dsubstancialiser le devoir-tre thique, le priver dune paisseur qui seule garantit la sincre motivation du sujet sy tenir et sy accomplir. Faire au mieux, cest donc linverse tenir lactivit sportive pour une occasion dtre soi, dtre soi intensment. Une telle vise interdit de tricher avec soi ou avec le monde. Qui plus est il faut bien remarquer que ceux qui ne font rien ont la critique aise propos de ceux qui agissent mais ne sont pas aussi purs que lide le laissait prsager. Il semble en effet ncessaire la ralisation de lide que celle-ci mute ds quelle se veut pense incarne et non plus seulement reprsente. On peut mme voir de la sagesse dans lacceptation dsintresse de mensonges et dintrts voils par la vertu, du moment que la voie relle trace par lide soit optimum pour lhumain : ainsi de la position du sage chez Rousseau (93) qui accepte la ruse du riche aux dpends du pauvre, ainsi de Jeu (93) qui encourage le bnvolat des dirigeants sportifs sans tre dupe de leur qute de capital symbolique, voire matriel. Remarquons ici que la critique radicale, dans son oubli de penser radicalement le possible lien de lthique laction, ne permet pas de nuancer entre le faire-comme-si et le faire-au-mieux, devant ds lors sattacher faire comme si elle disposait dun savoir absolu sur la chose sportive. La rvolution promet dailleurs beaucoup dans lesprit et tourne mal dans les faits. Il nous semble y avoir plus de force dans la tentative de cration dun concept de lefficience que dans la contre-idologie : la vraie rsistance est dans le silence de la rvolte plutt que dans la haute parole contestataire qui ne fait quasseoir les a priori de la parole dominante. La seule question est dj une arme critique : celui qui dfend son point de vue au nom de lthique, mme en acceptant plusieurs grandeurs, il sagit de demander comment il va faire, tant entendu quil a raison. Un concept de lefficience pourrait dautre part aider lutter contre la trs actuelle opinion qui Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 23. 23 pense laction authentique et thique comme tant laction sans rflexion, celle qui simpose au sujet comme vrit, qui dcle la libert dans la ncessit propre dune thique du ressenti. Car si nous voyons sa puissance agir au quotidien, nous connaissons aussi ses ravages mondiaux. Il sagit donc daccder la puissance, et non pas au pouvoir comme capacit que possde un individu ou un groupe dexercer une contrainte pour obtenir dautrui quelque chose ou quelque acte quil en dsire (Laburthe-Tolra, Warnier, 93). La critique fait dailleurs parfois lanalyse de lefficience : on essaie de voir comment il y a un lien entre une valeur mauvaise et laction dont on juge quelle en dcoule. Il nous semble quil faut aussi la faire en positif, et ainsi se donner quelques moyens daccder la joie. Lenjeu de cette recherche, cest galement daccder des rsultats applicables en matire dthique. Nous pouvons en effet nous inquiter avec Portalis (04), dfenseur de la psychanalyse, de savoir que penser dune socit o les questions existentielles nauraient plus leur place dune socit qui propose ses membres un bonheur administr qui rend inutile et suspecte toute attitude rflexive ? . Cette proccupation est relaye par Gaberan (03) dans le champ des sciences de lducation. Considrant que lducation fait passer du vivre lexister, il estime que quand les ducateurs pensent tre en manque de moyens pour satisfaire la commande sociale, ils sont en fait en recherche de sens et de motivation. Mme si la question du sens peut apparatre comme perte de temps en ce monde, il faut voir que le dveloppement de ltre est la vraie mission de lducateur. Cette perte dthique vient en fait de laction des ducateurs des annes 80 qui pour tre reconnus ont technicis leur action. Or laction doit servir au sujet, non la survie du systme. Il sagit daider lappropriation de soi par soi en cheminant avec la personne plutt que de se construire une bonne conscience : face lautre qui souffre, nous cherchons vacuer notre propre souffrance ne de notre impuissance . Atteindre des objectifs, cest donc du vide existentiel. Il faut bien plutt faire un travail thique. Dans une telle perspective, notre recherche vise la rconciliation de la recherche et de laction. Thomas (93) dit bien que cest lexigence de performance maximum qui est moteur du dveloppement des sciences du sport, notamment de la bio-physiologie, puis de la psychologie. A preuve, un ouvrage de physiologie est meilleur aujourdhui quen 1920. Or a nest pas le cas en sociologie, dans la mesure o celle-ci est souvent inefficace. Ds lors, il ne faut pas tre seulement critique, ni sintresser quaux symboles, mais bien plutt sintresser au sens dans son rapport laction, quitte subir certaines fluctuations