B 10 LE DEVOIR, LE VENDREDI 2 MARS 2007 de l’âme et va en...

Preview:

Citation preview

L E D E V O I R , L E V E N D R E D I 2 M A R S 2 0 0 7B 10

À titre de moumoune of ficielle de laTDLG, la Traversée de la Gaspésie,chaque kilomètre parcouru par cesskieurs de fond aguerris est une sourced’effarement à mes yeux qui prennent

froid rien qu’à l’idée. Le 18 février dernier, cette cin-quième équipée de 220 skieurs entamait son par-cours de 300 kilomètres dans les Chic-Chocs, aucœur du parc de la Gaspésie, pour se terminer sixjours plus tard par une arrivée triomphale à la baiede Gaspé.

Chaque soir à 18h, les consignes servies aux dis-ciples de la glisse ressemblent à un sermon; on vousdécrit l’enfer pavé de bonnes intentions, aménagéavec un soin sadique par les motoneigistes pour lelendemain: «Surtout, ne skiez pas tout seul, c’est dan-gereux. La dernière boucle de 20 “kilos” est à vosrisques: il n’y a pas de neige sur le mont Jacques-Car-tier, donc cinq kilomètres à faire à pied. Et on ne peutpas aller vous chercher en motoneige! On annonce desvents du sud-ouest de 45 km/h sur les sommets. La bon-ne nouvelle: vous les aurez dans le dos. Mettez-vous des“hot shots” dans le derrière!»

Envoyé comme ça, en prenant une bière, le co-casse l’emporte sur la dose de courage nécessairepour braver les intempéries. Mais il faut avoir par-couru les 60 kilomètres proposés (même en mo-toneige, j’ai trouvé ça difficile!) pour comprendreque toute la richesse du chapelet d’injures em-ployées par Pierre Falardeau — un des fidèlesparticipants avec sa femme Manon et son fils Jéré-mie — n’y suffira pas.

La TDLG représente une occasion unique de sor-tir de sa zone de confort. Et chaque skieur flirte avecle déséquilibre inhérent à l’exercice.

«Les skieurs viennent pour ça: ils trouvent ça diffi-cile et recherchent cette difficulté», dit Christian Ber-nier, Montréalais, Gaspésien d’adoption, cinqGrandes Traversées à son actif. «Notre vie est telle-ment planifiée, sans surprises. Ici, première zoned’inconfort: on se lève à 5h du matin. Ensuite, onn’est pas déterminé par notre statut social, on doit ex-plorer d’autres aspects de soi. Des mécaniciens cô-toient des médecins, et la première chose qu’on de-mande, ce n’est pas “que fais-tu dans la vie?” maisplutôt “as-tu fait du beau ski aujourd’hui?”. Et finale-ment, il y a un challenge. Les humains s’épanouis-sent davantage quand on les met au défi.»

Christian, un skieur aguerri dans la cinquantai-ne, souhaite donner des cours de ski de fond à saretraite. Comme grimpeur, il a déjà un 8000mètres au Pakistan dans les mollets. Il a dormi surdes glaciers, campé 40 jours dans les Chic-Chocsen hiver. Il faudrait davantage que 300 kilomètresde pistes abruptes pour le faire détaler: «On sesous-exploite tout le temps. Et pourtant, il y a unefierté dans la vie à traverser des difficultés. Les genssont contents d’aller au bout d’eux-mêmes. Et c’estvrai dans tous les domaines, pas seulement sportifs.Le consumérisme, qui nous fait croire que notrezone de confort ne dépend pas de nous mais de ceque nous achetons, nous a fait oublier une chose:nous sommes adaptables!»

L’enfance de l’artSur les pistes, quelques enfants, pré-ados pour la

plupart, font le parcours avec les «vieux». Clovis, lefils de Christian et de l’initiatrice du projet, ClaudineRoy, n’a que 11 ans et participe à la Traversée depuisl’âge de six ans, affichant un sourire contagieux pourle même prix! «Des fois, j’ai le goût de zapper la scèneet de me retrouver à l’autre bout du monde; je voudraiscrier! Mais je me retiens et je termine mes journées! Leplus difficile, ce sont les Chic-Chocs, mais c’est aussi leplus beau. C’est beaucoup plus le fun que souffrant!»,dit le jeune adepte.

