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DIMANCHE 13 - LUNDI 14 MARS 2016 0123 PAR PETITES TOUCHES, LES INGÉNIEURS REMPLACENT NOS HANDICAPS PAR DES MACHINES ROBOTISÉES, NOS DÉFICIENCES PAR DES LOGICIELS, NOTRE VISION PAR DES « APPS » CULTURE AUGMENTÉE À QUOI SERT LA SURTITRER UN SPECTACLE Lunettes de surtitrage Lors de la représentation théâtrale ou lyrique, la traduction défile sur l’écran des lunettes. Une application associée permet de choisir sa langue, de l’anglais au mandarin. Casque et boîtier OBTENIR UN SON HD EN CONCERT Le spectateur bénéficie d’un son haute- définition personnalisable, améliorant l’expérience sonore du concert. Possibilité d’écouter différentes scènes lors d’un festival, sans avoir besoin de se déplacer. RENDRE LE CONCERT INTERACTIF Applications smarphones Un logiciel géré depuis votre smartphone vous permet de faire votre propre mixage du concert. A l’inverse, l’artiste peut contrôler à distance les téléphones transformés en autant d’instruments. DÉCUPLER LES CAPACITÉS DE L’ARTISTE Caméra Kinect Cette technologie permet à un artiste de commander un effet lumineux ou sonore par un simple mouvement du corps (bras levé, poing serré...). PAYER SANS ARGENT AU SPECTACLE Bracelet collecteur de données Les clients peuvent payer leurs consommations et réserver leurs billets par le biais du bracelet, qui garde en mémoire la trace des achats. TRANSFORMER LES OBJETS EN INSTRUMENT Grâce à des capteurs, l’artiste peut générer des sons d’un simple claquement de doigts. De même, des capteurs posés sous une table la transforment en piano virtuel. RÉALISER UNE PERFORMANCE Puce électronique implantée Les puces réceptrices RFID, implantées parfois sous la peau, sont utilisées par des plasticiens pour réaliser des œuvres interactives avec le public. ILLUMINER UNE FOULE À L’UNISSON Bracelet lumineux connecté Gant interactif et capteurs Le musicien contrôle la lumière (couleur, intensité, rythme) émise par les LED des bracelets. Sur un nouveau projet, interactif, les spectateurs peuvent, d’un mouvement du poignet, intervenir sur l’éclairage de la scène. T rente ans, des cheveux décolo- rés qui lui donnent des airs de cyborg alternatif, Dorothée Smith remonte la manche de son sweat-shirt pour décou- vrir une petite cicatrice sur son bras : c’est là qu’un ami lui a implanté la puce électronique qui a servi pour son ex- position « Cellulairement », et qui contient encore, comme elle dit, « le dernier fantôme à m’avoir visitée ». C’était en 2011, une petite pièce dans l’obs- curité, avec des miroirs sans tain. Derrière ceux-ci, une caméra Kinect – celle de la con- sole de jeux Xbox – permettait de cerner la personne qui entrait dans la pièce. Une ca- méra thermique relevait alors son empreinte de chaleur et l’envoyait vers la puce RFID (programmée pour recevoir par ondes radio des données en temps réel), irradiant la com- binaison calorifique, le « vêtement de cha- leur » que Dorothée Smith avait revêtu pour devenir l’hôte volontaire de ses fantômes. « Quand quelqu’un disparaît, ce qui manque d’abord c’est sa chaleur, c’est le contact physi- que, et là, je pouvais ressentir une sorte d’ étreinte », explique la jeune artiste française, qui a étudié la philosophie à Paris, la photo à Arles et les expérimentations vidéo au Fres- noy. Trois mille fantômes l’ont visitée à l’épo- que. A un moment, le vêtement a pris feu. « Il y a encore de petites choses à améliorer », sou- rit-elle. La puce est toujours dans son bras. Améliorer l’humain. Laisser le champ libre à la technologie, à la robotique, à la biologie, pour rendre ces petites choses fragiles que nous sommes plus résistantes, plus intelli- gentes, plus efficaces, tel est le sujet de « la réalité augmentée ». Par petites touches, les ingénieurs repoussent les limites du vieillis- sement, de la procréation, ils remplacent nos handicaps par des machines sophistiquées, robotisées, nos déficiences par des logiciels, notre vision trop étroite par des « apps » – les applications téléchargeables sur les smart- phones qui sont au XXI e siècle ce que la pomme de terre fut à Parmentier. Le héros de cette nouvelle ère – dernière vitrine du nouveau Musée de l’Homme au Trocadéro – s’appelle « l’homme augmenté ». Or, aujourd’hui, l’homme augmenté va au spectacle, joue sur scène, peuple les exposi- tions, écoute des concerts en HD, regarde à 360° des films en 3D et range sous son lit toute une panoplie de prothèses pour aug- menter encore son expérience culturelle. Stéphane Dufossé, PDG d’Augmented Acoustics, est acousticien de formation, il joue de la