pistmiques. Penser le lien laction est en effet la meilleure garantie de lefficience future des enseignements moraux. Rconcilier recherche et pratique, cest par exemple viter la premire de ne faire que juger le haut-niveau, sa violence symbolique. Si on peut identifier une violence de lInstitution sportive dans le processus de production de ses lites (Papin, in Bodin, 01), si on peut dnoncer lenfermement et lhomognisation des tre humains, ou encore la slection des plus dous cette normalisation, il faut galement considrer que la personne habite lhabitus de faon ce quy coule lexistence, sans quoi lextinction de la motivation conduirait larrt de la pratique. Une vraie prospective vise ds lors montrer aux fdrations comment faire pour maintenir la vie dans cette normalisation, plutt que de se livrer au mensonge thique : elles ont tout y gagner, car sans la vie ou lenvie, il ny a pas de performance possible. De mme quand on refuse avec Duret (in Bodin, 01) que la recherche serve de caution lide que le sport soit contre-feu la violence des cits, il ne sagit pas de faire une unique critique des prtentions, mais plutt de poser la question de savoir comment le sport peut tre un remde la violence. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 24. 24 4- Les lusions traditionnelles de la question de lefficience La question pose en ces termes nous semble nouvelle. Alors mme que lthique est une rfrence constante, la question nest en effet jamais radicalement pose. Quand on en effleure la porte, on llude prestement. Or nous avons identifi cinq faons rcurrentes dluder le problme : on peut faire comme si lefficience relevait de lvidence, activer un cercle vicieux qui permet dvacuer la question du lien du sens laction, transfrer le problme de lefficience une autre activit que celle dont on parle, basculer dans le vrai pour navoir plus parler de la ralit, ou enfin contextualiser la dficience thique. Ces lusions se font jour autant chez les apologues que chez les critiques : car si les derniers accusent utilement les premires de se dpartir du problme, ils en restent au niveau du dbat idologique. Mais le plus surprenant, cest que nous avons pu remarquer la mme tendance au sein de textes qui se proposent de penser lthique sans la renvoyer une illusion. Certes la question de lefficience nest pas toujours au cur des dmarches, mais celles-ci prtendent souvent lefficience ou supposent rsolue la question pour laborer leur ide. Il est donc tout fait utile de mettre jour les lusions dont on parle, pour ainsi viter de les reproduire dans notre propre tude. 41- Les apologies La faon la plus commune dluder le problme de lefficience est de faire comme sil nexistait pas. Les abus de langage sont ds lors frquents. Parlant du sport comme moyen d agir en fonction de certaines valeurs , Hotz (98) avoue demble que lenseignement du sport na pas pour finalit les valeurs , mais prcise que les valeurs ont le rle dtoiles conductrices qui guident nos efforts dans la bonne voie . La mtaphore tient lieu de toute rflexion. On se raccroche par cette voie tous les idologmes sociaux, ou alors on sort du problme en se rfugiant dans des vidences fonctionnelles : le lien du sens lacte est prtendument garanti par lactivit intentionnelle de lacteur. Parlant dthique, Molodzoff (95, p233) affirme ainsi que ce qui est essentiel, ce nest pas de savoir, mais de mettre en uvre. Lesprit procde par essai-erreur, et corrige automatiquement la trajectoire adopte lorsquil saperoit quelle drive du but . Il lui est plus tard (02) ais de faire un rsum de lthique : un esprit sain dans un corps sain , signifiant par l que lthique sportive lie dans la sant le corps et lesprit. Lattitude prend vite des traits mystiques quand elle consiste croire que la seule parole va agir sur le rel et mouvoir les corps dans le bon sens, au point quon ne voit mme plus les dconnexions entre les prtentions et les actes. Lincantation revt mme parfois des formes surprenantes : en dsaccord sur le mode dorganisation de la comptition, un pongiste de renom affirmait ainsi dans la presse crite qu il est prfrable de rater un championnat de France au profit de lthique ; averti et sduit par cette magnanime dclaration de sens, le public a gnreusement valoris son active prsence ! La thorie critique du sport dnonce ce sujet une pratique addictive. Et plus que le sport, ce sont les discours moraux qui constituent un opium du sportif. Le faire comme si nest pas le seul moyen utilis. On peut galement identifier la prsence dune logique base sur un cercle vertueux. Dpositaire dune potique du rugby, Herrero (CNOSF, p16) crit par exemple : le sport sculpte la chair et nous offre la possibilit de dclarer nos talents et dvoiler nos richesses. Connatre la force dpure des transpirations et ce sentiment de tranquillit qui vous habite au retour du stade aprs de beaux efforts ou dpres joutes, est une exprience de bonheur intense . Cest dire que le sport permet daccder, par le corps, une ide de lexistence. Or cet ordre de lefficience qui va de laction vers le sens est promptement retourn : alors saluons humblement nos ans, Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 25. 