Toute menue et timide, Delphine, dix ans, faisait laTraversée pour la première fois cette année. Lesdeux premières journées ont été ardues. «Le décou-ragement, c’est pas quand tu n’es plus capable, obser-ve-t-elle. C’est quand tu es tannée! Je me fixe des objec-tifs: dans deux kilomètres, je m’arrête pour manger.»Son frère Laurent, 16 ans, six pieds quatre pouces,l’accompagne lui aussi, distribuant des petits cœurs àla cannelle aux skieurs qu’il croise: «Le fait d’avoirma petite sœur, ça me motive. Si je craque, elle craqueaussi! L’orgueil me fait avancer, sans oublier le soutiendes motoneigistes qui décrochent ta tasse dans ton doset te servent un bouillon de poulet. Au fond, ça se faitbien, chacun à son rythme. Quand je suis moins moti-vé, je pense à mes amis qui sont à l’école… je me trou-ve chanceux!»

C’est dans la tête qu’on est beauLa comédienne Marie-Joanne Boucher partici-

pait à sa première Grande Traversée cette année,sans grande expérience de skieuse et sans entraî-nement acharné au préalable. «J’ai voulu arrêter ledeuxième jour. J’avais la nausée. Puis, j’ai pris unedécision: ou tu rentres en motoneige, ou tu arrêtes dete plaindre et tu termines le parcours. Quand je suisarrivée au bout, j’étais tellement fière! Ça ne m’étaitpas arrivé depuis mon enfance! Tout se passe dans latête. Tu es drogué aux endorphines, tu fais le vide,t’es en état de survie; ça aide à se rendre jusqu’aubout. Thierry Petry, le grand manitou, m’avait dit:

“Un pas à la fois.” Et c’est vrai. Et puis, on est entou-ré de monde pas ordinaire, ici. J’ai beaucoup apprissur la vie: surtout, ne pas se comparer. Si tu tombes,tu te relèves et tu continues... C’est tout!»

Sharon Braverman, une habituée de la TDLG, étaitblessée cette année: luxation du bras. Il en aurait falludavantage pour qu’elle abandonne ses vacances an-nuelles en Gaspésie: «J’ai modifié un peu le parcours, jedescends de côté pour économiser mon bras. Et puis, j’aieu recours à “sœur bobo” et “sœur physio”; quelqu’un m’aprêté une attelle. Avec le soutien de l’équipe et des moto-neigistes, j’ai pu le faire. L’entraide te permet de te sur-passer à la TDLG. Sur les pistes, je m’arrête pour lesautres, parce que j’aime qu’on le fasse pour moi. Ça tepermet de dépasser tes limites. J’ai eu beaucoup de dou-leur dans ma vie, notamment à la suite d’un accidentd’auto en 1998, et, à un moment donné, il faut décider sion se laisse définir par ses blessures et ses problèmes oupar ce qui nous reste à découvrir de la vie.»

Même héroïsme ordinaire pour François Fortier,50 ans, un nouveau venu sur les pistes avec 500 kilo-mètres d’entraînement et de multiples ampoules auxpieds avant de débarquer dans les Chic-Chocs. Lesépaules voûtées par différents types d’arthrite, cediabétique qui traîne son insuline sur les pistes cou-rait un risque supplémentaire pendant ce projet spor-tif. «Je ne veux pas tomber dans le coma sur mes skis. Jedois utiliser mon glucomètre dix fois par jour et compo-ser avec la douleur. Mais il y a les endorphines… lebuzz! Tu ne redescends pas! Et puis, ce n’est pas unecourse. Je suis marqué à vie par cette expérience. C’estce que j’ai vécu de plus puissant depuis l’âge de cinqans», lance-t-il, les yeux brillants.

Je laisse le mot de la fin à mon amie «La MarieChânioon», sortie de sa zone de confort (le ski defond) pour s’occuper de mon B durant toute la semai-ne: «Finalement, quand on naît, on sort de notre pre-mière zone de confort. Et chaque fois qu’on sort denotre zone de confort, une petite partie de nous renaîtà nouveau.»

cherejoblo@ledevoir.com

Une traversée de soiSortir de sa zone de confort

au cœur de la Gaspésie

Même sur une carte postale, on peut sortir de sa zone de confort et se planter dans le décor. Joblo, moumoune of ficielle de l’événement sportif, sebidonne devant le célèbre rocher Percé.