basse au sein d’un groupe amateur, les Bullshit Gourous, et coorganise un festival de rock metal à Cergy. Ancien de chez Alcatel- Lucent, il est un acharné du bon son en même temps que du gros son. D’où l’idée, pendant les concerts, de poser sur la tête du spectateur un casque sans fil relié directement à la con- sole de mixage de l’ingénieur du son. Réglage plus ou moins fort, mais, surtout, accès aux boutons de tous les réglages des divers instru- ments – avec l’accord des musiciens. Un logi- ciel que vous pouvez gérer depuis votre smartphone vous place aux commandes de votre propre mix. Comme Stéphane, vous aimez la basse ? Vous la mettez en avant. Vous avez mal aux oreilles dans les fréquences cen- trales ? Vous baissez la batterie. Ce que vous recevez dans le casque est la même chose que ce que reçoit le musicien sur scène dans ses « In-ear monitors », ses oreillettes que l’on dessine aujourd’hui sur mesure et qui, de plus en plus, remplacent les enceintes de retour. L’équipe d’Augmented Acoustics, soutenue par l’équipementier acoustique Bose, a com- mencé les expérimentations en public à l’automne dans différents petits festivals de la région parisienne. A la principale critique (« Un concert c’est d’abord une expérience col- lective, non ? Pourquoi un casque ? »), le bas- siste des Bullshit Gourous a déja trouvé la ré- ponse : « On a prévu de corriger ce défaut en ajoutant dans le mix l’ambiance de la salle… En fonction de vos goûts, vous pourrez enten- dre vos voisins qui chantent faux, ou non» BIG BROTHER VOUS TIENT PAR LE BRAS Et si vous voulez communier, vous pourrez toujours le faire en agitant les bracelets lumi- neux accordés au tempo que les sociétés Xy- loband, Pixmob ou la start-up Lucie Labs vous ont distribués. De ce côté-là, tout a com- mencé en octobre 2011 à Madrid. Jason Re- gler, fan de Coldplay et inventeur à la ra- masse, a commandé pour le concert du groupe britannique 16 000 bracelets lumi- neux. Coldplay a accepté son projet d’illumi- ner les poignets du public avec des LED télé- commandées à distance par une console. Le résultat est un succès. « Une expérience im- mersive » : le mot sacré, qui est désormais le sésame de tout « concert augmenté ». A Sophia Antipolis, technopôle près d’Anti- bes, Yan Lee-Dajoux et François Mazart, deux anciens de Texas Instrument, tentent d’aller plus loin. Avec leur start-up Lucie Labs, ils ont rendu le procédé interactif. Grâce à leur sys- tème interconnecté, en levant le bras, en bou- geant le poignet, le spectateur pourrait, à l’avenir, intervenir sur l’éclairage de la scène. Au passage, le bracelet devient omnipuis- sant : à la fois billet d’entrée dématérialisé et moyen de paiement au bar… Big Brother vous tient par le bras, mais l’homme connecté se fiche de la commission Informatique et liber- tés comme de sa première chemise. Carl, Christophe et Romain se sont rencon- trés au Jeune Chœur d’Ile-de-France. Carl a fait Polytechnique, Christophe est devenu jour- naliste dans la presse professionnelle du tou- risme, Romain – fils du rédacteur en chef de L’Opinion, Nicolas Beytout –, chanteur lyrique. Dix ans plus tard, ils viennent de créer Thea- tre in Paris. La start-up propose à la fois un système de réservations dans des théâtres pa- risiens et un système de surtitrage destiné aux touristes étrangers – un réservoir de 20 millions de spectateurs potentiels. Leur idée : des lunettes de surtitrage. Une monture aux verres neutres (signées Optinvent, petite entreprise nantaise spécialisée dans les lunet- tes connectées) sur lesquelles vient défiler le texte, une appli android qui permet de choisir un langage – de l’anglais au mandarin en fonction des pièces de théâtre proposées et des publics ciblés – et, en back-office, un opé- rateur en régie qui fait défiler des traductions réalisées par un réseau d’indépendants. Les premiers tests ont été effectués au Fes- tival d’Avignon en 2015 avec les deux pièces présentées dans la cour d’honneur, Le Roi Lear, mis en scène par Olivier Py, surtitré en anglais et en mandarin, et Retour à Berra- tham, d’Angelin Preljocaj, surtitré cette fois-ci en six langues. A raison d’une demi- douzaine de lunettes prêtées chaque soir – le prix de ces prototypes est pour l’instant pro- hibitif –, le Festival a été l’occasion à la fois d’expérimenter le produit et de séduire des cibles sensibles, comme Hung Meng-chi, le Go-go gadgets aux arts Puces, capteurs, prothèses, lunettes spéciales, applications... De plus en plus d’outils visent à enrichir l’expérience artistique, du point du vue des créateurs comme du public

