Allaitement maternel et medicaments

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Journal de pédiatrie et de puériculture (2008) 21, 154—155

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FLASH INFO

Allaitement maternel et médicaments§

Des recommandations pratiques ont été publiées par lesautorités sanitaires françaises en mai 2002 afin d’inciter laprolongation systématique de l’allaitement maternel exclu-sif jusqu’à six mois ; cela en raison d’un impact positif sur lasanté de la mère (amélioration de la perte de poids en post-partum) et celle du nourrisson (meilleure protection contreles infections gastro-intestinales).

Introduction

Au cours de l’allaitement, la question de la prise de médi-cament(s) se posera d’autant plus que la durée de celui-ci estamenée à se prolonger. Il s’en suit trop fréquemment unarrêt de l’allaitement par peur d’exposer l’enfant à desrisques jugés a priori excessifs. Une mère souhaitant privilé-gier l’allaitement de son nourrisson peut aussi déciderd’opter pour une abstention thérapeutique injustifiée, voirenéfaste pour sa propre santé. L’expérience montre quel’allaitement peut le plus souvent être poursuivi tout entraitant efficacement la mère.

Les résumés des caractéristiques du produit (RCP) décon-seillent souvent l’allaitement en cas de traitement maternelquand ils ne le contre-indiquent pas formellement. Dans lamajorité des cas, cette mention ne traduit généralementqu’une absence de données sur le passage du médicamentdans le lait,conduisantàdesmesuresthéoriquesdeprécautionalors qu’un médicament, même passant dans le lait en quan-tité parfois non négligeable, n’est pas pour autant dangereuxpour le nourrisson. Compte tenu des bénéfices démontrés del’allaitement pour la santé du nourrisson, il est important detransformer le message traditionnel et réducteur : « un arrêtde l’allaitement est souvent à préconiser en cas de traitementmaternel », pour une approche raisonnée plus positive, « lapoursuite de l’allaitement est le plus souvent compatible avecun traitement maternel si celui-ci est justifié ».

Dans le but d’aider les prescripteurs et les patientesconfrontés aux incertitudes thérapeutiques au cours del’allaitement, le Centre régional de pharmacovigilance(CRPV) de Lyon, relayé par le centre antipoison en dehorsdes heures ouvrables, s’est engagé à mettre à disposition ses

§ Fiche technique de pharmacovigilance de VIGItox, n8 36,décembre 2007. Texte rédigé par A. Bonvin, I. Bruyère, T. Vial.

0987-7983/$ — see front matterdoi:10.1016/j.jpp.2008.03.003

connaissances dans ce domaine. Ainsi, les questions« allaitement », gérées par le service, se sont accrues demanière considérable en quelques années (de 1982 en 2002 àplus de 600 en 2007).

Cette fiche technique n’a pas pour objectif de détailler lesmédicaments pouvant ou non poser problème au cours del’allaitement (de nombreux ouvrages ou sites internet appor-tent ces informations), mais de décrire les principauxéléments associés à l’évaluation du risque. Aux caractéristi-ques propres à la molécule choisie, des données liées à lamère (indication et durée prévisible du traitement, contextesocial, capacité à être alertée par une anomalie chez sonnourrisson ou à accepter un suivi spécifique. . .), des donnéesliées à son nourrisson (éventuelle prématurité ou pathologienéonatale, l’état de santé au moment de l’appel. . .) doiventêtre prises en compte.

Caractéristiques du traitement maternel

L’étape initiale consiste naturellement à s’assurer que letraitement maternel est réellement justifié. Si le traitementmaternel est justifié et s’il n’apparaît pas d’emblée compa-tible avec l’allaitement, une alternative thérapeutique doitêtre recherchée et peut très souvent être proposée au seinde la même famille pharmacologique. Cette alternative peutêtre anticipée avant l’accouchement en cas de traitementchronique instauré pendant la grossesse chez une patientequi souhaite allaiter (par exemple, en cas de dépression, lasertraline sera préférée à la fluoxétine en raison de la longuedemi-vie de cette dernière).

La durée prévisible du traitement et la posologie proposéesont également des éléments importants à prendre encompte. Ainsi, la prise occasionnelle de codéine ou d’unhypnotique est compatible avec la poursuite de l’allaite-ment, contrairement à un traitement continu.

Passage du médicament dans le lait

Ces données ne sont disponibles que pour un petit nombre demédicaments et/ou portent sur des effectifs très faibles.D’autres informations permettent cependant d’envisager ounon un passage. Le médicament est parfois pas ou très peuabsorbé par le tube digestif de la mère et/ou du nourrisson. À

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titre d’exemple, le flubendazole, qui est pourtant déconseillépendant l’allaitement, ne semble pas poser de problème enraison d’une très faible absorption digestive. De même, lesproduits de contraste iodés ou gadolinés ne sont pas signifi-cativementabsorbéspar le tubedigestif dunouveau-né, cequine doit pas conduire à interrompre l’allaitement. La faibleabsorption digestive d’un médicament chez l’adulte nepréjuge cependant pas de l’absence de résorption digestivechez le nouveau-né (par exemple, les aminosides sont faible-ment absorbés chez le nouveau-né). Il peut aussi s’agir demédicaments présents dans le sérum maternel, mais dont lepoids moléculaire élevé (par exemple, héparine, insuline,interférons) ou la forte liaison aux protéines plasmatiques(propranolol, warfarine, AINS. . .) permet de supposer qu’ils nepassent pas ou que très peu dans le lait.