Chanté: pour lesskieurs de laTDLG, Je m’envole-rai, interprétée parDaniel Lavoie surle disque Quand lecountry dit bon-jour... Si j’ai décidéde mettre un ter-me définitif à macarrière internatio-nale de chanteuse,je vous encourageà vous procurer cedisque aux hori-zons variés qui cé-lèbre la musique sichère à nos Gaspé-siens. Juste pourentendre MaraTremblay chanterUn coin du ciel ouDany Bédar Unamour qui ne veutpas mourir, ça vautle coup!Adoré: la pièceAvaler la mer et lespoissons, écrite parSylvie Drapeau etIsabelle Vincent.Le titre évoque laGaspésie mais, enfait, il y est questiond’amitié, d’amour,de la mort, de pas-sion et de réconci-liation sur une noteà la fois poétique ettrès contemporai-ne. À la fin, tout lemonde pleure, lesdeux comédiennes-auteures aussi. Enreprise à La Licor-ne jusqu’au 24mars et en tournée régionale après...Trouvé: dans le dernier numéro de Géo Plein Air (fé-vrier 2007), un modèle de raquette qui épouse la dé-marche féminine! www.atlassnowshoe.com. Et unenouvelle cire liquide de fartage (Swix) qui ne néces-site pas... de fartage! Aussi, tout un article sur le cam-ping d’hiver et les choses essentielles pour ne pastrop se les geler... Et un programme d’entraînementpour le ski de fond.Frémi: en parcourant le reportage sur la séductiondans le dernier numéro de L’actualité. Même si le su-jet me passionne, associer Marc Boilard, cette PMEde la drague cheap et vulgaire, à l’idée même de laséduction m’apparaît comme une insulte à un art quise pratique depuis les Romains (sinon bien avant).Le fanfaron de la touche facile est aussi dégarni quel’ensemble de son crâne côté subtilité. Quand vousvoudrez prendre des cours de flirt, vous irez voir nosamis Gaspésiens, dont c’est le sport national. Ils lefont sans vous culbuter dans les bancs de neige, maisça donne un p’tit frisson dans le dos!

La raquette chic

S ublime découverte cette année à la TDLG: lesChic-Chocs sous la neige. Quand je pense qu’il y

en a pour s’émouvoir de perdre «leurs» Rocheusesadvenant la «séparation». Quand tu as vu les Chic-Chocs, tu peux t’en passer. André Boisclair devrait al-ler là-bas tourner une adaptation convaincante deBrokeback Mountain...

J’ai aussi découvert le sport le plus chic à pratiquerdans cet endroit paradisiaque: la raquette. Non, ce n’estpas pour les tapettes, ni pour la retraite, c’est pour lefrette! Et j’avoue qu’entre le ski de fond et la raquette,mon cœur balance.On peut même glis-ser sur le derrièreen s’assoyant des-sus. J’ai rencontrédes jeunes, sur lessentiers, qui me di-saient avoir aban-donné le ski defond pour ce sportnon performant etplus zen.

Je n’oublieraipas de sitôt le som-met du mont Olivi-ne, une dizaine dekilomètres aller-re-tour et un p’tit lun-ch avalé rapido sous le soleil et le vent, avec une vuefabuleuse qui m’a rappelé la Chartreuse préalpine.

La dernière édition du magazine Canadian Winter(Canada’s Coolest Magazine, www.canadianwinter.ca)vous fait un joli résumé de l’expérience: «It’s chic tosnowshoe the Chic-Chocs.»

En passant, le directeur du parc de la Gaspésie(800 km2 pour s’épivarder) m’a appris qu’il y avait as-sez de neige pour se perdre jusqu’à la mi-avril et quela saison creuse commence en mars...

Él Pére

Le père Lacroix a eu droit à de nombreux surnomsdurant la TDLG: «Él Pére» et «Ben the Cross»,

pour ne mentionner que ceux-là. Grâce à son charismeet à son humanité, il s’est attaché tout un peuple en l’es-pace d’une semaine. «Nous n’avons pas visité la Gaspé-sie, m’a-t-il glissé. Nous avons “vécu” avec les Gaspésienscette semaine.» Chaque halte dans les villages lui a don-né l’occasion d’aller visiter les enfants à l’école.

Dans une classe de Bonaventure où le père La-croix racontait qu’il avait fait le tour du monde, unbambin de six ans a levé la main: «Moi aussi, j’ai faitle tour du monde. Je suis allé à Percé et à Gaspé!»

Vous pourrez entendre l’entrevue qu’a donnée lepère Benoît Lacroix à Marie-Claude Lavallée sur RDIle 23 mars à 22h, le 24 mars à 11h30 ou le 25 mars àminuit trente.

www.chatelaine.com/joblo

Josée Blanchette

PHOTOS NATHALIE MONGEAU

Laurent et Delphine Duvernay-Tardif, deux jeunes participants à la cinquième édition de la TDLG.«Chialer à la Traversée, c’est trop pas ça», dit Laurent, 16 ans, très à l’aise avec sa zoned’inconfort.

C’est la Vie!«En vérité, la soif de confort assassine la passion de l’âme et va en ricanant à son enterrement.»

– Khalil Gibran

Recommended