IA Forte - Entre Peurs et Rêves

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DIMANCHE 13 - LUNDI 14 MARS 2016

0123

PAR PETITES TOUCHES,

LES INGÉNIEURS REMPLACENT

NOS HANDICAPS PAR DES MACHINES

ROBOTISÉES, NOS DÉFICIENCES

PAR DES LOGICIELS, NOTRE VISION

PAR DES « APPS »

CULTUREAUGMENTÉE

À QUOI SERT LA

SURTITRER UN SPECTACLE Lunettes de surtitrage

Lors de la représentation théâtrale

ou lyrique, la traduction défile sur

l’écran des lunettes. Une application

associée permet de choisir sa

langue, de l’anglais au mandarin.

Casque et boîtier

OBTENIR UN SON HD EN CONCERT

Le spectateur bénéficie d’un son haute-

définition personnalisable, améliorant

l’expérience sonore du concert.

Possibilité d’écouter di�érentes scènes

lors d’un festival, sans avoir besoin

de se déplacer.

RENDRE LE CONCERT INTERACTIF ApplicationssmarphonesUn logiciel géré depuis votre

smartphone vous permet de faire

votre propre mixage du concert.

A l’inverse, l’artiste peut contrôler à

distance les téléphones transformés

en autant d’instruments.

DÉCUPLER LES CAPACITÉS DE L’ARTISTECaméra Kinect Cette technologie permet

à un artiste de commander

un e�et lumineux ou sonore par

un simple mouvement du corps

(bras levé, poing serré...).

PAYER SANS ARGENT AU SPECTACLE Bracelet collecteurde donnéesLes clients peuvent payer

leurs consommations et réserver

leurs billets par le biais du bracelet,

qui garde en mémoire la trace

des achats.

TRANSFORMER LES OBJETS EN INSTRUMENT

Grâce à des capteurs, l’artiste peut

générer des sons d’un simple

claquement de doigts.

De même, des capteurs posés sous une

table la transforment en piano virtuel.

RÉALISER UNE PERFORMANCEPuce électroniqueimplantée Les puces réceptrices RFID,

implantées parfois sous la peau,

sont utilisées par des plasticiens

pour réaliser des œuvres

interactives avec le public.

ILLUMINER UNE FOULE À L’UNISSONBracelet lumineuxconnecté

Gant interactif et capteurs

Le musicien contrôle la lumière (couleur,

intensité, rythme) émise par les LED

des bracelets. Sur un nouveau projet,

interactif, les spectateurs peuvent,

d’un mouvement du poignet, intervenir

sur l’éclairage de la scène.

Trente ans, des cheveux décolo-rés qui lui donnent des airs decyborg alternatif, DorothéeSmith remonte la manche deson sweat-shirt pour décou-vrir une petite cicatrice sur

son bras : c’est là qu’un ami lui a implanté lapuce électronique qui a servi pour son ex-position « Cellulairement », et qui contient encore, comme elle dit, « le dernier fantômeà m’avoir visitée ».