Le rapport L/P des concentrations du médicament dans lelait et dans le sérum maternel est une information précieuse,mais rarement disponible. Un rapport L/P élevé (supérieur àun) indique que le médicament se concentre dans le lait et quela prudence est de mise (l’acébutolol et son métabolite actifse concentrent dans le lait et ont des effets indésirables chezle nouveau-né). Ce type de médicament ne sera pas obliga-toirement dangereux pour le nourrisson, soit parce que laconcentration maximale dans le lait ou la dose estiméeingérée par le nouveau-né sont trop faibles (digoxine, méto-prolol) soit parce que le médicament n’est pas intrinsèque-ment dangereux pour le nourrisson (spiramycine). À l’inverse,un rapport L/P faible (inférieur à un), traduisant un passagelimité du médicament dans le lait, n’est pas nécessairement lagarantie de l’absence de risque (phénobarbital).

Le rapport L/P permet d’approcher la dose ingérée par lenouveau-né. Ce calcul doit prendre en compte le type d’allai-tement (mixte ou exclusif) et le volume quotidien de laitingéré par le nourrisson (classiquement 150 mL/kg par jour).Cette dose estimée est alors rapportée à la posologie mater-nelle et ajustée au poids de l’enfant. On admet qu’il n’y a pasde risque pour le nourrisson, si la dose calculée est inférieure à1 % de la dose maternelle, et qu’un risque est possible dèsqu’elle est supérieure à 10 %. Cela doit être pondéré enfonction du profil de toxicité du médicament et de sa margethérapeutique. Ainsi, le risque de toxidermie avec la lamo-trigine, imprévisible et potentiellement grave, est sanscommune mesure avec les troubles digestifs liés à un traite-mentmaternel par fluconazole, alors que,dans les deuxcas, lenouveau-né peut être exposé à plus de 10 % de la dosematernelle rapportée à son poids. Il faut aussi être prudentavec un médicament potentiellement toxique pour lequel ladose estimée ingérée par le nourrisson se situe entre 1 et 10 %(par exemple, aténolol ou fluindione), d’autant qu’il existedes alternatives plus satisfaisantes (labétalol ou warfarine).On peut enfin comparer la dose estimée ingérée par le nour-risson à la posologie pédiatrique habituelle. On contre-indi-quera plus volontiers l’allaitement maternel si le médicamentest lui-même formellement contre-indiqué chez le nourrissonen raison d’un risque identifié. Le seuil de 10 % est uneindication utile qui doit donc être pondérée en fonction durisque intrinsèque du médicament.

Caractéristiques du nourrisson

L’évaluation doit prendre ensuite en considération l’âge dunourrisson, son poids, son état clinique au moment de la

demande, une éventuelle prédisposition génétique familiale(déficit en G6PD) et la notion de prématurité. Dans ce derniercas, les modifications de l’absorption digestive et l’accumu-lation de substances actives du fait de l’immaturité hépa-tique et rénale majorent le risque d’effets indésirables.Cette immaturité explique aussi que la majorité des effetsindésirables liés à un traitement maternel chez des nouveau-nés allaités l’ont été chez des nourrissons de moins de unmois. Une revue de la littérature des cas publiés entre 1966et 2002 ne retrouvait que 100 observations d’effets indésira-bles dus au traitement maternel chez des nouveau-nésallaités, dont 63 % chez des nourrissons de moins de un mois.

Dans la moitié de ces observations, les effets indésirablesétaient consécutifs à un traitement maternel par psycho-tropes. Enfin, en cas de pathologie du nourrisson, il faudravérifier l’absence d’interaction médicamenteuse entre sontraitement et une exposition via l’allaitement (par exemple,cisapride chez le nouveau-né et macrolide chez la mère).

Suivi de l’allaitement maternel

Si l’évaluation conclut à un risque jugé modéré et que lamère souhaite allaiter, il faudra s’assurer de sa capacité àêtre alertée par un éventuel effet indésirable et, à consulter.Avec les psychotropes, on recherchera, par exemple, unesédation, des signes digestifs ou une prise de poids anormaledu nourrisson. De même, il faut savoir rechercher une expo-sition maternelle à d’autres substances. À titre d’exemple, siun traitement substitutif par buprénorphine haute dose estcompatible avec un projet d’allaitement, il convient des’assurer de l’absence de mésusage ou de consommationassociée de stupéfiants, d’alcool, de tabac. . .

Un aménagement de l’allaitement maternel peut se dis-cuter dans certaines situations en proposant, par exemple,de tirer temporairement le lait lors du pic de concentrationet pendant quelques heures (sumatriptan) ou d’espacer lestétées d’une durée correspondant au moins à une demi-viedu médicament (zopiclone, zolpidem).

Enfin, pour un médicament fréquemment prescrit dans lapopulation générale, la probabilité que ce médicament aitété prescrit à des mères ayant poursuivi l’allaitement soustraitement est logiquement élevée. L’absence d’effet indé-sirable répertorié chez le nourrisson est alors une donnéerassurante, bien qu’évidemment insuffisante.

Conclusion

L’absence ou la rareté des données concernant les risquesdes médicaments au cours de l’allaitement est un problèmerécurrent. La préoccupation essentielle étant d’évaluer leretentissement potentiel chez le nourrisson allaité, le CRPVde Lyon a mis en place une procédure de suivi, le plus souventpar simple interrogatoire téléphonique à distance de l’appelinitial et, dans des cas ciblés, en proposant un dosage dumédicament et/ou de ses métabolites dans le lait et le sérumou un bilan biologique spécifique (par exemple numérationformule avec l’azathioprine). Dans tous les cas, la participa-tion de la mère qui allaite et/ou de son médecin à ce suivi nese conçoit que sur la base d’un volontariat. Seules cesdonnées factuelles permettront de se soustraire auxcontraintes théoriques bien souvent rencontrées.

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