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Le nouvel Economiste - n°1565 - Cahier n°2 - Du 5 au 11 mai 2011 - Hebdomadaire 51 H abitacle, sièges, volant, tableau de bord,... la concep- tion de la Fiat Mio, une auto- mobile électrique futuriste, est réalisée uniquement à partir des sugges- tions d’internautes, qu’ils soient ingénieurs, designers, ou simples passionnés. Ouvert à tous, le projet rassemblait le 22 avril 2011 plus de 17 600 participants dans le monde entier. La première mouture a été présentée au salon de l’automobile de São Paulo, fin octobre2010. La filiale brésilienne de Fiat se charge d’agréger les propositions, pour un résultat final prévu en 2020. Le groupe iden- tifie ainsi les demandes des consommateurs et assimile des innovations techniques. Ses concurrents aussi, puisqu’ils ont accès à l’in- tégralité des données. Un modèle dit “open source”, éprouvé dans le monde du logiciel informatique, où des réseaux fabriquent des programmes en constante évolution sur la base juridique de la “licence libre”. Ils sont généralement gratuits, mais la règle d’or consiste à rendre le “code source” ouvert, c’est-à-dire que la recette de cuisine qui per- met au programme de fonctionner, écrite dans un langage informatique, soit accessi- ble et visible par tout le monde. A l’instar d’une voiture, tout le monde peut ouvrir le capot pour comprendre comment fonctionne le moteur. Le code source étant immatériel, chacun peut le modifier ou le diffuser via Internet. Même s’il reste encore minoritaire, le logiciel libre s’est imposé dans le paysage. En 2010, le marché atteint 2,2 milliards d’euros en France, sur un chiffre d’affaires total de 35,69 milliards de logiciels et services infor- matiques, soit 5,7 %, selon le cabinet Pierre Audoin Consultant (PAC). Il gagne du terrain, avec une augmentation de 32 % de 2009 à 2010. “Entre 2010 et 2014, nous prévoyons une croissance moyenne annuelle de 20 %, alors que le reste du marché va progresser d’un peu moins de 4 %. En 2014, nous prévoyons une part de marché de 9 % pour le logiciel libre”, précise Par Alain Roux A l’instar d’une voiture, tout le monde peut ouvrir le capot pour comprendre comment fonctionne le moteur Information & technologies Open source vs logiciels propriétaires Le meilleur des deux mondes SS2I, SS2L, total cost of ownership (TCO), communauté, code GPL (General Public Licence). D’un côté le monde du libre, avec des licences gratuites, des codes visibles, dont le business model est basé sur les services de support et maintenance. De l’autre le monde des propriétaires vendant avant tout un droit d’utilisation de solutions confortables sur étagère. Deux entités mi-concurrentes, mi-conniventes. Mais le choix du libre ne s’opère plus seulement en fonction du coût. Pour bénéficier des atouts de flexibilité et de fiabilité qu’offrent désormais les logiciels open source, l’entreprise devra faire évoluer la gestion de son système d’information: du mode traditionnel passif, au mode de la communauté et de la mutualisation du savoir. SERVICES INFORMATIQUES Une manière de mutualiser les coûts de R&D - Libre ou propriétaire, deux mondes, deux business models - Les marchés du libre - La frontière, pas si binaire - Nouveau paradigme, nouvelle gouvernance - Cloud, la troisième voie

Open source vs logiciels propriétaires

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Un article de http://www.lenouveleconomiste.fr D’un côté le monde du libre, avec des licences gratuites, des codes visibles, dontle business model est basé sur les services de support et maintenance. De l’autrele monde des propriétaires vendant avant tout un droit d’utilisation de solutionsconfortables sur étagère. Deux entités mi-concurrentes, mi-conniventes. Mais lechoix du libre ne s’opère plus seulement en fonction du coût. Pour bénéficier desatouts de flexibilité et de fiabilité qu’offrent désormais les logiciels open source,l’entreprise devra faire évoluer la gestion de son système d’information: du modetraditionnel passif, au mode de la communauté et de la mutualisation du savoir.