C’était en 2011, une petite pièce dans l’obs-curité, avec des miroirs sans tain. Derrière ceux-ci, une caméra Kinect – celle de la con-sole de jeux Xbox – permettait de cerner la personne qui entrait dans la pièce. Une ca-méra thermique relevait alors son empreintede chaleur et l’envoyait vers la puce RFID (programmée pour recevoir par ondes radio des données en temps réel), irradiant la com-binaison calorifique, le « vêtement de cha-leur » que Dorothée Smith avait revêtu pour devenir l’hôte volontaire de ses fantômes.

« Quand quelqu’un disparaît, ce qui manqued’abord c’est sa chaleur, c’est le contact physi-que, et là, je pouvais ressentir une sorte d’étreinte », explique la jeune artiste française,qui a étudié la philosophie à Paris, la photo à Arles et les expérimentations vidéo au Fres-noy. Trois mille fantômes l’ont visitée à l’épo-que. A un moment, le vêtement a pris feu. « Il y a encore de petites choses à améliorer », sou-rit-elle. La puce est toujours dans son bras.

Améliorer l’humain. Laisser le champ libreà la technologie, à la robotique, à la biologie, pour rendre ces petites choses fragiles que nous sommes plus résistantes, plus intelli-gentes, plus efficaces, tel est le sujet de « la réalité augmentée ». Par petites touches, les ingénieurs repoussent les limites du vieillis-

sement, de la procréation, ils remplacent noshandicaps par des machines sophistiquées,robotisées, nos déficiences par des logiciels,notre vision trop étroite par des « apps » – lesapplications téléchargeables sur les smart-phones qui sont au XXIe siècle ce que la pomme de terre fut à Parmentier. Le héros de cette nouvelle ère – dernière vitrine dunouveau Musée de l’Homme au Trocadéro – s’appelle « l’homme augmenté ».

Or, aujourd’hui, l’homme augmenté va auspectacle, joue sur scène, peuple les exposi-tions, écoute des concerts en HD, regarde à 360° des films en 3D et range sous son lit toute une panoplie de prothèses pour aug-menter encore son expérience culturelle.

Stéphane Dufossé, PDG d’AugmentedAcoustics, est acousticien de formation, il joue de la basse au sein d’un groupe amateur, les Bullshit Gourous, et coorganise un festivalde rock metal à Cergy. Ancien de chez Alcatel-Lucent, il est un acharné du bon son en mêmetemps que du gros son. D’où l’idée, pendantles concerts, de poser sur la tête du spectateurun casque sans fil relié directement à la con-sole de mixage de l’ingénieur du son. Réglageplus ou moins fort, mais, surtout, accès aux boutons de tous les réglages des divers instru-ments – avec l’accord des musiciens. Un logi-ciel que vous pouvez gérer depuis votre smartphone vous place aux commandes de votre propre mix. Comme Stéphane, vous aimez la basse ? Vous la mettez en avant. Vousavez mal aux oreilles dans les fréquences cen-trales ? Vous baissez la batterie. Ce que vous recevez dans le casque est la même chose quece que reçoit le musicien sur scène dans ses « In-ear monitors », ses oreillettes que l’ondessine aujourd’hui sur mesure et qui, de plusen plus, remplacent les enceintes de retour.

L’équipe d’Augmented Acoustics, soutenuepar l’équipementier acoustique Bose, a com-mencé les expérimentations en public à

l’automne dans différents petits festivals dela région parisienne. A la principale critique(« Un concert c’est d’abord une expérience col-lective, non ? Pourquoi un casque ? »), le bas-siste des Bullshit Gourous a déja trouvé la ré-ponse : « On a prévu de corriger ce défaut enajoutant dans le mix l’ambiance de la salle…En fonction de vos goûts, vous pourrez enten-dre vos voisins qui chantent faux, ou non… »

BIG BROTHER VOUS TIENT PAR LE BRASEt si vous voulez communier, vous pourreztoujours le faire en agitant les bracelets lumi-neux accordés au tempo que les sociétés Xy-loband, Pixmob ou la start-up Lucie Labsvous ont distribués. De ce côté-là, tout a com-mencé en octobre 2011 à Madrid. Jason Re-gler, fan de Coldplay et inventeur à la ra-masse, a commandé pour le concert dugroupe britannique 16 000 bracelets lumi-neux. Coldplay a accepté son projet d’illumi-ner les poignets du public avec des LED télé-commandées à distance par une console. Le résultat est un succès. « Une expérience im-mersive » : le mot sacré, qui est désormais le sésame de tout « concert augmenté ».

