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D epuis la fin de l’année 1975, l’IRIA a piloté SPARTACUS, cet ambitieux programme de recherche qui devait mettre au point un dispositif (orthèse) per- mettant aux tétraplégiques de recouvrer une certaine autonomie. L’INSERM, le CNRS et le CEA se sont associés à cette initiative qui regroupait plus d’une dizaine de partenaires scientifiques. Trois ans plus tard, un peu plus de cinq millions de francs ont été enga- gés et le bilan de cette opération s’avère mitigé. Les chercheurs ont exploré des options très innovantes pour piloter le bras manipulateur : la SAGEM et l’IRISA ont déve- loppé des techniques infrarouges pour les capteurs de proximité alors que le LAAS explorait les possibili- tés offertes par les ultrasons. Des avancées très significatives ont éga- lement été réalisées en matière de détermination de la position d’un objet grâce à l’emploi de capteurs de vision globale. Plus étonnant encore, la réalisation d’une peau artificielle pour la pince et des avan- cées notables dans le domaine du retour sur effort laissent entrevoir de réelles potentialités dans un domaine encore très peu développé. L’interface entre l’utilisateur et l’ap- pareil a également donné lieu à la conception de prototypes extrême- ment innovants fondés sur l’utilisa- tion du souffle ou de la succion. Un système recevant les mouvements de la glotte et les convertissant en un signal électrique a même été testé. Il permet à l’utilisateur d’agir sur le bras mécanique grâce à un ordinateur capable d’interpréter ses ordres. « Le robot “sensible” viendra à l’aide des grands handicapés » titraient nos confrères de France Soir au début de l’année 1976. Mais le système est trop cher, trop lourd et trop volumineux pour être opé- rationnel. Le robot peut toutefois être déjà utilisé dans d’autres domaines, à commencer par l’indus- trie où encombrement et coûts sont des paramètres moins cruciaux. AB & PG N o 12 26 mars 2007 ANNÉE 1978 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA Et pendant ce temps là... Naufrage de l’Amoco Cadiz dans le Nord- Finistère – Naissance de Louise Brown, le premier bébé éprouvette, à Cambridge – Signature des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte – Mort du chan- teur et compositeur belge Jacques Brel – Première édition du Paris-Dakar – Le film de Patrice Leconte « Les Bronzés » sort en salle – Première diffusion en France du dessin animé Goldorak. Le 13 décembre 1978 – C’est aujourd’hui que prend fin dans la bonne humeur le colloque inter- national sur les méthodes numé- riques qui s’est tenu cette année exceptionnellement à Rocquen- court. Dans les allées des ex- baraquements de l’OTAN, on entend à nouveau parler des lan- gues diverses comme aux plus belles heures du SHAPE, avec une grande différence cepen- dant : les échanges avec les pays communistes sont importants. En effet, depuis le voyage du général de Gaulle en URSS, les chercheurs de l’IRIA ont pu met- tre en place des relations réguliè- res avec les mathématiciens soviétiques ou d’Europe de l’Est dont la réputation déborde les frontières. Les deux communau- tés scientifiques partagent cer- taines façons de faire, une com- mune chaleur et une passion partagée des algorithmes. C’est donc en nombre que les cher- cheurs de l’IRIA se rendent à Novossibirsk dans le cadre de la coopération franco-soviétique en informatique. Cette lointaine ville de Sibérie, située sur le trajet du trans-sibérien, dépasse le million d’habitants mais possède surtout une université, fondée en 1959, dont la réputation en mathéma- tiques est devenue internatio- nale. De grands savants comme le professeur Guri Marchuk ou encore Sergei Sobolev et Nicolay Nicolayevich Yanenko font la gloire de ce que l’on peut appe- ler l’école sibérienne. Depuis le milieu des années 1970, l’idée d’une coopération internationale centrée sur l’Eu- rope se fait jour et l’IRIA se rap- proche des chercheurs ouest- allemands – en dépit de l’échec encore frais d’UNIDATA –, des Italiens et même des Britanni- ques dont l’entrée dans le Mar- ché Commun a dû attendre la disparition du général de Gaulle. Les Japonais, qui misent sur l’in- formatique appliquée, sont aussi de plus en plus souvent invités. Quant aux pays en voie de déve- loppement, ils ne sont pas oubliés même si, ici, la coopéra- tion s’exprime différemment. Dans un monde qui reste divisé, il n’est pas faux d’affirmer que la recherche internationale dessine les alliances de demain, en éclai- reur. AB & PG Le célèbre mathématicien russe Guri Marchuk a assisté au colloque sur les perspectives de la recherche en automatique et informatique qui s’est déroulé les 7 et 8 juin 1978 à l’Unesco (Paris) à l’occasion du 10 e anniversaire de l’IRIA. À sa droite, on voit Pierre Népomiastchy. La renommée de l’IRIA s’étend de Chicago à Novossibirsk ! © INRIA SPARTACUS, le pionnier de la robotique Le MAT-1 développé par le CEA dans le cadre de Spartacus. ©INRIA

Code source 1978-1987

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Années 1978 - 1987 de Code source, le petit journal réalisé en 2007 à l'occasion des 40 ans d'Inria. 40 années en 40 numéros et 40 semaines pour retracer l'histoire de l'Institut.

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Page 1: Code source 1978-1987

Depuis la fin de l’année 1975,

l’IRIA a piloté SPARTACUS,

cet ambitieux programme de

recherche qui devait mettre au

point un dispositif (orthèse) per-

mettant aux tétraplégiques de

recouvrer une certaine autonomie.

L’INSERM, le CNRS et le CEA se

sont associés à cette initiative qui

regroupait plus d’une dizaine de

partenaires scientifiques.

Trois ans plus tard, un peu plus de

cinq millions de francs ont été enga-

gés et le bilan de cette opération

s’avère mitigé. Les chercheurs ont

exploré des options très innovantes

pour piloter le bras manipulateur :

la SAGEM et l’IRISA ont déve-

loppé des techniques infrarouges

pour les capteurs de proximité alors

que le LAAS explorait les possibili-

tés offertes par les ultrasons. Des

avancées très significatives ont éga-

lement été réalisées en matière de

détermination de la position d’un

objet grâce à l’emploi de capteurs

de vision globale. Plus étonnant

encore, la réalisation d’une peau

artificielle pour la pince et des avan-

cées notables dans le domaine du

retour sur effort laissent entrevoir

de réelles potentialités dans un

domaine encore très peu développé.

L’interface entre l’utilisateur et l’ap-

pareil a également donné lieu à la

conception de prototypes extrême-

ment innovants fondés sur l’utilisa-

tion du souffle ou de la succion. Un

système recevant les mouvements

de la glotte et les convertissant en

un signal électrique a même été

testé. Il permet à l’utilisateur d’agir

sur le bras mécanique grâce à un

ordinateur capable d’interpréter ses

ordres.

« Le robot “sensible” viendra à

l’aide des grands handicapés »

titraient nos confrères de France

Soir au début de l’année 1976. Mais

le système est trop cher, trop lourd

et trop volumineux pour être opé-

rationnel. Le robot peut toutefois

être déjà utilisé dans d’autres

domaines, à commencer par l’indus-

trie où encombrement et coûts sont

des paramètres moins cruciaux.

■ AB & PG

No 1226 mars 2007

ANNÉE1978

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA

Et pendantce temps là...

Naufrage de l’AmocoCadiz dans le Nord-Finistère– Naissance deLouise Brown, le premierbébé éprouvette, àCambridge – Signaturedes accords de CampDavid entre Israël etl’Égypte– Mort du chan-teur et compositeurbelge Jacques Brel– Première édition duParis-Dakar – Le film dePatrice Leconte « LesBronzés» sort en salle –Première diffusion enFrance du dessin animéGoldorak.

Le 13 décembre 1978 – C’estaujourd’hui que prend fin dans labonne humeur le colloque inter-national sur les méthodes numé-riques qui s’est tenu cette annéeexceptionnellement à Rocquen-court. Dans les allées des ex-baraquements de l’OTAN, onentend à nouveau parler des lan-gues diverses comme aux plusbelles heures du SHAPE, avecune grande différence cepen-dant : les échanges avec les payscommunistes sont importants.En effet, depuis le voyage dugénéral de Gaulle en URSS, leschercheurs de l’IRIA ont pu met-tre en place des relations réguliè-res avec les mathématicienssoviétiques ou d’Europe de l’Estdont la réputation déborde lesfrontières. Les deux communau-tés scientifiques partagent cer-taines façons de faire, une com-mune chaleur et une passionpartagée des algorithmes. C’estdonc en nombre que les cher-

cheurs de l’IRIA se rendent àNovossibirsk dans le cadre de lacoopération franco-soviétique eninformatique. Cette lointaine villede Sibérie, située sur le trajet dutrans-sibérien, dépasse le million

d’habitants mais possède surtoutune université, fondée en 1959,dont la réputation en mathéma-tiques est devenue internatio-nale. De grands savants commele professeur Guri Marchuk ou

encore Sergei Sobolev et NicolayNicolayevich Yanenko font lagloire de ce que l’on peut appe-ler l’école sibérienne.Depuis le milieu des années1970, l’idée d’une coopérationinternationale centrée sur l’Eu-rope se fait jour et l’IRIA se rap-proche des chercheurs ouest-allemands – en dépit de l’échecencore frais d’UNIDATA –, desItaliens et même des Britanni-ques dont l’entrée dans le Mar-ché Commun a dû attendre ladisparition du général de Gaulle.Les Japonais, qui misent sur l’in-formatique appliquée, sont ausside plus en plus souvent invités.Quant aux pays en voie de déve-loppement, ils ne sont pasoubliés même si, ici, la coopéra-tion s’exprime différemment.Dans un monde qui reste divisé, iln’est pas faux d’affirmer que larecherche internationale dessineles alliances de demain, en éclai-reur. ■ AB & PG

Le célèbre mathématicien russe Guri Marchuk a assisté au colloque sur les perspectives de la rechercheen automatique et informatique qui s’est déroulé les 7 et 8 juin 1978 à l’Unesco (Paris)

à l’occasion du 10e anniversaire de l’IRIA. À sa droite, on voit Pierre Népomiastchy.

La renommée de l’IRIA s’étendde Chicago à Novossibirsk !

© I

NR

IA

SPARTACUS,

le pionnier de la robotique

Le MAT-1 développé par le CEAdans le cadre de Spartacus.

©IN

RIA

Page 2: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 12 – 26 mars 2007)

La coopération scientifique avec

les Russes s’inscrivait dans la poli-

tique étrangère de la France qui

visait l’équilibrage entre les super-

puissances. Pour l’IRIA, les rela-

tions avec la Russie étaient avant

tout l’histoire d’une rencontre

entre deux hommes : Jacques

Louis Lions, qui dirigeait le Labo-

ria, et Guri Marchuk, le directeur

du centre de calcul d’Akademgo-

rodok – l’équivalent du centre de

calcul en France, et également

centre de recherche – qui devint

par la suite le ministre de la

Science et Technique (GKNT) et

vice-premier ministre, puis prési-

dent de l’Académie des sciences

d’URSS. Leur première rencontre

datait d’une mission officielle en

Russie en 1964 au cours de

laquelle les deux hommes sympa-

thisèrent et se découvrirent des

intérêts communs. Dès 1966 Mar-

chuk et son équipe effectuèrent

un voyage en France. J’étais un

étudiant de Lions et, comme je

parlais le russe, j’étais son inter-

prète. Par la suite, j’ai souvent

accompagné Lions lors de ses visi-

tes régulières en URSS, à Moscou

ou dans la cité scientifique d’Aka-

demgorodok, et, de façon plus

générale, je le représentais sou-

vent en tant qu’adjoint.

Au mois de décembre, se tenait le

traditionnel colloque sur les

méthodes numériques au Palais

des congrès de Versailles où nous

accueillions les équipes du centre

de calcul et d’autres instituts de

recherche de Akademgorodok. En

retour, au mois de mai, les cher-

cheurs du Laboria allaient en

Sibérie. À partir de 1972, des sémi-

naires ont été régulièrement orga-

nisés et ces échanges aboutiront,

au tout début des années 1990, à

la création, dans les locaux de

l’université de Moscou, du labora-

toire franco-russe A.M Liapunov

d’informatique et de mathémati-

ques appliquées. Pierre Nepo-

miastchy en a été le directeur et

j’ai fait partie du conseil scientifi-

que et du comité de gestion. Lors

de nos collaborations avec les

Russes, nous évitions de parler

des sujets militaires pour des rai-

sons évidentes. Il était question de

sujets fondamentaux concernant

des applications civiles de la

mécanique des fluides, les calculs,

la résolution des grands systèmes

ou l’étude de systèmes hiérarchi-

sés.

Contrastant avec le cadre formel

des relations avec l’URSS, les

échanges avec le reste du monde

et en particulier les États-Unis se

sont développés de façon infor-

melle. Vers le milieu des années

1980, les directeurs de la NSF

(National Science Foundation) et

de l’INRIA – respectivement Eric

Bloch et Alain Bensoussan – se

sont entendus pour formaliser le

réseau franco-américain devenu

très dense en finançant des

actions de recherche réunissant

des équipes INRIA et des équipes

universitaires américaines.

■ J. G.

« Au mois de mai, les chercheursdu Laboria allaient en Sibérie »par Georges Nissenancien directeur des relations internationales de l’INRIA.

« J’ai passé des nuitsentières à travaillersur Spartacus »par Bernard Espiaudirecteur scientifique adjoint de la direction du développementtechnologique

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest,J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconogra-phie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier del’informatique» paru chez EDP Sciences), J. Gramage et A.-M. Militan.

LE SAVIEZ-VOUS ?La Sems annonce le Mitra 15 – Le rapport Nora-Minc sur l’informatisa-

tion de la société française est publié – La société Transpac est créée

– Apple présente son premier lecteur de disquette à Las Vegas – Intel

lance la production de son processeur 16 bits 8086. Il est composé de

29000 transistors en technologie 3 microns et peut accéder 1 Mo de

Ram. Sa puissance est de 0.33 MIPS et il coûte 360 $.

J’ai quitté le service technique

informatique de l’IRIA à Rocquen-

court en 1976 pour aller à l’Irisa

(Rennes) travailler dans le projet

Spartacus. Ce projet pilote venait

d’être créé et était dirigé par un

champion d’escrime, Jack Guittet.

J’avais l’ambition de développer

une activité robotique : je voulais

faire de l’automatique pour la

robotique. Le sujet n’était pas

facile, c’était donc d’autant plus

intéressant !

À l’époque, la robotique en était à

ses débuts et on la considérait

plutôt comme manufacturière,

ayant comme seule application

l’automatisation des lignes de

production dans les usines. Dans

ce contexte Spartacus était très

novateur : c’était le premier projet

de robotique avec application

médicale. Spartacus était un robot

d’assistance pour des personnes

tétraplégiques. Mon sujet de

recherche consistait à utiliser des

capteurs infrarouges réalisés par

la Sagem, implantés dans les

doigts du robot, et à transmettre

l’information ainsi obtenue aux

commandes du robot. Ce dernier

était guidé dans des tâches de sai-

sie grâce à ces capteurs d’environ-

nement. Je me souviens avoir

passé des nuits entières à travail-

ler avec Pierre André qui venait de

Besançon et qui faisait de la com-

mande par glottométrie. À Ren-

nes, j’étais logé dans la Tour des

Maths qui, comme son nom ne

l’indique pas, avait été occupée

par des chimistes ! Dans mon

bureau, il y avait encore les pail-

lasses avec des robinets et d’au-

tres matériels de chimie.

La commande référencée cap-

teurs sur laquelle j’ai travaillé a

été implantée sur un manipula-

teur nucléaire MA23. Ensuite le

prototype MAT1 a été réalisé par

le CEA et a eu un grand retentisse-

ment médiatique. Les perspecti-

ves ouvertes par ce projet ont été

nombreuses. Spartacus a marqué

le début de la recherche en robo-

tique au service des personnes

handicapées. Il a d’autre part faci-

lité la rencontre de personnes

venant d’horizons différents qui

ont constitué la première com-

munauté robotique française. Par

ailleurs, la télé-opération a eu des

applications intéressantes dans

le domaine du nucléaire, par

exemple pour des manipulations

en zones à hautes radiations. Le

CEA a beaucoup travaillé dans ce

domaine.