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Le nouvel Economiste - n°1565 - Cahier n°2 - Du 5 au 11 mai 2011 - Hebdomadaire 51

Habitacle, sièges, volant,tableau de bord,... la concep-tion de la Fiat Mio, une auto-mobile électrique futuriste,

est réalisée uniquement à partir des sugges-tions d’internautes, qu’ils soient ingénieurs,designers, ou simples passionnés. Ouvert àtous, le projet rassemblait le 22 avril 2011plus de 17 600 participants dans le mondeentier. La première mouture a été présentéeau salon de l’automobile de São Paulo, finoctobre 2010. La filiale brésilienne de Fiat secharge d’agréger les propositions, pour unrésultat final prévu en 2020. Le groupe iden-

tifie ainsi les demandes des consommateurset assimile des innovations techniques. Sesconcurrents aussi, puisqu’ils ont accès à l’in-tégralité des données. Un modèle dit “opensource”, éprouvé dans le monde du logiciel

informatique, où des réseaux fabriquent desprogrammes en constante évolution sur labase juridique de la “licence libre”. Ils sontgénéralement gratuits, mais la règle d’or

consiste à rendre le “code source” ouvert,c’est-à-dire que la recette de cuisine qui per-met au programme de fonctionner, écritedans un langage informatique, soit accessi-ble et visible par tout le monde. A l’instar

d’une voiture, tout le monde peut ouvrir lecapot pour comprendre comment fonctionnele moteur. Le code source étant immatériel,chacun peut le modifier ou le diffuser via

Internet. Même s’il reste encore minoritaire, le logiciellibre s’est imposé dans le paysage. En 2010,le marché atteint 2,2 milliards d’euros enFrance, sur un chiffre d’affaires total de35,69 milliards de logiciels et services infor-matiques, soit 5,7 %, selon le cabinet PierreAudoin Consultant (PAC). Il gagne du terrain,avec une augmentation de 32 % de 2009 à2010. “Entre 2010 et 2014, nous prévoyons unecroissance moyenne annuelle de 20 %, alors quele reste du marché va progresser d’un peu moinsde 4 %. En 2014, nous prévoyons une part demarché de 9 % pour le logiciel libre”, précise

Par Alain Roux

A l’instar d’une voiture, tout le monde peut ouvrir le capot pour comprendre comment fonctionne le moteur

Information & technologies

Open source vs logiciels propriétaires

Le meilleur des deux mondes

SS2I, SS2L, total cost of ownership (TCO), communauté, code GPL (General Public Licence).D’un côté le monde du libre, avec des licences gratuites, des codes visibles, dontle business model est basé sur les services de support et maintenance. De l’autrele monde des propriétaires vendant avant tout un droit d’utilisation de solutionsconfortables sur étagère. Deux entités mi-concurrentes, mi-conniventes. Mais lechoix du libre ne s’opère plus seulement en fonction du coût. Pour bénéficier desatouts de flexibilité et de fiabilité qu’offrent désormais les logiciels open source,l’entreprise devra faire évoluer la gestion de son système d’information: du modetraditionnel passif, au mode de la communauté et de la mutualisation du savoir.

SERVICES INFORMATIQUES

Une manière de mutualiser les coûts de R&D

- Libre ou propriétaire, deux mondes, deux business models- Les marchés du libre- La frontière, pas si binaire- Nouveau paradigme, nouvelle gouvernance- Cloud, la troisième voie

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Le nouvel Economiste - n°1565 - Cahier n°2 - Du 5 au 11 mai 2011 - Hebdomadaire52

Mathieu Poujol, directeur technologie &infrastructures du cabinet. Tous les logicielscommerciaux ont dorénavant leur homolo-gue en libre, sans piraterie puisque leurslignes de codes diffèrent. Les entreprises ontainsi le choix entre deux business model : lemonde de l’open source qui vend des servi-ces, ou le monde des éditeurs propriétairesqui vendent des licences.

Libre ou propriétaire, deux mondes, deux business modelsCommunautés, éditeurs, sociétés de servicesbaptisées “SS2L” (L comme libre), compo-sent cette nébuleuse du monde libre, faceaux éditeurs des logiciels propriétaires(Microsoft, IBM, Oracle, Sun, etc.) liés histo-riquement aux SS2I. Les contributeurs descommunautés du libre – geeks, universitai-res, professionnels – développent et amélio-

rent des logiciels, portés à moitié par la pas-sion, à moitié par intérêt personnel. Les com-munautés les plus célèbres (Linux, Apache,OW2) peuvent compter sur des dons et desfondations. Les éditeurs libres développentégalement des logiciels, mais à la différence