25 matres et sages, sains hommes qui, sur les pistes et les prs, nous ont invit rflchir . Ces mots font en effet rfrence une morale, vhicule par des hommes, qui fait agir. La question de savoir comment cette morale fait agir nest pas rsolue, et pourtant elle disparat. Dans cet amalgame linguistique entre corps et esprit, partant de leur efficience, le renversement logique napparat plus et la question de lefficience disparat. Le transfert constitue un troisime moyen. Il consiste reporter lefficience thique affirme un autre domaine dapplication. Dans cette perspective, on conoit lactivit sportive comme vecteur daccs des principes moraux qui seront appliqus ensuite une autre activit, souvent la vie sociale. Cette tendance se fait jour dans le mot de Tazieff (in Brohm, 93) : se dpenser entirement pour remporter une victoire sportive, pour sa seule gratuit, constitue un lment essentiel dune rgnration du sens des valeurs , partant une raction efficace contre la nocivit dune civilisation de la facilit. A la revendication dinefficience fait en effet suite celle de transfert la vie relle. Mais lthique sportive ne semble rien pouvoir pour le sport lui-mme, voil pourquoi toute dviance est rapporte une cause extrieure. Bourg (94) affirme en ce sens que la drgulation conomique altre lthique du sport la fois dans son objectif, la norme sportive comme norme rgulatrice, et dans son fondement subjectif, le systme des valeurs communment associ au sport . Il prdique ds lors de nouveau (p58) : les instances sportives doivent rcuprer le pouvoir face lultralibralisme et refonder leur lgitimit sur une vritable thique qui sest trouve pervertie par la pntration incontrle de la finance dans le sport, laquelle a fait perdre tout son sens lactivit sportive . Or la question de savoir ce que peut un tel pouvoir est passe sous silence. On peut encore faire basculer lefficience thique dans une dimension particulire qui ne requiert plus de penser lefficience. On peut ainsi considrer que lthique relve de linaction : par exemple, le fair-play est un refus du duel. Mais surtout, on parle de la vraie thique pour navoir plus parler de la ralit sportive. On distingue ainsi entre un sport amateur et un sport spectacle pour rserver au premier la possibilit dtre le lieu dexercice de lthique sportive. Or il faut noter ce sujet que ceux qui regardent le spectacle sportif sont aussi ceux qui pratiquent le sport amateur. Qui plus est cette recherche de la vrit thique peut trangement tre mene en sappuyant sur limaginaire. Cest ce que font les acteurs du mouvement sportif quand ils affirment que les JO ont t synonymes de paix entre les peuples, acceptant la perf pour seule diffrence (Drut in Charpentier, Boissonnade, 96, p13) ou encore admettent lordre olympique toute personne ayant illustr par son action lidal olympique, soit par son accomplissement personnel, soit par sa contribution au dveloppement du sport (Fleuridas, Thomas, 84, p74). Demandant quelles sont les valeurs authentiquement sportives et pourquoi elles le sont, Jeu (94) propose galement de prendre appui sur lanalyse des puissances de limaginaire, partant du principe que les rmanences anthropologiques ont forcment une raison dtre. Vigarello (02) note dailleurs que considrer le spectacle sportif comme monde du vrai est une croyance mythique qui consiste transposer la ralit dans limaginaire pour mieux agir sur elle. Le dernier moyen dluder la question, cest la contextualisation. On renvoie le constat dinefficience des facteurs historiques. A propos des premiers Jeux Olympiques, Coubertin (31, p37) affirme que le monde grec avait tressailli tout entier ce spectacle. Une sorte de mobilisation morale soprait . Mais il se contredit demble : Athnes, on navait fait que de la technique habille dhistoire ; ni congrs, ni confrence, aucune proccupation morale apparente (p44). Qui plus est il encourage la cration de lAcadmie Olympique pour pallier le fait que la croissance fulgurante des jeux olympiques ne nous a Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 26. 