La communauté créée autour de

Spartacus a servi à la création

ultérieure du projet ARA (Auto-

matique et robotique avancées)

lancé par Georges Giralt. L’activité

robotique à l’IRIA s’est amplifiée,

surtout à Rocquencourt. En ce qui

me concerne, la participation à

ce projet a clairement influencé

toute ma carrière. ■ A.-M. M.

© Michel Parent

Le robot MA23 a été conçu parJean Vertut et réalisé par leCEA. Trois capteurs de proxi-mité infrarouge à fibres opti-ques (réalisation Sagem) ontété intégrés sur une pince bidi-gitale et utilisés dans la com-mande référencée capteurs durobot pour la saisie automati-que d'objets.Une manipulation totalementautomatique a été montée dansla vitrine d'un grand magasinparisien pour Noël 1977 ou1978 (ci contre). Les comman-des développées sur le MA23ont ensuite été transférées surle robot MAT1, longtemps uti-lisé à l'hôpital de Garches.

Le MA23 développé par le CEAdans le cadre de Spartacus

© INRIA - Photo A. Eidelman

© INRIA - Photo R. Lamoureux

Page 3: Code source 1978-1987

Le 20 novembre 1979 – Les bou-leversements du secteur de l’in-dustrie informatique menacentdésormais directement l’IRIA.Certes, un certain nombre dedéclarations semblaient l’an der-nier rassurantes quant à l’avenirde l’institut. Mais en réalité desdysfonctionnements continusperturbent, pour ne pas direparalysent, l’essor de l’IRIA mal-gré la réforme de 1972. Il seraitlong de pointer les multiples cau-ses qui ont débouché à la fois surl’inquiétude des personnels et surdes formes de désenchantementtant de la direction que des tutel-les. On peut souligner toutefoisque le statut administratif del’institut ne lui permet pas d’avoirla souplesse et la réactiviténécessaires quand il s’agit d’ou-vrir des voies nouvelles. Dans untel contexte, certains pensentqu’une nouvelle réforme ne seraitpas suffisante et qu’une solutionplus radicale s’impose. De cepoint de vue, la création, l’annéedernière, de l’Agence pour ledéveloppement des applicationsde l’informatique pourrait bienêtre le signe que le gouverne-ment du Président Valéry Giscard

d’Estaing ne regarde plus l’IRIAavec le même œil.Faut-il alors évoquer un démem-brement ? Avec le peu d’informa-tions dont nous disposons, lescraintes les plus diverses s’expri-ment aujourd’hui par la voix dessyndicats qui sont unis devantcette menace persistante dedémantèlement. Ils parlentd’éclatement et s’inquiètent tout

particulièrement du sort du Labo-ria. Le 16 mai dernier, le journal« Le Monde », qui passe pourgénéralement bien informé, pré-cisait que le Laboria seraitdécentralisé vraisemblablementà Rennes ou à Valbonne, dansles Alpes-Maritimes, où il estquestion de développer un centrede technologies de pointe. Deuxjours plus tard, dans « l’Éclair du

centre », Michel Durafour posaitla candidature de Saint-Étiennepour l’implantation de l’IRIA. Àl’automne, la presse annonçaitque le CNRS allait désormaisaccueillir une partie des fonc-tions de l’IRIA. La fin de l’annéeapprochant, les rumeurs se fontplus précises. L’informatisationde la société reste d’actualitémais l’IRIA serait réformé. Unnom a déjà été avancé pour ladirection de la nouvelle structureet ferait l’unanimité dans lessphères dirigeantes. Les fonc-tions de l’institut seraient parta-gées avec l’Agence nouvelle-ment créée, qui s’appelledésormais l’Agence de l’informa-tique. Certains spécialistes fontsavoir que, dans ces conditions,ils préféreraient poursuivre leursrecherches hors de France. Lanouvelle de la suppression immi-nente de l’IRIA inquiète le per-sonnel d’autant qu’aucune expli-cation n’a été fournie sur lepartage des rôles entre l’Agencede l’informatique et le succes-seur de l’institut. Bien que per-ceptible, l’angoisse reste teintéede la volonté de réussir un nou-veau départ. ■ AB & PG

L’IRIA sera-t-il dé-

localisé à Rennes?

C’est l’une des possibi-

lités évoquées actuelle-

ment avec Nice et Gre-

noble qui présentent

également des atouts

importants. Mais le

développement de la

Bretagne est une prio-

rité depuis les années

1950 et l’IRIA a contri-

bué depuis près de 10

ans au développement

de l’informatique dans

cette région. En parti-

culier, il a réussi, avec

l’université et le CNRS, à créer l’Institut de recherche

sur l’informatique et les systèmes aléatoires (IRISA)

en 1975. L’installation d’un pôle consacré à la recherche

en informatique et en automatique qui absorberait

l’IRIA ne serait que la

poursuite et l’accéléra-

tion des moyens dont

Rennes bénéficie ou va

bénéficier : l’université,

bien entendu, l’Institut

national des sciences

appliquées, l’École

supérieure d’électricité,

le Centre commun

d’études de télédiffu-

sion et de télécommu-

nication et le Centre

électronique de l’arme-

ment. Aujourd’hui, le

succès est patent puis-

que la Bretagne se

classe en quatrième position pour la recherche en infor-

matique et en automatique, presque à égalité avec Midi-

Pyrénées et proche de Rhône-Alpes. Elle possède donc

tous les atouts pour accueillir l’IRIA. ■ AB & PG

No 132 avril 2007

ANNÉE1979

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA

Et pendantce temps là...

Le Conseil Européendécide de créer un sys-tème monétaire euro-péen baptisé Ecu – Lepremier restaurant McDonald’s ouvre enFrance – Mère Thérésareçoit le prix Nobel de laPaix – La première fuséeAriane est réalisée –Saint Gobain rachète laparticipation de la CGEdans la CII.

Des menaces persistantes pèsent sur l’IRIA

Le personnel de l’IRIA s’est mis en grève ce 20 novembreà l’appel des syndicats SNTRS-CGT, SGEN-CFDT et SNCS-FEN.

Photo

©IN

RIA

Une décentralisation de l’IRIA à Rennes?

DR

Page 4: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 13 – 2 avril 2007)

« Le protocole d’accord avaitl’avantage d’être à peu près vide »par Jean-Yves Violle,ancien secrétaire général de l’Irisa

« L’institut existera-t-ilaprès les fêtesde Noël? »par Danièle Steer,secrétaire de la section INRIA du syndicat SNTRS/CGT

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest,J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconogra-phie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier del’informatique» paru chez EDP Sciences), J. Paul et C. Sortais.

LE SAVIEZ-VOUS ?CII-HB sort le DPS 7 — Sony lance le walkman — Philips, Sony et

Hitachi sortent le CD audio — Début de la radiotéléphonie cellulaire —

Sortie du jeu Space Invaders de Toshihiro Nishikado chez Taito — Pre-

mier SPAM envoyé sur Arpanet à plus de 400 personnes par un res-

ponsable marketing de Digital Equipement Corporation. SPAM (en fran-

çais pourriel — contraction de poubelle et de courriel) fait référence à

un sketch des Monty Python et vient de la marque américaine du même

nom (Shoulder of Pork and hAM) qui vend de la viande en conserve bon

marché.

À la fin des années 1970, la Délé-

gation à l’aménagement du terri-

toire et à l’action régionale

(DATAR) ne voulait plus créer

d’emplois en région parisienne ; le

Laboria était bloqué à 80 postes.

Dès l’été 1978 se répandirent des

bruits sur la volonté de la DATAR

de délocaliser le centre de calcul

et le Laboria à Sophia Antipolis

pour y créer une Silicon Valley à la

française et de transférer les acti-

vités du Sesori à la nouvelle

Agence de l’informatique. La nou-

velle ne fut officielle qu’en

février 1979. Je me souviens qu’il

n’a cependant jamais été envisagé

de consulter le personnel alors

que nous nous battions déjà pour

plus de démocratie au sein de

l’institut.

Si les décrets de création de

l’Agence et de suppression de

l’IRIA étaient parus, la création de

l’INRIA ne faisait que l’objet d’an-

nonces. Il semblait y avoir des dif-

ficultés pour définir le statut du

nouvel institut et celui de ses

agents. Le personnel du Laboria

qui s’était fortement opposé à

quitter Rocquencourt ne savait

pas de quoi l’avenir serait fait. À la

veille des fêtes de Noël et des cinq

jours de congés octroyés à cette

occasion, aucune décision offi-

cielle n’était parue et nous guet-

tions chaque numéro du Journal

Officiel avec une inquiétude gran-

dissante. Nous sommes tous par-

tis avec en tête la question : « L’ins-

titut existera-t-il après les fêtes de

Noël ? ». L’INRIA a finalement été

créé par décret le 27 décembre

1979, sans création d’emplois et

plus d’un an après l’annonce de la

réorganisation de l’IRIA et de la

décentralisation du Laboria et du

centre de calcul. Restait la ques-

tion des personnels : pour les

chercheurs, dont le statut était

précaire, comme pour les ITA, il

n’y avait aucune garantie que la

décentralisation ou le refus d’aller

à l’Agence n’entraîneraient pas le

licenciement. Notre action a porté

sur la dévolution des emplois

entre l’Agence et l’INRIA ; nous

avons défendu ceux qui ne vou-

laient pas aller à l’Agence.

Grâce à l’action conjointe des per-

sonnels et des organisations syn-

dicales ainsi à celle du professeur

Lions, l’INRIA est resté à Roc-

quencourt. In fine, la décentrali-

sation s’est traduite par la créa-

tion d’une unité de recherche à

Sophia-Antipolis. Nous avons

obtenu que les départs se fassent

sur la base du volontariat avec des

indemnités conséquentes. ■ J. P.

© P

hoto

Fra

nce

Tele

com

En France, la Direction Générale des Télécommunications lance uneexpérience à grande échelle de son terminal télématique Minitel àVélizy, Versailles et Val de Bièvre.

La naissance du Minitel

© INRIA - Photo J.-M. Ramès

Avant de rejoindre Rennes, je tra-

vaillais au service administratif de

Rocquencourt en qualité de chef

du personnel. Dès 1969, alors

qu’il était question de vagues pro-

jets de création d’un laboratoire à

Rennes – on parlait à l’époque de

décentraliser l’IRIA –, j’avais indi-

qué à Alain Serieyx (alors secré-

taire général de l’IRIA) que j’étais

intéressé par cette perspective. Le

projet initial tourna court devant

l’impossibilité pour le ministère

de tutelle de s’engager financiè-

rement pour les dépenses de

fonctionnement induites par

cette décentralisation. Une opé-

ration menée conjointement avec

le CNRS, l’université de Rennes 1

et l’Insa de Rennes aboutit néan-

moins à la création d’un labora-

toire universitaire associé au

CNRS (LA 227) et soutenu par

l’IRIA qui mettait à sa disposition

des personnels de recherche et

des crédits.

Ce laboratoire prit le nom d’Irisa

et je fus mis à la disposition de

son directeur Michel Métivier

sous le titre pompeux de secré-

taire général à partir du 1er sep-

tembre 1974. Concrètement, je

m’occupais de la gestion des cré-

dits, de la rédaction des contrats

de recherche, du suivi des per-

sonnels – notamment des per-

sonnels rémunérés sur contrats

de recherche – et du suivi des mis-

sions, sans oublier l’interface

avec les services administratifs de

l’IRIA, du CNRS et de l’université

de Rennes 1. Ma tâche fut facilitée

par la confiance que m’accordè-

rent par la suite le président de

l’IRIA (INRIA à partir de 1980),

Jacques-Louis Lions, et son secré-

taire général, Vincent George.

Le premier travail que me

demanda le comité de direction

devant lequel le directeur de

l’Irisa était responsable fut de

rédiger un protocole d’accord

concrétisant la volonté des quatre

établissements partenaires d’œu-

vrer à l’existence et au bon fonc-

tionnement de l’Irisa. Ce proto-

cole, qui fut rédigé sur les

directives du Président de l’INRIA

et avec la collaboration d’Anne-

Marie Laroche du service juridi-

que de l’institut, avait l’avantage

d’être à peu près vide. Dans son

article premier, les signataires

s’engageaient « à maintenir les

moyens mis à la disposition de

l’Irisa » et – plus important –il

était mentionné que la direction

de l’Irisa était assurée par un

directeur nommé par le comité

de direction de l’Irisa. L’Irisa fonc-

tionna pendant près de 15 ans en

se fondant sur un protocole d’ac-

cord d’une très grande souplesse.

Comme l’avait dit Bonaparte,

« une bonne constitution doit être

courte et obscure »

■ C. S.

« Les ordinateurs sont comme les Dieuxde l’Ancien Testament :

beaucoup de règles et aucune pitié »Joseph Campbell, mythologiste américain.

© INRIA - Photo A. Eidelman

Page 5: Code source 1978-1987

Le 10 avril 1980 – Moins dequatre mois après le décret decréation de l’INRIA le27 décembre dernier, où en estle nouvel institut d’informatiqueet d’automatique? Même si sonstatut d’établissement adminis-tratif rompt avec le passé, l’IN-RIA doit continuer de tendrevers les applications industriellesde la science et de la techniqueet assurer une large diffusion dusavoir et du savoir-faire de l’ins-titut. Son président, Jacques-Louis Lions a ainsi affirmé que les contratsfavorisent la connaissance des besoins desindustriels tout en faisant progresser lascience fondamentale.De nombreuses questions restent cependanten suspens. Le premier défi à relever est deréussir la décentralisation. L’établissement

d’une unité à Sophia Antipolis pourrait ouvrirla voie à de nouvelles implantations régiona-les, ce qui serait dans la logique d’un institutd’envergure nationale. Ensuite, il s’agit deconvaincre les tutelles que l’institut a besoinde ressources suffisantes et surtout d’unecertaine continuité dans les moyens. Trop

souvent par le passé des bud-gets maigres ou de rattrapagese sont succédé et ont ralenti lacroissance légitime de l’IRIA. Ilfaut aussi se poser la questionde l’évolution des formes decoopération avec le mondeextérieur. Certains parlent defiliales, d’autres espèrent que lalégislation ouvrira la voie del’entreprise aux instituts publics.Enfin, les syndicats, fortementémus par les derniers événe-ments, attendent du nouveau

président un dialogue concret pour ne pasavoir l’impression de subir des décisionsvenues d’un ministère ou d’un cabinet. Deschantiers complexes et quelquefois redouta-bles mais l’histoire récente du défunt IRIAmontre que la ressource humaine existe etqu’elle se plaît aux grands défis. ■ AB & PG

L’ avenir de l’INRIA repose très

largement sur les épaules

de son premier Président-directeur

général Jacques-Louis Lions.

Nommé pour trois ans, Jacques-

Louis Lions apparaît tout à la fois

comme le président du renouveau

et l’homme de la continuité. La

grève des 7 et 8 janvier dernier

aurait pourtant pu placer ce nou-

veau départ sous de bien mauvais

auspices. L’énergie et le charisme du

grand mathématicien ont très large-

ment contribué à surmonter ces dif-

ficultés. Le cap est en effet fixé très

clairement avec pour priorité l’ex-

cellence scientifique et le transfert

de technologie. Jacques-Louis Lions

a précisé sa doctrine lors du récent

conseil scientifique du mois de mars.

« Les projets de recherches seront

extrêmement souples, laissant à cha-

cun une très grande initiative indi-

viduelle, aucune idée ne sera jamais

refusée au départ, mais soumise à

un examen collectif, afin d’en véri-

fier et d’en approfondir l’intérêt. »

Au-delà de l’homme c’est en effet

un collectif qui monte en ligne. Jac-

ques-Louis Lions s’appuie sur un

premier cercle de disciples surnom-

més les Lionceaux mais il sait égale-

ment pouvoir compter sur une

génération de chercheurs qu’il a

choisis et qui ont désormais l’expé-

rience et la surface internationale

nécessaires pour donner à l’institut

les cadres indispensables. Organisa-

teur, Jacques-Louis Lions est égale-

ment un homme de communication.

Fort de son expérience à la tête du

Laboria, il entend bien rassurer les

autorités extérieures – qui compren-

nent avec quelques difficultés la

nature exacte des recherches

menées à l’INRIA – tout en préser-

vant en interne les équilibres entre

spécialités, localisations et commu-

nautés de recherche.

Académicien des sciences, profes-

seur au Collège de France, secré-

taire de l’Union mathématique

internationale, Jacques-Louis Lions

a fait des mathématiques appliquées

une discipline respectée dans l’uni-

versité et courtisée au-dehors. Il

n’en est pas moins resté accessible.