des communautés, ils réalisent un profitgrâce à la partie conseil, maintenance, sup-port, et formation. Idem pour les SS2L, quiassurent le lien entre les communautés dulibre et les entreprises, tout en les aidant àbasculer leur système d’information sur l’o-pen source. “Les clients veulent être assuréscontre les bugs. Notre prix dépend du temps quenous mettons à intervenir. On nous achète avanttout une garantie”, relate Alexandre Zapolsky,président de Linagora, éditeur et prestatairede services open source. “La gratuité du logi-ciel libre est donc une idée fausse”, prévientFrédéric Lau, directeur de mission au Cigref,réseau de grandes entreprises cherchant àpromouvoir la culture numérique, enthou-siaste à l’égard de l’open source. Les éditeurspropriétaires vendent quant à eux unelicence, de 400 euros en moyenne (dont 10 %pour le support et la maintenance) à multi-plier par le nombre d’ordinateurs. Pour com-

parer le prix des deux mondes, il faut doncprendre en compte l’ensemble des coûtsinformatiques (TCO pour “total cost ofownership”). Le logiciel libre peut permettrede les diviser par deux en moyenne, si l’on seréfère aux prix des prestataires de services.Mais seule la moitié des entreprises citent l’o-pen source comme un facteur de réduction

des coûts, selon une étude du cabinetAccenture réalisée août 2010 en aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Irlande. 71 %d’entre elles estiment que les économies sontréalisées sur la maintenance. “Le bug estrésolu plus rapidement, grâce à l’appui des

réseaux communautaires. Et on ne vousdemande pas de passer à une version amélioréetous les ans, une pratique habituelle chez les pro-priétaires”, explique Marc Carrel-Billiard,directeur solutions et technologies avancéesd’Accenture France.La baisse des coûts n’est plus le premierposte de satisfaction du passage à l’opensource : 76 % citent la qualité, 71 % la fiabi-lité, et 70 % une meilleure sécurité associéeà une meilleure résolution des bugs. Letemps où les logiciels libres étaient considé-rés comme des sous-marques faillibles, insta-bles, grandes ouvertes au piratage, est doncrévolu. “Si vous disposez du code, vous pouvezdétecter ses faiblesses, le modifier, l’améliorer, etle sécuriser”, affirme Mathieu Poujol, dePierre Audoin Consultants. “La plupart desministères, que ce soit la Défense, Bercy, ou laCulture, ont déjà adopté notre système de mes-sagerie “OBM””, s’enorgueillit le président de

Linagora. Les communautés reposent eneffet sur un système méritocratique. “Lesmauvais développements sont épinglés rapide-ment. Les codes publiés sont scrutés. Lorsqu’ellesle comprennent, les entreprises sont rassurées”,explique Frédéric Lau. De l’autre côté, lespropriétaires promettent un confort supé-rieur avec des solutions sur étagères, leurmaintenance, et l’installation régulière deversions plus élaborées. Aucun besoin de setenir au courant des avancées technologiquesou d’être relié à une communauté. “Avec leslogiciels propriétaires, vous disposez d’une voi-ture toute construite et maintenue, alors quedans le libre, ce sont des bricoleurs qui se

débrouillent”, lance Philippe Bournhonesque,directeur stratégie software France d’IBM.

Les marchés du libreIl existe deux grands marchés informatiques.Le premier concerne les postes de travail oùOpen Office sert par exemple d’alternativeau pack Office de Microsoft. Le libre a davan-tage pénétré le second : les infrastructures,les serveurs, les environnements du Web.Linux pèse 35 % du parc serveur en France.YouTube, eBay, ou encore le système d’ex-ploitation Android de Google, ont été créés àpartir de logiciels libres. “Les utilisateurs deFacebook ne voient que la partie visible de l’i-ceberg. Mais derrière, il existe différents sitesWeb reliés, des serveurs, des réseaux, des machi-nes. Nous installons le tuyau de 12 robuste, fia-ble et standard dans le mur de la salle de bain.Nous ne nous occupons pas du carrelage sur lesmurs de la pièce”, témoigne Cédric Thomas,CEO de la communauté OW2, l’un des grandsmodèles communautaires. Certains langagescommencent à intéresser les grandes entre-prises, notamment Ruby on Rail. “Le logiciellibre pénètre beaucoup dans le marché de l’ou-tillage. Ce qui sert à construire l’application età la gérer. Le logiciel libre a d’abord été conçu

Information & technologiesSERVICES INFORMATIQUES

“En 2014, nous prévoyons une part de marchéde 9 % pour le logiciel libre”, Mathieu Poujol,directeur technologie & infrastructures de PierreAudoin Consultants.