A Sophia Antipolis, technopôle près d’Anti-bes, Yan Lee-Dajoux et François Mazart, deuxanciens de Texas Instrument, tentent d’aller plus loin. Avec leur start-up Lucie Labs, ils ontrendu le procédé interactif. Grâce à leur sys-

tème interconnecté, en levant le bras, en bou-geant le poignet, le spectateur pourrait, à l’avenir, intervenir sur l’éclairage de la scène.Au passage, le bracelet devient omnipuis-sant : à la fois billet d’entrée dématérialisé et moyen de paiement au bar… Big Brother voustient par le bras, mais l’homme connecté se fiche de la commission Informatique et liber-tés comme de sa première chemise.

Carl, Christophe et Romain se sont rencon-trés au Jeune Chœur d’Ile-de-France. Carl a faitPolytechnique, Christophe est devenu jour-naliste dans la presse professionnelle du tou-risme, Romain – fils du rédacteur en chef de L’Opinion, Nicolas Beytout –, chanteur lyrique.Dix ans plus tard, ils viennent de créer Thea-tre in Paris. La start-up propose à la fois un système de réservations dans des théâtres pa-risiens et un système de surtitrage destiné aux touristes étrangers – un réservoir de 20 millions de spectateurs potentiels. Leur idée : des lunettes de surtitrage. Une montureaux verres neutres (signées Optinvent, petite entreprise nantaise spécialisée dans les lunet-tes connectées) sur lesquelles vient défiler le texte, une appli android qui permet de choisirun langage – de l’anglais au mandarin en fonction des pièces de théâtre proposées et des publics ciblés – et, en back-office, un opé-rateur en régie qui fait défiler des traductions réalisées par un réseau d’indépendants.

Les premiers tests ont été effectués au Fes-tival d’Avignon en 2015 avec les deux pièces présentées dans la cour d’honneur, Le Roi Lear, mis en scène par Olivier Py, surtitré enanglais et en mandarin, et Retour à Berra-tham, d’Angelin Preljocaj, surtitré cette fois-ci en six langues. A raison d’une demi-douzaine de lunettes prêtées chaque soir – leprix de ces prototypes est pour l’instant pro-hibitif –, le Festival a été l’occasion à la foisd’expérimenter le produit et de séduire des cibles sensibles, comme Hung Meng-chi, le

Go-go gadgets aux artsPuces, capteurs, prothèses, lunettes spéciales, applications... De plus en plus d’outils visent à enrichir l’expérience artistique, du point du vue des créateurs comme du public

Eric LEGER
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DIMANCHE 13 LUNDI 14 MARS 2016

ministre taïwanais de la culture, où Le Roi Lear doit partir cette année en tournée.

« Un confort total, affirme Paul Rondin, ledirecteur général du Festival d’Avignon. Je ne les ai pas utilisées sur toute la durée d’un spec-tacle mais, pour moi, c’est le meilleur système de surtitrage. La Comédie-Française et le Festi-val d’Aix sont très intéressés. Reste à trouver le modèle économique… » Tout le monde en a aujourd’hui conscience : la culture passe par la R&D (recherche et développement). A Pa-ris, un incubateur d’entreprises du champculturel et artistique a été intégré au Cent-quatre, un autre à la Gaîté-Lyrique. Un pôlelabellisé French tech culture, baptisé TheBridge, au Festival d’Avignon, accueille cha-que année une dizaine de start-up.