En renvoyant dos-à-dos, comme il

l’a toujours fait, les fanatiques de

l’art pour l’art et les inconditionnels

de l’utilitaire, il entend faire de l’IN-

RIA une institution de recherche de

premier rang, inscrite dans son siè-

cle. Sa stature apparaît donc comme

l’un des atouts majeurs de l’INRIA

au point que certains s’interrogent :

le pouvoir politique aurait-t-il

donné cette nouvelle chance à l’ins-

titut sans l’énergie et la caution

intellectuelle de celui qui en prend

cette année les rênes? ■ AB & PG

No 1410 avril 2007

ANNÉE1980

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA

Et pendant ce temps là...Marguerite Yourcenar est la première femme élue àl’Académie française – Éruption du Mont Saint-Hélensaux États-Unis – Lancement de la première chaîne d’in-formation en continu CNN – L’Irak envahit l’Iran – EnFrance, le comique Coluche est candidat à la présiden-tielle – John Lennon est assassiné à New York.

Dès sa naissancel’INRIA fait face à de grands défis

Jacques-Louis Lions, l’homme de la situation

© I

NR

IA

© INRIA

L’IRIA ajoute un N à son nom, et inaugure un nouveau logodont la légende dit qu’il fut conçu par Jacques-Louis Lions lui-même.

Page 6: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 14 – 10 avril 2007)

« Tout le monde défilait à Rocquencourtpour voir le buroviseur »par Najah Naffah,ancien responsable du projet Kayak

Jacques-Louis Lions m’adit « une page se tourne »par Antoinette Theis,ancienne secrétaire de Jacques-Louis Lions.

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest,J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconogra-phie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier del’informatique» paru chez EDP Sciences), I. Belin et J. Gramage.

LE SAVIEZ-VOUS ?Inauguration par le parlement européen du réseau public Euronet —

Pacman envahit les bornes arcades — L’industrie s’empare de la tech-

nologie de la mémoire flash pour conserver sans alimentation les don-

nées utilisées par les systèmes intelligents embarqués dans les avions

ou les voitures — IBM (international business machines) lance le pre-

mier micro-ordinateur grand public baptisé IBM PC (personal compu-

ter). Il est commercialisé avec le système d’exploitation MS-DOS de

Microsoft ; il est doté de 16 à 64 Ko de mémoire vive et fonctionne

avec un processeur 8088 Intel.

Je suis arrivée en 1971 pour être

secrétaire de J.-L. Lions et je l’ai

accompagné durant la majeure

partie de sa carrière. En 1979, en

pleine turbulence de décentrali-

sation, de nombreuses rumeurs

circulaient sur l’avenir de l’insti-

tut, notamment sur le sort du

volet « recherche » qu’il était ques-

tion de rattacher au CNRS et

d’installer en province. Ne tari-

rait-on pas les échanges privilé-

giés avec le tissu universitaire,

industriel et scientifique desquels

le Laboria tirait sa substance, sa

raison d’être et sa notoriété ?

La création envisagée d’un nou-

veau pôle « high-tech » à Sophia-

Antipolis, fut une occasion extra-

ordinaire de justifier une

décentralisation et de créer I’IN-

RIA dans une perspective hardie

et habile de vocation nationale.

En effet, J.-L. Lions, nommé pré-

sident du nouvel institut en 1980,

associait dans un même orga-

nisme l’Irisa de Rennes, sous la

houlette de J.-P. Verjus, et le nou-

veau centre de Sophia-Antipolis,

confié à P. Bernhard et dont les

plans déployés sur la table de mon

bureau furent discutés et réalisés

en un temps record. S’y ajoutaient

les groupes de recherche de Gre-

noble, de Toulouse et de la Lor-

raine. Mais le cœur de l’INR1A

était maintenu à Rocquencourt,

préservant ainsi le savoir-faire

patiemment élaboré depuis tant

d’années et le réseau de relations

avec les grands organismes et les

autorités de tutelle.

Pragmatique autant que vision-

naire, J.-L. Lions, réfléchissant à

l’organigramme de 1’INRIA, me

dit aussitôt « Dessinez-moi un

camembert », montrant ainsi son

souhait de définir une direction

collégiale dans le droit-fil de ce

qui était déjà la méthode Lions :

déléguer, faire confiance en susci-

tant chez chacun le meilleur de

ses possibilités, faire circuler l’in-

formation, écouter puis décider

en ponctuant d’un « ne perdons

pas de temps ! ». Et cela toujours

avec enthousiasme, droiture,

modestie et avec le souci très vif

de contribuer à un rayonnement :

« c’est bon pour la science et c’est

bon pour la France ». Où s’instal-

ler ? Autre question dont le sym-

bolisme ne lui échappa pas. Le

choix se porta finalement sur les

bâtiments du centre de calcul qui

lui permettaient de quitter ceux

de la recherche sans pour autant

intégrer ceux de l’ancienne direc-

tion. Le jour de la transition, il y

avait à peine une dizaine de

mètres à parcourir, du bâtiment

16 au 8, et aussi une nouvelle voie

où s’engager, peut-être semée

d’embûches. D’une voix rendue

sourde par l’émotion, J.-L. Lions

me dit alors « une page se

tourne ». ■ J. G.

© Photo INRIA

« En 1980, près de six millions de personnes étaient concernées en France par le travail de

bureau, soit 950 000 secrétaires et dactylos, 1 650 000 cadres administratifs et 3 000 000

d’employés de bureau. Cette population met en circulation 250 milliards de pages par an,

émet et reçoit 10 milliards d’appels téléphoniques. Comment, avec l’aide de l’informati-

que, pourra-t-on à terme simplifier ces activités ? La réponse s’appelle bureautique, c’est-

à-dire l’automatisation des fonctions d’information et de communication. »Dossier Le bureau de demain, La Recherche, no 136, 1982.

Le buroviseur

© INRIA - Photo A. Eidelman

© INRIA - Photo Studio 9

Aujourd’hui, quoi de plus com-

mun qu’un PC multimédia ? C’est

en quelque sorte ce que nous

avons inventé au début des

années 1980 avec notre « burovi-

seur », dans le cadre du projet

pilote Kayak. L’histoire remonte à

1978, quand nous avons réfléchi

avec Louis Pouzin – l’homme du

réseau Cyclades – à ce que serait

un terminal de bureautique

moderne adapté aux besoins

d’une secrétaire ou d’un cadre.

Rien de ce genre n’existait en

France mais nous sommes allés

voir les développements en cours

aux États-Unis et puiser des idées

au MIT, au Stanford research insti-

tute et au laboratoire de Xerox.

Nous avons d’emblée été inspirés

par l’ordinateur personnel inter-

actif Alto, développé par Xerox

sous la direction d’Alan Kay et

dédié à la programmation. En

rentrant, j’ai lancé Kayak qui a

rapidement mobilisé une quaran-

taine de chercheurs (dont une

dizaine sur postes IRIA). Nous

avons conçu le buroviseur en six

mois, avec un processeur Intel de

8 bits et des mémoires et cartes

banalisées. Nous y avons ajouté le

traitement de la voix et des appli-

cations bureautiques interactives.

En le voyant, Alan Kay et ses collè-

gues ont été bluffés. Professeurs et

chercheurs américains et cana-

diens sont vite devenus des visi-

teurs permanents de l’IRIA et des

centres de recherche français.

Une thèse du MIT a même été

menée dans notre équipe. En 1981

nous avons fait un véritable show

devant 800 personnes et la presse :

le buroviseur disposait d’un écran

à plusieurs fenêtres, d’une souris

à trois touches fonctions, d’une

interface homme-machine très

évoluée, de la reconnaissance et

synthèse vocale, d’une connexion

en réseau local, d’un traitement

de texte, d’un écran graphique et

d’un éditeur comparable à l’ac-

tuel Powerpoint (mais avec 15 ans

d’avance). Universitaires, étu-

diants et délégations étrangères

défilaient à Rocquencourt pour le

voir et le tester. Malheureusement

les tentatives d’industrialisation

n’ont pas abouti : le marché n’était

pas prêt à adopter une solution

aussi évoluée ! Bull, qui était au

conseil d’administration de l’IRIA,

a décidé d’exploiter notre savoir-

faire. J’ai rejoint le groupe avec

une grande partie de mon équipe

et nous avons pu faire aboutir plu-

sieurs projets industriels comme

ImageWorks et FlowPath mais

aucune solution complète grand

public. Seuls quelques burovi-

seurs ont été distribués aux uni-

versités, et des grands comptes

comme le ministère des finances

s’en sont inspirés pour bâtir leurs

modèles de bureautique. Dom-

mage tout de même que l’on n’ait

pas plus breveté ! ■ I. B.

© Najah Naffah

Page 7: Code source 1978-1987

Le 11 mai 1981 — L’élection deFrançois Mitterrand saura-t-elleapaiser le climat social délétèrerégnant à l’INRIA ? Après lagrève du 20 novembre 1979 liéeà la disparition de l’IRIA, puiscelle des 7 et 8 janvier 1980 àpropos de la séparation des biensentre le nouvel INRIA et l’Agencepour l’informatique, c’estaujourd’hui le sort des person-nels hors-statuts qui inquiètentles personnels de l’INRIA ainsique des problèmes d’avance-ment de carrière, de revalorisa-tions de salaire, de primes, etc.Pour lutter contre l’inflation, legouvernement a mené durant lesannées 1970 une politique dedéfense du franc et de gel dessalaires qui a irrité de nombreu-ses catégories sociales. Un cer-tain nombre de fois le « pot » dela direction pour la nouvelleannée a été boycotté en faveurdu « pot » des syndicats. Nom-bre de ces revendications sontd’ailleurs communes à l’ensem-

ble des organismes de rechercheavec, en tête, le CNRS qui repré-sente les bataillons les plusimportants de chercheurs et ITA,suivi de l’INRA et de l’INSERM.Mais elles sont exacerbées à l’IN-RIA par les incertitudes et lescraintes associées à la naissance

du nouvel institut. Le personneladministratif attend des recrute-ments et des revalorisations tan-dis que les chercheurs réclamentdes ouvertures de poste et la findes blocages statutaires. Il est ànoter également que pendant lesannées 1970, la discrimination

de salaires entre hommes et fem-mes, en particulier pour le per-sonnel administratif le moinsqualifié, est régulièrementdénoncée. L’association qui gèreles œuvres sociales (comme lerestaurant) figure égalementparmi les revendications du per-sonnel car il est souhaité qu’ellesoit aidée et encouragée. Toute-fois, la nécessaire mobilité despersonnels dans un secteur depointe suppose que des solutionsoriginales soient trouvées avecles représentants du personnelpour ne pas figer la situation.Établissement de taille moyenne,encore peu dispersé d’un pointde vue régional, l’INRIA bénéfi-cie néanmoins d’un présidentapte au dialogue social. Les pre-miers résultats sont encoura-geants et l’atmosphère devientd’autant moins lourde que lenouveau gouvernement souhaiteapporter une solution définitive àla question récurrente de l’avenirdes hors-statuts. ■ AB & PG

W here is the Hut? Telle pourrait

être la question posée par un

improbable touriste britannique se

présentant pour visiter Voluceau.Au

sein des constructions anonymes

héritées de la rationalité améri-

caine, le bâtiment 8 est en

effet devenu un lieu quasi

mythique pour un nombre

croissant d’informaticiens à

travers le monde. Les anglo-

saxons l’ont baptisé la

« hutte ». L’identité du lieu

s’affirme en fait à travers ses

occupants, un groupe de cher-

cheurs – que d’aucuns comparent

à une tribu d’irréductibles gaulois –

qui s’est formé il y a quelques années

sous la protection bienveillante de

Jacques-Louis Lions soucieux de

faciliter l’émergence de thématiques

réellement neuves en informatique.

Il fit ainsi confiance à de jeunes doc-

teurs ayant soutenu leur thèse aux

États-Unis et revenant en France

avec le désir d’explorer de nouveaux

territoires.

Gilles Kahn et Gérard Huet furent

ainsi à l’origine du premier projet

dirigé par cette nouvelle génération.

Sur les pas de Dana Scott, père de

la sémantique des langages de pro-

grammation, l’IRIA, maintenant

INRIA, est devenue dans leur sillage

l’une des rares institutions mondiales

à s’engager de manière consistante

dans le domaine du Lambda Calcul.

Jean Vuillemin, Philippe Flajolet et

Jean-Jacques Lévy ont réalisé en une

dizaine d’années des avancées déci-

sives dans le domaine des langages

de programmation.

Ces réussites n’ont pas

changé l’état d’esprit d’un

lieu où les sympathies

dépassent largement le

cadre professionnel et où les

échanges internationaux

sont plus que jamais privilé-

giés. Profitant de la fusion

entre CII et Honeywell-Bull,

Gilles Kahn a obtenu l’attribution

d’une machine américaine le GE 645

de General Electric. Faute des VAX

dont ils rêvent, les hommes du Bâti-

ment 8 s’adonnent grâce à elle à

une nouvelle forme de communica-

tion aux formes curieuses et à l’ave-

nir incertain : le « courrier électro-

nique ». ■ AB & PG

No 1516 avril 2007

ANNÉE1981

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA

Et pendantce temps là...

François Mitterrand estélu président de la répu-blique française – Lasérie américaine Dallasarrive sur les écrans fran-çais – Mort du plus grandchanteur de reggaejamaïcain Bob Marley –Les premiers cas deSIDA sont déclarés –Mariage du PrinceCharles et de Lady Diana– Lancement de la pre-miere chaîne musicaleMTV – Les députés fran-çais votent le projet de loide Robert Badinter abo-lissant la peine de mort –Mise en circulation dupremier Train à GrandeVitesse (TGV).

Questions sociales récurrentes à l’INRIA

Voluceau :la destination de curieux touristes étrangers...

© Ina

©Phil

ippe Jacq

uet

Page 8: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 15 – 16 avril 2007)

« Retranscrire les brouillonsdes chercheurs relevaitde méthodes extra-terrestres ! »par Martine Verneuille,assistante des projets Mathfi et Sosso2

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactriceen chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Concep-tion-réalisation : Direction de la communication/INRIA(mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calde-ran)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à cenuméro : A. Beltran et P. Griset («Histoire d’un pion-nier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), V.Coronini.

LE SAVIEZ-VOUS ?IBM (international busi-

ness machines) lance le

premier micro-ordinateur

grand public baptisé IBM

PC (personal computer) -

Xerox commercialise le

Star 8010, une machine

évoluée qui est dotée

d'une interface entière-

ment graphique utilisant le

copier-coller et les menus

contextuels. Trop chère

(17000 $) et trop en

avance sur son temps,

elle n'aura aucun succès

commercial.

Versaillaise mais encore insensi-

ble au charme de l’IRIA, je me pré-

sente en décembre 1978 dans le

bureau de Monsieur

Guannel pour un

poste de secrétaire. Il

me propose d’occu-

per le poste d’assis-

tante de projet au

Laboria étant donné

mes références en

langue anglaise. Et

cela tombait bien ! Ce

poste m’offrait une

nouvelle approche du

métier même si 99%

de mon temps de travail restait

consacré à la frappe d’articles ou

de thèses. La frappe, dans l’uni-

vers de l’informatique, c’était

séduisant. Je découvrais un

monde avec des signes, des for-

mules, des dessins, un ensemble

de caractères extra-terrestres mais

très esthétiques. Seul bémol,

retranscrire les brouillons des

chercheurs et les mettre en forme

relevait également de méthodes

extra-terrestres ! Notre outil de

travail était une machine mécani-

que, ou semi-électrique, un peu

mutante puisqu’elle disposait de

petits emplacements carrés,

situés près des ballets chargés de

frapper la lettre sur le ruban

encreur. Ces emplacements nous

permettaient d’insérer des bâton-

nets « Typit » affublés de π, de ζ ou

de Σ , qui à la place d’une lettre,

allait frapper à leur tour le ruban.

Si on y ajoute la manipulation des

repères du papier glacé permet-

tant une bonne disposition des

mots, notre travail ne se conten-

tait pas de retranscrire l’article du

chercheur mais il lui donnait réel-

lement vie. Si l’ambiance de tra-

vail est toujours restée très agréa-

ble avec mes collègues, Martine

Cornélis, Chantal Delebarre,

Claudine Lucas, Domi-

nique Poulicet, et les

équipes de recherche

dont celle d’Alain Ben-

soussan, le métier a

inexorablement suivi

l’évolution de nos

outils de travail. Des

machines IBM à boules

aux machines ETAP à

mémoire et enfin aux

premiers Macintosh,

les membres de

l’équipe devenaient de plus en

plus indépendants. Notre activité

était volée par la technologie et,

en même temps, nous conduisait

à découvrir de nouvelles métho-

des d’édition : le latex, le web, etc.