Le monde de l’open source vend des services, le monde des éditeurs propriétaires vend des licences

“La baisse des coûts n’est plus le premier poste de satisfaction

du passage à l’open source”

“La gratuité du logiciel libre est une idéefausse.” Frédéric Lau, directeur de mission auCigref.

Une communauté du libre “peut naître sansfinancements, il suffit d’un ordinateur, d’une mai-ling list, et d’un logiciel à partager”, indiqueCédric Thomas, CEO d’OW2. Le consortium d’ori-gine européenne, spécialisé dans les logicielsd’infrastructures, fait partie des quatre grandescommunautés mondiales du libre, avec LinuxFoundation, Apache Software Foundation, etEclipse Foundation. Difficile de comprendre com-ment leurs membres – qui travaillent en réseaupour développer et améliorer des logiciels opensource – consacrent leur temps au bien de l’hu-manité et à l’universalisation du savoir. “Unecommunauté est un groupe d’intérêts”, expliqueCédric Thomas. Ils peuvent être passionnels ouéconomiques. Le curseur varie selon les organi-sations. La communauté consacrée au langageRuby reçoit peu de financements. Elle s’appuie

sur des contributions volontaires via Internet. Al’inverse, certaines sont financées par une seuleentreprise, notamment la communauté Symbian,développant un système d’exploitation poursmartphone, qui dépend de Nokia. “Le problèmede ces communautés, qui sont en fait des exten-sions marketing, résident dans leur vulnérabilité.Celle d’Open Office, dépendante de Sun, a étébouleversée lors du rachat de la société parOracle. Tandis que Nokia a décidé de fermer lescodes de Symbian”, explique Cédric Thomas.Le CEO d’OW2 vante lui son modèle d’indépen-dance. Tous ses membres payant une cotisation,elle est abreuvée de multiples financements. Ellecompte en effet 60 membres juridiques, principa-

lement des entreprises, des universités, desinstitutions : Bull, Orange, EADS, Talend, Pekinguniversity, ou encore le ministère de l’Intérieurfrançais.... Parmi eux, on trouve également desPME innovantes qui disposent ainsi d’une“chambre d’écho” qui leur donne une crédibilité,“un pouvoir de marché”. “Une PME isolée aumilieu de nulle part peine plus à convaincre toutle monde qu’elle est la meilleure”, analyse CédricThomas. A cette masse de contributeurs s’ajou-tent 1 600 membres individuels. Ils sont à 50 %en Europe, 30 % d’Asie, 10 % d’Amérique latine,et 10 % du reste du monde. La communautédispose du statut d’association à but non lucratifloi 1901, déposé en France et reconnu internatio-nalement. Au jour le jour, elle est gérée par lemanagement office, qui compte 4 personnes,épaulées par des contributions volontaires. Elle

compte deux instances : le conseil d’administra-tion de 19 membres. Et le technology council quigère les cycles de vie des projets et supervise l’é-volution de la base de code. “OW2 est un terrainneutre qui organise le partage”, indique CédricThomas. Elle héberge sur son site Internet 80logiciels dont 35 logiciels matures, déjà téléchar-geables. “Les autres sont en incubation, mais cesont les vedettes de demain”, promet CédricThomas. OW2 revendique 2,8 millions de télé-chargements en 2010 de logiciels matures, enhausse de 46 % par rapport à 2009.

A.R.

OW2Le modèle communautaire

“Parmi ses membres, OW2 compte Bull, Orange, EADS, Talend, Peking university,

ou encore le ministère de l’Intérieur français”

Quels sont les principaux obstacles aux logi-ciels libres ?Les principaux obstacles résident peut-être enco-re dans l’insuffisance des connaissances desdécideurs sur les différents logiciels et solutionsexistantes. Si le logiciel libre a pu souffrir untemps d’une image low-cost, ce n’est déjà plus lecas. Aujourd’hui il jouit avant tout une image destabilité, de pérennité et de flexibilité. Plus que laréduction des coûts, c’est justement cette flexibi-

lité des logiciels libres qui est considérée commebénéfice premier par les directions informatiquesayant adopté cette technologie. Les logiciels lib-res jouent à armes égales avec le monde proprié-taire. De plus, grâce au modèle open source, lecode natif est amélioré en permanence par lesutilisateurs et les contributeurs. Quand desfailles de sécurité sont détectées, elles sontgénéralement très rapidement corrigées.