« Globalement, tout le monde cherche, expli-que Christophe Plotard de la start-up Theatrein Paris. A Avignon, c’était une première mon-diale, mais on sait qu’il y a des expérimenta-tions en Asie… Au-delà des sous-titres, les lu-nettes ouvrent le champ à tout un tas de possi-bilités : on peut y mettre des éléments de décor,des vidéos, des contenus autres que du texte. Le spectacle augmenté, c’est quelque chose quine fait que naître. »

DE L’ODORAMA AUX ROBOTS DANSEURSArts plastiques, théâtre, musique, danse : la culture a toujours été le lieu de l’invention, lemédium est l’objet même de l’art. Lorsque, en 1895, le train entre en gare de La Ciotat sous la forme d’une image animée, un nou-vel art naît : le cinéma. Et, depuis toujours,chaque discipline ne cesse de chercher desmoyens de se réinventer. Avant la 3D, rappe-lez-vous John Waters inaugurant l’odorama avec Polyester : des stickers étaient distribuésà l’entrée de la salle qu’il fallait gratter tout aulong de la projection. Ames sensibles s’abste-nir. En 2007, pour Eye Space, Merce Cunnin-gham distribue à la salle des iPod lui donnantle choix entre deux musiques pour le même spectacle. En 2009, Geisha Fontaine et Pierre Cottreau, dans Une pièce mécanique, font danser – prouesse incroyable – vingt-cinq ro-bots de toutes formes et puis deux danseurs

qui rejouent sur le plateau la métaphore de ladisparition annoncée de l’humain.

Schubert a 30 ans. Celui-ci en tout cas. Il estallemand et se prénomme Alexander. Il com-pose lui aussi. Sur scène : une pianiste, un vio-loncelliste, un percussionniste et un chef. Lesquatre jouent, mais pas de la façon à laquelle on s’attend – les capteurs sur leurs corps etsur leurs instruments ont totalement trans-formé le son. On croit un peu au gag à les re-garder ainsi s’agiter. Mais il est permis de se laisser prendre par leur musique.

« L’homme augmenté, c’est l’histoire mêmede la musique. Depuis toujours, un instrument est une extension du corps », s’amuse Norbert Schell. Chercheur à l’Ircam, ce Hambourgeois a étudié à Graz (Autriche). « Aujourd’hui, la question de l’instrumentarium est totalement bouleversée. » Vidéos à l’appui : soit ici une ta-ble sous laquelle on a posé des capteurs, et qu’un simple doigt fait sonner ; là une sorte de balle que deux hommes se renvoient l’un àl’autre, produisant une musique qui accom-pagne le 2e Concerto brandebourgeois en fa majeur, de Bach ; ou encore une chanteuse quidevient un chœur à elle toute seule grâce à une caméra Kinect… Les équipes de l’Ircam travaillent aussi à prendre l’empreinte sonoredes lieux pour pouvoir ensuite les transpor-ter. Ou comment transformer une salle de concert en chapelle Sixtine ou en grotte de Lascaux ! On voudrait mieux comprendre les détails techniques. Frank Madlener, directeur de l’Ircam, déclare : « Le mode d’emploi, c’est une maladie. Ce qui compte, c’est le résultat. »

Le smartphone et ses « apps » sont devenusun filon sans fin pour la recherche. Qu’il s’agisse d’en faire, comme au Louvre, un guide sophistiqué remplaçant les déjà obsolè-tes audioguides (avec vidéos, moteurs de re-cherche…) ou le héros d’un spectacle, comme le fait avec adresse le danseur et chorégraphe Fabien Prioville dans son Smartphone Pro-ject. Le spectateur y est invité jusque dans les coulisses. « Grâce au smartphone, raconte Norbert Schell à l’Ircam, on travaille de nou-veau sur le vieux fantasme de la musique géné-rative des années 1980, cher à Brian Eno : écrire

la musique tous ensemble. » En 2015, pour la Fête de la musique au Palais-Royal, et pour Nuit blanche à La Gaîté-Lyrique, l’Ircam a ainsi organisé un concert avec DJ Chloé. 400 personnes – dont elle – ont pris à distance le contrôle des appareils téléphoniques trans-formés en autant d’instruments.

Les nanotechnologies et l’informatique ontouvert tous les champs du possible. « Le spec-tacle vivant devient le spectacle du vivant, analyse Frank Madlener, évoquant le travail effectué par l’institut pour Le Sec et l’Humide.Le metteur en scène Guy Cassiers a mis en scène ce texte de Jonathan Littell autour du leader fasciste belge Léon Degrelle vu à tra-vers la conférence d’un historien. « Petit à pe-tit, le conférencier devient Léon Degrelle. Cela se traduit à l’image mais aussi dans la voix del’acteur »… un miracle obtenu en modifiantles paramètres de son empreinte vocale.