Bien qu’aujourd’hui l’idée d’avoir

les doigts musclés pour taper un

article semble insensée, un point

reste inchangé : celui de rester

plusieurs heures par jour assise

face à une machine, comme dés-

ormais tout le monde à l’INRIA.

■ V. C.

Un heureux concours de circons-

tances m’a amené dans le bureau

de Gilles Kahn en 1980. Imposant

et pédagogue, il m’a chaleureuse-

ment accueilli et a commencé à

m’expliquer le travail qu’il souhai-

tait me confier. Au bout de quel-

ques minutes, il s’est interrompu

par un « ça ne peut pas continuer

comme ça ! » et a poursuivi, en me

tutoyant cette fois. L’échange a

duré toute l’après-midi.

J’ai donc démarré au sein de

l’équipe Croap où Gilles Kahn,

Bernard Lang et Véronique Don-

zeau-Gouge travaillaient déjà

depuis des années. Il y avait aussi

Bertrand Mélèse et Elham Morcos,

sans oublier les autres membres

du célèbre bâtiment 8 : Jean-Jac-

ques Levy, Gérard Huet, Jean Vuil-

lemin, Jean-Marie Hullot, Jérome

Chailloux, Philippe Flajolet... et

Lydia Paganini qui choyait tout ce

petit monde. Dans une ambiance

où défis et débats s’invitaient tous

les jours, dans des bureaux où la

densité humaine atteignait des

taux intolérables aujourd’hui,

nous avions pour mission de faci-

liter le travail des programmeurs.

Le symbole de ces recherches était

le programme Mentor développé

sur l’Iris 80 à partir de 1975. Écrit

en Pascal, il permettait d’optimi-

ser la manipulation des program-

mes et d’en améliorer la visualisa-

tion. Ce faisant, ces recherches

nous éloignaient tout doucement

des éditeurs ligne à ligne et,

inconsciemment, du service des

perforatrices chargées, via le cour-

rier interne, de transmettre aux

chercheurs leurs programmes

transformés en cartes perforées...

Qu’il s’agisse des appels d’offre du

département de la défense améri-

caine (DOD) ou simplement des

jeux-concours que nous enga-

gions par défi à la cafétéria, nous

travaillions avec le même matériel

et les mêmes courtes sessions sur

le système d’exploitation Multics ;

il y en avait cinquante seulement

dans le monde. En repensant à

cette époque, ce qui me semble le

plus incroyable est le décalage

qu’il y avait entre la qualité des

idées que mes collègues chevron-

nés faisaient émerger et les faibles

performances du matériel. À l’is-

sue de ma thèse, l’expérimenta-

teur né qu’était Gilles Kahn a

amorcé la délocalisation du projet

Croap vers les cieux sophipolitains

avec toujours ce même objectif :

observer, comprendre le monde

de l’informatique et l’aider à gran-

dir dans la bonne direction

■ V. C.

© Najah Naffah

« Nous nous éloignionsinconsciemment du servicedes perforatrices »par Thierry Despeyroux,projet Axis, INRIA Rocquencourt

Les bâtonnets «Typit» dans leur coffret.

Les perforatrices de l’IRIA « En 1970, l'IRIA comptait sept perforatrices qui

tapaient les programmes - principalement en For-

tran et en Cobol - sur des cartes perforées. Ces

dernières étaient ensuite reprises par la vérifica-

trice qui retapait sans perforer le même pro-

gramme afin de détecter des erreurs éventuelles.

Les pupitreurs ajoutaient ensuite des commandes

avec les cartes JOB et le tout était transmis aux

chercheurs dans des grands bacs. À partir de

1975, des consoles ont été connectées directe-

ment sur l'ordinateur 10070 en time sharing et les

cartes perforées ont progressivement disparu. Les

perforatrices sont devenues pupitreur sur le mini

réseau Cyclades ou techniciennes réseau sur

Mitra et le Mini 6 ou bien assistantes de projet. »Laure Martin, INRIA Sophia-Antipolis

Service des perforatrices en 1971, de gauche à droite et de l'avant à l'arrière : Michèle Verrier, Maïté Augier, Françoise Richard,Marie-Thérèse Freret, Hortense Hammel ( ?), Suzanne Ferrand, Laure Martin (photo fournie par Laure Martin).

« Je ne crois pas que ce soientles ordinateurs eux-mêmes qu’il faille

redouter, mais bien plutôt la façon dontla culture digèrera leur présence »

Seymour Papert, MIT Lab,Jaillissement de l’esprit, 1981.

© INRIA / Photo Jonathan Dumont

© INRIA / Photo Véronique Debry

Nombre de machines connectées sur internet en 1981: 213

Page 9: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - NO 16 - 23 AVRIL 2OO7

Le 8 novembre 1982 – Lamontée en puissance duplan filière électroniquerelance le débat sur lesformes de coopération en-tre recherche publique etrecherche privée. Certainséchecs spectaculaires et coû-teux ont démontré par le passéque les projets les plus visibleset les plus ambitieux ne don-naient pas toujours toutes lesgaranties du succès et ponc-tionnaient, sans véritable re-tour sur investissement, lesfonds publics.Modeste, pragmatique et per-formant, le club Modulef (Mo-dules Éléments Finis) consti-tue à cet égard une sorte decontre modèle dont la perti-nence semble plus que jamaisd’actualité. Débuté au milieudes années 1970, ce sont au-jourd’hui 75 équipes universi-taires, dont certaines du MIT,et un grand nombre d’indus-triels qui contribuent à Modu-lef et tirent le meilleur parti del’extraordinaire bibliothèquede logiciels dont ils peuventainsi disposer.Constitué à l’initiative du

Laboria, le club réunit depuis1975 un ensemble de labora-toires de pointe, tant universi-taires qu’industriels, qui met-tent en commun leurscompétences pour alimenterune bibliothèque de sous-pro-grammes à usages multiples,utilisables sur toutes les machi-nes. La méthode des élémentsfinis présente l’avantage d’êtrecapable de traiter des problè-mes à géométrie très complexeet de calculer des fonctions dis-continues. Des partenairesvenus d’horizons très différentsont rapidement été séduits parce concept de club où chacunmet ses avancées à la disposi-tion des membres tout en pro-fitant des recherches de tous.Dès 1976, le CEBTP, l’EDF,Thomson-CSF, l’Insa de Lyon,les universités de Paris VI,Jérusalem, Pavie, Montréal, sesont ainsi montrés très actifs,créant des modules qui contri-buent à la richesse de la biblio-thèque. Très rapidement, lesuccès de Modulef est devenutel que le Laboria a dû mobili-ser quatre personnes pourconstituer une équipe de coor-

dination gérant et optimisantla mise en commun des contri-butions des membres. Le prin-cipe coopératif respecte bienévidemment les droits des unset des autres. Ainsi, si les logi-ciels sont à la disposition desmembres à des fins de recher-che, leur propriété reste deplein droit au membre ayantécrit le programme concerné.Depuis peu néanmoins, il estquestion de transférer les droitspatrimoniaux des contributeursà l’Inria afin d’en permettre ladistribution libre et gratuite.Au fil des adhésions et dessynergies, les domaines d’ap-plication se sont multipliésamenant la création de clubsorientés vers des domainesplus spécifiques. Modulecopour la modélisation économi-que et Modulopt pour l’opti-misation ont ainsi démarré en1977. Il n’est pas interdit d’es-pérer qu’un tel exemple puisseinspirer les équipes de la rue deGrenelle à l’heure où le Gou-vernement souhaite relancerla recherche industrielle dansles hautes technologies.

■ AB & PG

Devant les grandes ques-

tions qui se posent ou se

sont posées à l’institut ces

dernières années, il est fré-

quent de voir les syndicats

de chercheurs s’unir pour

faire front. Leur

première tâche, et

non des moin-

dres, est d’es-

sayer de faire

entendre la voix

de l’institut face

au CNRS qui a

fatalement plus

de poids vu l’importance

de son personnel et dont

la préoccupation majeure

actuelle se concentre sur

la question du statut de

rattachement pour ses

chercheurs. Pourtant, en

dehors de l’unanimité sur

les questions fondamenta-

les, il existe bien une

variété de syndicats à l’In-

ria. De même que pour le

syndicalisme ouvrier, l’his-

toire récente du syndica-

lisme des chercheurs n’est

pas sans présenter des

tensions et des reposition-

nements. Parmi les plus

actifs on peut citer le

Syndicat national des

chercheurs scientifiques

(SNCS) qui a vu le jour en

1956 lors d’un congrès de

la Fédération de l’Éduca-

tion nationale (FEN) et

André Lichnerowicz, une

personnalité bien connue

de l’Inria, qui a joué un rôle

essentiel dans son déve-

loppement. Le Syndicat

national des travailleurs de

la recherche scien-

tifique (SNTRS-

CGT) a longtemps

eu l’oreille des

personnels techni-

ques. Il faut de

plus ajouter à ce

tableau les syndi-

cats généraux de

l’Éducation nationale

(SGEN-CFDT) et le syndi-

cat national de l’enseigne-

ment supérieur (SNESUP).

Les demandes syndicales

comportent donc des

revendications générales

mais aussi des attentes

spécifiques à l’institut. Tou-

tefois, si la petite taille de

l’Inria ne supprime pas les

conflits, elle rend les

contacts plus simples avec

la direction. Une culture

commune (mathémati-

ques, projets) rapproche

les dirigeants de leur per-

sonnel d’autant plus que

l’on trouve aujourd’hui à la

tête de l’institut un cher-

cheur de renom qui a fait

une bonne partie de sa car-

rière à Rocquencourt.

■ AB & PG

Modulef, un exempleà suivre pour la filièreélectronique?

ANNÉE 1982

La bibliothèque de Modulef permet, par exemple, de réaliser des simulations en aérodynamique externe,ici, une carte des pressions sur un véhicule.

Jérôme Jaffré,représentant du SNCS en 1982.

Et pendant ce temps là...

Instauration en France de la semaine des 39 heurespour les salariés et généralisation de la cinquièmesemaine de congés payés – La guerre des Malouinesqui oppose la Grande-Bretagne à l’Argentines’achève après trois mois de conflits – Israël restituele Sinaï à l’Égypte – Les premières machines d’ima-gerie du corps humain fonctionnant sur le principede l’IRM sont mises en vente – Steven Spielberg pré-sente son dernier film «E.T. », l’extra-terrestre.

«Une forte représentationsyndicale »

© INRIA / Photo A. Eidelman

Page 10: Code source 1978-1987

Alain Caristan, du projet Chorus, devant le SM90

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 16 – 23 avril 2007)

« Il fallait préparer100 bandes magnétiquespour la réunion annuelle»par Dominique Bégis,directeur adjoint de l'INRIA Rocquencourt

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice enchef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (miseen page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Tech-noscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :A. Beltran et P. Griset («Histoire d’un pionnier de l’in-formatique » paru chez EDP Sciences), C. Acharian etI. Bellin.

LE SAVIEZ-VOUS ?Les PTT lancent le Minitel –

Sony et Philips lancent le Com-

pact Disc Digital Audio (CD-

DA) capable de stocker une

heure de son stéréo de très

haute qualité – L’icône Smiley

fait son apparition – « Tron »

(Walt Disney) est le premier film

utilisant massivement des

effets spéciaux créés par ordi-

nateur.

Le Club Modulef est né en 1974 de

la volonté de l’IRIA et du labora-

toire d’analyse numérique de

Paris VI, en particulier celle

d’Alain Perronnet. L’idée était de

créer et d’entretenir collective-

ment une bibliothèque de pro-

grammes cohérente et normali-

sée, fondée sur la théorie des

éléments finis et destinée à la

modélisation de phénomènes

physiques divers. C’était un club

au sens anglais, sans échange

financier : contre une contribution

scientifique, les membres, cher-

cheurs et industriels, recevaient

une fois par an l’intégralité de la

bibliothèque. C’était un précur-

seur de l’actuelle communauté du

libre.

Je suis arrivé à l’IRIA en 1970 pour

faire ma thèse avec Jacques-Louis

Lions puis pour mener des recher-

ches en simulation et optimisa-

tion numérique avec Roland Glo-

winski. Nous nous chargions

également de récupérer les contri-

butions des membres du club, de

les valider, de les agréger pour for-

mer les versions nouvelles de la

bibliothèque Modulef et de pro-

poser de nouveaux développe-

ments. Sous l’impulsion de Jac-

ques-Louis Lions, Modulef est

devenu en 1978 un projet de

recherche dont j’ai assuré la direc-

tion. Durant ces années, Danièle

Steer et Marina Vidrascu ont

connu les nuits courtes qui précé-

daient les assemblées générales

annuelles : il s’agissait de mettre

au point la nouvelle version et de

préparer la centaine de bandes

magnétiques et les documents

d’accompagnement qui seraient

distribués aux membres du club à

cette occasion. Internet n’existait

pas et les rencontres étaient cru-

ciales pour la vie de la commu-

nauté. Elles fédéraient les cher-

cheurs de la communauté

d’analyse numérique mais égale-

ment des industriels comme Das-

sault Aviation, l’Aérospatiale,

Renault ou Thomson CSF. Sur ce

même modèle, le club a d’ailleurs

eu des petits frères : Moduleco et

Modulad.

La promotion de la bibliothèque

et du Club Modulef nous ont

conduits de Rome à Saint Jacques

de Compostelle et jusqu’en URSS

ou aux États-Unis. Cette activité

de valorisation, très prenante,

était difficilement conciliable avec

la recherche. L’INRIA a décidé de

créer, début 84, la filiale Simulog

pour réaliser en particulier cette

tâche et je me suis lancé dans

cette aventure avec Christian

Saguez. La recherche s’est pour-

suivie dans les projets de recher-

che Gamma et Macs. Quant au

club Modulef, il est toujours actif

et connaît un réel succès dont

témoignent de nombreux télé-

chargements. ■ C. A.

C’est avant tout une belle aven-

ture humaine. D’ailleurs, malgré

quatre changements de cap en 20

ans, le noyau dur des années 1980,

constitué autour de l’équipe de

Louis Pouzin, de Hubert Zimmer-

mann et du projet Cyclades, est

toujours là.

Dès 1979, nous nous sommes

intéressés à Unix (l’ancêtre de

Linux) qui venait d’apparaître aux

États-Unis. Nous n’avions pas le

droit d’importer le mini calcula-

teur DEC sur lequel il tournait.

Alors nous avons lancé le projet

pilote Sol pour créer une version

française d’Unix, en Pascal. Nous

avons développé des compila-

teurs avec plusieurs sociétés de

service et installé Unix sur des

machines françaises dont la

SM90, tout juste conçue au Cnet.

Nous avons créé la culture Unix en

France et formé beaucoup d’ingé-

nieurs système.

Parallèlement, nous travaillions

avec le projet de recherche Chorus

lancé par Hubert Zimmermann

avec Jean-Serge Banino et Marc

Guillemont. Chorus visait à inven-

ter un nouveau modèle de sys-

tème d’exploitation dit réparti,

capable de gérer plusieurs ordina-

teurs connectés entre eux par un

réseau. Comme certains d’entre

nous avaient rejoint le Cnet tout

en continuant des recherches à

l’INRIA, nous avons décidé de

combiner les innovations de Cho-

rus avec le système Unix de Sol, le

tout sur la SM90 du Cnet. La réa-

lisation du premier prototype,

baptisé ChorusOS, nous a amené

à fonder, en 1986, une des premiè-

res start-up issues de l’INRIA :

Chorus Systems. Nous étions une

petite dizaine de chercheurs de

l’INRIA, du Cnet et du projet Sol ;

Hubert Zimmermann était le PDG

et j’étais responsable de la straté-

gie technique.

Nous avons développé notre sys-

tème d’exploitation pour des

super calculateurs (Cray, ICL, Uni-

sys) et pour AT & T Unix System

Laboratories, l’inventeur d’Unix.

Nous avons ensuite orienté notre

activité vers le support des systè-

mes de télécommunication pour

des clients comme Alcatel, Nortel,

Lucent, Nokia ou Fujitsu. Nous

avons ensuite été rachetés par Sun

Microsystems en 1997 mais, ré-

cession oblige, la société s’est

séparée de notre activité en 2002.