Le logiciel libre peut-il se propager sur l’en-semble du marché informatique ? Est-il mena-cé par le cloud computing ?C’est déjà le cas puisqu’il n’existe quasi plusd’appels d’offres n’intégrant pas le logiciel libre.Les exemples de déploiements d’infrastructureslibres au sein des entreprises ou des institutionssont pléthore et l’avènement du cloud computingrenforce encore leur présence. La confianceaccordée à la technologie au code ouvert n’acessé de croître. Le stack LAMP (Linux, Apache,MySQL, PHP, Python, Perl) est l’architectured’Internet par défaut. Les plateformes qui enre-gistrent les plus fortes audiences sont construi-tes sur cette architecture. C’est le cas de eBay,Google, Yahoo, YouTube, Flickr, Wikipedia, ouFacebook, pour ne citer que les plus connues.Les applications critiques d’entreprises intègrentaussi massivement le logiciel libre. In fine, le

cloud computing est un nouvel atout pour lelibre. Il apporte une nouvelle donne puisqu’il per-met aux entreprises de se décharger de la main-tenance de leur infrastructure. De plus en plusd’offres sont disponibles. Au centre du cloud ontrouve la technologie de virtualisation avec dessolutions open source parfaitement abouties.Côté infrastructure, le choix du libre s’impose.C’est un champ nouveau qui laisse présager debeaux jours pour le libre. Dans sa globalité, le

marché conserve une très belle dynamique. Avecencore de nouveaux entrants et des projets inno-vants. Les développeurs se forment sur la tech-nologie libre, son essor est donc inéluctable. Lescompétences sont d’ailleurs très recherchées.L’offre d’emploi est beaucoup plus importanteque la demande.

Quels sont les grands axes du salonSolutions Linux Open Source ?A sa création en 1999, le salon s’appelait LinuxExpo, mais nous l’avons fait évoluer, etaccueillons tous les acteurs de l’open source.Nous montons des cycles sur les thèmes du logi-ciel libre : bases de données, cloud computing(virtualisation), gouvernance, administrationsystème, sécurité, les communautés du libre, lesquestions juridiques et politiques. 65 commu-nautés seront représentées par leurs associa-tions. Un village consacré à la Tunisie accueillera12 entreprises. Nous prévoyons également uncycle de conférence du consortium OW2 et uncycle sur l’éducation. Une journée entière seraconsacrée au cloud computing le 11 mai.

* 10 - 12 mai au CNIT – Paris La Défense. 250exposants et 10 000 visiteurs attendus.

A.R.

3 questions à Carole Jardon, organisatrice du salon Solutions Linux Open Source

“Le cloud computing est un nouvel atout pour le libre”

“Plus que la réduction des coûts, c’est la flexibilité des logiciels libres qui est considérée comme bénéfice premier”

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par et pour les informaticiens”, résumeMathieu Poujol. Mais le périmètre est entrain de s’élargir. “De plus en plus d’utilisateursdemandent de l’open source car ils rencontrentmoins de failles et les produits sont plus stan-dardisés”, constate Frédéric Lau, du Cigref.Windows possède ses propres formats,comme le format WMA des fichiers audio, quine fonctionne pas sur le logiciel iTunesd’Apple. A l’inverse, le libre mise sur l’uni-versalisation. Un tri est toutefois nécessairedans la profusion d’offres de logiciels libres.Sur la plateforme Source forge, des centainesde milliers de programmes sont disponibles,mais beaucoup sont considérés comme demédiocre qualité. “Sur les 300000 logiciels lib-res existants, 100 000 sont connus, et nous enavons identifié 270 qui ont véritablement faitleurs preuves”, indique Frédéric Lau. En face,les logiciels propriétaire poursuivent égale-ment leur croissance. “Si l’open source avaitdes avantages extraordinaires, nous ne ferionsplus de chiffre”, note-t-on chez IBM.