UN TROISIÈME BRAS ARTIFICIELC’est le métier de Gregory Beller, normalien, et pianiste. Il est designer sonore. A l’Ircam,on dit : « Réalisateur en informatique musi-cale ». « On a l’espoir d’aller plus loin, dit cet enthousiaste. On pourrait modifier la ten-sion de certains tissus avec des flux électri-ques. On pourrait imaginer de mettre ces tis-sus autour du cou de l’artiste, pour créer de fausses voix… » En 2010, pour Un mage en été, créé par Ludovic Lagarde, il avait mis au point un masque numérique féminin pourcertaines parties du texte de Laurent Poitre-naud, mais également créé la voix de syn-thèse de l’acteur, à la demande du drama-turge Olivier Cadiot « qui voulait pouvoir ainsi tester ce qu’il écrivait au fur et à mesure,en l’écoutant dans la voix de l’acteur ».

De l’homme augmenté au bio-art… Depuis1988 et l’artiste performeur australien Ster-lac, alias Stelios Arcadiou, la technologie a ainsi pénétré le corps de l’artiste. Non con-tent de s’être fait greffer une oreille sous la peau de son bras gauche, l’artiste s’était équipé d’un troisième bras artificiel, activépar les muscles des jambes et de l’abdomen auquel il était relié. La liste est longue de ses

prouesses. En Australie toujours, le labora-toire Symbiotica, fondé en 2000 par Oron Catts et Ionat Zurr, est ainsi devenu la Mec-que de tout ce que la planète compte commeartistes pratiquant le bio-art, d’Eduardo Kac au groupe Art Orienté Objet.

« De même que, libre de sa parole, il a long-temps joué le fou vis-à-vis des politiques, l’ar-tiste s’empare aujourd’hui d’utopies que le sé-rieux des scientifiques ne leur permet pas d’ex-plorer », remarque Olga Kisseleva, qui dirige àla Sorbonne le département Art et science duCNRS. L’artiste russe en sait quelque chose : elle qui se querellait avec son réveil, en désac-cord sur sa notion du temps, a imaginé une horloge biologique qui montrerait le temps tel qu’on le perçoit. Elle l’a réalisée à Ekaterin-bourg, au fin fond de l’Oural, avec les ingé-nieurs de l’usine Uralmach, celle qui fabri-quait les chars T34 et les orgues de Staline.

Un boîtier où l’on pose sa main. Des cap-teurs qui analysent votre fréquence cardia-que. Le tout relié à l’horloge de l’usine dont lerythme va suivre la fréquence du dernier qui y a posé sa main. « Le rythme cardiaque est, avec la chaleur, un des moyens de démontrer notre perception du temps, explique Olga Kis-seleva, qui rit, facétieuse : Elle allait très lente-ment, cette horloge. Comme moi, dans cette usine, personne n’avait envie d’aller vite. J’ai fait une exposition dans une galerie à Madrid,elle s’est mise à avancer à toute vitesse… »

Au Musée du quai Branly, un certain Joe Be-renson, nommé ainsi en l’honneur d’un célè-bre critique d’art spécialiste de la Renaissanceitalienne du début du XXe siècle, accueille jus-qu’au 27 avril le visiteur de l’exposition « Per-sona » avec son chapeau melon et ses deuxyeux sortis de leurs orbites. Un robot, intelli-gent forcément, qui vous regarde et vous ana-lyse, à l’aune de votre regard et de votre ana-lyse sur lui. Un robot médiateur. L’avenir de lamuséologie ? Hélas, quand nous y sommes allés, Joe était rangé avec les aspirateurs. C’est la limite du genre. Il y a aussi des avantages à se sentir modestement humain, sans casque, sans prothèse, sans rien. p

laurent carpentierANNOTE ERIC LEGER

« L’HOMME AUGMENTÉ, C’EST L’HISTOIRE MÊME DE LA MUSIQUE.

DEPUIS TOUJOURS, UN INSTRUMENT

EST UNE EXTENSION DU CORPS »

NORBERT SCHELL

chercheur à l’Ircam

Eric LEGER
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