J’ai alors créé Jaluna avec 35

anciens de Chorus Systems et

nous avons repris nos anciens

contrats et fait évoluer notre tech-

nologie vers la virtualisation du

matériel, afin de faire tourner plu-

sieurs systèmes d’exploitation sur

un même équipement de télé-

communication. Aujourd’hui,

Jaluna est devenue VirtualLogix,

plus évocateur, et bon nombre des

anciens des projets Sol et Chorus

sont toujours là.

■ I. B.

« Nous avons créé une des premièresstart-up de l'INRIA »par Michel Gien,co-fondateur de Chorus Systems, Jaluna et VirtualLogix

© 2005 Stanley Rowin

© INRIA / Photo Véronique Debry

Nombre

de machines

connectées

sur internet

en 1982:

235

© INRIA / Photo R.Rajaonarivelo

Page 11: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - NO 17 - 2 MAI 2OO7

Le 30 juin 1983 – On n’estjamais aussi bien servis quepar soi-même. Ce vieil adageévoque, sans le résumer, le suc-cès de la machine SM90 quicommence à équiper les équi-pes de recherche de l’Inria. Le projet SM90 est né à Lan-nion dans les laboratoires duCentre national d’études destélécommunications (Cnet).Les recherches ont été menéesentre 1980 et 1981 avec la col-laboration de la Société euro-péenne de mini-informatiqueet de systèmes (Sems) et ontabouti, l’année dernière, à laconstruction d’un premier pro-totype de machine Unixconçue en France autour d’unprocesseur 68000 de Motorola.Sollicité pour apporter sescompétences au développe-ment du projet, l’Inria s’estmontré doublement intéressé.Le projet lui a permis de parti-ciper à un projet stimulantpour l’industrie française touten valorisant ses propres com-pétences. De surcroît, la réali-sation d’une station de travail

française lui donnera enfinl’occasion d’acquérir desmachines plus proches de ses besoins. En effet, ses équi-pes de recherche, contraintesjusqu’alors « d’acheter fran-çais », ont longtemps été han-dicapées faute de pouvoir dis-poser des meilleurs matérielsdisponibles aux États-Unis.Grâce à cette double motiva-tion que l’Inria a apporté unecontribution importante dansla conception du système d’ex-ploitation et du compilateur duSM90. La licence de l’ensem-ble est offerte aux fabricantsfrançais (Bull, Thomson Télé-phone, TRT, CSEE, ESD,SMT-Goupil, Telmat) par leCnet. L’Agence de l’informati-que finance vigoureusementl’opération en annonçant unecommande de 50 machinespour différents laboratoires. Lesprojets CAO-VLSI, Sabre,Verso, Ergonomie, Réseau, Solet Chorus de l’Inria seront lesbénéficiaires des vingt premiè-res livraisons. Les créditsministériels de recherche sou-

tiennent directement cettepolitique d‘équipement à hau-teur de 25 millions de francspar an pour les quatre annéesà venir. Fort de ces premierssuccès, le projet SM90 devraitpermettre de relancer la poli-tique industrielle de la Francedans le domaine du matérielinformatique. Il est pour celad’ores et déjà envisagé d’instal-ler à Rocquencourt un Grou-pement d’intérêt public scien-tifique et informatique (Gipsi)regroupant les moyens etsavoir faire de Bull-Sems, duCnet et de l’Inria. Il réaliseraautour du SM90 des produits,tant matériel que logiciels, per-mettant de réaliser des postesscientifiques et des stations detravail pour des environne-ments temps-réel. Le travailréalisé dans ce cadre placera leséquipes de l’Inria dans l’évolu-tion fondamentale que connaîtà l’heure actuelle l’universinformatique avec le dévelop-pement d’Unix.

■ AB & PG

L’Inria inaugurera bientôt

les nouveaux locaux de

son unité de Sophia Anti-

polis. Certes, le plateau de

Valbonne où se trouve

Sophia a une longue his-

toire qui remonte au

Moyen-Âge, mais c’est

en 1969 que le sénateur

des Alpes-Maritimes Pierre

Laffitte a engagé la com-

mune dans une grande

mutation en affichant sa

volonté d’installer sur cette

zone pratiquement vierge

un espace dédié aux tech-

nologies de pointe. À

l’image de ce qui se fait

assez couramment aux

États-Unis, il s’agissait de

réunir dans un même lieu

des centres de recherche,

des entreprises et des

entités d’enseignement

afin de développer un site

d’excellence offrant les

meilleures conditions de

travail. La Côte d’Azur et la

proximité de l’aéroport de

Nice étaient des facteurs

importants de la réussite

de ce pari, mais l’obstina-

tion, les relations et l’ambi-

tion de Pierre Laffitte

furent tout autant néces-

saires. Sa qualité de poly-

technicien membre du

Corps des mines a pu faci-

liter l’installation de l’Inria

sur le site car Pierre Bern-

hard, qui a pris la tête de

l’antenne sophipolitaine de

l’Inria, est aussi membre

de ce corps d’élite. Là

encore l’Inria fait figure de

pionnier : quand l’institut

est arrivé à Valbonne, rien

ou presque n’existait.

Cette démarche nouvelle a

d’ailleurs surpris et les pre-

miers volontaires n’étaient

pas légion. Aujourd’hui, les

esprits semblent avoir

changé. Il le faudra bien

car l’Inria semble avoir

pour ambition d’ouvrir de

nouveaux espaces de

recherche dans des lieux

qui eux-mêmes sont à

l’avant-garde de ce qui se

fait habituellement

■ AB & PG

SM90 ou la fin dela disette en équipementpour les chercheursde l’Inria !

ANNÉE 1983

À Rocquencourt, le GIP SM90 et la machine SM90 connectée au système graphique Colorixréalisé par Louis Audoire.

Et pendant ce temps là...La retraite passe à 60 ans en France – Accord depaix Israélo-libanais – L’homme d’état et écrivainsénégalais Léopold Sédar Senghor est élu àl’Académie française – Luc Montagnier découvre levirus du Sida, HIV, à l’institut Pasteur – La sondeaméricaine Pioneer 10 est le premier objet terrestreà quitter le système solaire – Victoire de YannickNoah au tournoi de tennis de Roland Garros.

Une unité de rechercheà partir de rien

© ?

DR

© INRIA / Photo R. Rajaonarivelo

Le plateau de Valbonne où sera implantée l’unité de Sophia Antipolis

Page 12: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 17 – 2 mai 2007)

« Je troquais le costume cravate pourle pull et le col de chemise ouvert... »par Pierre Bernhard,professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis et premier directeur de l’INRIA Sophia Antipolis

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice enchef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (miseen page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Tech-noscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :A. Beltran et P. Griset («Histoire d’un pionnier de l’in-formatique » paru chez EDP Sciences), Rose-MarieCornus.

LE SAVIEZ-VOUS ?Bjarne Stroustrup développe une extension orientée objet au langage C :

le C++ – Le réseau Arpanet adopte définitivement le TCP/IP à la place de

NCP et devient un projet avant tout universitaire nommé Arpa-Internet ; le

volet militaire est désormais indépendant et nommé Milnet – Apple sort

Lisa, le premier micro-ordinateur à disposer d’une interface graphique.

C’est dans la perspective d’une

décentralisation de l’IRIA deman-

dée par la Datar, qu’en 1978 André

Danzin, conseillé par Jacques-

Louis lions, m’avait chargé de sui-

vre ce dossier pour une installa-

tion éventuelle à Sophia Antipolis.

J’étais à l’époque directeur du

Centre d’automatique et informa-

tique de l’École des Mines de Paris

(à Fontainebleau) et également

professeur à l’université Paris

Dauphine. Ma situation était assez

pittoresque car j’étais à la fois le

conseiller d’André Danzin qui dis-

cutait avec Pierre Laffitte sur l’op-

portunité de créer une unité de

l’IRIA à Sophia, et celui de Pierre

Laffitte, qui m’avait chargé, en

1976-1977, de constituer le labo-

ratoire de mathématiques appli-

quées de l’École des Mines à

Sophia !

Deux ans plus tard, après la

décentralisation partielle de l’IRIA

décidée par le cabinet du Premier

ministre Raymond Barre, j’étais

nommé directeur du centre de

l’INRIA Sophia Antipolis (on ne

parlait pas encore d’unité de

recherche). Nous avons convaincu

des chercheurs d’autres sites —

Rocquencourt notamment — de

venir s’installer à Sophia mais

aussi des scientifiques de la région

comme Gérard Berry. Des axes de

recherche se sont très rapidement

dégagés, notamment autour des

réseaux avec des gens comme

Christian Huitema, François Bac-

celli et plus tard Philippe Nain. Au

début, les pouvoirs publics

(CCI, etc.) nous reprochaient de

ne pas recruter de niçois ! Et là,

Gilles Kahn a eu une idée de génie

en expliquant qu’à défaut, nous

avions contribué à ramener des

élites niçois à Sophia (A. Dervieux,

A. Desideri, A. Michard, etc.).

Les universitaires ne voyaient pas

tous d’un bon œil la création de la

technopole de Sophia Antipolis.

Certains, dont Jean Céa et Jacques

Morgenstern, ont travaillé dès le

début avec nous et contribué au

succès de la technopole. Mais il

était parfois difficile de se faire

accepter car nous étions sur la rive

droite du Var et donc considérés

comme des étrangers ! Nous

entretenions des contacts régu-

liers avec l’université : j’étais moi-

même enseignant à l’université de

Nice dès mon arrivée et J.L. Lions

venait régulièrement rencontrer

les universitaires pour compren-

dre comment nous pouvions tra-

vailler ensemble. Lorsque j’allais à

l’université, je troquais le costume

cravate arboré habituellement par

les dirigeants de l’IRIA pour la

tenue plus décontractée des uni-

versitaires : pull et col de chemise

ouvert...

Gilles Kahn a été le principal

architecte du succès scientifique

de l’opération et Guy Sergeant a

été l’artisan de son succès maté-

riel. Marc Berthod a créé le pre-

mier projet de l’UR, Pastis, sur le

traitement d’images. Ce projet

nécessitait l’acquisition d’un gros

disque pour l’époque (80 Mo).

Cela représentait un investisse-

ment très important pour un

laboratoire mais le conseil scienti-

fique, constitué en majorité de

professeurs de l’université, a

d’emblée soutenu cet achat.

■ R-M. C.

En quittant mon bureau de l'Imag

en novembre 1982, j'avais soi-

gneusement mis dans ma sacoche

les deux premiers chapitres de la

thèse d'État sur les réseaux que

j'espérais terminer tranquillement

en attendant l'ouverture de nos

locaux prévus en 1983. En effet,

seul chercheur Inria décentralisé

depuis Grenoble (bien avant la

création de l'UR Rhône-Alpes), je

débarquais à Sophia en accord

avec son directeur pour monter le

service chargé de la gestion des

télécoms des nouveaux bâti-

ments. Mais lorsque j’ai retrouvé

Pierre Bernhard dans son bureau

à l’École de commerce et de

management Ceram – L’UR se

résumait à l’époque à une dizaine

de personnes dispersées entre les

locaux du Centre de mathémati-

ques appliquées, place Sophie

Laffitte, et le Ceram – il m’a donné

la clé de contact de la Renault 4L

de service et m’a dit : « Tu es

chargé de suivre le chantier des

nouveaux bâtiments ». Et la mis-

sion s’est révélée tellement inté-

ressante que je n’ai jamais écrit le

chapitre 3 de ma thèse !

Lorsque nos bâtiments ont été

livrés en 1983, nous étions une

quarantaine avec les collègues qui

nous avaient rejoints de Rocquen-

court et quelques nouvelles têtes.

Nous étions si peu nombreux que,

pour la première visite officielle,

nous avons dû déménager dans

les bureaux du rez-de-chaussée

Lagrange pour donner l’impres-

sion que tous les bureaux étaient

occupés. L’une des principales

inquiétudes de Pierre Bernhard

était alors de savoir si nous arrive-

rions à remplir les 7 000 m2

construits. En 2007, nous aurons

18 000 m2 et la pression ne dimi-

nue pas. C’est vraiment une

décentralisation réussie ! Quant à

moi, j’ai gardé le casque et les

deux chapitres de la thèse en sou-

venir, et depuis mon job navigue

toujours entre les deux…

■ R-M. C.

« J’ai gardé le casqueen souvenir... »par Guy Sergeant,adjoint au directeur de l'INRIA Sophia Antipolis

© INRIA / Photo J.M. Ramès

© INRIA / Photo A. Eidelman

© INRIA / Photo A. Eidelman

Nombre

de machines

connectées

sur internet

en 1983:

562

« J’ai toujours rêvéd’un ordinateur

qui soit aussi facileà utiliser

qu’un téléphone.Mon rêve

s’est réalisé.Je ne sais plus

commentutiliser montéléphone. »

Bjarne Stroustrup(Texas A&M University)L’unité de Sophia Antipolis en 1991, avec Pierre Bernhard devant le plan d’eau.

Page 13: Code source 1978-1987

C’est un quadragénaire quivient de prendre la tête del’Inria en remplacement deJacques-Louis Lions. AlainBensoussan, né à Tunis,est un produit des forma-tions d’élite de la Nation,étant sorti du prestigieuxlycée du quartier latinLouis-le-Grand pour inté-grer l’École polytechniqueet l’École nationale de statistique et de l’ad-ministration économique(ENSAE). Il connaît bienl’Inria puisqu’il a com-mencé sa carrière à l’insti-tut, l’année même de sacréation en 1967. Après undétour par l’enseignement– dans des écoles toutaussi prestigieuses : uni-versité de Dauphine, Poly-technique et l’École nor-male supérieure – il arepris le chemin de Roc-quencourt en 1973 avantde s’engager dans uneexpérience européennequi l’a amené à diriger pen-dant deux ans l’Instituteuropéen d’études supé-

rieures et de recherchesen management, à Bruxel-les. Connu pour être unproche de Jacques-LouisLions, il y a fort à parierque le nouveau directeurcontinuera sur la lancée de son prédécesseur ettâchera d’accroître les coo-pérations européennesavec des instituts deniveau comparable. AlainBensoussan est par ail-leurs bien connu aux États-Unis puisqu’il est membrede nombreuses associa-tions de mathématiciensprestigieuses et qu’il y areçu plusieurs prix. Le nou-veau directeur se trouvedonc en territoire connu etce sera, sans aucun doute,un atout pour continuer etamplifier les mutations quel’Inria doit envisager et quisont déjà entamées. Nuldoute que ce fort enthème saura résoudre leséquations complexes quel’institut ne manquera pasde lui poser

■ AB & PG

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - NO 18 - 7 MAI 2OO7

Le 6 janvier 1984 – C’estaujourd’hui qu’est crééeofficiellement la premièreentreprise issue de l’Inria,Simulog. Son directeur géné-ral Christian Saguez, épaulépar Dominique Bégis qui diri-geait le célèbre club Modulef,parie sur le fait que les hommessont le meilleur vecteur detransfert de savoir et que l’es-prit d’innovation des cher-cheurs pourra s’exprimer plei-nement dans un contexteconcurrentiel.Les transferts de technologiesont souvent décevants et ils’avère très difficile de conser-ver la dynamique d’une équipede recherche en se contentantde transférer ses résultats à uneentreprise qui les appliquerait.La création de clubs commeModulef a permis à l’Inria defaciliter l’apparition de tellesdynamiques. Cette solutionreste cependant limitéelorsqu’il s’agit de porter un pro-jet réellement innovant impli-quant fortement les acteurs surun objectif précis. Aller plusloin nécessite de créer desentreprises chargées de déve-

lopper et commercialiser lesinnovations issues de cesrecherches. Alors que le simplefait d’accoler les termes d’en-treprise et de recherche publi-que dans une même phraserelève déjà du blasphème pourcertains, on imagine à quelpoint l’idée qu’un organismede recherche public puissedevenir entrepreneur ne pou-vait que relever du tabou.La loi du 15 juillet 1982 créantles EPST (établissements pu-blics à caractère scientifique ettechnologique) a facilité lemouvement d’une rechercheplus tournée vers la « réalité »économique et a considérable-ment changé la donne enouvrant la possibilité, pour cesacteurs essentiels de la politi-que d’innovation, de créer desfiliales. Le président de l’InriaJacques-Louis Lions, qui abeaucoup contribué à cetaspect de la loi en tant queconseiller du Premier ministreLaurent Fabius, s’est rapide-ment employé depuis à concré-tiser sa volonté d’inscrire soninstitut dans une dynamiquede création d’entreprise.