La frontière, pas si binaireA l’avenir, le monde libre peut-il submergerle monde propriétaire? Malgré les avantagesde la démarche, personne ne croit à unmonde de l’informatique totalement libre.En réalité, le choix entre monde libre et pro-priétaire n’est pas si binaire. Au sein de l’en-treprise, ils cohabitent. “Le systèmed’information des entreprises combine les deux.La souplesse de l’un permet de s’associer à lafacilité de l’autre”, affirme le Cigref. Dans l’of-fre même, les deux mondes sont imbriqués.D’abord, les éditeurs du libre peuvent pro-poser des doubles licences. Avec par exem-ple, une version gratuite et une versionaméliorée payante. Ou encore en n’ouvrantqu’une partie des codes. Ensuite, historique-ment, les logiciels libres ont connu un essorgrâce à l’appui des éditeurs propriétaires. Le

système d’exploitation Android pour les télé-phones intelligents a été sponsorisé par unetrentaine d’acteurs des télécoms (dontBouygues Telecom, Ericsson, Motorola, ChinaMobile) concurrents d’Apple, Nokia ouMicrosoft. IBM a ouvert les codes du logicielEclipse pour damer le pion à Sun, en sacri-fiant sa propriété intellectuelle sur cet envi-ronnement de développement, estimée àl’époque à 40 millions de dollars. “Nous ne

parvenions pas à percer avec nos logiciels, alorsnous avons basculé dans l’open source, tout ensoutenant une communauté. Aujourd’hui, tousnos concurrents utilisent Eclipse : Google,Oracle, Nokia,...”, témoigne PhilippeBournhonesque chez IBM. De son côté, Sun aconcocté des alliances avec Open Office. Lavie des communautés est donc liée à desenjeux économiques. “Ce n’est pas le mondede Oui-oui”, glisse Philippe Montarges, prési-dent d’Alterway, opérateur de services opensource. Parfois, les relations entre les grandsgroupes et celles-ci se tendent. Le rachat deSun par Oracle en janvier 2010 a conduit à lasécession de la communauté Open Office enseptembre 2010. La firme a finalementannoncé le 19 avril 2011, qu’elle cédait la

marque OpenOffice.org à la communauté.Les deux mondes ne sont donc pas cloison-nés, ils se complètent. La plupart des éditeurspropriétaires et des SS2I ont dorénavant undépartement consacré aux logiciels libres. Ilfaut en être, prouver qu’on participe à descommunautés, ouvrir des lignes de codes.Même Microsoft, éternel résistant, s’engagedans l’open source. Alors qu’en 2001, le CEOSteve Ballmer considérait Linux comme un“cancer” dans un entretien au Chicago Sun-Times, et qu’en janvier 2005, Bill Gates fusti-geait des démarches de “communistes” sur lesite informatique CNET. “Nous avons changé”,affirme Alfonso Castro, directeur interopé-rabilité chez Microsoft. La marque a passédes accords avec Linux pour favoriser la com-patibilité technique des deux systèmes d’ex-ploitation, et s’assurer ainsi la confiance deleurs clients, qui se méfiaient des consé-quences d’une guerre sur la stabilité de leursystème d’information.

Nouveau paradigme, nouvelle gouvernanceCe nouveau paradigme implique des chan-gements de gouvernance pour l’entreprisequi souhaite interagir avec les communautés,

assurer une veille technologique et la forma-tion, et couvrir les problèmes juridiques.“Vous ne pouvez pas gagner sur tous lestableaux, c’est la raison pour laquelle tout lemonde ne se lance pas”, indique Marc Carrel-Billiard chez Accenture. Le passage à l’opensource ne s’effectue pas du jour au lende-main. “L’entreprise ne doit pas seulementconsommer le savoir de la communauté, elledoit lui aussi apporter quelque chose. Selon

notre étude, seuls 29 % des entreprises utilisa-trices acceptent de partager, une majorité nejoue donc pas vraiment le jeu”, ajoute-t-il. Aufinal, si la communauté n’a affaire qu’à desconsommateurs, elle s’essouffle. La craintede divulguer certains secrets commerciaux,par exemple un moteur de calcul de risquepour une assurance, freine les entreprises.“Mais en apportant du contenu à la commu-nauté, elles gagnent en crédibilité, intègrent unréseau privilégié, et récoltent des informationsplus rapidement”, explique Marc Carrel-Billiard. Même son de cloche du côté duSyntec. “Employer cinq informaticiens pourmodifier le logiciel libre de gestion de base dedonnées My SQL serait une très mauvaise idéeet personne ne le fait. Ce ne serait pas stable. Au