26 pas laiss le temps dtudier, denseigner les principes olympiques . De la mme faon, Blareau (96) prtend que lthique est aujourdhui objet de recherche et denseignement, sous-entendant que ce ntait pas le cas dans le pass. Dans cette perspective, linefficience est rapporte au pass et son efficience est affirme pour lavenir. Mais ce renvoi peut fonctionner dans lautre sens : linefficience thique est la marque du prsent, alors que lefficience se faisait jour dans le pass. On accuse la modernit davoir perdu lexigence morale qui fondait le sport en son origine. La question pose est ds lors bien plus souvent celle du lien entre la valeur en acte dans les pratiques contemporaines et les valeurs prtendues fondatrices du sport. Boix, Espada et Pointu (94) crivent ainsi sur lhritage trahi par Juan Antonio Samaranch. Pour Chovaux et Coutel (03), la communication du spectacle sportif se substitue la transmission de la tradition sportive. Le jeunisme veut rejeter le respect de la tradition o se situent les valeurs thiques. Ils proposent ainsi de faire l analyse des processus par lesquels la spectacularisation des pratiques sportives risque de pervertir durablement les valeurs thiques universelles hrites de la tradition sportive (fraternit, gnrosit, solidarit) (p9). La spectacularisation des pratiques autorise pour eux la capture des valeurs fondatrices du sport au profit du capitalisme total. Bujon (03) surenchrit : force est de constater que les carrires des boxeurs pro places sous lemprise des managers ne sont pas mritocratiques et drogent aux principes sur lesquels se fonde le sport moderne : galit des chances, impartialit des jugements, loyaut . Palierne (03) crit certes avec plus de doute sur lidalisation du pass : le sport fut-il jamais un milieu dchange, daltruisme, dgalit avec son code dthique ? Toujours est-il quil devient maintenant, coup sr, un milieu de rivalit, dgosme, darrivisme dans lanarchie la plus complte . Mais pourquoi ds lors maintenir ce fondement moral que constituerait le pass ? Srement pour donner de la valeur la critique du prsent. La question tait-elle pose au seuil de la rnovation du sport ? Quoiquil en soit, force est de constater que la question nest pas pose au prsent. 42- Les critiques Nous rencontrons les mmes faons dluder le problme de lefficience au sein de la posture critique. La premire consiste unifier les sens thiques en faisant comme sil ny avait que de la violence dans le sport. De la mme faon que les apologues multiplient les discours, les critiques le font pour ne pas voir quil y a aussi amiti, douceur, esthtique dans le sport : le dbat idologique est lui-mme lopium de la critique. Or partir du moment o il ny a plus quune valeur luvre dans le sport, il apparat quelle est ncessairement au principe des actions. La question de savoir comment une valeur peut influencer laction nest ds lors plus ncessaire. Pour lvacuer, on sappuie galement sur un cercle vicieux. Plutt que de se confronter au problme de lefficience, la Thorie Critique, qui en cela est contre-idologie, se laisse ainsi aller lillusion de connaissance en versant dans la rvlation. Le thme prfr de la grande rvlation critique est justement la violence inhrente au sport : le sport adopte tous les signes extrieurs dune Institution libre, galitaire et fraternelle. Sil possde indiscutablement certains traits de surface qui vont en ce sens, en ralit lanalyse de ses structures profondes rvle quil majore la relation dantagonisme et favorise la manifestation de la domination (Parlebas in Arnaud, 86). Une fois induit ce principe de violence, lactivit critique consiste collectionner les cas favorables comme autant de preuves. On scinde donc le sens prtendu des actions relles pour mieux les relier ensuite. Le cercle vicieux qui va de lidal critiqu lide affirme permet ainsi de rester au niveau du sens, sans jamais aller dans laction. Bozzi, Frdric. Jouer le jeu : une approche comprhensive de l'efficience thique - 2009 tel-00416381,version1-14Sep2009
  • 27. 27 Llusion se fait encore sur le mode du transfert. Lefficience de la posture critique ne vaut en effet pas pour elle-mme : alors que la critique se fait au nom de valeurs plus humaines, lactivit critique consiste tre violente et polmique. Les pulsions rvolutionnaires reportent ainsi le problme thique dans un avenir idal, quand sera renvers ce qui apparat mauvais, plutt que de demander comment le bien peut dores et dj saccomplir. Dans la mme perspective, on bascule aisment dans le vrai. Il sagit, en tant dniais, didentifier les valeurs vhicules, les vraies valeurs. Mais la critique cache pour mieux rvler. En effet, tout le monde est au courant des choses rvles. Ainsi par exemple, au sujet de la remarque de Bujon (03) sur les boxeurs, nous pouvons prciser avec Wacquant (01) que les boxeurs ne sont pas dupes et ont hautement conscience dtre exploits . Cest dire que les boxeurs peuvent mettre un autre sens leur pratique et que la question de son efficience reste entire. Pour finir, on c