Le premier projet que consti-tue Simulog a rapidement prisforme autour de ChristianSaguez, entré comme cher-cheur à l’Iria en 1972 et occu-pant depuis deux ans le postede délégué aux relations indus-trielles et internationales. Unrepas suffit aux deux hommespour se mettre d’accord surl’idée d’une entreprise dévelop-pant des logiciels de simulationet d’optimisation scientifique.Jacques-Louis Lions sollicite les partenaires de l’Inria et, le domaine étant reconnucomme l’un des points forts desa recherche, il les convaincsans trop de difficulté d’entrerdans le capital de la futureentreprise. C’est ainsi que Fra-matome et Serete participentpour 22,5 % alors que l’institutmise quant à lui 1,275 millionde francs dans l’aventure. Lelogiciel de CAO Blaise, conçuà l’Inria, sera le premier pro-duit commercialisé par Simu-log sous le nom de Basile. Si lesuccès est au rendez-vous, nuldoute que d’autres rejetons del’Inria verront bientôt le jour !

■ AB & PG

L’Inria lancela première filialede l’institut : Simulog

ANNÉE 1984

Et pendant ce temps là...Première sortie dans l’espace de deux astronautesaméricains sans être reliés physiquement à unenavette – Début de l’affaire Gregory en France –Lancement de la première chaîne à péage françaiseCanal + – Catastrophe chimique à Bhopal en Inde– Assassinat d’Indira Gandhi par deux sikhs de sagarde personnelle – Les soviétiques boycottent lesJO de Los Angeles – Assassinat du prêtre polonaisJerzy Popieluszko à Varsovie.

Le nouveau présidentde l’Inria

est un ancien de l’Iria

© ?

© Laurent Francez

Les fondateurs de Simulog devant le gâteau d’anniversaire des cinq ans de l’entreprise.De gauche à droite : Christian Saguez, Duc Duong et Dominique Bégis.

© INRIA / Photo A. Eidelman

Page 14: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 18 – 6 mai 2007)

« Vous êtes de Nice?Candidatez!»par Alain Dervieux,directeur de recherche, projet Tropics, INRIA Sophia Antipolis

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice enchef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (miseen page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Tech-noscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :A. Beltran et P. Griset («Histoire d’un pionnier de l’in-formatique » paru chez EDP Sciences), Rose-MarieCornus, Yannick Le Thiec.

LE SAVIEZ-VOUS ?Mise en place du DNS (Domain Name Server) sur Internet. Jusque-là, il fallait connaître l’adresse numérique

de la machine recherchée ou tenir à jour un unique fichier texte contenant le nom et l'adresse numérique

correspondante de toutes les machines de l'Internet, ce qui est rapidement devenu impossible — Hewlett

Packard commercialise la première imprimante laser : la HP Laserjet. Elle a une résolution de 300 dpi et

coûte 3600 $ — Philips et Sony sortent le CD-Rom.

En 1980, une des vitrines de l’IN-

RIA est sa collaboration en calcul

scientifique pour l’aérodynami-

que avec les Avions Marcel Das-

sault, animée par Roland Glo-

winski et Olivier Pironneau côté

INRIA et Jacques Périaux côté

Dassault. L’une des percées

remarquée du tandem INRIA-

Dassault concerne l’adaptation

des nouvelles méthodes des élé-

ments finis au calcul aérodynami-

que autour d’un avion complet. Il

reste à passer à l’aérodynamique

complexe et notamment à la com-

bustion. Mais Roland Glowinski

pense à une carrière américaine et

réfléchit à la relève. Jacques-Louis

Lions se débat avec les projets

gouvernementaux de décentrali-

sation de l’institut et négocie – à la

place, finalement – la création du

pôle de Sophia Antipolis. Choisi

pour lancer ce nouveau pôle,

Pierre Bernhard est obligé de tra-

verser régulièrement mon bâti-

ment, ce qu’il fait à une telle

vitesse que mon étudiant de l’épo-

que tente de me persuader que

pendant ces courses effrénées des

zones d’écoulement supersonique

se développent derrière les oreil-

les de Pierre…

Par un hasard malicieux, le projet

d’une équipe de calcul scientifi-

que commence à se former lors

d’un voyage de Roland Glowinski

à Stanford. Il est abordé par un

Français, Jean-Antoine Desideri,

un SupAero passé à la Nasa et qui

y a déjà acquis des lettres de

noblesse en aérodynamique

numérique. « Vous êtes de Nice ?

justement nous allons ouvrir un

centre à Sophia Antipolis, Candi-

datez ! », lui répond Roland. Un

jeune major de l’X, Bernard Lar-

routurou, veut lui aussi faire de la

mécanique des fluides numérique

dans le Sud et reçoit la même

réponse de Jacques-Louis Lions :

« Candidatez ! ». À la même épo-

que, je fais part à Pierre Bernhard

de mon souhait de partir dans le

futur centre de Sophia pour y faire

de l’aérodynamique appliquée. Je

lui donne un exemplaire de ma

récente thèse d’état, pavé théori-

que indigeste, dont l’examen ne

manquera pas de l’inquiéter forte-

ment quant à mon intérêt pour les

applications. Il me l’avouera plus

tard… quand il sera rassuré sur ce

péril ! Parallèlement, Roland Glo-

winski et moi rendons visite à une

célébrité de la spécialité, Roger

Peyret du CNRS à Paris VI, qui

quitte Paris pour Nice et est

engagé comme conseiller scienti-

fique de la future équipe. Une

retouche de dernière minute va

mettre un ancien lionceau, Jean

Cea, professeur à Nice, à la tête de

cette équipe. Début 83, les cinq

membres de l’équipe se rencon-

trent à Sophia Antipolis pour un

premier séminaire – certains pour

la première fois ! L’aventure com-

mence.

■ R.-M. C.

Ce qui m’a frappée lorsque je suis arrivée à Rocquen-

court à la fin des années 70, c’est l’ouverture inter-

nationale de l’IRIA. Au départ j’ai partagé mon

bureau avec trois indiens puis ensuite avec deux

espagnols ! Cet environnement très stimulant m’a tel-

lement séduite que j’ai passé les vingt premières

années de ma carrière à l’institut. Vers le milieu des

années 1980, je me suis occupée, aux côtés d’Anne

Schroeder, des relations industrielles de l’institut. J’ai

ensuite dirigé l’UR de Rocquencourt durant plus de

6 ans, jusqu’en 1999. Les relations industrielles m’ont

très vite attirée. Travailler dans le concret convenait

parfaitement à ma nature pragmatique et à mon

envie de sortir de mon domaine de recherche. Il était

par ailleurs plus facile de concilier sa vie profession-

nelle avec une vie de famille.

C’était une époque clé pour les relations industriel-

les. Dans les statuts de l’institut, le transfert tenait la

même place que l’excellence scientifique et cela ryth-

mait toute la vie de l’organisme. Un des premiers

chantiers a été de régulariser les « doubles casquet-

tes » car beaucoup de gens passaient par l’INRIA puis

allaient et venaient dans l’industrie. En particulier, il

a fallu définir un cadre légal à un essaimage déjà

important et demander aux chercheurs de se posi-

tionner : institut ou industrie.

Nous avons également cherché à favoriser la création

d’entreprise en proposant aux chercheurs/entrepre-

neurs d’être hébergés à l’INRIA. La création du club

des start-up date de cette époque également tout

comme le démarrage des groupements d’intérêt

public (GIP). Ces collaborations entre partenaires

publics et privés permettaient la mise en commun de

moyens sur des problématiques ciblées pour une

durée limitée. Par exemple, le GIP SM90, créé en

1983, a rassemblé autour du développement de sta-

tions de travail graphiques une grande variété d’ac-

teurs : BULL, France Telecom/CNET et l'INRIA. Son

ambition était de créer un poste de travail à la fran-

çaise, ce qui, à l’époque des gros ordinateurs de type

Multics, était une idée novatrice. Une de nos préoc-

cupations était de trouver des capitaux pour les start-

up issues de l’INRIA car, à l’époque, il y avait peu d’ai-

des et pas d’incubateurs. Pour que l’INRIA investisse,

il fallait un arrêté interministériel ! Enfin, nous avons

déployé beaucoup d’effort pour instaurer un climat

de confiance et de compétence avec les entreprises,

arriver à faire du gagnant-gagnant sur la propriété

industrielle et intellectuelle. Cela a bien fonctionné

avec Renault par exemple.

■ Y. L. T.

« Pour que l’INRIA investisse,il fallait un arrêté interministériel !»Laure Reinhart,directrice de la stratégie à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)

© INRIA / Photo A. Eidelman

Nombre

de machines

connectées

sur internet

en 1984:1024

« L’innovation,c’est une

situation quel’on choisit parce

qu’on a unepassion brûlante

pour quelquechose ».

Paul Stevens Job

Le fondateur d’Apple, Steve Jobs,présente l’Apple Macintosh

au public en 1984.L’ordinateur possède une interface

graphique et se présentelui-même en disant

«Hello, I am Macintosh and I am gladto be out of that bag»

© L.R.

Page 15: Code source 1978-1987

Le décret n°85-831 du 2 août 1985 fait de l’Inria un établissement public national à caractère scientifiqueet technologique (EPST) placé sous la double tutelle du ministre chargé de la recherche, Hubert Curien

(à gauche), et du ministre chargé de l’industrie, Édith Cresson (à droite).

Désormais, l’Inria est sous

une double tutelle, celle

du ministère de l’Industrie

et celle du ministère de

la Recherche, ce qui marque

un certain retour à une poli-

tique industrielle, même si

l’histoire de ces deux minis-

tères est remarquablement

imbriquée. Le ministère de

la Production industrielle,

apparu peu avant la guerre,

réunissait certaines fonc-

tions des ministères du

Commerce, des Travaux

publics et de l’Industrie dont

le rôle a été fondamental au

moment des pénuries puis

surtout du dirigisme indus-

triel qui marqua l’après-

guerre et les années 1960.

Avec l’arrivée de la gauche

au pouvoir en 1981, le projet

industriel reprend vigueur,

avec en particulier la créa-

tion d’un grand ministère de

l’Industrie, de la Recherche

et de la Technologie en

1982.

Les racines du ministère de

la Recherche remontent

quant à elles à l’époque du

Front populaire, en 1936,

avec la création d’un sous-

secrétariat à la recherche

scientifique confié à Irène

Joliot-Curie puis à Jean Per-

rin. En 1954, sous la IVe

république, un secrétariat

d’État à la recherche scien-

tifique et au progrès techni-

que apparaît. Son action est

relayée par le colloque de

Caen en 1956. La Ve républi-

que gaullienne crée de

nombreuses entités pour

développer la recherche et

l’on sait que l’Inria en est un

célèbre exemple. L’arrivée

de Valéry Giscard d’Estaing

aux fonctions de président

de la république unit pour la

première fois l’industrie et

la recherche sous la hou-

lette de Michel d’Ornano.

En 1981, recherche et tech-

nologie – puis recherche et

industrie en 1982 – passent

sous la responsabilité de

Jean-Pierre Chevènement

qui sera à l’origine de la poli-

tique de la filière électroni-

que et de la loi d’orientation

de la recherche. Toutefois,

après juillet 1984 et suite à

un retournement de politi-

que, industrie et recherche

ne sont plus placées sous la

même autorité, même si les

passerelles existent tou-

jours comme en témoigne

le fait que l’Inria soit désor-

mais sous les auspices –

que d’aucun espère favora-

bles – de la rue de Grenelle

et de la rue Descartes. ■ AB & PG

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - NO 19 - 14 MAI 2OO7

Le 2 août 1985 – La modi-fication de statut de l’Inriaest enfin consommée.Depuis ce 2 août, l’institut arejoint la liste des autres éta-blissements publics à caractèrescientifique et technologique(EPST). Dès 1982, il apparais-sait en effet que le CNRS etl’Inserm ne bénéficiaient pasd’un statut adapté à leurs be-soins. Le statut d’EPST, c’est-à-dire une personne morale dedroit public dotée de l’autono-mie financière, fut donc appli-qué d’abord au CNRS, puis àl’Inserm, à l’Inra, etc. et finale-ment à l’Inria cette année.Certains établissements n’ontqu’une seule tutelle (pour leCNRS, le ministère de la Re-cherche), d’autres deux tutel-les (l’Inserm par exemple avecla Recherche et le ministère dela Santé). Toujours est-il quece changement attendu de-vrait donner à l’Inria des possi-bilités nouvelles tant de déve-loppement que de valorisationde ses recherches.La loi 82/610 du 15 juillet1982 a changé profondémentle paysage scientifique de notre

pays. Pour nos lecteurs qui nesont pas accoutumés à la lec-ture du Journal officiel, il n’estpas inutile de rappeler que cetexte, émanation de la volontéde la nouvelle majorité politi-que, se veut une rupture et unnouvel élan pour promouvoirune grande politique de re-cherche et d’essor industrieldans notre pays. Dès son arti-cle 1er, il est en effet déclaré :« La recherche scientifique etle développement technologi-que sont des priorités nationa-les. » Certains commentateursont vu dans ces affirmations unretour à la politique gaulliennedes années 1960 qui a mis l’ac-cent sur des secteurs de pointecomme le nucléaire, l’espaceet, bien entendu, « le Plancalcul ». Vingt ans plus tard,cette inflexion volontaristemarque encore la physionomiede notre recherche publique.La loi de 1982 va plus loin parcertains aspects puisqu’elle ainscrit noir sur blanc unniveau de dépenses de recher-che, soit 2,5 % du produit in-térieur brut, afin de « favoriserl’accroissement des connais-

sances, la valorisation des ré-sultats de la recherche, la dif-fusion de l’information scien-tifique et technique et la pro-motion du français commelangue scientifique ». Élémentfondamental pour l’avenir, l’ar-ticle 19 stipule que les EPSTsont autorisés à prendre desparticipations ou à constituerdes filiales. Enfin, elle a égale-ment mis en avant des pro-grammes mobilisateurs dontcertains, comme la maîtrise dela filière électronique, concer-nent directement l’informati-que : matériaux et composants,électronique professionnelle(télécommunications, spatial,médical), électronique grandpublic (audiovisuel, automo-bile...), infor-matique (micro-informatique, bureautique etgros calculateurs, logiciel), au-tomatisation et banques dedonnées. Un programme des-tiné à créer un mouvement vi-goureux dans l’ensemble de lafilière et dans lequel l’Inriapourra donner sa pleinemesure.

■ AB & PG

L’Inria, avant-dernierétablissementà devenir un EPST

ANNÉE 1985

Et pendant ce temps là...Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du particommuniste de l’URSS – Signature des accords deSchengen abolissant les contrôles aux frontières com-munes entre les états signataires – Drame au stade duHeysel (Bruxelles) pour la finale de la coupe d’Europedes clubs champions – En France, première campa-gne pour les restos du cœur lancée par le comiqueColuche – le Général Audran, responsable des affai-res internationales du ministère de la Défense, estabattu par Action directe.

Deux tutellespour une politique

© Ministère de la recherche © Minéfi / Sircom

Page 16: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 19 – 14 mai 2007)

« La transformationde l’institut n’a pas étéun long fleuve tranquille »par Vincent George,secrétaire général de l’INRIA de 1980 à 1996

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice enchef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (miseen page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Tech-noscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :A. Beltran et P. Griset («Histoire d’un pionnier de l’in-formatique » paru chez EDP Sciences), Vincent Coro-nini, Yannick Le Thiec.

LE SAVIEZ-VOUS ?Commodore présente l’Amiga 1000, une machine multitâches, munie d’une interface graphique (le Workbench)

capable d’afficher des images en 4096 couleurs, d’afficher plusieurs résolutions différentes sur des parties de

l’écran et de jouer du son digitalisé en stéréo sur 4 canaux — Microsoft lance son logiciel de traitement de texte

Word et la première version du tableur graphique Excel pour Macintosh — Lancement du CDRom.

Dès l’été 1979, Jacques-Louis

Lions, futur président de l’INRIA,

m’a demandé de devenir secré-

taire général de l’institut. Se qua-

lifiant lui-même de « fanatique

d’organisation », son idée était de

mettre en place une gestion effi-

cace sans pour autant renoncer à

la « hiérarchie souriante » qui

caractérisait l’organigramme de la

direction. Cette époque a été mar-

quée par des événements

majeurs : la dissolution de l’IRIA,

la décentralisation de l’institut

avec la création des unités de Ren-

nes et de Sophia, le passage au

statut d’EPST, les plans successifs

de fonctionnarisation, etc.