contraire, leur demande d’intégrer la commu-nauté Apache et de trouver de nouvelles appli-cations en réseau, permet de peser dansl’évolution du logiciel, qui correspond ainsidavantage à ses besoins”, estime PatriceBertrand, président du comité Open sourcedu Syntec numérique, et directeur général deSmile. Une nouvelle mission de veille tech-nologique émerge également pour les déve-loppeurs, puisqu’il ne s’agit plus d’attendrela nouvelle version envoyée par l’éditeur pro-priétaire. Autre nouveauté : les probléma-tiques juridiques, à surveiller comme le laitsur le feu. Car derrière la théorie du codeouvert, librement modifiable et diffusable, ilexiste de nombreuses variantes, et plus d’unecinquantaine de formes de licences diffé-rentes. “Il existe des licences open source viral,notamment les codes dits “GPL” [General PublicLicence, ndlr]. Comme une goutte de vin dansune bouteille d’eau qui rosit, si vous mettez deuxlignes de code GPL dans un code Windows, toutle code devient open source. Il faut une rigueurinimaginable pour s’assurer qu’il n’y a pas deuxlignes de code GPL dans un logiciel”, prévientIBM. Face à toutes ces nouveautés, il est plusfacile de passer au libre sur des terrains vier-ges : la création d’une nouvelle filiale, l’i-

dentification d’un nouveau besoin informa-tique, ou la création d’une start-up.

Cloud, la troisième voieSelon IBM, l’avenir ne serait pas dans le libremais dans le cloud computing (informatiqueen nuage), c’est-à-dire l’externalisation destraitements informatiques via Internet quipermet de bénéficier de logiciels – à lamanière de Gmail ou Hotmail –, ou d’uneinfrastructure. “Après la tendance du libre,apparaît une demande de simplicité. Du côté del’offre, le Graal des éditeurs open source est deproposer du cloud. Il ne le restera qu’une étapepour accomplir leur mue: enlever la licence opensource”, analyse Philippe Bournhonesque.Selon lui, le cloud propose un mode de servi-ces alternatif à celui du monde libre. Mais làencore, dans les faits, les deux mondes sontimbriqués. Google et Amazon, deux grandsacteurs du cloud computing, ont rapidementdéveloppé leurs systèmes grâce aux stocks delogiciels libres existants. “Ils ne sont ainsi paspartis de zéro, ils n’ont pas investi des sommesconsidérables en développement”, indiqueMathieu Poujol. Par ailleurs, nombre de pla-teformes cloud proposent des logiciels libres,y compris celle de Microsoft. L’autre per-spective du monde libre réside dans les logi-ciels embarqués. “En France, des industriestrès intensives, comme l’aérospatial avec le sys-tème d’information de l’A380, ou la défense,avec les sonars de la marine nationale, fonc-tionnent en open source”, indique MathieuPoujol. De leur côté, PSA et BMW se sontassociés dans le projet Genivi, une plate-forme commune de développement pour l’in-formatique embarquée des véhicules.Comme le montre le projet Fiat Mio, l’opensource offre donc un nouvel outil de mutua-lisation de la R&D. �

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Le libre gagne du terrainEn 2010, le marché du libre atteint 2,2 Mds € enFrance, sur un chiffre d’affaires total de 35,69 Mds €

(logiciels et services informatiques), soit 5,7 %. Il a pro-gressé de 32 % de 2009 à 2010.Entre 2010 et 2014, une croissance moyenne annuellede 20 % est attendue, à comparer avec les 4 % prévuspour le marché propriétaire.En 2014, la part de marché du logiciel libre pourraitatteindre 9 %.(Source Pierre Audoin Consultants, 2011)

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“Le bug est résolu plus rapidement, grâce àl’appui des réseaux communautaires”, MarcCarrel-Billiard, directeur solutions ettechnologies avancées d’Accenture.

“Le nouveau paradigme implique des changements de gouvernance pour interagir avec les communautés, assurer une veille technologique,

la formation, et couvrir les problèmes juridiques”

“Avec les logiciels propriétaires, vous disposez d’une voiture toute construite et maintenue, alors que dans le libre,

ce sont des bricoleurs qui se débrouillent”