C’est un décret en Conseil d’État

qui a transformé l’INRIA en EPST

en 1985. Le changement de statut

s’est matérialisé tardivement car

les ministères ont commencé par

les plus gros établissements,

CNRS en tête, avant de s’intéresser

à l’INRIA. Mais dès le début des

années 1980, nous avions adopté

un protocole de gestion moins

lourd, qui préfigurait les statuts à

venir. Le contrôleur financier de

l’époque estimait qu’à trop

contrôler, on ne contrôlait rien !

En homme avisé, il avait donné de

larges délégations à l’agent comp-

table et à l’ordonnateur. En deve-

nant EPST, nous avons bénéficié

de nombreuses facilités de ges-

tion, notamment la globalisation

des crédits des unités de recher-

che et une responsabilisation

accrue des directeurs d’UR. Précé-

demment, les comptes étaient très

cloisonnés, chaque transfert d’un

compte vers un autre nécessitait

une validation en conseil d’admi-

nistration : environ 500 décisions

modificatives provisoires du bud-

get étaient ainsi signées chaque

année ! Le gain de souplesse a été

considérable.

Mais la transformation de l’insti-

tut n’a pas été un long fleuve tran-

quille. Nous avons dû faire face à

de nombreuses situations de crise

avec les personnels. Je me sou-

viens même avoir été (gentiment)

séquestré une soirée dans mon

bureau par des représentants syn-

dicaux réclamant le retour à Roc-

quencourt d’une personne

malencontreusement affectée

auprès de l’Adi, au 37e étage de la

Tour Fiat à La Défense alors

qu’elle était sujette au vertige ! De

même, les premiers conseils d’ad-

ministration se sont déroulés dans

des lieux tenus secrets jusqu’à la

dernière minute afin d’éviter l’en-

vahissement de la salle par des

manifestants qui, il est vrai, man-

quaient alors de visibilité sur leur

avenir. Mais au-delà des difficul-

tés rencontrées, je retiens finale-

ment, qu’ensemble, nous avons

réussi la mutation de l’INRIA.

■ Y. L. T.

J’ai rejoint le projet Cyclades en

septembre 1975 comme scientifi-

que du contingent. Suite à l’inci-

dent qui avait immobilisé le calcu-

lateur central de Rocquencourt

pour plusieurs mois (voir Code

source n° 9), l’équipe Cyclades

mettait en place un service d’ac-

cès à distance au centre de calcul

de Grenoble qui disposait aussi

d’un Iris 80. Mon premier travail

a consisté à développer un sys-

tème d’analyse et de visualisation

des flux d’activité de ce service.

L’Iris 80 a très vite été remplacé

par un calculateur Multics suffi-

samment puissant pour offrir un

accès en temps partagé à un grand

nombre d’utilisateurs simultané-

ment. À la même époque, la direc-

tion des moyens informatiques,

nouvellement créée par Jacques-

Louis Lions, s’est engagée dans le

développement de systèmes indi-

viduels et d’une infrastructure de

communication pour l’accès et le

partage des moyens de traite-

ment. Son travail s’appuyait sur la

concertation avec les projets et

services, et c’est en tant que cor-

respondant du projet Chorus que

j’ai participé aux travaux de spéci-

fication des systèmes de connec-

tivité. Les discussions, voire les

disputes, n’étaient pas rares entre

utilisateurs lorsqu’il fallait attri-

buer des connexions en fonction

du déploiement envisagé (bâti-

ment, projet, bureau, etc.) !

Tout au long des années 1980 les

équipes des moyens informati-

ques ont mis en œuvre des systè-

mes de communication en réseau

permettant de mailler finement

les bâtiments et de fournir le haut

débit. En particulier le remplace-

ment, dès 1982, des boîtiers de

connexion télématique par le

réseau X25 privé de Ouest stan-

dard télématique (OST) simplifia

la connexion filaire. Cette période

d’émergence mondiale des tech-

nologies de l’information et de la

communication a été activement

vécue par l’INRIA, par ses recher-

ches mais également par ses expé-

rimentations, améliorations, vali-

dations, recommandations et

utilisations des nouvelles techno-

logies !

C’est également au cours de cette

décennie que le projet d’informa-

tisation des services, lancé dès

1986 suite à une première expé-

rience réussie au sein du service

des relations extérieures par Phi-

lippe Le Puil, a permis de rattraper

le décalage visible avec les envi-

ronnements de travail de la

recherche.

Basculer vers les réseaux a été pas-

sionnant. Cela a aussi ouvert la

voie aux créations d’entreprises

issues de l’INRIA. Par exemple,

Chorus, le projet sur les systèmes

opératoires répartis animé par

Jean-Serge Banino, Hubert Zim-

mermann, Marc Guillemont,

Gérard Morisset et moi-même, a

donné naissance à Chorus Sys-

tems avec le renfort de Michel

Gien (projet pilote Sol). Mais voilà

qui mène à l’aventure Unix, linux

et du logiciel libre... ■ V.C.

« Les discussions, voire les disputes,n’étaient pas rares lorsqu’il fallaitattribuer des connexions »par Alain Caristan,directeur technique de l’Afnic

© INRIA / Photo A. Eidelman

Nombre

de machines

connectées

sur internet

en 1985:1961

« Essayez mon logiciel, diffusez-le librement. »A. Fluegelman, programmateur de San Francisco, invente le freeware.

Le robot V80 de Renault pouvait soulever 80 kg avec une accélération de 2 G!

Il était très dangereux et donc en cage (il avait transpercé une cloison au bâtiment 13

avant d’être déplacé au 24). Il s’agissait pour les équipes de François Germain – à l’ori-

gine de l’achat du robot – et d’Olivier Faugeras de rendre ces robots capables de s’adap-

ter à un environnement variable. Les logiciels de Nicholas Ayache (à droite) réalisaient la

reconnaissance d’objets disposés en vrac grâce à une caméra (image 2D sur l’écran) et

les logiciels de Jean-Daniel Boissonnat (à gauche) pilotaient le robot pour qu’il saisisse

délicatement ces pièces. Tout était automatique mais il n’était pas question de rester dans

la cage pour corriger les derniers bugs : Nicholas a le doigt sur le bouton d’arrêt d’ur-

gence ! La démo a eu beaucoup de succès et est même passée au JT. François Germain

et George Kryze ont aussi développé le capteur 3D qui a joué par la suite un rôle clé dans

l’approche géométrique de la vision par ordinateur du projet Robotvis.

© INRIA / Photo J. Wallace

© INRIA / Photo R. Rajaonarivelo

Page 17: Code source 1978-1987

Dans le cadre du projet Eureka Prometheus, des techniques d’interprétation routièressont à l’étude à l’INRIA Sophia Antipolis, en collaboration avec l’INRIA Rennes

et les universités de Compiègne et de Clermont-Ferrand.

La création du Chaos Com-

puter Club en Allemagne

au début de cette décennie

avait montré que les

réseaux pouvaient être la

cible d’actions inamicales.

Les événements

dont l’Inria est la

victime depuis

quelques mois

en est une illus-

tration. Tout a

commencé à la

fin du mois de

mars dernier avec la pre-

mière intrusion réalisée par

des inconnus – Hackers,

crackers, pirates selon le

nom qu’on leur donne –

sur l’ordinateur Multics du

centre de calcul vectoriel

pour la recherche à l’Inria.

Dès le lendemain, l’ordina-

teur Cray était piraté à son

tour, suscitant une inquié-

tude tempérée par les

résultats de l’enquête

révélant que rien n’était

endommagé. La volonté

de se faire remarquer sem-

ble en effet être le principal

ressort des pirates qui

trouvèrent alors spirituel de

laisser pour tout message :

« Le Cray est momentané-

ment remplacé par un Sin-

clair ZX 81 » !!!

La révélation par la presse

de ces incidents a malheu-

reusement encouragé les

imitateurs qui ont ensuite

chercher à s’introduire sur

le réseau de l’institut via

Transpac. Depuis le début

de l’été, les tentatives d’in-

trusion se multiplient et

ont même entraîné l’arrêt

du Cray, perturbant de la

sorte très gravement le tra-

vail des chercheurs.

Les responsables du cen-

tre de calcul ont

rappelé que le

respect scrupu-

leux des procé-

dures de sécu-

rité est seul à

même de pro-

téger les utilisa-

teurs. Les caractéristiques

techniques des comptes

doivent rester strictement

confidentielles et les mots

de passe, qui ne doivent

pas rester en mémoire sur

les ordinateurs, doivent

être changés régulière-

ment. Par mesure de pré-

caution, le Cray a été

arrêté le week-end dernier.

Ce type d’affaire s’est

généralisé comme l’a sou-

ligné, il y a trois ans, l’ar-

restation aux États-Unis du

pirate Kevin Poulsen,

connu sous le pseudo-

nyme de Dark Dante, et

l’apparition des premiers

virus sur les PC en 1984.

Ce phénomène ne doit pas

être pris à la légère. Il n’y a

là rien de folklorique pour

la direction de l’INRIA qui a

d’ailleurs décidé de pren-

dre les dernières intrusions

très au sérieux, en dépo-

sant plainte contre X au tri-

bunal de grande instance

d’Evry. ■ AB & PG

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - NO 20 - 21 MAI 2OO7

Le 3 janvier 1986 – Le pro-jet Eurêka, proposé par laFrance, a été lancé au coursde la conférence intergou-vernementale qui s’esttenue le 5 novembre der-nier à Hanovre, en Alle-magne, et qui réunissait dix-neuf participants : laCommission et les représen-tants de 18 états européensdont la Turquie qui siégeaitpour la première fois dansce genre d’assemblée. Lacrainte d’un fossé technologi-que croissant avec les États-Unis et le Japon est en effet aucentre des préoccupations et leprojet Eurêka incarne lavolonté de l’Europe d’agir encommun pour renforcer sacapacité industrielle et s’impo-ser sur le marché face auxautres grandes puissances.Une telle politique de coopéra-tion scientifique et technologi-que a déjà été amorcée par lacréation de structures intergou-vernementales comme le Cern,à Genève, et l’agence spatialeeuropéenne qui sont indénia-blement des réussites. Mais unprojet comme l’Euratom, né en

même temps que la Commu-nauté européenne et qui devaitpermettre à l’Europe des Six dese doter de l’énergie nucléairepacifique n’a pas donné lesmêmes satisfactions. Le biland’un quart de siècle d’activitéest bien faible car le « chacunpour soi » a dominé, sauf peut-être dans le domaine de lafusion qui reste de la rechercheà très long terme.Le projet Esprit, lancé en 1984et financé pour moitié par laCommunauté européenne,voulait déjà lancer l’Europedans la construction des ordi-nateurs de la cinquième géné-ration (il existe des projetsidentiques pour les télécommu-nications) mais il ne vise pasdirectement le marché. Sur ceplan, Euréka affiche donc unegrande ambition technologiqueen ayant pour objectif d’accroî-tre la productivité et la compé-titivité des industries et deséconomies nationales euro-péennes par le renforcement dela coopération entre les entre-prises et les instituts de recher-che en hautes technologies. Ceplan met l’accent sur six

domaines particuliers : lesmatériaux nouveaux, les lasersde puissance, l’opto-électroni-que et surtout la micro-électro-nique rapide, les supercalcula-teurs et l’intelligence artificiellequi intéressent directementl’Inria même si le handicap parrapport aux États-Unis estdevenu important. Un pro-gramme dont le délégué luxem-bourgeois qui se fait l’interprètede tous affirme qu’il demandede dépasser les « frontièresmentales » pour penser euro-péen. Pour un institut commel’Inria, penser européen estsans doute une nécessité maisaussi une pratique. Il est clairen tout cas que le nouveau pré-sident de l’institut, Alain Ben-soussan, insistera dans les moisqui viennent sur toutes les for-mes de coopération euro-péenne. À commencer, bienentendu, par les programmesEurêka qui sont du ressort del’institut, comme Prometheusqui devrait réunir dès cetteannée un gigantesque consor-tium sur le thème du véhicule« intelligent ».

■ AB & PG

Eurêka pour dépasserles égoïsmes nationaux

ANNÉE 1986

Et pendant ce temps là...Lancement de la première chaîne généraliste privée française LaCinq – La station orbitale russe MIR (paix en russe) s’installe dansl’espace – Après la victoire de la droite aux élections législativesle 16 mars, le président François Mitterrand nomme JacquesChirac Premier ministre.

Le pirate informatique,un nouvel acteurincontournable ?

© INRIA

Le Multics en proieaux attaques des pirates

Page 18: Code source 1978-1987

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA(no 20 – 21 mai 2007)

« J.-L. Lions voulaitcontribuer au plan Fabiusen créant une nouvelleunité de rechercheen Lorraine »par Jean-Paul Haton,professeur à l’université Henri Poincaréet à l’institut universitaire de France

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice enchef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (miseen page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Tech-noscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :A. Beltran et P. Griset («Histoire d’un pionnier de l’in-formatique» paru chez EDP Sciences), Véronique Poi-rel, Céline Sortais.

LE SAVIEZ-VOUS ?La société Thinking Machines commercialise le premier super ordinateur massivement parallèle, la Connection

Machine CM-1, pouvant comporter jusqu’à 65 536 processeurs ! La machine reconfigure les connexions inter-

nes entre les processeurs pour résoudre un problème donné. L’inconvénient de cette architecture est, bien

sûr, l’extrême complexité de la programmation et de l’optimisation — Lancement du Radio Data System (RDS

qui permet de transmettre des données numériques via les ondes radio ; il est en particulier utilisé par les pos-

tes radiophoniques des véhicules.

Je suis devenu en 1974 le deuxième

professeur d’informatique de la

faculté des sciences avec Jean-

Claude Derniame qui fut ensuite le

directeur du Centre de recherche

en informatique de Nancy (Crin).

Ce laboratoire, commun aux trois

nouvelles universités de la ville et

reconnu Laboratoire associé par le

CNRS, regroupait les enseignants-

chercheurs de cette discipline. Il

n’avait pas de locaux propres et

fondait son unité sur un séminaire

qui avait lieu tous les jeudis après-

midi sous la direction de Claude

Pair, son premier directeur. Il n’en

était pas moins l’un des grands

laboratoires français en informati-

que.

En 1981, dans le cadre du plan

Fabius destiné à développer les

hautes technologies en Lorraine

pour sauver la sidérurgie, j’ai reçu

un coup de fil de J.-L. Lions : il vou-

lait contribuer à ce plan en créant

une nouvelle unité de recherche en

Lorraine adossée au Crin. L’année

suivante, Jean-Marie Proth s’est vu

confier la direction de l’unité, avec

comme assistante Brigitte Pierrard,

et je suis devenu le premier prési-

dent du comité des projets. J’ai été,

en quelque sorte, la cheville

ouvrière des projets qui se sont

montés par la suite et qui étaient

issus en quasi-totalité du Crin. Les

six équipes Maia, Parole, Cortex,

Orpailleur, Merlin et Langue et dia-

logue sont nées de l’équipe Recon-

naissance des formes et intelli-

gence artificielle (RFIA) que j’avais

créée à l’université. L’intelligence

artificielle représente aujourd’hui

environ la moitié des thématiques

de recherche du Loria, tout ce qui

touche à l’imagerie, la fouille de

données, etc. !

L’UR a emménagé dans les locaux

du château du Montet. La co-

direction par le Crin et l’INRIA n’a

pas été facile car nous avions des

activités très proches et toutes les

équipes – comme aujourd’hui –

étaient des projets mixtes. Nous

avons bénéficié de l’image d’excel-

lence ainsi que de la structure et du

mode d’organisation de l’INRIA,

mais l’institut est arrivé avec très

peu de forces vives : Jean-Marie

Proth puis François Charpillet et

Michael Rusinowitch. Les moyens

financiers sont venus ensuite.

C’était bizarre car nous débau-

chions l’industrie (Sollac, IRSID)

tout en conservant de bonnes rela-

tions avec nos partenaires…

Un moment important a été la

construction de la tranche B des

bâtiments car, jusque là, nous

étions entassés dans les bâtiments

du 1er cycle de la faculté des scien-

ces. RFIA était dans une partie du

5e étage, en vase clos. Nous avons

eu la chance, contrairement à

d’autres laboratoires, de ne pas

éclater. Nous y avons gagné en visi-

bilité. ■ V. P.

Le 2 août 1985 le statut de l’INRIA

évolue, il devient un EPST. C’était

le résultat d’un long travail en

amont et cela a créé une véritable

effervescence au sein de l’établis-

sement. Une des conséquences

importantes de ce changement de

statut fut l’intégration des person-

nels contractuels dans les grilles

de la fonction publique sans avoir

à passer un concours au préalable.

Bien que délicat à gérer, ce glisse-

ment s’est plutôt bien passé. Les

personnels étaient contents d’in-

tégrer la fonction publique.

J’étais à cette époque l’assistante

de Maurice Robin qui, de respon-

sable du service des relations

internationales, fut nommé direc-

teur de l’unité de recherche de

Rocquencourt.

Pendant ce temps, le travail des

assistantes de services ou de

projets évoluait avec l’arrivée

des premiers micro-ordinateurs

« Macintosh ». Avant cela, nous

travaillions sur les machines IBM

à boules – les premières machines

électriques – amélioration ma-

jeure pour les assistantes qui sai-

sissaient les manuscrits scientifi-

ques qui comportaient de

nombreuses formules mathémati-

ques. Exercice, néanmoins fasti-

dieux, puisqu’il fallait changer de

boule très souvent, selon que l’on

tapait du texte ou des formules

mathématiques, mais c’était déjà

un réel progrès. L’arrivée des pre-

miers micro-ordinateurs a été éga-

lement l’occasion de nous former

sur de nouveaux outils, tels que le

traitement de texte, tableur, mais

aussi d’apprivoiser une souris que

l’on n’arrivait pas toujours à maî-

triser.

En 1986, Maurice Robin est

nommé directeur adjoint de l’IN-

RIA. Il fut remplacé par Anne

Schroeder à la tête de l’UR de

Rocquencourt qui connaissait

alors une très forte croissance en

termes d’effectifs. Une dizaine

d’années plus tard, j’ai rejoint le

service des relations industrielles

de l’unité de recherche de Rennes,

qui était alors dirigée par Jean-

Pierre Banâtre. ■ C.S.

Les personnels étaient contentsd’intégrer la fonction publiquepar Chantal Le Tonquèze,relations industrielles, INRIA/Irisa Rennes.

© INRIA / Photo C. Lebedinsky

Nombre

de machines

connectées

sur le pré-internet

en février 1986:

2308

en novembre 1986:

5089

« Pour 1,265 millions de francs HT, vous disposezd’une unité centrale avec 512 Ko de mémoire

et d’une unité de disque de 67 Mo »Publicité de Digital parue dans Le Monde informatique en 1982.

Gaston est arrivé au Loria grâce à Jean-Paul

Haton. Ce robot Nomad 200 était utilisé comme

plateforme expérimentale pour tester les modèles

développés au sein du projet Syco : fusion de cap-

teurs, raisonnement temporel et temps réel, pla-

nification d’actions, apprentissage et réseaux

neuro-mimétiques. © INRIA / Photo A. Eidelman

© INRIA / Photo J. Wallace

Page 19: Code source 1978-1987

L’équipe d’Ilog dans leurs locaux de l’avenue Galliéni à Gentilly, avec Jérôme Chailloux, Catherine Granger,Matthieu Devin, Manuel Montalban,Antoine de Montgareuil, Pierre Haren et Odile Chénetier

comme anciens de l’Inria.

Pierre Haren agé de 34 ans

est le numéro un de l’en-

treprise. X-Pont, il a débuté

sa carrière au ministère

français de la Mer où il

a contribué à la création

de l’Ifremer. On dit qu’il

n’hésitait pas à tester lui-

même certains équipe-

ments scientifiques en

plongée sous-marine… Il

rejoint l’Inria en 1983 après

un doctorat passé au MIT.

Il y dirige le projet Smeci

consacré aux systèmes

multi-experts. Ce sont ses

qualités de gestionnaire de

la recherche associées à sa

parfaite connaissance de

l’informatique telle qu’on la

pratique dans le domaine

de l’intelligence artificielle

qui ont amené Alain Ben-

soussan, président de la

nouvelle filiale, à lui confier

la direction d’Ilog.

À ses côtés, Jérôme Chail-

loux, le père du langage de

programmation Le-Lisp, le

produit phare d’Ilog, est

entré à l’Inria sur les traces

du projet de conception

automatique de circuits

VLSI dirigé par Jean Vuille-

min. Il s’investit très rapi-

dement dans un projet

visant à développer un sys-

tème Lisp opérationnel

destiné au monde de la

recherche. Le langage Le-

Lisp est ainsi à la fois

un outil de travail et un

outil de recherche. Bien

que très sollicité par les

entreprises américaines,

Jérome Chailloux a désiré

rester en France. Grâce à

Usenet, il reste néanmoins

connecté en permanence

à une communauté de

recherche très internatio-

nalisée et il avoue passer

deux heures chez lui cha-

que soir sur son ordinateur

personnel pour répondre à

son courrier électronique.

Nul doute que les qualités

complémentaires des

deux chercheurs mettront

Ilog sur la voie du succès.

La démarche des deux

hommes souligne bien la

capacité d’adaptation des

chercheurs de l’Inria et leur

disponibilité lorsqu’il s’agit

de s’investir dans des

aventures industrielles. Si

toutefois celles-ci restent

en prise directe avec la

recherche ■ AB & PG

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - NO 21 - 28 MAI 2OO7

Le 7 avril 1987 – Tournantimportant pour l’informa-tique française, l’institutnational de recherche eninformatique et en automati-que (Inria) crée sa premièrefiliale Ilog. Cette jeune entre-prise pénètre un marché radi-calement neuf – celui de l’in-telligence logicielle dont elletire d’ailleurs son nom – grâceà des années d’investissementde l’Inria dans le domaine deslangages. Le lancement du pro-gramme Formel par GérardHuet au début de cette décen-nie avait fait de l’Inria unacteur majeur dans ce domaineà l’échelle internationale. Laréalisation du langage Caml ena été un premier aboutisse-ment. Dès lors les industrielsréclamèrent à l’institut d’in-dustrialiser les logiciels issus deces programmes de recherche.Cette pression s’est récemmentaccentuée en raison de la noto-riété mondiale acquise par lelangage Le-Lisp élaboré parJérome Chailloux. Alain Ben-soussan a jugé qu’il était tempsde prendre place sur ce marché

de l’intelligence logicielle enpleine croissance mais large-ment dominé par des sociétésnées sur les campus américains.L’Inria est l’actionnaire majori-taire de la jeune entreprisedotée d’un capital d’un millionet demi de francs. Dirigée parPierre Haren et Jérome Chail-loux, elle orientera ses activitésvers le conseil et la formation,et commercialisera des langa-ges et des environnements spé-cialisés ainsi que des outils dedéveloppement de systèmesexperts. Cinq départementsassureront le développementde l’activité : langages (GregNuyens), environnements Lisp(Mathieu Devin), générateursde systèmes experts (PatrickAlbert et Catherine Granger),conseil (Manuel Montalban)et simulation (Patrice Poyet).Renault, Aérospatiale, EDF-GDF, Bull et Thomson sontparticulièrement intéressés parces nouveaux produits etseront les premiers clientsd’Ilog.Ilog restera néanmoins enétroite relation avec l’Inria et

les synergies qui en résulterontseront précieuses pour laFrance qui doit rester vigilanteen matière de normalisation.On estime en effet que lanorme Common Lisp acceptéepar les industriels américainsn’a pas la précision sémantiquesuffisante et l’Inria entend agirde manière décidée pour queLisp conserve à l’avenir unevéritable qualité scientifique.Pour cela la collaboration avecIlog sera précieuse car elleapportera à l’institut la visiondes industriels clients de safiliale sur ces questions.La création d’Ilog est ainsil’aboutissement d’une logiquede recherche fondamentalepermettant la création d’uneentreprise capable de commer-cialiser des produits parfaite-ment placés sur le marchéinternational. Si de surcroît,comme on l’espère, Ilog versequelques dividendes permet-tant d’améliorer un peu unbudget toujours chiche, larecherche française sera alorsgagnante sur les deuxtableaux ! ■ AB & PG

L’Inria se lance sur lemarché via sa filiale Ilog

ANNÉE 1987

Et pendant ce temps là...Mort de l’artiste Andy Warhol – Premier vol de l’AirbusA320 – Perpétuité pour l’ancien chef de la Gestapo deLyon Klaus Barbie – Le projet de tunnel ferroviaire sousla Manche démarre – Suite au référendum organisé surl’île, la Nouvelle-Calédonie reste française – Signaturedu protocole de Montréal de 29 pays pour la réductionde la production de gaz nocifs pour la couche d'ozone– Les pays du « G6 » signent à Paris les Accords duLouvre, destinés à enrayer la baisse du dollar US et àstabiliser les taux de change – La commission desNations Unies sur l’environnement et le développementpublie le rapport Brundtland intitulé « Our commonfuture » qui propose la définition du développementdurable.

Deux pointuresà la tête d’Ilog

© Ilog

Page 20: Code source 1978-1987

J’ai rejoint l’INRIA fin 80, après la

délocalisation de l’université

expérimentale de Vincennes où je

menais des recherches en intelli-

gence artificielle, notamment sur

des outils de programmation sym-

bolique appliqués aux arts plasti-

ques et à la musique. J’ai été cha-

leureusement accueilli au

bâtiment 8. J’étais chargé de

concevoir une variante du langage

de programmation Lisp (le lan-

gage symbolique réservé à l’épo-

que aux grosses machines) pour

qu’il puisse être porté sur une

grande variété de stations de tra-

vail. Nous l’avons baptisé « Le-

Lisp ». Il a rapidement été utilisé à

Rocquencourt dans le projet de

conception de circuits intégrés

VLSI de Jean Vuillemin, dans les

outils d’aide à la programmation

du projet Croap de Gilles Kahn,

dans les premières versions du

langage Caml développé par

Gérard Huet et sur beaucoup de

sites de l’INRIA, en particulier

dans le projet sur les systèmes à

base de connaissances (Smeci)

dirigé par Pierre Haren à Sophia

Antipolis. De nombreuses person-

nes prirent part au développe-

ment (Jean-Marie Hullot, Mat-

thieu Devin, Jean Vuillemin,

Bernard Serpette, Bertrand Serlet,

etc.) et Le-Lisp devint un système

à base d’objets, intégrant des

bibliothèques graphiques, très en

avance sur son temps.

Dès 1984, les centres de recherche

industriels se sont montrés inté-

ressés pour acquérir des licences

d’exploitation et de portage. Face

à ce succès, en 1985, nous avons

créé « Les mardis du Lisp » qui

réunissaient chercheurs et indus-

triels autour de conférences sur

Le-Lisp. Fin 85, plusieurs centai-

nes de licences avaient été

octroyées. Pierre Haren a été un

des premiers à avoir l’idée de

créer une filiale de l’INRIA dédiée

au calcul symbolique, idée d’em-

blée soutenue par la direction de

l’Institut. Reconnaissons-le, nous

n’étions néanmoins pas très sûrs

de nous. Il nous a fallu toute l’an-

née 1986 pour préciser notre pro-

jet de filiale, que nous avons bap-

tisée Ilog (Intelligence logicielle).

A la fin de l’année, il ne nous man-

quait plus que la signature du

ministre de l’éducation nationale,

Alain Devaquet. Sa démission,

suite à la mort de l’étudiant Malik

Oussekine, a retardé notre lance-

ment de quelques mois, jusqu’au

7 avril 1987. Ilog s’est ensuite

développé très vite. Le mois der-

nier, Pierre Haren, toujours à la

tête d’Ilog a même eu l’honneur

de sonner la cloche du Nasdaq à

New-York pour le vingtième anni-

versaire de l’entreprise et le

dixième anniversaire de son intro-

duction au Nasdaq. ■ I. B.

L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA(no 21 – 28 mai 2007)

« Chaque mois,nous réunissionschercheurset industrielspour des conférencessur Le-Lisp »Jérôme Chailloux,cofondateur d'Ilog

Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard,C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise enpage : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltranet P. Griset («Histoire d’un pionnier de l’informatique» paru chez EDP Sciences), Isabelle Bellin, Sabah Khalfa.

LE SAVIEZ-VOUS ?Microsoft lance Windows 2.0, la deuxième version de son interface graphique — Apple tente un procès contre

Microsoft pour avoir copié en grande partie l'interface graphique du Macintosh. Mais Microsoft gagne le pro-

cès car auparavant Apple avait copié les idées du PARC —L’US National Science Foundation démarre NSFnet,

qui deviendra une partie de l’Internet actuel — IBM présente ses PS/2 pour casser le standard du PC et

reconquérir des parts de marché : le nouveau bus de données 32 bits, baptisé MCA, est très performant, mais

surtout protégé par des droits d’auteur — Apple présente une nouvelle gamme au format desktop, les Mac II,

qui offre 6 slots d’extension.

Issu d’une formation d’ingénieur

en Informatique Industrielle, j’ai

découvert l’intelligence artificielle

et l’informatique théorique grâce

aux cours de DEA de Jean-Paul

Haton et de Jean-Pierre Finance.

Je souhaitais travailler sur le rai-

sonnement et je me suis donc

lancé avec J.-P. Haton en 1987

dans une thèse qui avait le cer-

veau comme objet de recherche.

Je souhaitais travailler avec les

biologistes ce qui m’a entraîné sur

des chemins jamais parcourus

auparavant ; c’est ainsi que je me

suis intéressé aux approches sym-

boliques et à leur lien avec les

approches numériques.

Mais les recherches en sciences

du vivant n’étaient pas encore à

l’ordre du jour. C’était un sujet

émergent à l’époque ; nous étions

précurseurs et souvent nous fai-

sions figure de gens pas très

sérieux. Il a fallu de longues dis-

cussions avec Bernard Laroutur-

rou et Gilles Kahn pour les

convaincre de la nécessité de

s’orienter vers le « bioinspiré ».

Grâce à plusieurs autres jeunes

chercheurs de l’INRIA engagés

dans la même démarche, cette

thématique a finalement été rete-

nue par ces deux PDG de l’insti-

tut qui étaient alors respective-

ment président de la commission

d’évaluation et directeur scientifi-

que. Les discussions étaient d’ail-

leurs très enrichissantes car Ber-

nard Larouturrou venait du calcul

scientifique et Gilles Kahn du cal-

cul formel et de la théorie.

Bien qu’a priori très fondamenta-

les, ces recherches ont par exem-

ple eu des applications dans

le domaine de la sidérurgie en

appliquant les réseaux de neuro-

nes aux laminoirs à la fin des

années 1990. Ces travaux conti-

nuent aujourd’hui dans l’équipe

Cortex avec Laurent Bougrain :

Comment mêler le calcul neuro-

nal avec des manipulations de

connaissances explicites ?

Ces thématiques sont peu explo-

rées et attirent des chercheurs

d’autres horizons comme Domi-

nique Martinez ou Thomas Voegt-

lin. Je m’appuie beaucoup sur la

transversalité et j’ai même passé

une maîtrise de psychologie et de

physiologie afin de pouvoir com-

muniquer aisément avec les spé-

cialistes de ces disciplines. Cela

est indispensable pour pouvoir,

par exemple, innover dans le per-

fectionnement des machines de

calculs parallèles en s’inspirant du

vivant. Il faut travailler sur le cal-

cul distribué pour faire évoluer les

processus et les limites physiques

de miniaturisation. Aujourd’hui,

nous travaillons à l’échelle du

neurone et nous cherchons à

comprendre comment cette entité

de base du cerveau s’organise

pour communiquer, travailler,

calculer avec les autres neurones.

Sciences du vivant, calcul numé-

rique et robotique sont étroite-

ment liés. ■ S.K.

« Il a fallu de longues discussionspour faire adopter le bioinspiré »Par Frédéric Alexandre, projet Cortex,INRIA Lorraine

© Ercim

© INRIA / Photo J. Wallace

Jérôme Chailloux et Jean-Marie Hullot testent sur l’ordina-teur Lisa d’Apple la version de Le-Lisp portée par la sociétéACT Informatique (1985). J.-M. Hullot a créé par ailleurs leprogramme SOS Interface, écrit en Lisp. Les droits sur celogiciel ont été rachetés en 1987 par la société NeXTComputer pour laquelle J.-M. Hullot travaillera ensuite etcréera notamment Interface Builder.

© INRIA